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Hippolyte Carnot, père de l’éducation républicaine moderne

Sommaire

  1. Introduction
  2. Dans la tempête
  3. De la charité à la scolarisation universelle
  4. Malebranche et les Oratoriens
  5. La Révolution des esprits
  6. Le Comité d’Instruction publique
  7. Condorcet et le « Parti américain »
  8. Le plan Condorcet
  9. La bataille sous la Convention
  10. Lazare Carnot sous les Cent-Jours
  11. Hippolyte reprend le flambeau de son père Lazare
  12. L’exil de Lazare Carnot
  13. Hippolyte avec l’Abbé Grégoire
  14. Comme Friedrich Schiller, patriote et citoyen du monde
  15. La Révolution de juillet 1830
  16. Ministre de l’Instruction publique sous la IIe République
    A. Ecole Maternelle
    B. Ecole Primaire
    C. Exposé des motifs de la loi de juin 1848 sur l’Ecole
    D. Des instituteurs pour éclairer le monde rural
    E. Enseignement secondaire

    F. Haute Commission des études scientifiques et littéraires
    G. Une Ecole d’Administration
    H. Education pour tous tout au long de la vie
    I. Bibliothèques circulantes
    J. Beaux-Arts, hygiène et gymnastique au programme
    K. Concorde citoyenne
  1. Conclusion
  2. Annexe : œuvres d’Hippolyte Carnot
  3. Quelque ouvrages et articles consultés 

« L’arbre que vous plantez est jeune comme la République elle-même
(…) Il étendra sur vous ses rameaux, de même que la République étendra sur la France
les bienfaits de l’Instruction populaire. »

Hippolyte Carnot, Memorial, dossier 13, 1848.

1. Introduction

Hippolyte Carnot (1801-1888) n’a ni la gloire de son père Lazare Carnot (1753-1823), « l’organisateur de la victoire » de l’An II, ni le renom de son frère, l’inventeur de la thermodynamique Léonard Sadi Carnot (1796-1832), ni le destin tragique de son fils, François Sadi Carnot (1837-1887), président de la République assassiné par un anarchiste à Lyon.

L’histoire retient presqu’ exclusivement ses magnifiques « Mémoires sur Lazare Carnot par son fils », où il relate l’action, les idées et la vie de son père, le « grand Carnot », esprit scientifique, poète, fervent républicain et ministre de la Guerre.

Hippolyte reste méconnu alors que sa longue vie (87 ans), un peu plus longue que celle de Victor Hugo (83 ans) couvre presque tout un siècle (1801-1888) et que son œuvre et son influence sont considérables.

Comme le démontre amplement la lecture de « Hippolyte Carnot et le ministère de l’Instruction publique de la IIe République » (PUF, 1948), écrit par son fils, le médecin Paul Carnot (1867-1957), il était bien plus qu’un simple observateur ou commentateur des événements.

Dans la tempête

Le XIXe siècle est une période de profonds changements. La flamme de l’espérance allumée par les Révolutions américaine et française, l’idéal de la liberté, de la fraternité et de l’émancipation, aussi bien des individus, des peuples que des Etats souverains, s’avère in-éteignable, s’affirme et se prolonge tout au long du XIXe siècle. La longue marche vers un nouveau paradigme est semée d’embûches. Les mutations s’opèrent lentement sur fond de crises brutales et de ruptures violentes.

Durant sa longue vie, Hippolyte Carnot connaîtra indirectement ou directement :

  • Deux empires :
    1803-1814 : Premier Empire sous Napoléon Bonaparte
    1852-1870 : Second Empire sous Napoléon III
  • Trois monarchies :
    1814-1815 : Première restauration sous Louis XVIII
    1815-1830 : Seconde restauration sous Charles X
    1830-1848 : Monarchie de juillet sous Louis-Philippe, duc d’Orléans.
  • Deux républiques :
    1848-1852 : IIe République
    1870 : IIIe République
  • Trois révolutions exprimant la ferveur républicaine :
    1830 (Trois glorieuses) ;
    1848 (soulèvements) ;
    1871 (Commune).

Ainsi, dans un environnement toujours en transformation, traversant révolutions, coups d’État, monarchies, empires ou républiques, guerres et procès, celui qui sera (trop) brièvement ministre de l’Instruction publique en 1848, ami de Victor Hugo, Hippolyte Carnot sera un bâtisseur et un inspirateur.

Philosophe et journaliste, mémorialiste et ministre, franc-maçon et croyant, exilé politique et député, sénateur et membre de l’Académie, il participe à tous les combats pour les libertés publiques et privées, jette les bases de la formation des professeurs et de l’école gratuite et obligatoire, y compris maternelle, crée l’ancêtre de l’ENA et défend les causes les plus avancées (scolarisation des filles, suffrage universel, lutte contre l’esclavage et abolition de la peine de mort).

Rémi Dalisson, dans une biographie passionnante et richement documentée « Hippolyte Carnot 1801-1888. La liberté, l’école et la République », publié aux éditions du CNRS en 2011, preuves à l’appui, souligne que « la vulgate d’un Jules Ferry inventant l’école républicaine et laïque est largement battue en brèche ».

Etant donné que le nom et encore moins l’action d’Hippolyte Carnot ne figurent nulle part sur le site du ministère, l’auteur se désole que « rares sont ceux, y compris au ministère de l’Éducation nationale, qui rendent hommage au rôle et la personnalité d’Hippolyte Carnot ».

Les anthologies de textes et discours fondateurs de l’école républicaine, qui se sont multipliées ces dernières années, l’oublient systématiquement.

« C’est donc la réparation d’une injustice et d’un oubli que nous effectuerons en retraçant la vie et l’œuvre d’Hippolyte Carnot qui vont bien au-delà de ses projets et réalisations éducatives. Par sa stature, sa formation, son parcours, ses idées, ses écrits et combats, cet homme aux multiples talents nous permettra de retracer l’histoire de la construction de l’école et donc de la société au XIXe siècle (…) Et comme cette question renvoie à la question politique, sociale voire économique et culturelle de la nation, et comme le ministre fut de tous les combats philosophiques de son siècle (…) c’est en grande partie l’histoire d’un siècle qui sera évoquée (…) ».

Le texte intégral de cette magnifique biographie est en accès gratuit sur internet et nous nous en sommes largement inspiré pour écrire ce texte.

3. De la charité à la scolarisation universelle

Ecole primaire à l’époque de l’ancien régime.

Afin de pouvoir pleinement appréhender l’apport fondamental des conceptions de Lazare Carnot et du début de leur mise en œuvre par son fils Hippolyte, un bref historique de la scolarisation de notre pays s’impose.

Éduquer une poignée d’enfants plus ou moins talentueux ? On a su faire, surtout depuis les conseils savoureux des grands pédagogues de la Renaissance (Vittorino da Feltre, Alexandre Hegius, Erasme de Rotterdam, Juan Luis Vivès, Comenius, etc.). Mais organiser l’enseignement obligatoire, laïque et gratuit pour toute une nation, garçons et filles, restait un énorme défi à relever.

Et comme le montre la chronologie qui suit, la route vers la scolarisation universelle a été semée de nombreuses embûches.

En France, dès le XVIe siècle, l’Etat royal confie à l’église catholique (Jésuites, Oratoriens) le soin de former les enfants de la noblesse : seules les familles aisées arrivent à payer un précepteur pour les leurs, les autres, souvent qualifiés de personnes « n’étant pas faites pour des études », restent essentiellement analphabètes.

Au XVIIe siècle, de saints hommes, émus de la grande misère des enfants du peuple fondèrent des ordres enseignants qui prirent en charge gratuitement les orphelins et les enfants abandonnés. Un enseignement avant tout religieux, mais leur fournissant de quoi manger, des rudiments d’éducation et des bases d’écriture et de calcul. Au XVIIIe siècle, des congrégations féminines prirent en charge de la même façon les filles pauvres.

Peu importe ses motivations réelles, Louis XIV, après la révocation de l’édit de Nantes en 1685, ordonne en 1698 à chaque communauté villageoise ou paroisse d’ouvrir une école dont le maître doit être un prêtre catholique. C’est la première fois que l’Etat envisage de donner de l’instruction à des enfants des régions rurales. En charge d’y arriver, les Frères des Ecoles chrétiennes (« Lassalliens ») avec les méthodes qui seront les leurs.

Les chiffres de l’alphabétisation à la fin de l’Ancien Régime montrent l’ampleur et les limites de l’œuvre accomplie. On estime à cette époque à 37 % la proportion des Français assez instruits pour signer leur acte de mariage au lieu de 21 % un siècle plus tôt. L’instruction féminine progressait lentement et environ un quart des femmes étaient alphabétisées, très sommairement pour nombre d’entre elles. Les disparités étaient importantes entre les villes et les campagnes.

4. Malebranche et les Oratoriens

Paris, couvent de l’Oratoire.

Parmi les congrégations, les Oratoriens, depuis 1660 sous l’influence du philosophe et théologien Nicolas Malebranche (1638-1715) qui en prend la direction, font exception. En rupture avec l’aristotélisme des Jésuites et le dualisme prôné par René Descartes, Malebranche, devenu membre honoraire de l’Académie des Sciences, par des échanges épistolaires soutenus, va se laisser gagner par la vision optimiste du grand scientifique allemand Wilhelm Gottfried Leibniz (1646-1716). Réconciliant sciences et foi, sur le plan métaphysique, son dieu est un Dieu sage et raisonnable respectant toujours son essence et les lois de l’ordre qu’il engendre. Sa perfection réside avant tout dans sa fonction de législateur, identifiée à la sagesse ou à la raison, plutôt que dans un pouvoir arbitraire.

Deux exemples démontrent l’excellence de l’ enseignement des Oratoriens : Gaspard Monge et Lazare Carnot, deux grands esprits scientifiques et futurs cofondateurs de l’Ecole polytechnique. Convaincus que l’avenir politique, économique et industriel de la République en dépendait, ils mèneront le combat pour que la meilleure éducation possible soit accessible à tous et pas seulement aux privilégiés dont ils faisaient partie.

Fils d’un marchand savoyard, Gaspard Monge (1746-1818), suit des études au collège des Oratoriens de Beaune, sa ville natale. Dès 17 ans, il enseigne les mathématiques chez les Oratoriens de Lyon, puis en 1771, les mathématiques et la physique à l’École du Génie établie à Mézières. La même année, il entre en contact avec le physicien Jean Le Rond d’Alembert (1717-1783) et correspond avec le mathématicien Nicolas de Condorcet (1743-1794) qui le pousse à présenter quatre mémoires, un dans chacun des domaines des mathématiques qu’il étudie alors. Ses talents de géomètre ne tardent pas à s’exprimer : à l’Ecole du Génie de Mézières, il invente « la Géométrie descriptive » qui sera intégrée dans le programme d’études de l’école et qui fut essentielle à la révolution industrielle qui s’annonçait…

Quant au futur général Lazare Carnot (1753-1823), fils d’un notaire bourguignon, après des études chez les Oratoriens d’Autun (1762), il intègre lui aussi l’École du Génie de Mézières (1771) où il reçoit l’enseignement de Gaspard Monge.

5. La Révolution des esprits (1789)

En 1789, la Révolution chamboulera la situation. Dès le 13 février 1790, toutes les corporations et congrégations religieuses sont supprimées par décret et les religieux reçoivent l’injonction de prêter serment à la Révolution. C’est une remise en cause totale d’une Église toute puissante mais également l’effondrement du peu d’instruction qui existait.

En rupture avec l’Ancien Régime, la Constitution de 1791 affirme qu’il sera

« créé et organisé une instruction publique commune à tous les citoyens. »

Talleyrand.

Un rapport et un projet de loi, sont présentés par Talleyrand (1754-1838), le 10 septembre 1791. Rédigé grâce à la contribution des plus grands savants de l’époque (Condorcet, Lagrange, Monge, Lavoisier, La Harpe), le Rapport sur l’Instruction publique de Talleyrand, constitue une véritable rupture par rapport à la façon dont l’instruction était conçue pendant l’Ancien régime. Il pose la question de l’instruction publique dans des termes nouveaux, aussi bien au niveau des principes (l’instruction publique est présentée comme une nécessité à la fois politique, sociale et morale, et donc comme quelque chose que l’Etat doit garantir aux citoyens) qu’au niveau formel. Ce plan embrasse l’ensemble de l’éducation nationale, qui est organisée sur quatre niveaux et dont les établissements sont distribués sur le territoire national en fonction des découpages administratifs. Il met sur le papier les bases d’un enseignement gratuit pour tous y compris les filles (écoles et programmes séparés) et précise qu’« on y apprendra les premiers éléments de la langue française, soit parlée, soit écrite ».

En 1794, le juriste Bertrand Barère de Vieuzac (1755-1841) précisera :

« Nous enseignerons le français aux populations qui parlent le bas-breton, l’allemand, l’italien ou le basque, afin de les mettre en état de comprendre les lois républicaines, et de les rattacher à la cause de la Révolution. »

Faute de temps, il n’est pas voté.

Dans son projet de loi, Talleyrand propose la création d’une école primaire dans chaque commune. L’Assemblée constituante venait de fixer l’organisation territoriale encore en place aujourd’hui. Le décret du 14 décembre 1789 venait de créer 44 000 municipalités (sur le territoire des anciennes « paroisses ») baptisées « communes » en 1793. La loi du 22 décembre 1789 créa les départements, le décret du 26 février 1790 en fixa le nombre à 83.

6. Le Comité d’Instruction publique (1791)

Nicolas de Condorcet.

Un mois après le rapport de Talleyrand, le 14 octobre 1791, à l’Assemblée nationale législative, est créé un premier « Comité d’Instruction publique » dont Condorcet est élu président et l’avocat Emmanuel de Pastoret vice-président, les autres membres étant le futur général Lazare Carnot, le député Jean Debry, le mathématicien Louis Arbogast et l’homme politique Gilbert Romme.

Condorcet préside, en outre, l’une des trois sections, celle relative à l’organisation générale de l’Instruction publique. Le 5 mars 1792 il est nommé rapporteur du projet de décret sur l’organisation générale de l’instruction publique que le comité doit présenter à l’Assemblée.

Formé à 11 ans au collège des Jésuites de Reims, il est envoyé à 15 ans au collège de Navarre à Paris. De cette éducation-là, avant tout religieuse, il conservera toute sa vie des souvenirs douloureux et lui reprochera notamment ses brutalités et ses méthodes humiliantes. Son indignation le conduit à imaginer une approche totalement différente. Dans La Bibliothèque de l’homme public, il publie en 1791 « Cinq mémoires sur l’Instruction publique » constituant un véritable plan.

Ils seront la base du projet qu’il rédige à la Législative et seront approuvés par le comité d’instruction publique le 18 avril et présentés à l’Assemblée nationale les 20 et 21 avril 1792.

7. Condorcet et le parti américain

Hagiographe du physiocrate Anne Robert Jacques Turgot (1727-1781), tout en critiquant le sectarisme des « économistes », Condorcet adhère à certaines thèses physiocrates, notamment l’établissement de l’impôt sur le seul revenu agricole, considéré comme l’unique source de richesse de la nation, l’industrie étant considérée comme une catégorie « stérile » de l’économie nationale (voir mon article « La face cachée de la planète Marx »).

Pour les physiocrates, grands défenseurs de la rente terrienne qui les engraissait, l’ennemi à combattre était bien cet Etat centralisé, dirigiste et mercantile que Colbert, marchant dans les pas de Sully, avait commencé à mettre en place.

Ce qui n’empêche pas Condorcet, plus courageux que bien des gens de sa génération, de monter sur le devant de la scène pour soutenir ouvertement la Révolution américaine dans sa lutte contre les horreurs de l’Empire britannique : esclavage, peine de mort, droits de l’homme et de la femme.

Bien qu’ami de Voltaire, Condorcet écrit un éloge vibrant de Benjamin Franklin. Ami du pamphlétaire anglais influent Thomas Paine (1737-1809), il publie en 1786 « De l’influence de la Révolution d’Amérique sur l’Europe », dédié à La Fayette. Dans ce vibrant plaidoyer pour la démocratie et la liberté de la presse, Condorcet considère que l’Indépendance américaine pourrait servir de modèle à un nouveau monde politique.

Avec Paine et du Chastellet, Condorcet collabore de façon anonyme à une publication intermittente, Le Républicain, qui promeut les idées républicaines. À cette époque, il existe dans le monde seulement quelques états appelés républiques (les cantons suisses, Venise, les Provinces-Unies, notamment).

Par la suite, Condorcet se disputera violemment avec le deuxième président des Etats-Unis, John Adams, dont les encyclopédistes rejettent avec mépris le projet d’un parlement bicaméral.

Condorcet se lie également avec le président américain Thomas Jefferson qui promeut et fait publier les écrits de Condorcet en faveur du physiocrate Turgot pour les faire connaître en Amérique. Le 31 juillet 1788, Jefferson écrit à James Madison : « Je vous envoie aussi deux petits pamphlets du marquis de Condorcet, dans lesquels se trouve le jugement le plus judicieux que j’aie jamais vu sur les grandes questions qui agitent cette nation en ce moment ». Il s’agissait des « Lettres d’un Citoyen des États-Unis à un Français et des Sentiments d’un Républicain ».

Sophie de Grouchet, marquise de Condorcet.

Pendant son séjour à Paris, Jefferson fréquente le salon cosmopolite de Mme de Condorcet. Avant de retourner en Amérique, il reçoit ses amis les plus proches une dernière fois chez lui, à l’hôtel de Langeac : Condorcet, La Rochefoucauld, Lafayette et le gouverneur Morris.

Après le retour de Jefferson en Amérique, Condorcet continua son dialogue avec le secrétaire d’État américain de Washington. Le 3 mai 1791, il lui envoya une copie du rapport sur le choix d’une unité de mesure, présenté par Borda, Lagrange, Laplace, Monge et lui-même, à l’Académie des sciences le 19 mars, et soumis ensuite à l’Assemblée nationale le 26. Il s’agissait en effet d’un centre d’intérêt commun : le 4 juillet 1790, Jefferson avait présenté au Congrès américain son rapport sur les poids et les mesures, dont il avait envoyé un exemplaire à Condorcet. C’était la même foi dans le progrès qui encourageait les deux hommes à soutenir l’idée d’un système de mesure décimal et universel.

Dans une lettre, Jefferson informe Condorcet des travaux d’un mathématicien et astronome américain noir, Benjamin Banneker, auteur d’un almanach, dont il lui envoie un exemplaire. Dans les « Réflexions sur l’esclavage des nègres », bien que partisan convaincu de la liberté des noirs, Condorcet s’était exprimé en faveur d’une abolition graduelle de l’esclavage de la même manière que Jefferson dans ses « Notes on the State of Virginia ».

Jefferson oscilla dans ses positions, attribuant l’infériorité des Noirs tantôt à des causes naturelles, tantôt aux effets de l’esclavage, tandis que Condorcet – en accord avec Franklin – était convaincu depuis toujours de l’égalité naturelle de tous les hommes.

Dans les faits, celui qui fut le troisième président des Etats-Unis, posséda plus de 600 esclaves au cours de sa vie adulte. Il a libéré deux esclaves de son vivant, et cinq autres ont été libérés après sa mort, dont deux de ses enfants issus de sa relation avec son esclave Sally Hemings. Après sa mort, les autres esclaves ont été vendus pour rembourser les dettes de sa succession.

Jefferson s’oppose avec force aux « Fédéralistes » comme Alexander Hamilton qui promeuvent un Etat fédéral fort, le dirigisme économique à la Colbert et le mercantilisme. Condorcet va encourager Jefferson dans son projet de « démocratie agraire », la vision physiocratique des grands propriétaires terriens qui deviendra, jusqu’à l’arrivée de Lincoln et son conseiller Henry Carey, l’idéologie du Parti Républicain américain.

8. Le Plan Condorcet

Les progrès de la science et de la raison mèneront au bonheur des sociétés et des individus, estime Condorcet. Dans l’Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain, il écrit :

« Nos espérances, sur l’état à venir de l’espèce humaine, peuvent se réduire à ces trois points importants : la destruction de l’inégalité entre les nations, les progrès de l’égalité dans un même peuple ; enfin, le perfectionnement réel de l’homme. »

Préférant « L’Instruction publique » à l’éducation nationale, il rêve d’une instruction totalement indépendante de l’État et libre de tout dogmatisme :

« La puissance publique ne peut même sur aucun objet, avoir le droit de faire enseigner des opinions comme des vérités ; elle ne doit imposer aucune croyance. » (Sur l’instruction publique, premier mémoire, 1791).

Esquissant des principes laïques, pour Condorcet, « les principes de la morale enseignée dans les écoles et dans les instituts seront ceux qui, fondés sur nos sentiments naturels et sur la raison, appartiennent également à tous les hommes. »

A l’Assemblée nationale, il est massivement applaudi lorsqu’il déclare que « dans ces écoles les vérités premières de la science sociale précéderont leurs applications. Ni la Constitution française ni même la Déclaration des droits ne seront présentées à aucune classe de citoyens, comme des tables descendues du ciel, qu’il faut adorer et croire. Leur enthousiasme ne sera point fondé sur les préjugés, sur les habitudes de l’enfance ; et on pourra leur dire : ‘Cette Déclaration des droits qui vous apprend à la fois ce que vous devez à la société et ce que vous êtes en droit d’exiger d’elle, cette Constitution que vous devez maintenir aux dépens de votre vie ne sont que le développement de ces principes simples, dictés par la nature et par la raison dont vous avez appris, dans vos premières années, à reconnaître l’éternelle vérité. Tant qu’il y aura des hommes qui n’obéiront pas à leur raison seule, qui recevront leurs opinions d’une opinion étrangère, en vain toutes les chaînes auront été brisées, en vain ces opinions de commande seraient d’utiles vérités ; le genre humain n’en resterait pas moins partagé en deux classes, celle des hommes qui raisonnent et celle des hommes qui croient, celle des maîtres et celle des esclaves.’»

Pour Condorcet, il s’agit d’assurer le développement des capacités de chacun et de tendre au perfectionnement de l’humanité. Son projet propose d’instituer cinq catégories d’établissements :

  • les écoles primaires visant à la formation civique et pratique ;
  • les écoles secondaires dans lesquelles sont surtout enseignées les mathématiques et les sciences ;
  • les instituts, assurant dans chaque département la formation des maîtres d’écoles primaires et secondaires et, aux élèves, un enseignement général ;
  • les lycées, lieu de formation des professeurs et de ceux qui « se destinent à des professions où l’on ne peut obtenir de grands succès que par une étude approfondie d’une ou plusieurs sciences. » ;
  • la Société nationale des sciences et des arts ayant pour mission la direction des établissements scolaires, l’enrichissement du patrimoine culturel et la diffusion des découvertes.

Son plan se caractérise également par l’égalité des âges et des sexes devant l’instruction, l’universalité et la gratuité de l’enseignement élémentaire et la liberté d’ouverture des écoles. Enfin la religion ne doit relever que de la sphère privée.

Le projet n’oublie nullement « le peuple », car des conférences hebdomadaires et mensuelles destinées aux adultes doivent permettre de « continuer l’instruction pendant toute la durée de la vie », une ambition que reprendront à leur compte l’abbé Grégoire (1750-1831) et Hippolyte Carnot.

Comme le relate Paul Carnot :
« L’Assemblée Constituante, dans sa courte existence, n’avait pu que transmettre le fameux rapport de Talleyrand à la Convention. Celle-ci, après les rapports, non moins fameux – de Condorcet et de Lakanal, après les discussions de son Comité d’Enseignement (presque aussi actif que le Comité de Salut public), avait proclamé des principes qui sont toujours les nôtres ceux de l’École primaire, obligatoire, gratuite et laïque. La Déclaration des Droits de l’Homme (art. XXII) proclamait, avec Robespierre ‘L’Instruction est le besoin de tous ; la société doit favoriser, de tout son pouvoir, les progrès de la raison publique et mettre l’Instruction à la portée de tous les citoyens’. »

Tous les partis, chose rare, étaient d’accord sur ces points. Les Girondins (Condorcet, Ducos) disaient, avec François Xavier Lanthenas (1754-1799), que:

« L’instruction est la première dette de l’État envers les citoyens. »

A propos de la gratuité, Georges Danton dira

« Nul n’est maître de ne pas donner l’instruction à ses enfants. Il n’y a pas de dépense réelle là où est le bon emploi pour l’intérêt public. Après le pain, l’instruction est le premier besoin du peuple.»

Mais le programme d’instruction publique menant à la perfectibilité de l’humanité, grâce à la raison, n’est pas une priorité, car le roi Louis XVI, sur proposition du général Dumouriez, vient de décider de se rendre à l’Assemblée nationale pour lui proposer de déclarer la guerre contre l’Autriche… A cela s’ajoute que l’argent pour l’éducation manque.

Condorcet doit interrompre la lecture de son projet. A la fin de l’après-midi de ce 20 avril 1792, l’Assemblée adopte la déclaration de guerre au roi de Bohême et de Hongrie, à l’unanimité moins sept voix. Le lendemain Condorcet termine la lecture de son projet. L’Assemblée décrète l’impression du rapport mais en diffère la discussion. C’est en vain que Romme, au nom du comité d’Instruction publique, demandera le 24 mai l’inscription à l’ordre du jour de la discussion du rapport. Le projet de Condorcet n’aura pas, tout comme le rapport de Talleyrand, le temps d’être débattu et ne sera pas adopté.

9. La bataille sous la Convention (1792-1795)

Joseph Lakanal.

Les protagonistes de l’an I (sous la Convention) ne furent guère plus décisionnaires. Un nouveau Comité d’instruction publique est constitué. L’abbé Grégoire, abolitionniste et ami intime de Lazare Carnot et plus tard de son fils Hippolyte, et Joseph Lakanal (1762-1845) en font partie.

Le 12 décembre 1792, Marie-Joseph de Chénier (1764-1811) lit les propositions de Lanthénas qui reprend les idées de Talleyrand et Condorcet. Les discussions sont stériles et le projet est balayé par Marat. Ce dernier s’exclame ce jour-là :

« Quelque brillants, dit il, que soient les discours que l’on nous débite ici sur cette matière, ils doivent céder place à des intérêts plus urgents. Vous ressemblez à un général qui s’amuserait à planter et déplanter des arbres pour nourrir de leurs fruits des soldats qui mouraient de faim. Je demande que l’assemblée ordonne l’impression de ces discours, pour s’occuper d’objets plus importants. »

Lepeltier Saint-Fargeau.

L’année d’après, Robespierre opte pour un plan d’éducation nationale imaginé par Lepeltier de Saint-Fargeau (1760-1793).

Selon ce plan, présenté par Robespierre en personne, le 13 juillet 1793, l’instruction sans une bonne dose d’idéologie républicaine ne saurait suffire à la régénération de l’espèce humaine. C’est donc l’État qui doit se charger d’inculquer une morale républicaine, en prenant en charge l’éducation en commun des enfants entre 5 et 12 ans.

Le 21 Janvier 1793, le Roi est décapité. Alors que pour Carnot, il s’agit de ne plus jamais permettre le retour de la lignée des Bourbons, Condorcet, adversaire par principe à la peine de mort, s’y oppose. Les débats sur l’instruction publique sont ajournés. Ce n’est qu’en fin d’année qu’une législation de compromis sur l’organisation des écoles primaires voit le jour ; elle rend l’instruction obligatoire et gratuite pour tous les enfants de six à huit ans et fixe la liberté d’ouvrir des écoles. Le décret du 19 décembre 1793 précise que les études primaires forment le premier degré de l’instruction : on y enseignera les connaissances rigoureusement nécessaires à tous les citoyens et les personnes chargées de l’enseignement dans ces écoles s’appelleront désormais « instituteurs ». Ce décret ne sera que partiellement appliqué.

1794 vit rédiger une profusion de textes législatifs sur le sujet :

  • le décret du 27 janvier 1794 impose enfin l’instruction en langue française.
  • Le 21 octobre 1794 une autre décision organise la distribution des premières écoles dans les communes.
  • Le 30 octobre est créée, pour former des enseignants, la première « école normale » sur l’impulsion de Dominique Joseph Garat, de Joseph Lakanal et du Comité d’instruction publique. La loi précise qu’« Il sera établi à Paris une École normale, où seront appelés, de toutes les parties de la République, des citoyens déjà instruits dans les sciences utiles, pour apprendre, sous les professeurs les plus habiles dans tous les genres, l’art d’enseigner ». L’école, prévue pour près de 1 500 élèves, s’installe dans un amphithéâtre du Muséum national d’histoire naturelle, trop petit pour accueillir toute la promotion. Rapidement fermée, elle réunit néanmoins des professeurs brillants, tels que les scientifiques Monge, Vandermonde, Daubenton et Berthollet.
  • Le 17 novembre, Lakanal fait adopter une loi rendant l’instruction gratuite, la République assurant un traitement et un logement aux instituteurs et autorisant la création d’écoles privées.
Entrée de l’Ecole polytechnique.

Également en 1794, Jacques-Élie Lamblardie, Gaspard Monge et Lazare Carnot, pères fondateurs de l’institution, se voient confier la mission d’organiser une « Ecole centrale des travaux publics », renommée « École polytechnique » en 1795 par Claude Prieur de la Côte d’Or, pour pallier la pénurie d’ingénieurs dans la France d’après la Révolution.

Malheureusement, sur le plan d’une scolarisation universelle, le bilan de 1795 est désastreux : aucun des décrets de 1794 n’a été appliqué!

Pire encore, le 25 octobre 1795, une nouvelle loi élaborée par Pierre Daunou marque même un recul : faute de budget, l’instruction n’est plus gratuite, les instituteurs doivent être salariés par les élèves (et leurs riches parents) et le programme scolaire devient indigent. Cette loi est restée en vigueur jusqu’aux textes napoléoniens sur l’enseignement secondaire et supérieur en 1802. Si elle prévoit l’abandon de l’obligation scolaire et de la gratuité, cette loi préconise la création d’une école primaire par canton et « d’école centrales » secondaires dans chaque département.

Les nouvelles autorités fixent aux communes  des délais pour l’organisation des écoles. Elles mandatent des envoyés spéciaux pour voir si les communes  prennent les mesures nécessaires pour rechercher et installer un instituteur.

Dans les villes, l’administration parvient à recueillir un certain nombre de candidats instituteurs, mais à la campagne, bien souvent la liste demeure vierge. Les administrations locales, en plus du problème de recrutements, se heurtent au problème du local, du mobilier, du chauffage de l’école et des ouvrages à utiliser. Les instituteurs en exercice se plaignent de la pénurie d’élèves car l’école républicaine suscite de la méfiance. Quand l’instituteur se risque à remplacer le catéchisme et les Évangiles par la Constitution et les Droits de l’Homme, les parents, incités en cela par des prêtres réfractaires, préfèrent garder leurs enfants chez eux. Le Comité d’instruction publique est submergé de questions, accablé de suggestions et de demandes.

Le 17 novembre 1795, Lakanal fait adopter par la Convention une nouvelle loi. L’instruction reste gratuite mais non obligatoire. Elle assure un traitement fixe et une retraite aux instituteurs et institutrices et leur fournit un local et un logement. Elle autorise tout citoyen à fonder des écoles particulières (privées).

10. Lazare Carnot sous les Cent-Jours (mars-juin 1815)

Jean-Antoine Chaptal.

Le 9 novembre 1799, Bonaparte fomente un coup d’État et établit le régime du Consulat. Premier Consul, il signe avec le pape Pie VII le Concordat le 16 juillet 1801 qui abolit la loi de 1795 séparant l’Église de l’État.

Saisissant l’occasion du moment, et avant tout cherchant à répondre aux besoins immédiats, le ministre de l’Intérieur, le chimiste et industriel républicain Jean-Antoine Chaptal (1756-1832) soumet alors à Bonaparte un projet d’organisation de l’enseignement secondaire, confié, en particulier aux Oratoriens de Tournon. En 1800 il présente son « Rapport et projet de loi sur l’instruction publique. »

Rappelé par le Premier consul, Lazare Carnot reçoit le portefeuille de la Guerre qu’il conservera jusqu’à la conclusion de la paix d’Amiens en 1802, après les batailles de Marengo et d’Hohenlinden.

Révolutionnaire de la première heure, mais aussi modéré et républicain, il vote contre le Consulat à vie, puis est le seul Tribun à voter contre l’Empire le 1er mai 1804. Dès lors, privé de toute influence politique, il se recentre sur l’Académie des sciences. En 1814, la défense d’Anvers, ville dont il sera maire, lui est confiée : il s’y maintient longtemps et ne consent à remettre la place que sur l’ordre de Louis XVIII.

Mais quelques mois plus tard, l’Empereur revient au pouvoir pour les Cent-Jours, du 20 mars au 7 juillet 1815 (3 mois et 17 jours). C’est à ce moment que Lazare Carnot, menacé d’arrestation au point de se cacher rue du Parc-Royal, est nommé ministre de l’Intérieur le 22 mars 1815. Et comme ce ministère comporte dans ses attributions l’Instruction publique, il peut alors lancer le projet éducatif qui lui tient à cœur.

Trois jours après son installation au ministère, Lazare Carnot commande une étude sur l’enseignement.

Elle s’inspire des travaux de la « Société d’encouragement pour l’industrie nationale », fondée par Chaptal et dirigée par le philanthrope Joseph Marie de Gérando, lui aussi éduqué par les Oratoriens à Lyon et, avec Laborde, Lasteyrie et Jomard, partisan de la nouvelle méthode d’enseignement mutuel. (voir notre article sur ce site).

Carnot impulsera également la fondation de « Société pour l’instruction élémentaire (SIE) » afin de promouvoir ce type d’éducation.


Pour Carnot et Grégoire, l’éducation et l’instruction doivent « élever à la dignité d’Homme tous les individus de l’espèce humaine », éduquer autant que moraliser, et répandre l’amour entre les hommes.

Lazare Carnot.

Pendant les Cent-Jours, Carnot a juste eu le temps de préparer, en avril 1815, un « plan d’ensemble pour l’éducation populaire » suivi d’un décret et de la création d’une Commission spéciale pour l’enseignement élémentaire chargée de tracer des perspectives en la matière en s’inspirant des modèles anglais et hollandais.

Familiarisé avec les « brigades » inventées par Gaspard Monge à l’école du Génie de Mézières et ensuite à Polytechnique, où les meilleurs élèves encadrent les autres, Carnot est plus que favorable au système de l’enseignement mutuel dans les écoles populaires. Répandu en Angleterre et en Suisse, Carnot va l’établir en France.

Convaincu de l’importance de la musique, il souhaite l’enseignement de celle-ci aux élèves. Dans cette intention, il rencontre plusieurs fois Alexandre-Étienne Choron (1771-1834), lui aussi passé par les Oratoriens, qui réunit un certain nombre d’enfants et leur fit exécuter en sa présence plusieurs morceaux appris en fort peu de leçons. Par ailleurs, Carnot connaissait le pédagogue Louis Bocquillon, dit Wilhem (1781-1832) depuis dix ans. Il entrevit aussi la possibilité d’introduire, par lui, le chant dans les écoles, et tous deux visitèrent ensemble celle de la rue Jean-de-Beauvais, ouverte à Paris à trois cents enfants. De son côté, Wilhem créa le mouvement musical de masse des « orphéons ».

11. Hippolyte Carnot reprend le flambeau de son père Lazare

Lazare, un esprit scientifique de haut vol, a des idées bien arrêtées sur l’éducation qui forgeront la personnalité de ses fils, notamment celle d’Hippolyte, le futur ministre de l’Instruction publique de la seconde République. Pour les deux Carnot,

« toutes les institutions sociales doivent avoir pour but l’amélioration sous le rapport physique, intellectuel et moral de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre. »

Plus que des « têtes bien pleines », il aspirait à faire de ses fils des « têtes bien faites », et de « nous faire connaître la saveur des bonnes choses plutôt que nous rendre infaillibles sur le sens des mots », selon les mots de son cadet. Pour Lazare, il s’agit de mettre à l’épreuve en famille les principes éducatifs qu’il prône pour la nation.

Bien que peu féru de langues mortes et plus attiré par les langues vivantes, Lazare initie ses enfants au latin, redevenu langue obligatoire dans les lycées impériaux créés en mai 1802. Pour le reste, si la riche bibliothèque paternelle permet à Sadi Carnot et à son frère Hippolyte de se familiariser avec les classiques indispensables à la culture humaniste qui fonde l’enseignement secondaire, elle les initie à d’autres penseurs plus contemporains et novateurs.

Parmi eux, Hippolyte s’intéresse à ceux qui se penchent sur les questions éducatives comme Rousseau, mais aussi à des philosophes plus originaux comme Saint-Simon dont son père disait :

« Voilà un homme que l’on traite d’extravagant, or il a dit plus de choses sensées dans toute sa vie que les sages qui le raillent […]. Mais c’est un esprit très original, très hardi dont les idées méritent de fixer l’attention des philosophes et des hommes d’État. »

Évoquant son père, Hippolyte dira plus tard :

« Les leçons que nous recevions avaient toutes pour objet de nous rendre, comme le maître qui les donnait, vertueux sans effort, sages sans système. »

Lazare Carnot fait entrer Hippolyte à l’institution polytechnique, 8 avenue de Neuilly. D’après Dalisson,

« le jeune Carnot y reçoit une éducation spartiate où, si la discipline n’exclut pas les châtiments corporels sous la férule ‘d’Inspecteurs généraux’, la pédagogie est novatrice. Les élèves sont répartis dans des classes selon leur âge et l’enseignement allie éducation intellectuelle et physique à travers des programmes qui complètent l’éducation paternelle. Hippolyte se perfectionne ainsi en lecture, en langues, anciennes et vivantes, en littérature, en mathématiques, en physique et géométrie, goûte à la chronologie, à l’histoire, au dessin, à la musique, à l’escrime et à la danse, se révélant en tout point un excellent élève ».

12. Exil de Lazare Carnot (1816)

Après la seconde abdication de Napoléon, Lazare Carnot fait partie du gouvernement provisoire. Exilé au moment de la Restauration, il est banni comme régicide en 1816 et se retire à Varsovie, puis à Magdebourg, où il consacrera le reste de ses jours à l’étude et surtout à l’éducation de ses enfants.

Dalisson : « quand il ne va pas en cours, il (Hippolyte) sert de secrétaire à son père qui continue son éducation ». A Magdebourg, « l’une des consolations de Carnot était de compléter l’éducation de son jeune fils, dont il dirigeait plus spécialement les études vers les questions historiques et l’économie sociale ». C’est donc en Prusse qu’Hippolyte trouve sa voie, abandonne les sciences « dures » pour se consacrer à la philosophie en général et à la philosophie politique et sociale en particulier. Là-bas, l’éducation a un statut privilégié depuis que Frédéric II a rendu l’enseignement primaire obligatoire en 1763, envisagé une forme de gratuité (pour les familles pauvres) et créé des gymnases pour le Secondaire. De quoi inciter Carnot père et fils à imaginer comment la France peut rattraper son retard.

Mieux encore, comme le précise Dalisson :

« la Prusse reste un royaume qui, comme la France quelques années plus tôt, a procédé à une levée en masse en 1813 pour chasser l’envahisseur. Le lien entre instruction populaire et sentiment national, entre éducation et économie, entre libéralisme et éducation nationale s’impose et rejoint les idéaux éducatifs de la famille Carnot. C’est pourquoi, à la demande du gouvernement, Lazare bâtit un projet éducatif en créant une ‘école professionnelle’ dans ce lointain pays d’accueil. Aidé d’Hippolyte il met sur pied un système complet d’enseignement pour l’agriculture et l’industrie. Si nous n’avons pas trace du texte, il influença sans doute le jeune homme pour ses années parisiennes et libérales autant que pour son futur ministère ».

13. Hippolyte avec l’abbé Grégoire

L’abbé Henri Grégoire, évêque de Blois.

De retour en France, Hippolyte se met en rapport avec les anciens amis de son père, notamment l’abbé Grégoire. Figure emblématique de la lutte pour l’émancipation des juifs et des noirs, cet « évêque révolutionnaire » réclame l’abolition totale des privilèges et prône le suffrage universel masculin.

Sur le principe, Hippolyte approuve. Cependant, dans la pratique, après avoir constaté l’engouement du peuple pour les exécutions publiques, il découvre avec quelle facilité on peut mener, voire manipuler une foule en jouant sur l’irrationnel, sur la passion et les pulsions, toutes choses qui rendent délicat l’usage du suffrage universel et peuvent mener à la dictature. Il en conclut que l’instruction populaire doit éclairer le peuple pour le faire revenir à des sentiments plus fraternels et raisonnables.

Pour l’abbé Grégoire, comme pour Carnot père et fils, l’esclavage doit être aboli, les nations doivent s’affranchir des Empires en recouvrant leur souveraineté et l’éducation doit affranchir les citoyens de l’ignorance, un ensemble de sujets merveilleusement réunis dans l’iconographie des bas-reliefs du socle de la statue de Gutenberg à Strasbourg, monument commémoratif réalisé par un ami aussi bien de l’abbé Grégoire que d’Hippolyte Carnot, et plus tard de Victor Hugo : le sculpteur David d’Angers.

Membre du Comité d’instruction publique, Grégoire réclame, comme le faisaient déjà avant lui les Oratoriens, la généralisation de la langue française et devient le rapporteur de la suppression des anciennes académies et de la création de l’Institut.

L’ouverture de toute une série ‘d’écoles spéciales’, tels l’Ecole polytechnique (1794) et l’Institut des langues orientales (1795), l’établissement du Musée du Louvre (1793), l’avant-projet de l’implantation d’une Bibliothèque nationale (1790), la création du Bureau des Longitudes (1795), le lancement des nouvelles unités de poids et mesures, système métrique et décimal, l’extension des écoles élémentaires à toutes les communes et l’un des fleurons de cette politique : la fondation du Conservatoire national des arts et métiers (1794) durent l’essentiel de leur mise en œuvre à l’énergie débordante de l’abbé Grégoire.

Il s’agit de transmettre des savoirs techniques à deux types de publics. D’un côté, des « grandes » écoles, tournées vers les nouvelles élites du pays, mettent en place un enseignement de haut niveau pour former savants et ingénieurs (École polytechnique, Ponts et chaussées, etc.) ou les futurs professeurs du nouveau système d’instruction publique avec l’École normale (1794) ; de l’autre, des écoles destinées à l’encadrement intermédiaire dans les manufactures, de bons ouvriers et chefs d’ateliers : c’est le cas des écoles d’arts et métiers, héritières de l’école professionnelle imaginée en 1780 à Liancourt (60) par le duc de la Rochefoucauld.

Sont également instaurées plusieurs grandes institutions qui existent encore aujourd’hui, parmi lesquelles, hors celles déjà nommées, le Muséum d’histoire naturelle (1793) au Jardin royal des plantes médicinales (1793) ou le musée des Monuments français (1795).

L’abbé Grégoire fait entrer le jeune Hippolyte dans la loge maçonnique dont il fait partie, Les Philadelphes. Inspiré par le combat de Grégoire, dont il sera l’exécuteur testamentaire et sur lequel il publiera une œuvre vers la fin de sa vie, Hippolyte, à peine âgé de 23 ans, publie « Gunima, nouvelle africaine du XVIIIe siècle » (1824) un conte philosophique relatant l’éducation morale du jeune Benjamin qui confronte ses préjugés et l’injustice du régime esclavagiste et de servitude des peuples dits hottentots du Cap aux principes des Lumières.

Étonnamment moderne, l’histoire relève le défi de la fraternité au moment où la France répondait aux revendications de reconnaissance d’Haïti.

Fidèle à la philosophie de l’abbé Grégoire, il proteste contre l’expulsion des juifs de Dresde où ils sont interdits de séjour. Indigné, il tente d’alerter l’opinion : depuis 1789 les juifs sont des citoyens français comme les autres. Il réaffirme sa foi dans la liberté des cultes qui a permis l’émancipation des juifs et s’écrie :

« Si l’on appelle juif celui que, dès le sein de sa mère, la société condamne au plus vil esclavage, qui végète sans droit dans sa patrie et sert de plastron aux insultes de la populace, à qui ses actions ne méritent rien (…) et que poursuivent sans relâche la honte et le mépris, alors je suis un juif et le serai toujours ».

14. Comme Friedrich Schiller, patriote et citoyen du monde

Extrait du livre de Dalisson :
« La position de Carnot est résumée lors d’une fête en hommage à la Révolution française, le 19 mars 1838, à Paris. Il porte un toast au nom de ‘la sainte égalité, de la solidarité entre tous les peuples et toutes les races d’hommes dans un esprit de fraternité’ à ‘l’abolition de l’esclavage, à la cessation de cet affreux scandale de l’humanité’.

« De ce jour, il collabore régulièrement avec Victor Schoelcher, journaliste, franc-maçon, proche des saint-simoniens et membre des mêmes sociétés que lui et qu’il retrouvera trois ans plus tard au gouvernement de la République, puis en exil. Schoelcher a été confronté à l’esclavage à Cuba dès 1828 et pense aussi que leur émancipation doit être progressive, avant de changer d’avis et de devenir partisan de l’abolition immédiate.

« La liberté doit aussi s’appliquer aux peuples et donc aux nations, car ‘le principe de toute souveraineté réside dans la nation’. Fils de 1789 éduqué pendant les luttes d’émancipations nationales, étudiant pétri de romantisme, passionné par les révoltes des années quinze et trente avant d’être happé par le ‘Printemps des peuples’, Carnot place sa confiance dans la liberté des nations : ‘Le salut viendra des peuples s’unissant pour venir à bout de l’ennemi commun, le despotisme.’ Si les nations et les peuples libérés arrivent à s’entendre et à s’unir, elles bâtiront même ‘l’Europe unie’.

« Il soutiendra tout au long du siècle tous les combats nationaux, et donc les unités nationales, contre les empires qui oppriment les minorités. Car la nationalité, ‘c’est le droit de l’homme proclamé en 1789, le droit de se grouper selon ses affinités de caractère, de tradition, de race, de langue, c’est au fond la LIBERTÉ même’. Il est donc acquis, y compris après la guerre de 1870, à une sorte de « ‘droit des peuples à disposer d’eux-mêmes’ dans une Europe fondée sur la liberté des peuples.

« Dans ses écrits sur la politique extérieure revient régulièrement la maxime de Friedrich Schiller : ‘L’homme est créé libre, il est libre, fut-il né dans des chaînes. (…) Devant l’homme libre, ne tremblez pas.’ Cette liberté des peuples et des nations doit même s’appuyer, horresco referens, sur la nécessaire réconciliation entre la France et l’Allemagne, deux peuples voisins que les vicissitudes de l’histoire ont séparés, mais qui sont « deux amis que de longues querelles ont divisés et qui ont besoin de s’expliquer’ ».

14. La Révolution de juillet 1830

Hippolyte Carnot, fusil à la main, sur les barricades, caricature de Cham.

La Révolution de 1830, dite aussi révolution de Juillet ou encore « Trois Glorieuses », se déroule à Paris du 27 au 29 juillet 1830.

Une partie des Parisiens se soulève contre la politique très réactionnaire du gouvernement du roi Charles X. Immédiatement se pose la question : « que mettre à la place du roi ? » Beaucoup comptaient restaurer la République.

Le 30 juillet les députés et les journalistes favorables au duc d’Orléans font placarder des affiches qui rappellent le passé « patriote » du duc, un ancien de Valmy qui se réclame des idées de George Washington, et de son engagement pour l’avenir : il sera « un roi-citoyen ». Sans condition les représentants du peuple (95 députés présents à Paris) proposent que le duc d’Orléans soit nommé Lieutenant-Général du royaume. Le 31 juillet ce dernier accepte le poste et se rend à l’Hôtel de Ville de Paris, le quartier général des républicains.

Lafayette appuyant le duc d’Orléans.

Là, devant la foule réunie, il reçoit l’accolade de La Fayette, tous les deux enroulés dans le drapeau tricolore. Lafayette estime qu’une transition graduelle vers une République passe forcément par une Monarchie constitutionnelle. Le 9 août, les députés modifient la Charte de 1814 qui devient « la charte » constitutionnelle de 1830 et le duc d’Orléans est proclamé « roi des Français » sous le nom de Louis-Philippe Ier.

Hippolyte Carnot, toujours dans la modération, croit fermement à la « démocratie représentative » et est élu trois fois député sous la Monarchie de 1830. Tribun de l’opposition au régime, il prépare la suite.

15. Ministre de l’Instruction publique sous la IIe République

Hippolyte Carnot.

Après une première tentative de rétablir des valeurs républicaines, neutralisée par le « coup d’Etat » de Louis-Philippe en 1830, les soulèvements de 1847-48 se terminent en février 1848 par la constitution, à l’Hôtel de Ville de Paris, du « Gouvernement provisoire » dirigé par plusieurs amis d’Hippolyte Carnot, instaurant la IIe République.

Les premières mesures du gouvernement provisoire se veulent en rupture avec la période précédente.

  • La peine de mort est abolie dans le domaine politique.
  • Les châtiments corporels sont supprimés le 12 mars et la contrainte par corps (prison pour dette) le 19 mars.
  • Le 4 mars une commission est mise en place pour résoudre le problème de l’esclavage dans les colonies françaises. Sous l’égide du ministre des Colonies, l’astronome républicain François Arago (1786-1853), ami intime d’Alexandre de Humboldt, et dont le secrétaire d’Etat s’appelle Victor Schoelcher, les travaux de cette commission permettent l’abolition de l’esclavage le 27 avril.

Dans le domaine politique, les changements sont importants.

  • La liberté de la presse et celle de réunion sont proclamées le 4 mars.
  • Le 5 mars le gouvernement institue le suffrage universel masculin, en remplacement du suffrage censitaire en vigueur depuis 1815. D’un coup le corps électoral passe de 250 000 à 9 millions d’électeurs… Cette mesure démocratique fait du monde rural, qui regroupe les trois quarts des habitants, le maître de la vie politique, et ce, pour de nombreuses décennies.
  • Des élections destinées à désigner les membres d’une assemblée constituante sont prévues pour le 9 avril. La Garde nationale que dirige Lafayette, jusque-là réservée aux notables, aux boutiquiers, est ouverte à tous les citoyens.

Le gouvernement provisoire proposa de nommer Hippolyte Carnot comme ministre de l’Intérieur ; il refusa, mais accepta celui de l’Instruction publique (que Victor Hugo venait de refuser), auquel on joignit les cultes, qui jusqu’alors avaient relevé du ministère de la Justice.

Si Carnot souhaite que les cultes soient réunis à l’instruction publique, c’est que non seulement il n’avait aucun sentiment d’hostilité à l’égard de l’Eglise, mais il croyait voir dans une étroite alliance de la République et du clergé la meilleure garantie du progrès.

« J’ai moi-même, a-t-il écrit, le sentiment religieux trop profondément gravé au cœur pour ne pas être et pour ne pas vouloir que l’on soit autour de moi plein de déférence à l’égard des ministres de toutes les religions. »

Et encore : « Mes efforts constants ont eu pour but de rattacher le clergé inférieur à la République. Le ministre de la religion et le maître d’école sont à mes yeux les colonnes sur lesquelles doit s’appuyer l’édifice républicain. »

16. Les réformes d’Hippolyte Carnot

Carte de l’alphabétisation en France en 1867.
En s’appuyant sur le degré d’instruction des Français à l’âge du mariage, cette carte met en
évidence une grande disparité entre les régions. Ainsi, le taux d’alphabétisation des
habitants du nord et de l’est est-il nettement supérieur à celui des habitants du sud et de
l’ouest. La France alphabétisée est celle des grandes villes, des campagnes riches et des
populations denses.

Pendant son ministère très court, muni d’une vision d’ensemble longuement mûrie et préparée d’avance, il annoncera, parfois plusieurs fois par semaine, des réformes républicaines de tous les grands chantiers de l’éducation, de la première enfance jusqu’aux adultes en passant par la formation des enseignants, des grands commis de l’État et de l’ensemble des citoyens. En déclarant dans ses notes préparatoires qu’il « importe que les divers degrés du système d’enseignement s’intègrent les uns dans les autres, conduisant directement de l’un à l’autre ».

A. Ecoles maternelles

Pour Carnot, les « salles d’asile » ne sont guère que des établissements charitables dirigées par les religieuses. On y fait peu pour l’éducation de la première enfance. Leur nom qui rappelle des idées de misère et d’aumône est remplacé le 28 avril par celui « d’école maternelle ».

« L’enfant doit y trouver l’éducation qu’il ne peut recevoir de sa mère, c’est-à-dire les soins du corps, le langage du sentiment, et ces petits exercices destinés, non pas encore à meubler l’intelligence, mais seulement à l’entrouvrir ».

Dans l’esprit de Jean Reynaud (1806-1863) (sous-secrétaire d’État à l’Instruction publique) et de Carnot, la salle d’asile n’est ni une école d’instruction, ni un lieu de refuge pour des enfants privés de leurs parents. A Paris est créée simultanément une « Ecole maternelle normale », recevant des élèves âgés de vingt à quarante ans.

B. Ecole primaire

Tout est dit: « Le peuple qui a les meilleurs écoles est le premier peuple, s’il ne l’est pas aujourd’hui, il le sera demain. »

Dès le 27 février, dans une circulaire aux recteurs, Carnot marquait l’intention d’améliorer la condition du personnel enseignant primaire :

« La condition des instituteurs primaires est un des objets principaux de ma sollicitude… C’est à eux que sont confiées les bases de l’éducation nationale. Il n’importe pas seulement d’élever leur condition par une juste augmentation de leurs appointements ; il faut que la dignité de leur fonction soit rehaussée de toute manière… Il faut qu’au lieu de s’en tenir à l’instruction qu’ils ont reçue dans les écoles normales primaires, ils soient constamment sollicités à l’accroître… Rien n’empêche que ceux qui en seront capables ne s’élèvent jusqu’aux plus hautes sommités de notre hiérarchie. Leur sort quant à l’avancement ne saurait être inférieur à celui des soldats ; leur mérite a droit aussi de conquérir des grades… Mais, pour que tous soient animés dans une voie d’émulation si glorieuse, il est nécessaire que des positions intermédiaires leur soient assurées. Elles le feront naturellement par l’extension que doit recevoir dans les écoles primaires supérieures l’enseignement des mathématiques, de la physique, de l’histoire naturelle, de l’agriculture. Les instituteurs primaires seront donc invités, au nom de la République, à se préparer à servir au recrutement du personnel de ces écoles. Tel est un des compléments de l’établissement des écoles normales primaires. L’intérêt de la République est que les portes de la hiérarchie universitaire soient ouvertes aussi largement que possible devant ces magistrats populaires. »

Le ministre s’attaque donc le 30 juin à l’enseignement primaire. Avant lui, l’ordonnance du 29 février 1816 avait marqué un tournant. Elle établissait un comité cantonal chargé de la surveillance des écoles et obligeait, dans son article 14, les communes, sans leur en donner les moyens, à « pourvoir à ce que les enfants qui l’habitent reçoivent l’instruction primaire, et à ce que les enfants indigents la reçoivent gratuitement », celles-ci pouvant se regrouper pour remplir cette obligation. En clair, l’éducation primaire était complètement laissée aux communes qui à leur tour, faute de locaux et de moyens, faisaient appel aux congrégations religieuses.

Le ministre propose donc « d’élever la condition des instituteurs en les transformant, de fonctionnaires des communes en fonctionnaires d’État » pour les émanciper des potentats locaux, des parents et des religieux. Car,

« il faut certes que l’instituteur soit accepté dans sa commune, mais s’il en dépend trop, il n’est pas assez considéré. Il importe donc qu’il ne puisse point être destitué capricieusement ».

Dans cette optique, il supprime le « certificat de moralité » qui inféodait les instituteurs à l’Église et, accessoirement, au pouvoir.

A côté de l’obligation scolaire (pour les deux sexes et pour les communes de 300 habitants au moins) et la gratuité totale déjà évoquées, il veut compléter les programmes pour former un « tronc uniforme (…) destiné à tout passer en revue pour servir à déterminer les vocations » qui préfigure l’école de Jules Ferry et va plus loin que les seuls lire, écrire et compter.

