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Grands travaux : l’exemple inspirant du « Plan Freycinet »

Port de Marseille avec les voies ferrées arrivant sur les quais.
Charles de Freycinet.

L’analyse de Charles de Freycinet sur les buts de la science économique est limpide et se résume en une phrase : « Le progrès économique, c’est la plus grande satisfaction pour le moindre effort. »

Si l’objectif phare est de donner accès au chemin de fer à tous les Français, il s’agit de favoriser le développement économique du pays par le désenclavement des régions reculées.

Les promoteurs du plan veulent également aboutir à un contrôle plus strict de l’État voire au rachat des compagnies de chemins de fer.

L’analyse de Freycinet sur les buts de la science économique n’est pas sans rappeler la pensée du philosophe et scientifique allemand Leibniz :

Pour sa mise en œuvre, le « plan Freycinet » est inscrit dans la loi de Finances et une première loi est votée le 18 mai 1878.

Ensuite, il fait l’objet de trois lois promulguées par Jules Grévy, président de la République, à quelques jours d’intervalle:

1. Nouvelles lignes ferroviaires nationales et secondaires

Poseurs de rail.

La première concerne la construction de 8700 kilomètres de nouvelles voies ferroviaires soit 154 lignes dites d’intérêt général (avec un écartement des voies d’1m43) afin de desservir toutes les sous-préfectures du pays.

Leur construction est assurée, soit par les grandes compagnies privées, le coût étant le plus souvent pris en charge par l’État, soit par l’État lui-même. Freycinet est ainsi à l’origine de la compagnie de l’État (loi du 18 mai 1878).

Dans le même temps il s’agit de désenclaver tous les chefs lieux de cantons par des réseaux secondaires (lignes dites « d’intérêt local » avec un écartement des voies d’1 m) construites principalement à l’initiative des conseils généraux.

Le réseau ferré français, avant et après le plan Freycinet.

La longueur des ces réseaux départementaux passera de 2187 kilomètres en 1880 à 17 653 km en 1913.

2. L’aménagement du réseau fluvial

Dans le domaine de la navigation fluviale le plan Freycinet ambitionne la création d’un réseau national unifié et cohérent de voies navigables, par l’amélioration de 14 600 km de voies existantes et par la mise en service de 1900 km de canaux supplémentaires.

Le plan Freycinet porte les dimensions des écluses à 39 m de long pour 5,20 m de large, afin qu’elles soient franchissables par des péniches de 300 à 350 tonnes.

Le gabarit Freycinet.

En conséquence, les bateaux au gabarit Freycinet ne doivent pas dépasser 38,5 m sur 5,05 m.

Le « gabarit Freycinet » correspond aujourd’hui au gabarit européen de classe I.

En France, 5800 km de voies fluviales ont conservés cette taille et en 2011, 23 % du trafic fluvial y transite.

3. La modernisation des ports

Manet, port de Bordeaux en 1870.

Au niveau portuaire, Freycinet déplore que :

L’originalité du plan Freycinet, au niveau portuaire, recouvre trois aspects :
–le souci de l’interconnexion,
–l’étendue et
–le mode de financement.

La modernisation des ports, affirme-t-il :

Freycinet, qui avait bien conscience que la bataille pour le maritime se gagne sur terre ferme. Un port sans hinterland capable d’accueillir les flux de marchandises est comme un cœur déconnecté d’artères en mesure de faire circuler le sang.

Freycinet mettra donc l’accent sur l’amélioration de l’intermodalité, ce qui signifie l’extension des quais, la multiplication des bassins, notamment à flot, l’approfondissement des chenaux, afin que « l’installation générale soit appropriée à la fois aux deux modes de transport qui viennent s’y rencontrer ».

Alors que l’État financera les superstructures, les infrastructures, l’outillage sera à la charge des chambres de commerce ou des particuliers par voie de concession. 116 ports sur 188 sont ainsi modernisés.

–La longueur utile des quais passe de 140 km en 1879 à 205 km en 1900, une augmentation de 46 % ;
–le nombre de ports présentant plus de 7 mètres de profondeur s’est élevé de 9 en 1878 à 15 en 1900 ;
–le tonnage de jauge de navires entrés et sortis a progressé de 64 % entre 1878 et 1898 ;
–aux mêmes dates, le poids des marchandises importées ou exportées a augmenté de 75 %, passant de 17 à 30 millions de tonnes.

L’abaissement du prix du fret, l’accroissement de la rapidité et de la régularité des transports, le perfectionnement des moyens de manutention sont autant de progrès à enregistrer.

Un plan décennal

Dans son chiffrage initial, largement dépassé au final, le plan prévoyait de consacrer environ 3 milliards de francs aux lignes de chemin de fer, 1 milliard aux canaux et 500 millions aux ports. Le tout était financé par un crédit d’État à 3 %, remboursable en 75 annuités.

Si à l’origine, le « plan Freycinet » aurait du être réalisé en dix ans, la faillite retentissante de la banque l’Union générale en 1882 (cadre du roman L’Argent de Zola) et la crise économique qu’elle engendrera, retarderont sa mise en œuvre.

La crise du crédit public brise l’élan et entraîne à moyen terme le ralentissement considérable du rythme des réalisations. Cet arrêt brutal aura deux conséquences.

D’une part, l’allongement des délais de construction provoque une élévation de leurs coûts, et de l’autre, l’abandon prématuré du système de financement imaginé par la loi du 11 juin 1878.

Ainsi, ce n’est qu’en 1914, c’est-à-dire après 36 ans, que l’ensemble du plan arrivera, à quelques détails près, à son stade de réalisation.

Entre-temps, cette mobilisation des forces productives, par effet d’entrainement, à fait naître le savoir-faire permettant la réalisation de la tour Eiffel ou les écluses du canal de Suez et celui de Panama.

Faute de crédit productif public et de volonté politique réelle, à part quelques miracles accomplis à l’époque De Gaulle/Pompidou, la France n’a jamais connue une initiative de cette ampleur visant à susciter un « choc de productivité » par l’investissement en infrastructures. Quel candidat aura aujourd’hui le courage et la compétence pour défendre un « Nouveau plan Freycinet » ?

Relance française

Le 1er octobre 2020, dans sa chronique dans Le Monde, Pierre-Cyrille Hautcoeur, professeur à PSE, directeur d’études EHESS, confirme la réussite retentissante du Plan Freycinet.

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Hippolyte Carnot, père de l’éducation républicaine moderne

Sommaire

  1. Introduction
  2. Dans la tempête
  3. De la charité à la scolarisation universelle
  4. Malebranche et les Oratoriens
  5. La Révolution des esprits
  6. Le Comité d’Instruction publique
  7. Condorcet et le « Parti américain »
  8. Le plan Condorcet
  9. La bataille sous la Convention
  10. Lazare Carnot sous les Cent-Jours
  11. Hippolyte reprend le flambeau de son père Lazare
  12. L’exil de Lazare Carnot
  13. Hippolyte avec l’Abbé Grégoire
  14. Comme Friedrich Schiller, patriote et citoyen du monde
  15. La Révolution de juillet 1830
  16. Ministre de l’Instruction publique sous la IIe République
    A. Ecole Maternelle
    B. Ecole Primaire
    C. Exposé des motifs de la loi de juin 1848 sur l’Ecole
    D. Des instituteurs pour éclairer le monde rural
    E. Enseignement secondaire

    F. Haute Commission des études scientifiques et littéraires
    G. Une Ecole d’Administration
    H. Education pour tous tout au long de la vie
    I. Bibliothèques circulantes
    J. Beaux-Arts, hygiène et gymnastique au programme
    K. Concorde citoyenne
  1. Conclusion
  2. Annexe : œuvres d’Hippolyte Carnot
  3. Quelque ouvrages et articles consultés 

« L’arbre que vous plantez est jeune comme la République elle-même
(…) Il étendra sur vous ses rameaux, de même que la République étendra sur la France
les bienfaits de l’Instruction populaire. »

Hippolyte Carnot, Memorial, dossier 13, 1848.

1. Introduction

Hippolyte Carnot (1801-1888) n’a ni la gloire de son père Lazare Carnot (1753-1823), « l’organisateur de la victoire » de l’An II, ni le renom de son frère, l’inventeur de la thermodynamique Léonard Sadi Carnot (1796-1832), ni le destin tragique de son fils, François Sadi Carnot (1837-1887), président de la République assassiné par un anarchiste à Lyon.

L’histoire retient presqu’ exclusivement ses magnifiques « Mémoires sur Lazare Carnot par son fils », où il relate l’action, les idées et la vie de son père, le « grand Carnot », esprit scientifique, poète, fervent républicain et ministre de la Guerre.

Hippolyte reste méconnu alors que sa longue vie (87 ans), un peu plus longue que celle de Victor Hugo (83 ans) couvre presque tout un siècle (1801-1888) et que son œuvre et son influence sont considérables.

Comme le démontre amplement la lecture de « Hippolyte Carnot et le ministère de l’Instruction publique de la IIe République » (PUF, 1948), écrit par son fils, le médecin Paul Carnot (1867-1957), il était bien plus qu’un simple observateur ou commentateur des événements.

Dans la tempête

Le XIXe siècle est une période de profonds changements. La flamme de l’espérance allumée par les Révolutions américaine et française, l’idéal de la liberté, de la fraternité et de l’émancipation, aussi bien des individus, des peuples que des Etats souverains, s’avère in-éteignable, s’affirme et se prolonge tout au long du XIXe siècle. La longue marche vers un nouveau paradigme est semée d’embûches. Les mutations s’opèrent lentement sur fond de crises brutales et de ruptures violentes.

Durant sa longue vie, Hippolyte Carnot connaîtra indirectement ou directement :

  • Deux empires :
    1803-1814 : Premier Empire sous Napoléon Bonaparte
    1852-1870 : Second Empire sous Napoléon III
  • Trois monarchies :
    1814-1815 : Première restauration sous Louis XVIII
    1815-1830 : Seconde restauration sous Charles X
    1830-1848 : Monarchie de juillet sous Louis-Philippe, duc d’Orléans.
  • Deux républiques :
    1848-1852 : IIe République
    1870 : IIIe République
  • Trois révolutions exprimant la ferveur républicaine :
    1830 (Trois glorieuses) ;
    1848 (soulèvements) ;
    1871 (Commune).

Ainsi, dans un environnement toujours en transformation, traversant révolutions, coups d’État, monarchies, empires ou républiques, guerres et procès, celui qui sera (trop) brièvement ministre de l’Instruction publique en 1848, ami de Victor Hugo, Hippolyte Carnot sera un bâtisseur et un inspirateur.

Philosophe et journaliste, mémorialiste et ministre, franc-maçon et croyant, exilé politique et député, sénateur et membre de l’Académie, il participe à tous les combats pour les libertés publiques et privées, jette les bases de la formation des professeurs et de l’école gratuite et obligatoire, y compris maternelle, crée l’ancêtre de l’ENA et défend les causes les plus avancées (scolarisation des filles, suffrage universel, lutte contre l’esclavage et abolition de la peine de mort).

Rémi Dalisson, dans une biographie passionnante et richement documentée « Hippolyte Carnot 1801-1888. La liberté, l’école et la République », publié aux éditions du CNRS en 2011, preuves à l’appui, souligne que « la vulgate d’un Jules Ferry inventant l’école républicaine et laïque est largement battue en brèche ».

Etant donné que le nom et encore moins l’action d’Hippolyte Carnot ne figurent nulle part sur le site du ministère, l’auteur se désole que « rares sont ceux, y compris au ministère de l’Éducation nationale, qui rendent hommage au rôle et la personnalité d’Hippolyte Carnot ».

Les anthologies de textes et discours fondateurs de l’école républicaine, qui se sont multipliées ces dernières années, l’oublient systématiquement.

« C’est donc la réparation d’une injustice et d’un oubli que nous effectuerons en retraçant la vie et l’œuvre d’Hippolyte Carnot qui vont bien au-delà de ses projets et réalisations éducatives. Par sa stature, sa formation, son parcours, ses idées, ses écrits et combats, cet homme aux multiples talents nous permettra de retracer l’histoire de la construction de l’école et donc de la société au XIXe siècle (…) Et comme cette question renvoie à la question politique, sociale voire économique et culturelle de la nation, et comme le ministre fut de tous les combats philosophiques de son siècle (…) c’est en grande partie l’histoire d’un siècle qui sera évoquée (…) ».

Le texte intégral de cette magnifique biographie est en accès gratuit sur internet et nous nous en sommes largement inspiré pour écrire ce texte.

3. De la charité à la scolarisation universelle

Ecole primaire à l’époque de l’ancien régime.

Afin de pouvoir pleinement appréhender l’apport fondamental des conceptions de Lazare Carnot et du début de leur mise en œuvre par son fils Hippolyte, un bref historique de la scolarisation de notre pays s’impose.

Éduquer une poignée d’enfants plus ou moins talentueux ? On a su faire, surtout depuis les conseils savoureux des grands pédagogues de la Renaissance (Vittorino da Feltre, Alexandre Hegius, Erasme de Rotterdam, Juan Luis Vivès, Comenius, etc.). Mais organiser l’enseignement obligatoire, laïque et gratuit pour toute une nation, garçons et filles, restait un énorme défi à relever.

Et comme le montre la chronologie qui suit, la route vers la scolarisation universelle a été semée de nombreuses embûches.

En France, dès le XVIe siècle, l’Etat royal confie à l’église catholique (Jésuites, Oratoriens) le soin de former les enfants de la noblesse : seules les familles aisées arrivent à payer un précepteur pour les leurs, les autres, souvent qualifiés de personnes « n’étant pas faites pour des études », restent essentiellement analphabètes.

Au XVIIe siècle, de saints hommes, émus de la grande misère des enfants du peuple fondèrent des ordres enseignants qui prirent en charge gratuitement les orphelins et les enfants abandonnés. Un enseignement avant tout religieux, mais leur fournissant de quoi manger, des rudiments d’éducation et des bases d’écriture et de calcul. Au XVIIIe siècle, des congrégations féminines prirent en charge de la même façon les filles pauvres.

Peu importe ses motivations réelles, Louis XIV, après la révocation de l’édit de Nantes en 1685, ordonne en 1698 à chaque communauté villageoise ou paroisse d’ouvrir une école dont le maître doit être un prêtre catholique. C’est la première fois que l’Etat envisage de donner de l’instruction à des enfants des régions rurales. En charge d’y arriver, les Frères des Ecoles chrétiennes (« Lassalliens ») avec les méthodes qui seront les leurs.

Les chiffres de l’alphabétisation à la fin de l’Ancien Régime montrent l’ampleur et les limites de l’œuvre accomplie. On estime à cette époque à 37 % la proportion des Français assez instruits pour signer leur acte de mariage au lieu de 21 % un siècle plus tôt. L’instruction féminine progressait lentement et environ un quart des femmes étaient alphabétisées, très sommairement pour nombre d’entre elles. Les disparités étaient importantes entre les villes et les campagnes.

4. Malebranche et les Oratoriens

Paris, couvent de l’Oratoire.

Parmi les congrégations, les Oratoriens, depuis 1660 sous l’influence du philosophe et théologien Nicolas Malebranche (1638-1715) qui en prend la direction, font exception. En rupture avec l’aristotélisme des Jésuites et le dualisme prôné par René Descartes, Malebranche, devenu membre honoraire de l’Académie des Sciences, par des échanges épistolaires soutenus, va se laisser gagner par la vision optimiste du grand scientifique allemand Wilhelm Gottfried Leibniz (1646-1716). Réconciliant sciences et foi, sur le plan métaphysique, son dieu est un Dieu sage et raisonnable respectant toujours son essence et les lois de l’ordre qu’il engendre. Sa perfection réside avant tout dans sa fonction de législateur, identifiée à la sagesse ou à la raison, plutôt que dans un pouvoir arbitraire.

Deux exemples démontrent l’excellence de l’ enseignement des Oratoriens : Gaspard Monge et Lazare Carnot, deux grands esprits scientifiques et futurs cofondateurs de l’Ecole polytechnique. Convaincus que l’avenir politique, économique et industriel de la République en dépendait, ils mèneront le combat pour que la meilleure éducation possible soit accessible à tous et pas seulement aux privilégiés dont ils faisaient partie.

Fils d’un marchand savoyard, Gaspard Monge (1746-1818), suit des études au collège des Oratoriens de Beaune, sa ville natale. Dès 17 ans, il enseigne les mathématiques chez les Oratoriens de Lyon, puis en 1771, les mathématiques et la physique à l’École du Génie établie à Mézières. La même année, il entre en contact avec le physicien Jean Le Rond d’Alembert (1717-1783) et correspond avec le mathématicien Nicolas de Condorcet (1743-1794) qui le pousse à présenter quatre mémoires, un dans chacun des domaines des mathématiques qu’il étudie alors. Ses talents de géomètre ne tardent pas à s’exprimer : à l’Ecole du Génie de Mézières, il invente « la Géométrie descriptive » qui sera intégrée dans le programme d’études de l’école et qui fut essentielle à la révolution industrielle qui s’annonçait…

Quant au futur général Lazare Carnot (1753-1823), fils d’un notaire bourguignon, après des études chez les Oratoriens d’Autun (1762), il intègre lui aussi l’École du Génie de Mézières (1771) où il reçoit l’enseignement de Gaspard Monge.

5. La Révolution des esprits (1789)

En 1789, la Révolution chamboulera la situation. Dès le 13 février 1790, toutes les corporations et congrégations religieuses sont supprimées par décret et les religieux reçoivent l’injonction de prêter serment à la Révolution. C’est une remise en cause totale d’une Église toute puissante mais également l’effondrement du peu d’instruction qui existait.

En rupture avec l’Ancien Régime, la Constitution de 1791 affirme qu’il sera

« créé et organisé une instruction publique commune à tous les citoyens. »

Talleyrand.

Un rapport et un projet de loi, sont présentés par Talleyrand (1754-1838), le 10 septembre 1791. Rédigé grâce à la contribution des plus grands savants de l’époque (Condorcet, Lagrange, Monge, Lavoisier, La Harpe), le Rapport sur l’Instruction publique de Talleyrand, constitue une véritable rupture par rapport à la façon dont l’instruction était conçue pendant l’Ancien régime. Il pose la question de l’instruction publique dans des termes nouveaux, aussi bien au niveau des principes (l’instruction publique est présentée comme une nécessité à la fois politique, sociale et morale, et donc comme quelque chose que l’Etat doit garantir aux citoyens) qu’au niveau formel. Ce plan embrasse l’ensemble de l’éducation nationale, qui est organisée sur quatre niveaux et dont les établissements sont distribués sur le territoire national en fonction des découpages administratifs. Il met sur le papier les bases d’un enseignement gratuit pour tous y compris les filles (écoles et programmes séparés) et précise qu’« on y apprendra les premiers éléments de la langue française, soit parlée, soit écrite ».

En 1794, le juriste Bertrand Barère de Vieuzac (1755-1841) précisera :

« Nous enseignerons le français aux populations qui parlent le bas-breton, l’allemand, l’italien ou le basque, afin de les mettre en état de comprendre les lois républicaines, et de les rattacher à la cause de la Révolution. »

Faute de temps, il n’est pas voté.

Dans son projet de loi, Talleyrand propose la création d’une école primaire dans chaque commune. L’Assemblée constituante venait de fixer l’organisation territoriale encore en place aujourd’hui. Le décret du 14 décembre 1789 venait de créer 44 000 municipalités (sur le territoire des anciennes « paroisses ») baptisées « communes » en 1793. La loi du 22 décembre 1789 créa les départements, le décret du 26 février 1790 en fixa le nombre à 83.

6. Le Comité d’Instruction publique (1791)

Nicolas de Condorcet.

Un mois après le rapport de Talleyrand, le 14 octobre 1791, à l’Assemblée nationale législative, est créé un premier « Comité d’Instruction publique » dont Condorcet est élu président et l’avocat Emmanuel de Pastoret vice-président, les autres membres étant le futur général Lazare Carnot, le député Jean Debry, le mathématicien Louis Arbogast et l’homme politique Gilbert Romme.

Condorcet préside, en outre, l’une des trois sections, celle relative à l’organisation générale de l’Instruction publique. Le 5 mars 1792 il est nommé rapporteur du projet de décret sur l’organisation générale de l’instruction publique que le comité doit présenter à l’Assemblée.

Formé à 11 ans au collège des Jésuites de Reims, il est envoyé à 15 ans au collège de Navarre à Paris. De cette éducation-là, avant tout religieuse, il conservera toute sa vie des souvenirs douloureux et lui reprochera notamment ses brutalités et ses méthodes humiliantes. Son indignation le conduit à imaginer une approche totalement différente. Dans La Bibliothèque de l’homme public, il publie en 1791 « Cinq mémoires sur l’Instruction publique » constituant un véritable plan.

Ils seront la base du projet qu’il rédige à la Législative et seront approuvés par le comité d’instruction publique le 18 avril et présentés à l’Assemblée nationale les 20 et 21 avril 1792.

7. Condorcet et le parti américain

Hagiographe du physiocrate Anne Robert Jacques Turgot (1727-1781), tout en critiquant le sectarisme des « économistes », Condorcet adhère à certaines thèses physiocrates, notamment l’établissement de l’impôt sur le seul revenu agricole, considéré comme l’unique source de richesse de la nation, l’industrie étant considérée comme une catégorie « stérile » de l’économie nationale (voir mon article « La face cachée de la planète Marx »).