Outre l’histoire et la géographie nationales, deux des marottes de Carnot, le chant, l’histoire naturelle, la musique et le dessin linéaire, deux matières destinées à épanouir et instruire, on trouve plusieurs spécificités dans les nouveaux textes. La première, qui sera reprise trente ans plus tard, est une sorte d’instruction civique que le ministre qualifie de

« devoirs et droits de l’homme et du citoyen, le développement des sentiments de liberté, d’égalité et de fraternité (…), bases d’un enseignement civique pour l’éducation républicaine du pays ».

Hippolyte avait été élu le 23 avril 1848 membre de l’Assemblée constituante. Lorsque, le 10 mai 1848, la « Commission exécutive » (du 9 mai au 28 juin 1848) remplace le « Gouvernement provisoire » (24 février – 9 mai 1848), il conserve son portefeuille ; mais l’exécutif, « afin de renforcer l’élément révolutionnaire », lui adjoignit Jean Reynaud (1806-1863), comme lui un ancien saint-simonien élu aussi représentant, comme sous-secrétaire d’Etat : « Je connaissais la modération réelle de ses principes, écrit Carnot ; il connaissait la fermeté des miens ; nous rîmes ensemble du rôle qu’on prétendait lui assigner ».

Edouard Charton (1807-1890), également un ancien saint-simonien, devenu lui aussi membre de l’Assemblée, donna sa démission de secrétaire général ; mais il continua ses bons offices sans titre officiel.

Parmi les actes de Carnot dans cette seconde période de son ministère, il faut mentionner le dépôt, le 3 juin, d’un projet de décret ouvrant un crédit de 995 000 francs, destiné à augmenter, pour le second semestre de 1848, le traitement de ceux des instituteurs primaires dont le traitement fixe et éventuel demeurait inférieur à six cents francs ; et un second crédit, de 105 000 francs, destiné à secourir, dans le courant de 1848, les institutrices communales dont les traitements fixe et éventuel demeuraient inférieurs à quatre cents francs (le décret fut voté le 7 juillet).

C. Exposé des motifs de la loi de juin 1848 sur l’École

La rédaction de la loi d’instruction primaire se poursuivait en petit comité, chargé de coordonner les travaux préparés par la Haute Commission. Elle fut achevée dans le courant de juin ; mais le dépôt du projet, retardé par les événements, ne put avoir lieu que le 30 juin. L’exposé des motifs s’exprime ainsi :

« Citoyens représentants, la différence entre la République et la monarchie ne doit se témoigner nulle part plus profondément, dans le domaine de l’instruction publique, qu’en ce qui touche les écoles primaires. Puisque la libre volonté des citoyens doit désormais imprimer au pays sa direction, c’est de la bonne préparation de cette volonté que dépendront à l’avenir le salut et le bonheur de la France.

« Le but de l’instruction primaire est ainsi nettement déterminé. Il ne s’agit plus seulement de mettre les enfants en mesure de recevoir les notions de la lecture, de l’écriture et de la grammaire ; le devoir de l’Etat est de veiller à ce que tous soient élevés de manière à devenir véritablement dignes de ce grand nom de citoyen qui les attend. L’enseignement primaire doit, par conséquent, renfermer tout ce qui est nécessaire au développement de l’homme et du citoyen, tel que les conditions actuelles de la civilisation française permettent de le concevoir. En même temps qu’il faut introduire dans cet enseignement une plus grande somme de connaissances, il faut aussi le faire concourir plus directement à l’éducation morale, et particulièrement à la consécration du grand principe de la fraternité que nous avons inscrit sur nos drapeaux et qu’il est indispensable de faire pénétrer et vivre partout dans les cœurs pour qu’il soit véritablement immortel.
C’est là, citoyens, que l’enseignement primaire vient se joindre à l’enseignement religieux, qui n’est pas du ressort des écoles, mais auquel nous faisons un appel sincère, à quelque culte qu’il se rapporte, parce qu’il n’y a point de base plus solide et plus générale à l’amour des hommes que celle qui se déduit de l’amour de Dieu.

« L’établissement de la République, en donnant à l’enseignement primaire cette tendance nouvelle, commandait aussi, comme conséquences naturelles, deux mesures importantes, qui sont de rendre cet enseignement gratuit et obligatoire.


Nous le voulons obligatoire, parce qu’aucun citoyen ne saurait être dispensé, sans dommage pour l’intérêt public, d’une culture intellectuelle reconnue nécessaire au bon exercice de sa participation personnelle à la souveraineté.

Nous le voulons gratuit, par là même que nous le voulons obligatoire, et parce que sur les bancs des écoles de la République il ne doit pas exister de distinctions entre les enfants des riches et ceux des pauvres.

Nous vous demandons de proclamer la liberté de l’enseignement, c’est-à-dire le droit de tout citoyen de communiquer aux autres ce qu’il sait, et le droit du père de famille de faire élever ses enfants par l’instituteur qui lui convient. Nous considérons la déclaration de ce droit comme une des applications légitimes et sincères de la parole de liberté que notre République a jetée au monde avec enthousiasme, (…) Il nous a même semblé que ce ne serait pas un des moindres moyens de relever les écoles publiques que de laisser un plein essor aux écoles privées, à condition que dans cette carrière d’émulation il ne manquât aux premières aucune chance favorable (…) En un mot, citoyens, l’idée d’après laquelle nous nous sommes dirigés a été l’union continuelle du principe de l’autorité avec celui de la liberté. (…) C’est dans cette conciliation entre deux principes également respectables que consiste tout l’esprit de la loi que nous avons l’honneur de vous soumettre. »

Source : Hippolyte Carnot, Bulletin des lois, 1848.

D. Appel aux instituteurs pour éclairer le monde rural

Même lors du plébiscite du 8 mai 1870, le vote en faveur de Napoléon III est écrasant : 7 358 000  » oui  » contre 1 538 000  » non « , grâce notamment au vote rural dépourvu d’éducation de base. Caricature de Cham dans Le Charivari du 18 mai 1870.

Le 5 mars, un décret fixa au 9 avril la convocation des assemblées électorales pour la nomination, par le suffrage universel, de « l’Assemblée constituante » qui siégera du 4 au 26 mai. Ce sont les premières élections depuis 1792 à se dérouler au suffrage universel masculin. Par décision de la IIe République, le nombre d’électeurs qui passe à 9 395 035, a été multiplié par 40 !

Or, comme nous l’avons dit, si Hippolyte Carnot est en théorie pour le suffrage universel, avec une grande majorité de Français non-éduqués, l’expression du vote risque de conduire au désastre.

Aucune partie de l’instruction primaire, écrit-il, « n’a été plus négligée, sous les précédents gouvernements, que la formation des enfants comme citoyens ». Dès lors, beaucoup des électeurs que le décret du gouvernement provisoire vient d’investir du droit de suffrage ne sont-ils pas, surtout dans les campagnes, suffisamment instruits des intérêts de la chose publique.

Pour tenter d’éclairer ces électeurs sur leurs droits et libertés, Carnot fait appel aux instituteurs :

« Excitez autour de vous les esprits capables d’une telle tâche à composer en vue de vos instituteurs de courts manuels, par demandes et par réponses, sur les droits et les devoirs des citoyens. Veillez à ce que ces livres parviennent aux instituteurs de votre ressort, et qu’ils deviennent entre leurs mains le texte de leçons profitables.

« C’est ce qui va se faire à Paris sous mes yeux ; imitez-le. Que nos 36 000 instituteurs primaires se lèvent donc à mon appel pour se faire immédiatement les réparateurs de l’instruction publique devant la population des campagnes. Puisse ma voix les toucher jusque dans nos derniers villages ! Je les prie de contribuer pour leur part à fonder la République. Il ne s’agit pas, comme du temps de nos pères, de la défendre contre le danger de ses frontières, il faut la défendre contre l’ignorance et le mensonge, et c’est à eux qu’appartient cette tâche. Des hommes nouveaux, voilà ce que réclame la France. Une révolution ne doit pas seulement renouveler les institutions, il faut qu’elle renouvelle les hommes. On change d’outil quand on change d’ouvrage. C’est un principe capital de politique. »

« Mais les instituteurs ne doivent pas seulement, en éclairant les électeurs, leur enseigner à choisir les représentants les plus capables de consolider le régime démocratique ; ils peuvent faire davantage : « Pourquoi nos instituteurs primaires ne se présenteraient-ils pas, non seulement pour enseigner ce principe, mais pour prendre place eux-mêmes parmi ces hommes nouveaux ? Il en est, je n’en doute pas, qui en sont dignes : qu’une ambition généreuse s’allume en eux ; qu’ils oublient l’obscurité de leur condition ; elle était des plus humbles sous la monarchie ; elle devient, sous la République, des plus honorables et des plus respectées (…) Qu’ils viennent parmi nous, au nom de ces populations rurales dans le sein desquelles ils sont nés, dont ils savent les souffrances, dont ils ne partagent que trop la misère. Qu’ils expriment au sein de la législature les besoins, les vœux, les espérances de cet élément de la nation si capital et si longtemps délaissé. Tel est le service nouveau que, dans ce temps révolutionnaire, je réclame du zèle de Messieurs les instituteurs primaires. »

C’étaient là des paroles comme la France n’en avait pas entendu depuis l’an II. Elles causèrent une émotion profonde ; elles mirent la flamme au cœur de tout ce qu’il y avait de jeune et de généreux dans le personnel enseignant primaire, en même temps qu’elles produisaient dans le camp des conservateurs la plus vive irritation. Furibard, Léon Faucher écrivait, le 7 mars, à un ami : « Lisez la circulaire de Carnot aux recteurs. C’est le chef-d’œuvre de la folie ! »

L’appel du ministre pour la composition de manuels sur les droits et les devoirs du citoyen fut entendu. Dans plusieurs académies, les recteurs firent rédiger et publier des catéchismes d’enseignement civique.

A Paris, l’historien Henri Martin fit paraître un Manuel de l’instituteur pour les élections ; le philosophe Charles Renouvier publia, sous les auspices du ministre, un Manuel républicain de l’homme et du citoyen : ces deux ouvrages furent envoyés d’office aux recteurs, et distribués par leurs soins.

Au niveau électoral, leurs efforts ne furent pas couronnés de succès. Les élections qui auront finalement lieu le 23 avril donnent une majorité aux modérés (« monarchistes camouflés » et « républicains modérés »).

Les républicains « avancés », dont Carnot fait partie, sont nettement battus. La nouvelle assemblée se réunit le 4 mai. Elle proclame la République et met fin à l’existence du gouvernement provisoire. Elle élit une « Commission exécutive » dont sont exclus les éléments les plus progressistes du gouvernement provisoire.

E. Enseignement secondaire

Le 28 février 1848, une circulaire exposa, dans ses grandes lignes, le programme du ministre et de ses collaborateurs ; elle « déroule les principes généraux de notre entreprise », dit Carnot. On y lisait :

« Il est nécessaire, dans l’intérêt de la société, qu’un certain nombre de citoyens reçoive des connaissances plus étendues que celles qui suffisent pour assurer le développement de l’homme. C’est à quoi répondra l’établissement de l’instruction secondaire. Le gouvernement républicain se propose de recruter ces agents si essentiels dans la masse du peuple. Il faut donc veiller à ce que les portes de l’instruction secondaire ne soient fermées à aucun des élèves d’élite qui se produisent dans les établissements primaires.

« Toutes les mesures nécessaires à cet égard seront prises. — C’est dans les écoles supérieures seulement que le principe de la spécialité, prudemment préparé dans les autres, doit se dessiner tout à fait. L’accès aux leçons de ces écoles ne peut être défendu à personne ; mais c’est en vue des élèves dignes de servir aux intérêts généraux qu’elles doivent être instituées. Il n’y a que la décision des examens qui puisse y conférer tous les droits. »

F. Une Ecole d’administration

Un décret du 8 mars 1848 annonce qu’une :

« Ecole d’administration, destinée au recrutement des diverses branches d’administration dépourvues jusqu’à présent d’écoles préparatoires, sera établie sur des bases analogues à celles de l’Ecole polytechnique ».

Pour Carnot, il s’agit de créer un foyer capable de « rayonner » sur toute la France « la lumière républicaine », en promouvant les valeurs philosophiques des droits de l’homme. Ce n’est pas au privé mais bien à l’État d’établir « une pépinière pour les services publics » en formant des administrateurs dévoués corps et âme à l’intérêt général.

Faute de subventions suffisantes, l’école est installée dans un bâtiment délabré, l’ancien Collège du Plessis (rue Saint-Jean-de-Beauvais, c’est-à-dire là où son père avait fait installer la l’école pilote pour l’enseignement mutuel !), et le ministère apportera les chaises ; les élèves furent tenus de suivre les cours du Collège de France, répétés ensuite et commentés par des maîtres de conférences. Les programmes sont éclectiques : à côté de l’enseignement professionnel, une « large part est faite aux études scientifiques, mais aussi littéraires qui meublent l’intelligence et lui donnent de l’ampleur ».

Contrairement à l’ENA de nos jours, on y enseigne non pas le « management » et la statistique, mais l’architecture, le dessin, l’histoire de l’art et les religions orientales. Prise dans les turbulences politiques, cette école ne survécut pas au ministre qui l’avait fondée mais fera date.

G. Haute Commission des études scientifiques et littéraires

En vue de la préparation d’une nouvelle loi sur l’instruction primaire, et de la recherche des solutions à apporter aux questions nouvelles qui surgissaient, Carnot institua une Haute Commission des études scientifiques et littéraires, dont la présidence fut donnée à Jean Reynaud, et où il fit entrer « les hommes les plus notables et les plus amis du progrès dans les sciences, dans les lettres, dans l’administration, et surtout dans l’enseignement ».

Parmi les noms des 45 membres de cette Commission, notons ceux du chansonnier Pierre-Jean de Béranger, de Boussingault, d’Henri Martin, de Poncelet, d’Edgar Quinet et de Charles Renouvier.

H. Education pour tous, tout au long de la vie

École publique du soir pour adultes.

Sur le plan de l’instruction, en 1848, la situation reste désastreuse. Sur 300 000 conscrits, plus de 112 000 ne savent ni lire, ni écrire. Si l’on prend les plus âgés, la proportion est encore supérieure à ce tiers. D’où l’arrêté du 8 juin, qui institua à Paris des lectures publiques du soir, « destinées à populariser la connaissance des chefs-d’œuvre de notre littérature nationale ». Elles devaient avoir lieu deux fois par semaine, « dans différents locaux situés, autant que possible, au sein des quartiers les plus populeux de Paris ».

Les paysans, soit les deux tiers de la population, qui ne bénéficient d’aucune structure associative et sont éloignés des villes et des écoles, sont la cible prioritaire du ministre. Ce sont eux qu’il faut prioritairement convertir par la lecture, clé de l’instruction et de l’émancipation, et mener jusqu’aux maisons d’école :

« Les maîtres, devenus bibliothécaires leur feront la lecture, à haute et intelligible voix, pourront les instruire, les intéresser et (…) les passionner pour la vie politique du pays. Les enseignants en l’état de leurs disponibilités prodigueront des enseignements généraux pour l’état agricole et des lectures à la maison d’école ou à la mairie, pour l’instruction civique et même la littérature. »

I. Bibliothèques « circulantes »

Bibliothèque en 1876.

En partant du constat que « nous manquons de livres de lecture pour le peuple comme il y en a ailleurs », le ministre met sur pied un vaste réseau public de bibliothèques communales de toutes tailles. Il charge l’éditeur Paulin de rassembler des collections de livres les plus variés possible dans chaque quartier des villes et chaque canton rural pour les mettre gratuitement à la disposition du peuple. Il crée également toute une gamme d’établissements complémentaires comme les bibliothèques spéciales près des facultés pour mettre le savoir le plus savant à la disposition du plus grand nombre. Sur une idée de Jules Simon, il entend créer des bibliothèques populaires et rurales qu’il rebaptise « collections circulantes » avec des enseignants qui « parcourraient les petits villages et porteraient aux enfants isolés l’instruction qu’ils ne pourraient trouver ailleurs ». Les « bibliothécaires missionnaires » de ces établissements itinérants seront des « instituteurs conservateurs de la petite bibliothèque populaire », qui guideront le public, contrôleront les prêts et pourront lire à la demande.

C’est dans cette optique bibliophile qu’il faut replacer la création, au printemps 1848, d’un Service officiel des lectures publiques du soir. L’objectif est toujours le même : donner le meilleur au peuple. C’est ce qu’explique Émile Deschanel : « Le ministre de la République voulut que le peuple souverain eût, lui aussi, ses lecteurs et professeurs. » Ce service, aussi politique que moral, rappelle les séances organisées par les philanthropes ou les saint-simoniens, censées remplacer les cabarets et les bals trop arrosés. Elles permettront à l’ouvrier (et plus tard au paysan) fatigué « du labeur quotidien de trouver un asile commode, un plaisir qui porterait avec lui l’instruction, de bons conseils et la familiarité des grands esprits de notre race ».

Il s’agit de vulgariser les textes patrimoniaux et, si besoin, de les commenter pour « instruire noblement les auditeurs en les amusant », raconte l’ancien saint-simonien Sainte-Beuve. Le programme de ces lectures doit donc être varié pour ne point lasser. Les grands classiques comme Corneille et Molière alternent avec l’Histoire à la Michelet qui a une fonction civique évidente, et des comédies ou des chansons comme celles de Béranger.

Les premières séances parisiennes devant des ouvriers et des artisans pleins de respects sont un succès « dans un silence attentif où les moindres impressions se peignent sur les visages ». Le ministre relève des réactions amusées aux comédies, patriotes à l’évocation des grandes batailles comme Crécy, critiques devant un style ampoulé et déroutées devant les Fables de la Fontaine. Dans cette logique le ministère envisage la création d’une Athénée libre sur les modèles allemand et américain. Il s’agit de réunir quelques professeurs dans un amphithéâtre ou dans d’anciennes salles de spectacles pour donner un enseignement libre et gratuit, ouvert à tous et délivré par « des pionniers dans des domaines encore inexplorés » des sciences et des techniques.

J. Beaux-Arts, hygiène et gymnastique au programme

Dans l’enseignement, outre des « éléments d’histoire et de géographie nationale », il ajoute le français, le droit public et l’hygiène, sans oublier la gymnastique pour améliorer la santé des plus démunis. Il s’agit là de la version pour adulte de ce que l’école nouvelle et l’instruction républicaine proposeront à tous les enfants de France. Ces cours doivent même mettre l’art à la portée de tous à travers la promotion du patrimoine : « Existe-t-il moyen plus puissant d’éducation populaire ? », dit-il en parlant de l’art en général et des Beaux-Arts en particulier.

Concrètement, le 29 mars, le ministre fonde avec treize professeurs l’Association Philotechnique destinée à donner aux ouvriers les connaissances professionnelles et techniques nécessaires aux métiers modernes.

L’Association s’accorde sur des cours de géométrie, de grammaire, d’algèbre, de mécanique et de dessin délivrés dans les salles de la Halle aux draps, puis à l’école Turgot. Les professeurs de lycées parisiens sont les premiers sollicités par l’Association pour compléter la formation en Histoire et en Droit.

L’expérience démarre début avril avec 150 ouvriers teinturiers du faubourg Saint-Marcel qui s’initient aux connaissances scientifiques dans l’amphithéâtre de l’Ecole de pharmacie. Rapidement, cet enseignement professionnel s’étend en province, comme à Orléans, avant de disparaître dans le tumulte de Juin.

Carnot veut aller plus loin et songe à des « clubs-écoles » sur le modèle écossais des « Mécanic-institutions », c’est-à-dire des salles de conférences, des bibliothèques et des cours permanents pour les ouvriers dans des bâtiments jouxtant les usines. Tenu au courant des travaux de Braille, il s’intéresse aussi aux sourds et aux aveugles, pour lesquels il compte multiplier les institutions spécialisées dépendant de son ministère, et non plus de l’Intérieur.

K. Concorde citoyenne

Pour couronner cette démocratisation, Carnot songe à l’une des méthodes les plus originales de la Révolution : la pédagogie civique par les fêtes publiques.

Fin février, il a déjà expérimenté leurs vertus citoyennes en participant à la plantation d’un arbre de la Liberté, pratique rituelle en 1848, dans les jardins de Saint-Nicolas à Paris. Dans cet établissement spécialisé dans l’éducation des enfants d’ouvriers, la cérémonie est placée sous le signe des Trois Couleurs. Le clergé bénit l’arbre comme le veut l’usage, en présence du maire de l’arrondissement. Le discours du ministre est édifiant : « L’arbre que vous plantez est jeune comme la République elle-même (…) Il étendra sur vous ses rameaux, de même que la République étendra sur la France les bienfaits de l’Instruction populaire. (…) Les bons écoliers deviennent les bons citoyens. »

Le ministre de l’Instruction a été aussi impressionné par la « Fête de la concorde » du 21 mars, entre la Bastille et le Champ de Mars, avec ses défilés, sa statuaire civique, ses revues d’œuvres industrielles, ses hymnes à la République et son enthousiasme réformateur. Cette pédagogie civique lui a semblé efficace grâce à sa représentation symbolique du régime et sa « foule d’hommes obéissant à une inspiration commune ».

17. Conclusion

Face à Carnot, la riposte de l’oligarchie est foudroyante. Figure du « parti de l’ordre », Adolphe Thiers, en 1848, n’hésite pas à déclarer : « Je demande que l’action du curé soit forte, beaucoup plus forte qu’elle ne l’est, parce que je compte beaucoup sur lui pour propager cette bonne philosophie qui apprend à l’homme qu’il est ici pour souffrir. »

Dès le 10 décembre 1848, date de l’élection de Louis Napoléon Bonaparte à la présidence de la République, le pouvoir s’appuie sur des forces issues du clergé et d’une droite rétrograde.

Cédant aux congrégations, il fait voter deux lois hypothéquant fortement et durablement les chances de réussite de l’école publique: la loi Parieu du 11 janvier 1850 et la loi Falloux du 15 mars 1850.

La première poursuit les enseignants restés fidèles à l’esprit de Carnot (4000 instituteurs seront révoqués). La seconde accentue les prérogatives de l’Eglise en matière d’enseignement et favorise le développement de l’enseignement congrégationiste.

En guise de conclusion, voici celle de Rémi Dalisson dont nous recommandons fortement la magnifique biographie sur Hippolyte Carnot :

« Sa pratique, ce sont ses textes législatifs sur l’instruction, y compris les programmes scolaires, aussi variés que novateurs, comme ceux de son École d’administration ou de ‘l’école maternelle’. Ils font de Carnot l’incontestable précurseur de Jules Ferry et du projet éducatif et civique de la Troisième République. Ses lois et décrets veulent (…) émanciper les enfants et en faire des citoyens actifs et critiques dans une démocratie apaisée, modérée et socialement fluide, sous l’égide d’instituteurs restaurés, symboles des temps nouveaux.

« Sa pratique, ce sont ses combats et ses engagements, et d’abord dans l’opposition à laquelle il appartient longtemps. Retenons ses écrits précoces contre la peine de mort, sa participation aux événements de 1830, son rôle en 1848 à l’Assemblée, son combat pour les instituteurs pour lesquels il se dépense sans compter et son exil volontaire. (…)

« Dans un siècle écrasé par le souvenir de deux guerres mondiales, par l’effacement de la République sous Vichy puis par la décolonisation et la chute du communisme, l’oubli de 1848 et de ses espoirs sociaux et éducatifs en dit long sur nos structures mentales et notre mémoire. Cette sorte d’amnésie, qui n’empêche d’ailleurs pas la sacralisation, souvent anachronique, du corpus républicain, a fait tomber Hippolyte Carnot et l’ensemble du XIXe siècle dans un bien triste oubli. La période n’évoque plus grand-chose, hormis quelques coups de projecteurs ponctuels. Elle est même à présent sacrifiée dans l’enseignement, comme si seul le XXe siècle était digne d’étude.

« A l’heure où le modèle scolaire français est remis en cause, où l’école républicaine doute de ses missions, où la laïcité est elle aussi discutée et où les enseignants se sentent abandonnés, il est plus que jamais nécessaire de connaître les racines d’un système éducatif intimement lié au régime républicain. Pour cela, à l’aube du XXIe siècle, la réévaluation de la vie et de l’œuvre d’Hippolyte Carnot, défenseur acharné de la liberté, de l’école, de Clio et de la République peut poser les bases d’une réflexion renouvelée et civique sur la chose scolaire ».

18. Annexe


Liste de principaux ouvrages d’Hippolyte Carnot:

  • Gunima, nouvelle africaine du XVIIIe siècle, (Paris, Barba, 1824).
  • Le Gymnase, recueil de morale et de littérature (Paris, Balzac, 1828).
  • Doctrine de Saint-Simon (Bruxelles, Hauman, 1831).
  • Mémoires de Grégoire, Évêque constitutionnel de Blois (Paris, Dupont, 6 vol., 1837-1845).
  • Quelques réflexions sur la domesticité (Paris, Henry, 1838).
  • Rapport sur la législation qui règle dans quelques états d’Allemagne les conditions de travail des jeunes ouvriers (Paris, Imp. Royale, 1840).
  • Mémoires de Barère de Vieuzac (Paris, Labitte, 4 volumes, 1842-1844).
  • L’Allemagne avant l’invasion française (Fragments, Paris, Revue indépendante, 1842).
  • L’Allemagne pendant la Révolution (Fragments, Paris, Revue indépendante, 1843).
  • Les Esclaves noirs (Paris, Magasin pittoresque, 1844).
  • De l’esclavage colonial (Paris, Revue indépendante, 1845).
  • Les Radicaux et la Charte, (Paris, Pagnerre, 1847).
  • Le Ministère de l’Instruction Publique et des Cultes, 24 février-5 juillet 1848 (Paris, Pagnerre, 1848).
  • Éducation républicaine, (Paris, Prost, 2 vol, 1849).
  • L’insurrection littéraire en Allemagne (Fragments, Paris, Liberté de penser, 1848).
  • Le Mémorial de 1848, (Paris, Revue indépendante, n.p. 1849).
  • Doctrine saint simonienne (Paris, Librairie nouvelle, 1854).
  • Mémoires sur Lazare Carnot par son fils (Paris, Pagnerre, 1861-63, réed. en 1893 et 1907, Hachette).
  • Œuvres de Saint-Simon par Enfantin précédées de deux notices historiques par H. Carnot (Paris, Dentu, 1865).
  • La Révolution française, résumé historique (2 vol., Paris, Dubuisson et Pagnerre, 1867).
  • L’Instruction populaire en France (Paris, Degorce-Cadot, 1869).
  • Trois discours sur l’instruction publique, (Paris, Degorce-Cadot, 1869).
  • Cours de l’association philotechnique pour l’instruction gratuite des adultes (Paris, Parent, 1872).
  • Ce que serait un nouvel Empire (Paris, Société du patriote, Bibliothèque utile, 1874).
  • Lazare Hoche, général républicain (Paris, Société du patriote, Bibliothèque utile, 1874).
  • D’une École d’Administration (Versailles, Aubert, 1878) ;
  • Henri Grégoire, évêque républicain (Paris, Libraire des publications populaires, 1882).
  • La Révolution française (Paris, Boulanger, 1888).
  • Les premiers échos de la Révolution française au-delà du Rhin (Paris, Picard, 1888)

19. Quelques ouvrages et articles consultés:

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Hippolyte Carnot, father of modern republican education

Table of contents

  1. Introduction
  2. In the storm
  3. From charity to universal schooling
  4. Malebranche and the Oratorians
  5. The Revolution of the Mind
  6. The Committee of Public Instruction (1791)
  7. Condorcet and the « American Party
  8. The « Condorcet » Plan
  9. The battle under the Convention (1792-1795)
  10. Lazare Carnot under Les Cent-Jours (The Hundred Days)
  11. Carrying on the torch
  12. Lazare Carnot’s exile
  13. Hippolyte with Abbé Grégoire
  14. Like Schiller, patriot and citizen of the world
  15. The Revolution of 1830
  16. Minister of Public Instruction under the Second Republic
  17. Hippolyte’s Carnot’s reforms
    A. Nursery school
    B. Primary school
    C. Explanatory memorandum to the School Act of June 1848
    D. Teachers to enlighten the rural world
    E. Secondary education
    F. High Commission for Scientific and Literary Studies
    G. A School of Administration
    H. Lifelong education for all
    I. People’s libraries
    J. Fine arts, hygiene and gymnastics on the program
    K. Citizen Concord
  18. Conclusion
  19. Appendix: works by Hippolyte Carnot
  20. Short list of books and articles consulted.


« The tree you are planting is as young as the Republic itself (…) It will spread its branches over you, just as the Republic will spread over France the benefits of Popular Instruction.

« Hippolyte Carnot, Memorial (1848), dossier 13.

1. Introduction

Hippolyte Carnot (1801-1888) had neither the glory of his father Lazare Carnot (1753-1823), the « Organizer of Victory » of Year II, nor the renown of his brother, the inventor of thermodynamics Léonard Sadi Carnot (1796-1832), nor the tragic fate of his son, François Sadi Carnot (1837-1887), President of the Republic assassinated by an anarchist in Lyon.

History retains almost exclusively his magnificent « Memories on Lazare Carnot by his son », in which he recounts the actions, ideas and life of his father, the « great Carnot », scientific mind, poet, fervent republican and Minister of War.

Hippolyte remains little-known, despite the fact that his long life (87 years), slightly longer than Victor Hugo‘s (83 years), spans almost an entire century (1801-1888), and that his work and influence are considerable.

As is amply demonstrated by « Hippolyte Carnot et le ministère de l’Instruction publique de la IIe République » (PUF, 1948), written by his son, the physician Paul Carnot (1867-1957), he was much more than a mere observer or commentator on events.

2. In the storm

The 19th century was a period of profound change. The flame of hope kindled by the American and French Revolutions, the ideal of liberty, fraternity and emancipation of individuals, peoples and sovereign states alike, proved unquenchable, and was affirmed and extended throughout the 19th century. The long march towards a new paradigm was fraught with pitfalls. Changes took place slowly, against a backdrop of brutal crises and violent ruptures.

During his lifetime, Hippolyte Carnot (1801-1888) was directly or indirectly involved in :

Two Empires:
1803-1814: First Empire under Napoleon Bonaparte
1852-1870: Second Empire under Napoléon III
Three Monarchies:
1814-1815: First Restoration under Louis XVIII
1815-1830: Second Restoration under Charles X
1830-1848: July Monarchy under Louis-Philippe, Duc d’Orléans.
Two Republics:
1848-1852: Second Republic
1870: Third Republic
Three Revolutions expressing popular republican fervor:
1830 (Trois Glorieuses) ;
1848 (uprisings) ;
1871 (Commune).


In an ever-changing environment, through revolutions, coups d’état, monarchies, empires or republics, wars and trials, the man who was (too) briefly Minister of Public Instruction in 1848, a friend of Victor Hugo and Jules Ferry, Hippolyte was a nation builder and an inspiration.

Philosopher and journalist, memoirist and minister, Freemason and believer, political exile and member of parliament, senator and member of the Académie, he took part in all the battles for public and private freedoms, laid the foundations for teacher training and free, compulsory schooling, including kindergarten, created the forerunner of the ENA and defended the most advanced causes (schooling for girls, universal suffrage, the fight against slavery and the abolition of the death penalty).

Rémi Dalisson, in a fascinating and richly documented biography entitled « Hippolyte Carnot 1801-1888. La liberté, l’école et la République », published by the French CNRS in 2011, with supporting evidence, points out that « the vulgate of Jules Ferry as the inventor of the republican and secular school has been widely debunked ».

Given that Hippolyte‘s name, let alone his work, is nowhere to be found on the Ministry’s website, the author laments that « few people, including those at the Ministry of Education, pay tribute to the role and personality of Hippolyte Carnot« .

The anthologies of founding texts and speeches of the republican school, which have proliferated in recent years, systematically forget him.

« It is therefore an injustice and an oversight that we are repairing by tracing the life and work of Hippolyte Carnot, which go far beyond his educational projects and achievements. Through his stature, his training, his career, his ideas, his writings and his battles, this man of many talents will enable us to retrace the history of the construction of the school and therefore of society in the 19th century (…) And as this question refers to the political, social, even economic and cultural question of the nation, and as the minister was involved in all the philosophical battles of his century (…) it is largely the history of a century that will be evoked (…) ».

The full text of this magnificent biography is available free of charge on the Internet, and we have drawn heavily on it to write this text.

3. From charity to universal schooling

Primary School at the time of the Ancien Regime

In order to fully appreciate the fundamental contribution of Lazare Carnot‘s ideas, and of their initial implementation by his son Hippolyte, a brief history of schooling in our country is in order.

Educating a handful of more or less talented children? We knew how to do it, especially since the tasty advice of the great Renaissance pedagogues (Vittorino da Feltre, Alexandre Hegius, Erasmus of Rotterdam, Juan Luis Vivès, Comenius, etc.). But organizing compulsory, secular and free education for an entire nation, boys and girls alike, remained an enormous challenge.

And as the following chronology shows, the road to universal schooling was strewn with many pitfalls.

In France, from the 16th century onwards, the royal state entrusted the Catholic Church (Jesuits, Oratorians and Brothers of the Christian Schools) with the task of educating state officials and the children of the nobility: only wealthy families could afford to pay a tutor for their own children, while the others, often described as « not suited to study », remained essentially illiterate.

In the 17th century, holy men, moved by the great misery of the children of the people, founded teaching orders to take in orphans and abandoned children free of charge. Their teaching was primarily religious, but they also provided them with food, basic education and basic writing and arithmetic skills. In the 18th century, women’s congregations took in poor girls in the same way.

Whatever his real motives, in 1698, following the revocation of the Edict of Nantes in 1685, Louis XIV ordered every village community or parish to open a school, whose teacher had to be a Catholic priest. This was the first time the state considered providing education for rural children.

Literacy figures at the end of the Ancien Régime show the scope and limits of the work accomplished. At that time, an estimated 37% of French people were literate enough to sign their marriage certificate, compared with 21% a century earlier. Female education progressed slowly, with around a quarter of women literate, many of them only in very basic terms. There were major disparities between town and country.



4. Malebranche and the Oratorians

Vue de la Maison de l’église des Pères de l’Oratoire à Paris.

Among the congregations, the Oratorians have been the exception since 1660, under the influence of the philosopher and theologian Nicolas Malebranche (1638-1715), who became its director. Breaking away from the Aristotelianism of the Jesuits and the dualism advocated by René Descartes, Malebranche, who had become an honorary member of the Académie des Sciences, was to be won over to the optimistic vision of the great German scientist Wilhelm Gottfried Leibniz through a sustained exchange of letters. Reconciling science and faith, on the metaphysical level his god is a wise and reasonable God, always respecting his essence and the laws of order he generates. His perfection lies above all in his function as legislator, identified with wisdom or reason, rather than arbitrary power.

Two examples demonstrate the excellence of their teaching: Gaspard Monge and Lazare Carnot, two great scientific minds and future co-founders of the Ecole Polytechnique. Convinced that the political, economic and industrial future of the Republic depended on it, they led the fight to ensure that the best possible education was available to all, not just the privileged few of whom they were a part.

The son of a Savoyard merchant, Gaspard Monge (1746-1818) studied at the Collège des Oratoriens in his native Beaune. From the age of 17, he taught mathematics at the Oratoriens de Lyon, then in 1771, mathematics and physics at the École de Génie established in Mézières. That same year, he came into contact with the physicist Jean Le Rond d’Alembert (1717-1783) and corresponded with the mathematician Nicolas de Condorcet (1743-1794), who encouraged him to submit four dissertations, one in each of the fields of mathematics he was studying at the time. It wasn’t long before his talents as a geometrician came to the fore: at the Ecole de Génie, he invented « Descriptive Geometry », which became part of the school’s curriculum and was essential to the industrial revolution just around the corner…

As for the future General Lazare Carnot (1753-1823)
, son of a Burgundian notary, after studying at the Oratoriens d’Autun (1762), he too entered the École du Génie de Mézières (1771), where he was taught by Gaspard Monge.

5. The Revolution of the Mind (1789)

Education in France before the Revolution.

In 1789, the Revolution turned the situation upside down. On February 13, 1790, all religious corporations and congregations were abolished by decree, and religious were ordered to swear an oath to the revolution. The all-powerful Church was totally challenged, and the few education that existed collapsed.

Talleyrand.

In a break with the Ancien Régime, the Constitution of 1791 asserted that « public instruction common to all citizens shall be created and organized. » A report and draft law were presented by Talleyrand (1754-1838) on September 10, 1791.

His Rapport sur l’Instruction publique, drafted in reality with contributions from some of the greatest scientists of the time (Condorcet, Lagrange, Monge, Lavoisier, La Harpe), represented a real break with the way education had been conceived under the Ancien Régime. It poses the question of public education in new terms, both in terms of principle (public education is presented as a political, social and moral necessity, and therefore as something the State must guarantee to its citizens) and in terms of form.

The plan encompassed the entire national education system, which was organized on four levels and whose establishments were distributed across the country according to administrative divisions. It laid the foundations for free education for all, including girls (separate schools and curricula), and specified that « the first elements of the French language, both spoken and written, will be taught ». In 1794, the jurist Bertrand Barère de Vieuzac (1755-1841) specified: « We will teach French to populations that speak Bas-Breton, German, Italian or Basque, in order to put them in a position to understand republican laws, and to attach them to the cause of the Revolution. » Due to lack of time, the bill was not passed.

In the bill, Talleyrand proposed the creation of an elementary school in each municipality. The Constituent Assembly had just established the territorial organization that is still in place today. The decree of December 14, 1789 had just created 44,000 municipalities (on the territory of the former « parishes »), which became « communes » in 1793. The law of December 22, 1789 created the départements, and the decree of February 26, 1790 set their number at 83.

6. The « Committee of Public Instruction » (1791)

Nicolas de Condorcet

A month after Talleyrand’s report, on October 14, 1791, the National Legislative Assembly created its first « Committee of Public Instruction », of which the mathematician and philosopher Nicolas de Condorcet (1743-1794) was elected president and lawyer Emmanuel de Pastoret vice-president. The other members were future general Lazare Carnot, deputy Jean Debry, mathematician Louis Arbogast and politician Gilbert Romme.

Condorcet also presided over one of the three sections, dealing with the general organization of public education. On March 5, 1792, he was appointed rapporteur for the draft decree on the general organization of public education that the committee was to present to the Assembly.

Educated at the age of 11 at the Jesuit college in Reims, he was sent to the Collège de Navarre in Paris at the age of 15. Throughout his life, he retained painful memories of this primarily religious education, which he criticized for its brutality and humiliating methods. His indignation led him to imagine a totally different approach. In 1791, in La Bibliothèque de l’homme public (The Public Man’s Library), he published five memoirs on public education, constituting a veritable plan.

They formed the basis of the project he drafted for the Legislative Assembly, and were approved by the Committee of Public Instruction on April 18 and presented to the National Assembly on April 20 and 21, 1792.


7. Condorcet and the « American Party »

Anne Robert Jacques Turgot (1727-1781).

A hagiographer of the physiocrat Anne Robert Jacques Turgot (1727-1781), while criticizing the sectarianism of the « economists », Condorcet, in terms of economics, largely shared his Physiocratic worldview, notably the establishment of a tax on agricultural income alone, considered to be the nation’s sole source of wealth, with industry seen as a « sterile » category of the national economy (see my article dealing with Karl Marx’s errors).

For the Physiocrats, great defenders of the land rent that made them fat, the enemy to be fought was the centralized, dirigiste and mercantile state that Jean-Baptise Colbert, following in Sully’s footsteps, had begun to set up.

This did not prevent Condorcet, more courageous than many of his generation, from taking center stage in openly supporting the American Revolution in its fight for dignity and emancipation against the horrors of the British Empire: slavery, the death penalty, human and women’s rights.


Although a friend of Voltaire, Condorcet wrote a vibrant eulogy of Benjamin Franklin. A friend of the influential English pamphleteer Thomas Paine, in 1786 he published « De l’influence de la Révolution d’Amérique sur l’Europe », dedicated to La Fayette. In this vibrant plea for democracy and freedom of the press, Condorcet considers that American Independence could serve as a model for a new political world. Along with Paine and du Chastellet, Condorcet contributed anonymously to an intermittent publication, Le Républicain, which promoted republican ideas. At the time, there were only a few states in the world known as republics (the Swiss cantons, Venice and the United Provinces, among others). Condorcet later had an argument with the second President of the United States, John Adams, whose encyclopedists scorned his proposal for a bicameral parliament.

Condorcet also made friends with the American president Thomas Jefferson, who promoted and published Condorcet’s writings in favor of the physiocrat Turgot in order to make them known in America. On July 31, 1788, Jefferson wrote to James Madison: « I am also sending you two little pamphlets by the Marquis de Condorcet, in which is the most judicious judgment I have ever seen on the great questions which are agitating this nation at this moment ». These were « Lettres d’un Citoyen des États-Unis à un Français et des Sentiments d’un Républicain ».

Sophie de Grouchet, marquise de Condorcet.

While in Paris, Jefferson frequented Mme de Condorcet’s cosmopolitan salon. Before returning to America, he received his closest friends one last time at his home, the Hôtel de Langeac: Condorcet, La Rochefoucauld, Lafayette and key organizer, Governor Morris.

After Jefferson’s return to America, Condorcet continued his dialogue with the American Secretary of State in Washington. On May 3, 1791, he sent him a copy of the report on the choice of a unit of measurement, presented by Borda, Lagrange, Laplace, Monge and himself to the Académie des Sciences on March 19, and subsequently submitted to the Assemblée nationale on the 26th. Indeed, it was a matter of common interest: on July 4, 1790, Jefferson had presented his Report on Weights and Measures to the American Congress, a copy of which he had sent to Condorcet. It was the same faith in progress that encouraged both men to support the idea of a universal, decimal system of measurement.

In a letter, Jefferson informed Condorcet of the work of a black American mathematician and astronomer, Benjamin Banneker, author of an almanac, of which he had sent him a copy. In his « Réflexions sur l’esclavage des nègres » (Reflections on Negro Slavery), Condorcet, though a staunch abolitionis, had expressed himself in favor of a gradual abolition of slavery, in the same way as Jefferson did in his « Notes on the State of Virginia ».

Jefferson oscillated in his positions, attributing the inferiority of blacks sometimes to natural causes, sometimes to the effects of slavery, while Condorcet – in agreement with Franklin – had always been convinced of the natural equality of all men.

In reality, the very man who became the third president of the United States owned over 600 slaves during his adult life. He freed two slaves during his lifetime, and five more were freed after his death, including two of his children from his relationship with his slave Sally Hemings. After his death, the remaining slaves were sold to pay off the debts of his estate.

Jefferson strongly opposed the « Federalists » like Alexander Hamilton, who promoted a strong federal state, Colbert-style economic dirigisme and mercantilism. Condorcet was to encourage Jefferson in his project of « agrarian democracy », the physiocratic vision of the great landowners that would become, until the arrival of Abraham Lincoln and his advisor Henry Carey, the ideology of the American Republican Party.


8. The « Condorcet » Plan

Progress of science and reason will lead to the happiness of societies and individuals, according to Condorcet. In Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain, he writes:

« Our hopes, concerning the future state of the human species, can be reduced to these three important points: the destruction of inequality between nations, the progress of equality within the same people; finally, the real perfection of man. »


Preferring « L’Instruction publique » to national education, he dreamed of an education totally independent of the State and free of dogmatism:

« Public authority cannot, even on any subject,
have the right to teach opinions as truths; it must not impose any belief. »
(Sur l’instruction publique, first memoir, 1791).


Outlining secular principles, for Condorcet, « the principles of morality taught in schools and institutes will be those which, founded on our natural feelings and on reason, belong equally to all men. »

At the National Assembly, he received massive applause when he declared :

« In these schools, the primary truths of social science will precede their applications. Neither the French Constitution nor even the Declaration of Rights will be presented to any class of citizens as tables descended from heaven, to be worshipped and believed. Their enthusiasm will not be based on the prejudices and habits of childhood; and they will be told: ‘This Declaration of Rights, which teaches you both what you owe to society and what you are entitled to demand of it, this Constitution which you must uphold at the expense of your life, are but the development of those simple principles, dictated by nature and reason, whose eternal truth you learned to recognize in your early years.

This Bill of Rights, which teaches you both what you owe to society and what you have the right to demand of it, this Constitution, which you must uphold at the cost of your life, is but the development of those simple principles, dictated by nature and reason, whose eternal truth you learned to recognize in your early years. As long as there are men who do not obey their reason alone, who receive their opinions from a foreign opinion, in vain will all chains have been broken, in vain will these command opinions be useful truths; the human race will no less remain divided into two classes, that of men who reason and that of men who believe, that of masters and that of slaves.' »

For those standing behind the Condorcet plan, the aim was to ensure the development of each individual’s abilities, and to strive for the perfection of humanity. His project proposed the creation of 5 categories of establishments:

  • elementary school for civic and practical education ;
  • secondary schools, with a focus on mathematics and science;
  • institutions, providing training for primary and secondary school teachers in each département, and general education for pupils;
  • lycées, training teachers and those « destined for professions in which great success can only be achieved through in-depth study of one or more sciences »;
  • the Société nationale des sciences et des arts, whose mission was to manage schools, enrich cultural heritage and disseminate discoveries.

The plan was also characterized by the equality of ages and sexes in education, universal and free elementary education, and the freedom to open schools. Last but not least, religion was to be confined to the private sphere.

The project did not forget « the people », as weekly and monthly lectures for adults were intended to « continue education throughout life », an ambition taken up by Abbé Grégoire and Hippolyte Carnot.

As his son Paul Carnot recounts:

« In its short existence, the Constituent Assembly had only been able to pass on Talleyrand’s famous report to the Convention. After the no less famous reports by Condorcet and Lakanal, and the discussions of its Education Committee (almost as active as the Public Safety Committee), the Convention proclaimed the principles of compulsory, free and secular primary education, which are still ours today. The Declaration of the Rights of Man (art. XXII) proclaimed, with Robespierre, ‘Instruction is the need of all; society must favor, with all its power, the progress of public reason and put Instruction within the reach of all citizens’. »

Rarely were all parties in agreement on these points. The Girondins (Condorcet, Ducos) said, along with François Xavier Lanthenas (1754-1799), that « instruction is the State’s first debt to its citizens. »

On the subject of free education, Georges Danton said: « No one has the right not to educate his children. There is no real expense where there is a good use for the public interest. After bread, education is the first need of the people.

But the program of public education leading to the perfectibility of mankind thanks to reason, had not the chance to become a priority, as King Louis XVI, at the suggestion of General Dumouriez, went to the National Assembly to propose declaring war on Austria… Added to that, money for education wasn’t available.

Condorcet had to interrupt the lecture of his project. At the end of the afternoon of April 20, 1792, the Assembly adopted the declaration of war against the King of Bohemia and Hungary, unanimously minus seven votes. The following day, Condorcet completed the reading of his project. The Assembly decreed that the report be printed, but postponed discussion of it.

On May 24, Romme, on behalf of the Committee of Public Instruction, requested in vain that discussion of the report be placed on the agenda. Condorcet’s project, like Talleyrand’s report, did not have time to be debated, and was not adopted.

9. The battle under the « Convention » (1792-1795)

Joseph Lakanal.

The protagonists of Year I (under the Convention) were hardly more decisive. A new Committee of Public Instruction was set up. It included Abbé Henri Grégoire, abolitionist and close friend of Lazare Carnot and later of his son Hippolyte, and Joseph Lakanal (1762-1845).

On December 12, 1792, Marie-Joseph de Chénier (1764-1811) read Lanthénas’s proposals, which echoed the ideas of Talleyrand and Condorcet. The discussions were fruitless, and the project was swept aside by Marat. Marat exclaimed that day:

« However brilliant the speeches we hear here on this subject may be, they must give way to more urgent interests. You are like a general who would amuse himself by planting and removing trees to feed starving soldiers. I ask that the assembly order the printing of these speeches, to attend to more important objects. »

Lepeltier de Saint-Fargeau.

The following year, Robespierre opted for a national education plan devised by Lepeltier de Saint-Fargeau (1760-1793). According to this plan, presented by Robespierre himself on July 13, 1793, education without a healthy dose of republican ideology would not suffice to regenerate the human race. It is therefore up to the State to inculcate a republican morality, by taking charge of the common education of children between the ages of 5 and 12.

On January 21, 1793, the King was beheaded. While Carnot, who only backed the decision to prevent any possible return to power of the Monarchy, Condorcet, who was opposed to the death penalty on principle, opposed it.

Debates on public education were delayed. It was not until the end of the year that compromise legislation on the organization of elementary school came into being, making education compulsory and free for all children aged six to eight, and establishing the freedom to all to open schools. The decree of December 19, 1793 stipulated that primary schools were the first level of instruction, teaching the knowledge strictly necessary for all citizens, and that those responsible for teaching in these schools would henceforth be called « instituteurs » (teachers). This decree was only partially implemented.

1794 saw a profusion of legislative texts on the subject including the decree of January 27, 1794 which imposed the use of the French language in all education.

On October 21, 1794, another decision organized the distribution of the first schools in the communes.

On October 30, at the instigation of Dominique Joseph Garat, Joseph Lakanal and the Comité d’Instruction Publique, the first « Ecole Normale » was created to train teachers. The law stipulated that « a teacher training college would be established in Paris, to which citizens from all parts of the Republic who were already educated in the useful sciences would be called, to learn the art of teaching under the most skilful teachers in all disciplines ». The school, planned for some 1,500 students, was set up in an amphitheatre at the Muséum national d’histoire naturelle, which was too small to accommodate the entire class. Although the school was soon closed, it nevertheless attracted a number of brilliant teachers, including the scientists Monge, Vandermonde, Daubenton and Berthollet.

On November 17, 1794, Lakanal had a law passed making education free, with the Republic providing salaries and housing for teachers, and authorizing the creation of private schools.

Entrance of the Ecole Polytechnique, Paris.


Also in 1794, Jacques-Élie Lamblardie, Gaspard Monge and Lazare Carnot, the institution’s founding fathers, were given the task of organizing a « Ecole centrale des travaux publics », renamed the « École Polytechnique » in 1795 by Claude Prieur de la Côte d’Or, not only to alleviate the shortage of engineers in post-Revolution France, but to create, by intensive training in projective geometry, a generation of scientific geniuses.

Unfortunately, in terms of universal schooling, the results in 1795 were disastrous: none of the decrees of 1794 had been implemented. Worse still, on October 25, 1795, a new law drafted by Pierre Daunou marked a step backwards: for lack of a budget, education was no longer free, teachers had to be paid by pupils (and their wealthy relatives), and the school curriculum was poor. This law remained in force until Napoleon’s texts on secondary and higher education in 1802. While it abandoned compulsory and free education, it did call for the creation of one elementary school per canton and secondary « central schools » in each département.

The new authorities set deadlines for municipalities to organize schools. They sent special envoys to see whether municipalities were taking the necessary steps to find and install a teacher.


In the towns and cities, the administration managed to recruit a certain number of candidate teachers, but in the countryside, the list often remained empty. In addition to the problem of recruitment, local authorities were faced with the problem of money, furniture, heating and books. Practising teachers complained about the shortage of pupils, as the republican school aroused mistrust. When the teacher ventured to replace the catechism and the Gospels with the Constitution and the Rights of Man, parents, encouraged by resistant priests, preferred to keep their children at home. The Comité d’Instruction Publique was inundated with questions, suggestions and requests.

On November 17, 1795, Lakanal had a new law passed by the Convention. Education remained free but not compulsory. It guaranteed a fixed salary and pension for teachers, and provided them with premises and housing. It authorized all citizens to set up private schools.

10. Lazare Carnot during the Cent-Jours (The Hundred Days)

Jean-Antoine Chaptal.

On November 9, 1799, Bonaparte fomented a coup d’état and established the Consulate regime. As First Consul, he signed the Concordat with Pope Pius VII on July 16, 1801, abolishing the 1795 law separating Church and State.

Seizing the opportunity of the moment, and above all seeking to respond to immediate needs, the Minister of the Interior, the republican chemist and industrialist Jean-Antoine Chaptal (1756-1832), submitted to Bonaparte a project for the organization of secondary education, entrusted in particular to the Oratorians of Tournon. In 1800, he presented his « Rapport et projet de loi sur l’instruction publique » (Report and draft law on public education).

Recalled by the First Consul, Lazare Carnot was given the War portfolio, which he held until the conclusion of the Peace of Amiens in 1802, after the battles of Marengo and Hohenlinden.

Lazare Carnot à la bataille de Wattignies.

An early revolutionary, but also a moderate and republican, he voted against the Consulate for life, then was the only speaker to vote against the Empire on May 1, 1804.

From then on, deprived of all political influence, he refocused on the Académie des Sciences. In 1814, he was entrusted with the defense of Antwerp, a city of which he became mayor: he held on for a long time, and only agreed to hand over the city on the orders of Louis XVIII.

But a few months later, the Emperor returned to power for the Hundred Days, from March to June 1815. It was at this point that Lazare, who had finally been threatened with arrest to the point of hiding out on rue du Parc-Royal, was appointed Minister of the Interior on March 22, 1815. And as this ministry included Public Instruction in its remit, he was able to launch the educational project that was so close to his heart.



Three days after his installation at the Ministry, Lazare Carnot commissioned a study on education. It was inspired by the work of the « Société d’encouragement pour l’industrie nationale », headed by philanthropist Joseph Marie de Gérando, who had also been educated by the Oratorians in Lyon and was a proponent of Mutual Tuition.

Carnot and his faction then founded the « Société pour l’Instruction Elémentaire » (SIE) to promote this type of education. For Carnot and Grégoire, education and instruction should « elevate all individuals of the human species to the dignity of Man », educate as much as moralize, and spread love among men.

Lazare Carnot.

During the Hundred Days, Carnot had just enough time to prepare, in April 1815, a « comprehensive plan for popular education », followed by a decree and the creation of a Special Commission for Elementary Education, tasked with outlining prospects in this area, drawing inspiration from English and Dutch models.

Familiar with the « brigades » invented by Gaspard Monge at Polytechnique, where the best students supervised the others, Carnot was in favor of the system of mutual tuition in popular schools. For him, the issue was not alleviating the suffering of the poor or avoiding social chaos, but educating every citizen of the Republic, whatever his conditions, to have a functial Republic. After spreading to England and Switzerland, Carnot established mutual tuition in France. Convinced of the importance of music and linear drawing, he wanted pupils to be taught it.



With this in mind, he met several times with Alexandre-Étienne Choron (1771-1834), who had also been educated by the Oratorians, and brought together a number of children to perform several pieces learned in very few lessons. Carnot had also known the pedagogue Louis Bocquillon, known as Wilhem (1781-1832), for ten years. He also saw the possibility of introducing singing into schools, and together they visited the Mutual Tuition pilot project on rue Jean-de-Beauvais, which had opened in Paris to three hundred children. Starting from there, Wilhem created the mass musical movement known as « Orphéons ». (see article by Christine Bierre)

11. Hippolyte carries on the Torch

Lazare, a pupil of Gaspard Monde and a scientific mind of the highest order, had strong ideas about education that would shape the personalities of his sons, notably Hippolyte, the future Minister of Public Instruction in the Second Republic. For the two Carnots,

« all social institutions must aim at the physical, intellectual and moral improvement of the largest and poorest classes ».

More than « full heads », he aspired to turn his sons into « well-made heads », « to let us know the taste of good things rather than make us infallible about the meaning of words », in the words of his younger son. For Lazare, it was a matter of putting to the test in the family the educational principles he advocated for the nation.

Although he had little interest in « dead languages » and was more interested in living ones, Lazare introduced his children to Latin, which was once again a compulsory language in the imperial lycées created in May 1802. For the rest, while their father’s rich library introduced Sadi Carnot and his brother Hippolyte to the classics that were essential to the humanist culture on which secondary education was based, it also introduced them to other, more contemporary and innovative thinkers.

Among them, Hippolyte was interested in those who addressed educational issues, such as Rousseau, but also in more original philosophers like Saint-Simon (whose movement was attractive but became a cult after his lifetime), of whom Lazare Carnot said:

« Here is a man who is called extravagant, yet he has said more sensible things in his entire life than the wise men who scoff at him […]. But he is a very original, very bold mind whose ideas deserve the attention of philosophers and statesmen ». Evoking his father, Hippolyte would later say, « The lessons we received were all intended to make us, like the master who gave them, virtuous without effort, wise without system. »

Lazare Carnot sends Hippolyte to the Polytechnic Institution, 8 avenue de Neuilly. According to Dalisson,

« the young Carnot received a Spartan education where, while discipline did not exclude corporal punishment under the rule of ‘Inspecteurs généraux’, pedagogy was innovative. Pupils were divided into classes according to age, and teaching combined intellectual and physical education through programs that complemented their father’s education. Hippolyte thus perfected his reading, ancient and modern languages, literature, mathematics, physics and geometry, and acquired a taste for chronology, history, drawing, music, fencing and dance, proving himself an excellent student in every respect.« 

12. Exile of Lazare Carnot

Lazare Carnot.

After Napoleon’s second abdication, Lazare Carnot joins the provisional government. Exiled at the time of the Restoration, he was banished as a regicide in 1816 and retired to Warsaw, then to Magdeburg, where he devoted the rest of his life to study and, above all, the education of his children.

Dalisson: « when he’s not at school, he (Hippolyte) serves as secretary to his father, who continues his education ». In Magdeburg, « one of Carnot’s consolations was to complete the education of his young son, whose studies he directed more especially towards historical questions and social economics ». So it was in Prussia that Hippolyte found his way, abandoning the « hard » sciences to devote himself to philosophy in general, and political and social philosophy in particular. There, education had a privileged status since Frederick II had made primary education compulsory in 1763, envisaged a form of free education (for poor families) and created gymnasiums for secondary education. Enough to inspire Carnot père and fils to imagine how France could catch up.


Better still, as Dalisson points out:

« Prussia remains a kingdom which, like France a few years earlier, carried out a « levée en masse » (mass recruitment) in 1813 to drive out the invader. The link between popular education and national sentiment, between education and the economy, between liberalism and national education, is an obvious one, and ties in with the Carnot family’s educational ideals. That’s why, at the [prussian] government’s request, Lazare set up an educational project to create a « vocational school » in this distant host country. With the help of Hippolyte, he set up a complete teaching system for agriculture and industry. Although we have no trace of the text, it undoubtedly influenced the young man as much for his Parisian and liberal years as for his future ministry ».

13. Hippolyte with Abbé Grégoire

L’abbé Henri Grégoire.

Back in France, Hippolyte contacted his father’s old friends, notably Abbé Henri Grégoire. An emblematic figure in the fight for the emancipation of Jews and blacks, this « revolutionary bishop » called for the total abolition of privileges and advocated universal male suffrage.

In principle, Hippolyte approved. However, in practice, after observing the people’s infatuation with public executions, he discovers how easily a crowd can be led, even manipulated, by playing on irrationality, passion and impulses – all things that make the use of universal suffrage tricky, and can lead to dictatorship. He concludes that popular education must enlighten the people to bring them back to more fraternal and reasonable sentiments.

For Abbé Grégoire, as for Carnot père and fils, slavery must be abolished, nations must free themselves from Empires by recovering their sovereignty, and education must free citizens from ignorance, a set of subjects marvelously brought together in the iconography of the bas-reliefs on the base of the statue of Gutenberg in Strasbourg, a commemorative monument created by a friend of both Grégoire and Hippolyte, after Victor Hugo, the sculptor David d’Angers.

As a member of the Comité d’Instruction Publique, Henri Grégoire called for the generalization of the French language, as the Oratorians had done before him, and became the rapporteur for the abolition of the old academies and the creation of the Institut.

The opening of a whole series of « special schools », such as the Ecole polytechnique (1794) and the Institut des langues orientales (1795), the establishment of the Musée du Louvre (1793), the preliminary project for a Bibliothèque nationale (1790), the creation of the Bureau des Longitudes (1795), the introduction of new units of weights and measures, the metric and decimal systems, the extension of elementary schools to all communes and one of the jewels in the crown of this policy: the founding of the Conservatoire National des Arts et Métiers (1794), owed much of their success to the boundless energy of Abbé Grégoire.

The aim was to transmit technical knowledge to two types of audience. On the one hand, the « grandes écoles », aimed at the country’s new elites, provided high-level education to train scientists and engineers (École polytechnique, Ponts et chaussées, etc.) or the future teachers of the new public education system with the École normale (1794); on the other hand, schools designed for middle management in factories, good workers and workshop managers: this was the case of the écoles d’arts et métiers, heirs to the vocational school imagined in 1780 in Liancourt (60) by the Duc de la Rochefoucauld-Liancourt.

Grégoire also established several major institutions that still exist today, including, in addition to those already mentioned, the Natural History Museum (1793), the Royal Garden of Medicinal Plants (1793) and the Museum of French Monuments (1795).

Grégoire introduced the young Hippolyte to the Masonic lodge of which he was a member, Les Philadelphes. Inspired by Grégoire’s struggle, of which he would be the executor and about which he would publish a work towards the end of his life, Hippolyte, barely 23 years old, published « Gunima, an 18th-century African short story » (1824), a philosophical tale recounting the moral education of young Benjamin who, equipped with the principles of the Enlightenment, confronts his prejudices and the injustice of the slave and servitude regime of the so-called Hottentots of the Cape. Surprisingly modern, the story takes up the challenge of fraternity at a time when France was responding to Haiti’s demands for recognition.

True to the philosophy of Abbé Grégoire, he protested against the expulsion of Jews from Dresden, where they were forbidden to stay. Indignant, he tried to alert public opinion: since 1789, Jews have been French citizens like any others. He reaffirmed his faith in freedom of worship, which had enabled the emancipation of the Jews, and exclaimed:

« If we call a Jew someone who, from his mother’s womb, society condemns to the vilest slavery, who vegetates without rights in his homeland and serves as a breastplate for the insults of the rabble, to whom his actions deserve nothing (…) and who is relentlessly pursued by shame and contempt, then I am a Jew and always will be ».

14. Like Schiller, patriot and world citizen

From Dalisson‘s book:

Bronze medaillon of Schiller, by David d’Angers.



« Carnot’s position is summed up at a celebration in homage to the French Revolution on March 19, 1838 in Paris. In the name of ‘holy equality, solidarity between all peoples and all races of men in a spirit of fraternity’, he toasted ‘the abolition of slavery, the cessation of this awful scandal of humanity’.

« From that day on, he collaborated regularly with Victor Schoelcher, a journalist, Freemason, close to the Saint-Simonians and member of the same societies as himself, whom he would meet again three years later in the government of the Republic, then in exile. Schoelcher had been confronted with slavery in Cuba as early as 1828 and also believed that their emancipation should be gradual, before changing his mind and becoming a supporter of immediate abolition.

« Freedom must also apply to peoples and therefore to nations, because ‘the principle of all sovereignty lies in the nation’. A son of 1789, educated during the struggles for national emancipation, a student steeped in Romanticism, passionate about the revolts of the fifties and thirties before being caught up in the « Spring of the Peoples », Carnot placed his trust in the freedom of nations: « Salvation will come from peoples uniting to overcome the common enemy, despotism. If liberated nations and peoples manage to get along and unite, they will even build ‘United Europe’.

« Throughout the century, he would support all national struggles, and hence national unity, against empires that oppressed minorities. For nationality ‘is the human right proclaimed in 1789, the right to group together according to one’s affinities of character, tradition, race and language, and is basically LIBERTY itself’.

Even after the 1870 war, he was convinced of a kind of « right of peoples to self-determination » in a Europe founded on the freedom of peoples.

In his writings on foreign policy, notes Dalisson, he regularly recalled Friedrich Schiller‘s maxim: « Man is created free, he is free, even if he is born in chains. (…) Do not tremble before the free man. This freedom of peoples and nations must even be based, horresco referens, on the necessary reconciliation between France and Germany, two neighboring peoples who have been separated by the vicissitudes of history, but who are « two friends who have been divided by long quarrels and who need to explain themselves ».

15. The 1830 Revolution

Hippolyte Carnot with his rifle on the barricades, drawing of Cham.

The Revolution of 1830, also known as the July Revolution or the « Three Glorious Days », took place in Paris on July 27-28-29, 1830. Parisians, at that time the foremost revolutianary citizenry, rose up against the reactionary policies of King Charles X’s government. One of them, was Hippolyte Carnot who had transgressed his legendary moderation, took a rifle and joined those on the barricades. The question immediately arose: « What should replace the king? » Many intended to restore the Republic.

On July 30, deputies and journalists in favor of the Duc d’Orléans put up posters recalling the « patriotic » past of the duke, a veteran of Valmy who claimed to be in line with the ideas of George Washington, and his commitment to the future: he would be « a citizen-king ».

Unconditionally, the representatives of the people (95 deputies present in Paris) proposed that the Duc d’Orléans be appointed Lieutenant-General of the kingdom.

On July 31, he accepted the position and went to Hôtel de Ville in Paris, the Republican headquarters. There, before a gathered crowd, he was embraced by La Fayette, both wrapped in the tricolor flag. Lafayette felt that a gradual transition to a republic could only be achieved through a constitutional monarchy. On August 9, the deputies amended the Charter of 1814 to become the constitutional « charter » of 1830, and the Duc d’Orléans was proclaimed « King of the French » under the name of Louis-Philippe I.

La Fayette donne l’accolade au duc d’Orléans au balcon de l’hôtel de ville de Paris, le 31 juillet 1830.

Hippolyte Carnot, always a moderate, believed in « representative democracy » and was elected three times as a deputy under the Monarchy of 1830. A spokesman of the opposition to the regime, he prepared for what was to come.

16. Minister of Public Instruction under the Second Republic (1848)

Hippolyte Carnot.

After an initial attempt to re-establish republican values, neutralized by Louis-Philippe’s « Coup d’état » in 1830, the uprisings of 1847-48 succeded in February 1848 with the formation, at Paris City Hall, of the « Provisional Government » led by several friends of Hippolyte Carnot, to establish the « Second Republic ».

The provisional government’s first measures were intended to break with the previous period. The death penalty was abolished in politics. Corporal punishment was abolished on March 12, and « contrainte par corps » (imprisonment for debt) on March 19.

On March 4, a commission was set up to resolve the problem of slavery in the French colonies. Under the aegis of the Minister of Colonies, the Republican astronomer François Arago, a close friend of Alexander von Humboldt, and whose Secretary of State was Victor Schoelcher, its work led to abolition on April 27.

In the political sphere, the changes were significant. Freedom of the press and of assembly were proclaimed on March 4. On March 5, the government instituted universal male suffrage, replacing the censal suffrage in force since 1815. In one fell swoop, the electorate rose from 250,000 to 9 million…

This democratic measure made the rural world, which accounted for three-quarters of the population, the master of political life for many decades to come. Elections for a Constituent Assembly are scheduled for April 9. Lafayette’s National Guard, previously reserved for notables and shopkeepers, was made accessible to all citizens.

February 24, 1848, letter by Lamartine appointing Hippolyte Carnot as Minister of Public Instruction and religious cults.

The provisional government proposed appointing Hippolyte Carnot to the Ministry of War or the Interior; he declined the offer, but accepted the Ministry of Public Instruction (which Victor Hugo had just refused), to which was added the Ministry of Religious Affairs, which until then had been the responsibility of the Ministry of Justice. Carnot’s desire to see cults be part of public education was based not only on his lack of hostility to the Church, but also on his belief that a close alliance between the Republic and the lower clergy was the best guarantee of progress.

« I myself, » he wrote, « have religious sentiment too deeply engraved in my heart not to be and not to want those around me to be full of deference towards the ministers of all religions. » And again: « My constant efforts have been aimed at reattaching the lower clergy to the Republic. The minister of religion and the schoolmaster are, in my eyes, the columns on which the republican edifice must rest. »

17. Hippolyte Carnot’s reforms

Carte de l’alphébatisation en France en 1867.
En s’appuyant sur le degré d’instruction des Français à l’âge du mariage, cette carte met en
évidence une grande disparité entre les régions. Ainsi, le taux d’alphabétisation des
habitants du nord et de l’est est-il nettement supérieur à celui des habitants du sud et de
l’ouest. La France alphabétisée est celle des grandes villes, des campagnes riches et des
populations denses.

During his very short ministry, armed with an overall vision that had been carefully thought through and prepared in advance, he announced, sometimes several times a week, republican reforms of all the major areas of education, from early childhood through to adults, including teacher training, senior civil servants and all citizens. Declaring in his preparatory notes that « it is important that the various levels of the education system integrate into each other, leading directly from one to the other ».



A. Nursery schools

Nursery School in the XIXth Century.


For Carnot, « salles d’asile » were little more than charitable establishments run by nuns. Little was done to educate infants. Their name, reminiscent of misery and almsgiving, was replaced on April 28 by « nursery school ». « The child should find there the education he cannot receive from his mother, i.e. the care of the body, the language of feeling, and those little exercises intended, not yet to furnish the intelligence, but only to open it up ».

In the minds of Jean Reynaud (Under-Secretary of State for Public Instruction) and Carnot, the asylum was neither a school of instruction, nor a place of refuge for children deprived of their parents. At the same time, a « normal nursery school » was set up in Paris, for pupils aged between twenty and forty.

B. Primary schools

The sign says it all: « The people having the best schools are the first people, if they are not today, they will be so tomorrow. »


As early as February 27, in a circular to the rectors, Carnot expressed his intention to improve the condition of primary school teachers: « The condition of primary school teachers is one of the main objects of my solicitude…. It is to them that the foundations of national education are entrusted. It is not only important to raise their status through a fair increase in their salaries; the dignity of their function must be enhanced in every way…. Instead of sticking to the education they have received in elementary school, they must be constantly encouraged to improve it… There is nothing to prevent those who are capable of doing so from rising to the highest echelons of our hierarchy. Their lot in terms of advancement cannot be inferior to that of soldiers; their merit is also entitled to conquer ranks… However, to ensure that all are encouraged to emulate each other in such a glorious way, intermediate positions must be guaranteed. This will naturally be achieved by extending the teaching of mathematics, physics, natural history and agriculture to higher elementary school. In the name of the Republic, primary school teachers will therefore be invited to prepare themselves for the recruitment of staff for these schools. This is one of the complements to the establishment of primary teacher training colleges. It is in the interest of the Republic that the doors of the university hierarchy should be opened as wide as possible to these popular magistrates ».


On June 30, the Minister therefore tackled primary education. Before him, the ordinance of February 29, 1816 had marked a turning point. It established a cantonal committee to oversee schools and, in article 14, obliged communes, without giving them the means to do so, to « ensure that the children who live there receive primary education, and that indigent children receive it free of charge ». In short, primary education was left entirely to the communes, which in turn, for lack of premises and resources, called on religious congregations.


The minister therefore proposed « to raise the status of teachers by transforming them from commune officials into state officials », to emancipate them from local potentates, parents and clerics. For « it is certainly necessary that the teacher be accepted in his commune, but if he depends too much on it, he is not considered enough. It is therefore important that he cannot be capriciously dismissed ». With this in mind, he abolished the « certificate of morality », which had tied schoolteachers to the Church and, incidentally, to the government.


In addition to the compulsory schooling (for both sexes and for communes of at least 300 inhabitants) and total free education already mentioned, he wanted to complete the curricula to form a « uniform core curriculum (…) designed to review everything and serve to determine vocations », prefiguring the school of Jules Ferry and going further than just reading, writing and arithmetic.

In addition to national history and geography, several of Carnot’s favorite subjects, singing, natural history and linear drawing – three subjects designed to develop and educate – there are several specific features to be found in the new texts. The first, which would be taken up again thirty years later, is a kind of civic instruction that the Minister describes as « the duties and rights of man and citizen, the development of feelings of liberty, equality and fraternity (…), the basis of a civic education for the republican education of the country ».

Hippolyte had been elected to the Constituent Assembly on April 23, 1848. When, on May 10, 1848, the « Executive Commission » (May 9 – June 28, 1848) replaced the « Provisional Government » (February 24 – May 9, 1848), he retained his portfolio; but the executive, « in order to strengthen the revolutionary element », appointed Jean Reynaud (1806-1863), a former Saint-Simonian like himself, also elected as a representative, as Under-Secretary of State: I knew the real moderation of his principles, » Carnot wrote; « he knew the firmness of mine, and together we laughed at the role they were trying to assign him« . Edouard Charton (1807-1890), also a former Saint-Simonian and now a member of the Assembly, resigned as Secretary General, but continued his good offices without an official title.

Among Carnot’s actions in this second period of his ministry, we should mention the tabling, on June 3, of a draft decree opening a credit of 995,000 francs, intended to increase, for the second half of 1848, the salaries of those primary schoolteachers whose fixed and contingent salaries remained below six hundred francs; and a second credit, of 105,000 francs, intended to assist, during 1848, female communal schoolteachers whose fixed and contingent salaries remained below four hundred francs (the decree was voted on July 7).


C. Explanatory memorandum to the June 1848 School Act

The drafting of the primary education law continued in a small committee, charged with coordinating the work prepared by the High Commission. It was completed in the course of June, but the submission of the draft, delayed by events, could only take place on June 30, 1848. The explanatory statement reads as follows:

« Citoyens représentants, the difference between the Republic and the monarchy should nowhere be more profoundly demonstrated, in the field of public education, than in what concerns elementary school. Since the free will of the citizens must henceforth give the country its direction, it is on the proper preparation of this will that the future salvation and happiness of France will depend.
« The purpose of primary education is thus clearly defined. It is no longer simply a matter of equipping children with the notions of reading, writing and grammar; the State’s duty is to ensure that all children are brought up to be truly worthy of the great name of citizen that awaits them. Primary education must therefore include everything necessary for the development of the human being and the citizen, as the current conditions of French civilization allow us to conceive them. At the same time as introducing a greater body of knowledge into this teaching, it must also contribute more directly to moral education, and particularly to the consecration of the great principle of fraternity that we have inscribed on our flags, and which it is essential to make penetrate and live everywhere in people’s hearts if it is to be truly immortal.
« It is here, citizens, that primary education joins religious education, which is not the responsibility of the schools, but to which we sincerely appeal, to whatever religion it relates, because there is no more solid and general basis for the love of men than that which is deduced from the love of God.
« The establishment of the Republic, in giving primary education this new tendency, also required, as natural consequences, two important measures, which are to make this education free and compulsory.
« We want it to be compulsory, because no citizen can be exempted, without damage to the public interest, from an intellectual culture recognized as necessary for the proper exercise of his personal participation in sovereignty.
« We want it to be free, because we want it to be compulsory, and because there should be no distinction between the children of the rich and those of the poor in the schools of the Republic.
« We ask you to proclaim the freedom of education, i.e. the right of every citizen to communicate to others what he knows, and the right of the father of a family to have his children brought up by the teacher of his choice. We consider the declaration of this right as one of the legitimate and sincere applications of the word of liberty that our Republic has enthusiastically thrown into the world (…). (…) It even seemed to us that it would not be the least of the means of raising the standards of public schools to allow private schools to flourish, on condition that in this career of emulation, the former did not lack any favorable chance (…) In a word, citizens, the idea according to which we have directed ourselves has been the continual union of the principle of authority with that of liberty. (…) It is in this conciliation between two equally respectable principles that the whole spirit of the law we have the honor of submitting to you consists. »


Source : Hippolyte Carnot, Bulletin des lois, 1848


D. Schoolteachers called to enlighten the countryside

At the plebiscite of May 8, 1870, the vote ratyfying Napoléon III was overwhelming: 7,358,000 « yes » versus 1,538,000 no, thanks in particular to the rural vote lacking basis education. Cartoon of Cham in Le Charivari of May 18, 1870.

On March 5, a decree set April 9 as the date for convening the electoral assemblies for the appointment, by universal suffrage, of the « Constituent Assembly », which would sit from May 4 to 26. These were the first elections since 1792 to be held by universal male suffrage.

By decision of the Second Republic, the number of voters, which rose to 9,395,035, was multiplied by 40 !


However, as we have said, while Hippolyte Carnot was theoretically in favor of universal suffrage, with the vast majority of French people uneducated, the expression of the vote was likely to lead to disaster. No part of primary education, he writes, « has been more neglected under previous governments than the training of children as citizens ». As a result, many of the voters who have just been invested with the right to vote by the decree of the provisional government are not, especially in the countryside, sufficiently educated in the interests of public affairs.

To try and enlighten these voters about their rights and freedoms, Carnot appealed to schoolteachers:

« Encourage those around you who are capable of such a task to compose short manuals for your schoolteachers, with questions and answers, on the rights and duties of citizens. See to it that these books reach the teachers in your jurisdiction, and that they become in their hands the text of profitable lessons. This is what is going to be done in Paris before my eyes; imitate it. Let our 36,000 primary schoolteachers rise to my call and immediately become the repairers of public education for the rural population. May my voice reach even our last villages! I beg them to do their part in founding the Republic. It’s not a question of defending it against the danger of its borders, as it was in the days of our fathers; it’s a question of defending it against ignorance and lies, and it’s up to them to do this. New men, that’s what France needs. A revolution must not only renew institutions, it must also renew men. You change your tools when you change your work. This is a fundamental principle of politics. But schoolteachers, in enlightening voters, must not only teach them to choose the representatives most capable of consolidating the democratic regime; they can do more: « Why shouldn’t our primary schoolteachers put themselves forward, not only to teach this principle, but to take their place among these new men? There are some, I have no doubt, who are worthy: let a generous ambition ignite in them; let them forget the obscurity of their condition; it was most humble under the monarchy; it becomes, under the Republic, most honorable and most respected (…) Let them come among us, in the name of these rural populations in whose bosom they were born, whose sufferings they know, whose misery they share only too much. Let them express within the legislature the needs, wishes and hopes of this element of the nation, so vital and so long neglected. Such is the new service which, in these revolutionary times, I claim from the zeal of Messieurs les instituteurs primaires. »

These were words the like of which France had not heard since Year II. They caused deep emotion; they put the flame in the heart of all that was young and generous in the primary teaching staff, at the same time as they produced the most lively irritation in the conservative camp. Furious, Léon Faucher wrote to a friend on March 7: « Read Carnot’s circular to the rectors. It’s a masterpiece of madness!« 

The Minister’s call for textbooks on the rights and duties of the citizen was heard. In several académies, rectors had civic education catechisms written and published. In Paris, the historian Henri Martin published a Manuel de l’instituteur pour les élections; the philosopher Charles Renouvier published, under the auspices of the Minister, a Manuel républicain de l’homme et du citoyen: both works were sent to the rectors and distributed by them.

Their electoral efforts were not crowned with success. The elections finally held on April 23 gave a majority to the moderates (« camouflaged monarchists » and « moderate republicans »). The « advanced » Republicans, including Carnot, were clearly defeated. The new assembly met on May 4. It proclaimed the Republic and put an end to the existence of the provisional government. It elected an « Executive Commission » from which the most progressive elements of the provisional government were excluded.


E. Secondary Education


Then, on February 28, a circular outlined the program of the Minister and his collaborators, « unfolding the general principles of our undertaking », said Carnot. It read:

« It is necessary, in the interests of society, that a certain number of citizens should receive knowledge beyond that which is sufficient to ensure human development. The establishment of secondary education is the answer. The republican government intends to recruit these essential agents from the mass of the people. It is therefore necessary to ensure that the doors of secondary education are not closed to any of the elite students who perform in primary schools. All necessary measures will be taken in this respect. – It is only in the higher schools that the principle of specialization, cautiously prepared for in the others, should fully take shape. No one can be denied access to the lessons of these schools; but it is with a view to students worthy of serving the general interest that they must be instituted. Only the decision of examinations can confer full rights. »

F. School of Administration


A decree dated March 8, 1848 announced that a:

« School of Administration, intended for the recruitment of the various branches of administration hitherto lacking preparatory schools, will be established on a basis similar to that of the Ecole Polytechnique ».

For Carnot, the aim was to create a home capable of « radiating » the « republican light » throughout France, by promoting the philosophical values of human rights. It was not up to the private sector, but rather the State, to establish « a seedbed for public service » by training administrators who would devote themselves body and soul to the general interest. In the absence of sufficient subsidies, the school was set up in a dilapidated building, the former Collège du Plessis, and the Ministry provided the chairs; students were required to attend lectures at the Collège de France, which were then repeated and commented on by lecturers. The curriculum was eclectic: alongside vocational training, « a large part was devoted to scientific studies, but also to literary studies, which furnish the intellect and give it breadth ». Unlike today’s ENA, this school did not teach « management » and statistics, but architecture, drawing, art history and oriental religions. Caught up in the political turbulence, this school did not survive the minister who founded it, but it would go on to become a benchmark.

G. High Commission for Scientific and Literary Studies

In preparation for a new law on primary education, and to find solutions to the new issues that were arising, Carnot set up a High Commission for Scientific and Literary Studies, chaired by Jean Reynaud, and including « the most notable men and friends of progress in the sciences, letters, administration and, above all, teaching ». Among the 45 members of the Commission were songwriter Pierre-Jean de Béranger, Boussingault, Henri Martin, Poncelet, Edgar Quinet and Charles Renouvier.

H. Lifelong Education for all

Paris, evening courses for adults.


In terms of education, the situation in 1848 remained disastrous. Out of 300,000 conscripts, more than 112,000 could neither read nor write. Among the oldest, the proportion was even higher. Hence the decree of June 8, which instituted public evening readings in Paris, « intended to popularize knowledge of the masterpieces of our national literature ». These readings were to take place twice a week, « in various venues located, as far as possible, in the most populous districts of Paris ».

The Minister’s priority target is the peasants – two-thirds of the population – who have no association structures and are far from the towns and schools. It was they who had to be converted by reading, the key to education and emancipation, and brought into the schools:

« The teachers, now librarians, will read to them, aloud and intelligibly, and will be able to instruct them, interest them and (…) enthuse them about the political life of the country. Teachers, according to their availability, will provide general instruction in agricultural matters and readings in the schoolhouse or town hall, for civics and even literature. »

I. People’s Libraries


Based on the observation that « we lack reading books for the people as there are elsewhere », the Minister set up a vast public network of communal libraries of all sizes. He commissioned the publisher Paulin to assemble collections of the widest possible variety of books in every city district and rural canton, and make them available to the public free of charge. He also created a whole range of complementary establishments, such as special libraries near faculties, to make the most learned knowledge available to as many people as possible. Based on an idea by Jules Simon, he set out to create popular and rural libraries, which he renamed « circulating collections », with teachers who would « travel to small villages and bring to isolated children the instruction they could not find elsewhere ». The « missionary librarians » of these itinerant establishments would be « teacher-curators of the little people’s library », guiding the public, checking loans and reading on demand.

The creation of an official Service des lectures publiques du soir in the spring of 1848 should be seen in this bibliophile light. The aim was always the same: to give the best to the people. As Émile Deschanel explains:

« The Minister of the Republic wanted the sovereign people to have their own readers and teachers too. This service, as political as it is moral, is reminiscent of the sessions organized by philanthropists and Saint-Simonians, intended to replace cabarets and over-served balls. They would enable the worker (and later the peasant) tired « of daily toil to find a convenient asylum, a pleasure that would carry with it instruction, good advice and the familiarity of the great minds of our race ».

The aim was to popularize heritage texts and, if necessary, to comment on them in order to « nobly instruct listeners while amusing them », as the former Saint-Simonian Sainte-Beuve put it. The program of these readings must be varied to avoid fatigue. The great classics such as Corneille and Molière alternated with Michelet-style history, which had an obvious civic function, and comedies or songs such as those by Béranger.


The first Parisian screenings, attended by respectful workers and craftsmen, were a success « in an attentive silence where the slightest impressions were painted on faces ». The Minister noted amused reactions to the comedies, patriotic ones to the evocation of great battles such as Crécy, critical ones to the pompous style and bewildered ones to the Fables de la Fontaine. With this in mind, the Ministry envisaged the creation of a free Athénée based on the German and American models. The idea would be to bring together a handful of teachers in an amphitheater or former auditorium to offer free tuition, open to all and delivered by « pioneers in as yet unexplored fields » of science and technology.

J. Fine Arts, Hygiene and Gymnastics

In addition to « elements of national history and geography », he added French, public law and hygiene, not forgetting gymnastics to improve the health of the most disadvantaged. This was the adult version of what the new school and republican instruction would offer all French children. These courses should even bring art within everyone’s reach, through the promotion of heritage: « Is there a more powerful means of popular education? » he says, referring to art in general and the Beaux-Arts in particular.


In concrete terms, on March 29, the Minister and thirteen teachers founded the Association Philotechnique to provide workers with the professional and technical knowledge required for modern trades. The association agreed on courses in geometry, grammar, algebra, mechanics and drawing, to be given in the rooms of the Halle aux draps, and later at the École Turgot. Teachers from Parisian high schools are the first to be called on by the association to complete the training in history and law. The experiment began in early April, with 150 dyer-workers from the faubourg Saint-Marcel learning about science in the amphitheater of the pharmacy school. Vocational training soon spread to the provinces, including Orléans, before disappearing in the tumult of June.

Carnot wanted to go further, and envisaged « club-schools » based on the Scottish model of « Mechanic-institutions », i.e. lecture halls, libraries and permanent courses for workers in buildings adjoining factories. Keeping abreast of Braille’s work, he also took an interest in the deaf and blind, for whom he intended to multiply the number of specialized institutions under his ministry, rather than the Interior.

K. Citizen Concord

To crown this democratization, Carnot considered one of the Revolution’s most original methods: civic education through public festivals. At the end of February, he had already tested their civic virtues by taking part in the planting of a Tree of Liberty, a ritual practice in 1848, in the gardens of Saint-Nicolas in Paris. In this establishment specialized in the education of workers’ children, the ceremony was placed under the sign of the Three Colors. The clergyman blessed the tree, as is customary, in the presence of the mayor of the arrondissement. The Minister’s speech was edifying:

« The tree you are planting is as young as the Republic itself (…) It will spread its branches over you, just as the Republic will spread the benefits of popular education over France. (…) Good pupils become good citizens ».


The Minister of Education was also impressed by the « Fête de la Concorde » on March 21, between the Bastille and the Champ de Mars, with its parades, civic statuary, reviews of industrial works, hymns to the Republic and reformist enthusiasm. This civic pedagogy seemed effective to him, thanks to its symbolic representation of the regime and its « crowd of men obeying a common inspiration ».

18. Conclusion

Hippolyte Carnot.

By way of conclusion, here’s the end of that of Remi Dalisson, whose magnificent biography of Hippolyte Carnot we highly recommend:


« His practice is his legislative texts on instruction, including school curricula, as varied as they are innovative, like those of his School of Administration or the ‘nursery school’. They make Carnot the undisputed precursor of Jules Ferry and the educational and civic project of the Third Republic. His laws and decrees were designed (…) to emancipate children and turn them into active, critical citizens in a peaceful, moderate and socially fluid democracy, under the aegis of restored teachers, symbols of the new times.

« His practice was his fights and commitments, first and foremost in the opposition, to which he belonged for a long time. His early writings against the death penalty, his participation in the events of 1830, his role in the 1848 Assembly, his fight for teachers, for whom he spent lavishly, and his voluntary exile are all worthy of note. (…)

« In a century crushed by the memory of two world wars, by the erasure of the Republic under Vichy and then by decolonization and the fall of Communism, forgetting 1848 and its social and educational hopes speaks volumes about our mental structures and our memory. This kind of amnesia, which does not prevent the often anachronistic sacralization of the republican corpus, has consigned Hippolyte Carnot and the whole of the 19th century to a sad oblivion. The period no longer evokes much of anything, apart from the occasional spotlight. It has even been sacrificed in teaching, as if only the 20th century were worthy of study.

« At a time when the French educational model is being called into question, when the republican school is doubting its missions, when secularism is also being discussed and when teachers feel abandoned, it is more necessary than ever to understand the roots of an educational system intimately linked to the republican regime. To this end, at the dawn of the 21st century, a reappraisal of the life and work of Hippolyte Carnot, a staunch defender of freedom, schools, Clio and the Republic, can lay the foundations for renewed, civic-minded reflection on the school system.« 

19. Appendix: list of works by Hippolyte Carnot

  • Gunima, an 18th-century African short story (Paris, Barba, 1824).
  • Le Gymnase, a collection of morals and literature (Paris, Balzac, 1828).
  • Doctrine de Saint-Simon (Brussels, Hauman, 1831).
  • Mémoires de Grégoire, Évêque constitutionnel de Blois (Paris, Dupont, 6 vols., 1837-1845).
  • Quelques réflexions sur la domesticité (Paris, Henry, 1838).
  • Rapport sur la législation qui règle dans quelques états d’Allemagne les conditions de travail des jeunes ouvriers (Paris, Imp. Royale, 1840).
  • Mémoires de Barère de Vieuzac (avec David d’Angers) (Paris, Labitte, 4 volumes, 1842-1844).
  • L’Allemagne avant l’invasion française (Fragments*, Paris, Revue indépendante, 1842).
  • L’Allemagne pendant la Révolution (Fragments*, Paris, Revue indépendante, 1843).
  • Les Esclaves noirs (Paris, Magasin pittoresque, 1844).
  • De l’esclavage colonial (Paris, Revue indépendante, 1845).
  • Les Radicaux et la Charte, (Paris, Pagnerre, 1847).
  • Le Ministère de l’Instruction Publique et des Cultes, 24 février-5 juillet 1848 (Paris, Pagnerre, 1848).
  • Éducation républicaine, (Paris, Prost, 2 vols., 1849).
  • L’insurrection littéraire en Allemagne (Fragments*, Paris, Liberté de penser, 1848).
  • Le Mémorial de 1848, (Paris, Revue indépendante, n.p. 1849).
  • Doctrine saint simonienne (Paris, Librairie nouvelle, 1854).
  • Mémoires sur Lazare Carnot par son fils (Paris, Pagnerre, 1861-63, reed. in 1893 and 1907, Hachette).
  • Œuvres de Saint-Simon by Enfantin, preceded by two historical notes by H. Carnot (Paris, Dentu, 1865).
  • La Révolution française, résumé historique (2 vols., Paris, Dubuisson et Pagnerre, 1867).
  • L’Instruction populaire en France (Paris, Degorce-Cadot, 1869).
  • Trois discours sur l’instruction publique, (Paris, Degorce-Cadot, 1869).
  • Cours de l’association philotechnique pour l’instruction gratuite des adultes (Paris, Parent, 1872).
  • Ce que serait un nouvel Empire (Paris, Société du patriote, Bibliothèque utile, 1874).
  • Lazare Hoche, général républicain (Paris, Société du patriote, Bibliothèque utile, 1874).
  • D’une École d’Administration (Versailles, Aubert, 1878);
  • Henri Grégoire, évêque républicain (Paris, Libraire des publications populaires, 1882).
  • La Révolution française (Paris, Boulanger, 1888).
  • Les premiers échos de la Révolution française au-delà du Rhin (Paris, Picard, 1888).

20. Short list of books and articles consulted

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Raphael 1520-2020: What Humanity can learn from « The School of Athens »

On the occasion of the five-hundredth anniversary of the death of the Italian painter Raffaello Sanzio da Urbino (1483-1520), several exhibitions are honoring this artist, notably in Rome, Milan, Urbino, Belgrade, Washington, Pasadena, London, and Chantilly in France.

The master is honored, but what do we really know about the intention and meaning of his work?


Introduction

Raphael, portrait of a young boy.

There is no doubt that in the collective mind of the West, Raphael, along with Michelangelo and Leonardo da Vinci, appears as one of the most brilliant artists and even as the best embodiment of the « Italian Renaissance”.

Although he died at the age of 37, Raphael was able to reveal his immense talent to the world, in particular by giving birth, between 1509 and 1511, to several monumental frescoes in the Vatican, the most famous of which, 7.7 meters long and 5 meters high, is known as The School of Athens.

The viewer finds himself inside a building that brings together the thoughts of all mankind: united in a timeless space, fifty philosophers, mathematicians and astronomers of all ages meet to discuss their vision of man and nature.

French National Assembly.


The image of this fresco embodies so powerfully the « ideal » of a democratic republic, that in France, during the February 1848 revolution, the painting representing Louis Philippe (till then hanging behind the President of the National Assembly) was taken down and replaced by a representation of Raphael’s fresco, in the form of a tapestry from the Manufacture des Gobelins, produced between 1683 and 1688 at the request of Jean-Baptiste Colbert, the founder of the French Academy of Sciences.

Then, in France, arrived the idea that Raphael, being « the Prince of painters », embodied « the ultimate artist ». Superior to Rubens or Titian, Raphael was thought to have achieved the subtle « synthesis » between the « divine grace » of a Leonardo da Vinci and the « silent strength » of a Michelangelo. What more can be said ? A true observation as long as one looks only at the purity of the « forms » and thus of the « style ». Adored or hated, Raphael was erected in France as a model to be imitated by every young talent attending our Academies of Fine Arts.

Hence, for five centuries, artists, historians and connoisseurs have not ceased to comment and often to confront each other, not on the intention or the meaning of the artist’s works, but on his style! In a way akin to some of our contemporaries who adore Star Wars and its special effects without paying attention to the ideology that, underhandedly, this TV series conveys…

For this brand of historians, « iconography », that branch of art history which is interested in the subjects represented, in the possible interpretations of the compositions or particular details, is only really useful to appreciate the « more primitive » paintings, that is to say that of the « Northern Schools »…

One knows well, especially in France, that once the « form » takes the appearance of perfection, it does not matter what the content is! This or that writer tells abject horrors, but « it is so well written! »

The good news is that in the last twenty years or so, a handful of leading historians and especially female art historians, have undertaken and published in depth new research.

I am thanking in particular of Marcia Hall (Temple University), Ingrid D. Rowland (University of Chicago), Reverend Timothy Verdon (Florence and Stanford), Jesuit historian John William O’Malley, and especially Christiane L. Joost-Gaugier.

The latter’s book Raphael’s Stanza della Signatura, Meaning and Invention (Cambridge University Press, 2002), which I was able to read (thanks to the pandemic lockdown), allowed me to adjust some of the leads and intuitions I had summarized in 2000 in, let’s be honest, a rather messy note.

If my work had consisted in trying to give some coherence to what is in the public domain, through their assiduous archival work in the Vatican and elsewhere, these historians, for whom neither Latin nor Greek have any secrets, have largely contributed to shed new light on the political, philosophical, cultural and religious context that contributed to the genesis of Raphael’s work.

Enriched by these readings, I have tried here, in a methodical way, to « make readable » what is rightly considered Raphael’s major work, The School of Athens.

Instead of identifying and commenting from the outset on the figures we see in the Stanza della Segnatura (« Room of the Segnatura” of the Vatican in Rome), I have chosen first to sketch a few backgrounds that serve as “eye-openers” to penetrate this work. For, in order to detect the painter’s intentions, actions and feelings, it is essential to penetrate the spirit of the epoch that engendered the artist’s: those days political and economic challenges, the cultural heritage of Rome and the Church, a close-up on the pope who commissioned the work, the philosophical convictions of the advisors who dictated the theme of the work, etc.

However, if all this seems too tedious for you dear reader, or if you are just eager to familiarize yourself with the work, nothing prevents you from going back and forth between the deciphering of the frescoes at the end of this article (Guided visit) and the contextualization that precedes them.

Cleaning our eyeglasses

General view of two of Raphael’s four frescoes decorating the Chamber of the Signature.


To see the world as it is, let’s wipe our glasses and stop looking at the tint of our glasses. For as is often the case, what « prevents » the viewer from penetrating a work, from seeing its intention and meaning, is not what his eyes see as such, but the preconceived ideas that prevents him from looking at the outside world. Learning to see usually starts by challenging some of our preconceptions.

1. It’s not a easel painting! Since the 16th century, we Europeans have been thinking in terms of « easel paintings » (as opposed to mural). The artist paints on a support, a wooden panel or a canvas, which the client then hangs on the wall. However, The School of Athens, as such, is not a « painting » of this type, but simply, in the strict sense, a part or a « detail » of what we would call today, « an installation ». I explain myself. What constitutes the work here is the whole of the frescoes and decorations covering the ceiling, the floor and the four walls of the room! We will explain them to you. The viewer is, in a way, inside a cube that the artist has tried to make appear as a sphere. So, to « explain » the meaning of The School of Athens, in isolation from the rest and without demonstrating the thematic and symbolic interconnections with the iconography of the other walls, the ceiling and the floor, is not only an exercise in futility but utter incompetence.

2. Error of title! Neither at the time of its commission, nor at the time of its realization or in the words of Raphael, the fresco carried the name “School of Athens”! That name was given later. Everything indicates that the entire room covered with frescoes was to express a divine harmony uniting Philosophy (The School of Athens), Theology (on the opposite side), Poetry (on its right side) and Justice (on its left side). We will come back to that.

3. The theme is not the artist’s choice!
The only person who met both Raphael and Pope Julius II during his lifetime was the physician Paolo Giovio (1483-1552) who arrived in Rome in 1512, a year before the death of Julius II. According to Giovio, it was the pontiff himself who, as early as 1506, that is, two years before Raphael’s arrival, conceived the contents of the « Signing Chamber ». This is logical, since it was the place where he installed his personal library, a collection of some 270 books, arranged on shelves below the frescoes and classified according to the themes of each wall decoration (Philosophy, Theology, Poetry and Justice). However, given the complexity of the themes, and given Julius II’s poor literary culture, historians agree that the intellectual authorship of the frescoes was attributed to the pope’s advisors and especially to the one who would have been able to synthesize them, his chief librarian, Thomaso Inghirami (1470-1516).

Raphael, who seems to have constantly modified his preparatory drawings according to the feedback and comments he received from the commissioners, was able to translate this theme and program into images with his vast talent. In short, if you like the images, congratulate Raphael; if you like or don’t like the content, talk to the « boss ».

On the far right side of The School of Athens, Raphael and Il Sodoma seem to co-sign the fresco.

4. Painted by several people? What remains to be clarified is that, according to Vatican accounts, the entire decoration of the room was entrusted in mid-1508 to the talented fresco artist Giovanni Antonio Bazzi (1477-1549), six years older than Raphael and known as Il Sodoma. He appears to be the only person to have received any money for this work. Raphael does not appear in these accounts until 1513…

However, as the cycle of frescoes on the life of St. Benedict in the territorial abbey of Santa Maria in Monte Oliveto Maggiore testifies, Sodoma also had considerable talent, and above all, an incomparable know-how in fresco technique. Although he has never been honored, his style is so similar to Raphael’s that it is hard to mistake him.

Portrait of Pietro Aretino by the Venetian painter Titian.

It should also be noted that Sodoma, who came to Rome at the request of the pope’s banker Agostino Chigi (1466-1520), was asked to decorate the latter’s villa in 1508, which would have given Raphael free rein in the Vatican before joining him on the same site.

According to the french historian Bernard Levergeois, the sulphurous Pietro Aretino (1495-1556), a pornographic pamphleteer, before becoming the protégé and « cultural agent » of the banker Chigi in Rome, spent many years in Perugia.

There he took interest in the young pupils of Pietro Perugino (c. 1448-1523), Raphael’s master, and, says Levergeois, it was there that he

met the most prestigious painters of the day: Raphael, Sebastiano del Piombo, Julius Romano, Giovanni da Udine, Giovan Francesco Penni and Sodoma, all of whom took turns decorating the magnificent villa (the Farnesina) that Chigi had built in Rome. Some of them also worked on the no less famous Villa Madam (for pope Julius II), a grandiose project that was never completed.

Aretino as he appears in Michelangelo’s fresco in the Sistine Chapel.

As seen in the portrait painted by Titian, Aretino, nicknamed « the scourge of Princes », was a powerful, possessive and tyrannical character. A blackmailer, a flamboyant pansexual and well-informed about what was going on in the alcoves of the elites, he worked himself up, like FBI boss Edgar Hoover in the Kennedy era, as a king-maker, a power above power. Historians report that both Raphael and Michelangelo, before showing their works to the public, felt compelled to seek the advice of this pervert Aretino.

And in the Sistine Chapel, Michelangelo depicts St. Bartolomeo in the guise of the Aretino. The artist must have thought that the traditional attribute of the martyr flayed alive was a perfect fit for the one who was bullying him: he is wearing the remains of his own skin and holding in his hand the large knife that was used for the torture…

It is therefore tempting to think that it was Aretino, the favorite of the Pope’s banker, and not necessarily Renaissance architect Donato Bramante, as is commonly accepted, who may have played the role of intermediary in bringing both Sodoma and Raphael to Rome in order to revive the glory of his patron and the oligarchy that held the Eternal City in contempt.

To my knowledge, Raphael, neither in his own letters nor in the statements reported by his entourage, would have commented on the theme and intention of his work. Strange modesty. Did he consider himself a simple « decorative painter »?

Finally, if Sodoma‘s participation in the realization of the School of Athens remains to be clarified, his portrait does appear. He is in the foreground on the far right, standing side by side to a rather sad Raphael (both on the side of the Aristotelians). A double signature?

This makes the question arise: Can one continue to speak of the frescoes as painted « by Raphael »? Are they not rather the frescoes of the four men team composed of Julius II, Inghirami, Sodoma and Raphael?

An unusual patron, « the warrior pope » Julius II

Medal with the effigy of Julius II the « Ligurian » (Genoese). On the back, the project of reconstruction of the Basilica of St. Peter in Rome.

Before talking about these famous « impresarios of the Renaissance » and understanding their motivations, it is necessary to explore the character of future pope Julius II: Giuliano della Rovere (1443-1513). He was appointed bishop of Carpentras by Pope Sixtus IV, his uncle. He was also successively archbishop of Avignon and cardinal-bishop of Ostia.

On October 31, 1503, 37 of the 38 cardinals composing the Sacred College, make him the head of the Western Church, under the name of Julius II, until its death in 1513, a moment Giuliano had been waiting for 20 years.

Before him, others had made their way. In fact, in 1492, his personal enemy, the Spanish Rodrigo de Borgia (1431-1503), succeeded in getting himself elected as pope Alexander VI. True to the legendary corruption of the Borgia dynasty, he was one of the most corrupt popes in the history of the Church. Jealous and angry at his own failure, Giuliano accused the new pope of having bought a number of votes. Fearing for his life, he leaves for France to the court of King Charles VIII, whom he convinces to lead a military campaign in Italy, in order to depose Alexander VI and to recover the Kingdom of Naples… Accompanying the young French king in his Italian expedition, he enters Rome with him at the end of 1494 and prepares to launch a council to investigate the pope’s actions. But Alexander VI managed to circumvent the machinations of his enemy and preserved his pontificate until his death in 1503.

Medal with the effigy of the pope Alexander VI Borgia.

From the moment of his accession, Giuliano della Rovere confessed that he had chosen his name as pope, Julius II, not after Pope Julius I, but in reference to the bloodthirsty Roman dictator Julius Caesar. He asserts from the start his firm will to restore the political power of the popes in Italy. For him, Rome must once again become the capital of an Empire much larger than the Roman Empire of the past.

When Julius II took office, decadence and corruption had brought the Church to the brink. The territories that would later become Italy were a vast battlefield where Italian condottieri, French kings, German emperors and Spanish nobles came to fight. The ancient city of Rome was nothing more than a vast heap of ruins systematically plundered by rapacious entrepreneurs in the service of princes, bishops and popes, each one seeking to monopolize the smallest column or architrave likely to come and decorate their palace or church. Reportedly, out of the 50,000 inhabitants of the city, there were 10,000 prostitutes and courtesans…

Obviously, Julius II was the pope chosen by the oligarchy to restore a minimum of order in the house. For, particularly since 1492, the extension of Catholicism in the New World and then in the East, required a « rebirth », not of « Christian humanism », as during the Renaissance of the early 15th century, but of the authority of the Church.

The spread of printing and humanism in Europe.

For us today, the word « Renaissance » evokes the heyday of Italian culture. However, for the powerful oligarchs of Raphael’s time, it was a matter of resurrecting the splendor of Greco-Roman antiquity, embodied in the glory of the Roman « Republic », mistakenly idealized as a great and well-administered state, thanks to efficient laws, capable civil servants possessing a great culture, based on the assiduous study of Greek and Latin texts.

And it is well to this rebirth of the Roman authority that Julius II is going to dedicate himself. In first place by the sword. In less than three years (1503-1506), the rebellious César Borgia is reduced to impotence. He was the illegitimate son of Pope Alexander VI who, at the head of an army of mercenaries, waged war in the country and terrorized the Papal States,

In 1506, Julius II, quickly nicknamed « the warrior pope » at the head of his troops, took back Perugia and Bologna.

As the humanist Erasmus of Rotterdam (1467-1537), who was present in Italy and was an eyewitness to the sacking of Bologna by the papal troops, reproached him, Julius II preferred the helmet to the tiara. Questioned by Michelangelo in charge of immortalizing him with a bronze statue, to know if he did not wish to be represented with a book in his hand to underline his high degree of culture, Julius II answers:

Why a book? Rather, show me a sword in hand.

Originally from the region of Genoa (Liguria), Julius II undertook to chase the Venetians, whom he abhorred, out of Romagna, which they occupied. « I will reduce your Venice to the state of hamlet of fishermen from which it left, » had said one day the Ligurian pope to the ambassador Pisani, to which the proud patrician did not fail to retort:

And we, Holy Father, we will make of you a small village priest,
if you are not reasonable…

This language gives the measure of the bitterness to which one had arrived on both sides. In the bull of excommunication launched shortly afterwards (April 27, 1509) against the Venetians, these were accused of « uniting the habit of the wolf with the ferocity of the lion, and of flaying the skin by pulling out the hairs… ».

The League of Cambrai

Italy at the time of the Ligue of Cambrai.

Against the rapacious practices of Venice, on December 10, 1508, in Cambrai, Julius II officially rallies to the « League of Cambrai », a group of powers (including the French King Louis XII, the regent of the Netherlands Margaret of Austria, King Ferdinand II of Aragon and the German Emperor Maximilian I).

For Julius II, the happiness is total because Louis XII comes in person to expel the Venetians of the States of the Church. Better still, on May 14, 1509, after its defeat by the League of Cambrai at the battle of Agnadel, the Republic of Venice agonizes and finds itself at the mercy of an invasion. However, at that juncture, Julius II, fearing that the French would establish their influence on the country, made a spectacular turnaround. He organized, from one day to the next, the survival of Venice!

His treasurer general, the Sienese banker Agostino Chigi (a Sienese billionaire close to the Borgias, to whom he had lent colossal sums of money and later Raphael’s patron), set the conditions:

  • In order to pay for the Swiss mercenaries capable of repelling the attackers of the Ligue of Cambrai, Chigi granted the Venetians a substantial loan.
  • In exchange, the Serenissima agreed to give up its monopoly on the trade of alum that it imported from Constantinople. At the time, alum, an irreplaceable mineral used to fix fabric dyes, represented a real « strategic » issue.
  • Once Venice stopped importing alum, the entire Mediterranean world was forced, from one day to the next, to obtain supplies, not from Venice, but from the Vatican, that is to say, from Chigi, who was in charge of exploiting the « alum of Rome » for the Papacy, located in the mines of the Tolfa mountains, northwest of Rome in the heart of the Papal States.
  • Aware that its very survival was at stake, and for lack of an alternative, Venice grudgingly accepted the golden deal.

In his biography on Jules II, french historian Ivan Cloulas specifies:

Above all stands out Agostino Chigi, the banker from Siena, farmer of the pontifical mines of alum of Tolfa since the reign of Alexander VI. The favor that this character enjoyed with Julius II is surprising, since he was a banker who had long served Caesar Borgia. The pontiff, according to the tradition, conferred at the time of his accession the load of ‘depositary’ to one of his Genoese compatriots, Paolo Sauli, charged to carry out all the financial transactions of the Holy See in connection with the cardinal camerlingue Raffaelo Sansoni-Riario. But Chigi did not suffer disgrace, because he advanced Julian della Rovere considerable sums of money to buy electors [cardinal members of the Sacred College], and he made the exploitation and export of alum extracted from the pontifical mines a success. The experience and value of the Sienese made him a partner of the various bankers of the papacy, notably the Sauli and the Fugger, who gained new wealth as the fruitful trade in indulgences developed in Germany.

Hence, now in alliance with Venice, Julius II, in what appears to the naive as a spectacular « reversal of alliance », set up the « Holy League » to « expel from Italy the Barbarians » (Fuori i Barbari!). A coalition in which he made enter the Swiss, Venice, the kings Ferdinand of Aragon and Henri VIII of England, and finally, the emperor Maximilian. This league will then drive out the French out of Italy. Julius II said with irony:

If Venice had not existed,
it would have been necessary to invent it.

In response, Louis XII, the King of France, attempted to transpose the struggle into the spiritual realm. Thus, a national council, meeting in Orleans in 1510, he declared France exempt from the obedience of Julius II. A second council was convened in Italy itself, in Pisa, then in Milan (1512) trying to depose the pope. Julius II opposed to the King of France the Vth ecumenical council of the Lateran (1512) where he will welcome warmly those who abandoned that of Milan…

Maritime Empires

Julius II was determined to re-establish his authority both on land and on the oceans. A bit like in ancient Greece, Italy experienced a rather particular phenomenon, that of the emergence of « maritime republics ». If the « Republic of Venice » is famous, the maritime republics of Pisa, Ragusa (Dubrovnik on the Dalmatian coast), Amalfi (near Naples) and Genoa are less known.

In each case, operating from a port, a local oligarchy built a maritime empire and above all poisoned its competitors. However, maritime activity, by its very nature, implies taking risks over time. Hence the need for skillful, robust and forward-looking finance, offering insurance and purchase options on future assets and profits. It is therefore no coincidence that most financial empires developed in symbiosis with maritime empires, notably the Dutch and British, and with the West and East India Companies.

At the end of the 15th century, it was essentially Genoa and Venice that were fighting for control of the seas. On the one hand, Venice, historically the bridgehead of the Byzantine Empire and its capital Constantinople (Istanbul), was by far the largest city in the Mediterranean world in 1500 with 200,000 inhabitants. Since its heyday in the 13th century, the Serenissima has defended tooth and nail its status as a key intermediary on the Silk Road to the West. On the other hand, Genoa, which, after having established itself in the Levant thanks to the crusades, by taking control of Portugal, financed all the Portuguese colonial expeditions to West Africa from where it brought back gold and slaves.

Two maritime achievements will exacerbate this rivalry a little more:

  • 1488. Although the works of the Persian scholar Al Biruni (11th century) and old maps, including that of the Venetion monk Fra Mauro, made it possible to foresee the bypassing of the African continent by the Atlantic Ocean to reach India, it was not until 1488 that Portuguese sailors passed the Cape of Good Hope. Thus, Genoa, without any intermediary, could directly load its ships in Asia and bring its goods back to Europe;
  • 1492. Seeking to open a direct trade route to Asia without having to deal with the Venetians or the Portuguese (Genoese), Spain sent the Genoese navigator Christopher Columbus west in 1492. More than a new route to Asia, Columbus discovered a new continent that would be the object of covetousness.
The imperial sharing of the entire world among the Spanish (Venice) and the Portuguese (Genoa),
as signed on by Pope Alexander VI Borgia with the treaty of Tordesillas in 1494

Two years later, on June 7, 1494, the Portuguese and Spanish signed the Treaty of Tordesillas to divide the entire world between them. Basically, all of the New World for Spain, all of the old one (from the Azores to Macao) for Portugal. To delimit their empires, they drew an imaginary line, which Pope Alexander VI Borgia set in 1493 at 100 leagues west of the Azores and the Cape Verde Islands.

Later, the line was extended, at the request of the Portuguese, to 370 leagues. Any land discovered to the east of this line was to belong to Portugal; to the west, to Spain. At the same time, any other Western maritime power was denied access to the new continent. However, in 1500, to the horror of the Spaniards, it was a Portuguese who discovered Brazil. And given its geographical position, to the west of the famous line, this country fell under the control of the Portuguese Empire!

Julius II, a child of Liguria (region of Genoa, therefore linked to Portugal) and vomiting Alexander VI Borgia (Spanish), in 1506, takes great pleasure in confirming, by the bull Inter Cætera, the treaty of Tordesillas of 1494 allowing to fix the dioceses of the New World, obviously to the advantage of the Portuguese and therefore to his own.

The ultimate weapon, culture

On the « spiritual » and « cultural » level, if Julius II spent most of his time at war, posterity retains essentially the image of « one of the great popes of the Renaissance » as a great protector and patron of the arts.

Indeed, to re-establish the prestige (the French word for soft power) and therefore the authority of Rome and its Empire, culture was considered a weapon as formidable as the sword. To begin with, Julius II opened new arteries in Rome, including the Via Giulia. He placed in the Belvedere courtyard the antiques he had acquired, in particular, the « Apollo of Belvedere » and the « Laocoon », discovered in 1506 in the ruins of Nero’s Imperial Palace.