Pour les physiocrates, grands défenseurs de la rente terrienne qui les engraissait, l’ennemi à combattre était bien cet Etat centralisé, dirigiste et mercantile que Colbert, marchant dans les pas de Sully, avait commencé à mettre en place.

Ce qui n’empêche pas Condorcet, plus courageux que bien des gens de sa génération, de monter sur le devant de la scène pour soutenir ouvertement la Révolution américaine dans sa lutte contre les horreurs de l’Empire britannique : esclavage, peine de mort, droits de l’homme et de la femme.

Bien qu’ami de Voltaire, Condorcet écrit un éloge vibrant de Benjamin Franklin. Ami du pamphlétaire anglais influent Thomas Paine (1737-1809), il publie en 1786 « De l’influence de la Révolution d’Amérique sur l’Europe », dédié à La Fayette. Dans ce vibrant plaidoyer pour la démocratie et la liberté de la presse, Condorcet considère que l’Indépendance américaine pourrait servir de modèle à un nouveau monde politique.

Avec Paine et du Chastellet, Condorcet collabore de façon anonyme à une publication intermittente, Le Républicain, qui promeut les idées républicaines. À cette époque, il existe dans le monde seulement quelques états appelés républiques (les cantons suisses, Venise, les Provinces-Unies, notamment).

Par la suite, Condorcet se disputera violemment avec le deuxième président des Etats-Unis, John Adams, dont les encyclopédistes rejettent avec mépris le projet d’un parlement bicaméral.

Condorcet se lie également avec le président américain Thomas Jefferson qui promeut et fait publier les écrits de Condorcet en faveur du physiocrate Turgot pour les faire connaître en Amérique. Le 31 juillet 1788, Jefferson écrit à James Madison : « Je vous envoie aussi deux petits pamphlets du marquis de Condorcet, dans lesquels se trouve le jugement le plus judicieux que j’aie jamais vu sur les grandes questions qui agitent cette nation en ce moment ». Il s’agissait des « Lettres d’un Citoyen des États-Unis à un Français et des Sentiments d’un Républicain ».

Sophie de Grouchet, marquise de Condorcet.

Pendant son séjour à Paris, Jefferson fréquente le salon cosmopolite de Mme de Condorcet. Avant de retourner en Amérique, il reçoit ses amis les plus proches une dernière fois chez lui, à l’hôtel de Langeac : Condorcet, La Rochefoucauld, Lafayette et le gouverneur Morris.

Après le retour de Jefferson en Amérique, Condorcet continua son dialogue avec le secrétaire d’État américain de Washington. Le 3 mai 1791, il lui envoya une copie du rapport sur le choix d’une unité de mesure, présenté par Borda, Lagrange, Laplace, Monge et lui-même, à l’Académie des sciences le 19 mars, et soumis ensuite à l’Assemblée nationale le 26. Il s’agissait en effet d’un centre d’intérêt commun : le 4 juillet 1790, Jefferson avait présenté au Congrès américain son rapport sur les poids et les mesures, dont il avait envoyé un exemplaire à Condorcet. C’était la même foi dans le progrès qui encourageait les deux hommes à soutenir l’idée d’un système de mesure décimal et universel.

Dans une lettre, Jefferson informe Condorcet des travaux d’un mathématicien et astronome américain noir, Benjamin Banneker, auteur d’un almanach, dont il lui envoie un exemplaire. Dans les « Réflexions sur l’esclavage des nègres », bien que partisan convaincu de la liberté des noirs, Condorcet s’était exprimé en faveur d’une abolition graduelle de l’esclavage de la même manière que Jefferson dans ses « Notes on the State of Virginia ».

Jefferson oscilla dans ses positions, attribuant l’infériorité des Noirs tantôt à des causes naturelles, tantôt aux effets de l’esclavage, tandis que Condorcet – en accord avec Franklin – était convaincu depuis toujours de l’égalité naturelle de tous les hommes.

Dans les faits, celui qui fut le troisième président des Etats-Unis, posséda plus de 600 esclaves au cours de sa vie adulte. Il a libéré deux esclaves de son vivant, et cinq autres ont été libérés après sa mort, dont deux de ses enfants issus de sa relation avec son esclave Sally Hemings. Après sa mort, les autres esclaves ont été vendus pour rembourser les dettes de sa succession.

Jefferson s’oppose avec force aux « Fédéralistes » comme Alexander Hamilton qui promeuvent un Etat fédéral fort, le dirigisme économique à la Colbert et le mercantilisme. Condorcet va encourager Jefferson dans son projet de « démocratie agraire », la vision physiocratique des grands propriétaires terriens qui deviendra, jusqu’à l’arrivée de Lincoln et son conseiller Henry Carey, l’idéologie du Parti Républicain américain.

8. Le Plan Condorcet

Les progrès de la science et de la raison mèneront au bonheur des sociétés et des individus, estime Condorcet. Dans l’Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain, il écrit :

« Nos espérances, sur l’état à venir de l’espèce humaine, peuvent se réduire à ces trois points importants : la destruction de l’inégalité entre les nations, les progrès de l’égalité dans un même peuple ; enfin, le perfectionnement réel de l’homme. »

Préférant « L’Instruction publique » à l’éducation nationale, il rêve d’une instruction totalement indépendante de l’État et libre de tout dogmatisme :

« La puissance publique ne peut même sur aucun objet, avoir le droit de faire enseigner des opinions comme des vérités ; elle ne doit imposer aucune croyance. » (Sur l’instruction publique, premier mémoire, 1791).

Esquissant des principes laïques, pour Condorcet, « les principes de la morale enseignée dans les écoles et dans les instituts seront ceux qui, fondés sur nos sentiments naturels et sur la raison, appartiennent également à tous les hommes. »

A l’Assemblée nationale, il est massivement applaudi lorsqu’il déclare que « dans ces écoles les vérités premières de la science sociale précéderont leurs applications. Ni la Constitution française ni même la Déclaration des droits ne seront présentées à aucune classe de citoyens, comme des tables descendues du ciel, qu’il faut adorer et croire. Leur enthousiasme ne sera point fondé sur les préjugés, sur les habitudes de l’enfance ; et on pourra leur dire : ‘Cette Déclaration des droits qui vous apprend à la fois ce que vous devez à la société et ce que vous êtes en droit d’exiger d’elle, cette Constitution que vous devez maintenir aux dépens de votre vie ne sont que le développement de ces principes simples, dictés par la nature et par la raison dont vous avez appris, dans vos premières années, à reconnaître l’éternelle vérité. Tant qu’il y aura des hommes qui n’obéiront pas à leur raison seule, qui recevront leurs opinions d’une opinion étrangère, en vain toutes les chaînes auront été brisées, en vain ces opinions de commande seraient d’utiles vérités ; le genre humain n’en resterait pas moins partagé en deux classes, celle des hommes qui raisonnent et celle des hommes qui croient, celle des maîtres et celle des esclaves.’»

Pour Condorcet, il s’agit d’assurer le développement des capacités de chacun et de tendre au perfectionnement de l’humanité. Son projet propose d’instituer cinq catégories d’établissements :

  • les écoles primaires visant à la formation civique et pratique ;
  • les écoles secondaires dans lesquelles sont surtout enseignées les mathématiques et les sciences ;
  • les instituts, assurant dans chaque département la formation des maîtres d’écoles primaires et secondaires et, aux élèves, un enseignement général ;
  • les lycées, lieu de formation des professeurs et de ceux qui « se destinent à des professions où l’on ne peut obtenir de grands succès que par une étude approfondie d’une ou plusieurs sciences. » ;
  • la Société nationale des sciences et des arts ayant pour mission la direction des établissements scolaires, l’enrichissement du patrimoine culturel et la diffusion des découvertes.

Son plan se caractérise également par l’égalité des âges et des sexes devant l’instruction, l’universalité et la gratuité de l’enseignement élémentaire et la liberté d’ouverture des écoles. Enfin la religion ne doit relever que de la sphère privée.

Le projet n’oublie nullement « le peuple », car des conférences hebdomadaires et mensuelles destinées aux adultes doivent permettre de « continuer l’instruction pendant toute la durée de la vie », une ambition que reprendront à leur compte l’abbé Grégoire (1750-1831) et Hippolyte Carnot.

Comme le relate Paul Carnot :
« L’Assemblée Constituante, dans sa courte existence, n’avait pu que transmettre le fameux rapport de Talleyrand à la Convention. Celle-ci, après les rapports, non moins fameux – de Condorcet et de Lakanal, après les discussions de son Comité d’Enseignement (presque aussi actif que le Comité de Salut public), avait proclamé des principes qui sont toujours les nôtres ceux de l’École primaire, obligatoire, gratuite et laïque. La Déclaration des Droits de l’Homme (art. XXII) proclamait, avec Robespierre ‘L’Instruction est le besoin de tous ; la société doit favoriser, de tout son pouvoir, les progrès de la raison publique et mettre l’Instruction à la portée de tous les citoyens’. »

Tous les partis, chose rare, étaient d’accord sur ces points. Les Girondins (Condorcet, Ducos) disaient, avec François Xavier Lanthenas (1754-1799), que:

« L’instruction est la première dette de l’État envers les citoyens. »

A propos de la gratuité, Georges Danton dira

« Nul n’est maître de ne pas donner l’instruction à ses enfants. Il n’y a pas de dépense réelle là où est le bon emploi pour l’intérêt public. Après le pain, l’instruction est le premier besoin du peuple.»

Mais le programme d’instruction publique menant à la perfectibilité de l’humanité, grâce à la raison, n’est pas une priorité, car le roi Louis XVI, sur proposition du général Dumouriez, vient de décider de se rendre à l’Assemblée nationale pour lui proposer de déclarer la guerre contre l’Autriche… A cela s’ajoute que l’argent pour l’éducation manque.

Condorcet doit interrompre la lecture de son projet. A la fin de l’après-midi de ce 20 avril 1792, l’Assemblée adopte la déclaration de guerre au roi de Bohême et de Hongrie, à l’unanimité moins sept voix. Le lendemain Condorcet termine la lecture de son projet. L’Assemblée décrète l’impression du rapport mais en diffère la discussion. C’est en vain que Romme, au nom du comité d’Instruction publique, demandera le 24 mai l’inscription à l’ordre du jour de la discussion du rapport. Le projet de Condorcet n’aura pas, tout comme le rapport de Talleyrand, le temps d’être débattu et ne sera pas adopté.

9. La bataille sous la Convention (1792-1795)

Joseph Lakanal.

Les protagonistes de l’an I (sous la Convention) ne furent guère plus décisionnaires. Un nouveau Comité d’instruction publique est constitué. L’abbé Grégoire, abolitionniste et ami intime de Lazare Carnot et plus tard de son fils Hippolyte, et Joseph Lakanal (1762-1845) en font partie.

Le 12 décembre 1792, Marie-Joseph de Chénier (1764-1811) lit les propositions de Lanthénas qui reprend les idées de Talleyrand et Condorcet. Les discussions sont stériles et le projet est balayé par Marat. Ce dernier s’exclame ce jour-là :

« Quelque brillants, dit il, que soient les discours que l’on nous débite ici sur cette matière, ils doivent céder place à des intérêts plus urgents. Vous ressemblez à un général qui s’amuserait à planter et déplanter des arbres pour nourrir de leurs fruits des soldats qui mouraient de faim. Je demande que l’assemblée ordonne l’impression de ces discours, pour s’occuper d’objets plus importants. »

Lepeltier Saint-Fargeau.

L’année d’après, Robespierre opte pour un plan d’éducation nationale imaginé par Lepeltier de Saint-Fargeau (1760-1793).

Selon ce plan, présenté par Robespierre en personne, le 13 juillet 1793, l’instruction sans une bonne dose d’idéologie républicaine ne saurait suffire à la régénération de l’espèce humaine. C’est donc l’État qui doit se charger d’inculquer une morale républicaine, en prenant en charge l’éducation en commun des enfants entre 5 et 12 ans.

Le 21 Janvier 1793, le Roi est décapité. Alors que pour Carnot, il s’agit de ne plus jamais permettre le retour de la lignée des Bourbons, Condorcet, adversaire par principe à la peine de mort, s’y oppose. Les débats sur l’instruction publique sont ajournés. Ce n’est qu’en fin d’année qu’une législation de compromis sur l’organisation des écoles primaires voit le jour ; elle rend l’instruction obligatoire et gratuite pour tous les enfants de six à huit ans et fixe la liberté d’ouvrir des écoles. Le décret du 19 décembre 1793 précise que les études primaires forment le premier degré de l’instruction : on y enseignera les connaissances rigoureusement nécessaires à tous les citoyens et les personnes chargées de l’enseignement dans ces écoles s’appelleront désormais « instituteurs ». Ce décret ne sera que partiellement appliqué.

1794 vit rédiger une profusion de textes législatifs sur le sujet :

  • le décret du 27 janvier 1794 impose enfin l’instruction en langue française.
  • Le 21 octobre 1794 une autre décision organise la distribution des premières écoles dans les communes.
  • Le 30 octobre est créée, pour former des enseignants, la première « école normale » sur l’impulsion de Dominique Joseph Garat, de Joseph Lakanal et du Comité d’instruction publique. La loi précise qu’« Il sera établi à Paris une École normale, où seront appelés, de toutes les parties de la République, des citoyens déjà instruits dans les sciences utiles, pour apprendre, sous les professeurs les plus habiles dans tous les genres, l’art d’enseigner ». L’école, prévue pour près de 1 500 élèves, s’installe dans un amphithéâtre du Muséum national d’histoire naturelle, trop petit pour accueillir toute la promotion. Rapidement fermée, elle réunit néanmoins des professeurs brillants, tels que les scientifiques Monge, Vandermonde, Daubenton et Berthollet.
  • Le 17 novembre, Lakanal fait adopter une loi rendant l’instruction gratuite, la République assurant un traitement et un logement aux instituteurs et autorisant la création d’écoles privées.
Entrée de l’Ecole polytechnique.

Également en 1794, Jacques-Élie Lamblardie, Gaspard Monge et Lazare Carnot, pères fondateurs de l’institution, se voient confier la mission d’organiser une « Ecole centrale des travaux publics », renommée « École polytechnique » en 1795 par Claude Prieur de la Côte d’Or, pour pallier la pénurie d’ingénieurs dans la France d’après la Révolution.

Malheureusement, sur le plan d’une scolarisation universelle, le bilan de 1795 est désastreux : aucun des décrets de 1794 n’a été appliqué!

Pire encore, le 25 octobre 1795, une nouvelle loi élaborée par Pierre Daunou marque même un recul : faute de budget, l’instruction n’est plus gratuite, les instituteurs doivent être salariés par les élèves (et leurs riches parents) et le programme scolaire devient indigent. Cette loi est restée en vigueur jusqu’aux textes napoléoniens sur l’enseignement secondaire et supérieur en 1802. Si elle prévoit l’abandon de l’obligation scolaire et de la gratuité, cette loi préconise la création d’une école primaire par canton et « d’école centrales » secondaires dans chaque département.

Les nouvelles autorités fixent aux communes  des délais pour l’organisation des écoles. Elles mandatent des envoyés spéciaux pour voir si les communes  prennent les mesures nécessaires pour rechercher et installer un instituteur.

Dans les villes, l’administration parvient à recueillir un certain nombre de candidats instituteurs, mais à la campagne, bien souvent la liste demeure vierge. Les administrations locales, en plus du problème de recrutements, se heurtent au problème du local, du mobilier, du chauffage de l’école et des ouvrages à utiliser. Les instituteurs en exercice se plaignent de la pénurie d’élèves car l’école républicaine suscite de la méfiance. Quand l’instituteur se risque à remplacer le catéchisme et les Évangiles par la Constitution et les Droits de l’Homme, les parents, incités en cela par des prêtres réfractaires, préfèrent garder leurs enfants chez eux. Le Comité d’instruction publique est submergé de questions, accablé de suggestions et de demandes.

Le 17 novembre 1795, Lakanal fait adopter par la Convention une nouvelle loi. L’instruction reste gratuite mais non obligatoire. Elle assure un traitement fixe et une retraite aux instituteurs et institutrices et leur fournit un local et un logement. Elle autorise tout citoyen à fonder des écoles particulières (privées).

10. Lazare Carnot sous les Cent-Jours (mars-juin 1815)

Jean-Antoine Chaptal.

Le 9 novembre 1799, Bonaparte fomente un coup d’État et établit le régime du Consulat. Premier Consul, il signe avec le pape Pie VII le Concordat le 16 juillet 1801 qui abolit la loi de 1795 séparant l’Église de l’État.

Saisissant l’occasion du moment, et avant tout cherchant à répondre aux besoins immédiats, le ministre de l’Intérieur, le chimiste et industriel républicain Jean-Antoine Chaptal (1756-1832) soumet alors à Bonaparte un projet d’organisation de l’enseignement secondaire, confié, en particulier aux Oratoriens de Tournon. En 1800 il présente son « Rapport et projet de loi sur l’instruction publique. »

Rappelé par le Premier consul, Lazare Carnot reçoit le portefeuille de la Guerre qu’il conservera jusqu’à la conclusion de la paix d’Amiens en 1802, après les batailles de Marengo et d’Hohenlinden.

Révolutionnaire de la première heure, mais aussi modéré et républicain, il vote contre le Consulat à vie, puis est le seul Tribun à voter contre l’Empire le 1er mai 1804. Dès lors, privé de toute influence politique, il se recentre sur l’Académie des sciences. En 1814, la défense d’Anvers, ville dont il sera maire, lui est confiée : il s’y maintient longtemps et ne consent à remettre la place que sur l’ordre de Louis XVIII.

Mais quelques mois plus tard, l’Empereur revient au pouvoir pour les Cent-Jours, du 20 mars au 7 juillet 1815 (3 mois et 17 jours). C’est à ce moment que Lazare Carnot, menacé d’arrestation au point de se cacher rue du Parc-Royal, est nommé ministre de l’Intérieur le 22 mars 1815. Et comme ce ministère comporte dans ses attributions l’Instruction publique, il peut alors lancer le projet éducatif qui lui tient à cœur.

Trois jours après son installation au ministère, Lazare Carnot commande une étude sur l’enseignement.

Elle s’inspire des travaux de la « Société d’encouragement pour l’industrie nationale », fondée par Chaptal et dirigée par le philanthrope Joseph Marie de Gérando, lui aussi éduqué par les Oratoriens à Lyon et, avec Laborde, Lasteyrie et Jomard, partisan de la nouvelle méthode d’enseignement mutuel. (voir notre article sur ce site).

Carnot impulsera également la fondation de « Société pour l’instruction élémentaire (SIE) » afin de promouvoir ce type d’éducation.


Pour Carnot et Grégoire, l’éducation et l’instruction doivent « élever à la dignité d’Homme tous les individus de l’espèce humaine », éduquer autant que moraliser, et répandre l’amour entre les hommes.

Lazare Carnot.

Pendant les Cent-Jours, Carnot a juste eu le temps de préparer, en avril 1815, un « plan d’ensemble pour l’éducation populaire » suivi d’un décret et de la création d’une Commission spéciale pour l’enseignement élémentaire chargée de tracer des perspectives en la matière en s’inspirant des modèles anglais et hollandais.

Familiarisé avec les « brigades » inventées par Gaspard Monge à l’école du Génie de Mézières et ensuite à Polytechnique, où les meilleurs élèves encadrent les autres, Carnot est plus que favorable au système de l’enseignement mutuel dans les écoles populaires. Répandu en Angleterre et en Suisse, Carnot va l’établir en France.

Convaincu de l’importance de la musique, il souhaite l’enseignement de celle-ci aux élèves. Dans cette intention, il rencontre plusieurs fois Alexandre-Étienne Choron (1771-1834), lui aussi passé par les Oratoriens, qui réunit un certain nombre d’enfants et leur fit exécuter en sa présence plusieurs morceaux appris en fort peu de leçons. Par ailleurs, Carnot connaissait le pédagogue Louis Bocquillon, dit Wilhem (1781-1832) depuis dix ans. Il entrevit aussi la possibilité d’introduire, par lui, le chant dans les écoles, et tous deux visitèrent ensemble celle de la rue Jean-de-Beauvais, ouverte à Paris à trois cents enfants. De son côté, Wilhem créa le mouvement musical de masse des « orphéons ».

11. Hippolyte Carnot reprend le flambeau de son père Lazare

Lazare, un esprit scientifique de haut vol, a des idées bien arrêtées sur l’éducation qui forgeront la personnalité de ses fils, notamment celle d’Hippolyte, le futur ministre de l’Instruction publique de la seconde République. Pour les deux Carnot,

« toutes les institutions sociales doivent avoir pour but l’amélioration sous le rapport physique, intellectuel et moral de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre. »

Plus que des « têtes bien pleines », il aspirait à faire de ses fils des « têtes bien faites », et de « nous faire connaître la saveur des bonnes choses plutôt que nous rendre infaillibles sur le sens des mots », selon les mots de son cadet. Pour Lazare, il s’agit de mettre à l’épreuve en famille les principes éducatifs qu’il prône pour la nation.