Portrait of Julius II by Raphael, and his tomb by Michelangelo.

In the same year, that is to say six years before the end of the military operations, Julius II also launched great projects, some of which were only partially or entirely completed after his death:

  • The reconstruction of St. Peter’s Basilica, a task entrusted to the architect and painter Donato Bramante (1444-1514) ;
  • The tomb of Julius II, which the sculptor Michelangelo was entrusted with in the apse of the new basilica and of which his famous statue of Moses, one of the 48 bronze statues and bas-reliefs originally planned, should have been part;
  • The decoration of the vault of the Sistine Chapel built by Pope Sixtus IV, the uncle of Julius II, was also entrusted to Michelangelo. Julius II let himself be carried away by the creative spirit of the sculptor. Together, they worked on ever more grandiose projects for the decoration of the Chapel. The artist gave free rein to his imagination, in a different artistic genre that did not please the pope. Until October 31, 1512, Michelangelo painted more than 300 figures on the vault;
  • The frescoes decorating the personal library of the pope will be entrusted to the painter Raphael, called to Rome in 1508, probably at the suggestion of Chigi, Aretino or Bramante. The Stanza was the place where the pope signed his briefs and bulls. This room later became the private library of the pontiff Julius II, then the room of the Tribunal of Apostolic Signatures of Grace and Justice and later, that of the Supreme instance of appeal and cassation. Before the arrival of Julius II, this room and « the room of Heliodorus », were covered with frescoes by Piero della Francesca (1417-1492), a painter protected by the great Renaissance genius cardinal philosopher Nicolaus of Cusa (1401-1464), immortalizing the great ecumenical council of Florence (1438). Decorations by Lucas Signorelli and Sodoma were added later. Following his election, Julius II, anxious to mark his presence in history, and to re-establish the authority of the oligarchy and the Church, had the frescoes of the Council of Florence covered with new ones. Convinced by his advisors, the pope agreed to entrust the direction of the work to Raphael. Officially, it is said that Raphael spared some of the frescoes on the ceiling, notably those executed by Sodoma, so as not to antagonize him entirely. But, as we have said, the content, the very elaborate theme and part of the iconography of the frescoes were decided upon as early as 1506, even before Raphael’s arrival in 1508;
  • To modernize the city of Rome. Julius II, undoubtedly advised by the architect Bramante, singularly transformed the road system of Rome. In order for all the roads to converge towards St. Peter’s Basilica, he ordered the Via Giulia to be pierced on the left bank and the Lungara, the paths that meandered along the river on the right bank, to be transformed into a real street. His death interrupted the great works he had planned, in particular the construction of a monumental avenue leading to St. Peter’s and that of a new bridge to relieve the congestion of the bridge over St. Angelo, to which he had also facilitated access by widening the street leading to it. The extent of the work undertaken poses the problem of materials; although it was, in principle, forbidden to attack the ancient monuments, the reality was quite different. Ruinante, became the nickname of Bramante.
Drawing of the entrance door to the Vatican, circa 1530.

These major construction projects, patronage and military expenses drained the Holy See’s revenues. To remedy this, Julius II multiplied the sale of ecclesiastical benefits, dispensations and indulgences.

In the twelfth century, the Roman Catholic Church established the rules for the trade of « indulgences » (from the Latin indulgere, to grant) through papal decrees. They provided a framework for the total or partial remission before God of a sin, notably by promising, in exchange for a given amount of money, a reduction in the time spent in purgatory to the generous faithful after their death. In the course of time, this practice, essentially exploiting a form of religious superstition, turned into a business so lucrative that the Church could no longer do without it.

In northern Europe, particularly in Germany, the Fugger bankers of Augsburg were directly involved in organizing this trade. This practice was strongly denounced and fought against by the humanists, in particular by Erasmus, before Luther made it an essential part of the famous 95 theses that he posted, in 1517, on the doors of the church in Wittenberg.

In his book Erasmus and Italy, french historain Augustin Renaudet writes that Erasmus, after having met the highest authorities of the Vatican, was not fooled:

He was not long in understanding that apart from the Holy See, the services of the Curia and the Chancellery, apart from the cardinals, the innumerable prelates on mission and in charge, apart from a motley crowd of civil servants and scribes, who populated the administrative or financial offices and the courts, there was nothing in Rome. In all the cities he had known, in Brussels, in Paris, in London, in Milan, in Florence, and recently in Venice, an active economy, fed by industry, commerce, and finance, supported a strong urban bourgeoisie, or as in Venice, an aristocracy of shipowners. In Rome, all the economy, all the trade, all the finance, were in the hands of foreigners: Florentine or Genoese merchants, Florentine or Genoese bankers. These foreigners held in their dependence a people of small merchants, of small craftsmen who sold in the back room, of money changers and Jewish traffickers. Very little industry, the Roman population lived at the service of the Curia, the prelates and the convents. Erasmus marveled at the pride with which the descendants of the people-king pretended to maintain their ancient majesty.
The word of the Roman people was no longer an empty word; Erasmus was to write one day that, in the modern world, a Roman citizen counted less than a burgher of Basel.

Historians André Chastel and Robert Klein, in L’Humanisme, l’Europe de la Renaissance, share this observation:

Another trend, favorable to Caesar and Augustus, had emerged: Rome becoming again more and more the ‘imperial’ capital of all the powerful borrowed or sought to borrow a style from it.

This new style associates besides more and more arma and litterae, the sword and the book.

(…) Rich or poor, any sovereign of the Renaissance will occupy the artists and the scholars insofar as he needs prestige: the greatest patrons of the Renaissance were the ambitious and the warriors, Maximilian, Julius II, Henry VIII, François I, Charles V.

Raphael’s « impresarios »

If, from a contemporary point of view, it seems close to unthinkable for an artist to be « dictated » the theme of his work, this was not the case at the time of the Renaissance and even less so in the Middle Ages. For example, although he was a high-level diplomat of the Duke of Burgundy Philip the Good, the Flemish painter Jan Van Eyck (, one of the first painters to sign his works with his name, was advised on theology by the Duke’s confessor, the erudite Dionysus the Cartusian (1401-1471), a close friend of Cardinal Nicolaus of Cusa. And no one will dare say that Van Eyck « did not paint » his masterpiece The Mystic Lamb.

Raphael’s position was more delicate. In his time, painters still had the status of craftsmen. Including Leonardo da Vinci, who was known for his superior intelligence, declared himself to be a « man without letters », that is to say, unable to read Latin or Greek. Raphael could read and write Italian, but was in the same condition. And when, towards the end of his short life, he was asked to work on architecture (St. Peter’s Basilica) and urban planning (Roman antiquities), he asked a friend to translate the Ten Books of the Roman architect Vitruvius into Italian. Now, any visitor to the « Chambers of the Signature » is immediately struck by the great harmony uniting several dozen philosophers, jurists, poets and theologians whose existence was virtually unknown to Raphael before his arrival in Rome in 1508.

In The Marriage of the Virgin, Perugino (left) starts with a geometric harmony between a rectangle, an isosceles triangle and a circle whose center serves as the vanishing point of the perspective. His pupil Raphael took up the process, but starting from the square.

Moreover, with the exception of The Marriage of the Virgin, painted in 1504 at the age of 21, based on the way his master Pietro di Cristoforo Vannucci, known as Pietro Perugino (c. 1448-1523) had treated the same subject, Raphael had not yet had to meet the kind of challenge that the Stanza would pose to him.

As we have already said, the cartoons and other preparatory drawings, sometimes quite different from the final result, also suggest that, following the « commission, » discussions with one or more impresarios led the artist to modify, improve or change the iconography to arrive at the final result.

As for the theme, as we have already mentioned, the ideas and concepts seem to have emerged during a long period of maturation and were undoubtedly the result of multiple exchanges between Pope Julius II and several of his advisors, librarians, and « orators » of the papal court.

According to historian Ingrid D. Rowlands, the archival documents unquestionably indicate the decisive contribution of three very different personalities of the time:

  • Battista Casali ;
  • Giles of Viterbo;
  • Tommaso « Fedra » Inghirami.

The thorough investigation of the historian Christiane L. Joost-Gaugier has established the predominant role of Inghirami. He was the only one in a position, and in a position, as the pope’s chief librarian, to set the program of the rooms. Raphael, will be his enthusiastic collaborator and will undoubtedly end up being « recruited » to the orientations and vision of his commissionners. This is evidenced by the fact that he demanded to be buried in the Roman Pantheon, considered the most Pythagorean, and believed to be the most neo-Platonic, temple of the Roman era.

Battista Casali

As documented by the Jesuit historian John William O’Malley, it was on January 1, 1508, the year of his appointment to St. John Lateran, a few months before Raphael’s arrival in Rome, that Battista Casali (1473-1525), a professor at the University of Rome, evoked the image of The School of Athens in an oration delivered in the Sistine Chapel in the presence of Julius II:

One day (… ) the beauty of Athens inspired a contest between the gods, where humanity, learning, religion, primacies, jurisprudence and law came into being before being distributed in every country, where the Athenaeum and so many other gymnasiums were founded, where so many princes of knowledge trained their youth and taught them virtue, fortitude, temperance and justice – all of this destroyed in the whirlwind of the Mohaematan war machine… ) However, just as [your illustrious uncle Pope] Sixtus IV [who ordered the construction of the Sistine Chapel], in a way, laid the foundations of education, you laid the cornice. Here is the Vatican library which he erected as if it had come from Athens itself, gathering the books he was able to save from the wreckage, and created in the image of the Academy. You, now, Julius II, supreme pontiff, have founded a new Athens when you invoke the downtrodden world of letters as if it were rising from the dead, and order it, surrounded by threats of suspended work, that Athens, its stadiums, its theaters and its Athenaeums, be restored.

Giles of Viterbo

Giles of Viterbo.

Another major influence on the theme, Giles of Viterbo (1469-1532) of which we will say more below.

  • An outstanding orator, he was called to Rome in 1497 by Pope Alexander VI Borgia ;
  • In 1503, he became the Superior General of the Order of Hermits of Saint Augustine; with 8000 members, it was the most powerful order of its time;
  • He is known for the boldness and seriousness of the speech he gave at the opening of the Fifth Lateran Council in 1512;
  • He severely criticized the bellicose policy of Julius II and urged him to triumph by culture rather than by the sword;
  • After the death of the latter, he became the preacher and theologian of Pope Leo X who appointed him cardinal in 1517.

Tommaso Inghirami

Tommaso Inghirami, Pope Julius II‘s chief librarian and Raphael’s true impresario for the frescoes decorating the Signing Room. Here is his portrait, painted by Raphael in 1510..

Finally, the prelate Tommaso Inghirami (1470-1516), who spoke both Latin and Greek, was also a formidable orator. The man owed his fortune to Lorenzo the Magnificent (1449-1492).

Educated by the Neoplatonic philosopher Marsilio Ficino, Lorenzo the Magnificent was the patron of both Botticelli and Michelangelo who lived with him for three years.

Born in Volterra, Inghirami was also taken in by the Magnificent after the sacking of that city. He carefully supervised his studies and later sent him to Rome where Alexander VI Borgia welcomed him. Inghirami was a handsome and well-dressed man.

At 16, Inghirami earned the nickname « Phaedra » after brilliantly playing the role of the queen who commits suicide in a Seneca tragedy performed in a small circle at the residence of the influential Cardinal Raphael Riario, cousin of Julius II or nephew of Pope Sixtus IV and therefore cousin of Julius II. Thereafter, Phaedra, bon vivant and for whom the celestial and terrestrial pleasures were happily completed, gained in political and especially… physical weight.

  • In 1475, he accompanied the nuncio of Pope Alexander VI to the court of Emperor Maximilian I of the Holy Roman Empire, who named him Count Palatine and poet laureate;
  • On January 16, 1498, Inghirami delivered an oration in the Spanish Church of Rome in honor of the Infant Don Juan, the murdered son of the King of Spain. Inghirami, in the name of Alexander VI Borgia, fully endorsed the Spanish policy of the time: to extend Christianity as well as imperial looting into the New World, to drive the Moors out of Europe and to strengthen the colonial plunder of Africa. If Julius II hated Alexander VI, he will continue this policy;
  • In 1508, Julius II nominates Inghirami to head the Library of the Vatican to be installed in the Stanza;
  • In 1509, while he was heavily involved in the realization of the frescoes of the Stanza, Raphael made his portrait. Raphael shows us a man suffering from divergent strabismus who seems to turn his gaze towards the sky in order to signify where this « humanist » drew his inspiration from;
  • In 1510, the Pope appointed him Bishop of Ragusa;
  • Finally, in 1513, he became papal secretary and at the urgent request of the dying pope, Inghirami delivered his funeral oration: « Good God! What a mind this man had, what sense, what ability to manage and administer the Empire! What a supreme and unshakable strength! »

Inghirami soon served as secretary to the conclave electing Pope Leo X (John of Medici, second son of Lorenzo de Medici, also a great protector of neo-Platonists and « culture »), another pope whose portrait Raphael will paint.

In 1509, eager to reform the Catholic church on the basis of the study of the three languages (Latin-Greek-Hebrew) to settle the religious conflicts which were looming and announced the religious wars to come, Erasmus of Rotterdam meets Inghirami in Rome. The latter exposes to him the imposing cultural building sites which he directed. Erasmus does not say a word about it.

However, a long time after the death of Inghirami, Erasmus complained that the Vatican and the oligarchy recruited among the humanists. He notably fingerpointed the sect of “the Ciceronians”, omnipresent in the Roman Curia and of which Inghirami was one of the leaders.

Thus, in 1528, in a pamphlet titled The Ciceronians, Erasmus quoted Inghirami’s oration on Good Friday of 1509. He denounced the fact that the members of this sect, on the grounds of the elegance of the Latin language, only used Latin words that appeared as they were in the works of Cicero! As a result, all the new language of evangelical Christianity, enshrined in the Council of Florence, which Erasmus wished to promote, was either banned or « re-translated » into pagan terms and words of the Roman era! For example, in his sermon, Inghirami had presented Christ on the cross as a pagan god sacrificing himself heroically rather than as a redeemer.

Finally, shortly after Raphael’s death, Cardinal Jacopo Sadoleto (1477-1547) wrote a treatise on philosophy in which Inghirami (meanwhile tragically deceased) defended rhetoric and denied the value of philosophy, his main argument being that everything written was already contained in the mystical and mythological texts of Orpheus and his followers…

Plato and Aristotle, the impossible synthesis

The Triumph of Saint Thomas of Aquinas (detail), here reconciling Aristotle (left) and Plato (right). Painting by Benozzo Gozzoli, Louvre, Paris.

Now, in order to be able to « read » the theme deployed by Raphael in the « Chamber of the Signature, » let us examine this Florentine « neo-Platonism » that animated both Giles of Viterbo and Tommaso Inghirami.

The approach of these two orators consisted above all in putting their « neo-Platonism » and their imagination at the service of a cause: that of asserting with force that Julius II, the pontifex maximus at the head of a triumphant Church, embodied the ultimate outcome of a vast line of philosophers, theologians, poets and humanists. At the origin of a civilizational and theological « big bang » presumed to lead to the immeasurable lustre of the Catholic Church under Julius II, not only Plato and Aristotle themselves, but those who had preceded them including Apollo, Moses and especially Pythagoras.

From 1506 onwards, Giles de Viterbo, in an exercise that can be described as « beyond” impossible, wrote a text entitled Sententia ad mentem Platonis (« Sentences with the mind of Plato »). In it, he tried to combine into one ideology the Sentences of Peter Lombard (1096-1160), the scholastic text par excellence of the 13th century and the starting point for the commentaries of the Dominican Saint Thomas Aquinas (1225-1274) for his Summa Theologica, and the esoteric Florentine neo-Platonism of Marsilio Ficino (1433-1499) * of whom Giles de Viterbe was a follower.

All this could only please a pope who, in order to establish his authority on earthly and spiritual matters, warmly welcomed this agreement between Faith and Reason defended by Thomas Aquinas who says that “the Truth being one”, reason’s only role is to confirm faith’s superiority.

The very idea to present the wedding of Aristotelian scholasticism (logic presented as « reason ») with Florentine neo-Platonism (Plotinus’ emanationism dressed as « faith ») as a source of poetry and justice as « The Signing Room » does, comes from this.

Let us recall that in the middle of the 13th century, two mendicant Orders, the Franciscans and the Dominicans, were contesting the drift of a Church that had become, above all, the simple manager of its earthly possessions. The one who would later be called St. Thomas Aquinas, opposed on this point (his competitor) St. Bonaventure (1221-1274), founding figure of the Franciscan Order.

For his part, Aquinas relies on Aristotle, whom Albert the Great (1200-1280), whose disciple he was in Cologne, had made known to him, to establish the primacy of « reason ». For the man who was nicknamed « the dumb ox », faith and human reason, each managing their own domain, had to move forward together, hand in hand while of course, the Church had the last word.

The Triumph of Saint Thomas of Aquinas, ca. 1470, painting by Benozzo Gozzoli, Louvre, Paris.

Several paintings (the great fresco of 1366 in the Spanish chapel of Santa Maria Novella in Florence; the painting by Filippino Lippi of 1488 in the Carafa chapel in Rome; or the painting by Benozzo Gozzoli (1421-1497), painted around 1470, in the Louvre in Paris), have immortalized the “Triumph of Thomas Aquinas”.

Gozzoli’s painting in the Louvre is of particular importance because several elements prefigure the iconography of the Signing Chamber, notably the three levels found in Theology (Trinity, Evangelists and religious leaders) as well as the couple Plato and Aristotle found in Philosophy.

In Gozzoli’s painting, we see Aquinas, standing between Plato and Aristotle, throwing down before him the Arab philosopher Averroes (1126-1198) (Ibn-Rushd of Cordoba) expelled for having denied the immortality and the thought of the individual soul, in favor of a « Single Intellect » for all men that activates in us the intelligible ideas.

In the West, before the arrival of Greek delegations in Italy to attend the Council of Ferrara-Florence in 1438, if several works of Plato, including the Timaeus, were known to a handful of scholars, such as those of the School of Chartres or Italians as Leonardo Bruni in Florence, most of the West’s knowledge of Greek thought came down to the works of Aristotle.

For the Aristotelians, who became dominant in the Catholic Church with Aquinas, Plato had to be considered as incompatible with Christianity.

On the other hand, for the Platonists, including Augustine, Jerome and especially Nicholas of Cusa and Erasmus, who honored and adorned him that Erasmus called « Saint Socrates », Plato was to be venerated by Christians: he was monotheistic, believed in the immortality of the soul and venerated, in the form of the Pythagorean triad, the mystery of the Trinity.

John Bessarion, by Justius of Ghent, Louvre, Paris.

In the 15th century, for lack of epistemological clarity and some confusion on the authorship of certain manuscripts, some humanists, in particular Nicolaus of Cusa‘s friend and close collaborator Cardinal John Bessarion (1403-1472), one of the key organizers of the reunification of the Eastern and Western Churches, presented Plato as the « equal » of Aristotle, the latter’s disciple, with the sole purpose of making Plato « as acceptable as possible » to the Catholic Church.

Hence Bessarion‘s now famous phrase « Colo et veneror Aristotelem, amo Platonem » (I cultivate and venerate Aristotle, I love Plato) which appears in his In Calumniatorem Platonis (republished in 1503), a rejoinder to the virulent charge against Plato elaborated by the Greek Georges Trébizond.

Thus, in the School of Athens painted by Raphael, Plato and Aristotle appear side by side, not confronting each other but complementing the other with their respective wisdom : the first holding his book the Timaeus (on the creation of the universe) in one hand, and with the other, pointing to the sky (To the One, to God), the second holding his Ethics (the science of the good in personal life) in one hand, and raising the other arm horizontally to indicate the earthly realm (Physics).

If the commissioners had wanted to underscore the opposition of both philosophers, Plato would have rather been portrayed with his Parmenides (On Ideas) and Aristotle with his Physics (On natural sciences). That is clearly not the case.

Giles de Viterbo in his Sententia ad mentem Platonis will mobilize extreme sophism to erase the irreconcilable and very real oppositions (see box below) between the Platonic thought and that of Aristotle.


Why Plato and Aristotle are not complementary

By Christine Bierre

Logic (Aristotle) versus Dialectic (Plato). Bas-relief by Luca della Robbia.

The fundamental concepts that gave birth to our European civilization can be traced back to classical Greece, and through it, to Egypt and other even more ancient civilizations.

Among the Greek thinkers, Plato (-428/-347 B.C.) and Aristotle (-385/-323 B.C.) asked all the great questions that interest our humanity: who are we, what are our characteristics, how do we live, where are we situated in the universe, how can we know it?

The accounts that have come down to us from this distant period speak of the disagreements that led Aristotle to leave Plato’s Academy, of which he had been a disciple. History then bears witness to the violence of the oppositions between the disciples of the one and the other. During the Renaissance, the most reactionary Catholic currents, the Council of Trent in particular, were inspired by Aristotle, whereas Plato reigned supreme in the camp of humanism, in the hands of some of the greatest, such as Erasmus and Rabelais.

There were various attempts, however, to make them complementary, as discussed in this article by Karel Vereycken. If Plato represents the world of Ideas, Aristotle represents the world of matter. Impossible to build a world without both, we are told. It seems so obvious!

The Greek philosopher, Plato.

Bust of Plato.

All this starts, however, from a false idea opposing these two characters. For Plato, we are told, reality is found in the existence of ideas, universal concepts which represent, in an abstract way, all the things which participate of this concept. For example, the general concept of man contains the concept of particular men such as Peter, Paul and Mary; similarly for good, which includes all good things whatever they are. For Aristotle, on the contrary, reality is located in matter, as such.

What is false in this reasoning is the concept that the Platonic Ideas are abstractions. The Platonic Ideas are, on the contrary, dynamic entities that generate and transform reality. In the myth of the cave in The Republic, Socrates says that at the origin of things is the sovereign Good. In The Phaedo, he explains that it is through « Ideas » that this sovereign Good has generated the world.

In the myth of the cave, Socrates uses an offspring of the idea of the good, the Sun, to help us understand what the sovereign Good is. The Good, he says, has generated the Sun, which is, in the visible world, in relation to sight and objects of sight, what the Good is in the intelligible world in relation to intelligence and intelligible objects. The prisoners in the cave saw only the shadows of reality, and then, on coming out, they saw, thanks to the Sun, the real objects, the firmament and the Sun. After this, they will come to the conclusion about the Sun, that it is he who produces the seasons and the years, that he governs everything in the visible world and that he is in some way the cause of all those things that he and his companions saw in the cave.

The Sun not only gives objects the ability to be seen, but is also the cause of their genesis and development. In the same way for the knowable objects, they hold from the Good the faculty to be known but, in addition, they owe him their existence and their essence. The idea of the Good is thus for Plato the dynamic cause of the things: material and immaterial and not dead universals.

Aristotle’s splintered « One »

Bust of Aristotle.

For Aristotle, as for all the empiricist current which followed him, reality is situated at the level of the objects knowable by the senses. Nature sends us its signals that we decode with our mental faculties. Ideas are only abstractions of the sensible universe which constitutes reality. For him the universals have no real existence: man « in general », does not generate anything. It is only an abstraction of all the men in particular. The particular man is generated by the particular man; Peter is generated by Paul.

It is also said of Aristotle that he « exploded » Plato’s One. There are two ways of conceiving the One. One can think of it either as an absolute One (God or first cause), depending on whether one is a religious person or a philosopher, a purely intelligible principle but a dynamic cause that has generated all things; or one can think of it as the number « one » that determines each particular thing: the number one when we say: a man, a chair, an apple.

Aristotle‘s One simply becomes a particular unity, characteristic of all things that participate in unity. It is not the cause of what « is » but only the predicate of all the elements that are found in all the categories. The Being and the One, he will say, are the most universal of predicates. The One, he will say again, represents a definite nature in each kind but never the nature of the One will be the One in itself. And the Ideas are not the cause of change.

What is the point of all this?

Does this discussion make more sense than all the never-ending debates about the sexes of angels that gave scholasticism such a bad name in the Middle Ages? The One or the many, what does it matter in our daily lives?

This point is however essential. The fact of being able to go back to the intelligible causes of all that exists, puts the human species in a privileged situation in the universe. Unlike other species, it can not only understand the laws of the universe, but also be inspired by them, in order to improve human society. This is why, in history, it is the « Platonic » current that was at the origin of the great scientific, technological and cultural breakthroughs in astronomy, geometry, mechanics, architecture, but also the discovery of proportions that allow the expression of beauty in music, painting, poetry and dance.

As for Aristotle, it must be said that his conceptions of man and knowledge only led him to establish categories defining a dozen possible states of being. Aristotle was also the founder of formal logic, a system of thought that does not claim to know the truth, but only to define the rules of a correct reasoning. Logic is so little interested in the search for truth that one can consider that a judgment that is totally false in relation to reality can be said to be right if all the rules of « good reasoning » of logic have been used.

Woman riding Aristotle. Humanists have long since put their finger on a domain that totally escaped Aristotle‘s logical thinking: desire… A 13th century fable summarizes the story. Aristotle, whose pupil was Alexander the Great, reproached the latter for letting himself be distracted from his royal duties by the courtesan Phyllis, with whom he was madly in love. Obedient, the brave king of Macedonia thus ceases to frequent the damsel and returns to treat the business of the State. Learning the reasons of its abandonment, the lady decides to be avenged of the old philosopher and tries to seduce him by strutting under his windows in light dress. Aristotle falls under her charm ! Phyllis then announces to the wise man that if he wants to possess her, he will have to give himself up to a small caprice and, saddled and bridled, to let himself be ridden by the beautiful. The eminent bearded man accepts this game without suspecting the trick that is being played on him. In saddle and go ! here is Phyllis who rides Aristotle‘s back in the gardens of the king, whipping him to make him advanc

Suite

To begin with, Giles de Viterbo underlines that Aristotle is a « pupil » of Plato and that the « two princes of philosophy » could be reconciled. Very much imbued with the neo-Pythagorean spirit, and for whom Plato was only one of the greatest disciples of Pythagoras, the author argues that both philosophers agree that, contrary to the pagan pantheon, the « One » is the ultimate expression of the divine. Clearly, they were both monotheists and thus their convictions anticipated those of Christianity.

Giles of Viterbo:

Philosophy, which traces and examines all things, judges that all number and multiplicity are absent from God, as Plato and his pupil Aristotle say. Humanity has as its goal the understanding of divine things, as even Aristotle admits in his Ethics.
Thus, if it is necessary to pursue this goal, it is necessary to arrive at the understanding of God.

And he continues:

Now these princes of Philosophy [Plato and Aristotle] can be reconciled, and no matter how much they disagree about creation, the Ideas, or the goal of the Good, these points [of agreement] can be identified and demonstrated (…) [Then], they appear not to disagree with each other at all (…) These great princes can be reconciled if we postulate the double nature of things, one which is free from matter and the other which is within matter (…) Plato follows the first, Aristotle the second, and because of this, these two great leaders of philosophy hardly differ from each other. If you think that we are making this up, listen to them yourselves. For if we speak of humanity, after all the subject of our conversation, then Plato says the same thing, he says humanity is the soul, in the (First) Alcibiades; and in the Timaeus, he says that humanity has two natures, and we know one of these natures by means of the senses, and the other by means of reason. Also, in the same book, he teaches us that each part in us does not exist in isolation from the other, that each nature is concerned with the other nature. Aristotle, in the tenth book of his Ethics, calls humanity Understanding. So you can know that each philosopher (Plato and Aristotle) feels the same way, no matter how much it seems to you that they are not saying the same thing.

Pico della Mirandola the Neo-Platonist

Medal with the effigy of Pico della Mirandola. On the reverse, a deviation from the Platonic theme of the Three Graces (Beauty, Love, Pleasure), an image taken identically from a Roman fresco in Pompeii, which Raphael would in turn take up in his work on the same subject.

Giles of Viterbo, like Tommaso Ingharimi, seems to have taken up the gauntlet thrown to them by John Pico della Mirandola (1463-1494), the young disciple of Ficino.

A precocious scholar, a protégé of Lorenzo de’ Medici (like Inghirami), this man of omniscience was fearless. Thus, in 1485, at the age of 23, he announced his project to gather, at his own expense, in the eternal city and capital of Christianity, the greatest scholars of the world to debate the mysteries of theology, philosophy and foreign doctrines. The objective was to go back from scholasticism to Zoroaster, passing by the Arabs, the Kabbalah, Aristotle and Plato, to expose to the eyes of all, the concordance of wisdom. The affair failed. His initiative, which reserved an important place for magic, could only arouse distrust. For the Vatican, all this could only smell of sulfur, and the initiative was discarded at the time.

However, it will mark the minds of a generation. For his Oratio de hominis dignitate, his inaugural speech written in an elegant and almost Ciceronian style, intended for the presentation of his nine hundred theses, published together after his death, was a great success, especially among young scholars like… Inghirami.

Pico’s achievement, which was not well received by the authorities, was to give humanistic studies (studia humanitatis) a new purpose: to seek the concordance of doctrines and define the dignity of the human being. The aim was, by bringing out what unites them despite their differences, to discover their common ground and, by a coincidence of opposites, to have them meet in a unity that transcends them.

Pico della Mirandola:

That is why, not content with having added to the common doctrines a quantity of remarks on the primitive theology of Mercury Trismegistus, on the teachings of the Chaldeans and Pythagoras, on the most secret mysteries of the Jews, we have also proposed for discussion a certain number of discoveries and conceptions of our own in the physical and theological fields. First of all, we have argued that Plato and Aristotle agree: many have thought so before us, no one has proved it sufficiently. Among the Latins, Boethius had promised himself to do so, but there is no indication that he ever realized what was always his project. Among the Greeks, Simplicius had given himself the same program: heaven forbid that he should have lived up to his intentions! Augustine himself, in his work Against the Academicians, writes that many authors have conceived, with great finesse in argumentation, the project of establishing this same point, namely that the philosophies of Plato and Aristotle are one. Thus John the Grammarian [The Hellenist John Lascarus] affirms well that only those who do not hear the words of Plato believe him to be in disagreement with Aristotle, but it is to his successors that he left the care of the demonstration. We have also added various developments where the concordance between the opinions – reputedly discordant – of Scotus and Thomas on the one hand, of Averroes and Avicenna on the other hand, is affirmed. Secondly, our considerations on Aristotelian and Platonic philosophy have been enriched by seventy-two new physical and metaphysical propositions: by making them one’s own, if I am not mistaken (and I will soon be sure of this), one will be able to solve any problem of a natural or theological nature, according to a philosophical method which is quite different from the one taught orally in schools and which is in honor among the doctors of our time.

In a manuscript found unfinished at the time of his death in 1494 and entitled Concordia Platonis et Aristotelis, Pico della Mirandola explicitly mentions Plato’s Timaeus and Aristotle‘s Ethics, precisely the two books that appear as attributes of their authors in Raphael’s fresco.

Then, in his Heptaplus, a work he completed in 1489, Pico della Mirandola asserted that the writings of Moses and the Mosaic Law, according to him the foundation of all wisdom, were the basis of Greek civilization before becoming that of the Church of Rome. The Timaeus, the major work of Plato, says Pico, demonstrates that its author was an “attic Moses” (from Athens).

Cicero the Neo-platonist

For Inghirami, fascinated by the eloquence and the style of Cicero (-106/-43 BC) of whom he believed himself the reincarnation, the challenge launched by Pico della Mirandola to reconcile Apollo, Pythagoras, Plato and Aristotle, appeared almost as a divine test and the frescoes of Raphael decorating the Stanza will be above all his answer.

In addition, Cicero himself claimed to be a neo-Platonist. In the first volume of his work, the Academica, after condemning Socrates for continually asking questions without ever « laying the foundations of a system of thought », Cicero asserts, several centuries before Pico della Mirandola, that the ideas of Plato and Aristotle, in essence, « had the same principles »:

In the shadow of Plato’s genius, a fertile, varied, universal genius, a unique philosophy was established under the double banner of the academicians and the peripatetics, who, agreeing on things, differed only on the terms. For Plato, who had made Speusippus, son of his sister, the heir of his philosophy, also left two disciples of great talent and rare science, Xenocrates of Chalcedony and Aristotle of Stagire: those who followed Aristotle, were named peripatetics, because they discussed while walking in the Lyceum; whereas those who, according to the institution of Plato, held their assemblies and disserted in the Academy, the other gymnasium of Athens, received from this place the name of Academicians. But both of them, all penetrated by Plato’s fertile genius, formulated philosophy into a certain complete and finished system, and abandoned the universal doubt of Socrates, and his habit of discussing everything without affirming anything. There was then what Socrates entirely disapproved of, a philosophical science, with regular divisions and a whole methodical apparatus. This philosophy, as I have said, under a double name, was one; for between the doctrine of the peripatetic [Aristotle] and the ancient Academy [Plato] there was no difference. Aristotle prevailed, in my opinion, by the richness of his genius; but the one and the other had the same principles, and judged the goods and the evils in the same way.

Royal Portal of Chartres. In the center, Pythagoras with above him the Quadrivium (the sciences: arithmetic, geometry, astronomy and music). To his right, a disciple, with above him the Trivium (the humanities: grammar, rhetoric and logic).

Inghirami was also strengthened by the reading of countless Christian authors in this sense, such as the Frenchman, Bernard of Chartres (12th century), a Neoplatonist philosopher who played a fundamental role in the Chartres school, which he founded. He was appointed master (1112) and then became chancellor (1119) responsible for the teaching of the cathedral school.

You wonder the sculptures of Pythagoras and Aristotle appear side by side on the western portal of the cathedral?

Historian Etienne Gilson writes:

Bernard of Chartres was first of all influenced by Boethius, whose Platonism he adapts. He then set out to reconcile Plato’s thought with that of Aristotle, which made him the greatest Aristotelian and Platonic thinker of the 12th century. John of Salisbury affirmed, in the most formal terms, that Bernard of Chartres and his disciples did not believe that they were simply expounding Plato’s thought by explaining in this way the relation of ideas to things, but that they had the pretension of putting Aristotle in agreement with Plato. That the trouble they took was wasted, is what John of Salisbury clearly states. With a very British humor he notes that these philosophers arrived too late and that they worked uselessly to reconcile dead men who had been arguing all their lives.

Inghirami will have read St. Bonaventure (1217-1274), one of the founders of the Franciscan order, who pointed out that Plato and Aristotle each excelled in their own field:

And so it appears that among philosophers, Plato’s gift is to speak of wisdom, Aristotle‘s of science.

Or the Florentine Marsilio Ficino, this neo-Platonic philosopher of the XVth century whose « Platonic Academy » had put in saddle Pico della Mirandola. Ficino, had he not written in his Platonic Theology that

Plato treats natural things divinely while Aristotle treats even divine things naturally.

In the preface he wrote for The Fable of Orpheus, a play written by his disciple Poliziano (1454-1494), Ficino, referring to Saint Augustine, makes the mythical Hermes Trismegistus (Mercury) the first of the theologians: his teaching would have been transmitted successively to Orpheus, Aglaophemus, Pythagoras, Philolaos and finally Plato.

Thereafter, Ficino will place Zoroaster at the head of these prisci theologi, to finally attribute to Zoroaster and Mercury an identical role in the genesis of the ancient wisdom: Zoroaster teaches this one among the Persians at the same time as Trismegistus taught it among the Egyptians.

Preceding Plato, Pythagoras

The great pre-Socratic thinker, Pythagoras of Samo

In Raphael’s School of Athens, the figure of Pythagoras of Samos (580-495 B.C.), surrounded by a group of admirers, takes a major place. He is clearly identifiable by a tablet on which the musical chords and the famous Tetraktys appear, which we will discuss here.

While historians have so far mainly explored the influence of the Platonic and Neo-Platonic currents on the Italian Renaissance, historian Christiane L. Joost-Gaugier, in her book Pythagoras and Renaissance Europe, has highlighted the extent to which the ideas of the great pre-Socratic thinker Pythagoras influenced the thought and art of the Renaissance.

Geometry (Thales of Miletus?) and Arithmetic (Pythagoras?), bas-relief by Luca della Robbia, Campanile, Florence.

In art, Pythagoras inspired the Roman architect Vitruvius (90-15 BC), and later such theorists of the golden mean such as the Franciscan monk Luca Pacioli (1445-1517), whose treatise, De Divina Proportiona, illustrated by Leonardo da Vinci, appeared in Venice in 1509.

However, if a theorem, probably from India, bears his name (attributed to Pythagoras by Vitruvius), little is known of his life. Just like Confucius, Socrates and Christ, if we are sure that he really existed, no writing from his hand has come down to us.

By necessity, Pythagoras

became a living legend, and even very active during the Renaissance, so much so that most people saw Plato as a mere « disciple » of the « divine Pythagoras ».

Arabic and Chinese texts demonstrating the theorem attributed in the West to Pythagoras.

Born in the first half of the 6th century B.C. on the island of Samos in Asia Minor, Pythagoras was probably in contact with the school of geometer’s founded by Thales of Miletus (-625/-548 B.C.).

Around the age of 40, he left for Crotone in southern Italy to found a society of friends, both philosophical, political and religious, whose chapters were to multiply.

For Pythagoras, the issue is to build a bridge between man and the divine and on this basis to transform society and the city. When asked about his knowledge, Pythagoras, before Socrates and Cusa, asserted that he knew nothing, but that he sherished « the love of wisdom ». The word philo-sophy would have thus been born.

No Christian humanist, reading Saint Jerome (347-420), one of the Fathers of the Catholic Church, could escape the praise that the latter gives to Pythagoras.

In his polemic Apology against the Books of Rufinus, Jerome, in order to evoke an exemplary behavior, quotes what two disciples of Pythagoras would have said:

We must by all possible means avoid softness of the body, ignorance of the spirit, intemperance, civil dissensions, domestic dissensions and in general excess in all things.

And Jerome invokes the « Precepts of Pythagoras » :

Everything must be common among friends; a friend is another ourselves. We must consider two periods in life, the morning and the evening, that is, what we have done and what we must do. After God, we must seek the truth, which alone can bring men closer to the Creator.”

Secondly, Jerome believes that Pythagoras, in affirming the concept of the immortality of the soul, preceded Christianity:

Listen to what Pythagoras was the first to find in Greece, Jerome says: That souls are immortal, that they pass from one body into another, and, it is Virgil himself who tells us in the sixth book of the Aeneid: When they have made a revolution of a thousand years, God calls them in great numbers to the banks of the river Lethe, so that they may undoubtedly see again the heaven they no longer remember; it is then that they begin again to revive a new body, which first was Euphorbus, then Calide, then Hermoticus, then Perhius and finally Pythagoras ; and that after a certain time what has existed begins to be born again, that there is nothing new in the world, that philosophy is a collection of meditations on death, that every day it strives to free the soul from the chains that bind it to the body and to give it back its freedom. Plato communicates many other ideas in his writings, especially in the Phaedo and in the Timaeus.

The hidden geometry of numbers

For Pythagoras « the beginning is half of everything ». According to Theon of Smyrna (v. 70/v. 135), for the philosopher, « numbers are, so to speak, the principle, the source and the root of all things ».

Aristotle, in his Metaphysics reports:

The Pythagoreans first applied themselves to mathematics… Finding that things [including musical sounds] model their nature mainly on the set of numbers and that numbers are the first principles of the whole of nature, the Pythagoreans concluded that the elements of numbers are also the elements of everything that exists, and they made the world a harmony and a number.

And as Cleinias of Tarantum (4th century BC), a Pythagorean friend of Plato, said:

When these things, therefore, are at rest, they give birth to mathematics and geometry, when they are in motion to the harmonica and astronomy.

The idea of the « monad », a dynamic unity participating in the One, perfected several centuries later by the philosopher and scientist Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716) in his « Monadology« , comes to us from this period. Etymologically meaning « unity » (monas), it is the supreme unity (the One, God, the principle of numbers) which, while being at the same time the minimal unity, reflects in the microcosm the same dynamic activity that the One represents in the macrocosm.

Already, just the name of Apollo (a god considered as « the father » of Pythagoras) means, as Plato, Plutarch and other ancient authors point out: free of all multiplicity (Pollo = multiplicity; a-pollo = non-multiple).

Xenophanes of Colophones (born around 580 BC), asserts the existence of a unique God governing all things by the power of his intelligence. It is about a god not similar to the men, because eternal, incorporeal and spherical.

The triangular numbers: 1, 3, 6 and 10. Note the presence of a hexagon inside the number 10, the famous Tetraktys of Pythagoras.

As much as this conception of a dynamic One has sometimes provoked an explosion of esoteric interpretations, it has stimulated the most creative minds and terrorized the formalists of thought.

When speaking about simple things, arithmetic numbers, Pythagoras uses the terms of one, two, three, four, five, ten…, while to evoke ideal numbers and their power, he speaks about: monad, dyad, triad, tetrad, decad, etc. Thus, by conceiving numbers in a non-linear but figurative way, he offers an arithmetic applicable to astronomy, music and architecture. By arranging these numbers, like marbles, in a particular way, Pythagoras discovered the famous « geometry of numbers ». For example, in the case of triangular numbers, three points form a triangular surface. If we add three points below, we find the number 6, but it is still a triangle. And if we add four more points, we get the number 10, still a triangular number.

The Patriarch of Constantinople Photius (810-893) confirms that :

The Pythagoreans proclaimed that the complete number is ten.
The number ten, is a compound of the first four numbers that we count in their order. That is why they called Tetraktys the whole constituted by this number.

Besides the plane and triangular numbers (1, 3, 6, 10, etc.), Pythagoras explored the square numbers (1, 4, 9, 16, …), rectangular, cubic, pyramidal, star-shaped, etc. In doing so, Aristoxenus said, Pythagoras had « raised arithmetic above the needs of merchants ». This approach, that of seeing harmony above and within the multiple, has inspired many scientists throughout history. One thinks of Mendeleev for the elaboration of his table of elements or of Einstein.

The power of numbers was also well understood by the cardinal-philosopher Nicolaus of Cusa, who evokes Pythagoras in the first chapter of his treatise De Docta Ignorantia (1440), when he states that :

All those who search, judge the uncertain by comparing it to a certain presupposition by a system of proportions. All research is therefore comparative, and uses the means of proportion: if the object of research can be compared to the presupposition by a small proportional reduction, the judgment of apprehension is easy; but if we need many intermediaries, then difficulty and pain arise. This is well known in mathematics: the first propositions are easily brought back to the first principles which are very well known, whereas the following ones, because they need the intermediary of the first ones, have more difficulty. Therefore, all research consists of a comparative proportion, easy or difficult, and this is why the infinite, which escapes, as infinite, from all proportion, is unknown. Now, the proportion which expresses agreement in a thing on the one hand and otherness on the other hand, cannot be understood without the number. This is why the number encloses all that is susceptible of proportions. Therefore, it does not create a proportion in quantity only, but in everything that, in some way, by substance or by accident, can agree and differ. Therefore, Pythagoras strongly believed that everything was constituted and understood by the power of numbers. Now, the precision of combinations in material things and the exact adaptation of the known to the unknown are so far above human reason that Socrates considered that he knew nothing but his ignorance; at the same time as the very wise Solomon affirms that all things are difficult and that language cannot explain them.

The Geometry of numbers,
the secret of mental calculations

Here is a simple example.

One day, in Göttingen, the teacher of the young German mathematician Carl Gauss (1777-1855) asked his students to calculate the sum of all the numbers from one to one hundred. The students did so and began to add the numbers 1 + 2 + 3 + 4 + 5, etc.

The young Gauss raises his hand and, following a mental calculation, announces the result of the operation: « 5050, Sir! »

The teacher, surprised, asks him how he arrived at the result so quickly. The young Gauss explains: to see if there is a geometry in the number 100, I added the first digit (1) with the last (100). This gives 101. Now, if I add the second digit (2) with the second to last one (99), it also makes 101. I concluded that within the number 100 there are fifty pairs of even and odd numbers whose sum is 101 each time. Thus, by multiplying 101 by the number of couples (50), I immediately arrive at 5050.

From Pythagoras to Plato

For Pythagoras, the most perfect surface is the circle and the ideal volume is the sphere since regular polyhedra can be inscribed. According to one of his disciples, the Italian Philolaus of Croton (-470/-390 BC), Pythagoras would have been the first to define the five regular polyhedrons:

  • the cube,
  • the tetrahedron (a pyramid with 4 triangular faces),
  • the octahedron (composed of 8 triangles),
  • the icosahedron (64 triangles) and
  • the dodecahedron (composed of 12 pentagons).

Since Plato describes them in his work, the Timaeus, these regular polyhedra took the name of « Platonic solids ». Let’s recall that Plato went to Italy several times, notably to meet his close friend, the great Pythagorean scientist, astronomer, musical theorist and political leader, Archytas of Tarantum (-428/-387), considered today as « the father of robotics ».

A direct disciple of Philolaos, Archytas became the mathematics teacher of the brilliant Greek astronomer and physician Eudoxus of Cnidus (-408/-355).

A geometrical vision of numbers allows to see how their power increases. For example, by going from the number 3 to the number 4, one goes from the second dimension to the third.

Starting with Archytas, the Pythagoreans associate the 1 to the point, the 2 to the line, the 3 to the surface (the two-dimensional geometrical figure: circle, triangle, square…), the 4 to the solid (the three-dimensional geometrical figure: tetrahedron, cube, sphere, etc.).

Let’s add that in the Timaeus, one of Plato’s last dialogues, after a brief exchange with Socrates, Critias and Hermocrates, the Pythagorean philosopher Timaeus of Locri (5th century BC) exposes a reflection on the origin and the nature of the physical world and of the human soul seen as the works of a demiurge while addressing the questions of scientific knowledge and the place of mathematics in the explanation of the world.

Cicero (Republic, I, X, 16) specifies that Timaeus of Locri was an intimate of Plato:

No doubt you have learned, Tuberon, that after the death of Socrates, Plato went first to Egypt to learn, then to Italy and Sicily, in order to learn all about the discoveries of Pythagoras.
There he lived for a long time in the intimacy of Archytas of Taranto and Timaeus of Locri, and had the chance to obtain the Commentaries of Philolaos.

The music of the spheres

Luca della Robbia: Pythagoras discovering harmony.

A magnificent bas-relief on the campanile of the Florence cathedral reflects what the early Italian humanists knew about Pythagoras.

Luca della Robbia (1399-1482), the sculptor working on the instructions of the humanist chancellor of Florence Leonardo Bruni (1370-1444), shows Pythagoras, a large hammer in one hand, a small hammer in the other, striking an anvil and concentrating his mind on the difference in the sounds he produces.

Pythagoras among the blacksmiths.

According to the legend, Pythagoras was walking near a forge when his attention was caught by the sound of hammers striking the anvil. He discerned in his ear the same consonances as those he could produce with his lyre. His intuition led to a fundamental discovery: musical sounds are governed by numbers.

This is how Guido d’Arezzo (992-1050), the Benedictine monk who created the system of musical notation still in use, relates the event in the last chapter (XX) of his book Micrologus around 1026:

A certain Pythagoras, a great philosopher, was traveling adventurously; he came to a workshop where an anvil was being struck with five hammers. Amazed by the pleasant harmony [concordiam] they produced, our philosopher approached them and, believing at first that the quality of sound and harmony [modulationis] lay in the different hands, he interchanged the hammers. When this was done, each hammer retained its own sound. After having removed one that was dissonant, he weighed the others, and, admirably, by the grace of God, the first weighed twelve, the second nine, the third eight, the fourth six of I don’t know what unit of weight. He thus knew that the science [scientiam] of music resided in the proportion and ratio of numbers [in numerorum proportione et collatione] […] What can we say about the science of music? […] What more can be said? By arranging the notes according to the intervals mentioned above, the illustrious Pythagoras was the first to perfect the monochord. As it is not lasciviousness that one finds there, but a fast revelation of the knowledge of our art, it met a general assent among the scholars. And this art has gradually been affirmed and developed to this day, for the Master himself always illuminates the human darkness and his supreme Wisdom endures for all centuries. Amen.

Here, the diagram (found on a slate placed at the feet of Pythagoras in Raphael’s fresco), which visualizes the musical harmonies obtained by dividing a string. Dividing it in two gives the octave, in three the fifth and in four the fourth. Finally, epogdoon (from the prefix epi- meaning above and ogdoon meaning the eighth) translates the interval of 9/8, which here corresponds to the tone.

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The diagram (visible on the slate placed at the feet of Pythagoras in Raphael’s fresco), which visualizes the musical harmonies that are obtained by dividing a string. Dividing it in two gives the octave, in three the fifth and in four the fourth. Finally, epogdoon (from the prefix epi- meaning above and ogdoon meaning the eighth) translates the interval of 9/8, which corresponds here to the tone.

Let’s go back to the harmonic ratios that Pythagoras discovered from the weights of the hammers: 12, 9, 8 and 6.

  • The ratio between 12 and 6 is the half and corresponds to the octave (diapason). It is found on a musical instrument by vibrating half a string;
  • The ratio between 12 and 8 is a ratio of two thirds, which corresponds to the fifth (diapente);
  • The ratio between 8 and 6, is a ratio of three quarters, which corresponds to the fourth (diatessaron);
  • Finally, the ratio between 8 and 9 gives the interval of a tone (epogdoon, the prefix epi- meaning above and ogdoon meaning the eighth).
Illustration from the treatise Theorica musiche (1480, Naples), by the theorist and composer Franchini Gaffurio (1451-1522), a friend and colleague of Leonardo da Vinci at the Sforza court in Milan.

Later, the Pythagoreans transposed the same proportions to other objects, including volumes of water in glasses, the size of bells as well as bronze disks or the length of strings of musical instruments or flutes. For Pythagoras, this experience is fundamental because it corroborates the basic intuition of his philosophy: everything that exists is number, including phenomena as immaterial as musical intervals. In a famous passage of the Timaeus (35-36), Plato describes the fabrication of the proportions of the World Soul by the Demiurge. This passage is based on the numerical series 1, 2, 3, 4, 9, 8, 27, which corresponds to the fusion of the series of the first powers of 2 (2, 4, 8) and the series of the first powers of 3 (3, 9, 27). Now, from this series, we can derive the numerical relationships on which the musical intervals are based.

In his Metaphysics, Aristotle also notes :

The Pythagoreans noticed that the whole of the modes of musical harmony and the relations which compose it are resolved in proportional numbers.

With the French philosopher Pierre Magnard, we would rather say:

If to know is to measure, music is the art of pursuing measurement beyond the threshold of incommensurability. When numerical, metric and weight standards are no longer capable of establishing proportions between natural realities, harmony comes to the rescue of its own scales – diatonic, chromatic, enharmonic – and of its intervals – fifth, fourth, third, octave – to make up for the lack of calculation.

Finally, as the Roman musicologist Theon of Smyrna (70-135) stated:

The Pythagoreans assert that music is a harmonic combination of opposites, a unification of multiples and an agreement of opposites.

In addition, for the Pythagoreans, music also had an ethical and medical value:

He started education with music, using certain melodies and rhythms, thanks to which he healed the character traits and passions of men, and brought harmony between the faculties of the soul.

All this made Pythagoras the incarnation of a cosmic and universal harmony**. Moreover, he would have been the first to have used the word « cosmos » (perfection, order).

A page from The Harmony of the World by Johannes Kepler.

Pythagoras, praised by the first true astrophysicist Johannes Kepler (1571-1630), is said to have been the first to coin the concept of « the music of the spheres » or « the harmony of the spheres ».

For, as Sextus Empiricus (towards the end of the second century) states in his Pyrrhonian sketches, Pythagoras would have noted that the distances between the orbits of the Sun, the Moon and the fixed stars correspond to the proportions regulating the intervals of the octave, the fifth and the fourth. In the Republic, Plato states that astronomy and music are « sister sciences ».

A page of the Harmony of the World where the astronomer Johannes Kepler evokes the music of the spheres.

Copernicus admits that the work of the Pythagoreans inspired his own research:

Others think that the Earth moves. Thus, Philolaos the Pythagorean says that the Earth moves around the Fire in an oblique circle, as do the Sun and the Moon. Heraclitus of Pontus and Ecphantos the Pythagorean do not, it is true, give the Earth a translational motion [motion around the Sun, heliocentrism]… Starting from this, I too began to think of the mobility of the Earth

(Copernicus, letter to Pope Paul III, preface to De revolutionibus orbium caestium [On the Revolutions of the Celestial Orbs], 1543).

The name Pythagoras (etymologically, Pyth-agoras: « he who was announced by the Pythia », the goddess), derives from the announcement of his birth made by the oracle to his father during a trip to Delphi. However, legend has it that Pythagoras was the son of Apollo, the god of light, poetry and music.

According to the oldest pre-Socratic traditions, Apollo had conceived a plan to control the universe. This plan was revealed in « the music of the spheres » under the wise supervision of Apollo, the sun god and god of music; a Greek god who passed to the Romans without changing his name. Apollo is represented with a crown of laurels and a lyre, surrounded by the nine muses.


GUIDED TOUR

After reviewing the political situation of the time, the motivations of Pope Julius II and his advisors seeking to re-establish the authority of a « Triumphant Church, » the ultimate culmination for centuries to come of a culture that goes back to Apollo, Moses, Pythagoras, Plato, Cicero and their disciples, the viewer now has some solid « keys » (the « codes ») in hand that will allow him or her to « read » Raphael’s frescoes adorning the Stanza.

Without Raphael’s account of his work, this reading remains an obstacle course. For example, the identification of the figures remains uncertain, since, with a few rare exceptions, no tablet tells us this. The idea, in any case, is that the spectator, by analyzing the appearance and gestures of each one, discovers for himself who is represented.

As we said, when entering the room, the viewer is immediately asked to appreciate each fresco not in isolation, but as an expression of a coherent whole.

When entering the Stanza, as if inside a painted cube, one immediately realizes that one is facing a theatrical setting. For the great vaults that the spectator discovers are only painted images and do not respond to any structural reality of the building. Inghirami was a speaker, an actor and a director who knew who should appear where, with what attitude and dressed in what way. Thanks to this imagination, a room that was at first sight rectangular and boring, was transformed into a spherical cube because the corners of the room were « rounded » with stucco.


A. THE CEILING

The ceiling of the Signing Chamber: at the centre, the coat of arms of Julius II (A). Then four circles with Philosophy (B), Theology (C ), Poetry (D) and Justice (E).

From the thematic point of view, the visual path, as one might expect, begins on the ceiling and ends on the floor. In the center of the ceiling, a small circle with the coat of arms of Julius II. Around it, an octagon surrounded by four circles connected by four rectangles. Each of the four circles touches the top of one of the four vaults painted on the four walls and shows an allegorical figure and a text announcing the theme of the large frescoes below.

Each time, it is a question of emphasizing the harmony uniting all the opposing (circle, square) parts. While the real incompatibilities are left to the checkroom, the oppositions and the formal differences will even be strongly emphasized, but exclusively to show that one can accommodate them by submitting them to a higher design.

The four circular frescoes decorating the ceiling of the Signature Chamber. Starting at the top left and going clockwise: Theology, Philosophy, Justice and Poetry.

Thus two double themes (2 x 2) are articulated:

  • Philosophy (the true accessible by reason), nicknamed The School of Athens, and Theology (the Truth accessible by divine revelation), nicknamed since the Council of Trent, the « Dispute of the Holy Sacrament »; a theme common to Aquinas and the neo-Platonists.
  • Poetry and music (the Beautiful), and Justice (the Just), a theme of Ciceronian origin.
  • Above the theme Philosophy, in one of the four circles, is represented by a woman wearing a dress with each of the four colors symbolizing the four elements evoked by a motif: blue illustrates the stars, red the tongues of fire, green the fish and golden brown the plants. Philosophy holds two books entitled « Morality » and « Nature », while two small genius (geniuses) carry tablets on which one can read « CAUSARUM » and « COGNITO », read together meaning « To know the causes ». Clearly, the aim of moral and natural philosophy is to know the causes, that is to say to go back to God.
  • Above Theology, a woman dressed in red and green, colors of the theological virtues. In her left hand, she holds a book, her right hand points to the fresco below. Two geniuses carry tablets saying « DIVINAR.RER » and « NOTITIA », « The revelation of sacred things ».
  • Above Poetry, the winged figure of the Poetry carrying lyre and crown of laurels. Two putti (cherubs) present us with tablets on which are inscribed the words of Virgil: « Inspired by the spirit » (NVMINE AFFLATVR). Since we are dealing with puttis and not geniuses, there is a clear reference to the Christian spirit that inspires the arts.
  • Finally, above the last fresco, Justice, a woman holds the attributes of justice: the scales and the sword. Two putti carry tablets with the words of the Emperor Justinian: « IVS SVVM VNICUMQUE », that is, « to each his just punishment ».