Bien que peu féru de langues mortes et plus attiré par les langues vivantes, Lazare initie ses enfants au latin, redevenu langue obligatoire dans les lycées impériaux créés en mai 1802. Pour le reste, si la riche bibliothèque paternelle permet à Sadi Carnot et à son frère Hippolyte de se familiariser avec les classiques indispensables à la culture humaniste qui fonde l’enseignement secondaire, elle les initie à d’autres penseurs plus contemporains et novateurs.

Parmi eux, Hippolyte s’intéresse à ceux qui se penchent sur les questions éducatives comme Rousseau, mais aussi à des philosophes plus originaux comme Saint-Simon dont son père disait :

« Voilà un homme que l’on traite d’extravagant, or il a dit plus de choses sensées dans toute sa vie que les sages qui le raillent […]. Mais c’est un esprit très original, très hardi dont les idées méritent de fixer l’attention des philosophes et des hommes d’État. »

Évoquant son père, Hippolyte dira plus tard :

« Les leçons que nous recevions avaient toutes pour objet de nous rendre, comme le maître qui les donnait, vertueux sans effort, sages sans système. »

Lazare Carnot fait entrer Hippolyte à l’institution polytechnique, 8 avenue de Neuilly. D’après Dalisson,

« le jeune Carnot y reçoit une éducation spartiate où, si la discipline n’exclut pas les châtiments corporels sous la férule ‘d’Inspecteurs généraux’, la pédagogie est novatrice. Les élèves sont répartis dans des classes selon leur âge et l’enseignement allie éducation intellectuelle et physique à travers des programmes qui complètent l’éducation paternelle. Hippolyte se perfectionne ainsi en lecture, en langues, anciennes et vivantes, en littérature, en mathématiques, en physique et géométrie, goûte à la chronologie, à l’histoire, au dessin, à la musique, à l’escrime et à la danse, se révélant en tout point un excellent élève ».

12. Exil de Lazare Carnot (1816)

Après la seconde abdication de Napoléon, Lazare Carnot fait partie du gouvernement provisoire. Exilé au moment de la Restauration, il est banni comme régicide en 1816 et se retire à Varsovie, puis à Magdebourg, où il consacrera le reste de ses jours à l’étude et surtout à l’éducation de ses enfants.

Dalisson : « quand il ne va pas en cours, il (Hippolyte) sert de secrétaire à son père qui continue son éducation ». A Magdebourg, « l’une des consolations de Carnot était de compléter l’éducation de son jeune fils, dont il dirigeait plus spécialement les études vers les questions historiques et l’économie sociale ». C’est donc en Prusse qu’Hippolyte trouve sa voie, abandonne les sciences « dures » pour se consacrer à la philosophie en général et à la philosophie politique et sociale en particulier. Là-bas, l’éducation a un statut privilégié depuis que Frédéric II a rendu l’enseignement primaire obligatoire en 1763, envisagé une forme de gratuité (pour les familles pauvres) et créé des gymnases pour le Secondaire. De quoi inciter Carnot père et fils à imaginer comment la France peut rattraper son retard.

Mieux encore, comme le précise Dalisson :

« la Prusse reste un royaume qui, comme la France quelques années plus tôt, a procédé à une levée en masse en 1813 pour chasser l’envahisseur. Le lien entre instruction populaire et sentiment national, entre éducation et économie, entre libéralisme et éducation nationale s’impose et rejoint les idéaux éducatifs de la famille Carnot. C’est pourquoi, à la demande du gouvernement, Lazare bâtit un projet éducatif en créant une ‘école professionnelle’ dans ce lointain pays d’accueil. Aidé d’Hippolyte il met sur pied un système complet d’enseignement pour l’agriculture et l’industrie. Si nous n’avons pas trace du texte, il influença sans doute le jeune homme pour ses années parisiennes et libérales autant que pour son futur ministère ».

13. Hippolyte avec l’abbé Grégoire

L’abbé Henri Grégoire, évêque de Blois.

De retour en France, Hippolyte se met en rapport avec les anciens amis de son père, notamment l’abbé Grégoire. Figure emblématique de la lutte pour l’émancipation des juifs et des noirs, cet « évêque révolutionnaire » réclame l’abolition totale des privilèges et prône le suffrage universel masculin.

Sur le principe, Hippolyte approuve. Cependant, dans la pratique, après avoir constaté l’engouement du peuple pour les exécutions publiques, il découvre avec quelle facilité on peut mener, voire manipuler une foule en jouant sur l’irrationnel, sur la passion et les pulsions, toutes choses qui rendent délicat l’usage du suffrage universel et peuvent mener à la dictature. Il en conclut que l’instruction populaire doit éclairer le peuple pour le faire revenir à des sentiments plus fraternels et raisonnables.

Pour l’abbé Grégoire, comme pour Carnot père et fils, l’esclavage doit être aboli, les nations doivent s’affranchir des Empires en recouvrant leur souveraineté et l’éducation doit affranchir les citoyens de l’ignorance, un ensemble de sujets merveilleusement réunis dans l’iconographie des bas-reliefs du socle de la statue de Gutenberg à Strasbourg, monument commémoratif réalisé par un ami aussi bien de l’abbé Grégoire que d’Hippolyte Carnot, et plus tard de Victor Hugo : le sculpteur David d’Angers.

Membre du Comité d’instruction publique, Grégoire réclame, comme le faisaient déjà avant lui les Oratoriens, la généralisation de la langue française et devient le rapporteur de la suppression des anciennes académies et de la création de l’Institut.

L’ouverture de toute une série ‘d’écoles spéciales’, tels l’Ecole polytechnique (1794) et l’Institut des langues orientales (1795), l’établissement du Musée du Louvre (1793), l’avant-projet de l’implantation d’une Bibliothèque nationale (1790), la création du Bureau des Longitudes (1795), le lancement des nouvelles unités de poids et mesures, système métrique et décimal, l’extension des écoles élémentaires à toutes les communes et l’un des fleurons de cette politique : la fondation du Conservatoire national des arts et métiers (1794) durent l’essentiel de leur mise en œuvre à l’énergie débordante de l’abbé Grégoire.

Il s’agit de transmettre des savoirs techniques à deux types de publics. D’un côté, des « grandes » écoles, tournées vers les nouvelles élites du pays, mettent en place un enseignement de haut niveau pour former savants et ingénieurs (École polytechnique, Ponts et chaussées, etc.) ou les futurs professeurs du nouveau système d’instruction publique avec l’École normale (1794) ; de l’autre, des écoles destinées à l’encadrement intermédiaire dans les manufactures, de bons ouvriers et chefs d’ateliers : c’est le cas des écoles d’arts et métiers, héritières de l’école professionnelle imaginée en 1780 à Liancourt (60) par le duc de la Rochefoucauld.

Sont également instaurées plusieurs grandes institutions qui existent encore aujourd’hui, parmi lesquelles, hors celles déjà nommées, le Muséum d’histoire naturelle (1793) au Jardin royal des plantes médicinales (1793) ou le musée des Monuments français (1795).

L’abbé Grégoire fait entrer le jeune Hippolyte dans la loge maçonnique dont il fait partie, Les Philadelphes. Inspiré par le combat de Grégoire, dont il sera l’exécuteur testamentaire et sur lequel il publiera une œuvre vers la fin de sa vie, Hippolyte, à peine âgé de 23 ans, publie « Gunima, nouvelle africaine du XVIIIe siècle » (1824) un conte philosophique relatant l’éducation morale du jeune Benjamin qui confronte ses préjugés et l’injustice du régime esclavagiste et de servitude des peuples dits hottentots du Cap aux principes des Lumières.

Étonnamment moderne, l’histoire relève le défi de la fraternité au moment où la France répondait aux revendications de reconnaissance d’Haïti.

Fidèle à la philosophie de l’abbé Grégoire, il proteste contre l’expulsion des juifs de Dresde où ils sont interdits de séjour. Indigné, il tente d’alerter l’opinion : depuis 1789 les juifs sont des citoyens français comme les autres. Il réaffirme sa foi dans la liberté des cultes qui a permis l’émancipation des juifs et s’écrie :

« Si l’on appelle juif celui que, dès le sein de sa mère, la société condamne au plus vil esclavage, qui végète sans droit dans sa patrie et sert de plastron aux insultes de la populace, à qui ses actions ne méritent rien (…) et que poursuivent sans relâche la honte et le mépris, alors je suis un juif et le serai toujours ».

14. Comme Friedrich Schiller, patriote et citoyen du monde

Extrait du livre de Dalisson :
« La position de Carnot est résumée lors d’une fête en hommage à la Révolution française, le 19 mars 1838, à Paris. Il porte un toast au nom de ‘la sainte égalité, de la solidarité entre tous les peuples et toutes les races d’hommes dans un esprit de fraternité’ à ‘l’abolition de l’esclavage, à la cessation de cet affreux scandale de l’humanité’.

« De ce jour, il collabore régulièrement avec Victor Schoelcher, journaliste, franc-maçon, proche des saint-simoniens et membre des mêmes sociétés que lui et qu’il retrouvera trois ans plus tard au gouvernement de la République, puis en exil. Schoelcher a été confronté à l’esclavage à Cuba dès 1828 et pense aussi que leur émancipation doit être progressive, avant de changer d’avis et de devenir partisan de l’abolition immédiate.

« La liberté doit aussi s’appliquer aux peuples et donc aux nations, car ‘le principe de toute souveraineté réside dans la nation’. Fils de 1789 éduqué pendant les luttes d’émancipations nationales, étudiant pétri de romantisme, passionné par les révoltes des années quinze et trente avant d’être happé par le ‘Printemps des peuples’, Carnot place sa confiance dans la liberté des nations : ‘Le salut viendra des peuples s’unissant pour venir à bout de l’ennemi commun, le despotisme.’ Si les nations et les peuples libérés arrivent à s’entendre et à s’unir, elles bâtiront même ‘l’Europe unie’.

« Il soutiendra tout au long du siècle tous les combats nationaux, et donc les unités nationales, contre les empires qui oppriment les minorités. Car la nationalité, ‘c’est le droit de l’homme proclamé en 1789, le droit de se grouper selon ses affinités de caractère, de tradition, de race, de langue, c’est au fond la LIBERTÉ même’. Il est donc acquis, y compris après la guerre de 1870, à une sorte de « ‘droit des peuples à disposer d’eux-mêmes’ dans une Europe fondée sur la liberté des peuples.

« Dans ses écrits sur la politique extérieure revient régulièrement la maxime de Friedrich Schiller : ‘L’homme est créé libre, il est libre, fut-il né dans des chaînes. (…) Devant l’homme libre, ne tremblez pas.’ Cette liberté des peuples et des nations doit même s’appuyer, horresco referens, sur la nécessaire réconciliation entre la France et l’Allemagne, deux peuples voisins que les vicissitudes de l’histoire ont séparés, mais qui sont « deux amis que de longues querelles ont divisés et qui ont besoin de s’expliquer’ ».

14. La Révolution de juillet 1830

Hippolyte Carnot, fusil à la main, sur les barricades, caricature de Cham.

La Révolution de 1830, dite aussi révolution de Juillet ou encore « Trois Glorieuses », se déroule à Paris du 27 au 29 juillet 1830.

Une partie des Parisiens se soulève contre la politique très réactionnaire du gouvernement du roi Charles X. Immédiatement se pose la question : « que mettre à la place du roi ? » Beaucoup comptaient restaurer la République.

Le 30 juillet les députés et les journalistes favorables au duc d’Orléans font placarder des affiches qui rappellent le passé « patriote » du duc, un ancien de Valmy qui se réclame des idées de George Washington, et de son engagement pour l’avenir : il sera « un roi-citoyen ». Sans condition les représentants du peuple (95 députés présents à Paris) proposent que le duc d’Orléans soit nommé Lieutenant-Général du royaume. Le 31 juillet ce dernier accepte le poste et se rend à l’Hôtel de Ville de Paris, le quartier général des républicains.

Lafayette appuyant le duc d’Orléans.

Là, devant la foule réunie, il reçoit l’accolade de La Fayette, tous les deux enroulés dans le drapeau tricolore. Lafayette estime qu’une transition graduelle vers une République passe forcément par une Monarchie constitutionnelle. Le 9 août, les députés modifient la Charte de 1814 qui devient « la charte » constitutionnelle de 1830 et le duc d’Orléans est proclamé « roi des Français » sous le nom de Louis-Philippe Ier.

Hippolyte Carnot, toujours dans la modération, croit fermement à la « démocratie représentative » et est élu trois fois député sous la Monarchie de 1830. Tribun de l’opposition au régime, il prépare la suite.

15. Ministre de l’Instruction publique sous la IIe République

Hippolyte Carnot.

Après une première tentative de rétablir des valeurs républicaines, neutralisée par le « coup d’Etat » de Louis-Philippe en 1830, les soulèvements de 1847-48 se terminent en février 1848 par la constitution, à l’Hôtel de Ville de Paris, du « Gouvernement provisoire » dirigé par plusieurs amis d’Hippolyte Carnot, instaurant la IIe République.

Les premières mesures du gouvernement provisoire se veulent en rupture avec la période précédente.

  • La peine de mort est abolie dans le domaine politique.
  • Les châtiments corporels sont supprimés le 12 mars et la contrainte par corps (prison pour dette) le 19 mars.
  • Le 4 mars une commission est mise en place pour résoudre le problème de l’esclavage dans les colonies françaises. Sous l’égide du ministre des Colonies, l’astronome républicain François Arago (1786-1853), ami intime d’Alexandre de Humboldt, et dont le secrétaire d’Etat s’appelle Victor Schoelcher, les travaux de cette commission permettent l’abolition de l’esclavage le 27 avril.

Dans le domaine politique, les changements sont importants.

  • La liberté de la presse et celle de réunion sont proclamées le 4 mars.
  • Le 5 mars le gouvernement institue le suffrage universel masculin, en remplacement du suffrage censitaire en vigueur depuis 1815. D’un coup le corps électoral passe de 250 000 à 9 millions d’électeurs… Cette mesure démocratique fait du monde rural, qui regroupe les trois quarts des habitants, le maître de la vie politique, et ce, pour de nombreuses décennies.
  • Des élections destinées à désigner les membres d’une assemblée constituante sont prévues pour le 9 avril. La Garde nationale que dirige Lafayette, jusque-là réservée aux notables, aux boutiquiers, est ouverte à tous les citoyens.

Le gouvernement provisoire proposa de nommer Hippolyte Carnot comme ministre de l’Intérieur ; il refusa, mais accepta celui de l’Instruction publique (que Victor Hugo venait de refuser), auquel on joignit les cultes, qui jusqu’alors avaient relevé du ministère de la Justice.

Si Carnot souhaite que les cultes soient réunis à l’instruction publique, c’est que non seulement il n’avait aucun sentiment d’hostilité à l’égard de l’Eglise, mais il croyait voir dans une étroite alliance de la République et du clergé la meilleure garantie du progrès.

« J’ai moi-même, a-t-il écrit, le sentiment religieux trop profondément gravé au cœur pour ne pas être et pour ne pas vouloir que l’on soit autour de moi plein de déférence à l’égard des ministres de toutes les religions. »

Et encore : « Mes efforts constants ont eu pour but de rattacher le clergé inférieur à la République. Le ministre de la religion et le maître d’école sont à mes yeux les colonnes sur lesquelles doit s’appuyer l’édifice républicain. »

16. Les réformes d’Hippolyte Carnot

Carte de l’alphabétisation en France en 1867.
En s’appuyant sur le degré d’instruction des Français à l’âge du mariage, cette carte met en
évidence une grande disparité entre les régions. Ainsi, le taux d’alphabétisation des
habitants du nord et de l’est est-il nettement supérieur à celui des habitants du sud et de
l’ouest. La France alphabétisée est celle des grandes villes, des campagnes riches et des
populations denses.

Pendant son ministère très court, muni d’une vision d’ensemble longuement mûrie et préparée d’avance, il annoncera, parfois plusieurs fois par semaine, des réformes républicaines de tous les grands chantiers de l’éducation, de la première enfance jusqu’aux adultes en passant par la formation des enseignants, des grands commis de l’État et de l’ensemble des citoyens. En déclarant dans ses notes préparatoires qu’il « importe que les divers degrés du système d’enseignement s’intègrent les uns dans les autres, conduisant directement de l’un à l’autre ».

A. Ecoles maternelles

Pour Carnot, les « salles d’asile » ne sont guère que des établissements charitables dirigées par les religieuses. On y fait peu pour l’éducation de la première enfance. Leur nom qui rappelle des idées de misère et d’aumône est remplacé le 28 avril par celui « d’école maternelle ».

« L’enfant doit y trouver l’éducation qu’il ne peut recevoir de sa mère, c’est-à-dire les soins du corps, le langage du sentiment, et ces petits exercices destinés, non pas encore à meubler l’intelligence, mais seulement à l’entrouvrir ».

Dans l’esprit de Jean Reynaud (1806-1863) (sous-secrétaire d’État à l’Instruction publique) et de Carnot, la salle d’asile n’est ni une école d’instruction, ni un lieu de refuge pour des enfants privés de leurs parents. A Paris est créée simultanément une « Ecole maternelle normale », recevant des élèves âgés de vingt à quarante ans.

B. Ecole primaire

Tout est dit: « Le peuple qui a les meilleurs écoles est le premier peuple, s’il ne l’est pas aujourd’hui, il le sera demain. »

Dès le 27 février, dans une circulaire aux recteurs, Carnot marquait l’intention d’améliorer la condition du personnel enseignant primaire :

« La condition des instituteurs primaires est un des objets principaux de ma sollicitude… C’est à eux que sont confiées les bases de l’éducation nationale. Il n’importe pas seulement d’élever leur condition par une juste augmentation de leurs appointements ; il faut que la dignité de leur fonction soit rehaussée de toute manière… Il faut qu’au lieu de s’en tenir à l’instruction qu’ils ont reçue dans les écoles normales primaires, ils soient constamment sollicités à l’accroître… Rien n’empêche que ceux qui en seront capables ne s’élèvent jusqu’aux plus hautes sommités de notre hiérarchie. Leur sort quant à l’avancement ne saurait être inférieur à celui des soldats ; leur mérite a droit aussi de conquérir des grades… Mais, pour que tous soient animés dans une voie d’émulation si glorieuse, il est nécessaire que des positions intermédiaires leur soient assurées. Elles le feront naturellement par l’extension que doit recevoir dans les écoles primaires supérieures l’enseignement des mathématiques, de la physique, de l’histoire naturelle, de l’agriculture. Les instituteurs primaires seront donc invités, au nom de la République, à se préparer à servir au recrutement du personnel de ces écoles. Tel est un des compléments de l’établissement des écoles normales primaires. L’intérêt de la République est que les portes de la hiérarchie universitaire soient ouvertes aussi largement que possible devant ces magistrats populaires. »

Le ministre s’attaque donc le 30 juin à l’enseignement primaire. Avant lui, l’ordonnance du 29 février 1816 avait marqué un tournant. Elle établissait un comité cantonal chargé de la surveillance des écoles et obligeait, dans son article 14, les communes, sans leur en donner les moyens, à « pourvoir à ce que les enfants qui l’habitent reçoivent l’instruction primaire, et à ce que les enfants indigents la reçoivent gratuitement », celles-ci pouvant se regrouper pour remplir cette obligation. En clair, l’éducation primaire était complètement laissée aux communes qui à leur tour, faute de locaux et de moyens, faisaient appel aux congrégations religieuses.

Le ministre propose donc « d’élever la condition des instituteurs en les transformant, de fonctionnaires des communes en fonctionnaires d’État » pour les émanciper des potentats locaux, des parents et des religieux. Car,

« il faut certes que l’instituteur soit accepté dans sa commune, mais s’il en dépend trop, il n’est pas assez considéré. Il importe donc qu’il ne puisse point être destitué capricieusement ».

Dans cette optique, il supprime le « certificat de moralité » qui inféodait les instituteurs à l’Église et, accessoirement, au pouvoir.

A côté de l’obligation scolaire (pour les deux sexes et pour les communes de 300 habitants au moins) et la gratuité totale déjà évoquées, il veut compléter les programmes pour former un « tronc uniforme (…) destiné à tout passer en revue pour servir à déterminer les vocations » qui préfigure l’école de Jules Ferry et va plus loin que les seuls lire, écrire et compter.

Outre l’histoire et la géographie nationales, deux des marottes de Carnot, le chant, l’histoire naturelle, la musique et le dessin linéaire, deux matières destinées à épanouir et instruire, on trouve plusieurs spécificités dans les nouveaux textes. La première, qui sera reprise trente ans plus tard, est une sorte d’instruction civique que le ministre qualifie de

« devoirs et droits de l’homme et du citoyen, le développement des sentiments de liberté, d’égalité et de fraternité (…), bases d’un enseignement civique pour l’éducation républicaine du pays ».

Hippolyte avait été élu le 23 avril 1848 membre de l’Assemblée constituante. Lorsque, le 10 mai 1848, la « Commission exécutive » (du 9 mai au 28 juin 1848) remplace le « Gouvernement provisoire » (24 février – 9 mai 1848), il conserve son portefeuille ; mais l’exécutif, « afin de renforcer l’élément révolutionnaire », lui adjoignit Jean Reynaud (1806-1863), comme lui un ancien saint-simonien élu aussi représentant, comme sous-secrétaire d’Etat : « Je connaissais la modération réelle de ses principes, écrit Carnot ; il connaissait la fermeté des miens ; nous rîmes ensemble du rôle qu’on prétendait lui assigner ».