Then, still on the ceiling, as we have indicated, there are four rectangular frescoes connecting the four circles whose theme we have just specified. Again, these are two pairs that complement each other.

In the four squares: A. Wisdom, the first mover; B. The Fall with Adam and Eve driven out of Paradise; C. The Judgment of Salomon; D. The triumph of Apollo over Marsyas in the fight for the lyre.

A. A first rectangular fresco, linking Philosophy with Poetry, shows us a woman (wisdom, the first mover) here as the first cause and setting a celestial globe in motion and thus the universe in action. It may be the mythical Sibyl mentioned by Heraclitus, a superhuman incarnation of the prophetic voice. Philosophically, it is an allegory of the creation of the universe (or Astronomy). The constellation that appears on the globe has been identified. It corresponds to the sky map of the night of October 31, 1503, the date of the election of Julius II… which of course the date he became the “prime mover” of the universe.

B. The second rectangle, diametrically opposed to the first one and linking Justice to Theology, represents « Adam and Eve driven out of Paradise ». Considered as the beginning of theology, « The Fall of Man », will be repaired by the « redemption » that the Church and Pope Julius II will bring, embodied by the creative wisdom putting the universe back into motion.

C. The third rectangle, linking Philosophy and Justice, represents « The Judgment of Solomon, » a scene showing King Solomon’s wise judgment when two mothers claimed the same child.

D. And finally, the fourth, at the other end of the diagonal, connecting Poetry and Theology, represents, not « The Flogging of Marsyas » as has been claimed, but another rather rare scene, « The Triumph of Apollo over Marsyas » in the struggle for the lyre. The latter receives a crown of laurels. The two judgments are based on different bases for their mutual appreciation. While King Solomon, representing the Old Testament, judges on the basis of the divine law, Apollo, who represents antiquity here, prevails thanks to the rules of the pagan pantheon, his will power.


B. THEOLOGY

(THE DISPUTE OF THE HOLY SACRAMENT)

Theology (Dispute of the Holy Sacrament)

*In the upper (celestial) register :
A. God the Father, B. Jesus Christ, C. Mary, D. St. John the Baptist, E. Apostle Peter, F. Adam, G. St. John the Evangelist, H. King David, I. St. Lawrence, J. Judas Maccabaeus, K. St. Stephen, L. St. Stephen, M. Moses, N. James the Greater, O. Abraham, P. St. Paul, SE. Holy Spirit.


*In the lower (earthly) register:
1. Fra Angelico, 2. ?, 3. Donato Bramente, 4. ?, 5. ?, 6. Pico della Mirandola, 7. ?, 8. ?, 9. ?, 10. Saint Gregory, 11. Saint Jerome, 12. ?, 13. ?, 14. ?, 15. ?, 16. Saint Ambrose, 17. Saint Augustine, 18. Saint Thomas of Aquinas, 19. pope Innocent III, 20. Saint Bonaventure, 21. pope Sixtus IV, 22. Dante Alighieri, 23. ?, 24. ?; 25. a mason, 26. ?, 27. ?

Historians tell us that it was the first fresco to be made. The core subject here is the Trinity and « transubstantiation », a supernatural phenomenon signifying the conversion of one substance into another, in the case of Christians, the conversion of bread and wine into the body and blood of Christ in the Eucharist under the action of the Holy Spirit. This meant a « real presence » of God at mass and thus a major attraction to attract the faithful and a precondition to obtain « indulgences » from him. For some humanists, such as the Swiss Protestant Ulrich Zwingli (1484-1531), any doctrine of the real presence is idolatry because it would be tantamount to worshiping bread and wine as if it were God.

Erasmus, for whom the performance of rituals should never be a substitute for true faith, explains that when Christ said to his disciples, in offering them bread, « this is my body » and « this is my blood, » in offering them wine, he was in reality talking metaphorically, not of bread and wine, but of his disciples (his body) and his teaching (his blood).

The idea of the composition is to show the triumph of the unity of the Church in Christ in all its complexities and diversities. The scene takes place on two levels, one celestial and the other terrestrial, lining up, as in a theater, a vast variety of actors presenting themselves to the public.

Above, in the celestial register, the heart of the subject, « the Trinity » with God the Father (A) blessing enthroned above a Christ (C) surrounded by Mary (B) (the New Testament) on his right and St. John the Baptist (D) (the Old Testament) on his left, themselves appearing above a dove symbolizing the Holy Spirit (SE).

Around them, to match the architecture of the School of Athens opposite, sit peacefully on a semi-circular cloud bench, the remarkable figures of the Church Triumphant, accompanied by their traditional attributes and dressed in colorful garments specific to each.

At the ends of the semicircle, two apostles: the Apostle Peter (E), representing the Jews, and the Apostle Paul (P), representing the Gentiles, face each other, as if they were the outer guards of the triumphant Church, the custodians of both the key and the letter of it. The Old Testament is represented by Adam (F) facing Abraham (O), and Moses (M) facing King David (H) with his harp in hand. The New Testament is also represented by St. John (G) facing St. Matthew (N) (two authors of the Gospel), by St. Lawrence (I) and St. Stephen (L) (both martyred saints).

At the bottom, in the terrestrial register, there is an enormous altar (Y) on which is written (in the middle) « IV LI VS » (Julius). A golden monstrance (X) with a host in its center proclaims the presence of Christ in the mystery of transubstantiation. Next to it, the Doctors of the Church of the early days of Christianity: on the left (under the features of Julius II) St. Gregory (No. 10), the great reformer of the ritual and the chant of the Mass, next to St. Jerome (No. 11), the most profound scholar of Christianity), accompanied by his lion. On his right Saint Augustine (N° 17) and Saint Ambrose (N° 16). These four doctors are, unlike the other figures, seated, which already brings them closer to the figures in the heavens; we can also distinguish two later doctors who are St. Thomas Aquinas (No. 18), a Dominican; and St. Bonaventure (No. 20), a Franciscan.

The historian Konrad Oberhuber, adds that these last two,

embody two tendencies of the Church: one that sees its essence of Christianity in ritual and devout adoration (the dimension of feeling), the other that defends the importance of theology (the dimension of thought).

Only two figures appear twince in Raphael’s frescoes: Dante Aleghieri and Pico della Mirandola. The latter, here on the left, dressed in white, in Philosophy, on the right, dressed in yellow in Theology.

Then, Popes Innocent III (1160-1216) (N° 19), the most powerful pope of the Middle Ages who established the political independence of Rome) and Sixtus IV (1414-1471) (N° 21, Francesco della Rovere by name) rub shoulders with religious figures such as the Dominican Savonarola (instigator in 1494 in Florence of a political revolution (return to the Republic) and moral revolution (rechristianization) or, the painter Fra Angelico (N° 1), contemporary of Savonarola, admired for his frescoes and his sublime paintings, accompanied by Dante Alighieri (N° 20), whose Divine Comedy (with hell, purgatory and paradise) had an influence on theology in the Middle Ages, Donato Bramante (N° 3), the famous architect of St. Peter’s Basilica, not forgetting Pico della Mirandola (N° 6), (mistaken for Francesco Maria della Rovere) who, with his hair blowing in the wind, is pointing towards the Trinity in a light and graceful wiggle. On the right, masons (N° 22), who build churches, bend forward. If on the right, behind the figures, the white marble foundations (Z), allude to the new St. Peter’s Basilica whose reconstruction Julius II has just launched, on the left, a village church (Q) reminds us that Christianity must penetrate the daily life of the humble.


C. PHILOSOPHY

(“SCHOOL OF ATHENS”)

A beautiful central view perspective shows a get together of 58 Greek and other thinkers in an ideal temple. No chiaroscuro effect disturbs the balance of the colors and the clarity of the composition.

The American thinker Lyndon LaRouche (1922-2019), during his visit to the Vatican, marveled at the graceful harmony that radiates from this work. It could not help but resonate with a concept LaRouche developed throughout his life: that of the « simultaneity of eternity »; the poetic idea that « immortal » ideas continue their dialogue in a place beyond material time and space.

According to historians, Raphael, faced with the Herculean task of creating this series of portraits, and lacking reliable visual data about the figures to be portrayed, sent one of his assistants to Greece to collect indications and provide him with documentation to meet the challenge.

Small detail: the event doesn’t take place in Athens or Greece, but in Rome. The architecture is clearly inspired by the church of Sant’Andrea of Mantua, renovated shortly before his death by Leon Battista Alberti (1404-1472) and by Bramante‘s plans for the reconstruction of St. Peter’s Basilica in Rome. It is Rome set to become the new Athens.

Nave of the church of Sant’Andrea in Mantua, built in 1473 by the architect Leon Battista Alberti.

Although the steps can be found in the preparatory drawings, the large arches with their coffered vaults, typical of the dome of the Roman Pantheon, do not appear. Another probable source of inspiration is the arches, also with coffered vaults, the Basilica of Maxentius and Constantine, built in Rome at the beginning of the 4th century to reaffirm the power of the beauty of the Eternal City.

It is not excluded that Bramante himself, who had made a tromp-l’oeil using this type of pattern in the apse of the church of Santa Maria presso San Satiro in Milan, designed them in person. With three arches (tetrad) and seven rows of caissons, Pythagorean numerology is never far away.

Visually, the ensemble is divided in two. The audience is on the same level as the foreground, a paved parterre behind which a very wide staircase leads to a raised forecourt. For the viewer, a slightly cavalier perspective reinforces the monumental dimension of the figures on the upper level. This setting is inevitably reminiscent of a theater stage.

The actors, arriving from the old world, can enter the stage on one side, under the statue of the Greek god Apollo (A), god of light, and leave on the other, towards the new world, under the statue of Pallas Athena (B), which became Minerva in Roman times, protector of the Arts, to exchange ideas with each other, address the audience or climb the stairs and leave through the back.

In the center of the square and in the center of a perspective with a central point of view, Plato (N° 9) and Aristotle (N° 10) don’t confront each other but move forward, side by side, towards the viewers (and the Triumphant Church on the opposing wall).

The first one, with the Timaeus in his hand, points a finger towards the sky, meaning that beyond the visible, a higher principle exists. The second one extends his arm and his hand horizontally underlining that all truth comes to us from the testimony of the senses, while carrying the Ethics with the other arm.

Strangely, these are the only two books in the stanza whose names appear in Italian (Timeo, Etica) and not in Latin. As the art critic Eugenio Battisti (1924-1989) observed:

If we (…) examine the titles of the works respectively held by Plato and Aristotle, we see the philosopher of the Academy holding the Timaeus, that is to say the most Aristotelian and the most systematic of his works and the Stagirite, the Nicomachean Ethics, that is to say the most Platonic of his works.

Even the choice of the colors of the clothes emphasizes complementarity: Plato is dressed in red (fire) and purple (ether); Aristotle in blue (water) and yellow (earth).

The colors of the clothes of the two philosophers symbolize the four elements: Plato is dressed in red (fire) and purple (ether); Aristotle in blue (water) and yellow (earth).

If the whole fresco cuts the world in two between Platonists and Aristotelians, both walk together towards what is in front of them and behind the spectator who looks: towards the fresco of Theology with the Trinity in the center without forgetting the monstrance and the imposing altar on which is marked « JV-LI-VS PON TI CUS ». How generous of the Church to welcome so many pagans into its midst!

Plato and Aristote walk toward this alter in front of them, on which one can read twice (in the center and on the top): « Julius »

Raphael however communicates a great sense of movement. In the same way that the Dutch painter Rembrandt, in his 17th century masterpiece The Company of Captain Frans Banning Cocq, known as The Night Watch, broke with the formal representations of the dignitaries of the city guilds, Raphael here drew a line under the frozen and static representations of the series of « great men » often decorating the palaces and libraries of the great princes and lords in the style of his master Perugino.

His fresco, like Leonardo’s Last Supper in Milan, is organized as a sequence of small groups of three or four people conversing with a great thinker or each other, never out of sync with what is happening around them. In this sense, Raphael translated into images, and thus made accessible to the eyes of the spectators, that harmonic unity transcending the multiple so sought after by the commissioners.

Raphael and Inghirami did not hesitate to use portraits of people living in their time to represent historical figures. In addition to themselves, there are their patrons, colleagues and other personalities whom they hoped to please or charm.

In the foreground, four groups are shown.

Raphael’s impresario, the Pope’s chief librarian, Tommaso Inghirami as Epicurus in Raphael’s fresco. He wears not a laurel wreath, but oak leaves, the coat of arms of Pope Julius II.

On the left, Epicurus (N° 25), here with the features of Inghirami writing the setting of the play. Born in Samos like Pythagoras, he wears here, not a crown of laurels, reward given to great orators, but a crown of oak leaves, symbols that we find in the coat of arms of pope Julius II.

Some historians believe that Inghirami was a Dionysian follower of Orphism, another pre-Socratic current. Dionysus is indeed the brother of Apollo and according to some, their teachings are one and the same.

As mentioned above, shortly after Raphael’s death (1520), Cardinal Jacopo Sadoleto published a treatise in which Inghirami defends rhetoric and denies any value of philosophy, his main argument being that everything written is already in the mystical and mythological texts of Orpheus and his followers.

In Rome, the scholars of the time knew Epicurus mainly through their readings of Cicero for whom Epicurus was not a debauchee but someone who sought the noblest pleasure. Cicero had a friendship with an Epicurean philosopher, a certain Phaedrus, as it happens the nickname of Inghirami…

Finally, on the extreme left, there is an old bearded man, the Greek thinker Metrodorus (N° 26), disciple of Anaxagoras and for whom it is « the acting spirit » that organized the World. In front of him, a newborn baby. Together they could symbolize the birth of truth (the child) and wisdom (the old man) and experience.

Pythagoras of Samos, in The Philosophy. On the slate, at the bottom, the famous Tetraktys, at the top, the harmonic ratios of the musical scale.

Next to him, a little more in the center, the imposing figure of Pythagoras (N° 22) (whom the Italian historian Georgio Vasari mistook for the evangelist Saint Matthew), seated with a book, an inkwell and a pencil, writing surrounded by visibly intrigued people. Behind him, seated on the left, an old man, representing Boethius (N° 23), Roman author, in the sixth century, of a treatise on music, the first part of which evokes « the harmony of the spheres », tries to look at what he is writing in his book. Without capturing a moment of potential transformation, as Leonardo knew how to do, the scene is obviously inspired by his unfinished painting, the Adoration of the Magi.

At his feet, a black slate with the famous Tetraktys and a diagram of musical intervals (see our section in this article on Pythagoras).

Since it is totally unthinkable that it is Averroes (banned from the Church, as said, by Aquinas), the turbaned man who seems to admire him could be Avicenna (Ibn Sina) (N° 24). This Persian physician, influenced by the thought of both Hippocrates and Galen, in his Qanûn (of Medecine), operates a vast medico-philosophical synthesis of Aristotle‘s logic (which he corrects) and neo-Platonism, compatible with monotheism.

It could also be Al Fârâbi (872-950), another Arab scientist and musician who sought to reconcile faith, reason and science with the philosophy of Plato and Aristotle, whose translations from Greek into Arabic he had made. Avicenna admired him and the title of one of Al Fârâbî’s works leaves no ambiguity: The Harmony of the Opinions of the Two Sages: Plato the Divine and Aristotle.

Moreover, given his position on the side of the Platonists, although he wears a white turban, it is totally excluded that he is Averroes (Ibn Rushd), an author struck down by Aquinas (see the paintings showing The Triumph of Saint Thomas) and then by the Neoplatonists of Florence for having denied the immortality of the individual soul.

More in the center of the fresco, two isolated figures immersed in their thoughts. The first, on the left, appears to have been added later by Raphael and is not in his drawing. The man is dozing on a cube, a Pythagorean volume par excellence. It is thought to be Heraclitus of Ephesus (No. 19) (an Ionian pre-Socratic for whom « there is nothing permanent but change ») with the features of Michelangelo. This sculptor fascinated Raphael, not only for his gifts in drawing, anatomy and architecture, but also for his spirit of independence from a pope he considered tyrannical.

It should be noted that the Moses that Michelangelo sculpted for the tomb of Julius II is said to be looking at him with anger because the artist captured the moment when Moses, coming down from Mount Sinai with the Tables of the Law, noticed that the Hebrew people had returned to worshiping idols, such as « the Golden Calf ». Irritated by this return to idolatry, Moses broke the Tables of the Law.

From Pythagoras to Plato.
One detail raises questions: Anaximander of Miletus places his right foot on a cubic block of marble whose volume seems to be eight times smaller than the one on which Heraclitus of Ephesus rests. However, to solve the problem of Delos (the duplication of the volume of the cube) it is necessary to wait for the Pythagorean and friend of Plato, Archytas of Taranto.

Anaximander of Miletus (N° 20) (and not Parmenides), also a representative of the Ionian school, stands behind Heraclitus and seems to contest the demonstration of Pythagoras (representative of the so-called « Italian » school). Behind him, a young man with long hair, looks at the spectator. Dressed in a white toga, an attribute of the Pythagoreans, he is once again Pico della Mirandola (N° 21), triumphant and surrounded by Pythagoras and two of his disciples. Legend has it that Raphael portrayed Hypatia of Alexandria (c. 370-415), a mathematician who headed the Neoplatonist school in Alexandria. When one of the cardinals examined the painting and knew that the woman depicted was Hypatia, he is said to have ordered that she be removed from it. Raphael is said to have obeyed, but replaced her with the effeminate figure of a nephew of Pope Julius II, Francesco Maria Della Rovere, future Duke of Urbino…

If this is really Pico della Mirandola, it would be a superb piece of praise, for appearing in both Philosophy and Theology, the two images of Pico, reminiscent of the kneeling angel looking at the viewer while pointing at St. John the Baptist in Leonardo’s Madonna of the Rocks, can contemplate each other!

The second isolated figure, nonchalantly spread out on the stairs, is the cynical and hedonistic philosopher Diogenes of Sinope (N° 18), here presented as an ascetic, but in the Aristotelian tradition.

The geometer (Hippocrates of Chios?).
Slate of the geometer.

Then, in the center right, an inspiring group of young people, amazed by their discoveries and exchanging their complicit glances with their comrades, around a surveyor who is examining or drawing with a compass parallel lines inside a hexagonal star on a slate laid on the ground.

This is an illustration of a theorem that neither Euclid (an Aristotelian) nor Archimedes mentioned, although the identity of one or the other is attributed to this figure in the guise of the architect Donato Bramante.

It could be, it is my conviction, the geometer Hippocrates of Chios (N° 17) of which Aristotle speaks in great good. He wrote the first mathematics textbook, entitled The Elements of Geometry. This work precedes Euclid’s Elements by a century. Unless we are talking about the architect Leon Battista Alberti, whose church in Mantua may have inspired Bramante and after all, author, in 1435, of De Pictura, a treatise (of Aristotelian spirit) on perspective.

However, in 1485, in his treatise on architecture De re Aedificatoria, Alberti, in a passage (IX, 5) that may have been of interest to the author of the fresco, stressed that:

“Beauty consists in a harmony and in an agreement of the parts with the whole, in accordance with determinations of number, proportionality and order such as the harmony requires it, that is to say the absolute and sovereign law of the nature.”

On the edge of the tunic: R.V.S.M. (Raphael Vrbinas Sua Manu, meaning: « By the Hand of Raphael of Urbino »).

Finally, to add to the mystery, on the collar of the tunic of this figure can be read: « R.V.S.M. » (Raphael Vrbinas Sua Manu), meaning « By the Hand of Raphael of Urbino »).

For what the surveyor is addressing on the slate is the role played by the diagonals of the hexagon. The answer is provided by the geometrical composition, in the form of a hexagon, which underlies the entire construction of the perspective of the fresco.

The diagonals show a beautiful complementarity between the arithmetic mean and the harmonic mean (see authors diagram below).

It is a masterly demonstration in the field of the visible, of the concept structuring the whole theme of the work: complementarity, the foundation of universal harmony.

By tracing the horizon line and the lines of escape of the perspective from the bottom of the cornices of each arch, the isosceles triangle OAB appears. By inscribing it in a circle whose center is the central vanishing point (O), we obtain a hexagon. By tracing the diagonals (XB) of this hexagon, we obtain both the arithmetic mean (Y) and the harmonic mean (Z). The trick is done! For their complementarity illustrates marvelously the guiding motif of the whole Signature Chamber: the universal harmony that orders the beauty of the proportions of the universe.
Credit: Karel Vereycken

On the right, the geographers Ptolemy (No. 16) and Strabo (No. 15) (in the guise of Baldassare Castiglione, the head of the Pope’s army and a friend of Raphael’s?), who is identified without real evidence with Zoroaster but to whom Pico della Mirandola indeed refers, stand face to face. The first shows the Earth as a sphere, the second a globe of the Heavens.

Finally, on the far right of the first register, with the features of Raphael, the legendary painter of the court of Alexander the Great, Apelles of Cos (N° 13). It should be remembered that, during his lifetime, Raphael was nicknamed « the Apelles of his time ». Next to him, his rival, the Greek painter Protogenes (N° 14) in the guise of Raphael’s colleague, the sulfurous but virtuoso fresco artist Sodoma. Coming from the world of the craftsmen, it is a question here of marking the entry of two painters-decorators into « the court of the big guys » and making their first steps in the world of philosophy.

Raphael, preparatory drawing for Plato and Aristotle. In the final version, their respective sizes have been equalized. Note the absence of the titles of the books.

On the steps, the central subject, as we have said, Plato and Aristotle. Plato‘s features in the fresco have nothing to do with any supposed portrait by Leonardo da Vinci. Leonardo was born in 1452 and was only 56 years old when the fresco was painted. Raphael is said to have used the image of a bust of Plato discovered in Athens in the ruins of the ancient academy. In reality, the famous drawing of an old man (Turin), supposed to be a self-portrait of Leonardo and resembling the image of Plato in the School of Athens, has been proven to date from the 19th Century.

In the crowd to the left of Plato is Socrates (no. 6), his teacher, whose face was known to everyone from Roman statues. The identification of the other figures remains largely hypothetical. One thinks of the speakers of Plato‘s dialogues. Close to Socrates, his old friend Crito (N° 4). Behind Socrates, the Athenian intellectual Isocrates (N° 7) who had withdrawn from political life and although close to Socrates, set himself up as Plato‘s rival. Close to the latter, the five interlocutors of Plato‘s dialogue, Parmenides. Among them, Parmenides (N° 8), considered at the origin of the concept of the One and the multiple, and the pre-Socratic thinker Zeno of Elaea, known for his philosophical paradoxes.

The Athenian general (here dressed as a Roman soldier) Alcibiades (N° 3) and the young man in blue could be Phaedo of Elis (N° 5) or Xenophon, both listening to Socrates counting on his fingers, a gesture suggesting his famous dialectic.

All around the Greek thinkers, other figures are stirring. Behind general Alcibiades, a figure (perhaps a librarian) holds back another running figure, begging him not to disturb the ongoing exchanges between philosophers and scientists.

At the far left, a man with a hat enters the stage. It could be Plotinus (N° 2), a founding figure of Neoplatonism admired by cardinal Bessarion, accompanied by Porphyry (N° 1), another Neoplatonist who brought his biography of Pythagoras as a messenger from the ancient world.

In the Renaissance, the realization of a fresco (painted on fresh plaster) was no longer linked to the position of the scaffolding (bridges) but to the decision of the workers and artists as to the surface to be realized in a day (giornata) of work. Generally it was a surface between 1 and 4 m2.
Here the giornata of the School of Athens.

D. JUSTICE

Justice
A. Fortitude, B. Prudence and C. Temperance.
1. Justinian, 2. Tribonian, 3. pope Paul III, 4. Antonio Del Monte,

5. pope Leo X, 6. pope Gregory IX (Julius II), 7. pope Clement VII.

On top, in the lunette (half moon), the three virtues represented would be Fortitude (A), Prudence (B) and Temperance (C). Together with Justice, they constitute the four cardinal (profane) virtues. The central female figure, holding a mirror, refers to Prudence. On the left, Fortitude holds an oak branch, an allusion to the della Rovere family from which Julius II, the pope who commissioned the frescoes, descended.

Below, once again, complementarity is at work. On the left, painted by Lorenzo Lotto, the Roman emperor Justinian I (N° 1) receives the Pandects (the civil law) from the Byzantine jurist Tribonian (N° 2).

On the right, in the guise of Julius II, Pope Gregory IX (N° 6) promulgates the Decretals; a masterly sum of canon law which he had ordered to be compiled and published in 1234.

On his right (thus on the left of the spectator), one sees a cardinal, in purple dress, having the features of the cardinal Jean de Médicis, future pope Leo X (N° 5). The two other cardinals behind him would be Alessandro Farnese, the future pope Paul III (N° 3), and Antonio Del Monte (N° 4). And to his left (right for the viewer) a cardinal representing Cardinal Julius de Medici, the future Pope Clement VII (N° 7). With your image immortalized on a fresco in the right place, your career to become pope would seem to be better engaged!

The fact that Julius II is represented wearing a beard allows to date the fresco beyond June 1511. Indeed, the pontiff, who left Rome beardless to wage war, then let his beard grow and vowed not to shave it off until he had liberated Italy. He returned to Rome in June. Historians point out that the prominence of the pope’s portrait indicates how the theme of the decoration of the Chambers was transformed, around 1511, into that of the glorification of the papacy. Hence, in this way “Justice” becomes the right of Julius II to impose « his » justice.


E. POETRY

(« PARNASSUS”)

Poetry (“Parnassus”).

The poets:
1. Alcaeus of Mytilene, 2. Corinna, 3. Petrarch, 4. Anacreon, 5. Sappho, 6. Ennius, 7. Dante, 8. Homer, 9. Virgil, 10. Statius (Poliziano), 11. Apollo, 12. Tebaldeo, 13. Boccaccio, 14. Tibullus, 15. Ariosto,

16. Propertius, 17. Ovid, 18. Sannazaro, 19. Pindar.

The nine muses:
A. Thalia, B. Clio, C. Euterpe, D. Calliope, E. Polyhymnia, F. Melpomene, G. Terpsichore, H. Urania.
I. Erato.

A window reduces the space available for the fresco to a large lunette where the characters are divided into small groups on a semi-circular line.

The underlying idea here, taken from St. Thomas, is that truth is made accessible to man, either by Revelation (Theology) or by Reason (Philosophy). For the Neoplatonic school, this truth manifests itself to our senses through Beauty (poetry and music).

The scene painted here takes place near Delphi, at the top of Parnassus, the sacred mountain of Apollo and home of the Muses of Greek mythology.

The large window around which the fresco is organized offers a view, beyond the cortile (small circular temple) of Bramante, on the hill of Belvedere (Mons Vaticanus), where shows were given and where, in ancient times, Apollo was honored, which earned him the name of Apolinis.

Apollo is the patron of musicians: « It is through the Muses and the archer Apollo that there are singers and citharists », says Hesiod. He even inspires nature: when he passes by, « the nightingales, swallows and cicadas sing ». His music soothes the wild animals and moves the stones. For the Greeks, music and dance are not only entertainments: they allow to heal men by tuning the discords that eat away at their souls and thus to bear the misery of their condition.

At the top of the hill, seven laurels. Near the Castalia spring, Apollo (N° 11), crowned with laurel leaves and in the center of the composition, is tuning around him the nine muses (A to I) playing on his lyre.

On the left side Calliope (D), the one « who has a beautiful voice » and represents the epic poetry, and on the right, Erato (I), « the lovable one » who represents the lyric and erotic poetry as well as the nuptial song. Each presides over the tuning of the other’s chorus: on the left, behind Calliope, Thalia (A) (« the flourishing, the abundant »), Clio (B) (« who is famous » and represents history) and Euterpe (C) (« the joyful » who represents music). Finally, just behind Erato, Polyhymnia (E) (« the one who says many hymns » and represents rhetoric, eloquence and pantomime), Melpomene (F) (« the singer » who represents tragedy and song); Terpsichore (G) (« the charming dancer ») and Urania (H) (« the celestial one » who represents astronomy).

And you don’t have to be Pythagoras to count 7 laurels on the mountain and remember that nine muses plus Apollo make… ten.

As one of the square frescoes on the ceiling reminds us, Apollo had triumphed over Marsyas in a fight to seize the lyre, considered as the divine instrument capable of leading souls to heaven, better than the flute which only excites the lower passions. By detaching the man from his immediate material concerns, the victorious lyre allowed to arouse the divine love in men. In addition, the Romans knew of a seven-stringed lyre, a Pythagorean legacy, the number seven referring to the seven heavenly bodies orbiting the central fire.

For the Pythagoreans and also Heraclitus, the imitation of the « harmony of the spheres », thanks to the harmonies produced by the seven strings, allows the purification of the souls.
Apollo at Mount Parnassus, woodcut by Hans von Kulmbach, published in 1502.

However, strangely enough, Apollo is not holding a traditional four-stringed lyre, but a lira da braccio. If Apollo plays here the lyre with arms, the muses Calliope, Erato and the sibyl Sappho hold lyres identical to those of the sarcophagus known as « of the Muses » of the Museo delle Terme in Rome.

In many representations of the 16th century, the lyre is played by a group of angels or mythological characters, such as Orpheus and Apollo, but also King David, Homer or the Muses. Among its interpreters, we can count Leonardo da Vinci. The instrument is essentially designed like a violin, but with a wider fingerboard and a flat bridge that allows for chordal playing. The lyre generally has seven strings: four like a violin, augmented by an additional low string (making five), and two strings beyond the fingerboard, which are not played but serve as a drone and resonate in the octave. Now, Raphael, in order to create a perfect harmony with the number of muses around Apollo, will increase the number of strings from seven to nine, that is to say seven adjustable plus two drones. This detail concerning the lyre seems to have been modified in time. Indeed, an engraved reproduction, from 1517, probably from drawings prior to the fresco, or from its preliminary project, by Marcantonio Raimondi, reveals a state quite different from what we see today.

Marcantonio Raimondi, engraving (ca. 1517) after Raphael’s Mount Parnassus in the Signing Chamber.

The composition is less dense and highlights, like the School of Athens, several groups of three figures each. What is striking at first is that the ancient lyre played by Apollo with his fingers rests on his thigh, while in the present version, Apollo vibrates the strings of his lira da braccio with a bow, while looking up to the sky, in accordance with the fresco on the ceiling where are inscribed the words of Virgil: « Inspired by the spirit » (NVMINE AFFLATVR).

All around, eighteen poets are divided into several groups. The identification of some is unequivocal, that of others more doubtful. They are all chained to each other by gestures and looks, forming a kind of continuous crescent.

At the top left, the father of Latin poetry Ennius (N° 6), seated, listens raptly to the song of Homer (N° 8), while Dante (N° 7), further back, looks at Virgil (N° 9) who turns towards him, the Roman poet Statius (N° 10), in the guise of Poliziano, at his side. The latter was a disciple of the florentine Neoplatonist Marsilio Ficino. To represent the historical figures, Raphael drew inspiration from Roman statuary. For the face of Homer, for example, he adopted the dramatic expression of the Laocoon, which he had found in Rome in 1506.

At the bottom left are the Greek poet Alcaeus of Mytilene (N°1), the Greek poetess Corinna (N° 2), Petrarch (N° 3) as well as the Greek poet Anacréon (N° 4). In the final version, two characters who leave the frame came to enrich the composition. On the left, the sibyl Sappho (N° 5) as indicated by a tablet. Considered the first poetess of ancient Greece, she lived in the seventh and sixth centuries BC. According to the Homeric Hymns, it is her who would have built the first lyre to accompany the poetic recitation. The only woman in entire fresco is painted with a monumentality that is reminiscent of Michelangelo in the Sistine Chapel.

Sappho is the counterpart of Pindar (N° 19), and not Horace as is claimed, considered one of the greatest lyric poets of Greece and for whom Apollo was the symbol of civilization. Pindar is here in conversation with the Italian poet Jacopo Sannazaro (N° 18), dressed in blue and standing, and above them Ovid (N° 17).

On the right, on the side of the mount, besides Pindar, Sannazaro and Ovid, five other poets and orators : Antonio Tebaldeo (N° 12), with his back turned towards Apollo and under the features of Baldassare Castiglione ? ), Boccaccio (N° 13), behind, Tibullus (N° 14), Ariosto (N° 15), Propertius (N° 16), under the features of the cardinal poet very « Petrarquist » Pietro Bembo, a friend of Inghirami and enemy of Erasmus, and at his sides two unknown poets said « poets of the future judging the past ».

The identification of these characters remains largely hypothetical and controversial. To arrive at satisfactory results, it would be necessary according to the historian Albert Chastel, to find precise correspondences between the nine muses, nine classic poets and nine modern, in addition to the grouping by poetic genre.

After the death of Julius II, Pope Leo X made the Stanza della signatura his music room, replacing the books of his predecessor (which were moved to the large library on the lower floor) with intarsiae. Leo X will also have the pavement completed.


F. THE MOSAIC ON THE FLOOR

Mosaic of the Chamber of the signature:
A. Coat of arms of the pope, B. Spiral arm, C. Star of David, reference to the Jewish heritage.
Detail of the mosaic of the Chamber of Signature. We can read IVLIUS II PONT MAX.

The mosaic decorating the floor is said to be « cosmatesque », after the name of Cosmati, an old family of craftsmen and specialized in mosaics with four colors. Some materials come from Roman ruins, the green marble of the Peloponnese in Greece, the porphyry of Aswan in Egypt, and the yellow marble of North Africa. The white marble comes from the famous marble quarries of Carrara where Michelangelo chose his materials.

As on the ceiling, in the center of the room the coat of arms of the pope (A), this time inside a square (his earthly reign) inscribed in a circle (his theological mission). This first circle is surrounded by four spiral arms, each of which creates a new circular motif (B). This pattern is believed to be of Jewish origin. The Star of David (C) appears several times in this creation vortex. The doctrine of the four worlds, described in cabalistic cosmology, underlines their dynamic unity.

After all, for Giles de Viterbe, the recent discovery of Jewish mystical writings was of the same importance as the discovery of America by Christopher Columbus. Let us recall that for Julius II, like Plato and Pythagoras, Moses, whom Michelangelo sculpted for his tomb, already announced the later triumph of the Church of Rome which would, under his direction, synthesize them.

Conclusion

Thus, the whole theme of the « Chamber of the Signature » finds its full coherence with the idea of harmony and concordance. But when we look more closely, we see that it is only a question of « complementarity » at the level of forms and in the service of a temporal power disguised as a divine mission. Raphael, a talented painter, submitted to this by providing the product for which he was paid. He would end up painting things increasingly decadent by submitting to the pagan whims of the papal banker Agostino Chigi for the decoration of his villa, the Farnesina.

With the « Chamber of the Signature », we are far from the famous « coincidence of opposites » dear to Pythagoras, Plato, Nicholas of Cues and today Schiller Institute’s President Helga Zepp-LaRouche, which allows, in an uncompromising search for truth and for the love of humanity, to overcome paradoxes and solve a great number of problems from a higher point of view.

By piling up allegories and symbols, if it impresses, this masterly work ends up suffocating us. By the rules of its composition, it can only sink into the theatrical and the didactic. In a universe purged of the slightest irony or surprise, no real metaphor will be able to awaken us. And although Raphael tried to bring some life into it, the spectator is fatally left with a vast sediment of fossilized ideas, as dead as the most glorious ruins of the Roman Empire.

Brief bibliography:

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  • L’Humanisme, l’Europe de la Renaissance, André Chastel and Robert Klein, Editions Skira, Geneva, 1995;
  • L’Arétin ou l’insolence du plaisir, Bertrand Levergeois, Fayard, Paris, 1999;
  • Giorgio Vasari, l’homme des Médicis, Grasset, Paris, 1995;
  • Marsile Ficin et l’Art, André Chastel, Droz, Geneva, 1996 ;
  • Raphael and the Pope’s librarian, Nathaniel Silver, Ingrid Rowland, Paul Holberton Publishing, 2019;
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  • Raphael, Stephanie Buck and Peter Hohenstatt, Könemann, 1998;
  • The Intellectual Background of the School of Athens: Tracking Divine Wisdom in the Rome of Julius II, Ingrid D. Rowland, 1996;
  • Pagans in the Church: The School of Athens in Religious Contex, Timothy Verdon, 1996;
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  • Raphael, Konrad Oberhuber, Editions du Regard, Paris, 1999;
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  • Who was Raphael, Nello Ponente, Editions Skira, Geneva, 1967:
  • Lives and doctrines of the illustrious philosophers, Diogenes Laërtius, La pochothèque, Paris, 1999;
  • Erasmus and Italy, Augustin Renaudet, Editions Droz, Paris, 2000 ;
  • Erasmus among us, Léon Halkin, Fayard, 1987 ;
  • Comment la folie d’Erasme sauva notre civilisation, Karel Vereycken, 2005 ;
  • The egg without shadow of Piero della Francesca, Karel Vereycken, 2007;
  • Albrecht Dürer against neo-platonic melancholy, Karel Vereycken, 2007.

NOTES:

* For an in-depth treatment of the subject, see Karel Vereycken, Albrecht Dürer against Neo-Platonic Melancholy, 2007.

**We can see here where certain sects, notably Rudolf Steiner’s Anthroposophists, draw their inspiration. Some still insist on demonstrating that Pythagoras, who believed in the transmigration of souls and therefore their possible reincarnation in animals or plants, was a vegetarian. Diogenes Laertius tells us that one day, « passing by someone who was mistreating his dog, it is said that he [Pythagoras, in a joking tone] was moved by compassion and addressed the individual with these words: ‘Stop and do not strike again, for it is the soul of a man who was my friend, and I recognized him by hearing the sound of his voice’ « . A whole series of authors ended up falling into numerology and irrational esoteric mumbo-jubo, in particular Francesco Zorzi, Agrippa of Nettesheim and Paracelsus.

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Comment Jacques Cœur a mis fin à la guerre de Cent ans

La vie de Jacques Cœur, un simple fils de pelletier devenu argentier du roi et dont la devise était « A vaillans cuers, riens impossible », a de quoi nous inspirer aujourd’hui.

Sans attendre la fin de la guerre de Cent Ans (1337-1453), Jacques Cœur, un homme intelligent et énergique mais dont n’existe aucun portrait ni traité, décide de reconstruire une France ruinée, occupée et en lambeaux.

Marchand mais aussi banquier, aménageur du territoire, armateur, industriel, maître de mines dans le Forez, il est le contemporain de Jeanne d’Arc, qui habitera Bourges en 1429, de Gilles de Rais, et le confident d’Agnès Sorel.

En premier lieu, il travaillera avec les papes humanistes de la Renaissance, protecteurs de Nicolas de Cues et de Piero della Francesca. Voyant une Europe menacée d’implosion et de chaos, mettre fin à une guerre interminable et unifier la Chrétienté est leur priorité.

Ensuite, marchant dans les pas de Saint-Louis, Cœur est un des premiers à assumer pleinement la vocation maritime de la France. Enfin, grâce à une politique intelligente de change et en tirant profit des Routes de la soie maritimes et terrestres d’alors, il favorise le commerce international. A Bruges, à Lyon et à Genève, il échange de la soie et des épices contre du drap et des harengs tout en investissant dans la sériciculture, dans la construction navale, dans les mines et la sidérurgie.

Préparant le règne de Louis XI et bien avant Jean Bodin, Barthélémy de Laffemas, Sully et Jean-Baptiste Colbert, son mercantilisme annonce les conceptions d’économie politique perfectionnées par la suite par l’économiste allemand américain Friedrich List ou le premier secrétaire américain au Trésor, Alexander Hamilton.

Nous nous concentrons ici sur sa vision de l’homme et de l’économie et laissons de côté des sujets importants, notamment le procès contre lui, ses rapports avec Agnès Sorel ou encore Louis XI, auxquels de nombreux livres ont été consacrés.

Palais de Jacques Cœur à Bourges, une résidence où il a très peu séjourné.

Jacques Cœur (1400-1454) est né à Bourges où son père, Pierre Cœur, exerce la profession de marchand pelletier. De condition modeste, venu de Saint-Pourçain, ce dernier se marie avec la veuve d’un boucher, ce qui améliore nettement son statut, la corporation des bouchers étant particulièrement puissante.

Guerre de Cent Ans

Ce début du XVe siècle n’est pas particulièrement réjouissant. La « guerre de Cent Ans », oppose le parti des Armagnacs aux Bourguignons alliés à l’Angleterre. Comme lors de la grande faillite systémique des banquiers de la papauté en 1347, les terres agricoles sont pillées ou restent en jachère.

Alors que l’urbanisation avait su prospérer grâce à un monde rural productif, ce dernier est déserté par des cultivateurs qui viendront renforcer les hordes d’affamés peuplant des villes manquant d’eau, d’hygiène et de moyens pour se subvenir. Épidémies et pestes deviennent alors monnaie courante ; égorgeurs, écorcheurs, retondeurs et autres brigands sèment la terreur et rendent impossible toute vie économique véritable.

Jacques Cœur a quinze ans lorsque se déroule chez nous une des plus cuisantes défaites de l’armée française.

La bataille d’Azincourt (1415) (Pas-de-Calais), où la chevalerie française est mise en déroute par des soldats anglais inférieurs en nombre, sonne la fin de l’ère de la chevalerie et le début de la suprématie des armes à distance (arcs, arbalètes, premières armes à feu, etc.) sur la mêlée (corps à corps). Une partie importante de l’aristocratie y est décimée et une part essentielle de territoire passe sous la coupe des Anglais. (voir carte)

Charles VII

Portrait du roi Charles VII par Jean Fouquet.

En 1418, le dauphin, futur Charles VII (1403-1461), que l’on connaît grâce au tableau du peintre Jean Fouquet, échappe à la capture lors de la prise de Paris par les Bourguignons. Il se réfugie à Bourges où il se proclame lui-même régent du royaume de France, eu égard à l’indisponibilité de son père atteint de folie, resté à Paris et tombé au pouvoir de Jean sans Peur, duc de Bourgogne.

Le dauphin est probablement l’instigateur de l’assassinat de ce dernier sur le pont de Montereau le 10 septembre 1419. Avec dérision, on le surnomme « le petit roi de Bourges ». La présence de la Cour donnera un élan à cette ville comme centre des échanges et du commerce.

Considéré comme un homme des plus industrieux et des plus ingénieux, Jacques Coeur, se marie en 1420 avec Macée de Léodepart, fille d’un ancien valet de chambre du duc de Berry, devenu prévôt de Bourges. Sa belle-mère étant la fille d’un maître des monnaies, par son mariage, Jacques Cœur, se retrouve en 1427, avec deux associés, en charge d’un des douze bureaux de change que compte la ville. Sa position suscitera bien des jalousies. Après avoir été accusé de ne pas respecter la quantité de métal précieux contenu dans les pièces qu’il fabrique, il est arrêté et condamné en 1428, mais bénéficie rapidement d’une grâce royale.

Yolande d’Aragon devant la Vierge et l’enfant.

Bien que le traité de Troyes (1420) déshérite le dauphin du royaume de France au profit d’un cadet de la maison des Plantagenêts, Charles VII ne s’en proclame pas moins roi de France à la mort de son père le 21 octobre 1422. Chef de fait du parti armagnac, replié au sud de la Loire, il voit sa légitimité et sa situation militaire nettement s’arranger grâce à l’intervention de Jeanne d’Arc (1412-1431), opérant sous la protection bienveillante de la belle-mère du dauphin : Yolande d’Aragon (1384-1443), duchesse d’Anjou, reine de Sicile et de Naples. (Note 1)

Jeanne participe à la levée du siège d’Orléans et fait sacrer Charles VII, en juillet 1429, comme roi de France à Reims. Yolande d’Aragon noue des contacts avec les Bourguignons préparant la paix et introduit Jacques Coeur à la cour royale. (Note 2)

Une chronique de l’époque dit d’elle qu’elle était considérée « comme la plus sage et la plus belle princesse de la chrétienté ». Selon son petit-fils Louis XI, elle avait « un cœur d’homme dans un corps de femme ».

Voyage au Levant

En 1430, Jacques Cœur, déjà réputé comme un homme « plein d’industrie et de haut engin, subtil d’entendement et haut comprendre ; et toutes choses, si haut fussent-elles, sachant conduire par son travail » (Note N° 3), se lance dans le commerce en créant, avec Barthélémy et Pierre Godard, deux notables de Bourges,

« une société en tout fait de marchandise et mesmement au fait du roy notre seigneur, de monseigneur le dauphin et autres seigneurs, et en toutes autres choses dont ilz pourraient faire proufitt ».

En 1431, Jeanne d’Arc, livrée aux Anglais par les Bourguignons, est brûlée vive à Rouen. Un an plus tard, en 1432, Jacques Cœur se rend au Levant. Diplomate et humaniste, Cœur y va en tant qu’observateur des coutumes ainsi que de la vie économique et politique.

Son navire, cabotant d’un port à l’autre, en longeant la côte d’Italie aussi près que possible, contourne la Sicile et arrive à Alexandrie en Egypte, à l’époque une ville imposante de 70 000 habitants où s’agitent des milliers de navires syriens, chypriotes, génois, florentins et vénitiens.

Port d’Alexandrie au XVIe siècle.

Au Caire, il découvre des trésors inconnus chez nous arrivant de Chine, d’Afrique et d’Inde par la mer Rouge. Autour du Palais du Sultan, des marchands arméniens, géorgiens, grecs, éthiopiens et nubiens proposent des pierres précieuses, de la soie, des parfums, des soieries et des tapis. Les rives du Nil sont plantées de cannes et les entrepôts regorgent de sucre et d’épices.

Vendre de l’argent à prix d’or

« Gros de roi », dit de Jacques Coeur. Pièce en argent, fabriquée à Lyon, émise en 1447.

Pour comprendre la stratégie financière de Jacques Cœur, quelques mots sur le bimétallisme. A l’époque, chez nous, contrairement à la Chine, la monnaie papier n’était pas d’usage. En Occident, tout se payait en pièces métalliques, et avant tout en or.

D’après Hérodote, c’est au VIe siècle avant J.-C., que Crésus aurait émis une monnaie d’argent et une monnaie d’or pur. Sous l’Empire romain, cette pratique avait perduré. Cependant, en Occident, si l’or se faisait rare, les mines de plomb argentifère y étaient prospères.

A cela s’ajoute qu’au Moyen Âge, l’Europe connaît une augmentation considérable des quantités d’argent métal en circulation du fait de nouvelles mines découvertes en Bohême. Le problème, c’est qu’en France, la production nationale ne suffisait point pour satisfaire les besoins du marché intérieur. Par conséquence, elle se voyait obligée d’utiliser son or pour acheter ce qui manquait à l’étranger, ce qui faisait partir l’or hors des frontières.

Selon les historiens, lors de son voyage en Egypte, Cœur observa que les femmes s’y habillaient des draps les plus fins et portaient des chaussures ornées de perles ou de joyaux d’or. En plus, elles adoraient ce qui était à la mode ailleurs, notamment en Europe. Par ailleurs, Cœur connaissait l’existence de mines d’argent et de cuivre mal exploitées dans le Lyonnais et ailleurs en France.

L’historien George Bordonove, dans « Jacques Cœur, trésorier de Charles VII », estime que l’argentier, ancien agent de change, a dû rapidement constater que les Egyptiens, préféraient «  bizarrement, l’argent à l’or, troquant l’un contre l’autre à poids égal », alors qu’en Europe, le taux de change établissait 15 volumes d’argent contre un volume d’or…

En clair, il se rendit à l’évidence que la région « regorgeait d’or » et que la cote de l’argent y était très avantageuse. L’opportunité d’enrichir son pays en obtenant un prix « en or » pour l’argent et le cuivre extrait des mines françaises, a dû lui apparaître comme une simple évidence.

A cela s’ajoute qu’en Chine, seul l’argent a cours. En d’autres termes, le monde arabo-musulman a l’or, mais manque d’argent pour son commerce avec l’Extrême-Orient, d’où son intérêt à s’en procurer en Europe…

Liban, Syrie, Chypre

Mosquée des Omeyyades à Damas.

Cœur se rend ensuite, via Beyrouth, à Damas en Syrie, à l’époque de loin le plus gros centre de commerce entre l’Orient et l’Occident.

La ville est réputée pour ses soieries à figures (les damas), ses voiles de gaze légers, ses confitures et ses essences de rose. Les tissus d’Orient eurent beaucoup de succès, dans les vêtements de luxe.

L’Europe se fournissait en mousseline de soie et d’or venant de Mossoul, de damasquins aux motifs tissés venant de Perse ou de Damas, de soies à décor de figurines nommées baldacchino, de draps à fond rouge ou noir ornés d’oiseaux bleus et or, venant d’Antioche, etc…

Par la « Route de la soie » arrivent également les tapis perses et les céramiques d’Asie. Le voyage se poursuit vers un autre grand entrepôt maritime des Routes de la soie : Chypre, une île dont le cuivre avait offert une prospérité exceptionnelle aux civilisations minoenne, mycénienne et phénicienne.

Tout ce que l’Occident produisait de meilleur se troquait ici contre l’indigo, la soie et les épices.

Gênes et Venise

Lors de son voyage, Cœur va également découvrir les empires maritimes de Venise et de Gênes, chacun disposant de protections d’un Vatican dépendant de ces puissances financières.

Les premiers, pour justifier leur juteux trafic avec les Musulmans affirmaient que « avant d’être chrétien », ils étaient Vénitiens…

Comme l’Empire britannique par la suite, les Vénitiens promouvaient le libre échange total pour soumettre leurs victimes, tout en appliquant un dirigisme féroce chez eux et des taxes prohibitives aux autres. Tout artiste ou personne divulguant un savoir faire vénitien subissait des conséquences terribles.

Venise, avant poste de l’Empire byzantin et fournisseur de la Cour de Constantinople, une ville de plusieurs millions d’habitants, développe la teinture des étoffes, fabrique des soieries, des velours, des articles de verre et de cuir, sans oublier les armes. Son arsenal fait travailler seize mille ouvriers.

Port de Gênes.

Sa rivale, Gênes, disposant de marins très capables et des techniques financières d’avant garde, avait colonisé le Bosphore et la mer Noire d’où affluaient des trésors de Perse et de Moscovie. Elles pratiquaient en plus, sans vergogne, la traite des esclaves, une pratique qu’ils transmettront aux Espagnols et surtout aux Portugais en position de monopole sur le commerce avec l’Afrique.

Évitant l’affrontement direct avec de telles puissances, Cœur se montre fort discret. La difficulté était triple : suite à la guerre, la France manquait de tout ! Elle n’avait ni numéraire, ni production, ni armes, ni navires, ni infrastructures !

A tel point que le grand axe commercial d’Europe s’était déplacé vers l’Est. Au lieu d’emprunter l’itinéraire du Rhône et de la Saône, les marchands passaient par Genève, et remontaient le Rhin pour se rendre à Anvers et Bruges. A cela s’ajoutera bientôt une autre difficulté : une ordonnance royale interdira l’exportation de métaux précieux ! Mais quels immenses profits pouvait tirer le Royaume de l’opération.

Les Conciles

Concile de Constance (1414-18).

Dès son retour du Levant, l’histoire de France s’accélère. Tout en préparant les réformes économiques qu’il souhaite, Jacques Cœur s’implique dans les grands enjeux de l’époque. Par son frère Nicolas Cœur, le futur évêque de Luçon, il jouera un rôle important dans le processus entamé par les humanistes visant, face à la menace turque, à unifier l’église d’Occident.

En effet, depuis 1378, il y avait deux papes, le premier à Rome, et le second à Avignon. Plusieurs conciles tentent alors de surmonter les divisions. Nicolas Cœur y assiste. D’abord, celui de Constance (1414 à 1448), suivi de celui de Bâle (1431) qui, après des interruptions, sera transféré, et ne se clôtura qu’à Florence (1439) établissant une « union » doctrinale entre les églises d’Orient et d’Occident avec un décret qui est lu en grec et en latin, le 6 juillet 1439, dans la cathédrale Santa Maria del Fiore, c’est-à-dire sous la coupole du dôme de Florence, construite par Brunelleschi.

Le panneau central du polyptyque de Gand (1432) peint par le peintre diplomate Jan Van Eyck sur le thème du Lam Gods (l’Agneau de Dieu ou Agneau mystique), symbole du sacrifice du fils de Dieu pour la rédemption des hommes et capable de réunifier une église déchirée par des différences internes. D’où la présence, à droite, des trois papes, ici unis devant l’agneau. Van Eyck exécuta également le portrait du cardinal Niccolo Albergati, un des instigateurs du Concile de Florence ainsi que celui du Chancelier Rolin, un des artisans de la Paix d’Arras en 1435.

La paix d’Arras

Proclamation, à Reims, de la Paix d’Arras.

Pour y arriver, les humanistes se concentrent sur la France. D’abord ils vont réveiller Charles VII. Après les victoires arrachées par Jeanne d’Arc, le temps n’est-il pas venu de reconquérir les territoires perdus sur les Anglais ? Cependant, Charles VII sait qu’une paix avec les Anglais, passe d’abord par une réconciliation avec les Bourguignons. Il entame donc des négociations avec Philippe le Bon, duc de Bourgogne.

Celui-ci n’attend plus rien des Anglais et souhaite se consacrer au développement de ses provinces. La paix avec la France est pour lui une nécessité. Il accepte donc de traiter avec Charles VII, ce qui ouvre, en 1435, la voie à la conférence d’Arras.

Celle-ci est la première conférence européenne sur la paix. Outre le Royaume de France, dont la délégation est menée par le duc de Bourbon, le maréchal de La Fayette et le connétable Arthur de Richemont, et la Bourgogne, conduite par le duc de Bourgogne en personne et le Chancelier Rolin, elle réunit l’empereur Sigismond de Luxembourg, le médiateur Amédée VIII de Savoie, une délégation anglaise, ainsi que les représentants des rois de Pologne, de Castille et d’Aragon. Bien que les Anglais quittent les pourparlers avant la fin, grâce à l’habilité du savant Aenéas Silvius Piccolomini (futur pape Pie II) ainsi que celle d’un cardinal de Chypre, porte-parole du Concile de Bâle, la signature du Traité d’Arras de 1435 permet la conclusion d’un accord de paix entre les Armagnacs et les Bourguignons, c’est-à-dire à la première étape mettant fin à la guerre de Cent Ans.

Entre-temps, le Concile de Bâle, qui s’était ouvert en 1431, va traîner en longueurs sans aboutir et le 18 septembre 1437, le pape Eugène IV, conseillé en cela par le cardinal philosophe Nicolas de Cues et arguant de la nécessité de tenir un concile d’union avec les orthodoxes, transfère le concile de Bâle à Ferrare et ensuite Florence. Seuls restent à Bâle les prélats schismatiques. Furieux, ils « suspendent » Eugène IV et désignent comme nouveau pape le duc de Savoie, Amédée VIII, sous le nom de Félix V. Cet « antipape » obtient peu de soutien politique. L’Allemagne reste neutre et en France, Charles VII se limite à assurer à son royaume un grand nombre de réformes décrétées à Bâle par la Pragmatique Sanction de Bourges du 13 juillet 1438.

Argentier du roi et grand commis d’Etat

Un des couloirs du Palais Jacques Cœur à Bourges. Le toit, sous forme de coque de navire, témoigne de sa grande passion pour les affaires maritimes.

En 1438, Cœur devint Argentier de l’hôtel du roi. L’Argenterie ne s’occupait pas des finances du Royaume. C’était plutôt une sorte d’économat chargé de répondre à tous les besoins du souverain, de ses serviteurs et de la Cour, pour leur vie quotidienne, leur habillement, leur armement, les armures, les fourrures, les tissus, les chevaux, etc.

Cœur va approvisionner la Cour avec tout ce qu’on ne pouvait ni trouver ni fabriquer chez nous, mais qu’il pouvait faire venir d’Alexandrie, de Damas et de Beyrouth, à l’époque des points nodaux majeurs de la Route de la soie terrestre et maritime où il installe ses agents commerciaux, ses « facteurs ».

Suite à cela, en 1439, après avoir été nommé maître des monnaies de Bourges, Jacques Cœur, devient, suite à la reprise de cette ville, maître des monnaies à Paris, et enfin, en 1439, l’argentier du Roi. Son rôle consiste alors à assurer les dépenses quotidiennes du souverain, ce qui le conduit à consentir des avances au Trésor et à contrôler les circuits d’approvisionnement de la Cour.

Ensuite, pour y lever l’impôt, le Roi le nomme, en 1441, commissaire aux États de Languedoc. Souvent, Cœur établit l’impôt sans jamais plomber la dynamique de la reconstruction. Et en cas de difficulté extrême, il prêtera même de l’argent, à taux bas et à long terme, à ceux qui doivent l’acquitter.

Anobli, Cœur devient en 1442 le conseiller stratégique du Roi. Il acquiert un terrain au centre de Bourges pour y construire sa « grant’maison », le Palais de Jacques Cœur. Cet édifice magnifique, doté de cheminées dans toutes les pièces et d’une étuve pour la toilette, a survécu aux siècles mais Coeur y a peu résidé.

Cœur est un véritable commis d’État investi de larges pouvoirs : recouvrir impôts et taxes et négocier pour le compte du roi des accords politico-économiques. Arrivé au sommet, Cœur est désormais dans la position idéale pour étendre son projet longuement mûri.

Gouverner la finance

Le 25 septembre 1443, la Grande Ordonnance de Saumur, promulguée à l’instigation de Jacques Cœur, assainira les finances de l’État.

Comme le relate Claude Poulain dans sa biographie Jacques Coeur :

« En 1444, après l’affirmation du principe fondamental que le roi seul disposait du droit de lever des impôts, mais que ses finances propres ne devaient pas être confondues avec celles du royaume, était édicté un ensemble de mesures qui touchait les Français à tous les niveaux ».

Parmi celles-ci :

« les roturiers, possesseurs de fiefs nobles, se voyaient contraints de payes des indemnités ; les nobles ayant reçu des seigneuries appartenant préalablement au domaine royal, seraient désormais contraints de participer aux charges de l’Etat, sous peine, là encore, de saisie ; enfin, on organisait les services financiers du royaume avec à leur tête un comité du budget formé de fonctionnaires de hauts grades, ’Messieurs des Finances’. »

Or, le Conseil du roi de 1444, dirigé par Dunois, est composé presque exclusivement de roturiers (Jacques Coeur, Jean Bureau, Étienne Chevalier, Guillaume Cousinot, Jouvenel des Ursins, Guillaume d’Estouteville, Tancarville, Blainville, Beauvau et le maréchal Machet). La France se relève et connaît la prospérité.

Si les finances se redressent, c’est avant tout grâce aux investissements stratégiques dans les infrastructures, l’industrie et le commerce. C’est la relance de l’activité, qui permet de faire entrer l’impôt. En 1444 il installe le nouveau Parlement du Languedoc en relation avec l’archevêque de Toulouse et, au nom du Roi, préside les États Généraux.

Un plan d’ensemble

En réalité, les différentes opérations de Jacques Cœur, parfois considérées à tort comme motivées exclusivement par sa cupidité personnelle, forment un plan d’ensemble qu’on qualifierait de nos jours de « connectivité » et au service de « l’économie physique ».

Il s’agit d’équiper le pays et son territoire, notamment grâce à un vaste réseau d’agents commerciaux opérant aussi bien en France qu’à l’étranger à partir des grandes cités marchandes d’Europe (Genève, Bruges, Londres, Anvers, etc.), du Levant (Beyrouth et Damas) et de l’Afrique du Nord (Alexandrie, Tunis, etc.), afin de favoriser des échanges gagnant-gagnant, tout en veillant au réinvestissement d’une partie des bénéfices dans l’amélioration de la productivité nationale : mines, métallurgie, armes, construction navale, formation, ports, routes, fleuves, sériciculture, filature et teinture d’étoffes, papier, etc.

Les mines

Sites miniers autour de Lyon.

Il s’agissait des mines d’argent de Pampailly, à Brussieu, au sud de l’Arbresle et de Tarare, à 25 kilomètres à l’ouest de Lyon, acquis et exploité dès 1388 par Hugues Jossard, un juriste Lyonnais. Elles étaient très anciennes, mais leur exploitation normale avait été fortement perturbée pendant la guerre. A cela s’ajoutait celles de Saint-Pierre-la-Palud et de Joux, ainsi que la mine de Chessy dont le cuivre servira aussi la production d’armement.

Jacques Cœur les rendra fonctionnelles. A proximité des mines, des « martinets », c’est-à-dire des hauts fourneaux chauffés au charbon de bois, transforment le minerai en lingots. Cœur fait venir des ingénieurs, et des ouvriers qualifiés d’Allemagne, à l’époque une région très en avance sur nous dans ce domaine. Cependant, sans système de pompage, l’exploitation des mines n’est pas une sinécure.

Sous la direction de Jacques Cœur, les ouvriers bénéficient de salaires et d’un confort absolu­ment uniques à l’époque. Chaque couchette avait son lit de plumes ou son matelas de laine, un oreiller, deux paires de draps de toile, des couvertures, un luxe alors plus qu’insolite. Les dortoirs étaient chauffés.

La nourriture était d’une rare qualité : pain contenant quatre cinquièmes de froment pour un cinquième de seigle, viande en grande quantité, œufs, fromages, poissons et le dessert comprenait des fruits exotiques : figues et noix par exemple. Un service social était organisé : hospitalisation gratuite, soins dispensés par un chirurgien de Lyon qui tenait « en cure » les victimes d’accidents. Chaque dimanche, un curé des environs venait spécialement célébrer une messe pour les mineurs. En revanche, les ouvriers étaient tenus à une discipline draconienne, faisant l’objet d’une réglementation en cinquante trois articles, qui ne laisse rien au hasard.

Les ports de Montpellier et de Marseille

Dès son retour du Levant, en 1432, Jacques Coeur avait choisi de faire de Montpellier le centre névralgique de ses opérations.

En principe, il était interdit aux Chrétiens de commercer avec les Infidèles.

Mais Montpellier, grâce à une bulle du pape Urbain V (1362-1370) avait obtenu le droit d’envoyer chaque année des « nefs absoutes » en Orient. Jacques Cœur obtiendra du pape qu’elle s’étende à l’ensemble de ses navires. Eugène IV, par la dérogation du 26 août 1445, lui accordera cet avantage, permission renouvelée en 1448 par le pape Nicolas V.

Il faut savoir qu’à l’époque, seul Montpellier, au milieu de l’axe est-ouest reliant la Catalogne aux Alpes (la voie domitienne romaine) et dont les avant-ports s’appelaient Lattes et Aigues-Mortes, dispose d’un hinterland (arrière-pays) doté d’un réseau conséquent de routes à peu près carrossables, une situation exceptionnelle pour l’époque.

En 1963, on a découvert qu’à l’emplacement du village de Lattes (17000 habitants), à 4 km au sud de l’actuelle Montpellier et sur le fleuve Lez, se trouva dès l’Antiquité une cité portuaire étrusque du nom de Lattara, selon certains le premier port d’Europe occidentale.

Cette cité s’érige au cours du dernier tiers du VIe siècle av. JC. Sont alors construites à la fois une enceinte et des maisons en pierre et en brique. Des objets originaux et des graffitis en langue étrusque — les seuls connus en France — ont suggéré l’hypothèse que des courtiers venus d’Étrurie auraient joué un rôle dans la création et l’urbanisation rapide de l’agglomération.

Maquette du port étrusque de Lattara, fondé au VIe siècle avant JC et selon certains le premier port d’Europe occidentale. (Aujourd’hui commune de Lattes, à 4 km au sud de Montpellier).

Commerçant avec les Grecs et les Romains, Lattara est un port gaulois très actif jusqu’au IIIe siècle après JC. Puis les accès maritimes changent et la ville va connaître un engourdissement.

Au XIIIe siècle, sous l’impulsion des Guilhem, seigneurs de Montpellier, le port de Lattes reprend de l’activité pour retrouver sa splendeur lorsque Jacques Cœur y installe ses entrepôts au XVe siècle.

Quant au port d’Aigues-Mortes, aménagé de fond en comble par Saint-Louis au XIIIe siècle pour les départs en croisades, il fut également un des premiers de France. Et pour relier l’ensemble, Saint-Louis creusa le canal dit « de la Radelle » (aujourd’hui canal de Lunel), qui, partait d’Aigues-Mortes, traversait l’étang de Mauguio jusqu’au port de Lattes. Cœur remettra en état de fonctionnement cet ensemble fluvio-portuaire, notamment en construisant Port Ariane à Lattes.

La voie domitienne.

Tous ces éléments disparates deviendront les siècles suivants un réseau efficace articulé autour du Canal du Rhône à Sète, prolongation naturelle du Canal de Midi entrepris par Jean-Baptiste Colbert. (voir carte)

Coeur intéressera les municipalités à son entreprise et tira Montpellier de sa léthargie séculaire. A l’époque la ville ne dispose pas de marché ni de bâtiments couverts pour la vente. Font défaut également : des changeurs, des armateurs et autres négociants de draps et toiles.

Montpellier : résidence de Jacques Cœur, actuellement Hôtel des Trésoriers de la Bourse.

Tout un quartier marchand et d’entrepôts lui doit sa création, c’est la Grande Loge des Marchands, sur le modèle de ce qui se faisait à Perpignan, Barcelone ou Valence.

De nombreuses maisons de Béziers, Vias ou Pézenas lui appartiennent également, mais aussi des demeures à Montpellier, dont l’Hôtel des Trésoriers de France qui, dit-on, était surmonté d’une tour si haute que Jacques Cœur pouvait y voir arriver ses navires au Port de Lattes.

Pourtant, vieille cité marchande et industrielle, Montpellier hébergeait depuis longtemps des Italiens, des Catalans, des musulmans et des juifs qui bénéficiaient d’une tolérance et d’une compréhension rare à l’époque. L’on comprend mieux pourquoi François Rabelais, au XVIe siècle, s’y sentait tellement chez lui. Port de Marseille.

Port de Marseille.

L’arrière-pays y était riche et laborieux. L’on y produisait du vin et de l’huile d’olive, c’est-à-dire des denrées exportables. De ses ateliers sortaient des cuirs, des couteaux, des armes, des émaux et surtout des articles de draperie.

A partir de 1448, confronté aux limites du dispositif et à l’envasement constant des infrastructures portuaires, Cœur installa l’un de ses fondés de pouvoir, le navigateur et diplomate Jean de Villages, son neveu par alliance, dans le port voisin de Marseille, c’est-à-dire en dehors du royaume, chez le Roi René d’Anjou, là où les opérations portuaires étaient plus aisées, un port profond, protégé du Mistral par des collines, des magasins au bord de l’eau et surtout des avantages fiscaux.

L’essor que Jacques Cœur avait donné à Montpellier, Jean de Villages, pour le compte de Coeur, le donna aussitôt à Marseille.

Hôtel de Varenne à Montpellier.

La construction navale

Qui dit bons ports, dit navires de haute mer !

Or, à l’époque, la France sait au mieux construire quelques chalands fluviaux et des bateaux de pêche.

Pour se doter d’une flottille de navires hauturiers, Cœur commande une « galéasse » (modèle perfectionné de « galère » antique, à trois mâts et avant tout conçu pour l’abordage) aux arsenaux de Gênes.

Les Génois, qui n’y voyaient qu’un profit immédiat, découvrent rapidement que Cœur fait copier les formes et dimensions de leur navire par les charpentiers locaux d’Aigues Mortes !

Furibards, ils débarquent sur le chantier naval et le récupèrent, faisant valoir que les marchands languedociens n’avaient pas le droit d’armer des navires et de commercer sans l’accord préalable du Doge de Venise !

Vitrail d’un navire (une caraque) au Palais de Jacques Cœur à Bourges.

Après des négociations compliquées, mais avec l’appui de Charles VII, Cœur récupère son bateau. Cœur laisse alors passer la tempête durant quelques années. Plus tard, sept grands navires sortiront du chantier d’Aigues-Mortes, dont « La Madeleine » sous le commandement de Jean de Villages, un grand marin et son fidèle lieutenant.

A en juger par le vitrail et le bas-relief au Palais de Cœur à Bourges, il s’agit plutôt de caraques, navires des mers du Nord dotés d’une grande voile carré et d’un tonnage nettement supérieur aux galéasses. Ce n’est pas tout !

Ayant parfaitement compris que la qualité d’un navire dépend de la qualité du bois avec lequel on le construit, Cœur, avec l’autorisation du Duc de Savoie, fera venir son bois de Seyssel. Les grumes sont acheminées par le Rhône, en flottage, puis dirigées vers Aigues-Mortes par le canal qui reliait cette ville au fleuve.

Les équipages

Restait à résoudre un dernier problème : celui des équipages. La solution qu’y apporta Jacques Cœur apparut comme révolutionnaire ; par privilège du 22 janvier 1443, il obtint de Charles VII l’autorisation d’embarquer de force, moyennant juste salaire, les « personnes oiseuses vagabondes et autres caïmans », qui rôdaient dans les ports.

Pour comprendre à quel point une telle institution était bienfaisante à l’époque, il faut se rappeler que la France était mise à feu et à sang par des bandes de pillards, les routiers, les écorcheurs, les retondeurs, jetés sur le pays par la guerre de Cent Ans. Comme toujours, Cœur se comporte non seulement selon son intérêt personnel, mais selon l’intérêt général de la France.

Route de la soie

Citadelle du Caire.

Disposant maintenant d’une puissance financière, de ports et de navires, Cœur, en organisant des échanges commerciaux gagnant-gagnant, fera participer à sa façon la France à la Route de la soie terrestre et maritime de l’époque. En premier lieu, il organise « une détente, une entente et une coopération » avec les pays du Levant.

Après que des incidents diplomatiques avec les Vénitiens aient conduit le Sultan d’Égypte à confisquer leurs biens et à fermer son pays à leur commerce, Jacques Cœur, bon seigneur, mais aussi en charge d’un Royaume qui reste dépendant de Gênes et Venise pour leurs fournitures en armes et en matières premières stratégiques, fera intervenir ses agents sur place pour clore l’incident.

Voyant venir d’autres conflits potentiels capables de perturber sa stratégie, et éventuellement inspiré par les grandes missions diplomatiques chinoises de l’amiral Zheng He en Afrique à partir de 1405, il convainc le roi d’envoyer un ambassadeur au Caire en la personne de Jean de Villages, son fidèle lieutenant.

Ce dernier remet alors au Sultan les diverses lettres dont il était porteur. Flatté, ce dernier lui remet une réponse au roi Charles VII :

« Ton ambassadeur, homme d’honneur, gentilhomme, lequel tu nommes Jean de Villages, est venu à la mienne Porte Sainte, et m’a présenté tes lettres avec le présent que tu m’as mandé, et je l’ai reçu, et ce que tu m’as écrit que tu veux de moi, je l’ai fait. Ainsi ai-je fait une paix à tous les marchands pour tous mes pays et ports de la marine, comme ton ambassadeur m’a su demander… Et je mande à tous les seigneurs de mes terres, et spécialement au seigneur d’Alexandrie, qu’il fasse bonne compagnie à tous les marchands de ta terre, et sur tous les autres ayant liberté en mon pays, et qu’il leur soit fait honneur et plaisir ; et quand sera venu le consul de ton pays, il sera à la faveur des autres consuls bien haut… je te mande, par ledit ambassadeur, un présent, c’est à savoir du baume fin de notre sainte vigne, un beau léopard et trois écuelles (coupes) de porcelaine de Chine, deux grands plats de porcelaine décorée, deux bouquets de porcelaine, un lave-mains, un garde-manger de porcelaine décorée, une jatte de fin gingembre vert, une jatte de noyau d’amendes, une jatte de poivre vert, des amandes et cinquante livres de notre fin bamouquet (baume fin), un quintal de sucre fin. Dieu te mène à bon sauvement, Charles, Roy de France. »

La Syrie a été pionnière en termes de sériciculture à telle point qu’on nomme « damas » toute étoffe de soie, de couleur monochrome avec une armure satin, faisant ressortir un contraste de brillance entre le fond et le dessin formé par le tissage.
  • Vers l’Orient, Cœur exporte des fourrures, des cuirs, et surtout des draps de toute sorte, notamment les draps de Flandre et les toiles de Lyon. Ses « facteurs » proposent aussi aux égyptiennes des robes, des manteaux, des coiffures, des parures et des joyaux sortis de nos ateliers. Viennent ensuite les vanneries de Montpellier, l’huile, la cire, le miel et des fleurs d’Espagne pour la fabrication de parfums.
  • Du Proche-Orient, il recevait des soies de Damas (Syrie) ramagées à figures d’animaux, des étoffes de Boukhara (Ouzbékistan) et de Bagdad (Irak) ; du velours ; des vins des îles ; du sucre de canne ; les métaux précieux ; l’alun ; l’ambre ; le corail ; l’indigo de Bagdad ; la garance d’Egypte, la gomme laque, des parfums que lui rapportaient l’essence des fleurs qu’il avait exportées, des épices – poivre, gingembre, girofle, cannelle, des confitures, des noix de mus­cades, etc.
  • De l’Extrême-Orient, par la mer Rouge ou par des caravanes venues de l’Euphrate et du Turkestan, lui parvenaient : l’or du Soudan, la cannelle de Madagascar, l’ivoire d’Afrique, les soie d’Inde, les tapis de Perse, les parfums de l’Arabie – que plus tard évoquera Shakespeare dans Macbeth -, les pierres précieuses des Indes et d’Asie centrale, le lapis-lazuli, les perles de Ceylan, les porcelaines et le musc de Chine, les plumes d’autruche du noir Soudan.

Les manufactures

Comme on l’a vu dans le cas des mines, Cœur n’hésite pas à attirer en France des étrangers possédant un savoir-faire précieux pour y lancer des projets, mettre en œuvre des procédés innovants et surtout former du personnel. A Bourges, il s’associe avec les frères Balsarin et Gasparin de Très, des armuriers originaires de Milan. Après les avoir convaincus de quitter l’Italie, il leur installa des ateliers à Bourges leur permettant de former une main-d’œuvre qualifiée. La région de Bourges reste à ce jour un centre majeur de production d’armements.

Alors que ce n’est que le tout début de l’imprimerie en Europe, à Rochetaillée, sur la Saône et près de Lyon, Cœur achète un moulin à papier.

Le livre des propriétés des choses, Teinturiers au travail, manuscrit copié et peint à Bruges, achevé en 1482. Londres, British Library © The British Library Board/Leemage.

A Montpellier, il s’intéresse aux teintureries, naguère réputées (en raison de la culture de la garance, cette plante s’étant acclimatée en Languedoc) qui périclitaient. L’on comprend plus facilement pourquoi Cœur fait acheter par ses agents de l’indigo, des graines de kermès et autres substances colorantes. Il s’agit de relancer la fabrication des draps, notamment ceux d’écarlate naguère très recherchés.

C’est dans ce but qu’il fait construire, à proximité de l’enceinte, une fontaine, la Font Putanelle, au service de la population et des teinturiers.

A Montpellier, pour les expéditions maritimes, il s’associe également à des affréteurs florentins installés dans la ville.

Par leur intermédiaire, Coeur, en se rendant personnellement à Florence en 1444, fait enregistrer, aussi bien son associé Guillaume de Varye, que son propre fils Ravand, comme membres de « L’Art de la soie », cette prestigieuse corporation florentine dont seuls les membres sont autorisés à produire de la soie à Florence.

Coeur s’associe, comme souvent il le fit en France, cette fois à Niccolo Bonnacorso et aux frères Marini (Zanubi et Guglielmo). La manufacture, dans laquelle il possède la moitié des parts, fabrique, organise et contrôle la production, les filatures, le tissage et la teinture des toiles de soie.

L’on croit savoir que Coeur était également copropriétaire d’une fabrique de draps d’or à Florence, associé dans certaines affaires avec les Médicis, les Bardi, les Bucelli, banquiers et marchands. Il l’était également avec des genevois et des brugeois.

Une force agissante

Pour écouler ses marchandises en France et sur le continent européen, Jacques Cœur organise un vaste réseau de distribution. A une époque où les routes praticables sont extrêmement rares, ce n’est pas tâche facile. La plupart des chemins ne sont guère que des sentiers élargis ou des pistes peu fonctionnelles remontant aux Gaulois.

Cœur, qui se dote de ses propres écuries pour le transport terrestre, rénove et élargit le réseau, supprime les péages intérieurs sur les routes et les fleuves, tout en rétablissant la collecte (abandonnée pendant la guerre de Cent Ans) des impôts (la taille, le fouage, la gabelle) permettant de renflouer les finances publiques.

Le réseau de Jacques Cœur est essentiellement piloté à partir de Bourges. A partir de là, au niveau français, l’on pouvait parler de trois axes majeurs : le nord-sud étant Bruges-Montpellier, l’est-ouest étant Lyon-Tours. A cela s’ajoutait la vieille route romaine reliant l’Espagne (Barcelone) aux Alpes (Briançon) en passant par le Languedoc.

De Bourges, par exemple, on avait transféré l’Argenterie, au service de la Cour, à Tours. Normal, puisque, à partir de 1444, Charles VII se fixe dans un petit château à côté de Tours, celui de Plessis-les-Tours. Ainsi, c’est à l’Argenterie de Tours qu’on va stocker les produits exotiques dont la Cour était friande. Cela n’empêchait pas ces marchandises de repartir vers Bruges, vers Rouen ou d’autres villes du Royaume.

Des comptoirs existaient aussi à Orléans, à Loches, au Mans, à Nevers, à Issoudun et à Saint-Pourçain, berceau de la famille Cœur, mais également à Fangeaux, Carcassonne, Toulouse, Bordeaux, Limoges, Thouars, Saumur, Angers et Paris.

A Orléans et à Bourges, on stockait le sel en provenance de Guérande, du marais vendéen et de la région rochelaise. A Lyon, celui de la Camargue et des salines languedociennes. Les transports fluviaux (sur la Loire, le Rhône, la Saône et la Seine) doublaient les charrois routiers.

La grande grue de Bruges. Miniature du début du XVIe siècle.

Jacques Coeur va relancer et favoriser les foires. Lyon, en raison de sa croissance rapide, de sa situation géographique et de sa proximité avec les mines de plomb argentifère et de cuivre, était un comptoir spécialement actif. Les marchandises y partaient pour Genève, l’Allemagne et les Flandres.

Montpellier recevait les produits du Levant. Cependant, des comptoirs étaient installés tout le long de la côte, de Collioure (à l’époque en Catalogne) à Marseille (chez le Roi René d’Anjou), et, dans l’arrière-pays, jusqu’à Toulouse, et le long du Rhône, en particulier à Avignon et à Beaucaire.

Pour le trafic du sel et, très certainement dans la perspective d’une extension du trafic maritime, un comptoir avait été créé à La Rochelle. Jacques Cœur avait également des « facteurs » à Saint-Malo, à Cherbourg et à Harfleur. Après la libération de la Normandie, ces trois centres prirent de l’importance et s’y joindra celui d’Exmes.

Dans le Nord-est, Reims et Troyes doivent être signalés. On y fabriquait des draps et des toiles. A l’étranger, le comptoir de Genève était de premier ordre, les foires et marchés de cette grande cité ayant déjà acquis un caractère international.

Cœur avait aussi une succursale à Bruges, où l’on ramenait les épices et les soieries du Levant, d’où l’on expédiait des draps et du hareng.

Villes membres de la Ligue Hanséatique.

La fortune de Bruges, comme de nombreuses villes de Flandres vient de l’industrie du drap. La cité est florissante, la puissance des marchands drapiers est considérable. Au XVe siècle, Bruges est un des poumons de la Ligue hanséatique qui réunit les villes portuaires du Nord de l’Europe.

La place de la bourse à Bruges au XVe siècle. A gauche, la factorie des Génois, à droite, en face, celle des Florentins.
Hof Blandelin à Bruges. Construit en 1435, l’édifice abrita dès 1466 la filiale de la Banque Médici

C’est à Bruges que sont traitées les relations d’affaires, que sont rédigés les contrats de prêts et d’assurance maritime. Après le drap, ce sont les industries de luxe qui lui assurent sa prospérité, avec les tapisseries. Par voie terrestre, on rallie Bruges à Montpellier en passant par Paris, en moins de trois semaines.

Entre 1444 et 1449, lors de la trêve de Tours pendant le conflit opposant la France aux Anglais, Jacques Cœur va essayer de bâtir la paix en nouant des liens commerciaux avec l’Angleterre.

Coeur y dépêche son représentant Guillaume de Mazoran. Son autre associé de confiance, Guillaume de Varye se fait livrer des draps de Londres en février 1449, un début de commerce. Il achète également du cuir, des draps et de la laine en Écosse. Une partie ira à La Rochelle, l’autre à Bruges.

A l’international, Cœur poursuit son expansion avec des antennes à Barcelone, à Naples, à Gênes où se forme un parti pro-français et à Florence.

En 1451, lors de son arrestation, Jacques Coeur dispose d’au moins 300 « facteurs » (associés, agents commerciaux, mandataires financiers et fondés de pouvoir), chacun responsable dans sa propre région de son comptoir respectif, mais également animant sur place des « factoreries », favorisant les rencontres et échanges de savoirs-faire entre tous les acteurs de la vie économique. Plusieurs milliers de personnes s’associent et coopèrent avec lui dans les affaires.

Réforme militaire et libération nationale

La création, par l’ordonnance du 8 avril 1448 des Francs-Archers par Charles VII, une armée populaire, mobilisable en cas de guerre.

Le bénéfice de ce commerce très lucratif, Cœur le mettra au service de son pays. Lorsqu’en 1449, à la fin de la trêve, les troupes anglaises sont livrées à elles-mêmes et survivent en pillant les zones qu’elles occupent, Agnès Sorel, la maîtresse du roi, Pierre de Brézé, le chef militaire ainsi que Jacques Cœur, incitent le roi à lancer l’offensive militaire pour libérer enfin l’ensemble du territoire.

Ce dernier déclare alors sans ambages :

« Sire, sous ombre de vous, je reconnais que j’ay de grands proufis et honneurs, et mesme, au pays des Infidèles, car, pour votre honneur, le souldan m’a donné sauf-conduit à mes galées et facteurs… Sire, ce que j’ai, est vôtre. »

On n’est plus en 1435, quand le roi n’avait pas un kopeck pour faire face aux défis stratégiques. Jacques Coeur, contrairement à d’autres grands seigneurs, selon un récit d’époque,

« offrit spontanément de prêter au roi une masse d’or et lui fournit une somme montant, dit-on, à 100 000 écus d’or environ pour l’employer à ce grand et nécessaire usage ».

Sous le conseil de Jacques Coeur et d’autres, Charles VII va procéder à une réforme militaire décisive.

Le 2 novembre 1439, aux États généraux réunis depuis octobre de la même année à Orléans, Charles VII ordonne une réforme de l’armée à la suite de la plainte des États généraux par rapport aux écorcheurs et leurs actions. Comme avait tenté de le faire Charles V (le sage) avant lui, il met en place un système d’armée permanente qui engagerait ces écorcheurs à plein temps contre les Anglais. La noblesse se met en travers de l’ordonnance du roi. En effet, elle a souvent recours aux compagnies d’écorcheurs pour ses propres intérêts et refuse que le roi seul soit à la base du recrutement de l’armée.

En février 1440, le roi découvre que les nobles complotent contre lui. Les contemporains ont donné le nom de Praguerie à cette révolte, en référence aux guerres civiles de la Bohême hussite, à Prague.

Ensuite, le 26 mai 1445, une ordonnance va discipliner et rationaliser l’armée sous la forme d’unités de cavaliers regroupées dans des Compagnies d’Ordonnances.

Il s’agit d’environ 10000 hommes organisés en 15 compagnies d’Ordonnance, confiées à des capitaines éprouvés. Ces compagnies, se subdivisaient en détachements de dix à trente lances que l’on affectait dans des garnisons, afin de protéger les habitants des villes et de patrouiller dans les campagnes.

Arbalétrier chargeant son arme.

Sur un territoire pareillement quadrillé par les précurseurs de notre gendarmerie moderne, le brigandage et la rapine cessa rapidement.

Bien que toujours issue de la noblesse, cette nouvelle formation militaire, constitue la première armée permanente à la disposition du roi de France. Auparavant, quand il voulait faire la guerre, le roi faisait appel à ses vassaux selon la coutume féodale du ban. Mais ses vassaux n’étaient obligés de le servir que pendant quarante jours. S’il voulait poursuivre la guerre, le roi devait recruter des compagnies de mercenaires, une plaie contre laquelle Machiavel mettra par la suite ses lecteurs en garde. Quand la guerre prenait fin, les mercenaires étaient congédiés. Ils se mettaient alors à piller le pays. C’est ce qui s’est passé au début de la guerre de Cent Ans, après les victoires de Charles V et Du Guesclin.

Ensuite, l’Ordonnance du 8 avril 1448, va mettre sur pied le corps des Francs-Archers. Le modèle des « francs archiers » royaux fut probablement pris sur la milice d’archers que les ducs de Bretagne levaient, par paroisse, depuis 1425. L’Ordonnance dispose que chaque paroisse ou groupe de cinquante ou quatre-vingts feux (foyers) doit armer, à ses frais, un homme équipé (arc ou arbalète, épée, dague, jaque et salade) qui doit s’entraîner chaque dimanche au tir à l’arc. En temps de paix, il reste chez lui et ne perçoit pas de solde, mais en temps de guerre, on le mobilise et il reçoit 4 francs par mois. Les Francs-Archers forment donc une armée de réserve, de caractère vraiment national.

Dans le même temps, le grand-maître de l’artillerie Gaspard Bureau et son frère Jean (Note N° 4), développent l’artillerie, avec des canons en bronze capables de tirer des boulets en fonte, des canons à main plus légers, ancêtres du fusil, et des canons très longs ou couleuvrines que l’on peut traîner sur des chariots et amener sur le champ de bataille.

Du coup, quand sonne l’heure de l’offensive, l’armée se met en ordre de bataille. De tout le pays, les Francs-Archers, composés de roturiers formés dans chaque région de France et non plus des nobles, se mettent à converger vers le Nord.

La guerre est lancée, et cette fois-ci, « la bourrasque changeait de coté ».

Sans merci, l’armée française, avec un armement au plus haut niveau, bousculait l’adversaire. C’est notamment le cas lors de la bataille de Formigny près de Bayeux, le 15 avril 1450.

C’est en quelque sorte un Azincourt à rebours puisque les pertes anglaises se montent à 80 % des effectifs engagés avec 4000 tués et 1500 prisonniers. Enfin, villes et places fortes rentrent dans le giron du Royaume !

Au secours d’un pape humaniste

Comme nous l’avons évoqué plus haut, le Concile de Bâle s’était conclu dans la discorde. D’un côté, avec l’appui de Charles VII et Jacques Cœur, Eugène IV est élu pape à Rome en 1431. De l’autre, à Bâle, une assemblée de prélats réunie en concile, cherche à veut s’imposer comme l’unique autorité légitime à diriger la Chrétienté. En 1439, le Concile prononcera la déchéance d’Eugène IV et désignera « son » propre pape : le duc de Savoie, Amédée VIII, qui avait abdiqué et s’était retiré dans un monastère. Il devient pape sous le nom de Félix V.

Son élection ne reposa que sur le soutien de théologiens ou docteurs des Universités mais sans celui d’une grande partie des prélats et des cardinaux.

En 1447, le roi Charles VII chargera Jacques Cœur d’intervenir pour le retour d’Eugène IV et le renoncement de Félix V. Avec une délégation, il se rendit alors à Lausanne auprès de Félix V. Alors que les entretiens se déroulent bien, Eugène IV décède. Alors que Félix V ne voit plus d’obstacles à son pontificat, le Conseil pontifical à Rome procède rapidement à l’élection d’un nouveau pape, le savant humaniste, Nicolas V (Tommaso Parentucelli).

Pour faire valoir l’intérêt de la France auprès de lui, Charles VII envoi Jacques Cœur à la tête d’une vaste délégation. Avant de pénétrer dans la ville éternelle, les Français forment un cortège.

Le défilé est somptueux : plus de 300 cavaliers, vêtus de couleurs vives et chatoyantes, portant armes et bijoux étincelants, montés sur des chevaux richement caparaçonnés, éblouissent et impressionnent tout Rome, à part les Anglais qui se verront doublés par les Français pour servir la mission du pape. Dès les premiers entretiens, Nicolas V fut charmé par Jacques Cœur. Légèrement malade, Cœur sera soigné par le médecin du pape. Grâce aux renseignements obtenus auprès du Pontife, notamment sur les limites des concessions à faire, la délégation de Cœur obtiendra par la suite le retrait de Félix V avec qui Cœur restera en bons termes.

Le Pape humaniste Nicolas V, fresque de Fra Angelico, un des peintres qu’il protégea. Fresque de la Chapelle Nicoline au Vatican.

Nicolas V, rappelons-le, fut une heureuse exception. Surnommé le « pape humaniste », il a connu à Florence, dans l’entourage de Cosme de Médicis, Leonardo Bruni (Note N° 5), Niccolò Niccoli (Note N° 6) et Ambrogio Traversari. (Note N° 7) Avec ce dernier et Eugène IV, dont il fut le bras droit, Nicolas V est l’un des artisans du fameux Concile de Florence qui avait scellé une « Union doctrinale » entre l’Eglise d’Occident et d’Orient. (Note N° 8)

Elu pape, Nicolas V augmentera considérablement la taille de la Bibliothèque vaticane. A sa mort, la bibliothèque renfermera plus de 16 000 volumes, soit plus que toutes les autres bibliothèques princières.

Il accueillera à sa Cour l’humaniste érudit Lorenzo Valla en tant que notaire apostolique. Les œuvres d’Hérodote, Thucydide, Polybe et Archimède seront réintroduites en Europe occidentale sous son patronage. L’un de ses protégés, Enoch d’Ascoli, découvrira un manuscrit complet des Opera minora de Tacite dans un monastère d’Allemagne. Outre ces derniers, il appellera à sa cour toute une série de savants et d’humanistes : l’érudit et ex-chancelier de Florence Poggio Bracciolini, l’helléniste Gianozzo Manetti, l’architecte Leon Battista Alberti, le diplomate Pier Candido Decembrio, l’helléniste Giovanni Aurispa, le cardinal-philosophe Nicolas de Cues, fondateur de la science moderne et Giovanni Aurispa le premier à avoir traduit l’œuvre complète de Platon du grec au latin.

Nicolas V donnera également des gages à ses puissants voisins : à la demande du roi Charles VII, Jeanne d’Arc sera réhabilitée.

Plus tard, dans les mauvais moments, lorsqu’il va se réfugier à Rome, Jacques Cœur sera reçu par Nicolas V comme un membre de sa famille.

Le coup d’Etat contre Jacques Coeur

La vie aventureuse de Jacques Cœur se termina comme dans un roman de cape et d’épée. Le 31 juillet 1451, Charles VII donna l’ordre d’arrêter son argentier. Il saisira ses biens, sur lesquels il préleva cent mille écus pour guerroyer.

S’ouvre alors l’un des plus scandaleux procès de l’histoire de France. La seule raison de ce procès est d’ordre politique. Par ailleurs, les haines des courtisans, surtout des nobles, s’étaient accumulées. En faisant de chacun d’eux un débiteur, Cœur, croyant s’en être fait des alliés, s’en fit de terribles ennemis. En lançant certaines productions nationales, il mit à mal les empires financiers génois, vénitiens mais aussi florentins qui voulurent éternellement s’enrichir en exportant les leurs, notamment la soie, vers la France. Un des plus acharnés, Otto Castellani, un marchand florentin, trésorier des finances de Toulouse mais installé à Montpellier et un des accusateurs que Charles VII nomma commissaire pour poursuivre Jacques Coeur, pratiqua la magie noire et transperça d’aiguilles une figurine en cire de l’argentier !

Enfin, sans doute Charles VII redoutait-il une collusion entre Jacques Cœur et son fils, le dauphin Louis, futur Louis XI, qui suscitait contre lui intrigue sur intrigue.

En 1447, suite à une altercation avec Agnès Sorel, le Dauphin avait été chassé de la Cour par son père et il ne le reverra jamais. Jacques Cœur prêtera de l’argent au dauphin avec lequel il gardera le contact par l’intermédiaire de Charles Astars qui s’occupait des comptes de ses mines.

« Commerce avec les infidèles », « Lèse majesté » « exportation de métaux », et bien d’autres prétextes, les motifs avancés pour le jugement et la condamnation de Jacques Cœur n’ont guère d’intérêt. Ils ne constituent qu’une façade judiciaire. La procédure s’ouvre sur une dénonciation qui fut presque ­aussitôt reconnue calomnieuse.

Tombeau d’Agnès Sorel, Collégiale Saint-Ours à Loches.

Une certaine Jeanne de Mortagne accuse Jacques Cœur d’avoir empoisonné Agnès Sorel, maîtresse et favorite du roi, décédée le 9 février 1450. Cette accusation est invraisemblable et dénuée de tout fondement sérieux ; car, marquant toute sa confiance à Jacques Cœur, elle venait de le désigner comme l’un de ses trois exécuteurs testamentaires.

Cœur est emprisonné pour une dizaine de motifs tout aussi contestables. Lorsqu’il refuse d’admettre ce qu’on lui reproche, on le menace de « la question » (la torture). Confronté aux bourreaux, l’accusé, tremblant de peur, avance qu’il « s’en remet » aux dires des commissaires chargés de le faire craquer.

Une miniature d’époque figurant le Christ (devant le Palais Jacques Cœur à Bourges) en route vers le Mont du Calvaire…

Sa condamnation est prononcée le même jour que la chute de Constantinople, le 29 mai 1453. Ce n’est que grâce à l’intervention du Pape Nicolas V qu’il a la vie sauve. Il s’évade de sa prison de Poitiers, avec la complicité de ses amis, et cheminant la route des couvents dont celui de Beaucaire, il rejoint Marseille pour Rome.

Le Pape Nicolas V le reçoit comme un ami. Le pontife meurt et son successeur le remplace. Jacques Cœur, affrète alors une flotte au nom de son illustre hôte, et s’en va combattre les infidèles. Jacques Cœur, nous dit-on, serait mort le 25 novembre 1456 sur l’île de Chios, une possession génoise, lors d’un combat naval avec les Turcs.

Le grand roi Louis XI, fils mal-aimé de Charles VII, comme le prouvent ses ordonnances en faveur de l’économie productive, continuera le redressement de la France amorcé par Jacques Cœur. De nombreux collaborateurs de Cœur se mettront rapidement à son service, y compris Geoffroy, son fils qui, en tant qu’échanson, sera l’homme de confiance de Louis XI.

Charles VII, par lettres patentes datées du 5 août 1457, restitue à Ravant et Geoffroy Cœur une faible partie des biens de leur père. Ce n’est que sous Louis XI, que Geoffroy obtient la réhabilitation de la mémoire de son père et des lettres de restitution plus complètes.


NOTES:
1. Pendant les cinq années qui s’écoulent entre les premières apparitions de Jeanne d’Arc et son départ pour Chinon, plusieurs personnes attachées à la Cour séjournent en Lorraine, dont René d’Anjou, fils puîné de Yolande d’Aragon. Tandis que Charles VII reste indécis, sa belle-mère accueille La Pucelle avec une sollicitude toute maternelle, lui ouvre les portes, fait pression sur le roi jusqu’à ce qu’il daigne la recevoir. Lors du procès de Poitiers, quand il faut s’assurer de la virginité de Jeanne, c’est elle qui préside le conseil des matrones chargé de l’examen. Elle lui apporte également une aide financière, l’aide à réunir son équipement, lui ménage des étapes sûres sur la route d’Orléans, rassemble des vivres et des secours pour les assiégés. Pour cela, elle n’hésite pas à ouvrir largement sa bourse, allant jusqu’à vendre ses bijoux et sa vaisselle d’or. Ce soutien sera récompensé le 30 avril 1429 par la délivrance d’Orléans, puis le 17 juillet par le sacre du roi à Reims.

2. Georges Bordonove, Jacques Coeur, trésorier de Charles VII, p. 90, Editions Pygmalion, 1977).

3. Description donnée par le grand chroniqueur des Ducs de Bourgogne, Georges Chastellain (1405-1475), dans Remontrances à la reine d’Angleterre.

4. Jean Bureau était le grand maître de l’artillerie de Charles VII. À l’occasion de son sacre en 1461, Louis XI le fait chevalier et membre du Conseil du Roi. Louis XI loge dans la maison des Porcherons de Jean Bureau, dans le nord-ouest de Paris, après son entrée solennelle dans la capitale. La fille Isabelle de Jean Bureau s’est marié avec Geoffroy Coeur, le fils de Jacques.

5. Leonardo Bruni a succédé à Coluccio Salutati à la chancellerie de Florence après avoir fait partie de son cercle de lettrés qui comprenait, entre autres, Poggio Bracciolini et l’érudit Niccolò Niccoli, pour discuter des œuvres de Pétrarque et de Boccace. Il fut un des premiers à étudier la littérature grecque et il a contribué grandement à l’étude du latin et du grec ancien, en proposant la traduction d’Aristote, de Plutarque, de Démosthène, de Platon et d’Eschyle.

6. Niccolò Niccoli a constitué une bibliothèque, l’une des plus célèbres de Florence, des plus prestigieuses de la Renaissance italienne. Il était assisté d’Ambrogio Traversari pour ses travaux sur les textes en grec (langue qu’il ne maîtrisait pas). Il a légué cette bibliothèque à la république florentine à la condition de la mettre à disposition du public. Cosme l’Ancien de Médicis fut chargé de mettre en œuvre cette condition et la bibliothèque fut confiée au couvent dominicain San Marco. Cette bibliothèque fait aujourd’hui partie de la bibliothèque Laurentienne.

7. Prieur général de l’ordre des Camaldules, Ambrogio Traversari est, avec Jean Bessarion, un des auteurs du décret d’union des Églises. Selon l’historien de la cour d’Urbino, Vespasiano de Bisticci, Traversari réunissait dans son couvent de S. Maria degli Angeli près de Florence le cœur du réseau humaniste : Nicolas de Cuse, Niccolo Niccoli, qui possédait une immense bibliothèque de manuscrits platoniciens, Gianozzi Manetti, orateur de la première Oration sur la dignité de l’homme, Aeneas Piccolomini, le futur pape Pie II et Paolo dal Pozzo Toscanelli, le médecin-cartographe, futur ami de Léonard de Vinci, que Piero della Francesca aurait également fréquenté.

8. Philosophiquement parlant, rappeler à toute la Chrétienté l’importance primordiale du concept du filioque, littéralement « et du fils », signifiant que le Saint-Esprit (l’amour divin) ne procédait pas uniquement du Père (le potentiel infini) mais également du Fils (sa réalisation, à travers son fils Jésus, à l’image vivant duquel chaque être humain avait été créé), était une révolution. L’Homme, la vie de chaque femme et homme, est précieuse car animée par une étincelle divine qui la rend sacrée. Cette haute conception de chaque individu, se traduisait dans les relations entre les humains et leurs relations avec la nature, c’est-à-dire, l’économie physique.

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Entre l’Europe et la Chine: le rôle du jésuite flamand Ferdinand Verbiest

Pittem

Statue du père Ferdinand Verbiest devant l’église de son village natal Pittem en Flandres (Belgique).

Le jésuite flamand Ferdinand Verbiest (1623 – 1688), né à Pittem en Belgique, a passé 20 ans à Beijing comme astronome en chef à la Cour de l’Empereur de Chine pour qui il élabora des calendriers, des tables d’éphémérides, des montres solaires, des clepsydres, un thermomètre, une camera obscura et même un petit charriot tracté par un machine à vapeur élémentaire, ancêtre lointain de la première automobile.

Verbiest, dont la volumineuse correspondance en néerlandais, en français, en latin, en espagnol, en portugais, en chinois et en russe reste à étudier, dessina également des cartes et publia des traités en chinois sur l’astronomie, les mathématiques, la géographie et la théologie.

Parmi ses œuvres en chinois :

  • Yixiang zhi (1673), un manuel pratique (en chinois) pour la construction de toutes sortes d’instruments de précision, ornée d’une centaine de schémas techniques ;
  • Kangxi yongnian lifa (1678) sur le calendrier de l’empereur Kangxi et
  • Jiaoyao xulun, une explication des rudiments de la foi.

En latin, Verbiest publia l’Astronomie européenne (1687) qui résume pour les Européens les sciences et technologies européennes qu’il a promu en Chine.

Bien que les jésuites d’Ingolstadt en Bavière travaillaient avec Johannes Kepler (1571-1630), Verbiest, pour éviter des ennuis avec sa hiérarchie, s’en tient aux modèle de Tycho Brahé.

Son professeur, le professeur de mathématiques André Taquet, qui correspondait avec le collaborateur de Leibniz Christian Huyghens, affirmait qu’il refusait le modèle copernicien comme l’église l’exigeait, mais uniquement par fidélité à l’église et non pas sur des bases scientifiques.

Jusqu’en 1691, l’Université de Louvain refusait d’enseigner l’héliocentrisme.

Reconstruction de la mini-automobile à vapeur inventé par Verbiest.

Dans son traité, à part l’astronomie, Verbiest aborde la balistique, l’hydrologie (construction des canaux), la mécanique (transport de pièces lourdes pour les infrastructures), l’optique, la catoptrique, l’art de la perspective, la statique, l’hydrostatique et l’hydraulique. Dans le chapitre sur « la pneumatique » il discute ses expériences avec une turbine à vapeur. En dirigeant la vapeur produite par une bouilloire placé sur un petit charriot vers une roue à aubes, il rapporte d’avoir réussi à créer une auto-mobile rudimentaire. « Avec ce principe de propulsion, on peut imaginer pas mal d’autres belles applications », conclut Verbiest.

observatoire verbiest

L’observatoire astronomique de la Cour impériale à Beijing, totalement rééquipé par le père Verbiest.

L’observatoire d’astronomie de Beijing, rééquipé par Verbiest avec des instruments dont il décrit le fonctionnement et les méthodes de fabrication, fut sauvé en 1969 par l’intervention personnelle de Zhou Enlai. Depuis 1983, cet observatoire qu’on nomme en Chine « le lieu où l’Orient et l’Occident se rencontrent », est ouvert à tous.

Évangélisation et/ou dialogue des cultures ?

Lorsqu’à partir du XIVe siècle la religion catholique cherchait à s’imposer comme la seule « vraie religion » dans les pays qu’on découvrait, il suffisait en général de quelques armes à feu et le prestige occidental pour convertir rapidement les habitants des pays nouvellement conquis.

Convertir les Chinois était un défi d’une toute autre nature. Pour s’y rendre, les missionnaires y arrivaient au mieux comme les humbles accompagnateurs de missions diplomatiques. Ils y faisaient aucune impression et se faisaient généralement renvoyer dans les plus brefs délais. L’estime pour la civilisation chinoise en Orient était telle que lorsque le jésuite espagnol Franciscus Xaverius se rend au Japon en 1550, les habitants de ce pays lui suggéraient : « Convertissez d’abord les Chinois. Une fois gagnés les Chinois au christianisme, les Japonais suivront leur exemple ».

Les trois grandes figures d’un siècle de missions jésuites en Chine : de gauche à droite : Matteo Ricci, Von Schall et Verbiest.

Parmi plusieurs générations de missionnaires, trois jésuites ont joué le temps d’un siècle un rôle décisif pour obtenir en 1692 la liberté religieuse pour les chrétiens en Chine : l’Italien Mattéo Ricci (1552-1610), l’Allemand Johann Adam Schall von Bell (1591 – 1666) et enfin le Belge Ferdinand Verbiest (1623 – 1688).

Pour conduire les Chinois vers le catholicisme, ils décidèrent de gagner leur confiance en les épatant avec les connaissances astronomiques, scientifiques et techniques occidentales les plus avancées de leur époque, domaine où l’Occident l’emportait sur l’Orient. Par ce « détour scientifique » qui consistait à faire reconnaitre la supériorité de la science occidentale, on espérait amener les Chinois à adhérer à la religion occidentale elle aussi jugé supérieure. Comme le formulait Verbiest :

Comme la connaissance des étoiles avait jadis guidés les mages d’Orient vers Bethléem et les jeta en adoration devant l’enfant divin, ainsi l’astronomie guidera les peuples de Chine pour les conduire devant l’autel du vrai Dieu !

Bien que Leibniz montrait un grand intérêt pour les missions des pères en Chine avec lesquelles il était en contact, il ne partagea pas la finalité de leur démarche (voir article de Christine Bierre sur L’Eurasie de Leibniz, un vaste projet de civilisation).

Ce qui est délicieusement paradoxale, c’est qu’en offrant le meilleur de la civilisation occidentale « à des païens », les pères jésuites, peu importe leurs intentions, ont de facto convaincu leurs intermédiaires qu’Orient et Occident pouvaient accéder à quelque chose d’universel dépassant de loin les religions des uns et des autres. Leur courage et leurs actions ont jeté une première passerelle entre l’Orient et l’Occident. A nous aujourd’hui d’en faire un « pont terrestre eurasiatique ».

Matteo Ricci

Mattéo Ricci (1552-1610)

Après avoir été obligé de rebrousser chemin dans plusieurs villes chinoises où il tentait d’engager l’évangélisation chrétienne, le père italien Matteo Ricci (1552-1610) se rendait à l’évidence que sans la coopération et la protection des plus hautes instances du pays, sa démarché était condamné à l’échec. Il se rend alors à Beijing pour tenter d’y rencontrer l’Empereur Wanli à qui il offre une épinette (petit clavecin) et deux horloges à sonnerie. Hélas, ou faut il dire heureusement, à peine quelques jours plus tard les horloges cessent de battre et l’Empereur appelle d’urgence Ricci à son Palais pour les remettre en état de marche. C’est seulement ainsi que ce dernier devient le premier Européen à pénétrer dans la Cité interdite. Pour exprimer sa gratitude l’Empereur autorise alors Ricci avec d’autres envoyés de lui rendre honneur. Mais à la grande déception du jésuite, il est seulement autorisé à s’agenouiller devant le trône vide de l’Empereur. Pour capter l’attention de l’Empereur, Ricci comprend alors que seule la clé de l’astronomie permettra d’ouvrir la porte de la muraille culturelle chinoise.

L’étude des étoiles et l’astrologie occupe à l’époque une place importante dans la société chinoise. L’Empereur y était le lien entre le ciel et la terre (comparable à la position du Pape, représentant de Dieu sur terre) et responsable de l’harmonie entre les deux. Les phénomènes célestes n’influent pas seulement les actes du gouvernement mais le sort de toute la société. A cela s’ajoute que l’histoire de la Chine est parsemée de révoltes paysannes et qu’une bonne connaissance des saisons reste la clé d’une récolte réussie. En pratique, l’Empereur était en charge de fournir chaque année le calendrier le plus précis possible. Sa crédibilité personnelle dépendait entièrement de la précision du calendrier, mesure de sa capacité de médier l’harmonie entre ciel et terre. Ricci, avec l’aide des Portugais, se concentre alors sur la production de calendriers et sur la prévision des éclipses solaires et lunaires et finit par se faire apprécier par l’Empereur. Le Pei-t’ang, l’église du nord, était la résidence de la Mission catholique à Beijing et deviendra également le nom de la bibliothèque de 5 500 volumes européens créé par Ricci.

Lorsque le 15 décembre 1610, quelques mois après le décès de Ricci, une éclipse solaire dépasse de 30 minutes le temps anticipé par les astronomes de la Cour, l’Empereur se fâche. Les astronomes chinois, qui avaient eu vent des travaux sur l’astronomie des Jésuites, demandent alors qu’on traduise d’urgence dans leur langue leurs œuvres sur la question. Un chinois converti par Ricci est alors chargé de cette tâche et ce dernier engage quelques pères comme ses assistants. De façon maladroite certains Jésuites font savoir alors leur opposition à des rites chinois ancestraux qu’ils jugent imprégnés de paganisme. Suite à une révolte de la population et des mandarins, en 1617 les Jésuites se voient estampillés ennemis du pays et doivent de se réfugier à Canton et Macao.

Adam Schall von Bell

Adam Schall von Bell (1591 – 1666)

C’est seulement cinq ans plus tard, en 1622, que le père Adam Schall von Bell (1591 – 1666), un jésuite de Cologne qui arrive à Macao en 1619, arrive à s’installer dans la maison de Ricci à Beijing.

Attaqué au nord par les Mandchous, les Chinois, non dépourvus d’un fort sens de pragmatisme, feront appel aux Portugais de Macao pour leur fournir des armes et des instructeurs militaires. Du coup, les pères Jésuites se retrouvent protégés par le ministère de la défense comme intermédiaires potentiels avec les Portugais et c’est à ce titre qu’ils obtiennent des droits de résidence. Lorsqu’en 1628, les calculs pour l’éclipse lunaire s’avèrent une fois de plus erronés, Schall est nommé à la tête de l’Institut impérial d’astronomie.

Tant de succès ne pouvait que provoquer la fureur et la jalousie des astronomes chinois et musulmans qui furent éloigné de la Cour et dont les travaux étaient discrédités. Ils feront pendant des années campagne contre Schall et les jésuites. Au même temps Schall se faisait tancer par ses supérieurs à Rome et les théologiens du Vatican pour qui un prêtre catholique n’avait pas à participer dans l’élaboration de calendriers servant l’astrologie chinoise.

Vu le faible nombre d’individus – à peine quelques milliers par an – que les pères jésuites réussissaient à convertir au christianisme, Schall se résout à tenter de convertir l’Empereur en personne. Ce dernier, qui découvre que Schall a des bonnes notions de balistique, le charge en 1636 de produire des canons pour la guerre contre les Mandchous, une tache que Schall accompli uniquement pour préserver la confiance de l’Empereur. Les Chinois perdent cependant la bataille et le dernier Empereur des Ming met fin à sa vie par pendaison en 1644 afin de ne pas tomber aux mains de l’ennemi.
Les Mandchous

Les Mandchous reprennent sans sourciller les meilleures traditions chinoises et en 1645 Schall est nommé à la tête du bureau des mathématiques. L’Empereur le nomme également comme mandarin. En 1646 Schall reçoit et commence à utiliser les « Tables rudolphines », des observations astronomiques envoyés par Johannes Kepler à la demande du jésuite suisse missionnaire Johannes Schreck (Terrentius) lui aussi installé en Chine. Avec l’aide d’un élève chinois, ce dernier fut le premier à tenter de présenter au peuple chinois les merveilles de la technologie européenne dans un texte intitulé « Collection de diagrammes et d’explications des machines merveilleuses de l’extrême ouest ».

En 1655 un décret impérial ordonne que seules les méthodes européennes soient employées pour fixer le calendrier.

En Europe, les dominicains et les franciscains se plaignent alors amèrement des Jésuites qui non seulement pratiquent « le détour scientifique » pour évangéliser mais se sont livrés selon eux à des pratiques païens. Suite à leurs plaintes, par un décret du 12 septembre 1645, le pape Innocent X menace alors d’excommunication tout chrétien se livrant aux Rites chinois (culte des anciens, honneurs à Confucius). Après le contre-argumentaire du Père jésuite Martinus Martini, un nouveau décret, émis par le Pape Alexandre VII le 23 mars 1656, réconforte de nouveau la démarche des missionnaires jésuites en Chine.

Ferdinand Verbiest

Ferdinand Verbiest (1623 – 1688).

Ce n’est en 1658, qu’après un voyage rocambolesque que le Père Ferdinand Verbiest arrive à son tour à Macao. En 1660, Schall, déjà âgé de 70 ans, fait venir Verbiest – dont il connait les aptitudes en mathématiques et en astronomie — à Beijing pour le succéder. Les controverses alors se déchainent. L’Empereur Chun-chih était décédé en 1661 et en attendant que son successeur Kangxi atteigne la majorité, quatre régents gèrent le pays.

Ces derniers n’étaient pas très favorables aux étrangers. Les envieux chinois attaquent alors Schall, non pas pour son travail en astronomie, mais pour le « non-respect » des traditions chinoises, notamment la polygamie. Un des détracteurs dépose plainte au département des rites, et alors que Schall, ayant perdu la voix suite à une attaque vasculaire cérébrale, a bien du mal à se défendre, Schall, Verbiest et les autres pères se font condamner pour des « crimes religieux et culturels ». Schall est condamné à mort.