Edouard Charton (1807-1890), également un ancien saint-simonien, devenu lui aussi membre de l’Assemblée, donna sa démission de secrétaire général ; mais il continua ses bons offices sans titre officiel.

Parmi les actes de Carnot dans cette seconde période de son ministère, il faut mentionner le dépôt, le 3 juin, d’un projet de décret ouvrant un crédit de 995 000 francs, destiné à augmenter, pour le second semestre de 1848, le traitement de ceux des instituteurs primaires dont le traitement fixe et éventuel demeurait inférieur à six cents francs ; et un second crédit, de 105 000 francs, destiné à secourir, dans le courant de 1848, les institutrices communales dont les traitements fixe et éventuel demeuraient inférieurs à quatre cents francs (le décret fut voté le 7 juillet).

C. Exposé des motifs de la loi de juin 1848 sur l’École

La rédaction de la loi d’instruction primaire se poursuivait en petit comité, chargé de coordonner les travaux préparés par la Haute Commission. Elle fut achevée dans le courant de juin ; mais le dépôt du projet, retardé par les événements, ne put avoir lieu que le 30 juin. L’exposé des motifs s’exprime ainsi :

« Citoyens représentants, la différence entre la République et la monarchie ne doit se témoigner nulle part plus profondément, dans le domaine de l’instruction publique, qu’en ce qui touche les écoles primaires. Puisque la libre volonté des citoyens doit désormais imprimer au pays sa direction, c’est de la bonne préparation de cette volonté que dépendront à l’avenir le salut et le bonheur de la France.

« Le but de l’instruction primaire est ainsi nettement déterminé. Il ne s’agit plus seulement de mettre les enfants en mesure de recevoir les notions de la lecture, de l’écriture et de la grammaire ; le devoir de l’Etat est de veiller à ce que tous soient élevés de manière à devenir véritablement dignes de ce grand nom de citoyen qui les attend. L’enseignement primaire doit, par conséquent, renfermer tout ce qui est nécessaire au développement de l’homme et du citoyen, tel que les conditions actuelles de la civilisation française permettent de le concevoir. En même temps qu’il faut introduire dans cet enseignement une plus grande somme de connaissances, il faut aussi le faire concourir plus directement à l’éducation morale, et particulièrement à la consécration du grand principe de la fraternité que nous avons inscrit sur nos drapeaux et qu’il est indispensable de faire pénétrer et vivre partout dans les cœurs pour qu’il soit véritablement immortel.
C’est là, citoyens, que l’enseignement primaire vient se joindre à l’enseignement religieux, qui n’est pas du ressort des écoles, mais auquel nous faisons un appel sincère, à quelque culte qu’il se rapporte, parce qu’il n’y a point de base plus solide et plus générale à l’amour des hommes que celle qui se déduit de l’amour de Dieu.

« L’établissement de la République, en donnant à l’enseignement primaire cette tendance nouvelle, commandait aussi, comme conséquences naturelles, deux mesures importantes, qui sont de rendre cet enseignement gratuit et obligatoire.


Nous le voulons obligatoire, parce qu’aucun citoyen ne saurait être dispensé, sans dommage pour l’intérêt public, d’une culture intellectuelle reconnue nécessaire au bon exercice de sa participation personnelle à la souveraineté.

Nous le voulons gratuit, par là même que nous le voulons obligatoire, et parce que sur les bancs des écoles de la République il ne doit pas exister de distinctions entre les enfants des riches et ceux des pauvres.

Nous vous demandons de proclamer la liberté de l’enseignement, c’est-à-dire le droit de tout citoyen de communiquer aux autres ce qu’il sait, et le droit du père de famille de faire élever ses enfants par l’instituteur qui lui convient. Nous considérons la déclaration de ce droit comme une des applications légitimes et sincères de la parole de liberté que notre République a jetée au monde avec enthousiasme, (…) Il nous a même semblé que ce ne serait pas un des moindres moyens de relever les écoles publiques que de laisser un plein essor aux écoles privées, à condition que dans cette carrière d’émulation il ne manquât aux premières aucune chance favorable (…) En un mot, citoyens, l’idée d’après laquelle nous nous sommes dirigés a été l’union continuelle du principe de l’autorité avec celui de la liberté. (…) C’est dans cette conciliation entre deux principes également respectables que consiste tout l’esprit de la loi que nous avons l’honneur de vous soumettre. »

Source : Hippolyte Carnot, Bulletin des lois, 1848.

D. Appel aux instituteurs pour éclairer le monde rural

Même lors du plébiscite du 8 mai 1870, le vote en faveur de Napoléon III est écrasant : 7 358 000  » oui  » contre 1 538 000  » non « , grâce notamment au vote rural dépourvu d’éducation de base. Caricature de Cham dans Le Charivari du 18 mai 1870.

Le 5 mars, un décret fixa au 9 avril la convocation des assemblées électorales pour la nomination, par le suffrage universel, de « l’Assemblée constituante » qui siégera du 4 au 26 mai. Ce sont les premières élections depuis 1792 à se dérouler au suffrage universel masculin. Par décision de la IIe République, le nombre d’électeurs qui passe à 9 395 035, a été multiplié par 40 !

Or, comme nous l’avons dit, si Hippolyte Carnot est en théorie pour le suffrage universel, avec une grande majorité de Français non-éduqués, l’expression du vote risque de conduire au désastre.

Aucune partie de l’instruction primaire, écrit-il, « n’a été plus négligée, sous les précédents gouvernements, que la formation des enfants comme citoyens ». Dès lors, beaucoup des électeurs que le décret du gouvernement provisoire vient d’investir du droit de suffrage ne sont-ils pas, surtout dans les campagnes, suffisamment instruits des intérêts de la chose publique.

Pour tenter d’éclairer ces électeurs sur leurs droits et libertés, Carnot fait appel aux instituteurs :

« Excitez autour de vous les esprits capables d’une telle tâche à composer en vue de vos instituteurs de courts manuels, par demandes et par réponses, sur les droits et les devoirs des citoyens. Veillez à ce que ces livres parviennent aux instituteurs de votre ressort, et qu’ils deviennent entre leurs mains le texte de leçons profitables.

« C’est ce qui va se faire à Paris sous mes yeux ; imitez-le. Que nos 36 000 instituteurs primaires se lèvent donc à mon appel pour se faire immédiatement les réparateurs de l’instruction publique devant la population des campagnes. Puisse ma voix les toucher jusque dans nos derniers villages ! Je les prie de contribuer pour leur part à fonder la République. Il ne s’agit pas, comme du temps de nos pères, de la défendre contre le danger de ses frontières, il faut la défendre contre l’ignorance et le mensonge, et c’est à eux qu’appartient cette tâche. Des hommes nouveaux, voilà ce que réclame la France. Une révolution ne doit pas seulement renouveler les institutions, il faut qu’elle renouvelle les hommes. On change d’outil quand on change d’ouvrage. C’est un principe capital de politique. »

« Mais les instituteurs ne doivent pas seulement, en éclairant les électeurs, leur enseigner à choisir les représentants les plus capables de consolider le régime démocratique ; ils peuvent faire davantage : « Pourquoi nos instituteurs primaires ne se présenteraient-ils pas, non seulement pour enseigner ce principe, mais pour prendre place eux-mêmes parmi ces hommes nouveaux ? Il en est, je n’en doute pas, qui en sont dignes : qu’une ambition généreuse s’allume en eux ; qu’ils oublient l’obscurité de leur condition ; elle était des plus humbles sous la monarchie ; elle devient, sous la République, des plus honorables et des plus respectées (…) Qu’ils viennent parmi nous, au nom de ces populations rurales dans le sein desquelles ils sont nés, dont ils savent les souffrances, dont ils ne partagent que trop la misère. Qu’ils expriment au sein de la législature les besoins, les vœux, les espérances de cet élément de la nation si capital et si longtemps délaissé. Tel est le service nouveau que, dans ce temps révolutionnaire, je réclame du zèle de Messieurs les instituteurs primaires. »

C’étaient là des paroles comme la France n’en avait pas entendu depuis l’an II. Elles causèrent une émotion profonde ; elles mirent la flamme au cœur de tout ce qu’il y avait de jeune et de généreux dans le personnel enseignant primaire, en même temps qu’elles produisaient dans le camp des conservateurs la plus vive irritation. Furibard, Léon Faucher écrivait, le 7 mars, à un ami : « Lisez la circulaire de Carnot aux recteurs. C’est le chef-d’œuvre de la folie ! »

L’appel du ministre pour la composition de manuels sur les droits et les devoirs du citoyen fut entendu. Dans plusieurs académies, les recteurs firent rédiger et publier des catéchismes d’enseignement civique.

A Paris, l’historien Henri Martin fit paraître un Manuel de l’instituteur pour les élections ; le philosophe Charles Renouvier publia, sous les auspices du ministre, un Manuel républicain de l’homme et du citoyen : ces deux ouvrages furent envoyés d’office aux recteurs, et distribués par leurs soins.

Au niveau électoral, leurs efforts ne furent pas couronnés de succès. Les élections qui auront finalement lieu le 23 avril donnent une majorité aux modérés (« monarchistes camouflés » et « républicains modérés »).

Les républicains « avancés », dont Carnot fait partie, sont nettement battus. La nouvelle assemblée se réunit le 4 mai. Elle proclame la République et met fin à l’existence du gouvernement provisoire. Elle élit une « Commission exécutive » dont sont exclus les éléments les plus progressistes du gouvernement provisoire.

E. Enseignement secondaire

Le 28 février 1848, une circulaire exposa, dans ses grandes lignes, le programme du ministre et de ses collaborateurs ; elle « déroule les principes généraux de notre entreprise », dit Carnot. On y lisait :

« Il est nécessaire, dans l’intérêt de la société, qu’un certain nombre de citoyens reçoive des connaissances plus étendues que celles qui suffisent pour assurer le développement de l’homme. C’est à quoi répondra l’établissement de l’instruction secondaire. Le gouvernement républicain se propose de recruter ces agents si essentiels dans la masse du peuple. Il faut donc veiller à ce que les portes de l’instruction secondaire ne soient fermées à aucun des élèves d’élite qui se produisent dans les établissements primaires.

« Toutes les mesures nécessaires à cet égard seront prises. — C’est dans les écoles supérieures seulement que le principe de la spécialité, prudemment préparé dans les autres, doit se dessiner tout à fait. L’accès aux leçons de ces écoles ne peut être défendu à personne ; mais c’est en vue des élèves dignes de servir aux intérêts généraux qu’elles doivent être instituées. Il n’y a que la décision des examens qui puisse y conférer tous les droits. »

F. Une Ecole d’administration

Un décret du 8 mars 1848 annonce qu’une :

« Ecole d’administration, destinée au recrutement des diverses branches d’administration dépourvues jusqu’à présent d’écoles préparatoires, sera établie sur des bases analogues à celles de l’Ecole polytechnique ».

Pour Carnot, il s’agit de créer un foyer capable de « rayonner » sur toute la France « la lumière républicaine », en promouvant les valeurs philosophiques des droits de l’homme. Ce n’est pas au privé mais bien à l’État d’établir « une pépinière pour les services publics » en formant des administrateurs dévoués corps et âme à l’intérêt général.

Faute de subventions suffisantes, l’école est installée dans un bâtiment délabré, l’ancien Collège du Plessis (rue Saint-Jean-de-Beauvais, c’est-à-dire là où son père avait fait installer la l’école pilote pour l’enseignement mutuel !), et le ministère apportera les chaises ; les élèves furent tenus de suivre les cours du Collège de France, répétés ensuite et commentés par des maîtres de conférences. Les programmes sont éclectiques : à côté de l’enseignement professionnel, une « large part est faite aux études scientifiques, mais aussi littéraires qui meublent l’intelligence et lui donnent de l’ampleur ».

Contrairement à l’ENA de nos jours, on y enseigne non pas le « management » et la statistique, mais l’architecture, le dessin, l’histoire de l’art et les religions orientales. Prise dans les turbulences politiques, cette école ne survécut pas au ministre qui l’avait fondée mais fera date.

G. Haute Commission des études scientifiques et littéraires

En vue de la préparation d’une nouvelle loi sur l’instruction primaire, et de la recherche des solutions à apporter aux questions nouvelles qui surgissaient, Carnot institua une Haute Commission des études scientifiques et littéraires, dont la présidence fut donnée à Jean Reynaud, et où il fit entrer « les hommes les plus notables et les plus amis du progrès dans les sciences, dans les lettres, dans l’administration, et surtout dans l’enseignement ».

Parmi les noms des 45 membres de cette Commission, notons ceux du chansonnier Pierre-Jean de Béranger, de Boussingault, d’Henri Martin, de Poncelet, d’Edgar Quinet et de Charles Renouvier.

H. Education pour tous, tout au long de la vie

École publique du soir pour adultes.

Sur le plan de l’instruction, en 1848, la situation reste désastreuse. Sur 300 000 conscrits, plus de 112 000 ne savent ni lire, ni écrire. Si l’on prend les plus âgés, la proportion est encore supérieure à ce tiers. D’où l’arrêté du 8 juin, qui institua à Paris des lectures publiques du soir, « destinées à populariser la connaissance des chefs-d’œuvre de notre littérature nationale ». Elles devaient avoir lieu deux fois par semaine, « dans différents locaux situés, autant que possible, au sein des quartiers les plus populeux de Paris ».

Les paysans, soit les deux tiers de la population, qui ne bénéficient d’aucune structure associative et sont éloignés des villes et des écoles, sont la cible prioritaire du ministre. Ce sont eux qu’il faut prioritairement convertir par la lecture, clé de l’instruction et de l’émancipation, et mener jusqu’aux maisons d’école :

« Les maîtres, devenus bibliothécaires leur feront la lecture, à haute et intelligible voix, pourront les instruire, les intéresser et (…) les passionner pour la vie politique du pays. Les enseignants en l’état de leurs disponibilités prodigueront des enseignements généraux pour l’état agricole et des lectures à la maison d’école ou à la mairie, pour l’instruction civique et même la littérature. »

I. Bibliothèques « circulantes »

Bibliothèque en 1876.

En partant du constat que « nous manquons de livres de lecture pour le peuple comme il y en a ailleurs », le ministre met sur pied un vaste réseau public de bibliothèques communales de toutes tailles. Il charge l’éditeur Paulin de rassembler des collections de livres les plus variés possible dans chaque quartier des villes et chaque canton rural pour les mettre gratuitement à la disposition du peuple. Il crée également toute une gamme d’établissements complémentaires comme les bibliothèques spéciales près des facultés pour mettre le savoir le plus savant à la disposition du plus grand nombre. Sur une idée de Jules Simon, il entend créer des bibliothèques populaires et rurales qu’il rebaptise « collections circulantes » avec des enseignants qui « parcourraient les petits villages et porteraient aux enfants isolés l’instruction qu’ils ne pourraient trouver ailleurs ». Les « bibliothécaires missionnaires » de ces établissements itinérants seront des « instituteurs conservateurs de la petite bibliothèque populaire », qui guideront le public, contrôleront les prêts et pourront lire à la demande.

C’est dans cette optique bibliophile qu’il faut replacer la création, au printemps 1848, d’un Service officiel des lectures publiques du soir. L’objectif est toujours le même : donner le meilleur au peuple. C’est ce qu’explique Émile Deschanel : « Le ministre de la République voulut que le peuple souverain eût, lui aussi, ses lecteurs et professeurs. » Ce service, aussi politique que moral, rappelle les séances organisées par les philanthropes ou les saint-simoniens, censées remplacer les cabarets et les bals trop arrosés. Elles permettront à l’ouvrier (et plus tard au paysan) fatigué « du labeur quotidien de trouver un asile commode, un plaisir qui porterait avec lui l’instruction, de bons conseils et la familiarité des grands esprits de notre race ».

Il s’agit de vulgariser les textes patrimoniaux et, si besoin, de les commenter pour « instruire noblement les auditeurs en les amusant », raconte l’ancien saint-simonien Sainte-Beuve. Le programme de ces lectures doit donc être varié pour ne point lasser. Les grands classiques comme Corneille et Molière alternent avec l’Histoire à la Michelet qui a une fonction civique évidente, et des comédies ou des chansons comme celles de Béranger.

Les premières séances parisiennes devant des ouvriers et des artisans pleins de respects sont un succès « dans un silence attentif où les moindres impressions se peignent sur les visages ». Le ministre relève des réactions amusées aux comédies, patriotes à l’évocation des grandes batailles comme Crécy, critiques devant un style ampoulé et déroutées devant les Fables de la Fontaine. Dans cette logique le ministère envisage la création d’une Athénée libre sur les modèles allemand et américain. Il s’agit de réunir quelques professeurs dans un amphithéâtre ou dans d’anciennes salles de spectacles pour donner un enseignement libre et gratuit, ouvert à tous et délivré par « des pionniers dans des domaines encore inexplorés » des sciences et des techniques.

J. Beaux-Arts, hygiène et gymnastique au programme

Dans l’enseignement, outre des « éléments d’histoire et de géographie nationale », il ajoute le français, le droit public et l’hygiène, sans oublier la gymnastique pour améliorer la santé des plus démunis. Il s’agit là de la version pour adulte de ce que l’école nouvelle et l’instruction républicaine proposeront à tous les enfants de France. Ces cours doivent même mettre l’art à la portée de tous à travers la promotion du patrimoine : « Existe-t-il moyen plus puissant d’éducation populaire ? », dit-il en parlant de l’art en général et des Beaux-Arts en particulier.

Concrètement, le 29 mars, le ministre fonde avec treize professeurs l’Association Philotechnique destinée à donner aux ouvriers les connaissances professionnelles et techniques nécessaires aux métiers modernes.

L’Association s’accorde sur des cours de géométrie, de grammaire, d’algèbre, de mécanique et de dessin délivrés dans les salles de la Halle aux draps, puis à l’école Turgot. Les professeurs de lycées parisiens sont les premiers sollicités par l’Association pour compléter la formation en Histoire et en Droit.

L’expérience démarre début avril avec 150 ouvriers teinturiers du faubourg Saint-Marcel qui s’initient aux connaissances scientifiques dans l’amphithéâtre de l’Ecole de pharmacie. Rapidement, cet enseignement professionnel s’étend en province, comme à Orléans, avant de disparaître dans le tumulte de Juin.

Carnot veut aller plus loin et songe à des « clubs-écoles » sur le modèle écossais des « Mécanic-institutions », c’est-à-dire des salles de conférences, des bibliothèques et des cours permanents pour les ouvriers dans des bâtiments jouxtant les usines. Tenu au courant des travaux de Braille, il s’intéresse aussi aux sourds et aux aveugles, pour lesquels il compte multiplier les institutions spécialisées dépendant de son ministère, et non plus de l’Intérieur.

K. Concorde citoyenne

Pour couronner cette démocratisation, Carnot songe à l’une des méthodes les plus originales de la Révolution : la pédagogie civique par les fêtes publiques.

Fin février, il a déjà expérimenté leurs vertus citoyennes en participant à la plantation d’un arbre de la Liberté, pratique rituelle en 1848, dans les jardins de Saint-Nicolas à Paris. Dans cet établissement spécialisé dans l’éducation des enfants d’ouvriers, la cérémonie est placée sous le signe des Trois Couleurs. Le clergé bénit l’arbre comme le veut l’usage, en présence du maire de l’arrondissement. Le discours du ministre est édifiant : « L’arbre que vous plantez est jeune comme la République elle-même (…) Il étendra sur vous ses rameaux, de même que la République étendra sur la France les bienfaits de l’Instruction populaire. (…) Les bons écoliers deviennent les bons citoyens. »

Le ministre de l’Instruction a été aussi impressionné par la « Fête de la concorde » du 21 mars, entre la Bastille et le Champ de Mars, avec ses défilés, sa statuaire civique, ses revues d’œuvres industrielles, ses hymnes à la République et son enthousiasme réformateur. Cette pédagogie civique lui a semblé efficace grâce à sa représentation symbolique du régime et sa « foule d’hommes obéissant à une inspiration commune ».

17. Conclusion

Face à Carnot, la riposte de l’oligarchie est foudroyante. Figure du « parti de l’ordre », Adolphe Thiers, en 1848, n’hésite pas à déclarer : « Je demande que l’action du curé soit forte, beaucoup plus forte qu’elle ne l’est, parce que je compte beaucoup sur lui pour propager cette bonne philosophie qui apprend à l’homme qu’il est ici pour souffrir. »

Dès le 10 décembre 1848, date de l’élection de Louis Napoléon Bonaparte à la présidence de la République, le pouvoir s’appuie sur des forces issues du clergé et d’une droite rétrograde.

Cédant aux congrégations, il fait voter deux lois hypothéquant fortement et durablement les chances de réussite de l’école publique: la loi Parieu du 11 janvier 1850 et la loi Falloux du 15 mars 1850.

La première poursuit les enseignants restés fidèles à l’esprit de Carnot (4000 instituteurs seront révoqués). La seconde accentue les prérogatives de l’Eglise en matière d’enseignement et favorise le développement de l’enseignement congrégationiste.

En guise de conclusion, voici celle de Rémi Dalisson dont nous recommandons fortement la magnifique biographie sur Hippolyte Carnot :

« Sa pratique, ce sont ses textes législatifs sur l’instruction, y compris les programmes scolaires, aussi variés que novateurs, comme ceux de son École d’administration ou de ‘l’école maternelle’. Ils font de Carnot l’incontestable précurseur de Jules Ferry et du projet éducatif et civique de la Troisième République. Ses lois et décrets veulent (…) émanciper les enfants et en faire des citoyens actifs et critiques dans une démocratie apaisée, modérée et socialement fluide, sous l’égide d’instituteurs restaurés, symboles des temps nouveaux.

« Sa pratique, ce sont ses combats et ses engagements, et d’abord dans l’opposition à laquelle il appartient longtemps. Retenons ses écrits précoces contre la peine de mort, sa participation aux événements de 1830, son rôle en 1848 à l’Assemblée, son combat pour les instituteurs pour lesquels il se dépense sans compter et son exil volontaire. (…)

« Dans un siècle écrasé par le souvenir de deux guerres mondiales, par l’effacement de la République sous Vichy puis par la décolonisation et la chute du communisme, l’oubli de 1848 et de ses espoirs sociaux et éducatifs en dit long sur nos structures mentales et notre mémoire. Cette sorte d’amnésie, qui n’empêche d’ailleurs pas la sacralisation, souvent anachronique, du corpus républicain, a fait tomber Hippolyte Carnot et l’ensemble du XIXe siècle dans un bien triste oubli. La période n’évoque plus grand-chose, hormis quelques coups de projecteurs ponctuels. Elle est même à présent sacrifiée dans l’enseignement, comme si seul le XXe siècle était digne d’étude.

« A l’heure où le modèle scolaire français est remis en cause, où l’école républicaine doute de ses missions, où la laïcité est elle aussi discutée et où les enseignants se sentent abandonnés, il est plus que jamais nécessaire de connaître les racines d’un système éducatif intimement lié au régime républicain. Pour cela, à l’aube du XXIe siècle, la réévaluation de la vie et de l’œuvre d’Hippolyte Carnot, défenseur acharné de la liberté, de l’école, de Clio et de la République peut poser les bases d’une réflexion renouvelée et civique sur la chose scolaire ».

18. Annexe


Liste de principaux ouvrages d’Hippolyte Carnot:

  • Gunima, nouvelle africaine du XVIIIe siècle, (Paris, Barba, 1824).
  • Le Gymnase, recueil de morale et de littérature (Paris, Balzac, 1828).
  • Doctrine de Saint-Simon (Bruxelles, Hauman, 1831).
  • Mémoires de Grégoire, Évêque constitutionnel de Blois (Paris, Dupont, 6 vol., 1837-1845).
  • Quelques réflexions sur la domesticité (Paris, Henry, 1838).
  • Rapport sur la législation qui règle dans quelques états d’Allemagne les conditions de travail des jeunes ouvriers (Paris, Imp. Royale, 1840).
  • Mémoires de Barère de Vieuzac (Paris, Labitte, 4 volumes, 1842-1844).
  • L’Allemagne avant l’invasion française (Fragments, Paris, Revue indépendante, 1842).
  • L’Allemagne pendant la Révolution (Fragments, Paris, Revue indépendante, 1843).
  • Les Esclaves noirs (Paris, Magasin pittoresque, 1844).
  • De l’esclavage colonial (Paris, Revue indépendante, 1845).
  • Les Radicaux et la Charte, (Paris, Pagnerre, 1847).
  • Le Ministère de l’Instruction Publique et des Cultes, 24 février-5 juillet 1848 (Paris, Pagnerre, 1848).
  • Éducation républicaine, (Paris, Prost, 2 vol, 1849).
  • L’insurrection littéraire en Allemagne (Fragments, Paris, Liberté de penser, 1848).
  • Le Mémorial de 1848, (Paris, Revue indépendante, n.p. 1849).
  • Doctrine saint simonienne (Paris, Librairie nouvelle, 1854).
  • Mémoires sur Lazare Carnot par son fils (Paris, Pagnerre, 1861-63, réed. en 1893 et 1907, Hachette).
  • Œuvres de Saint-Simon par Enfantin précédées de deux notices historiques par H. Carnot (Paris, Dentu, 1865).
  • La Révolution française, résumé historique (2 vol., Paris, Dubuisson et Pagnerre, 1867).
  • L’Instruction populaire en France (Paris, Degorce-Cadot, 1869).
  • Trois discours sur l’instruction publique, (Paris, Degorce-Cadot, 1869).
  • Cours de l’association philotechnique pour l’instruction gratuite des adultes (Paris, Parent, 1872).
  • Ce que serait un nouvel Empire (Paris, Société du patriote, Bibliothèque utile, 1874).
  • Lazare Hoche, général républicain (Paris, Société du patriote, Bibliothèque utile, 1874).
  • D’une École d’Administration (Versailles, Aubert, 1878) ;
  • Henri Grégoire, évêque républicain (Paris, Libraire des publications populaires, 1882).
  • La Révolution française (Paris, Boulanger, 1888).
  • Les premiers échos de la Révolution française au-delà du Rhin (Paris, Picard, 1888)

19. Quelques ouvrages et articles consultés:

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La paix de Westphalie, une réorganisation financière mondiale

par Karel Vereycken, Paris, France.

Signature de l’accord de paix, en 1648 à Münster. Tableau de Gerard Van der Borch.

En 1648, après cinq ans de négociations, conduites notamment par le diplomate français Abel Servien sur les instructions du Cardinal Mazarin, était signée la « Paix de Westphalie » mettant fin à la guerre de Trente Ans. Bien avant la charte de l’ONU, 1648 fera de la souveraineté nationale, du respect mutuel et du principe de non-ingérence les fondements du droit international. La République des Pays-Bas et la Confédération helvétique sont reconnues et de nombreux traités bilatéraux de paix mettent fin aux conflits.

Mais ce n’est pas tout. Un lecteur attentif de ces traités de paix découvre que l’engagement de chacune des parties, qui consiste à prendre en considération « l’avantage d’autrui » autant, sinon plus, que le sien, se traduit par des actes concrets jetant les bases d’un nouvel ordre financier et économique international.

L’article 1 énonce le principe philosophique fondamental sur lequel repose la paix :

Qu’il y ait une paix chrétienne et universelle, et une amitié perpétuelle, vraie et sincère, entre [liste des parties renonçant au combat] ; et que cette paix et cette amitié soient observées et promues avec une telle sincérité et un tel zèle, que chaque partie s’efforce de procurer le bénéfice, l’honneur et l’avantage d’autrui ; et qu’ainsi, de tous côtés, ils puissent voir cette paix et cette amitié dans l’Empire romain, et le Royaume de France prospérer, en entretenant un bon et fidèle voisinage.

L’article 2 décrit ensuite le type de « réinitialisation » dont nous avons si urgemment besoin aujourd’hui :

Il y aura d’un côté et de l’autre un oubli, une amnistie ou un pardon perpétuel de tout ce qui a été commis depuis le début de ces troubles, en quelque lieu ou de quelque manière que les hostilités aient été pratiquées, de telle sorte qu’aucun acteur, sous quelque prétexte que ce soit, ne puisse pratiquer aucun acte d’hostilité, entretenir aucune inimitié ou causer aucun trouble ; (…) tout ce qui s’est passé d’un côté et de l’autre, aussi bien avant que pendant la guerre, en paroles, écrits et actions outrageantes, en violences, hostilités, dommages et dépenses, sans aucun respect pour les personnes ou les choses, sera entièrement aboli de telle sorte que tout ce qui pourrait être exigé ou prétendu par l’un et l’autre à ce sujet sera enseveli dans un oubli éternel.

Pendant des décennies, la plupart des belligérants de la guerre de Trente Ans se sont mutuellement infligés des dommages inouïs, essentiellement pour pouvoir rembourser leurs dettes avec le butin de leurs pillages et de leurs conquêtes, afin de satisfaire une minuscule oligarchie financière qui prêtait aussi généreusement aux uns qu’aux autres. C’est cet asservissement par la dette que le traité propose d’« ensevelir dans un oubli éternel ».

Ainsi, avant même de régler les disputes et les revendications territoriales, le traité s’attelle à créer les conditions mettant fin à la ruine financière dans laquelle tous se trouvaient plongés.

Les dettes, intérêts, obligations, rentes et créances financières impayables, insoutenables et illégitimes, explicitement identifiés comme alimentant une dynamique de guerre perpétuelle, sont examinés, triés et réorganisés, le plus souvent par l’annulation des dettes (articles 13 et 35, 37, 38 et 39), par des moratoires ou un rééchelonnement selon des échéanciers précis (article 69).

L’article 40 conclut que ces annulations s’appliqueront « à la réserve toutefois des sommes de deniers, qui durant la guerre ont été fournies de bon cœur et à bonne intention pour d’autres, afin de détourner les plus grands périls et dommages dont ils étoient menacez. » (Impliquant que ces dettes devront être honorées.)

Enfin, regardant vers l’avenir et pour faire en sorte que « le commerce refleurisse », le traité abolit de nombreux péages et octrois « inusités » et « privés », obstacles aux échanges des biens physiques et des savoirs-faire et donc du développement mutuel. (Art. 69).

Dans le texte :

  • Art. 13 : « Le Seigneur Électeur de Bavière renoncera entièrement pour lui, ses héritiers et successeurs à la dette de treize millions, et à toute prétention sur la haute Autriche, et incontinent après la publication de la paix donnera à sa Majesté Impériale les actes obtenus sur cela pour être cassez et annullez. »
  • Art. 35 : « La pension annuelle que le bas Marquisat avoit accoutumé de payer au haut Marquisat, soit en vertu du présent Traité entièrement supprimée, abolie et annullée, sans que doresnavant on puisse prétendre ou exiger pour ce sujet aucune chose, ni pour le passé, ni pour l’avenir. »
  • Art. 37 : « Que les contracts, échanges, transactions, obligations, et promesses illicitement extorquez par force ou par menaces des États ou des sujets, (…) comme aussi les actions rachetées et cédées soient abolies et annullées ; en sorte qu’il ne sera permis à personne d’intenter aucun procès ou actions pour ce sujet. »
  • Art. 38 : « Que si les débiteurs ont extorqué des créanciers par force ou par crainte les actes de leurs obligations, tous ces actes seront restituez, les actions sur ce demeurant en leur entier. »
  • Art. 39 : « Que si l’une ou l’autre des parties qui sont en guerre, ont extorqué par violence, en haine des créanciers, des dettes causées pour achat, pour vente, pour revenus annuels, ou pour quelqu’autre cause que ce soit, il ne sera décerné aucune exécution contre les débiteurs qui allégueront, et s’offriront de prouver qu’on leur aura véritablement fait violence, et qu’ils ont payé réellement et de fait, si non après que ces exceptions auront été décidées en pleine connoissance de cause. Que le procès qui sera sur ce commencé, sera fini dans l’espace de deux ans à compter dez la publication de la paix, faute de quoi il sera imposé perpétuel silence aux débiteurs contumax. »
  • Art. 40 : « Mais les procès qui ont été jusques-ici intentés contre eux de cette sorte ; ensemble les transactions, et les promesses faites pour la restitution future des créanciers, seront abolies et annullez ; à la réserve toutefois des sommes de deniers, qui durant la guerre ont été fournies de bon cœur et à bonne intention pour d’autres, afin de détourner les plus grands périls et dommages dont ils étoient menacez. »
  • Art. 68 : « Quant à la recherche d’un moyen équitable et convenable, par lequel la poursuite des actions contre les débiteurs ruinez par les calamitez de la guerre, ou chargez d’un trop grand amas d’intérêts, puisse être terminée avec modération, pour obvier à de plus grans inconveniens qui en pourroient naître, et qui seroient nuisibles à la tranquillité publique, Sa Majesté Imperiale aura soin (…) »
  • Art. 69 : « Et d’autant qu’il importe au public que la paix étant faite, le commerce refleurisse de toutes parts on est convenu à cette fin que les tributs, et péages, comme aussi les abus de la bulle Brabantine et les représailles et arrêts qui s’en seront ensuivis, avec les certifications étrangères, les exactions, les détentions, de même les frais excessifs des postes, et toutes autres charges, et empêchemens inusitez du commerce et de la navigation qui ont été nouvellement introduits à son préjudice et contre l’utilité publique çà et là dans l’Empire, à l’occasion de la guerre, par une authorité privée, contre tous droits et privilèges, sans le consentement de l’Empereur et des Électeurs de l’Empire, seront tout-à-fait ôtez ; en sorte que l’ancienne sûreté, la jurisdiction et l’usage tels qu’ils ont été longtemps avant ces guerres, y soient rétablis et inviolablement conservez aux Provinces, aux ports et aux rivières. »

Source des citations (texte du traité de Paix) :
https://mjp.univ-perp.fr/traites/1648westphalie.htm

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Rembrandt et la lumière d’Agapè

English version of this article: Rembrandt light of Agapè

Rembrandt Harmenszoon van Rijn. Ne comptez pas sur nous pour vous raconter ici sa vie en quelques lignes ! 1

De prime abord il semble que depuis l’époque romantique, tout, et presque trop, ait été dit et écrit au sujet de ce maître hollandais de la lumière, tombé dans l’obscurité par un néoclassicisme à la dérive.


La tâche qui nous incombe est donc celle d’un Appelle, ce peintre grec qui, mis au défi, s’appliqua à peindre une ligne encore plus fine sur la très fine ligne peinte par son rival. Pour tracer cette ligne, nous dessinerons les horizons de la bataille politique et philosophique de l’époque afin de mettre en lumière trois aspects généralement ignorés permettant de jeter un regard inattendu sur la démarche de notre peintre-philosophe.

Tout d’abord, nous allons montrer que Rembrandt (1606-1669) est un peintre de la « Guerre de Trente Ans » (1618-1648), qui se déroule pendant une partie importante de sa vie et définira son engagement politique, philosophique et religieux en faveur de la paix et de l’unité.

Ensuite, nous chercherons à identifier l’origine de cette vision du monde. Rembrandt a-t-il connu l’œuvre et la personne de l’humaniste tchèque Jan Amos Komensky (Comenius) (1592-1670), un des acteurs politiques impliqué dans la révolte de la Bohème. Ce militant pour la paix, précurseur de Leibniz, se rend souvent aux Pays-Bas et s’installe définitivement à Amsterdam en 1656.

De fait, une forte communion d’idées unit le peintre et ce grand pédagogue morave. Aussi, n’est-il pas étonnant que les Traités de Westphalie, qui mirent fin à cette guerre, soient basés sur cette notion de repentir et de pardon si cher à Comenius que Rembrandt évoquera sublimement dans sa peinture.

Enfin, nous comparerons la vie et l’œuvre de Rembrandt à celle d’un peintre du parti de la guerre : Pierre-Paul Rubens (1577-1640). Rembrandt, allergique à toute quête de gloire terrestre, ne pouvait qu’inscrire son œuvre en faux contre celle de ce peintre-courtisan flamand à la mode qui mobilisa tout sa virtuosité au service de la croisade de la Contre-Réforme et le fanatisme conquérant des Jésuites de cette époque.

Ainsi, ce que Rembrandt affirmait au sujet de ses tableaux s’applique aussi pour une vue sur sa vie : le nez collé sur la toile, les odeurs toxiques nous irritent le nez et nos yeux picotent, mais avec un peu de recul, une beauté sublime nous envahit pour rester gravée en nous pour toujours.

Quel art ?

Depuis le triomphe de la thèse moderniste d’Emmanuel Kant , la Critique de la faculté de juger, il n’est pas « politiquement correct » d’affirmer que l’art possède une dimension politique. Et pour cause ! Si l’art peut infléchir le cours de l’histoire et la façonner par son pouvoir, c’est qu’il est vecteur d’idées ! Une impossibilité selon la thèse Kantienne, car l’art est un acte gratuit, libre de tout, y compris de sens. Voilà l’ultime liberté ! On aime où on n’aime pas, c’est uniquement une question de goût.

Reprenant ici le flambeau du poète allemand Friedrich Schiller, nous nous efforcerons de vous convaincre du contraire et d’abolir la tyrannie du goût. Pour nous, l’art est un acte éminemment politique, bien que l’œuvre d’art n’ait rien de commun avec un simple manifeste politique et que l’on ne puisse aucunement réduire l’artiste à un « activiste » ordinaire. Son domaine, celui du poète, du musicien ou de l’artiste plastique, c’est d’être un guide pour les hommes. Leur permettre d’identifier en eux ce qui les rend humain, c’est-à-dire conforter cette parcelle d’âme, de créativité divine qui les place entièrement au zénith de leur responsabilité pour la création toute entière. Pour y parvenir, et nous le développerons ici, ce qui compte dans l’art c’est quelle conception d’amour il communique. En rendant sensible un universel, un art sublime rend accessible les plus hautes conceptions d’amour. Cet art là, celui qui nous fait réfléchir, mobilisera surtout des énigmes, des ambiguïtés et des ironies pour nous faire accéder à l’idée située au-delà du visible. Car un art se limitant à la théâtralité et à la beauté des formes, sombre dans un amour érotique et romantique, privant l’homme de son humanité et donc de son pouvoir révolutionnaire.

Rubens est l’ambassadeur virtuose de grandes impuissances de son époque : la gloire de l’empire et le pouvoir de l’argent incarné par « la bulle des tulipes ». En bref, l’oligarchie. Rembrandt, lui, est l’ambassadeur des dépossédés : les faibles, les malades, les humiliés, les réfugiés, en bref il sera à l’image du Christ un ambassadeur de l’humanité.

Il peut sembler bizarre de qualifier Rembrandt de « peintre de la guerre de trente ans ». Mais c’est peut-être seulement face à de très grands défis que l’homme trouve en lui-même la motivation et les ressources pour mobiliser son génie. Bien que Henry Kissinger et Javier Solana veuillent nous faire entrer dans une ère « post-Westphalienne », nous ferons tout pour empêcher leur« Nouvelle guerre de trente ans ». Rembrandt sera une de nos armes.

Le contexte historique

Avant d’aborder l’œuvre de Rembrandt, il est indispensable de connaître les enjeux de la « Guerre de trente ans ». Ce nom fait référence au dernier épisode d’une longue période de « Guerres de religion » qui embrasèrent l’ensemble du monde au seizième siècle, bien que le conflit se soit principalement déroulé en Europe centrale et en Allemagne. La révolte de la Bohème en 1618 en marque le début et la paix de Westphalie, en 1648, la fin. C’est une guerre qui, au-delà des enjeux religieux, marque surtout la fin de l’utopie impériale des Habsbourg et la naissance de l’Europe moderne.


Les traités de Westphalie :
une révolution du droit international

Les traités de Westphalie, signés en 1648, et les accords de paix séparés entre la France et les Pays-Bas avec l’Espagne mettront en pièces le fondement juridique d’empire. Comme l’avaient déjà souhaité Henri IV et Sully avec leur concept de « Grand Dessein », l’Etat-nation souverain deviendra la plus haute autorité du droit international. Si l’Etat-nation devient la base de l’ordre juridique, alors les petits pays obtiendront les mêmes droits que les grands et la notion de grand = fort, et petit = faible s’estompera. Plutôt qu’une relation dominant/dominé, la coopération d’Etat à Etat devient la règle de la vie politique internationale. La République suisse est ainsi reconnue et les Pays-Bas, en guerre depuis presque quatre-vingt ans pour leur indépendance sont reconnu par l’Espagne suite à la Paix de Westphalie.

Ensuite, et c’est sans doute l’aspect le plus révolutionnaire des accords, l’essence même de la paix est constituée par le pardon mutuel.

Le paragraphe II des accords stipule explicitement que : « Il y aura d’une part et d’autre, un état d’oubli perpétuel, une amnistie, et un pardon de tout ce qui a été commis depuis le début de ces troubles, peu importe dans quel endroit ou de quelle façon ces hostilités ont été commises ; de telle façon que personne, sous aucun prétexte quelconque, ne commettra des actes d’hostilité, entretiendra l’inimitié ou provoquera des troubles aux autres ».

Plusieurs paragraphes (XIII, XXXV, XXXVII, etc.) stipulent (sauf quelques exceptions) l’annulation générale des dettes et des engagements financiers créateurs d’une logique de revanche perpétuelle : « Que les dettes liées à des achats, des ventes, des revenus ou peu importe leurs noms, qu’ils soient extorqués par la violence par une des parties de la guerre, et si les créditeurs montrent et prouvent qu’un versement a réellement eu lieu, cette dette ne sera plus redevable, avant que ces transactions soient ajustées. Les créditeurs seront obligés de formuler leurs exigences dans une période de deux ans suite à la déclaration de la paix, sous peine d’être condamné au silence perpétuel. » (Paragraphe XXXIX).

Ceux qui ont pratiqué l’usure sont également pardonnés !

En réalité, la paix de Westphalie représente la naissance d’un nouvel ordre politique fondé sur la mise en règlement judiciaire de l’ensemble du système financier impérial en faillite. C’est un de ces rares moments où le futur a déterminé le présent. Pour l’obtention d’un bien plus grand défini, éclairé par l’intérêt général, on renonce à quelques petits avantages mesquins immédiats. Tous sont perdants et gagnants au même titre, car il n’y ni vainqueur, ni vaincu. Cet ordre de co-développement pacifique va de pair avec une « tolérance » religieuse à l’intérieur de chaque Etat-nation. Catholicisme, luthéranisme et calvinisme se trouvaient finalement sur un pied d’égalité œcuménique.