La « providence divine » fait alors en sorte que plusieurs phénomènes naturels jouent en leur faveur. Etant donné qu’une éclipse solaire s’annonçait pour le 16 janvier 1665, les régents mettent aussi bien les accusateurs de Schall que Schall lui-même au défi de la calculer. Schall et Verbiest emportent la bataille haut la main ce qui fait naître le doute chez les régents. Le procès fut rouvert et renvoyé devant la cour suprême. Cette dernière confirma hélas le verdict du tribunal. Nouvelle intervention de dame nature : une comète, un tremblement de terre et un incendie du Palais impériale inspirent les pires craintes chez les Chinois qui finissent par relâcher les pères de prison sans pour autant les innocenter.

A l’exception des « quatre de Beijing » (Schall, Verbiest, de Magelhaens, Buglio) qui restent en résidence surveillé, tous sont forcés à l’exil. Schall meurt en 1666 et Verbiest travaille sur des nouveaux instruments astronomiques.

L’Empereur Kangxi

L’Empereur chinois Kangxi (1654-1722)

C’est en 1667 que le jeune Empereur Kangxi prend enfin les commandes. Dynamique, il laisse immédiatement vérifier les calendriers des astronomes chinois par Verbiest et oblige Chinois et étrangers de surmonter leurs oppositions en travaillant ensemble. En 1668 Verbiest est nommé directeur du bureau de l’Astronomie et en 1671 il devient le tuteur privé de l’Empereur ce qui fait naitre chez lui l’espoir de pouvoir un jour convertir l’Empereur au Christianisme.

Comme Schall, Verbiest sera en permanence sous attaque des « marins restés à quai » à Rome. Pour se défendre, Verbiest envoi son coreligionnaire, Philippe Couplet (1623-1693) en 1682 en Europe. Ce dernier s’y rend accompagné d’un jeune mandarin converti, Shen Fuzong qui parlait couramment le latin, l’italien et le portugais. C’est un des premiers Chinois à visiter l’Europe. Il suscite la curiosité à Oxford, où on lui pose de nombreuses questions sur la culture et les langues chinoises.

L’audience à Versailles est particulièrement fructueuse. A la suite de l’entrevue qu’il a avec Couplet et son ami chinois, Louis XIV décide d’établir une présence française en Chine et en 1685, six jésuites*, en tant que mathématiciens du roi et membres de l’Académie des Sciences, seront envoyés en Chine par Louis XIV.

C’est avec eux que Leibniz, lui-même à l’Académie des Sciences de Colbert, entrera en correspondance.

Dans son Confucius Sinarum philosophus, le collaborateur de Verbiest Couplet se montre enthousiaste : « On pourrait dire que le système éthique du philosophe Confucius est sublime. Il est en même temps simple, sensible et issu des meilleures sources de la raison naturelle. Jamais la raison humaine, ici sans appui de la Révélation divine, n’a atteint un tel niveau et une telle vigueur. »

A Paris, Couplet publie en 1687 le livre (dédié à Louis XIV) qui le fait connaître partout en Europe : le Confucius Sinarum philosophus. Couplet est enthousiaste :

On pourrait dire que le système éthique du philosophe Confucius est sublime. Il est en même temps simple, sensible et issu des meilleures sources de la raison naturelle. Jamais la raison humaine, ici sans appui de la Révélation divine, n’a atteint un tel niveau et une telle vigueur.

Verbiest diplomate

A la demande de l’Empereur, Verbiest apprend la langue Mandchou pour lequel il élabore une grammaire. En 1674 il dessine une mappemonde et, comme Schall, s’applique à produire avec les artisans chinois des canons légers pour la défense de l’Empire.

Verbiest sert également de diplomate au service l’Empereur. Par leur connaissance du latin, les Jésuites serviront d’interprètes avec les délégations portugaises, hollandaises et russes lorsqu’elles se rendent en Chine dès 1676. Ayant appris le chinois, le jésuite français Jean-Pierre Gerbillon est envoyé en compagnie du jésuite portugais Thomas Pereira, comme conseillers et interprète à Nertchinsk avec les diplomates chargés de négocier avec les Russes le tracé de la frontière extrême-orientale entre les deux empires. Ce tracé est confirmé par le traité de Nertchinsk du 6 septembre 1689 (un an après la mort de Verbiest), un important traité de paix établi en latin, en mandchou, en mongole, en chinois et en russe, conclu entre la Russie et l’Empire Qing qui a mis fin à un conflit militaire dont l’enjeu était la région du fleuve Amour.

C’est lors de son séjour en Italie, de mars 1689 à mars 1690, que Leibniz s’entretient longuement avec le jésuite Claudio-Philippo Grimaldi (1639-1712) qui résidait en Chine mais était de passage à Rome. C’est lors de leurs entretiens qu’ils apprennent la mort de Verbiest. Ce dernier était tombé de son cheval en 1687 avant de mourir en 1688 faisant de Grimaldi son successeur à la tête de l’Institut impérial d’astronomie.

Comme Schall avant lui, la Chine offre à Verbiest des funérailles d’Etat et sa dépouille mortelle reposera aux cotés de Ricci et Schall à Beijing et en 1692, L’Empereur Kanxi, sans doute en partie pour honorer pour Verbiest, décrète la tolérance religieuse pour les chrétiens.

La querelle des Rites

La réponse du Vatican fut parmi les plus stupides et le mandement de 1693 de Monseigneur Maigrot fait exploser une fois de plus la « Querelle des Rites ». Il propose d’utiliser le mot « Tian-zhu »** pour désigner l’idée occidentale d’un Dieu personnifié, concept totalement étranger à la culture chinoise, d’interdire la tablette impériale*** dans les églises, interdire les rites à Confucius, et condamne le culte des Ancêtres. Et tout cela au moment même où Kangxi décrète l’Édit de tolérance.

Parmi les Jésuites et les autres ordres de missionnaires, les avis sont partagés. Ceux qui admirent Ricci et sont en contacts avec les élites sont plutôt favorables au respect des rites chinois. Les autres, qui essayent de combattre toutes sortes de superstitions locales, sont plutôt favorables au mandement.

Ce qui est certain, c’est que les Chinois n’apprécient guère que des missionnaires s’opposent à leurs rites et traditions. Un décret de Clément XI en 1704 condamnera définitivement les rites chinois. Il reprend les points du Mandement. C’est à ce moment qu’est instauré par l’empereur le système du piao : pour enseigner en Chine, les missionnaires doivent avoir une autorisation (le piao) qui leur est accordée s’ils acceptent de ne pas s’opposer aux rites traditionnels. Mgr Maigrot, envoyé du pape en Chine, refuse de prendre le piao, et est donc chassé hors du pays.

L’empereur Kangxi, qui s’implique dans le débat, convoque l’accompagnateur de Mgr Maigrot et le soumet à une épreuve de culture. Ce dernier ne réussit pas à lire des caractères chinois et ne peut discuter des Classiques. L’empereur déclare que c’est son ignorance qui lui fait dire des bêtises sur les rites. De plus, il lui prête plus l’intention de brouiller les esprits que de répandre la foi chrétienne. Et lorsque l’Empereur Yongzheng succède à Kangxi, il fait interdire le christianisme en 1724. Seuls les Jésuites, scientifiques et savants à la cour de Pékin, peuvent rester en Chine.

C’est contre la querelle des rites que Leibniz dirigea une grande partie de ces efforts. Cette fragilité d’une entente globale entre les peuples du continent eurasiatique à de quoi nous faire réfléchir aujourd’hui. Est-ce que la nouvelle querelle des Rites provoqué par Obama et les anglo-américains contre la Russie et la Chine servira une fois de plus au parti de la guerre de semer la discorde ?

Les tombes des jésuites venus en Chine sont localisées au Collège Administratif de Pékin (qui forme les cadres du Parti communiste de la ville). Les tombes de 63 missionnaires ont été réhabilitées, 14 portugais, 11 italiens, 9 français, 7 allemands, 3 tchèques, 2 belges, 1 suisse, 1 autrichien, 1 slovène et 14 chinois. Les trois premières sont celles de Matteo Ricci, Adam Schall von Bell et Ferdinand Verbiest.

L’auteur, Karel Vereycken, dans la cour du Collège Ferdinand Verbiest à Leuven en Belgique.


* Jean-François Gerbillon (1654-1707), Jean de Fontaney (1643-1710), Joachim Bouvet (1656-1730), Louis Le Comte (1655-1728), Guy Tachard (1648-1712) et Claude de Visdelou (1656-1737).

** Peut-on désigner le Dieu des chrétiens par les termes tianzhu (du bouddhisme) ou tiandi (du confusianisme) ? Est-ce que pour les Chinois le mot Ciel (tian) contient également l’idée d’un principe suprême ?

*** Les Chinois plaçaient dans leurs églises, en symbole de sa protection, des tablettes calligraphiées offertes par l’Empereur.

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Le combat inspirant d’Henri IV et de Sully

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La force et la richesse des rois et princes souverains consistent en l’opulence et nombre de ses sujets. Et le plus grand et légitime gain et revenu des peuples, (…) procède principalement du labour et de la culture de la terre qui leur rend, selon qu’il plait Dieu, à usure le fruit de leur travail, en produisant grande quantité de blés, vins, grains, légumes et pâturages ; de quoi non seulement ils vivent à leur aise, mais en peuvent entretenir le trafic et commerce avec nos voisins et pays lointains. 

Henri IV, Ordonnance de Blois du 8 avril 1599

henri IV
Henri IV (1553-1610)


 
1610-2010. Il y a 400 cent ans, Henri IV est assassiné par Ravaillac, dont la main est guidée par des agents de l’Empire Habsbourg.

Conseillé par d’éminents humanistes, tels Philippe Duplessis-Mornay, Sully ou encore Jacques-Auguste de Thou, le combat contre l’oligarchie mené par le « bon roi Henri » reste une formidable source d’inspiration pour aujourd’hui.

Aménager le territoire et élever l’esprit des gens pour les faire passer de la guerre perpétuelle à la paix par le développement mutuel exige qu’on se penche sur ce moment décisif de la naissance de l’Etat-nation France.

En 1589, Henri, roi de Navarre, suite à l’assassinat d’Henri III, accède au trône de France. Cinq ans plus tard, il rappelle amèrement que :

Vous savez que lorsque Dieu m’appela à cette couronne, j’ai trouvé la France non seulement ruinée, mais presque perdue pour les Français.

Les spéculations, les pillages, les profiteurs de guerre, les conflits religieux et des conditions climatiques dramatiques provoquent alors des ravages considérables : disettes à répétition, épidémies, six mille châteaux détruits, neuf villes en ruine, cent vingt-cinq mille maisons incendiées et un pays croulant sous la dette. Tout est à reconstruire.

Jusque là, pour tenir, on passe la facture à la population. Ainsi, on estime que le montant de la « taille », l’impôt royal direct, a doublé entre 1576 et 1588, passant de 8 à 18 millions de livres. Pourtant, cette cure d’austérité ne suffit toujours pas à couvrir les dépenses de l’Etat. Pour y arriver, la France emprunte de plus en plus et la dette fait plus que doubler, passant d’environ 133 millions de livres en 1588 à 296 millions en 1596, dix fois le montant du budget annuel ! Vu la misère chronique du peuple, l’impôt ne rentre plus et en 1596 le déficit public dépasse les 10 millions de livres, environ 30% du budget.

Henri IV et son fidèle conseiller Maximilien de Béthune, duc de Sully (1559-1641), vont non seulement augmenter les dépenses, mais remettre le pays en marche : l’Etat embauche des milliers de fonctionnaires (quelle horreur !) dont le nombre, à peine 4000 sous François Ier, passe à 25000. On dépense aussi des millions dans une politique de grands travaux destinés à engendrer une relance de toute l’économie nationale : fortifications, ponts, routes, hôpitaux, écoles, canaux, etc., sans oublier les millions pour inciter les chefs de la Ligue Catholique à cesser guerroyer.

Sully
Maximilien de Béthune, duc de Sully (1559-1641)


François Bayrou constate qu’Henri IV et Sully « ont réussi à désendetter le pays de 50% en dix ans. Non seulement le crédit de l’Etat était parfaitement rétabli mais le roi avait désormais, sévèrement gardé à la Bastille, un solide trésor de 5 millions de livres et il disposait par ailleurs d’une réserve de plus de 11 millions de livres. Mieux, l’exercice de 1611 devait dégager un excédent de 4,6 millions de livres ».

Cependant, Henri IV et Sully ne sont pas parvenus à ce résultat — contrairement à ce que croît Bayrou — par une baisse des impôts et des restrictions budgétaires, mais par une politique intelligente de dépenses publiques productives.

Comment, en effet, Henri et Sully ont-ils réussi ce miracle —sans austérité fiscale ni planche à billets— alors que tous nos « experts » (Medef, BCE, FMI, BRI, ENA, HEC, G20, etc.) continuent à échouer aujourd’hui ? Leur secret — secret uniquement car banni de l’enseignement des sciences économiques — est une approche anti-monétariste combinant une guerre tout azimut aux spéculateurs à une politique de crédit productif public promouvant la création de richesses physiques et humaines.

Cette politique « protectionniste » de paix par le développement mutuel qui met le physique avant le monétaire, démontrera toute son efficacité pendant la dernière décennie du règne d’Henri IV. En voici les fondamentaux qui ne représentent pas une addition de mesures, mais un tout cohérent et dynamique :

1) Guerre à la corruption

Comme le fera Roosevelt en 1933 en nommant le procureur Ferdinand Pecora à la tête de la commission bancaire du Sénat américain chargé d’enquêter sur les causes de la crise, Sully s’en prend à tout un système. « Sully commença par l’urgence. Lutte contre la corruption, récupération autoritaire des créances », s’inquiète Bayrou.

En réalité, Sully se méfie beaucoup des officiers de finances (agents de l’administration locale) qu’il accuse de peu travailler et de s’enrichir aux dépens du pays. Dans ses mémoires, les Économies Royales, il raconte :

Je vis avec une horreur qui augmenta mon zèle, pour ces trente millions [d’impôts] qui revenaient au roi [à l’Etat], il en sortait de la bourse des particuliers, j’ai presque honte de le dire, cent cinquante millions.

Ainsi, en 1597, 1601-1604 et 1607, il soumet les officiers de finance à des Chambres de justice créées pour punir ceux qui ont malversé dans l’exercice de leurs fonctions. Il exige également que le contrôle de leurs comptes – ordinairement effectué par la Chambre des comptes – soit d’abord réalisé par le Conseil des finances qu’il dirige. En 1598, pour couronner sa charge contre l’oligarchie, il fait annuler tous les anoblissements décrétés depuis 20 ans, ce qui augmente le nombre de personnes imposables.

2) Guerre à l’usure

Pour les rentes payées par l’Etat dont les intérêts (« arrérages ») n’avaient pas toujours été versés, Sully agit en trois temps. D’abord, dès mars 1599, une commission inventorie celles qui ont été souscrites depuis 1560 et la manière dont elles ont été réglées. Ensuite, une deuxième commission définit les termes du remboursement dans l’arrêt du 17 août 1604. Tous les arrérages impayés ne seront pas versés ; seuls seront exigibles les termes qui viendront à échéance à partir du 1er janvier 1605. Enfin, toutes les rentes sont vérifiées et les taux d’intérêts revus en fonction de la date et des conditions de l’achat : celles qui ont été acquises avant 1575 voient leur intérêt abaissé de 8,33% à 6,25% si elles ont été loyalement payées et à 5,55 % voire à 4% dans le cas contraire ; pour les plus récentes, le taux n’est pas modifié, sauf si elles sont considérées comme frauduleuses, auquel cas le taux d’intérêt est diminué à 4%. Ce réaménagement des intérêts de la dette rencontre l’hostilité des rentiers qui font intervenir le prévôt des marchands de Paris.

3) Annuler et réduire de la dette

Pour apurer la dette, Sully réussit soit à échelonner les remboursements soit à les réduire. Ainsi le prince allemand d’Anhalt, au lieu d’être remboursé, reçoit une rente sur les gabelles (taxe sur la vente du sel) de France, et l’on propose au duc de Toscane, père de la Reine, de ne pas verser la dot pour le mariage de sa fille en échange d’une annulation de l’argent qu’on lui doit. Chaque fois, Sully procède à une vérification minutieuse des arriérés et des remboursements réclamés, qui permet une estimation beaucoup plus raisonnable. Il ouvre ensuite une négociation avec le créancier, lui proposant un règlement immédiat d’une partie des arriérés en échange de l’abandon d’une partie de la créance. Souvent menacés de faillite financière si leur débiteur ne les règle pas rapidement, les créanciers ne peuvent qu’obtempérer.

4) Réforme monétaire

L’émission de monnaie est un monopole royal. Cependant, quand Henri IV, qui à cette époque refuse de se convertir au catholicisme, accède au trône, Paris reste aux mains de la Ligue catholique. Ainsi, une véritable guerre monétaire éclate entre les ateliers parisiens qui frappent la monnaie, aux mains de la Ligue et ceux créés provisoirement dans d’autres villes du royaume par Henri pour alimenter le marché.

pièce
Pièce de monnaie sous Henri IV


Dans un contexte de pénurie de métaux précieux, ce bras de fer provoque la dégradation de la qualité des pièces car chacun en frappe le plus possible avec le moins d’or et d’argent possible, provoquant une inflation galopante. C’est seulement l’ordonnance de Montceaux de 1602, rétablissant une valeur de référence sous forme d’une monnaie de compte, qui impose des « parités fixes » entre différentes pièces de monnaie en circulation (écus, francs, testons, billons, etc.). C’est cette stabilisation du système monétaire et la fin de la spéculation qui rétablira les échanges commerciaux et la crédibilité de l’Etat.

En 1609 un autre édit envisage une réforme monétaire encore plus ambitieuse et propose une nouvelle pièce, l’« Henri », contre laquelle les Français sont appelés à échanger leurs pièces anciennes. Grâce à cet assainissement monétaire, les prix baissèrent d’environ 20% entre 1596 et 1610. De plus, vue la misère profonde du pays, le roi décide, en plus d’une annulation des arriérés, d’alléger de 12% l’impôt direct de la taille au profit d’une utilisation plus large d’impôts indirects sur les échanges. Contrairement à aujourd’hui, où la TVA est l’impôt le plus injuste, cette démarche impliquait à l’époque une plus grande équité car, à partir d’Henri IV, la noblesse n’échappait plus à l’imposition et devait, comme tout un chacun, régler la gabelle, une taxe sur la vente du sel.

Ainsi, à la fin du règne d’Henri IV, le gouvernement s’est acquitté de 147 millions de livres de dettes, a racheté des domaines pour 80 millions, réduit de 8 millions les rentes annuelles et ramené l’impôt de 30 à 26 millions de livres. Soulignons que ces réductions d’impôt n’étaient pas le moteur d’une relance « par la consommation », mais le fruit d’une politique de relance par la production tirée par les grands projets d’infrastructures physiques et humaines et impliquant des « sauts » technologiques, scientifiques et culturels pour lesquels Henri et Sully dépensèrent plus de 40 millions de livres.

5) Les grands travaux, moteur de l’économie

Imposant la pleine autorité de l’Etat, Sully, préfigurant Jean-Baptiste Colbert, n’a rien d’un libéral et mène une politique économique dirigiste. Surintendant des finances, des fortifications et des bâtiments du Roi, il est aussi « Grand voyer » de France en charge des Travaux publics, des Transports, de la Culture et de la Défense. La commande publique et les grands travaux d’intérêt général donnent un essor sans précédent à l’agriculture, à l’industrie naissante et à l’aménagement du territoire.

Pour commander le pays, le roi et Sully s’offrent des outils performants.

D’abord, ils reprennent le concept des Missi Dominici, « envoyés du seigneur », de Charlemagne en généralisant la pratique des « intendants des parties en chevauchées », à l’origine chargés de vérifier la bonne exécution de l’Edit de Nantes, mais progressivement en charge d’administrer les provinces dans tous les domaines économiques.

7 écluses
Le canal de Briare à Rogny-les-sept-écluses (Yonne)


La Révolution de 1789 consolidera le statut de leurs successeurs, les préfets. En parallèle, la Poste aux chevaux est créée pour les transports des voyageurs et marchandises, suivie en 1602 par la Poste aux lettres assurant celui des missives et dirigée par le surintendant général des postes.

Enfin, après l’Ecole royale du Génie de Mézières et devançant l’Ecole Polytechnique, le développement des grands chantiers d’urbanisme, d’architecture et d’infrastructure fera émerger un groupe d’« Ingénieurs du Roi » rattachés à l’artillerie, bien formé, entièrement polyvalents et déployés sur tous les chantiers.

Avec une armée d’ingénieurs et de savants, Sully, qui à deux reprises fait le tour de tout le pays et se passionne pour la cartographie, entreprend de vastes travaux de terrassement et de drainage pour stabiliser les crues des rivières, en particulier la Loire, le plus long fleuve du pays.

Dès 1599, il s’adjoint les services d’Humphrey Bradley, un hydrographe néerlandais spécialisé dans l’assèchement des marais et du percement des canaux.

Avec celui-ci, s’appuyant sur les relevés de terrain effectués à cet effet par Léonard de Vinci sous François Ier, Sully conçoit un vaste réseau de canaux capable de relier rivières, lacs et océans.

Les principaux canaux de jonction réalisables en France.

Si les canaux de Charolais (aujourd’hui le canal du centre), de Bourgogne, ou celui reliant l’Atlantique à la Méditerranée (Canal du Midi réalisé sous Jean-Baptiste Colbert) restent à l’état de projet, le creusement du canal de Briare, un ouvrage de 56 km équipé de 16 écluses, reliant la Loire à la Seine, démarre sous les ordres de Humphrey en 1604, se poursuivent avec l’ingénieur Hugues Cosnier pour s’achever en 1642.

Le canal fut complété en 1890 par Gustave Eiffel avec un magnifique pont-canal de 663 mètres de long. Cet effort pour accroître la circulation des marchandises par la voie d’eau, développant ainsi les centres de production et contribuant à l’unité nationale, reprend la politique de Charlemagne et de Louis XI.

Les routes principales sont retracées, remblayées, pavées et de nombreux péages sont supprimés. L’entretien du réseau, pour lequel on dépense 1 million de livres en 1610 comparé à 600 livres dix ans auparavant, est confié, par région, à des intendants spécifiques, ancêtres des Directions départementales de l’équipement (DDE).

En prévision des besoins en constructions et de la marine, Sully fait planter des milliers d’ormes aux bords des routes. Les forêts bénéficient pour la première fois d’une administration spécifique, tandis que rivières et lacs sont surveillés pour améliorer la production piscicole. Plusieurs grands marais sont asséchés ce qui, d’après certains, aurait permis à doubler la surface des terres arables.

La Place Royale, renommée Place des Vosges après la Révolution.

De nombreux ponts sont construits, ou réparés, et l’on rénove les phares comme celui de Cordouan.

A Paris, Henri IV surveille en personne la construction du Pont neuf qui, fait nouveau, sera le premier pont sans maisons et, initiative inédite, pourvu d’une horloge. Il y construit également l’Arsenal et fonde l’hôpitale Saint-Louis et celui de la Charité.

Il imagine également la magnifique Place royale achevée en 1605, devenue depuis la Révolution, la Place des Vosges (ci-contre).

Premières habitations de la ville du Québec fondé par Samuel de Champlain en 1609.


Pour défendre le pays, Sully renforce les frontières. Les fortifications sont consolidées et 500000 livres sont consacrées annuellement à leur entretien. Le port de Toulon est fortifié pour lutter contre les Barbaresques.

Voyant plus loin, bien au-delà de l’horizon français, Henri IV nomme en 1603 Samuel de Champlain (1567-1635) géographe royal. Ce dernier découvre en 1605 la baie du Massachusetts où Boston sera fondée. Il fonde Québec en 1608 et explore le lac Champlain en 1609.

6) Agriculture et manufactures

Sous l’autorité de Sully encore, assisté par Barthélemy de Laffemas (1545-1612) et surtout Olivier de Serres (1539-1619), auteur du fameux Théâtre d’Agriculture, une audacieuse politique économique est mise en œuvre, fondée sur la création de richesses physiques et résumée dans les Économies royales :

Le peuple de la campagne (…) disait souvent au roi que le labourage et le pâturage étaient les deux mamelles dont la France était alimentée, et [voilà] ses vraies mines et trésors du Pérou [d’où venait l’or d’Europe].

A la fin du XVIe siècle, tout comme au Sahel aujourd’hui, un marché non régulé et des conditions climatiques dramatiques provoquent régulièrement des disettes (notamment en 1576 et en 1590) qui, à leur tour, génèrent des variations de 300 à 500% du prix des céréales, à l’époque principale denrée alimentaire. Éclatent alors épidémies et soulèvements qui paralysent toute l’économie.

Pour y remédier, Henri IV accorde plusieurs moratoires sur la dette des producteurs et interdit, par un édit du 16 mars 1595, la saisie des trains de culture, bêtes et instruments, par les agents du fisc et la réquisition des chevaux par les soldats, protégeant ainsi l’outil de production agricole. Rappelons aussi que sa politique ambitieuse visant à assécher les marais permet d’accroître la surface de terres cultivables. Mais Henri IV va plus loin.

L’agronome Olivier de Serres (1539-1619).

L’agronome Olivier de Serres (1539-1619)

Suivant les conseils d’Olivier de Serres, appelé auprès du roi à la Cour, on substitue à la jachère la culture de plantes fourragères comme le sainfoin et la luzerne. Ces prairies « artificielles » permettent de nourrir le bétail tout en laissant reposer les sols.

Suite à des cultures expérimentales en jardin, on introduit des nouvelles variétés, notamment le riz, le houblon, le melon, l’artichaut ou encore la garance. Le maïs, venu d’Amérique fait son apparition et se généralise dans le Sud-Ouest ; le haricot est signalé dans le Bas-Rhône vers 1594 ; la pomme de terre nommée « cartoufle » ou « truffe blanche » pousse dans les jardins du Vivarais vers 1600 bien avant Parmentier.

Sully encourage la vigne qu’il étend de manière spectaculaire en Languedoc. Le vin réservé jusqu’alors aux plus aisés apparaît sur la table des paysans. Olivier de Serres travaille le premier, hélas sans aboutir, à l’extraction du sucre à partir de la betterave.

Alors que les Français n’avaient que rarement un bout de viande dans leur assiette, Henri IV lâche en 1600 sa fameuse phrase :

Si Dieu me donne encore la vie, je ferai qu’il n’y aura pas de laboureur en mon royaume qui n’ait moyen d’avoir une poule dans son pot.

Enfin, en 1610 la France rattrape son niveau de production agricole de 1560 et sa démographie repart à la hausse.

laffemas
L’économiste protectionniste Barthelémy de Laffemas (1545-1612).


Bien que l’on veuille nous faire croire qu’il ne se passionne que pour l’agriculture, Henri se passionne tout autant pour l’industrie. A Paris, il élargit le Louvre en vue d’y installer une exposition pilote permanente de « machines d’inventions mécaniques et de modèles industriels ». Le monde professionnel sera modernisé avec la généralisation des corporations et la création, en 1601, d’une Assemblée de commerce, sorte d’ancêtre de l’actuel Conseil économique et social.

Les fruits de l’agriculture et de l’élevage fournissent la matière première de l’artisanat : la laine, le lin, le chanvre, le cuir sont transformés en produits finis dans les ateliers où œuvrent maîtres, compagnons et apprentis. Des étoffes de qualité et de matière variées habillent riches et moins riches ; elles s’exportent vers l’Allemagne ou l’Espagne. Sur le plan des manufactures, son conseiller Barthélemy de Laffemas apparaît comme l’un des fondateurs d’un protectionnisme altruiste, qui, passant par Jean-Baptiste Colbert, Alexander Hamilton, Henry Carey et Friedrich List, fera la grandeur de tant de pays.

En 1601, Laffemas écrit :

Inhibons et défendons dans notre royaume l’entrée de toutes marchandises, ouvrages et manufactures faites et travaillées venant des étrangers, soit drap d’or, d’argent, de draperie (…) soit en ganterie ou autrement, fer, acier, cuivre, laiton, montres et horloges et généralement quelconques ouvrages servant à meubles, ornements et vêtements, de quelque qualité qu’ils soient, et à quelque usage qu’ils puissent être employés.

En premier lieu il s’agit de favoriser les manufactures françaises naissantes afin d’éviter les importations systématiques de produits ayant une forte valeur ajouté : la soie, les cuirs, les tapis, le cristal ou les miroirs. En 1601, on invite une colonie de tapissiers flamands à diriger la Manufacture des Gobelins et la France étend la culture du mûrier indispensable à l’élevage du ver à soie, initié par François Ier. D’importantes productions de soie verront le jour en particulier en Languedoc et Dauphiné.

François Bayrou, qui aujourd’hui prône l’équilibre budgétaire et la concurrence libre et non faussée, est lui-même obligé de le reconnaître :

Protectionnisme, substitution de produits nationaux aux importations, produits à forte valeur ajoutée et créateurs d’emplois, conquête de marchés extérieurs, Laffemas suivait intuitivement une stratégie de décollage économique très cohérente, proche des principes appliqués durant nos dernières décennies par le Japon et d’autres pays nouvellement industrialisés.

Conclusion

Après l’assassinat d’Henri IV, Sully, en désaccord total avec la reine Marie de Médicis, tombe en disgrâce et démissionne en 1611 de sa charge de surintendant des Finances et de gouverneur de la Bastille. La reine suspend la réalisation du Canal de Briare et distribue les fonds prévus à cet effet aux favoris de la Cour…

A force de combats tenaces de tous les instants, Henri IV et Sully, dans les pas de Charlemagne, Louis XI et Érasme de Rotterdam, ont fait triompher l’humanisme sur notre continent. Olivier de Serres et Barthélemy de Laffemas traduiront cet humanisme dans une politique économique dirigiste et protectionniste qui servira de socle théorique, via Jean-Baptiste Colbert et ses disciples italiens et espagnols, à l’économie politique du « Système américain ». Ce qui frappe le plus, c’est que la crise d’alors, tout comme celle d’aujourd’hui, n’a rien de « technique », mais représente un enjeu de civilisation.

Notre regard sur ces grands moments de l’histoire peut provoquer en nous des sentiments partagés : la joie et l’optimisme devant ces fabuleuses victoires pour l’humanité et la tristesse devant la bêtise, la corruption, la lâcheté et l’inertie de nos dirigeants actuels et… ceux qui les élisent. A nous, à vous, de changer la donne !



Le « Grand Dessein » de Sully :
décapiter l’Empire !

Henri IV et Sully se rendent compte que tant que le système impérial prévaut en Europe, tout ce qu’ils accomplissent en France peut rapidement être réduit à néant. La pacification religieuse et économique « intérieure » de la France nécessite forcément un apaisement extérieur.

Ainsi, d’après les Mémoires des Sages et Royales Economies d’Estat domestiques, politiques et militaires de Henry le Grand (1638), Henri IV, juste avant son assassinat, « estoit prest de se mettre en campagne, et marcher avec une armée de trente-six mil hommes de pied et huit mil chevaux, des mieux aguerris et disciplinez, icelle assortie de trésors pour la payer, de cinquante canons, et munitions pour les faire ronfler, et de vivres pour faire telle armée subsister, en payant par tout, comme toute pacifique. » (Tome IX, p.45-46)

Le 19 mai 1610, Henri IV s’apprête à lancer une campagne militaire contre la Maison d’Autriche afin de décapiter l’Empire et le remplacer par une entente entre Etats-nations souverains ! Il est assassiné cinq jours avant.

Ce « Grand Dessein » vise à mettre un terme au déséquilibre géopolitique de l’Europe qui, depuis le début du XVIe siècle, est source permanente de tensions et de conflits. Cette situation résulte de l’élection à la couronne impériale, en 1519, du jeune roi d’Espagne, Charles Ier, devenu Charles Quint. Ce dernier possède alors les royaumes d’Aragon et de Castille, les Pays-Bas, le Milanais, le royaume de Naples, l’Autriche et des colonies d’Amérique. En devenant empereur du Saint Empire romain germanique, il y ajoute l’Allemagne. Le soleil, dit-il, ne se couche jamais sur ses États. En 1556, Charles partage ses territoires entre son fils, Philippe II, qui devient roi d’Espagne, et son frère Ferdinand Ier, élu empereur. Depuis Charlemagne et Louis XI, la France, premier État-nation de l’histoire moderne, entrera en opposition virulente avec ce modèle impérial quand elle sera fidèle à sa mission.

D’après l’historien Bernard Barbiche, Henri IV et Sully, pour résoudre préventivement cet antagonisme, envisageront, suite à une opération politico-militaire « sans aucune hostilité ni déclaration de guerre », de redécouper l’Europe (à l’exclusion de la Moscovie) en quinze dominations : six royaumes héréditaires (France, Espagne, Grande-Bretagne, Danemark, Suède et Lombardie) ; six puissances électives (papauté, Venise, Empire [Allemagne et Autriche], Pologne, Hongrie, Bohême) ; et trois républiques fédératives (la République helvétique, la République d’Italie et la République des Belges).

Dans l’esprit de Sully, ces quinze États devraient posséder une égalité de territoire et de richesse. A cette recomposition politique correspond un meilleur équilibre religieux, les trois grandes confessions chrétiennes (la catholique, la luthérienne et la calviniste) y jouissant de l’exercice libre et public du culte dans chaque pays. Les quinze formeraient une confédération dirigée par six Conseils chargés de domaines spécifiques et un Conseil général qui réglerait les différends entre chaque souverain et ses sujets et ceux des Etats entre eux ; il n’y aurait plus ni révolutions, ni guerres. Cette « Europe des quinze » désormais pacifiée devrait unir ses forces et tendre vers un unique but : la lutte contre les Turcs, qui, malgré leur défaite à Lépante en 1571, restaient une menace. Les Turcs vaincus, l’Europe jouirait de la paix universelle et perpétuelle.

Constatons qu’à l’assassinat d’Henri IV, la France dispose de moyens militaires considérables. Les forges de l’Arsenal, où réside Sully, ne connaissent pas de relâche et le grand maître aime faire admirer aux ambassadeurs étrangers l’impressionnant alignement de canons de ses entrepôts. Avec Sully, la France commande 400 bouches à feu. Le noyau central de l’armée comprend désormais 1500 cavaliers et 7000 fantassins en temps de paix, un nombre que l’on peut rapidement augmenter en cas de conflit. Sous Henri IV apparait aussi la première caserne et la médecine militaire ; les hommes, de plus en plus des non-nobles, sont mieux encadrés et formés, ils sont régulièrement payés et la discipline est observée.

A l’époque où Sully publie les Économies royales, le Grand Dessein ne peut apparaître aux contemporains que comme une folle utopie car l’Europe est plongée dans la guerre de Trente ans. Dix ans plus tard, le traité de Westphalie mettant fin aux guerres de religion, conclu par Mazarin en 1648, incorpora les principes de l’Edit de Nantes et du Grand Dessein d’Henri IV. Il gravera la primauté du droit des États-Nations souverains dans le marbre, scellant, pour un temps, la fin des empires.

Puis, faute d’inspiration culturelle et sociale claire, viendront la révocation de l’Edit de Nantes et l’essor de l’Empire maritime britannique se substituant progressivement à l’Empire terrestre des Habsbourg. L’Europe s’est ainsi détruite elle-même, malgré tel ou tel sursaut, jusqu’à aujourd’hui où nous vivons à nouveau un moment décisif, dans lequel tout ce que la politique d’Henri IV avait d’implicite doit devenir explicite, celle d’Etat-nations Républiques constituant, à travers leur développement mutuel, une République universelle.

L’assassinat d’Henri IV

par Jacques Cheminade

Nous ne chercherons pas ici à déterminer les tenants et les aboutissants de la conjuration d’intérêts qui conduisit à la mort du roi. Nous renverrons pour cela à l’ouvrage de Jean-Christian Petitfils, L’assassinat d’Henri IV, mystère d’un crime, Editions Perrin, 2009.

Nous examinerons plutôt le contexte général, très révélateur de l’acharnement politique de l’empire habsbourgeois contre la politique de paix entre nations voulue par Sully, et les circonstances du crime, survenu à un moment de tension maximale dans cet affrontement. Cette analyse de situation est indispensable pour comprendre ce qui s’est passé par la suite en Europe, de la paix de Westphalie à la révocation de l’Edit de Nantes et à la guerre de succession d’Espagne de Louis XIV.

Le crime de Ravaillac a été commis le 14 mai 1610, rue de la Ferronnerie à Paris. Depuis plusieurs semaines, Henri IV réunissait alors trois armées à Châlons-en-Champagne, en Navarre et dans le Dauphiné pour lancer une offensive contre l’empire habsbourgeois. Le 19 mai, il devait se rendre à Châlons pour attaquer sur le front du Luxembourg. Il avait face à lui les troupes de l’archiduc Albert de Habsbourg, époux de l’infante Isabelle Claire Eugénie, fille de Philippe II d’Espagne. Albert et Isabelle avaient reçu en héritage la région dite des Pays-Bas espagnols, comprenant pratiquement toute la Belgique actuelle, le Luxembourg et la Franche-Comté. Le but politique immédiat du roi de France était d’empêcher les Habsbourg de renforcer la position catholique dans les duchés rhénans de Clèves et de Juliers. Si l’on résume ce qui se trouvait en cause, c’était d’un côté une République de forme monarchique, pouvant accueillir en son sein plusieurs religions (comme par exemple, à l’est de l’Europe, la Pologne des Jagellons), et de l’autre un Empire voué à une religion unique, sous tutelle pontificale et divisé entre peuples en état de conflit plus ou moins permanent faute de cause commune.

Henri IV, en ce sens, était le descendant politique direct de Louis XI, tandis que les Habsbourgeois représentaient une version moderne de l’Empire romain. L’on dit que le monarque de 55 ans s’était énamouré de la très jeune Charlotte de Montmorency, que son mari le prince de Condé était allé mettre à l’abri sous la tutelle d’Albert et d’Isabelle à Bruxelles. Cette petite histoire-là n’est cependant qu’un épisode de la grande histoire mentionnée ci-dessus, ne devant intéresser que ceux qui regardent par les trous de serrure, au risque d’en perdre l’œil.

La mort de Henri IV était donc bien dans l’intérêt politique des Habsbourg, et plus encore de ceux qui ne voulaient en aucun cas la création de Républiques vouées au bien commun et au développement mutuel de leurs habitants. Examinons maintenant les faits.

La mort de Henri IV est annoncée à Bruxelles, Anvers, Bois-le-Duc, Dinan, Lille et Cologne, dix à quinze jours avant le coup de couteau fatal, comme si le terrain avait été préparé. Le roi avait déjà échappé à une vingtaine de tentatives d’assassinat, toutes alimentées par la théorie du tyrannicide – le droit, selon les principes du catholicisme, de tuer le Roi s’il se comporte en tyran. Bien qu’Augustin et Thomas d’Aquin aient développé cette thèse, comme plus tard Luther et Calvin du côté protestant, c’est en y posant de très nombreuses conditions rendant son application exceptionnelle ; alors que tout un courant catholique extrémiste la développa avec furie, comme ce fut par exemple le cas avec le jésuite Juan de Mariana. C’est cette conception extrême qui était répandue dans de nombreux sermons de curés « ligueurs », défendant la cause de l’Espagne et des Habsbourg contre celle de Henri IV. Ravaillac lui-même reconnut cette influence des « sermons que j’ai ouïs auxquels j’ai appris les causes pour lesquelles il était nécessaire de tuer les rois ». Fils d’un petit notable ligueur d’Angoulême, bastion du catholicisme extrémiste, Ravaillac avait été élevé dans une fureur anti-protestante extrême.

Par ailleurs, c’est à Bruxelles, c’est-à-dire près de la France, qu’avaient trouvé refuge toute sorte d’extrémistes catholiques, dont Jean Boucher, curé de Paris ayant fait l’Apologie de Jean Châtel, qui avait déjà tenté d’assassiner Henri IV d’un coup de couteau le 27 décembre 1594, ou les comploteurs catholiques de la Conspiration des poudres en Angleterre. Ainsi, le milieu « criminogène », comme on dirait aujourd’hui, existait bel et bien dans les Pays-Bas espagnols. On peut donc dire que Ravaillac, un déséquilibré mental qui avait beaucoup voyagé, était sous une influence indirecte. L’était-il plus directement ? Plusieurs éléments paraissent le montrer.

Le plus significatif, à notre sens, est que Ravaillac ait déclaré avoir voulu tuer le roi après le couronnement de la Reine, Marie de Médicis, lui conférant l’autorité du pouvoir en cas de décès de son mari. Or Ravaillac tua Henri IV le 14 mai, soit le lendemain même du couronnement de la reine, le 13 ! Marie était l’atout suprême de ce qu’on appelait alors à Paris le « parti espagnol ». La cérémonie de son couronnement avait été repoussée à plusieurs reprises, et il fallait être mieux informé que Ravaillac ne pouvait l’être par ses propres moyens pour en connaître d’avance la date exacte. Or Ravaillac avait volé son couteau quelques jours avant. Ajoutons que Marie de Médicis retrouva dans les papiers laissés par Henri une lettre de Charlotte de Montmorency, adressée depuis Bruxelles, lui disant de se méfier de sbires qui voulaient le tuer. L’amour avait ici des raisons bien mêlées de politique…

Ajoutons, comme le rapporte Jean-Christian Petitfils, qu’une lettre de l’ambassadeur de Genève à Paris, datée du 23 mai 1610, donne le nom de certains des conspirateurs et met en cause l’archiduc Albert, le comte de Sallenove et un ou plusieurs tueurs, partis de Bruxelles fin avril. L’on trouve dans les comptes de la ville de Lille (alors en terre archiducale), voués à alimenter les collaborateurs et les espions, la mention d’une gratification de 15000 livres, somme très importante pour l’époque, « dont on ne veut faire plus ample déclaration ». Dernière coïncidence troublante, lors de l’assassinat du roi, de nombreux hommes à cheval et à pied bloquèrent la rue de la Ferronnerie en criant « tue, tue ! » pour exciter à tuer Ravaillac – et donc empêcher le meurtrier de parler – et non à secourir le roi.

Pour finir, rappelons que Ravaillac déclara avant de mourir : « Hélas, on m’a bien trompé quand on m’a persuadé que le coup que je ferai serait bien accueilli par le peuple ». Cela suppose bel et bien un « on ».

Cette thèse de Petitfils paraît beaucoup plus vraisemblable que celles de « l’assassin solitaire mentalement dérangé », un classique du genre, ou d’un complot de la marquise de Verneuil, jalouse d’avoir été abandonnée par le roi, et du duc d’Epernon, opposant déclaré à la guerre, qui est la thèse de Michelet et Philippe Erlanger.

Tout cela n’est en rien un point de détail : tous les indices concordent pour justifier ce que M. Petitfils et nous-mêmes reprenons, en le situant dans un contexte historique plus étendu. Car ce qui est essentiel n’est pas ce que Henri IV, Sully et leurs principaux collaborateurs ont fait, mais ce qu’ils auraient pu faire et qui sans doute aurait changé l’histoire. A cette époque, les Habsbourg contrôlaient à l’est de l’Europe la Bohême et la Hongrie, après la mort de Louis II Jagellon en 1526, et à l’ouest la péninsule ibérique (début de la dynastie des Habsbourg au Portugal après la bataille d’Alcantara, le 25 août 1580) et ses possessions américaines. Le « grand dessein » de Henri IV et de Sully avait pour but de remettre en cause ce contrôle des deux extrémités de l’Europe.

Depuis son échec, notre Europe, d’empire habsbourgeois en empire britannique, ne s’est jamais guérie du mal oligarchique impérial. Aujourd’hui, où le moment est venu de cette guérison, il est juste de trouver inspiration dans la politique de Henri IV, Sully, Laffemas et leurs proches, qui, avec tous les défauts du monde, furent bâtisseurs de République.

Aux origines de l’école protectionniste
Barthélemy et Isaac de Laffemas

Barthélemy de Laffemas (1545-1612), Contrôleur général du Commerce sous Henri IV, a su traduire l’humanisme de la Renaissance en une politique économique dirigiste et protectionniste qui servira ultérieurement de socle théorique, via Jean-Baptiste Colbert qui s’en inspira, à l’économie politique du « Système américain » élaboré par Alexander Hamilton, Henry Carey et Friedrich List.

Avant de livrer ici quelques extraits du Recueil présenté au Roi de ce qui se passe en l’Assemblée du Commerce , écrit en 1604 par Barthélemy de Laffemas, nous présentons un extrait de l’ Histoire du commerce de France , écrit en 1606 par son fils, Isaac de Laffemas (1583-1657). Ce texte permet d’emblée de mesurer toute l’influence de son père auprès de Sully et du « bon roi Henri ».

Isaac de Laffemas :
« Que votre France soit le raccourci des sciences du monde ! »

AU ROY.

SIRE,

« En l’Assemblée tenue à Rouen l’an 1596, entre les avis qui vous furent présentés pour le bien public, mon père [Barthélemy de Laffemas], qui l’a toujours désiré plus que le sien propre, fit la proposition de la défense des manufactures de soie étrangères, et, pour avoir moyen de s’en passer, du plantage des mûriers en ce royaume ; lequel advis non moins profitable qu’il était nécessaire pour la conservation des finances, fut dès lors reçu et pour un temps exécuté. Mais comme on jugea la France ne pouvoir être sitôt pourvue desdites étoffes qui se fabriqueraient chez elle, pour le défaut de la principale matière, qui est la soie, on en permit encore le trafic, attendant qu’elle fût peuplée de mûriers et graines, que depuis on a mis peine de recouvrer sous l’autorité de Votre Majesté.

L’effet suivit donc ce dessein en l’étendue des généralités de Paris, Orléans, Tours, Lyon et Poictiers ; et bien qu’on tienne les Français curieux des choses nouvelles sur toutes les autres nations, le menu peuple, ignorant l’utilité que ce nouveau plan lui pouvait apporter, semblait roidir contre un si grand bien et mépriser le juste poids de cette entreprise.

Pour y remédier, Votre Majesté, continuant toujours ses premières intentions de favoriser ce qui est utile et nécessaire à son peuple, trouva bon d’en proposer la commodité au clergé de son royaume et l’exhorter d’y tenir la main.

Ce fut très sagement pourvoir à la continuation de ce plan, et ce seul moyen doit faire reconnaître au peuple son erreur, car je ne crois point que le grand corps du clergé se rende rétif à l’exécution d’un si beau dessein.

Vos sujets béniront Votre Majesté, et d’âge en âge rendront votre mémoire vivante en la bouche de l’éternité.

N’est-ce pas leur en donner les occasions tous les jours par tant de nouveaux établissements d’ouvrages que vous distribuez par les villes de votre royaume pour les en faire tous ressentir, les excitant à votre exemple d’aimer ce qui leur apporte des commodités ; témoins ces orgueilleux bâtiments de la place Royale [actuellement Place des Vosges à Paris], dont le front menace de ruine les étrangers qui vivaient de nos dépouilles, et dont la seule batterie des métiers que nos Français y ont montés fait peur à tout un pays.

Marcher dans les pas du grand roi français Charles V « le sage » (1338-1380)

« On tient que votre prédécesseur Charles V fit six choses remarquables : il sut combattre, acquérir, décharger son domaine, édifier, fonder et thésauriser. Tout cela, Sire, vous l’avez fait, et tellement que vos sujets ont occasion de s’en contenter : il fit commencer Saint-Germain-en-Laye, vous l’avez curieusement enrichi ; il fit construire le château du Louvre, vous l’avez accru de grandeur et de beauté ; il fit édifier le grand hôtel des Tournelles, et vous avez fait élever auprès de votre place Royale, sur le plus beau de vos desseins, les bâtiments des manufactures, que vous avez commises à la sage conduite et gouvernement des personnages ci-dessus, charge, à la vérité, autant digne d’eux qu’ils sont capables des affaires publiques.

Bâtissez hardiment, grand prince, puisque vous en recevez tant d’honneur, et rendez les industries des ouvriers tributaires de votre gloire ! Que votre France soit le raccourci des sciences du monde, plus grandes en leur abrégé qu’en leur étendue ; que tout résonne de vos louanges, et qu’il n’y ait rien de caché que vous n’exposiez en lumière (…)

Promouvoir la concertation, les inventions et l’innovation

« J’attends cela de l’invention des bureaux publics, qui défaillent seuls à la facilité de notre commerce pour le rendre à sa perfection (…) Je veux signaler cette proposition, entre les plus belles que mon père ait jamais faites à Votre Majesté (…) On tient Montaigne avoir eu d’aussi heureuses et fortes conceptions qu’homme du monde ; mais entre les autres il semble n’avoir ignoré la nécessité desdits bureaux, qu’il a proprement spécifiés en un chapitre qu’il a fait en ses Essais d’un défaut de nos polices, quand il dit qu’on devrait avoir aux villes certain lieu désigné où ceux qui auraient besoin de quelque chose se pussent adresser et faire enregistrer tout ce que bon leur semblerait, afin que toutes sortes de personnes y eussent recours et apprissent plus facilement ce qu’ils chercheraient, comme le maître un serviteur, le serviteur un maître, et ainsi de toutes autres choses (…)

La sécurité publique

« Il est bien certain que c’est une chose à laquelle nous devrions autant vaquer que les autres nations, puisque nous trafiquons par terre aussi bien que par mer, et les dommages qu’en reçoivent tous les jours les passants et ceux qui trafiquent (lesquels ne peuvent tomber que sur nous) devraient nous inciter à cela ; car quelle apparence, je vous prie, que les marchands soient contraints en beaucoup d’endroits se détourner de plus de trente ou quarante lieues pour la rupture ou danger du droit chemin ? Il ne se faut pas étonner si beaucoup de villes qui étaient sur de grands passages, et voulaient trafiquer autrefois, sont maintenant pauvres et disetteuses (…)

L’entretien des routes

« Les droits de péages, gabelles, passages, ports et abords, n’ont jamais été imposés par les princes que pour la conservation des marchands, sûreté et entretien des chemins ; néanmoins aujourd’hui les administrateurs d’iceux corrompent et gâtent cet ordre, à la ruine de notre commerce, et serait besoin que chaque droit fût employé selon son vrai et légitime prétexte ; à quoi monsieur le duc de Sully semble opportunément incliner quand il recherche de ramener tout à son principe, et particulièrement redresser et embellir les chemins en faveur du trafic. »

Barthélemy de Laffemas :
« Joindre les deux mers ensemble et en rendre la navigation facile »

Ce qui se fait déjà pour développer l’industrie de la soie

« L’établissement du plant des mûriers et art de faire la soie en France, avec l’entreprise de toutes sortes de manufactures d’icelles et des plus excellentes, que les Français étaient contraints aller quérir hors du royaume, et de transporter plus de six millions d’écus à cet effet par chacun an, sans retour d’aucune marchandises ni commodités que de musc et senteurs, affiquetz de luxe, et toutes sortes de poisons de corps et d’esprit ;

Lequel établissement commence à fleurir et réussir au contentement d’une infinité de gens de bien et d’honneur, dès l’an passé 1603, dans les généralités de Paris, Orléans, Tours et Lyon, et pour la présente année au gouvernement du Poitou, sous la faveur et sage permission de monseigneur de Rosni [Maximilien de Béthune, duc de Sully], et dont les profits sont prêts à recueillir dans peu d’années par l’abondance des feuilles de mûriers, qui ont été et seront plantés et semés en nombre infini, et doivent précéder et s’accroître pour la nourriture des vers [à soie], que s’en fera après sans aucune dépense, si ledit établissement n’est interrompu par défaut de continuer ou par la malveillance des envieux ennemis du public.

Continuer l’effort afin de ne pas échouer comme les rois précédents

« (…) Aussi que c’est chose promise et contractée par Sa Majesté avec les entrepreneurs dudit établissement qu’il se continuerait par trois diverses années consécutives pour se perpétuer, sans que jamais il en puisse advenir comme du temps des Rois ses prédécesseurs, Loys XI, François 1er et Henry II, qui l’ont entrepris sans le pouvoir faire réussir, par faute de continuer. Ayant aussi le Roi, seul entre tous sesdits prédécesseurs, cette divine remarque, et qui le fait vraiment approcher plus prêt de la Divinité, de ne rien promettre sans le tenir et de ne rien entreprendre sans l’accomplir, comme la guerre, ses bâtiments, et une infinité de ses autres généreuses actions, le démontrent assez, Sa Majesté a prudemment prévu et jugé que, comme ce n’était assez pour ce grand et très riche dessein d’entreprendre le plant des mûriers seul, qui n’y ajouterait l’art de la soie par la nourriture des vers qui se fait facilement des feuilles desdits mûriers, ni ces deux choses ensemble qui n’y surajouterait encore la troisième pour le parfait accomplissement, qui est la manufacture desdites soies et toutes les façons et perfections dont les étrangers prennent tant d’avantage et d’argent sur nous, de même aussi ce ne serait assez de commencer cette entreprise pour un an ni pour deux, si elle n’était continuée la troisième année pour y recevoir sa perfection (…)

Sur les canaux et le développement de la voie fluviale

« Autre entreprise très importante et bien plus hardie, de joindre les deux mers ensemble et d’en rendre la navigation facile de l’une en l’autre, au travers de la France, sans plus passer par le détroit de Gilbatard [Gibraltar], par le moyen d’un canal bien plus facile à faire, entre les deux rivières qui passent l’une de Tholoze en l’Océan et l’autre de Narbonne en la Méditerranée [canal du Midi, réalisé sous Jean-Baptiste Colbert], que celui qui se fait pour joindre les rivières de Seine et de Loire [canal de Briare, dont Sully lança la construction en février 1604], et qui coûte cent quatre-vingt mille écus en trois années [Sully, son conseiller hollandais Bradley et l’entrepreneur Hugues Cosnier projetaient initialement de terminer le canal en trois ans. En réalité, après bien des batailles politiques, il ne fut achevé que sous Richelieu en 1642, Ndlr].

Et l’entrepreneur des deux mers offre caution de joindre la navigation desdites deux mers, par son canal, dans un an pour quarante mille écus seulement, auquel on fera passer et repasser un bateau de quatre pans de large d’une mer à l’autre pour essai et preuve certaine de son dessein, qui est d’y faire passer les navires par après, pour peu de temps et de dépenses davantage qu’on y voudra employer, au respect d’une si belle entreprise, qui serait un grand enrichissement et commodité incroyable en ce royaume.

Métallurgie

« La France abonde de mines et de forges de fer, et de rivières proches pour en faire le transport et trafic aux pays étrangers. Néanmoins il s’y est coulé un abus si grand, depuis les premiers troubles [guerres de Religion], que le commerce en est tellement diminué que nous sommes contraints de prendre du fer des Allemagnes et autres pays étrangers, au lieu de leur en porter, et que tout ce qui se fait du fer de France ne vaut plus rien et se casse bien plus tôt qu’il ne se peut user, d’où procèdent plusieurs grands inconvénients : la mort d’une infinité de gens de guerre entre les mains desquels les armes faites de fer de France se rompent comme verres ; les bateaux et navires en périssent souvent, les clous et barres de fer s’y rompant tout à coup. Les maisons et bâtiments tout de même en durent moins ; les ouvrages des quincailliers, serruriers, maréchaux et autres semblables ouvriers, se cassent au moindre effort, ne s’usent ni durent aucunement, comme ils voudraient et le devraient ; ce qui procède d’un seul point, qui est qu’en ces dites forges on n’y fait plus que du fer aigre au lieu de ce qu’on y faisait auparavant presque tout fer doux, pour ce que le débit est plus prompt et plus facile, à cause que les ouvriers, qui ne devraient employer que du fer doux, qui est plus beau (clair comme de l’argent) et de plus grande durée, n’achètent plus que du fer aigre par extrême avarice et défaut de police, pour ce qu’il est meilleur marché et que leurs ouvrages se rompent incontinent et ne durent point, de façon que pour un de ces ouvriers qui suffisait il y a trente ans, il s’en trouve aujourd’hui plus de vingt bien employés au grand détriment du public (…)

Sécurité alimentaire

« Le ris, qui est une manne du ciel ainsi que les blés, pour ce qu’il peut servir de pain et de viande aux pauvres gens et à tous ceux qui voyagent sur mer, et les nourrir et substanter autant que tous les deux ensemble, s’achète en France fort chèrement, et à la livre, comme le sucre, pour ce qu’il n’y en croît point, et faut porter notre argent aux étrangers pour en avoir. Néanmoins il se présente homme de qualité qui veut entreprendre de le faire croître en France, aussi facilement et promptement quasi que le blé. »

(Extraits du Recueil présenté au Roi de ce qui se passe en l’Assemblée du Commerce , 1604)

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Francisco Goya et la révolution américaine

colosse

Figure 4 : Goya, Colosse ou Le géant, 1808.