Pour saisir l’origine de ces guerres, il faut remonter au début du seizième siècle. Lors du Concile de Trente (1545-1563) l’église Catholique romaine avait écarté d’une main les réformes préconisées par Erasme de Rotterdam pour mettre fin aux troubles. Comme il l’avait prédit, Rome, en choisissant comme adversaire principal le démagogue radical et impuissant Luther, s’enfonçait dans un dogmatisme stérile et intolérant permettant chaque jour à la Réforme de gagner du terrain.

Bien que la paix d’Augsbourg de 1555 ait réussi à calmer temporairement la situation, les dispositions ambiguës de ce traité portaient en germe les conflits futurs. Tout d’abord, la paix ne s’applique qu’aux catholiques et aux luthériens. Les Jésuites se feront un malin plaisir de jouer la division dans le camp des réformés en dressant les luthériens contre les calvinistes. Ainsi en Allemagne, ils prétendent tout simplement que le calvinisme est interdit parce que non expressément cité dans l’accord.

Ensuite, les peuples n’obtiennent pas de réelle liberté confessionnelle, car les sujets doivent adopter la confession de leur seigneur, qui lui, a la liberté de choix (cujus regio, ejus religio). Pour se défendre, les princes protestants se réunissent dès 1608 sous la direction de l’électeur palatin Frédéric V pour former « l’Union évangélique ». Ils placent leur espoir en la France d’Henry IV, pays où l’Edit de Nantes de 1598 a mis fin aux guerres de religion. Suite à l’assassinat du roi en 1610, ils s’allient avec la Suède et l’Angleterre. Côté catholique, Maximilien de Bavière constitue dès 1609 une Sainte Ligue avec le soutien de l’Espagne.

Au-delà des étiquettes religieuses et politiques des deux camps, on peut identifier un véritable parti de la guerre de chaque coté. Les nuées qui portent l’orage jettent l’ombre de la guerre sur une Europe coupée en deux.

La révolte de la Bohème

Ainsi, après l’interminable révolte des Pays-Bas, l’insurrection de la Bohème fait craindre le pire aux Habsbourg, car si elle devient une deuxième Hollande, d’autres pays, comme par exemple la Pologne, pourraient basculer dans le camp de la réforme et porter atteinte à l’équilibre géopolitique impérial.

Depuis 1576, la couronne de Bohème appartient à Rudolf II, qui bien qu’ayant un penchant pour l’ésotérisme, sera le protecteur de Tycho Brahé et de Johannes Kepler, à Prague. En 1609, les protestants de Bohème arrachent à ce monarque catholique une « lettre de majesté » qui leur accorde certains droits en matière de religion. Après sa mort en 1612, son frère Matthias laisse la direction du pays à Kleszl, l’un des cardinaux de la Contre-Réforme qui en refuse l’application.

C’est ainsi que se produisit la fameuse « défenestration de Prague » résultant d’une négociation très chaude qui vit les protestants jeter les deux représentants impériaux par la fenêtre, lesquels atterrirent sur un tas de fumier. Ce fut le signal d’une révolte générale et suite à la mort de Matthias, les insurgés prirent comme souverain, l’électeur palatin Frédéric V, plutôt que d’accepter le choix des Habsbourg. Un noble protestant, Charles de Zerotin et un pasteur morave, Jan Amos Komensky « Comenius » étaient les éminences grises de cette révolte, comme le montre notamment le fait que Frédéric V soit couronné en 1619 par Jan Cyrill, confesseur de Zerotin dont Comenius épousera la fille. (Encadré 2)


Comenius :
enseigner tout à tous et toutes

Jan Amos Komensky (Comenius) (1592-1670) était avant tout un homme de terrain et un inspirateur pour le bien. Un an après sa mort, en 1670, Leibniz écrivait « il viendra le temps, Komensky, où les honneurs seront rendus à tes œuvres, à tes espoirs, et même aux objets de tes désirs ».

Comenius est en effet un des précurseurs de Leibniz. Tout d’abord il s’oppose à la pétrification de la pensée de son époque résultant de l’hégémonie de l’aristotélisme : « Peu après cette union du Christ et d’Aristote, l’Eglise connut un état affligeant et se remplit du vacarme des querelles théologiques. »

Défenseur ardant de la notion de libre-arbitre qu’il ne voit pas s’opposer à une certaine prédestination bien comprise, il se sent plus proche de la démarche de Jan Hus que celle de Calvin, bien qu’on le range généralement dans le rang des calvinistes.

Pour lui, comme pour Leibniz, une physique sans métaphysique se condamne à la stérilité. Grâce à cette inclusion de la transcendance, il ne conçoit plus la nature comme un simple agrégat défini par un système de lois (vision qu’il reprochera violemment à Bacon, Galilée et Descartes), mais comme un processus dynamique et comme un devenir. Ce devenir n’est pas répétition éternelle du même, mais progression et potentialisation : il y a dans la nature une tendance au développement qui est en même temps une tendance vers l’accomplissement et l’harmonie.

En 1608, Comenius fait son entrée à l’école latine de Prérov (Moravie), école réorganisée à la demande de Charles de Zerotin sur le modèle de l’école calviniste de Sankt Gall en Suisse. Zerotin est une des figures clefs de la noblesse de Bohème, zélateur de la petite Eglise de l’Unité des Frères, organisateur de l’enseignement populaire et éminence grise de la résistance anti-Habsbourg à l’échelle internationale. Il prête, par exemple, une forte somme d’argent à Henri IV en 1589 et le rencontre devant Rouen en 1593. La conversion de Henri IV au catholicisme (« Paris vaut bien une messe ! ») ruine tous les espoirs de Zerotin pour rapprocher les frères de l’Unité avec les Huguenots français.

Ami de Théodore de Bèze (Bezius), le futur confesseur de Jeanne d’Albret, qu’il fréquente lors de ses études à Bâle et Genève, Zerotin envoie Comenius étudier à l’Université de Herborn, dans le Nassau. Cette université fut fondée en 1584 par Louis de Nassau, frère de Guillaume le Taciturne, l’organisateur de la révolte des Pays-Bas contre l’Espagne. Louis de Nassau était en contact suivi avec le dirigeant huguenot français Gaspard de Coligny et avec Walsingham, le chancelier d’Elisabeth I, en Angleterre ; c’est-à-dire au centre de la conspiration anti-Habsbourg. Instigateur avec Zerotin de la révolte de la Bohème et après une brève période chez les maquisards, pour lesquels il dessine une carte de Moravie, Comenius s’exile, à la tête de son église, « l’Unité des Frères de Bohème ».

Jusqu’à sa mort il est l’âme de la résistance bohème, gardien de la langue tchèque et tête pensante de la diaspora.

Pour lui, les guerres ne sont possibles que si une vaste majorité de la population sombre dans l’ignorance. A l’opposé du système jésuite qui réserve l’éducation aux élites, Comenius, partant de la conviction que chaque homme est créé à l’image de Dieu, imagine une éducation de très haut niveau, accessible à tous, qu’il élabore dans La Grande Didactique (1638). Suivant les préceptes d’Erasme et de Vivés, Comenius abolit les punitions corporelles et établit la mixité des classes. Des écoles gratuites s’installent dans chaque village et deviennent de véritables ateliers prototypes des Ecoles Polytechniques et des Arts et Métiers, portées par une véritable joie de la découverte.

Le réseau international d’académie des sciences de Leibniz trouve son origine dans les groupes d’amis de Comenius. Véritable fondateur de la pédagogie moderne, il est un des premiers à comprendre que l’enfant est un être de sensibilité avant d’être un être de raison.

Jusque là, l’ignorance était souvent vu comme une manifestation du diable. Le cardinal français Pierre de Bérulle (1575-1629), pourtant fondateur de la Congrégation de l’Oratoire, écrivait par exemple que « l’enfance est l’état le plus vil et le plus abject de la nature humaine après celui de la mort ».

Pour rendre la connaissance accessible à chacun, quelle que soit son origine sociale, sa race, son sexe ou sa religion, Comenius révolutionne les a priori de la pensée éducative.

Ainsi, dans de belles salles de classe, bien tenues et remplies d’images et de cartes, on donne des cours de moins d’une heure, couvrant tous les domaines que l’on trouve autour de Comenius dans la gravure qui illustre l’édition latine de ses œuvres complètes : travaux manuels, musique, astronomie, géométrie, botanique, imprimerie, construction, peinture et sculpture.

Bien que Comenius enseigne lui-même le latin, il pense qu’avant tout chaque élève doit maîtriser sa langue maternelle. Car jusque là, l’enseignement du latin se fait en latin, temps pis pour ceux qui ne comprennent rien ! Il introduit aussi des manuels scolaires illustrés (Le Monde Sensible en images, 1653), stupidement banni de l’éducation pour « ne pas inviter les sens à venir troubler la pensée ». Pour Comenius, l’image accompli la même fonction qu’un télescope qui amène dans le champ de la perception ce qui est naturellement situé hors de ses limites.

Ses idées, et les résultats des écoles qui s’inspiraient de cette démarche séduisirent toute l’Europe, et plus encore. Vers 1642, Comenius est embauché par Johan Skytte (1577-1645), l’influent chancelier de l’Université d’Uppsala pour mettre en œuvre son nouveau système d’éducation en Suède. Skytte, un érudit inspiré par Platon et Erasme, sera le tuteur du roi Gustave Adolphe et son fils Bengt Skytte sera l’un des précepteurs de Leibniz.

Avant cette offre, Comenius avait déjà écarté une proposition que Richelieu formula peu avant sa mort pour qu’il se mette à l’œuvre en France, et une autre provenant d’Amérique de la part de John Winthrop (junior) pour diriger l’Université d’Harvard, nouvellement fondée dans la Massachusetts Bay Colony de Cotton Mather. Si Comenius opte alors pour la Suède, c’est qu’il cultive l’espoir qu’un jour la Bohème sera libérée de l’occupant habsbourgeois, avec l’aide de ce pays.

Les insurgés furent défaits à la bataille de Montagne Blanche en 1620 par une coalition catholique, composée des troupes espagnoles de retour des Flandres et des Bavarois de Maximilien. Avec eux, René Descartes, venu sur ses propres frais, entra dans Prague à la recherche des instruments astronomiques de Kepler. 2

Comenius, l’un des premiers à être proscrit et sous le coup d’un mandat d’arrestation, et Zerotin, échappent à la répression. Tous les résistants sont arrêtés et certains décapités sur la place publique.

On installe leur tête sur des piques pour les exposer sur le pont Saint Charles. Parmi eux, le recteur de l’Université de Prague, Jan Jessenius, auteur de la première dissection publique dans cette même ville en 1600 et ami de l’astronome danois Tycho Brahé. Comme avertissement à ceux qui se servent de discours pour encourager les hérésies, on lui arrache la langue avant de le décapiter, de l’écarteler et de l’empaler. Trente mille personnes s’exilent et Frédéric V, « le roi d’hiver », et sa cour trouverons refuge à la Haye, aux Pays-Bas, là où Comenius l’a rencontré lors du retour de ses noces avec Elisabeth Stuart en Angleterre en 1613, noces pour lesquelles Shakespeare avait fait jouer La Tempête.

Une guerre mondiale

1618 marque l’embrasement général du continent européen. La volonté affichée et la poussée politique et militaire des Habsbourg pour unifier l’ensemble du continent derrière un seul empereur et sous la bannière d’une seule religion, déclenchent une guerre générale. Dès 1625, avec des subsides anglais et français, le Danemark de Christian IV, puis la Suède de Gustave Adolphe interviennent par le nord contre les Habsbourg en Allemagne. La France ouvre elle-même un autre front à l’ouest en 1635. Richelieu, qui avait défait les huguenots à La Rochelle en 1628 (car il « combattait leurs droits politiques, mais non leurs droits religieux ») les soutient activement hors du territoire français, car il estime qu’ « il est certain que si le parti protestant est tout à fait ruiné, l’effort de la maison d’Autriche retombera sur la France ».

En 1633, Les Misères et malheurs de la guerre, célèbre série de gravures du lorrain Jacques Callot donnent une bonne idée de cette guerre, qui, avec son cortège de misère, de famines, d’épidémies et de désolation, ravage l’Europe. On estime qu’au niveau de la superficie de l’Allemagne d’aujourd’hui, la population passa d’environ 15 millions à moins de 10 millions d’âmes.

Des centaines de villes furent réduites à de simples villages et des milliers de bourgades furent tout simplement effacées de la carte. La guerre se répercuta dans l’ensemble des colonies des puissances engagées dans le conflit. Les pirates anglais et hollandais n’hésitaient pas à en découdre avec les vaisseaux espagnols et portugais à l’autre bout du globe. Concernant l’Espagne, fidèle pilier des Habsbourg, 250 millions de ducats furent utilisés dans les dépenses de guerre (entre 1568 et 1654), malgré une faillite d’Etat en 1575. Cette somme représente le double des revenus provenant du nouveau monde (or, épices, esclaves, etc.) qui se chiffraient à 121 millions de ducats !

Rembrandt et Comenius

Que Rembrandt soit interpellé par la situation de guerre générale qui bouleverse toute l’Europe ressort déjà fortement dans l’un de ses premiers autoportraits [FIG1].

Fig. 1 : Rembrandt, Autoportrait, 1629, Germanisches Nationalmuseum, Nuremberg.

Il se peint, jeune homme partagé entre deux choix. Une épaule sous un fragment d’armure fait ressortir l’appel aux armes pour les hommes de son âge, en particulier après l’attaque des troupes espagnoles sur Amersfoort en août 1629.

L’autre épaule est nonchalamment caressée par une liefdelok (une cadenette), cette longue mèche de cheveux que se laissaient pousser les jeunes amoureux. Que choisir ? L’amour de la patrie ou l’amour pour sa bien-aimée ?

De plus en plus souvent fâché avec Constantin Huygens, le puissant secrétaire du stadhouder qui l’a fait venir à Amsterdam, sa pensée s’approfondit et son activité se densifie.

Dix ans plus tard, la mort de Saskia, en 1642, année de La ronde de nuit, le plonge dans une crise, et petit à petit, il abandonne ses autoportraits où on le voit souvent tel un courtisan « à l’italienne », gant à la main et chaîne en or pour affirmer son statut social à la Cour. Tout l’or du monde ne permet pas de racheter la vie de ceux qui nous sont chers.

Rembrandt, affirmant qu’il n’a pas besoin de faire le traditionnel voyage en Italie car on trouve toute l’Italie sur le marché d’art d’Amsterdam, nous laisse subitement des dessins montrant les portes de Londres au début des années 1640, alors que Comenius y est en voyage, et qu’un ami de Rembrandt, le rabbin Menessah Ben Israel, tuteur de Spinoza, tente de négocier l’entrée des juifs en Angleterre.

De timides hypothèses concernant l’influence de Comenius sur Rembrandt existent, cependant, une recherche approfondie pourrait nous livrer des perles.

Bien que Rembrandt évolue dans l’environnement de la communauté Mennonite, des anabaptistes pacifiques bien loin d’un quelconque engagement politique, son engagement pour « la cause Bohème » nous semble se manifester de la façon la plus convaincante dans La Conspiration nocturne de Claudius Civilis dans le Schakerbos [FIG2].

Fig. 2 : Rembrandt, La conspiration de Claudius Civilis dans le Schakerbos, 1661-62, Nationalmuseum, Stockholm.

Prévu dans un ensemble de plusieurs tableaux destinés au nouvel Hôtel de Ville d’Amsterdam, la série célèbre la révolte des Bataves face aux romains. Sur la base des écrits de Tacite, cette histoire est distillée au service du patriotisme néerlandais, et le parallèle entre les romains et l’Espagne est évident. Pour des raisons peu connues, le tableau de Rembrandt fut retiré assez rapidement après son acceptation. Pour dénoncer la lâcheté des dirigeants, Rembrandt semble avoir transposé cette scène à son époque. Un historien suédois pense que le dirigeant de la conspiration n’est pas Claudius Civilis, général qui avait perdu un œil dans la guerre, mais un autre général qui perdit également un œil en situation de guerre, le général « hussite » Zirka !3

Rappelons que Comenius et la révolte de Bohème s’inspiraient de Jan Hus. Le Claudius Civilis de Rembrandt se présente effectivement avec des habits d’Europe centrale. De gauche à droite on voit d’abord un patricien hollandais. S’agit-il du républicain Jan de Wit ?

On voit ensuite un moine, sans arme, posant sa main sur celle de Claudius. S’agit-il de l’Eglise des Frères de Bohème de Comenius ? Selon les historiens, les deux calices, un large, l’autre étroit, peuvent représenter la communion sous les deux espèces, l’une des revendications de Jan Hus. On voit aussi un rabbin qui participe au complot. Bizarre, tout cela pour de simples bataves !

Que les notables d’Amsterdam soient mécontents de voir leur idole historique figurée comme un géant cyclope est probable. Qu’ils soient interpellés sur leur indifférence pour la cause Bohème, est autre chose.

Comenius arrive à Amsterdam, sur invitation de la famille de Geer, en août 1656, année de la mise en banqueroute de Rembrandt.4

Louis de Geer, surnommé « roi de l’acier » ou « Fugger du Nord » et son fils Laurent seront les mécènes à vie de Comenius dont ils paieront l’enterrement et pour lequel ils feront construire une chapelle à Naarden. Cette famille calviniste intransigeante, originaire de Liège, en Belgique, mais installée à Amsterdam, mettra sur pied l’ensemble des industries du fer et du cuivre suédois. Elle fera venir trois cents familles wallonnes qui travaillaient à la manière hollandaise, et pour lesquelles elle fit construire hôpitaux, écoles, lotissements et magasins. En Angleterre, De Geer finançait également John Dury et Samuel Hartlib, deux amis actifs de Comenius. En guerre contre la Royal Society et Francis Bacon, Hartlib voulait rendre les connaissances scientifiques accessibles à l’ensemble de la population. C’est à Hartlib que John Milton dédia son traité « De l’éducation ».

Louis de Geer et Skytte inviteront Comenius à travailler pour la Suède, jugeant ses réformes de l’éducation un excellent investissement permettant d’accroître le travail productif de l’économie physique. Ces liens avec la famille de Geer nous conduisent à Rembrandt, car la sœur de Louis de Geer, Margareta était, elle, marié avec Jacob Trip, également actionnaire des mines de cuivre en Suède, et ce couple installé à Dordrecht se fera portraiturer par Rembrandt, lui fournissant ainsi une commande bien rémunérée pendant des années difficiles.

Fig. 3 : Rembrandt, Portrait d’un vieillard, vers 1660, Offices, Florence.

La ville d’Amsterdam octroya une pension annuelle à Comenius, l’incitant à publier l’ensemble de son œuvre pédagogique, et lui confia la clef de la bibliothèque de la ville. Il fera aménager sa famille et ses assistants et installera une bibliothèque et une imprimerie derrière la Westerkerk, l’église où Rembrandt est enterré. En allant chaque jour de son domicile à son imprimerie, Comenius croisait ainsi la rue où Rembrandt vivait ses derniers jours.

Depuis le début du vingtième siècle, les conservateurs tchèques estiment que le Portrait d’un vieillard au musée des Offices de Florence [FIG3] est en réalité un portrait de Comenius.5

Rappelons que Rembrandt exigeait de chacun de ses modèles quatre heures de pose pendant au moins trois mois, exercice assez difficile pour un Comenius âgé. Ce qui est certain, c’est qu’un des élèves de Rembrandt, Juriaen Ovens, a peint le portrait de Comenius à cette époque.

La paix de Westphalie et la Via Lucis

Bien que la Bohème n’ait pas obtenu pas son indépendance lors de la Paix de Westphalie, on ne peut pas sous-estimer l’influence de Comenius sur les négociations qui aboutirent aux accords de paix. La Cesta Pokoje (Chemin vers la paix) de 1630, un premier écrit en tchèque est décrit comme « un écrit éthico-religieux dans lequel l’amour, la foi et la compréhension mutuelle sont posés comme les seul fondements éthiques d’une paix possible ». De 1641 à 1642, immédiatement avant les pourparlers de paix, Comenius écrivit la Via Lucis, (la Voie de la lumière), qui a pu servir de mémorandum aux négociateurs.

Cette « voie de la lumière » était-elle un mysticisme millénariste, comme on l’a souvent prétendu ? Lorsqu’on demanda à Comenius quelle espérance attendre et quand adviendrait un changement majeur, il répondit que l’espérance consistait en la venu d’un temps où le Gospel du Royaume serait prêché dans le monde entier et une paix universelle établie. Ce changement qu’on peut espérer résultera d’une lumière vers laquelle seront tournés non seulement les yeux des chrétiens, mais ceux du monde entier. Elle « proviendra de la combinaison des lanternes de la conscience humaine, d’une considération rationnelle des œuvres de Dieu ou de la nature, et de la loi, ou volonté, divine ». Pour lui, « l’entreprise humaine peut, à travers la prière et les considérations d’hommes pieux imaginer les voies possibles pour réunir ces rayons, les faire irradier sur toute l’espèce humaine et répandre des pensées similaires dans les esprits des autres ».6

C’est bien ce concept que l’on retrouve dans l’eau-forte de Rembrandt, utilisé maladroitement par Goethe qui le copia comme frontispice pour son Fausten 1790.7

Loin d’être un homme qui scelle un pacte avec le diable, le sujet de la gravure est la lumière (miroir du Christ) éclairant la vie et l’esprit des hommes. Bien avant Voltaire et les « lumières », Comenius et Rembrandt avaient investit la métaphore de la lumière.