Version espagnole de ce texte :
Francisco Goya, la Revolución Americana y el combate contra el hombre bestia sinarquista
pdf texte espagnol: Goya ESPAGNOL

pdf de la version anglaise parue dans la revue Fidelio:
Francesco Goya, the American Revolution and the Fight against Synarchist Beast-Man


Avertissement

En réduisant la perception de l’oeuvre de Francisco Goya (1746-1828) à un gros plan sur une petite série de tableaux illustrant des pièces littéraires traitant de sorcellerie, dont l’imagerie se retrouve dans les Caprichos et se manifeste avec force dans les pinturas negras (peintures noires), la contre-révolution romantique à subrepticement réussi à ternir dans l’esprit du grand public, l’image de cet homme puissant et révolutionnaire.

La satire sociale de Goya, animée par une ironie toute érasmienne qui lui a valu le qualificatif de « Rabelais espagnol », ainsi que son sens profond du sublime, proche de celui du poète allemand Friedrich Schiller, furent systématiquement présentés comme l’expression d’un art fantastique, grotesque et bizarre, [1] fruit monstrueux d’un esprit malade. [2]

La restauration monarchique de 1814, dont le franquisme fut le dernier avatar, a volontairement retardé des recherches sérieuses sur Goya et son oeuvre, recherches qui, jusqu’à récemment, se sont avérées plus fructueuses à l’étranger que dans la sphère hispanique.

C’est évidemment la calomnie dévalorisante que l’oligarchie réserve aux génies de l’humanité en les enfermant dans le tiroir des aliénés, surtout quand l’artiste en question se déchaîne en ironies polémiques contre le socle même du pouvoir oligarchique : le poison de la médiocrité.

En bref, si Goya est un artiste inconnu de grande renommée, c’est le résultat d’une opération classique de dénigrement qu’on infligea à bien d’autres avant lui, notamment à Jérôme Bosch, Edgar Allan Poe ou à l’encontre de Lyndon LaRouche aujourd’hui, pour ne nommer qu’eux.

autoportrait goya

Figure 1 : Goya, Autoportrait, 1815. Goya est âgé de 69 ans ; une grande détermination émane du regard qui nous invite à partager une vision de l’homme libéré des « préjugés habituels et des pratiques trompeuses que la coutume, l’ignorance ou l’intérêt égoïste ont fait accepter comme habituelles. »

Goya, vous ne méritez pas seulement la mort, mais la potence. Si nous vous pardonnons, c’est parce que nous vous admirons.

Ferdinand VII en 1814

Tout comme pour l’oeuvre de Rabelais, on n’échappe pas à un minimum d’effort (chose insupportable pour le baby-boomer moyen) pour pénétrer le langage imagé de Goya. En vous livrant quelques faits saillants de son siècle et de sa vie, je tenterai ici de fournir quelques clés vous permettant de cerner la géométrie de son âme et d’accorder le rythme de votre coeur au sien.

Combattant le despotisme, tout en occupant un poste sensible comme peintre au service du Roi, et brutalement frappé de surdité à l’âge de 47 ans, [3] Goya, résistance oblige, est un familier du secret.

Traité initialement comme un habile artisan, il passera les dix-sept premières années de sa carrière à concevoir des cartons à thème bucolique aseptisé pour des tapisseries destinées à égayer les salles à manger des palais de la royauté ; sans oublier les fresques bondieusardes à la mode vénitienne, si prisées, où il était passé maître. Pendant ce temps-là, il s’enrichit et prend plaisir à observer la cour, côté coulisses.

Mais son idéal bouillonne en lui et il remplit jour après jour des cahiers de dessins qu’il réserve à « l’invention », couchant sur le papier le développement de ses idées. Ces carnets seront une fontaine inépuisable de blagues, caricatures, tableaux, ainsi que de nombreuses gravures rarement publiées de son vivant. [4]

Figure 2. Personne ne se connaît, eau-forte, Los Caprichos N°6.

Ils seront notamment la base d’une satire sociale et philosophique, les Caprichos, une série de quatre-vingts eaux-fortes inspirées par l’art de la caricature, alors en plein essor en Angleterre (Gilmore, Hogarth, etc.) et des Scherzi de Tiepolo, fresquiste rococo actif en Espagne.

Par exemple, sous le dessin préparant la sixième gravure de sa série, il note : « Le monde est une mascarade : visage, costume et voix, tout est faux. Tous veulent paraître ce qu’ils ne sont pas, tous trompent et personne ne se connaît. »

Goya s’invite au bal masqué de son époque, mais ne sera jamais dupe des faux-nez dont il deviendra le poil à gratter. Son oeuvre n’est pas sans rappeler le Don Giovanni de Mozart.

On y dévoile toute la bouffonnerie des petimetres (du français petits-maîtres, ces bellâtres imitant la mode bien vénitienne de la cour de Versailles), et comment, derrière cette vaste Commedia del Arte des belles manières si galantes, se cachent les intrigues brutales réglées à coups de stylets ou d’empoisonnements, si familiers à la noblesse, sans oublier l’esprit de ceux qui, peut-être pire encore, essaient de leur ressembler !

Pour sortir de ce vaste Carnaval de Venise, Goya appelle de ses voeux une société qui jette bas les masques, afin que la vérité, souvent symbolisée par une belle femme, puisse se lever et éclairer le monde de la lumière de sa raison afin d’écrire une histoire différente pour l’humanité.

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Figure 3 : Allégorie de la Constitution de 1812. Au centre, une jeune femme tenant un livre (la constitution de 1812) et un petit sceptre. Pendant qu’un vieillard ailé, allégorie du temps, la protège des ténèbres, la vérité (toute nue) écrit l’histoire.

Le 6 février 1799 est un de ces moments-là. C’est le jour de la mise en vente de pas moins de trois cents séries (je dis bien 300 x 80 = 24 000 tirages…) des « Caprichos, langage universel, dessiné et gravé par Francisco de Goya », dans la boutique du parfumeur, située en bas de son immeuble, car nul libraire n’avait osé s’y risquer.

Le même jour, Goya passe une annonce dans le quotidien local Diario de Madrid informant le public de cette vente :

L’auteur nourrit la conviction que c’est aussi propre à la peinture de critiquer l’erreur humaine et le vice, qu’il l’est pour la poésie et la prose, bien qu’on attribue le plus souvent le rôle de la critique à la littérature. Il (l’auteur) a sélectionné parmi les innombrables bêtises et folies qu’on retrouve dans toute société civilisée – ainsi que parmi les préjugés habituels et les pratiques trompeuses que la coutume, l’ignorance ou l’intérêt égoïste ont fait accepter comme habituelles, ces sujets-là qu’il sent comme le matériau le plus propice à la satire, et qui, de même, stimulent le plus l’imagination de l’artiste.

« Puisque la plupart des sujets sont imaginés, ce n’est pas irraisonnable d’espérer que les connaisseurs ne s’arrêteront pas aux défauts. (…) Le public n’est pas si ignorant du domaine des beaux arts que l’auteur soit obligé de spécifier que sa satire de défauts personnels ne vise aucune personne particulière dans aucune de ses compositions. Pareille satire spécifique imposerait des limites indues aux talents de l’artiste, et confond la façon dont la perfection doit être atteinte par l’imitation de la nature. La peinture (comme la poésie) choisit parmi les universaux ce qui lui est le plus approprié. Ainsi elle réunit dans un seul être imaginaire des circonstances et des caractéristiques que la nature fait apparaître dans une multiplicité de personnes différentes.

Si vous et moi éprouvons quelques difficultés à en saisir toutes les finesses, ce n’était point le cas à l’époque. L’impact retentissant des vingt-sept séries vendues fut immédiat, et suite aux menaces de « la sainte » Inquisition, [5] Goya se voit obligé de retirer celles qui restent de la vente, après une dizaine de jours à peine.

Mais son amour pour la beauté de la vérité, même si elle dérange et donne parfois la nausée, sera le coeur d’une longue vie (82 ans) exceptionnellement productive : plus de sept cents peintures, deux cycles de fresques énormes, neuf cents dessins et presque trois cents gravures.

Arrivé à Bordeaux en 1824, âgé de 78 ans, il se lance dans la lithographie, technique assez nouvelle, et nous laisse le dessin d’un vieillard sur des béquilles avec comme légende : « A un apprendo » (J’apprends encore).

Le géant et les ânes

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Figure 5 : Goya, Los Caprichos, planche 42, Toi que no puedes [Toi qui ne peux mais]

Pour savourer mieux encore, et d’une façon plus immédiate, le génie politique et artistique de Goya et saisir son sens puissant d’identité d’humaniste historico-mondial, regardons Coloso, sans doute l’une des œuvres les plus représentatives de sa démarche, qui s’appelait à l’origine Le géant. [6]

Devant une énorme figure musclée qui se dresse dans un ciel encombré de nuages chargés de mille tonnerres, un vaste tohu-bohu capte notre regard. Des troupeaux de vaches se disloquent, des chevaux jettent leur cavalier à terre, des caravanes se précipitent dans n’importe quelle direction.

Perdus dans un paysage inquiétant, les enfants pleurent, les hommes et les femmes fuient. La panique règne.

De toute évidence, ce forgeron de l’enfer levant son bras comme un boxeur ivre et aveugle, n’incarne nul autre que Napoléon Bonaparte, cet « homme-bête » mis en selle par les grandes puissances financières pour donner le coup d’arrêt fatal à ce vent d’enthousiasme républicain qui souffle sur le monde, et mandaté pour noyer le continent européen sous des fleuves de sang de guerres sans fin.

Si Goya visionnaire, comme Jean Jaurès avant 1914, désigne ce mal qui va frapper, il ne ressent pour autant aucune complaisance pour ceux qui s’y soumettent – qu’ils soient grands ou petits. Ainsi, légèrement à gauche en bas du tableau figure un âne, tranquillement satisfait de sa propre existence, feignant d’être en dehors du tourment de l’histoire.

Bien que les humanistes de la Renaissance jusqu’au flamand Bruegel aient traditionnellement représenté l’aristotélisme par un âne, le fait que le roi d’Espagne Carlos III ait publiquement traité d’« âne » son propre fils, le prince des Asturies et futur roi Carlos IV, donne ici un charme particulièrement politique à cette image.

Mais au-delà de l’anecdote, l’animal exprime ici l’ensemble des vices que Goya et ses amis ilustrados entendaient combattre, « les préjugés habituels et les pratiques trompeuses que la coutume, l’ignorance ou l’intérêt égoïste ont fait accepter comme habituelles ».

L’ânerie, blocage émotionnel si caricatural de la fixité animale, peuplera joyeusement les Caprichos, où l’on voit de vrais ânes : des hommes consentant à porter des ânes

Ce sont les Leporello, ces valets sans lesquels les Don Giovanni de l’oligarchie ne peuvent imposer leurs caprices bestiaux. Pas de négriers sans esclaves !

Le siècle américain

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Pierre Augustin Caron de Beaumarchais (1732 – 1799).

Ainsi, le siècle de Goya est un siècle où des élites éclairées, avec les « sociétés d’amis » de Benjamin Franklin (1706-1790) comme épicentre, « conspirent » pour amener les peuples à briser le joug d’un féodalisme suranné et moribond.

Si la victoire anglaise dans la guerre de Sept ans (1756-1763) avait soumis le monde à l’hégémonie anglo-vénitienne de l’Empire britannique, il est certain que ce qu’on appelle « la revanche » du pacte familial entre Bourbons de France, d’Espagne et d’Italie donnera le coup de pouce décisif permettant d’ériger, de l’autre côté de l’Atlantique, le seul adversaire bientôt de taille à combattre l’Empire britannique : la République américaine.

Il faut savoir que, incités par les anciens du « Secret du Roi », [7] les services secrets privés de Louis XV, et en particulier par l’officier de liaison de Lafayette, le comte Charles-François de Broglie (1719-81), le roi de France Louis XVI (1754-1793) et son cousin germain espagnol Carlos III (1716-1788) verseront chacun un million de livres pour permettre à l’agent secret Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais (1732-1799) de fonder discrètement la fameuse compagnie Rodrigue, Hortalez et Cie, une société écran basée à Paris, chargée d’acheminer argent, crédit, armes, munitions, uniformes, ingénieurs et bon nombre de commandants militaires capables et expérimentés (et non des moindres puisqu’il s’agit de Von Steuben, Lafayette, Kalb, Bédaulx, Kosciusko, Pulaski, etc.) afin d’assurer la victoire ultime des « insurgents » américains. [8]

Fruit de cette concertation quasi quotidienne à Paris, plusieurs années durant, entre le vieux sage Franklin et l’insolent agent Beaumarchais, la victoire américaine fera apparaître la France aux yeux du monde comme un levier important d’un combat républicain mondial.

C’est de cette France-là que Goya, comme d’autres patriotes espagnols, va tomber amoureux.

Et c’est contre cette France-là aussi, et contre ses co-penseurs espagnols, qu’après le sabotage du processus révolutionnaire en France, le Congrès de Vienne imposera en 1815, sur les ruines et cendres des guerres napoléoniennes, le retour des monarchies absolutistes : la restauration de Louis XVIII en France et celle, despotique sur le modèle perse, de Ferdinand VII d’Espagne.

Figure 7 : Joseph de Maistre.

Goya, comme nous allons le voir, faisait partie, et en était en quelque sorte le porte-parole, l’ambassadeur culturel, des ilustrados d’Espagne.

Ce n’est donc pas étonnant qu’il se trouve dans la ligne de mire du Comte Joseph de Maistre (1753-1821), l’un des fondateurs conceptuels du projet synarchiste moderne, projet contre-révolutionnaire visant à éradiquer le républicanisme de la planète.

De Maistre, apologiste de « l’homme-bête », qu’il décrit quand il parle du bourreau, défenseur des sacrifices humains et admirateur de l’Inquisition espagnole, dénonça violemment les Caprichos de Goya, disant avoir eu en mains un livre de caricatures à l’anglaise, comportant quatre-vingts planches et publié à Madrid où l’« on ridiculise la reine de la manière la plus grossière possible, une allégorie tellement transparente que même un enfant pourrait la voir ». [9]

Selon ses amis, Goya comparaissait la peinture à la tauromachie. Un magnifique autoportrait le montre d’ailleurs avec sa palette et ses pinceaux devant un chevalet, habillé d’une veste de toréador et coiffé d’un chapeau que l’on peut appareiller de bougies, une invention de Léonard de Vinci dont s’est servi Michel-Ange pour travailler la nuit.

Mais le taureau du « toréador Goya » n’est pas un animal physique, il est mental. C’est le concept de l’homme-bête synarchiste qu’il va affronter dans l’arène !

Figure 8 : Goya, autoportrait, 1794-95.

Goya et les ilustrados

Goya naît en 1746 d’un artisan doreur établi près de Saragosse, capitale de l’Aragon. Bien que Carlos fût depuis 1734 roi des deux Siciles (Naples et la Sicile), il deviendra Carlos III d’Espagne en 1759. Retrouvant son pays dans un état d’arriération lamentable, et donc sans voix sur la scène internationale, Carlos III, fervent catholique mais homme de progrès, décide de refaire de l’Espagne un pays puissant. Pour cela, il écoutera ses conseillers colbertistes, d’abord italiens et français, puis espagnols.

Le personnage central qui nous intéresse ici est Campomanes, figure emblématique du courant d’économie physique espagnole et instigateur des fameuses « Soirées de Campomanes » à Madrid, rendez-vous obligé des humanistes où se retrouvaient régulièrement bon nombre d’ »ilustrados », y compris Goya, à partir de 1780 [10] pour entretenir un dialogue permanent.

Parmi eux, l’on rencontre :

Pedro Rodriguez de Campomanes (1723-1803)

Figure 9 : Raphaël Mengs, Portrait de Campomanes.

Économiste, littérateur et helléniste précoce, versé dans le droit et maîtrisant le grec, le latin et l’arabe.

Tout jeune, il enseigne gratuitement les lettres aux pauvres et est reçu avocat à l’âge de dix-neuf ans.

Il est admis à l’académie d’histoire et s’occupe de la modernisation du système postal. Charles III, qui sentait que l’Espagne avait besoin d’un réformateur, avait été frappé par son savoir, son éloquence et ses talents d’administrateur.

Il l’élève en 1763 aux fonctions de « fiscal du conseil de Castille », poste qu’il occupera pendant plus de vingt ans.

Comme le dit un biographe :

« Campomanes s’attaqua immédiatement aux abus qui ruinaient le pays. Par d’habiles mesures, il réduisit le nombre des moines, prohiba l’admission dans les ordres avant l’âge de vingt ans, défendit les quêtes, interdit les emplois d’administration et de justice aux moines, fit supprimer un grand nombre de couvents qui n’avaient pas de revenus suffisants et dont les religieux ne pouvaient vivre que de mendicité, fit augmenter le traitement insuffisant de beaucoup de curés, en même temps qu’il fit exiger d’eux plus d’instruction et de moralité. »

Sur le modèle de la Real Sociedad Bacongada de los Amigos del Pais (Société royale basque des amis du pays), Campomanes fonde une association similaire à Madrid en 1775 et dans de nombreuses régions d’Espagne.

Il trace des programmes d’études pour les universités, accordant une large part aux sciences et aux langues, jusqu’alors complètement négligées. Il fait distribuer aux bibliothèques du royaume les livres des Jésuites, ordre banni d’Espagne par Carlos III en 1767. Benjamin Franklin le fait entrer à la Société philosophique de Philadelphie en 1787.

Il est à l’écoute des agriculteurs, industriels et artisans et leur ouvre l’accès à des postes gouvernementaux jusqu’alors réservés à la noblesse. Il déclare un jour, non sans humour, que l’aiguille à coudre est « plus importante que tous les syllogismes d’Aristote » !

Gaspar Melchior de Jovellanos (1744-1811)

Figure 10 : Goya, portrait de Jovellanos, 1797-98. Cet ami de Goya deviendra l’âme de la résistance

Inspiré par Campomanes et ami de Goya, ce poète, économiste et homme d’Etat, sera la grande figure des ilustrados.

Comme Benjamin Franklin à Versailles, l’avocat Jovellanos fera scandale en plaidant sans perruque, trait révélateur de l’époque.

Contre l’Inquisition et les Jésuites, il plaide pour que les études supérieures soient dispensées en langue espagnole et que la justice abandonne la torture. Faussement accusé d’être voltairien, il affirmait que son « frère » spirituel était Thomas à Kempis, l’un des fondateurs des Frères de la Vie commune, ordre enseignant qui forma Nicolas de Cues et Erasme de Rotterdam.

Suite aux pressions de l’Inquisition, Jovellanos sera exilé en 1801, envoyé pourrir dans un cachot à Majorque, privé de liberté, de papier et d’encre.

Relâché en 1808 lors de l’invasion française, il deviendra l’âme de la Junte Centrale de la résistance des patriotes espagnols contre Napoléon.

 

Jose Monino, Comte de Floridablanca (1728-1808).

Jose Monino, Comte de Floridablanca (1728-1808).

Juriste d’origine modeste, il sera le principal ministre de Carlos III. Il aida financièrement les révolutionnaires américains. Surtout engagé dans la bataille pour remettre en état, par une politique de grands travaux, les infrastructures si avancées sous les califats arabes en Andalousie, il travaille avec Ramon de Pignatelli (1734-1793), le chanoine de la cathédrale de Saragosse qui avait aidé le jeune Goya à parfaire ses études.

Cofondateur de la Société économique aragonaise des amis du pays, Pignatelli, un peu comme Franklin Roosevelt au XXème siècle avec son « New Deal » et les grands travaux d’aménagement des cours d’eau, crée un couloir de développement économique en Aragon par la construction d’un énorme canal reliant l’Atlantique à la Méditerranée, favorisant le transport fluvial et l’irrigation.

Francisco (François) de Cabarrus (1752-1810)

François Cabarrus, organisateur du crédit public.

Politique, économiste et financier d’origine française, né à Bayonne.

Il créa, en 1783, avec l’appui de Floridablanca, la Banco de San Carlos, véritable institution de crédit d’Etat, projet qui servira de référence à Alexander Hamilton sept ans plus tard aux Etats-Unis.

Son capital provenait essentiellement d’Espagne, mais aussi de France et de Hollande. [11] Goya, qui en était actionnaire, a fait le portrait de la plupart de ses directeurs. [12]

Le secrétaire de Cabarrus sera Leandro Fernandez de Moratin (1760-1828), le poète, dramaturge et ami intime de Goya qui le suivra en exil en France.

D’autres proches de Goya, comme son ami d’enfance, l’avocat Martin Zapater, ou l’une de ses protectrices, la duchesse d’Osuna, seront en charge des Sociétés économiques des amis du pays. [13]

Même si les fortes individualités de cette mouvance réagiront d’une façon disparate pendant la crise terrible qui va secouer le pays suite à la chute des Bourbons en France, on constate qu’à l’époque de Carlos III, une entente quasi-totale existe sur le diagnostic économique et les remèdes à y apporter.

En voici quelques points forts [14] :

  1. Sur le plan économique et social, l’Espagne a « perdu deux siècles », conséquence dramatique de l’expulsion des Juifs (marchands) et des Maures (artisans) par l’Inquisition de Torquemada, sous Isabelle la Catholique. A l’époque de Goya, à part des agriculteurs appauvris, une grande partie de la population (clergé, armée, noblesse, hidalgo, etc.) occupe ses jours à des activités non productives. L’Espagne compte 200 000 moines, nonnes et prêtres (le double de l’Italie et le triple de la France) et 500 000 nobles, soit plus que la France dont la population est pourtant le double. Selon les critères sociaux du pays, pour la noblesse et les hidalgo (noblesse appauvri dont Don Quichotte est une caricature), travailler équivaut à renoncer à son titre de noblesse. Mais puisque le pays manque cruellement de classes moyennes indépendantes, d’entrepreneurs, d’artisans et de commerçants, le temps était venu de revaloriser le travail productif en mettant tout le monde au travail. Guerre à l’oisiveté !
  2. L’approche de Campomanes combine volontarisme d’Etat de Colbert (protectionnisme, infrastructures, manufactures), mobilisation scientifique de Leibniz (académies des sciences), réformes agraires de Thomas More (redistribution des terres, cultures céréalières plutôt qu’élevage du mouton) et optimisme philosophique d’Erasme (favorisant éducation, justice équitable, libertés personnelles et abolition du pouvoir de l’Inquisition).
  3. Dès 1771, après une longue enquête, Campomanes et Floridablanca proposent, au nom de « l’intérêt général », la redistribution des terres non cultivées appartenant à la noblesse et aux ordres religieux. Des catholiques allemands et français (Carlos III ne s’entretenait malheureusement qu’avec des catholiques) sont invités à s’installer en Espagne pour repeupler des régions entières. Les impôts qui écrasent injustement les classes populaires sont progressivement transférés sur l’aristocratie et le clergé, jusqu’alors à l’abri de toute imposition.
    Comme en France, ces réformes agraires et l’égalité devant l’impôt étaient des questions fondamentales à résoudre pour faire avancer la société.
  4. En conséquence, tous les Espagnols sont incités à s’éduquer et mener une vie productive, ciment de la cohésion sociale de la nation. Pour « recycler » la noblesse et la sortir de son oisiveté, Campomanes leur propose de s’investir activement et matériellement dans la création de laboratoires de recherche scientifique, ouverts à tous par la suite. Il crée des emplois pour les militaires, les vagabonds et les prisonniers. On favorise les manufactures spécifiquement créatrices d’emplois pour les femmes. Quant à l’Inquisition, chargée de lutter contre l’hérésie, elle est sommée de porter ses efforts sur l’éducation plutôt que sur la répression. Il est inutile de préciser que des réformes d’une telle ampleur suscitent des oppositions « structurelles ». En particulier de la part des nobles et du clergé, véritable ancien régime dont les privilèges sont directement mis en cause par cette nouvelle politique. Le noyau dur de cette résistance à tout progrès sera l’Inquisition espagnole et elle deviendra donc légitimement une cible de choix pour l’humanisme chrétien de Goya et de ses amis.

L’Inquisition espagnole

Inquisition espagnole.

Initiée par Innocent III en 1213 et créée par Grégoire IX en 1231 afin de lutter contre l’hérésie cathare et vaudoise, et la sorcellerie en général, c’est le moine dominicain Thomas de Torquemada (1420-1498), confesseur de la reine, qui convaincra Isabelle et Ferdinand de ressusciter l’Inquisition primitive en Espagne en 1478. Torquemada sera le grand inquisiteur aux pouvoirs sans limites, exécuteur des « hérétiques », s’intéressant particulièrement à la bigamie, à la sodomie, aux sorciers et autres adorateurs du démon, avorteurs et blasphémateurs. Mais son principal gibier sera les athées, les juifs convertis (conversos ou marranos, ce dernier mot signifiant cochons) et les maures (moriscos). A son actif personnel, près de 100 000 procès, 8800 exécutions par le feu, 90 000 condamnés à des diverses pénitences et un million de personnes chassées du pays.

Après Torquemada, l’Inquisition espagnole procèdera, de 1481 à 1808, à 35 000 exécutions par le feu. La cupidité insatiable du clergé espagnol, dominé par les ordres mendiants, conduit à l’arrestation des Juifs et à la confiscation de leurs biens, récompensant les délateurs, comme lors de la lutte contre l’hérésie cathare. La lutte contre l’hérésie et la sorcellerie devient alors le business le plus rentable du monde.
Le 31 mars 1492, tous les Juifs sont expulsés du royaume d’Espagne. L’inquisition s’en prend également aux Maures convertis, puis aux « alumbrados », label qui s’étend à tout individu minimisant l’importance des rites catholiques, considéré comme « illuminé », et par la suite aux « luteranos » ou autres sympathisants de la Réforme protestante ou érasmienne.

Vers 1480, les Espagnols symbolisent au plus haut point l’unité entre Etat et religion en consacrant le culte de la « limpieza de sangre » (pureté du sang, un peu comme les nazis à une autre époque). [15]

Ainsi, l’Inquisition, devenue simultanément procureur, juge et jury, statuera sur ces deux questions : la pureté du sang et la fidélité à l’église. Bien que créée par le pape, quoiqu’en réalité gérée par ses collecteurs de fonds, telle la maison bancaire des Fugger d’Augsbourg, ses véritables patrons en Espagne forment « la Suprema » (le conseil royal), nommée, comme les dignitaires de l’Inquisition, par le Roi en personne. Néanmoins, l’Inquisition fonctionnera comme un véritable gouvernement secret mondial, une synarchie, faisant et défaisant rois et gouvernements selon ses désirs.

Bien que la torture fût déconseillée pour donner la mort, elle était considérée comme une pratique inévitable pour obtenir preuves et confessions. En dehors de toute une série d’humiliations publiques, les trois méthodes de torture les plus courantes sont le garrucha (la strangulation par garot), la toca (un morceau de tissu introduit dans la bouche et lentement imprégné d’eau simulant une noyade) et la potro (un cordage qui se tend autour du corps). A l’époque de Goya, la plupart des exécutions se faisait par le garrot (strangulation), qu’on croyait à tort moins douloureux que le bûcher, et il nous a laissé de nombreux dessins et tableaux dépeignant les sinistres agissements de « la Sainte », organisatrice de sacrifices rituels à grand spectacle visant à tenir une population par la terreur et la mort, tandis qu’en douce, on entretenait la débauche et la superstition. Les délations systématiques et rémunérées plongeront l’Espagne dans un climat permanent de suspicion, ruineront l’esprit de la recherche scientifique et susciteront une méfiance vis-à-vis du progrès.

Le Don Carlos de Schiller en 1787, année où les Etats-Unis adoptent leur constitution et où Goya apprend le français, est un message fort pour l’Espagne : pas d’avenir si l’Inquisition reste en place. Quand Carlos IV succède à son père en 1788, la cocotte-minute franco-espagnole est au bord de l’explosion.

Le choc de 1789

La famille de Carlos IV.

Carlos IV, l’âne au centre de la tourmente, préfère la chasse et abandonne les affaires du pays à sa femme, Marie-Louise de Bourbon Parme (1765-1819). Femme frivole, elle méprise son fils détestable, le futur Ferdinand VII (1784-1833), et laisse le gouvernement à son jeune garde de corps Emmanuel de Godoy (1767-1851). Godoy, contre qui le confesseur de Ferdinand montera une vaste campagne de calomnies, a certes des faiblesses toutes clintoniennes, ce qui fera sa faiblesse au moment crucial, mais il n’est point dépourvu d’intelligence. D’abord, il prend très au sérieux le rôle des Sociétés des amis du pays de Campomanes pour encourager l’industrialisation de l’Espagne et constate le besoin criant d’améliorer l’éducation de l’ensemble de la population.

Il adoptera comme sien le modèle avancé du pédagogue suisse Johann Pestalozzi (1746-1827) [16] : « Pour la grande masse de la population, afin qu’elle puisse émerger de son abjection et son ignorance », dit-il, « il ne suffit pas qu’ils sachent lire, écrire, compter, calculer et dessiner-il faut qu’ils sachent comment penser. »

Il commande à Goya, qu’il admire, quatre tondo représentant des allégories des valeurs économiques stipulées par Campomanes et Jovellanos : Commerce, Agriculture, Science et Industrie.

Bien qu’elle prétende apprécier beaucoup Goya, Marie-Louise se laisse manipuler et devient le jouet de l’Inquisition qui la poussera à détester Floridablanca, Cabarrus et Jovellanos.

En 1789, paniquée par les événements qui se déroulent en France, où Louis XVI, après la prise de la Bastille, envisage de se réfugier chez son cousin germain en Espagne, la reine veut arrêter « les idées ». L’Inquisition redouble son offensive et Floridablanca, voulant défendre la monarchie à tout prix, instaure une censure féroce. Pas un mot dans la presse espagnole sur les événements qui secouent la France. Rien ne s’est passé. Si l’on n’en parle pas, cela pourrait disparaître tout seul. Peine perdue ! Faute de pouvoir arrêter les idées, on arrête ceux qui en sont porteurs… Ce doit être ces maudits ilustrados !

Le 25 juin 1790, sans que l’on en sache la raison, François Cabarrus, un des pères conceptuels de la Banca San Carlos est arrêté et mis au secret. Campomanes refuse de le défendre. Jovellanos est sommé de quitter Madrid pour aller « étudier l’extraction du charbon aux Asturies » et Goya, sans l’avoir sollicité, reçoit une licence afin d’aller « respirer les airs maritimes à Valence ».

Volte-face en 1792. Après l’arrestation de Louis XVI, une guerre entre la France et l’Espagne semble désormais inévitable. L’accélération de l’histoire prend les humanistes en tenailles. Le sort de la France et celui de l’Espagne sont tellement liés qu’ils sont indissociables. Soit on vit avec la Révolution, soit on disparaît avec elle. Godoy met à profit ses relations avec les ilustrados, souvent accusés à tort d’être de simples agents à la solde de l’étranger, pour tenter d’éviter le pire. Cabarrus est envoyé en France pour tenter de faire basculer le procès de Louis XVI, peut-être avec pour mission secrète d’exfiltrer le roi français.

Le 21 janvier 1793, Louis XVI est décapité. Carlos IV déclare la guerre à la France et la France déclare la guerre à l’Espagne. Goya est peut-être empoisonné, mais surtout mal soigné, et se rend chez des amis à Cadix. Le gendre de Cabarrus, Tallien, est l’un des organisateurs de la réaction thermidorienne qui conduira Robespierre à l’échafaud. Godoy arrange une paix avec la France. Les Bourbons d’Espagne s’accrochent et nomment Jovellanos et Saveedra comme ministres mais, trop contestés par la noblesse et le clergé, ils sont démis de leurs fonctions. Pour Goya, ce revirement équivaut à une trahison et dès lors, il contre-attaque en arrachant les masques.

Les Caprichos, langage universel

Nous en savons maintenant assez sur la situation politique pour aborder Goya au moment où il tire sur le quartier général.

Los Caprichios, Langage universel, sera conçu de la même façon que les Colloques d’Erasme. Derrière de « petites histoires » se cachent des piques délicieuses et bien envoyées contre des figures politiques inattaquables. [17]

Figure 11.

Planche 4 (Fig. 11) : Le vieil enfant gâté est sans doute une allusion à la reine, connue pour son combat incessant contre sa prothèse dentaire inadaptée… Un laboureur tire une charge vers la droite, tandis qu’un enfant, les mains dans la bouche, se met de travers.

Planche 5 (Fig. 12) : Qui se ressemble s’assemble (Mariage d’intérêt. Godoy et la reine ?). Intervient une réflexion philosophique : Planche 8 (Fig. 13) : Et ils l’ont enlevée (un voleur et un fantôme enlèvent une jeune femme, symbole de l’espoir). Pour comprendre comment le pouvoir des idées intervient soudainement pour troubler cette satire sociale et politique, il est indispensable de pouvoir comparer les légendes qui figurent sur les dessins, donc de la main de Goya, avec celles, différentes, qui figurent sur les plaques des gravures, adoucies et volontairement rendues énigmatiques dans un acte d’autocensure probablement suggéré par des amis (Jovellanos, Moratin), soucieux d’éviter de graves ennuis à Goya, ce dernier jouant avec des allumettes sur le bûcher.

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Figure 14 et 15.

Par exemple, pour la planche 13 (Fig. 14), qui montre des moines en train de manger avec des cuillères, le titre de la planche gravée dit : Ils s’échauffent. Sur le dessin original, le texte est beaucoup plus explicite : Songes de certains hommes qui nous dévoraient (déjà le thème de Saturne dévorant ses enfants, présent dans un dessin préparatoire des Caprichos). Ces moines, on les retrouve en train de faire ripaille dans une cave : Personne ne nous voit (planche 79, Fig. 15) et sur la dernière planche 80 (Fig. 16), en pleine hystérie avec la légende : C’est l’heure.

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Figure 16 et 17.

La fameuse gravure Le sommeil de la raison engendre des monstres (planche 43, Fig. 17) , prévue initialement comme frontispice, se retrouve presque au milieu, ouvrant le thème de la superstition, puisque la raison qui s’endort lui laisse la place. Elle aurait donné tout son sens à celle qui clôt la série, puisque c’est l’heure pour la Raison de se réveiller !

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Figure 18 et 19.

Un des monstres qui revient souvent est le hibou. Dans la culture populaire espagnole du temps de Goya, comme dans les Flandres de Jérôme Bosch, cet oiseau de nuit est le symbole du péché. Aussi, pour chasser, on l’attachait à un arbre avec une ficelle. Son chant attirant d’autres oiseaux, ceux-ci se prennent dans les filets ou dans la glu étalée par le chasseur sur les branches de l’arbre.

Planche 19 (Fig.18), Ils tomberont tous montre ce stratagème avec des femmes/oiseaux comme appât, occupées, au premier plan, à castrer des hommes/oiseaux.

Figure 20 : Goya, Le temps et les vieilles, 1808-1812
Cette fois-ci, notre vieillard, figure allégorique qui représente le temps, est au point de balayer les oligarques.

Figure 21.

Avec la planche 55 (Fig.19) on retourne au palais royal : Jusqu’à la mort figure Marie-Louise, flasque et flétrie, se dorlotant devant un miroir (thème repris plus tard dans le tableau Le temps et les vieilles)

La planche la plus explicite est certainement celle qui suit juste après, planche 56, Monter et descendre. (Fig. 21)

A part la référence aux performances sexuelles de Godoy, implicite dans ce titre, on y voit un satyre (force bestiale) qui soulève Godoy, représenté avec de la fumée qui lui sort de la tête, et dans sa montée deux figures sont renversées, Jovellanos et Saveedra, les deux ilustrados qu’il a chassés du gouvernement sous pression de l’Inquisition.

Le thème des mariages arrangés, d’intérêt ou d’argent, qu’on trouve dans le poème satirique A Ernesto de Jovellanos (« Sans invoquer une raison ou peser dans leurs coeurs les mérites du marié, elles disent oui et donnent leur main au premier venu »), ouvre les Caprichos de Goya (planche 2, Fig. 22) et sera traité en prose par Moratin en 1806 dans son chef-d’œuvre, le Side las niñas, interdit par l’Inquisition.

Sans épargner les hommes, Goya dénonce la « coutume » des femmes légères, souvent encouragées en cela par leur mère-maquerelle (la fameuse Célestina, thème devenu très populaire depuis 1499 à travers l’œuvre de Fernando de Rojas. Mais le tableau des Majas au balcon montre clairement des hommes qui se tiennent dans l’ombre.

L’Inquisition et la police royale s’étaient visiblement investies dans la prostitution organisée, instrument malheureusement toujours de mise pour récolter des renseignements.

Les ilustrados pour une culture populaire républicaine

Léandro Fernandez de Moratin.

Goya et son ami Léandro Fernandez de Moratin (secrétaire de Cabarrus, directeur de la Banque San Carlos) écartaient toute idée d’enfermement dans une culture d’élite ou de salon, comme le faisaient même les meilleurs des nobles.

Par le théâtre en particulier, Moratin tentera de relever ce grand défi et de changer l’environnement culturel populaire.

Une nécessité humaine mais aussi politique, car, en effet, combien de coups et d’intrigues de palais ne se réglaient-ils pas, en fin de compte, dans la rue par la manipulation de la populacho (populace), en Espagne comme ailleurs ?

Une population désinhibée de la violence par la tauromachie et les exécutions publiques d’hérétiques, crétinisée de surcroît par un théâtre qui ne cherchait qu’à flatter les instincts les plus médiocres, digne du Loft ou de la Starac, était une menace pour l’esprit républicain de gouvernement par le peuple et pour le peuple.

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Figure 22 : Caprichos, planche 2, Elles disent oui et donnent leur main au premier venu. Figure 23 : Goya, Majas au balcon, 1810-12 ; la police royale déploie ses charmes.

Moratin exprima ses convictions dans une lettre à Godoy, en 1792, où il dénonçait les productions de Ramon de la Cruz (1731-94), le plus populaire des dramaturges de l’époque dont le théâtre se contentait de refléter

« la vie et les coutumes de la populace la plus misérable : des tenanciers de tavernes, des vendeurs de noisettes, des pickpockets, des chiffonniers, des imbéciles, de la canaille, des délinquants, et surtout, les comportements dégoûtants des taudis de Madrid : voilà le caractère de ces pièces. Le cigare, les maisons de jeux, le poignard, l’ivrognerie, la dissipation, l’abandon, tous les vices de ces personnes réunies sont dépeints avec des couleurs attractives… Si le théâtre est l’école du comportement, comment peut-on infléchir le vice, l’erreur et l’absurdité si les mêmes personnes supposées les amender ne font que les propager ? »

En plus, arguait Moratin, ses quelque 450 sainetes (sketch d’environ 25 minutes en argot populaire) commençaient « à corrompre les échelons les plus élevés de la société ». De la Cruz répliqua humblement qu’il ne faisait que représenter la vraie vie telle qu’on pouvait la vivre à Madrid…

Moratin avait passé l’année 1787 à Paris où il entra en relations suivies avec le dramaturge vénitien Carlo Goldoni (1707-93), réformateur du théâtre italien réfugié en France comme professeur d’italien à la cour de Louis XV.

En 1786, Moratin avait écrit sa première comédie, El Viejo y la Niña, et l’année précédente, il avait fait paraître, sous le voile de l’anonymat, la Derrota de los pedantes, pamphlet en prose, dirigé contre les mauvais poètes et auteurs dramatiques qui inondaient alors l’Espagne de leurs productions ridicules. pour ridiculiser cette contreculture, Moratin, moqueur, fonda avec ses amis une société burlesque des « acalophiles » (« amateurs de laideur » du grec a-kalos), dont Goya aurait pu être membre.

L’homme-bête et les pinturas negras

Il serait trop fastidieux de commenter ici l’ensemble de l’oeuvre de Goya en interaction avec son époque révolutionnaire. Après avoir tracé quelques pistes, je m’en tiendrais donc à souligner son apport spécifique. Cette contribution, nous l’avons dit, est une compréhension aiguë du phénomène de l’homme-bête, destinée à provoquer une prise de conscience universelle de ce phénomène pour tenter de l’arrêter.

Reste à savoir ce qui peut pousser les hommes, les Néron, les Torquemada, les Napoléon ou les Hitler, à commettre des crimes aussi maléfiques, que l’on peut qualifier de satanistes dans le sens où ils privent l’humanité et les hommes de leur dignité.

Goya pointe aussi du doigt l’égoïsme d’un ancien régime, d’une génération tellement préoccupée d’elle-même qu’elle dévorerait sa propre progéniture plutôt que de se voir privée de son plaisir, de son confort et de ses privilèges.

C’est « l’idée lourde » qui émerge vers la fin, dans la série de gravures les Désastres de la guerre, élaborée pendant l’occupation française de l’Espagne.

Pour la France, cette guerre sera ce qu’est l’Irak pour les Etats-Unis aujourd’hui. Estimée devoir durer six jours, elle durera six ans, car chaque cadavre y deviendra barricade. Immortalisé par le « dos » et « très de Mayos », elle verra la naissance de la guérilla (petite guerre). Plus besoin désormais d’Inquisition (d’ailleurs abolie par Joseph Bonaparte) ! Délation, torture, strangulation, déchiquetage des corps : le peuple lui-même bestialisé par une guerre injuste et absurde s’en charge !

Son horreur nous rappelle cette déclaration de Sherman, un grand général d’Abraham Lincoln, devant l’académie militaire du Michigan en 1879 : « Je suis fatigué et malade de la guerre. Sa gloire n’est que de la frime (moonshine). Seuls ceux qui n’ont jamais tiré une balle ni entendu les gémissements des blessés peuvent appeler à plus de sang, plus de vengeance, plus de désolation. La guerre, c’est l’enfer. »

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Figure 24 et 25.

Après avoir dépeint d’innombrables actes insoutenables commis par des Français contre des Espagnols, mais aussi par des Espagnols contre leurs concitoyens, par des hommes contre des femmes, des humains contre d’autres humains, tous se conduisant de façon inhumaine, il esquisse un début de réponse à la question « pourquoi ? », avec la planche 71 (Fig.24), Contre le bien général qui représente un grand inquisiteur avec des oreilles de chauve-souris !

Figure 26 : Goya, Saturne dévorant ses enfants, 1820-23
Les romantiques sont souvent incapables d’expliquer ce tableau. Goya nous montre ici Saturne, dont le nom grec est Chronos (le temps), métaphore choquante d’une génération, semblable aux pires représentants du baby-boom actuel, qui préféreraient manger leur propre progéniture, plutôt que de renoncer leurs privilèges.

Quel rapport avec la guerre ? Ensuite vient la planche 72 (Fig.25) Les résultats, où une chauve-souris hibou géante dévore le cadavre d’un homme qui ressemble à celui de la première planche.

L’« homme-bête » de la planche 71 devient entièrement bestial dans la 72.

Le thème revient dans la planche 81 avec Monstre cruel, où un ogre géant avale/vomit des cadavres humains.

Ces deux planches ont peut-être été retirées des Caprichos, car trop virulentes, mais elles feront certainement le pont avec cette série. La guerre, caprice ultime du sommeil de la raison. Que Goya soit hanté par ce sujet « monstrueux », qui englobe pourtant la préoccupation pour l’avenir de l’espèce humaine, n’est pas une maladie mentale, au contraire !

Quand il entre dans une colère noire suite à l’écrasement, en 1823, par les troupes françaises et sur ordre du Congrès de Vienne, de la dernière tentative de faire adopter la constitution de Cadix de 1812, Goya, furieux et conscient qu’il est condamné à l’exil, recouvrira de « peintures noires » les belles fresques joyeuses qu’il avait commencées dans la « Quinta del Sordo ». [18]

Comme quelque douze mille familles espagnoles, Goya prendra le chemin de l’exil. Son Saturne dévorant ses enfants (Saturne étant le nom romain de Chronos, le temps, en grec) exprime la logique oligarchique poussée à son extrême : puisqu’on refuse de créer un avenir pour les nouvelles générations, empêchons-les d’exister !

Qu’elles s’entretuent par la guerre ! Conscient de cette monstruosité, il disait dans une lettre à son ami Zapatar : « Oui, oui, oui, je n’ai aucune peur des sorcières, des lutins, des apparitions, des géants vantards, des fripons ou des coquins, ni en effet d’aucune sorte d’êtres, à part les êtres humains. » Voilà le monstre qui hante Goya et qu’il combat en lui-même et dans le monde. Ni comme un Don Quichotte, ni comme un Sancho Panza, mais comme un républicain éclairé par les sources de l’humanisme chrétien. A nous aujourd’hui de lui rendre hommage en mettant en cage les derniers hommes-bêtes de notre époque !


« Imiter la vie » par des formes,
pas par des lignes

A l’époque de Goya, le style rococo tardif était dépassé par la nouvelle mode néo-classique développée par le théoricien d’art Johann Joachim Winckelmann (1717-1768). Dans ses Réflexions sur l’imitation des oeuvres grecques en peinture et en sculpture (1755), Winckelmann formulait ainsi la tâche contradictoire de l’artiste : « Le seul moyen dont nous disposons pour arriver à la grandeur, même pour devenir inimitable, c’est par l’imitation des anciens », pour lequel il louait Raphaël, Michel-Ange et Poussin.

Le collaborateur de Winckelmann à Rome fut Anton Raphaël Mengs (1728-1779), considéré à l’époque comme un peintre hors pair et invité à ce titre à la cour de Carlos III à Madrid.


Figure 27 : Raphaël Mengs, portrait de Maria-Louisa de Parme, 1765.

En Espagne, ne pas l’apprécier était vu comme une attaque contre l’église et la royauté, et Mengs dirigeait d’une main de fer l’Académie royale madrilène où il imposait une formation académique rigide exclusivement basée sur le copiage de modèles en plâtre. Porte-parole des ennemis de ce style néo-classique froid (le fameux style Empire que Napoléon allait imposer à l’Europe tout entière), Goya disait que ces trois maîtres étaient « la nature, Vélasquez et Rembrandt ».

Pour Goya, la nature ne devait pas être copiée dans sa forme, mais comprise dans son intentionnalité – une intentionnalité qui se manifestait selon lui par « la magie d’ambiance ». Il n’y a donc pas de recette pour un vrai dialogue entre l’artiste et la nature. Tout le reste « n’est qu’oppression » de « styles fatigués ».

Goya disait que les académiciens encourageaient à tort l’abstraction chez leurs jeunes élèves, « des lignes, jamais des formes ». Et il commentait « Où est-ce qu’ils trouvent toutes ces lignes dans la nature ? Personnellement, je ne vois que des formes qui s’éclairent et d’autres qui ne le font pas, des plans qui avancent et des plans qui reculent, relief et profondeur. Mon oeil ne voit jamais les contours d’aspects particuliers ou de détails. Je ne compte pas les poils de la barbe de l’homme qui passe, pas plus que les trous pour les boutons de sa veste n’attirent mon attention. Mon pinceau ne devrait pas voir mieux que moi. »

Notes

1. Charles Baudelaire disait sans fard que « Le grand mérite de Goya consiste à créer le monstrueux vraisemblable » ; bien qu’il jugeait son œuvre « un cauchemar de choses inconnues, de foetus qu’on fait cuire au milieu des sabbats, de vieilles au miroir et d’enfants toutes nues » ; Théophile Gauthier : « Il y a surtout une planche tout à fait fantastique, qui est bien le plus épouvantable cauchemar que nous ayons jamais rêvé ; – elle est intitulée : Y aun no se van (Et ils ne s’en vont pas encore). C’est effroyable, et Dante lui-même n’arrive pas à cet effet de terreur suffocante ; représentez-vous une plaine nue et morne au-dessus de laquelle traîne péniblement un nuage difforme comme un crocodile éventré, puis une grande pierre, une dalle de tombeau qu’une figure souffreteuse et maigre s’efforce de soulever »

2. Paul Mantz, dictionnaire de 1859 : « Goya peignait comme dans le délire de la fièvre. Il affecte souvent pour la forme le dédain le plus parfait ; chez lui, c’est à la fois ignorance et parti pris. Et cependant ce maître bizarre, qui semble se complaire dans la laideur, avait un vif sentiment de la grâce féminine et des piquantes attitudes des belles filles de l’Espagne. Quoi qu’il en soit, Goya, si égaré, si fou, si incomplet dans sa peinture à l’huile, a laissé des caricatures d’un très haut prix. »

3. Goya, après être paralysé pendant six mis deviendra irrémédiablement sourd en 1793. Bien qu’ayant constatés des symptômes de troubles spatio-temporelles dès 1776, on ne peut exclure la thèse de l’empoisonnement, pratique très répandu à l’époque. A tel point d’ailleurs que le futur roi Ferdinand VII fut accusé d’avoir voulu empoisonner sa propre mère pour s’emparer du trône. C’est aussi un moment de l’histoire où d’autres sympathisants de la révolution américaine rencontrent des problèmes de santé pour le moins surprenants. La mort précoce de Mozart (1791) et la surdité de Beethoven (qui débute dès 1798) sont des cas d’école. N’excluons pas non plus la méningite ou une intoxication par le blanc de plomb, matériau très employé en peinture de chevalet. Un autre poison a tué bien des malades à cette époque : les mauvais médecins, que Goya moque comme des âne docteur dans la planche 40 des Caprichos « De quel mal mourra-t-il ? ».

4. Les Caprichos seront imprimé dans une dépendance de l’ambassade de France à Madrid en 1799 et les seuls à être publié par Goya lui-même pour réagir contre les attaques virulentes à l’encontre de ses amis chassés du gouvernement. Tout le reste de l’œuvre graphique ne sera publié qu’après la mort de l’artiste. Les Peintures noires ne furent découvertes et vu pour la première fois qu’en 1868.

5. A Bordeaux, Goya écrit en 1825 à son ami, le banquier Joaquin Maria Ferrer qui y réside également, bien que considéré par la police française comme « un dangereux révolutionnaire » , en lui confirmant qu’il cessa la vente parce que « la Sainte (inquisition) m’accusa ».

6. On peut penser ici à un poème populaire anglais de l’époque : « Baby, baby, he’s a giant ; Tall and black as Monmouth steeple ; And he breakfasts, dines, and suppers ; Every day on nougthy people. Baby mine, if Boney hears you ; As he gallops past the house ; Limb for limb at once he’ll tear you ; Just as pussy tears a mouse. » Rappelons ici que la gravure du Colosse, bien que sans les foules et sans l’âne, devait à l’origine servir de frontispice pour les Les désastres de la guerre.

7. Voir utilement Le Secret du Roi, de Gilles Perrault, Vol. I, 1992, L’ombre de la Bastille (Vol. II, 1993), et La Revanche américaine (Vol. III, 1996). Collection livre de poche, Fayard, Paris.

8. Si le rôle du général prussien Von Steuben fut crucial pour l’entraînement des troupes américaines à Valley Forge, c’est l’équivalent de cinq millions de livres de matériel de guerre (canons, poudre, fusils, munitions, uniformes) qui permirent à Washington de gagner la bataille si décisive de Saratoga en 1777. Cette somme énorme provenait pour la moitié des Bourbons français et espagnols et pour le reste de sympathisants français de la cause des insurgés et le matériel fut acheminé à partir des ports de Bordeaux, du Havre et de Marseille par les bateaux de Rodrigue, Hortalez et Cie (Beaumarchais). En août 1779, les 2000 troupes espagnoles de Bernardo de Gálvez font la guerre aux Anglais en Louisiane. A Yorktown, les 8000 anglais dirigés par Cornwallis se trouvent assiégés par 6000 insurgés renforcés par les volontaires français de Lafayette et rejoint par 5000 soldats français du corps expéditionnaire de Rochambeau, et perdent la bataille en 1781. Ainsi s’ouvre la voie de la reconnaissance des Etats-Unis par la France en 1783.

9. Dans une lettre écrit de Moscou au chevalier de Rossi en 1808, cité par Evan S. Connell, dans Goya, A Life, p.126. Pour Joseph de Maistre, lire Children of Satan II, document de la campagne présidentiel de Lyndon LaRouche en 2004. Rien d’étonnant non plus qu’en 1896, dans une explosion d’hystérie, le plus grand critique d’art de son époque et protecteur de la Fraternité pré-Raphaélite, John Ruskin (1819-1900), brûla dans sa cheminée toute une série des Caprichos pour exprimer son rejet du « caractère moralement et intellectuellement ignoble » de Goya.

10. Dans Baticle, Jeanne, Goya, d’or et de sang, Découvertes Gallimard, Paris, 1987, p.25.

11. Il serait intéressant d’enquêter sur la visite de Beaumarchais en Espagne en 1764. Beaumarchais représente une maison financière française (Pâris-Duvernay, les financiers de Louis XV et de Mme de Pompadour) à Madrid et y rencontre José Clavijo y Fajar, le ministre des sciences de Carlos III en contact avec Alexandre de Humboldt. Sa visite lui donnera aussi des éléments pour son Barbier de Séville de 1775.

12. Goya acheta vingt-cinq actions de la Banca San Carlos et sa présence à une réunion d’actionnaires, le 24 février 1788, est documenté.

13. Le richissime avocat Martin Zapater (1746-1803) était membre et trésorier de la Société Economique Aragonaise des Amis du Pays tandis que la duchesse d’Osuna (1752-1834) dirigeait la Junte de Damas, conseil des femmes de la Société à Madrid, organisant ses propres tertulias (soirées de discussion). Elle commanda à Goya une série de tableaux, illustrant des pièces littéraires traitant de la sorcellerie. C’était une passionnée de musique classique, de théâtre et de produits de luxe français. Elle organisait des concerts dans sa maison de campagne El Capricho, dans la banlieue de Madrid. On y jouait du Rossini, du Boccherini et elle passa des commandes à Joseph Haydn (1732-1809) pendant six ans, lui-même en contact avec Mozart. Haydn correspondait aussi avec le Duc d’Albe, mari de la fameuse duchesse d’Albe. Un des tableaux de la série de Goya, aujourd’hui disparu, représente « le commandeur » que Mozart met en scène dans son fameux « Don Juan ».

14. Pour un traitement approfondi du sujet : Spain’s Carlos III and the American System par William Wertz et Cruz del Carmen Moreno de Cota, dans Fidelio, vol. XIII, nr. 1-2, été 2004, Schiller Institute, Washington.

15. L’activité de l’Inquisitionn’étaitpas toujours aussi intense. La dernière grande démonstration cérémoniale de son pouvoir était l’immense « auto-da-fè » (acte de foi) sur la Plazza Major de Madriden 1680. Le roi Charles II en personne, ouvrant la célébration de son mariage, y alluma les bûchers de 27 « judaïsants ».Brièvement aboli par Joseph Bonaparte lors de l’occupation française en 1808,elle fut rétabli par Ferdinand VII et finalement aboli en1834.

16. Un des génies qui sortiront de ses écoles est le célèbre géomètre Jacob Steiner (1796-1863), père de la géométrie synthétique. Un des ses élèves était Bernhard Riemann.

17. Ferrari signale la coïncidence iconographique entre certaines estampes des Caprices et les planches gravées en 1776 en France par Monnet pour l’édition du poème burlesque de Charles Palisseau de Montenoy (1731-1814), La Dunciade, ou la guerre des sots (1764), polémique au vitriol à l’encontre de Diderot, Voltaire et l’esprit des salons. Des rapprochements avec certains croquis de Fragonard ont aussi été constatés.

18. Des analyses récentes aux rayons X des tableaux qu’ils existent actuellement au Prado et des examens stratigraphiques ont mis en lumière le fait, que sauf une exception, ce que nous voyons sont des surpeints. Maurice et Jacqueline Guillaud font état de fresques joyeuses, recouvertes par la suite par Goya et éventuellement quelqu’un d’autre. Sous Saturne figure un danseur qui lève le pied, tandis que « Laocadia » [la compagne de Goya] pose son bras sur une cheminée. « Le chien », dont nous voyons juste encore la tête est peut-être le détail touchant que Goya n’a pas voulu effacer.

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