Pour se faire une idée de la démarche pacificatrice de Comenius, on peut lire un autre mémorandum : Angelus Pacis,(l’Ange de la Paix) « envoyé aux ambassadeurs de paix anglais et hollandais à Breda pour être de là envoyé à tous les chrétiens de l’Europe et ensuite à toutes les nations du monde entier afin qu’elles s’arrêtent, qu’elles cessent de se battre ». Comenius constate laconiquement que les deux pays ne se battent même plus sous un prétexte religieux, mais ouvertement pour des possessions matérielles ! Pour s’en sortir, il leur propose une nouvelle amitié :

« Mais de quelle manière inaugurez-vous cette amitié nouvelle (ou plutôt ce rétablissement de votre amitié) ? Ne sera-ce pas par le pardon général que vous vous accorderez les uns aux autres ? Les sages ont toujours regardé l’oubli des injures reçues comme le plus sûr chemin menant à la paix. Toucher trop rudement les blessures, c’est raviver la douleur et fournir à la blessure elle-même une occasion de s’irriter. Que si cela est vrai, il faut souhaiter que la rivière d’Aa, dont les eaux très paisibles arrosent Breda, se changeât pour l’heure en ce fleuve de Léthé dont les poètes nous ont conté que quiconque y buvait, oubliait tout le passé. Celui qui a été fauteur de troubles, Dieu le trouvera, même si par amour de la paix les hommes le ménagent. Que le juste commence par s’accuser lui-même ; cela veut dire que celui que sa conscience accuse d’avoir rompu l’amitié et témoigné de l’inimitié devra selon la justice être le premier et le plus ardent à rétablir l’amitié. Si la partie offensante néglige ce devoir de justice, ce sera à la louange de la partie de l’offensé d’assumer ce rôle d’honneur, selon le mot du philosophe. »8

Rembrandt et le pardon

Exprimer ce moment où l’amour amène le pardon sera précisément un des sujets chers à Rembrandt. Ce n’est probablement pas un hasard s’il nomma son fils Titus, car à l’époque on croyait que l’empereur romain Titus avait montré une grande clémence envers les chrétiens. Rembrandt était également fasciné par la figure de Saint-Paul, personnage qui, par sa conversion, a montré la transformation possible de chaque humain en homme de bien. L’autoportrait comme Saint-Paul du Rijksmuseum [FIG. 4], où l’on voit Rembrandt avec un poignard sur la poitrine, pourrait le représenter tel Saint-Paul (défendant la foi avec la bible d’une main et le glaive dans l’autre), bien que le poignard (car il ne s’agit nullement d’un glaive) puisse être aussi une référence au « poignard chrétien », nom utilisé pour désigner L’Enchiridion, le manuel du soldat chrétien d’Erasme.

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Fig. 4 : Rembrandt, Autoportrait comme Saint-Paul, 1661, Rijksmuseum, Amsterdam.

Un de ses derniers tableaux, le Retour du fils prodigue [FIG. 5], bien que complété par un élève après la mort du peintre, traite magnifiquement le sujet du pardon. Le tableau, d’importante dimension (262 x 205 cm) possède une très grande expressivité. Le père, les yeux pincés dans une vision intérieure et regardant le chemin par lequel son fils est arrivé, semble douter de son bonheur, car son fils « qui était mort » est « revenu à la vie ». Ce dernier place sa tête de bagnard sur le ventre de son père et se livre entièrement, dans un acte de repentir. Le père pose ses mains sur les épaules de son fils et lui accorde son pardon, tandis que les frères, jaloux de tant d’attention envers celui « qui a mangé le bien paternel avec des prostituées », sont fortement troublés.

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Fig. 5 : Rembrandt, Retour du fils prodigue, 1667, ermitage, Saint-Petersbourg.

Trois observations confortent l’hypothèse d’une forte inspiration Coménienne. D’abord, selon tous les portraits disponibles, le visage du père montre une forte ressemblance avec celui de Comenius, que Rembrandt semble fréquenter à l’époque, et qui est connu comme le grand philosophe de la paix fondée sur le repentir et le pardon.

Ensuite, le fils ne semble pas être de type européen, mais négroïde, ce qui ferait de Rembrandt un contestataire de l’esclavagisme alors largement pratiqué par les puissances européennes.

Pour conclure, on pourrait interpréter la parabole du retour du fils prodigue dans un sens beaucoup plus large. Et s’il s’agissait d’un retour de l’homme, enfant de Dieu, qui retourne vers son père, après avoir erré dans le pêché ? Comenius, dans un moment de quasi-désespoir utilise ce cheminement dans son livre Le labyrinthe du monde et le paradis du cœur (1623).

L’homme, se perd dans la multiplicité du monde qui l’amène à sa perte. Mais après une crise, l’homme se résout à regagner l’unité divine.

Rubens et les Philistins

Il est temps maintenant de nous pencher sur le cas de Rubens, mais d’abord nous avons encore un bref rendez-vous avec notre jeune ami de Leyden.

Bien que le jeune Rembrandt reflète l’immense élan intellectuel de cette pépinière d’humanisme qu’est alors l’Université de Leiden, sa carrière fulgurante le propulse dans une position qui ferait tourner la tête à beaucoup. En effet, Constantijn Huygens, le secrétaire du stadhouder (le lieu-tenant), « découvre Rembrandt » en 1629 dans sa petite boutique de Leiden, où ce fils de meunier œuvre avec Jan Lievens, et lui demande de venir travailler à Amsterdam.9

Huygens affirme néanmoins sans hésitation dans Mijn Jeugd (ma jeunesse) que Pierre-Paul Rubens, le peintre baroque flamand est « une des sept merveilles du monde ». Rubens est avant tout le « porte-drapeau »talentueux de la Contre-Réforme et de son armée jésuite ; l’admiration que suscite son œuvre provoque un profond malaise chez Rembrandt.

Fig. 6 : Rembrandt, Samson aveuglé par les philistins 1636, Städelsches Kunstinstitut, Francfort.

Comment ce peintre virtuose pouvait-il être apprécié comme le plus bel astre du firmament de la peinture ? Rembrandt fut tellement irrité par la bêtise de Huygens qu’il lui offrit un énorme tableau représentant Samson aveuglé par les Philistins [FIG. 6]. L’œuvre, un pastiche du style violent « à la Rubens » montre Samson se faisant crever les yeux par des soldats. Voulait-il inférer que la république et ses responsables se laissaient aveugler par leur propre philistinisme ?

Un petit page devenu grand Leporello

Rembrandt traduit bien le sentiment de révulsion que pouvait ressentir un authentique patriote hollandais envers Rubens. Les élites ont-elles oublié que le père de Pierre-Paul, Jan Rubens, échevin calviniste d’Anvers replié à Nassau avec la direction de la révolte du pays au moment des troubles, a porté gravement atteinte à l’intégrité du père de la nation néerlandaise, en nouant une liaison extraconjugale avec l’instable épouse de Guillaume le Taciturne, Anne de Saxe ? Humiliée, la mère de Rubens se bat becs et ongles pour sortir son mari de prison. Elle fait de Pierre-Paul l’instrument programmé de sa vengeance contre les protestants et l’outil indispensable pour racheter le blâme pesant sur la famille. Ainsi à douze ans, Pierre-Paul entre à l’école Latine de Romualdus Verdonck, une institution privée formant les troupes de choc de la Contre-Réforme. Il est ensuite placé comme page à la petite cour de Marguerite de Ligne, comtesse de Lalaing, à Oudenaarde.

Enfant, il copie les images bibliques des gravures sur bois de Holbein et du graveur suisse Tobias Stimmer. On imagine bien qu’après deux vagues iconoclastes (1566 et 1581), la Contre-Réforme soit très demandeuse « d’imagiers » capables de ramener les masses de brebis égarées au bercail, bien que ceci ne puisse se faire qu’avec une réglementation stricte, spécifiée lors de la dernière session du Concile de Trente, en 1563. 10

Après un bref passage chez l’un des piliers de la Contre-Réforme, Abraham van Noort, en 1592 Rubens monte dans l’ascenseur social et entre dans l’atelier d’Otto van Veen. Né à Leyden en 1556, formé par les Jésuites, Venius est le fils naturel du duc de Brabant. Il fut l’élève du maître-courtisan Federico Zuccari à Rome, le peintre de la cour de Philippe II d’Espagne et le fondateur de l’Accademia di San Luca.

Allant de cour en cour, Venius réussira à séduire Alexandre Farnèse, le malicieux gouverneur espagnol en charge de l’occupation des Flandres, organisateur de l’assassinat de Guillaume le Taciturne en 1584 qui va le nommer peintre de sa cour et ingénieur des armées royales. Venius est l’homme qui va ouvrir l’esprit de Rubens sur l’Antiquité, lisant et commentant avec lui les classiques en latin. Surtout, il lui montre que l’artiste, s’il veut atteindre la gloire de son vivant, doit attendre un peu de son talent, mais beaucoup des puissants.

In Italia

Fig. 7 : Rubens, Cercle d’amis à Mantoue 1602, Wallraf-Richartz Museum, Cologne.

En mai 1600, Rubens se rend à Venise. En juin, lors du carnaval, il entre en contact avec le duc de Mantoue, Vincent de Gonzague, cousin de l’Archiduc Albert, aux commandes des Pays-Bas avec Isabelle depuis 1598. Vincent de Gonzague, oligarque de ce type que Mozart dépeint dans son Don Giovanni et Verdi dans Rigoletto, est heureux à l’idée d’ajouter un fiamminghi(flamand) à son écurie.

La cour de Mantoue, rivalisant de magnificence avec Milan, Florence et Ferrare, employa naguère le peintre Mantegna, l’architecte Leon Battista Alberti et le codificateur de la vie de cour Baldassare Castiglione. Elle entretient, à l’époque de Rubens, le poète Torquato Tasso et le musicien Monteverdi qui compose Orphée et Ariane en 1601. Galilée en fut brièvement l’hôte en 1606. Surtout, le duc posséde l’une des plus vastes collections d’œuvres d’art de l’époque, et ses agents, en Italie et de par le monde, sont chargés de lui signaler les œuvres dignes de figurer dans sa galerie.

Un inventaire de 1627 relève 3 Titien, 2 Raphaël, 1 Véronèse, 1 Tintoret, 11 Giulio Romano, 3 Mantegna, 2 Corrège et 1 Andrea del Sarto, parmi d’autres. Mais le duc est à la recherche d’un peintre capable de remplir « une galerie de portraits de belles femmes ».

Ainsi, suivant en cela l’exemple de Giulio Romano, cet élève de Raphaël instrumentalisé par le diabolique maître chanteur Pietro Aretino, notre flamand devient un Leporello, un valet complaisant au service du duc.

En tout cas, l’autoportrait avec son Cercle d’amis à Mantoue [FIG7], nous montre un homme craintif, quelqu’un « devenu quelqu’un » parce qu’entouré « de gens bien », c’est-à-dire reconnu par l’oligarchie de l’époque.

In Espagna

Immédiatement, le duc le charge d’une tache herculéenne : transporter de Mantoue à Madrid un cadeau sophistiqué pour le roi Philippe III et son premier ministre, le duc de Lerme. En plus d’un petit char conçu pour la chasse et de caisses remplies de flacons de parfum, il s’agit de quarante peintures, répliques des plus belles pièces de la collection du duc, notamment des Raphaël et des Titien. Rubens sur son chemin doit peindre « les plus belles femmes d’Espagne » (encore Don Giovanni…). Arrivé sur place, Rubens déploie son pouvoir de séduction à la cour d’Espagne, alors que le duc de Mantoue l’implore de rentrer.

De retour en Italie, il se rend à Rome, où il semble arriver au moment opportun, car on y juge Barocci trop âgé, Guido Reni encore trop jeune et Annibale Carracci hors service, car souffrant d’apoplexies mélancoliques, tandis que le Caravage se cache dans les propriétés de ses patrons, les Colonna, accusé de meurtre. Rubens est propulsé dans la ville Sainte par un génois, le cardinal Giacoma Serra, fortement impressionné par les splendides portraits de femmes que le peintre réalise pour la dynastie Spinola-Doria, à Gênes. Mais, apprenant le décès imminent de sa mère, Rubens accourt à Anvers où, après bien des hésitations, il décide de s’installer, loin du pouvoir, mais proche des avantages fabuleux que les régents Albert et Isabelle d’Espagne lui proposent.

In Antwerpia

Ces avantages sont tels que les conspirationnistes y trouveront des arguments étoffant l’hypothèse d’un complot contre la peinture flamande chrétienne et érasmienne : d’abord Rubens touchera 500 florins par an, sans aucune obligation de travail en dehors du double portrait des souverains, toute œuvre supplémentaire étant payée en sus.

Ensuite, il échappe aux règles de la Guilde de Saint-Luc, particulièrement à la règle qui limite le nombre d’élèves et ce qu’on peut leur faire payer ; et puisque beaucoup n’est jamais assez, Rubens est exempt d’impôts à Anvers ! Comme un grand, il y fait construire son palais. Rasée depuis fort longtemps, peu importe les raisons, il faut constater que ce n’est qu’au moment de la collaboration de certains nationalistes flamands avec l’Allemagne hitlérienne (de 1938 à 1946) que sa demeure de style génois, ressuscitée initialement à Bruxelles pour l’exposition universelle de 1910, fut entièrement reconstruite d’après des gravures de Jacobus Harrewijn de 1692, décorée et parée de mobilier ancien.11

Il est vrai que son enthousiasme pour les blondes opulentes et l’action violente fut interprété comme de la sympathie pour les races nordiques, et son énergie visuelle comme l’antithèse d’un art dégénéré et surcérébral. A Anvers, le culte de Rubens n’est peut-être pas étranger au phénomène de l’extrême-droite politique dans cette ville.

Un génie de la propagande

L’exploit de Rubens fut de synthétiser l’ensemble des goûts de l’oligarchie de son époque. Comme Leni Riefenstahl sous Hitler, Rubens sera le génie de leur propagande. Brillant dessinateur et enfant précoce, il passe des heures et des heures dans les collections italiennes et dans les ruines de Rome à dessiner la statuaire romaine. Car depuis l’avènement du pape guerrier Jules II et de Léon X, c’est la dictature du goût romain. Ces huit années, de 1600 à 1608, passés entre Gênes, Mantoue, Florence et Rome, sans oublier Madrid, avec libre accès à toutes les collections d’antiquités et de peintures des grandes familles, lui permettent de se constituer une « base de données » qui fera sa fortune.

Les spécialistes vous citeront sans peine l’intarissable fleuve de copier/coller visuelles identifiées dans son œuvre : un groupe de Michelange dans le Baptême du Christ (Koninklijk Museum voor Schone Kunsten, Anvers), une pose de l’Aristote de l’Ecole d’Athènes dans le Saint-Grégroire avec Saint Domitilla, Saint Maurus et Papianus (Gemäldegalerie, Berlin) ou une madone de Raphaël dans La chute de l’homme, (Rubenshuis, Anvers), sans oublier une tête du Laocoon dans L’Elévation de la Croix (Cathédrale, Anvers) ou encore un déhanché d’une Vénus tout droit sorti de la statuaire romaine dans L’union de la terre et de l’eau (Ermitage, Saint-Pétersbourg).

Il faut savoir qu’à l’opposé du canon grec, repris de l’Egypte, qui régulait les proportions du corps humain (le Doryphore de Polyclète stipule que la hauteur d’un homme soit sept fois et demie la dimension de sa tête), les romains, comme Léonard le constate amèrement en retravaillant Vitruve, agrandissaient la taille du corps à huit têtes, voire plus. En accentuant ainsi la musculature, cette tricherie permet de donner l’illusion d’un héroïsme hors pair, d’un homme « biologique ». Connaissant maintenant cette différence des canons des proportions, ceci vous permettra d’identifier l’inspiration de votre artiste : humaniste grec ou oligarque romain ? Que Rubens ait choisi Rome plutôt qu’Athènes ne fait aucun doute, en particulier dans son amour pour Sénèque.

La tulipe, Sénèque plus ultra

A travers son éducation et sous l’influence de son frère Philippe, Pierre-Paul Rubens est un adepte fanatique du philosophe romain néo-stoïcien Sénèque (4 BC-65 AC). Dans les Quatre philosophes, Rubens se peint debout en s’associant une fois de plus à la gloire « des autres » (qui eux, occupent une place assise autour de la table). Devant le Palatin, considéré comme le symbole de Rome, il peint son frère Philippe, juriste de renom, le grand idéologue stoïcien de l’époque, Justus Lipsius et son élève Woverius, tous sous le regard d’un buste de Sénèque perché dans une niche et honoré par quatre tulipes, dont deux sont ouvertes et deux fermées.

Originaire de Perse, le bulbe de tulipe fut ramené de Turquie vers 1560 par un diplomate anversois. Sa culture évoluera d’un passe-temps exotique pour gentleman botaniste à l’immense folie collective connu sous le nom de « bulle des tulipes », Windhandel (commerce de vent) une gigantesque bulle spéculative qui explosera à Haarlem, le 2 février 1637. Peu avant la crise, une tulipe vice-roy se vendait pour deux mille cinq cent florins, soit l’équivalent de deux lastes (unité de poids) de blé et quatre de seigle, quatre veaux gras, huit porcs, une douzaine de moutons, deux cargaisons de vin, quatre tonnes de beurre, mille livres de fromages, un lit et une timbale en argent.12

Que Rubens se soit intéressé à cette activité lucrative, son tableau Rubens dans son jardin avec Hélène Fourment [FIG8] en témoigne.

Fig. 8 : Rubens, Rubens dans son jardin avec Hélène Fourment, 1631, Alte Pinakothek, Münich.

Derrière le maître et sa compagne, on aperçoit discrètement le fond d’un jardin rempli de tulipes ! Mais ici, dans Les quatre philosophes, la tulipe n’est qu’une métaphore faisant référence à La brièveté de la vie, une œuvre de Sénèque. Rubens et son frère, sur les traces de Justus Lipsius, reprennent le flambeau du néo-stoïcisme de Sénèque. Celui-ci, tuteur de Néron, ne faisait que prôner la forme romaine d’un cynisme aigu, connu sous le label de fatum : pour accéder à la grandeur (romaine), l’homme doit se résigner. Par un repli actif de soi sur soi et par une tenace dénégation d’un monde menaçant et absurde, l’homme découvre son moi surpuissant. Puissance qui s’accroît encore, si ce moi est capable de décider que la mort n’est rien. A l’opposé de Socrate, qui accepta de mourir pour la vérité, Sénèque fait de son suicide l’acte existentiel principal. En attendant son heure, il gère l’ennui entre plaisirs et douleurs dans un monde où le bien et le mal n’ont plus de sens.

Comme chez Aristote, cette philosophie, où « art de vivre » nous ramène dans l’enfer d’une déchirure qui sépare la raison, domaine dont il faut bannir toute émotion, et les forces puissantes des sens, dépourvues de brides, de l’intellect. Dans les deux cas, l’homme se coupe de la liberté véritable. Rubens crie haut et fort sa philosophie avec son tableau Silène ivre [FIG9].

Fig. 9 : Rubens, Silène ivre, 1618, Alte Pinakothek, Münich.

L’excès d’alcool évacue la raison et ramène l’homme (le silène) à son état bestial que Rubens considère comme naturel. Au lieu d’être polémique, ce tableau révèle toute la complaisance d’un peintre-courtisan, avec l’idée de l’homme esclave de ses passions aveugles ; au lieu de combattre ce dualisme, comme le poète Friedrich Schiller l’exigera explicitement dans ses Lettres sur l’Education esthétique de l’homme, il le cultive et s’en réjouit. Au spectateur, le peintre offre le plaisir de partager son intime conviction.

La paix et la guerre

Comme exemple « d’allégorisme », regardons un moment L’allégorie de la paix et la guerre [FIG10].

Fig. 10 : Rubens, « L’allégorie de la paix et la guerre », 1629, National Gallery, Londres.

Avant tout, ce tableau n’est rien d’autre qu’une brillante carte de visite. Rubens, devenu diplomate grâce à son carnet d’adresses, vient de conclure avec succès un traité de paix (qui ne tiendra que quelques années) entre l’Angleterre et l’Espagne. Répétant que pour lui « la paix » est fondée sur la capitulation unilatérale des Pays-Bas (la réunification du Sud catholique avec un Nord qui renonce à son protestantisme), il réussit à entrer dans le service diplomatique espagnol, chose totalement exceptionnelle pour un flamand, particulièrement depuis la révolte des Pays-Bas. Suite à son succès diplomatique, Rubens est triplement anobli : par la cour de Madrid, auprès de qui il va solliciter la nationalité espagnole en 1631 ; ensuite à Bruxelles et en Angleterre pour finir !

Avant de quitter le pays, il présente son tableau au roi Charles. Mars y est repoussé par la sagesse, présentée comme Minerve, la déesse protectrice de Rome. La Paix y est symbolisée par une femme qui oriente le jet de lait giclant de son sein vers la bouche d’un petit Pluton, cependant qu’un satyre aux pattes de bouc étale une corne d’abondance. Dans le fond à gauche, un ciel bleu entre en scène alors qu’à droite des nuages glissent comme les décors en carton d’un théâtre. Son argument choc pour la paix n’est pas un désir de justice, mais l’accroissement des plaisirs et des jouissances découlant des biens matériels que la paix permettra d’accumuler. Ironiquement, on pourrait dire que vu la cupidité des élites hollandaises, état de cupidité aigue que Rembrandt ne cessa de dénoncer, le manifeste de Rubens aurait peut-être pu convaincre la classe marchande hollandaise d’échanger la République pour une poignée de tulipes. Si seulement son art eut été autre chose que de l’autoglorification !

Ici, le style n’est que pur didactisme, copié du maniérisme italien : au lieu d’employer des métaphores capables de faire penser et découvrir des idées, il s’agit simplement d’illustrer des allégories symbolisées. Jamais la beauté d’une idée invisible ne peut ressurgir de cette démarche iconographique. Par ailleurs, ce « style » est tellement impersonnel que des dizaines d’assistants, véritables tâcherons, sont mobilisés pour l’expansion de l’entreprise. Le médecin du roi Christian IV du Danemark lors d’une visite chez Rubens en 1621 raconte :

« Nous rendîmes visite au très célèbre et éminent peintre Rubens que nous trouvâmes à l’œuvre et, tout en poursuivant son travail, se faisant lire Tacite et dictant une lettre. Nous nous taisions, par crainte de le déranger, mais lui, nous adressant la parole, sans interrompre son travail, et tout en faisant poursuivre la lecture et en continuant à dicter sa lettre, répondait à nos questions, comme pour nous donner la preuve de ses puissantes facultés. Il chargea ensuite un serviteur de nous conduire par son magnifique palais et de nous faire voir ses antiquités et les statues grecques et romaines qu’il possédait en nombre considérable. Nous vîmes donc une vaste pièce sans fenêtre, mais qui prenait le jour par une ouverture pratiquée au milieu du plafond. Là se trouvaient réunis un bon nombre de jeunes peintres occupés chacun d’une œuvre différente dont M. Rubens leur avait fourni un dessin au crayon, rehaussé de couleurs par endroits. Ces modèles, les jeunes gens devaient les exécuter complètement en peinture, jusqu’à ce que, finalement, M. Rubens y mit la dernière main par des retouches. Tout cela passait ensuite pour une œuvre de Rubens, et cet homme, non content d’amasser de la sorte une immense fortune, s’est vu combler par les rois et les princes d’honneurs et de riches présents. ».13

On sait par exemple qu’entre 1609 et 1620 pas moins de soixante trois autels sortirent de « Rubens, S.A ». En 1635, dans une lettre à son ami Pereisc, alors que la guerre de trente ans fait trembler l’Europe, Rubens dira cyniquement « laissons la charge des affaires publiques à ceux dont il est leur travail ». Le peintre, lui, obtient la décharge de toutes ses responsabilités publiques cette même année, et se retire pour vivre sa vie avec sa jeune compagne.

Peintre d’Agape contre peintre d’Eros

Rembrandt avait donc mille raisons et mille fois raison de s’irriter contre Rubens. Celui-ci n’était pas seulement du « mauvais côté » d’un point de vue politique, mais répandait un art n’inspirant que bassesses : des portraits qui ne cherchent qu’à flatter l’orgueil des puissants et font briller des minables et des fils à papa. Ces scènes d’histoire ne sont que l’apologie du fascisme romain, alliant le culte de la froide raison et la violence des forces de la nature que Rubens nous sert sous un vernis pseudo-catholique. Derrière « l’art de vivre » de Sénèque on trouve les méthodes brutales et manipulatrices du parfait courtisan décrit par Baldassare Castiglione, autre habitué de la cour de Mantoue. Pour la Cour, tout est forcément dans la repartie (la sprezzatura) et les apparences, derrière les « belles » formes se cachent des pulsions de séduction, de possession et de rapports de force.

A l’opposé, Rembrandt est le pionnier de l’intériorité, de la souveraineté créatrice de chaque individu. Pour la faire apparaitre, pourquoi pas souligner la laideur extérieure afin d’évoquer une beauté intérieure ? Dans le Le vieillard et l’enfant de Domenico Ghirlandaio (Louvre, Paris) une forme imparfaite reflète un individu doté d’une beauté splendide. Le vieillard possède un nez fort incommodant, mais l’échange des regards entre cet homme et l’enfant montre une qualité d’amour qui transcende les personnages. A l’opposé de Sénèque, ils ne contemplent pas la « brièveté de la vie », mais « l’immortalité de l’âme ».

Martin Luther King tente, dans un sermon, de définir ces différentes qualités d’amour.14

Après avoir défini érôs (amour charnel) et philia (amour fraternel) il dit :

« Le grec emploie encore un autre mot, agapè. Agapè est plus qu’érôs et plus que philia ; dans l’agapè il y a une bonne volonté pour tous les hommes, compréhensive, créatrice, rédemptrice. C’est un amour qui n’attend rien en retour. Un amour débordant, que les théologiens appelleraient l’amour de Dieu travaillant au cœur des hommes. Atteindre ce niveau permet d’aimer les hommes, non en raison de leur caractère aimable, mais parce que Dieu les aime. Voir tout homme et l’aimer parce que Dieu l’aime. Même si c’est la pire personne que vous ayez connue. »

Il montre ensuite comment cet amour intervient dans le domaine politique quand il affirme :

« Si je vous frappe et que vous me frappiez, et que je vous frappe en retour et que vous répliquiez, et ainsi de suite, cela se poursuit indéfiniment ! Cela n’en finit pas. Or, quelque part, quelqu’un doit avoir un peu de bon sens, et c’est la personne forte, c’est-à-dire celle qui est capable de rompre cette chaîne de la haine : elle ne se rompt pas. Quelqu’un doit avoir assez de foi pour rompre la chaîne et injecter au cœur de l’univers cet élément fort et puissant qu’est l’amour. »

Vous l’avez bien compris : dans sa lutte Martin Luther King vivait dans la même « éternité temporelle » que Rembrandt et Comenius défiant la Guerre de Trente ans. Voilà l’incroyable réalité : l’arme politique la plus puissante du monde est cet amour universel qui transforme. Rembrandt et Comenius l’avaient bien compris.

La petite pelisse

Voici une comparaison de deux tableaux qui vous permettra d’identifier encore mieux cette différence fondamentale entre éros et Agapè : La petite pelisse de Rubens [FIG11] et Hendrickje se baignant dans une rivière de Rembrandt [FIG12].

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Fig. 12 et 13 à gauche : Rubens, La petite pelisse, 1638, Kunsthistorisches Museum, Vienne. A droite : Rembrandt, Hendrickje se baignant dans une rivière, 1654, National Gallery, Londres.

Dans les deux cas il s’agit du portrait de la deuxième jeune compagne de chacun des peintres. Agé de 53 ans, Rubens est remarié avec Hélène Fourment (16 ans) et Rembrandt à 43 ans a pris comme compagne Hendrickje Stoffels (22 ans).

Hélène Fourment, qui nous regarde droit dans les yeux, tout en effectuant un geste de pseudo-chasteté sans espoir, s’enveloppe sans rien nous cacher dans une fourrure noire. Spécialité du peintre et touche de dramatisme baroque : le puissant contraste de cette fourrure avec la chaire pâlotte, par sa couleur et sa matière provoque inévitablement les instincts primaires. Que les collectionneurs aient baptisé ce tableau « la petite pelisse » n’est guère étonnant.

Paradoxalement, Hendrickje, qui pourtant lève sa jupe, ne suscite aucun frisson érotique ! Sa démarche hésitante dans l’eau fraîche s’accompagne d’un sourire confiant. Le spectateur n’est pas un voyeur ou un intrus, mais quelqu’un d’invité à partager un moment de bonheur.

Pour devenir arme politique, cet amour universel, l’agapè, ne peut se limiter à une vague idée sentimentale ou romantique. Pour cela, les ailes de la philosophie doivent lui fournir hauteur et raison, et la force de s’y maintenir.

Suzanne et les vieillards

Fig. 13 : Rubens, Suzanne et les vieillards, 1612, Nationalmuseum, Stockholm.

Autre exemple utile : l’histoire de Suzanne et les vieillards. Comenius, qui l’utilisa souvent, en était tellement ému qu’il nomma sa fille Zuzanna en 1643, et son fils Daniel en 1646. Cette parabole de la Bible (Daniel 13) reprend le concept grec de justice, déjà présent dans des tragédies grecques comme Antigone de Sophocle, où une jeune femme, au nom d’une loi supérieure, défie les lois de la cité.

Loin des regards, la belle Suzanne, se fait surprendre pendant sa baignade par deux juges qui lui font un chantage : soit tu couches avec nous, soit nous t’accusons d’avoir eu une relation avec un jeune homme qui s’est enfuit ! Suzanne se met à crier et refuse d’entrer dans leur jeu. Accusé devant les siens par les juges (les plus forts), Daniel, un jeune convaincu de son innocence, prend la défense de Suzanne et démontre le faux témoignage des juges qui subiront la peine prévue pour Suzanne.

Chez Rubens, (Suzanne et les vieillards) [FIG13] une voluptueuse Suzanne jette un regard désespéré en l’air pour réclamer l’aide du ciel. Le tableau incarne l’idéologie dominante de la Contre-Réforme : comme pour les protestants les plus radicaux, le libre arbitre n’existe pas.

Chez les protestants, l’âme est prédestinée au bien ou au mal, et quelles que soient leurs actions, cela ne change rien ; chez les Contre-Réformés catholiques, c’est la même chose, mais là on peut toujours tenter d’invoquer la clémence de Dieu dans le cadre des rites (et en payant des indulgences) : « Hors de l’église, point de salut ! ».

Fig. 14 : Rembrandt, Suzanne et les vieillards, 1647, Berlin.

D’une façon spectaculaire, chez Rembrandt (Suzanne et les vieillards) [FIG14], une chaste Suzanne lance un regard perçant vers le spectateur et le prend à témoin de son malheur. Seras-tu le nouveau Daniel ? Auras-tu le courage d’intervenir contre les lois de la Cité afin de défendre une justice « divine » ? Ainsi l’agapè est aussi un amour infini pour la justice et la vérité.

Platon contre Aristote

Que Rembrandt fut un philosophe est généralement contesté, voire démenti. Puisque l’inventaire (lors de sa mise en faillite forcée par ses ennemis) de 1654 ne mentionne aucun livre en dehors d’une grosse bible, les écrivains romantiques nous ont souvent dépeint un Rembrandt « poète maudit », génie narcissique, fils de meunier peu instruit faisant fi de la littérature et de la philosophie. Aristote contemplant le buste d’Homère [FIG15] nous démontre le contraire.

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Fig. 15 : Rembrandt, Aristote contemplant le buste d’Homère, 1653, Metropolitan, New York.

Commandité par l’aristocrate italien Don Antonio Ruffo, le tableau représente Aristote costumé en courtisan idéal : chemise ample, large chapeau noir et surtout décoré d’une pesante chaîne d’or, bref, habillé comme Castiglione, l’Arétin, le Titien et Rubens… Rembrandt démontre ici une connaissance très fine des ennemis du républicanisme, ayant compris que l’aristotélisme est la quasi-religion de l’oligarchie depuis Aristote. Le tableau se moque violemment d’un savoir empirique esclave de la perception des sens. Avec Erasme de Rotterdam, Rembrandt semble affirmer que « l’expérience est l’école des fous ! ». Incapable de voir avec des yeux vides de lumière, Aristote tâtonne d’une main incertaine le crâne du buste d’Homère dont il est supposé être un commentateur réputé. Homère, le poète grec devenu aveugle, le regarde avec les yeux ouverts de l’esprit. Cette inversion des rôles est renforcée dans la composition par la source de lumière, située tangentiellement derrière le buste du poète. Sous le chapeau d’Aristote, des reflets lumineux créent une image fantôme d’oreilles d’ânes, symbole renaissant des âneries scolastiques d’Aristote.

Fig. 16 : Rembrandt, Siméon avec l’enfant Jésus dans le temple, 1669, Nationalmuseum, Stockholm.

Il est utile d’opposer à l’aveuglement aristotélicien la clairvoyance de Siméon que l’on voit dans le tableau de Rembrandt retrouvé sur son chevalet après sa mort Le Vieillard Siméon avec l’enfant Jésus dans le temple [FIG16].

Toute sa vie, Siméon avait espéré voir le Christ de ses propres yeux. Mais, en vieillissant, son espoir s’estompa de pair avec sa vue. Se rendant quotidiennement au temple, un jour Marie lui demanda de tenir son enfant dans ses bras. Une joie immense envahit alors Siméon, qui, bien qu’aveugle, voyait le Christ bien mieux que quiconque.

Rembrandt a voulu nous léguer cette conviction : ne croyez pas ce que vous voyez, mais croyez et agissez dans un dessein divin et vous le verrez. Sur les mains du peintre on voit un ensemble de tâches qui pourraient former une boule en cristal, renforçant le coté prophétique du sujet.

 La Pièce aux cents florins

Cette philosophie se manifeste également dans l’eau-forte connue sous le nom de Pièce aux cents Florins (Le Christ prêchant aux infirmes) [FIG17].

Fig. 17 : Rembrandt, La pièce aux cent florins eau-forte.

Pendant plus de six ans, Rembrandt y travailla d’arrache-pied. Rien que pour sculpter le visage du Christ, fils de Dieu et fils des hommes et donc sujet excessivement difficile, il n’exécuta pas moins de six portraits à l’huile de jeunes rabbins d’Amsterdam. Une comparaison avec La Cènede Léonard de Vinci dévoile que la fresque de Léonard fut le point de départ pour la composition. Rembrandt l’étudia, et en fit des croquis d’après des reproductions de l’époque. Surtout, l’analyse des rayures de la plaque de cuivre montre que la position des mains du Christ était à l’origine identique à celles de la Cène de Léonard.

Loin des coups de projecteurs qui caractérisent l’univers théâtral et illusionniste qui va du Caravage à Hitchcock, l’œuvre évoque le « mythe de la caverne » de Platon, et l’on y retrouve le Christ bénissant des malades au centre d’un sombre caveau. Transfigurés, et un peu aveuglés, tels les prisonniers dans l’opéra Fidelio de Beethoven, ils marchent vers le Christ. Touchés par sa lumière divine, ils deviennent des philosophes. On reconnaît, entre autres, Homère et Aristote (qui lui, se détourne du Christ), Erasme de Rotterdam et Saint-Pierre figuré (selon certaines sources) avec les traits de Socrate (qu’Erasme appelle « Saint-Socrate »).

La gravure réunit dans un même instant plusieurs séquences décrites dans le chapitre XIX de l’Evangile selon Saint Mathieu : « Laissez venir à moi les petits enfants et ne les empêchez point, car le Royaume des cieux est à ceux qui sont comme eux ». Ainsi d’un geste puissant, le Christ écarte même le meilleur « savoir savant » au profit de l’amour quand Pierre tente de barrer la route aux enfants que les femmes présentent à Jésus.

Tout près est assise la figure méditative du jeune homme riche qui chercha la vie éternelle mais hésita à vendre toutes ses possessions pour en donner le produit aux pauvres. Lorsqu’il fut parti, Jésus songeur, constata tristement qu’il est plus aisé pour un chameau (représenté sous l’arche d’entrée, à droite) de passer par le chas d’une aiguille que pour un homme riche d’entrer au royaume éternel.

Dans un espace qui se situe au-delà de la succession d’instants éphémères, l’action se déroule dans « le temps de tous les temps », dans un instant de l’éternité où les esprits se mesurent à l’universel, dans une espèce de « Jugement dernier » de la conscience divine et philosophique.

La guérison des malades est le point de rupture articulant les deux univers, la souffrance et le bonheur, les ténèbres et la lumière. Le Christ, par son amour, métaphorisé en lumière, guérit et transforme les malades pour en faire des rois-philosophes. Ces philosophes deviennent ainsi des apôtres assis à ses cotés et à la même hauteur que les apôtres dans la Cène de Léonard.

Par sa lumière, le Christ élève les hommes à son image vivante et ses élèves deviennent eux-mêmes source de lumière, capable de rayonner.

Cette « lumière d’Agapè » est le seul fondement philosophique à l’origine de la révolution technique de Rembrandt : au lieu de commencer l’œuvre sur un fond blanc ou de couleur claire (ce qu’on appelle une « impression »), toute l’œuvre tardive est peinte sur une impression sombre, voire noire ! Ensuite, le travail en pâte épaisse, grâce à l’utilisation de la térébenthine de Venise et l’incorporation dans la matière picturale de cire d’abeilles, ramène Rembrandt à des techniques proches de l’encaustique décrites par Pline l’ancien, comme celle employée par Appelles sous Alexandre le Grand et par les peintres du Fayoum en Egypte. Par l’inversion de la gamme de couleurs et une grande économie de moyens, réduisant la palette à moins de six couleurs, Rembrandt fera du peintre un « sculpteur de lumière ». Johannes Vermeer, à sa façon, reprendra cette démarche.15

Privée de gloire terrestre après leur disparition, Rembrandt et Comenius furent immédiatement condamné à l’oubli par le système oligarchique. Mais leurs vies représentent une victoire importante pour l’humanité. Leur bataille politique, philosophique, éducationnelle et esthétique contre l’oligarchie et ses valets, tel Rubens, les fait entrer dans l’éternité. Ils sont et resteront une source inépuisable d’inspiration pour les combats d’aujourd’hui et de demain.

Notes :


1 Karel Vereycken, Rembrandt, bâtisseur de nations, Nouvelle Solidarité, 10 et 17 juin 1985.
2 Olivier Cauly, Comenius, note de bas de page p. 77, Editions du Félin, Paris, 1995.
3 Brochure sur ce tableau du Nationalmuseum de Stockholm.
4 Pour en finir avec des années de harcèlement financier provenant de la famille de Saskia van Uylenburgh, mais avec des vues politiques précises : faire taire le peintre ; Rembrandt demande le 14 juillet 1656 à la Haute Cour de Hollande une cessio bonorum(cession de biens au bénéfice des créanciers).
5 Henriette L.T. de Beaufort, Rembrandt, p. 105, HDT Willinck Zoon, Haarlem, 1957.
6 Samuel Hartlib and Universal Reformation, p. 358, Cambridge University Press, 1994.
7 Bob van den Bogaert, Goethe Rembrandt, p. 12-13, Amdsterdam University Press, Amsterdam 1999.
8 Marcelle Denis, Comenius, pédagogies pédagogues, p.25, PUF, 1994.
9 Constantijn Huygens (1596-1687), était un érudit d’une précocité exceptionnelle. Homme politique, scientifique, moraliste, compositeur de musique, il jouait du violon à l’âge de six ans et écrivait des poèmes en Néerlandais, Latin, Français, Italien, Espagnol, Anglais et Grec. Sa satire ‘T Kostelick Mal (la folie chère) (à l’opposé du Profijtelijk Vermaak= l’amusement profitable) se moque des caprices de la Cour et de la mode « beaumondiste » alors en vogue. C’est le père de Christiaan Huyghens, brillant scientifique et collaborateur de Leibniz à l’Académie des Sciences de Paris.
10 Concile de Trente : « le Saint concile statue qu’il n’est permis à personne, dans aucun lieu ou église, même exempte, de placer ou de faire placer une image inhabituelle, à moins que celle-ci n’ait été approuvée par l’évêque. » « enfin toute indécence sera évitée, en sorte que les images ne soient ni peintes, ni ornées d’une beauté provocante » P.1575-1577, t. II-2, dans G. Alberigo, Les Conciles œcuméniques, repris par Alain Tallon (p.132) dans Le concile de Trente, Editions du CERF, Paris, 2000.
11 Simon Schama, Rembrandt’s eyes, p. 172, Knopf, New York, 1999.
12 Simon Schama, L’embarras de richesses, La culture hollandaise au Siècle d’Or, p. 471, Gallimard, Paris, 1991.
13 Otto Sperling, le médecin de Christian IV, cité par Marie-Anne Lescouret dans Pierre-Paul Rubens, p. 117, JCLattès, Paris, 1990.
14 Martin Luther King, Aimer vos ennemis, sermon de Montgomery (Alabama), en la Baptist Church de Dexter Avenue, le 17 novembre 1957. Repris dans Martin Luther King, Minuit, quelqu’un frappe à la porte, p. 63, Bayard, Paris, 2000.
15 Johannes Vermeer de Delft était un ami de Karel Fabritius, de loin le meilleur élève de Rembrandt, mort dans l’explosion d’une poudrière à trente-quatre ans. Vermeer en sera l’exécuteur testamentaire. A son tour, Anthonie van Leeuwenhoeck, l’inventeur du microscope et correspondant de Leibniz sera l’exécuteur testamentaire de Johannes Vermeer, tâche qu’on attribua toujours à quelqu’un de très proche. Cette filiation ne fait que démontrer l’interconnexion constante entre le monde de la science et celui des arts plastiques. L’école « intimiste » hollandaise, dont Vermeer est le représentant le plus accompli, n’est que l’expression d’une transcendance « métaphysique » dans la beauté « divine » des scènes du quotidien.

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