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Enseignement mutuel : curiosité historique ou piste d’avenir ?

Par Karel Vereycken, Paris, France

  1. Introduction
  2. Apprendre et enseigner, une même joie
  3. Précédents
    A. En Inde
    B. En France
  4. Les brigades de Gaspard Monge
  5. Andrew Bell
  6. Joseph Lancaster
  7. Enseignement mutuel, comment ça marche ?
    A. Le local
    B. Maîtres et moniteurs
    C. Fonctionnement
    D. Progresser selon sa connaissance
    E. Les outils
    F. Commandement
  8. Bellistes contre lancastériens
  9. Lorsque ça intéresse les Français
  10. Lazare Carnot à la manœuvre
  11. Enseignement mutuel et chant choral
  12. Le projet pilote de la rue Saint-Jean-de-Beauvais
  13. Jomard, Choron, Francœur et savoirs élémentaires
  14. Rayonnement national
  15. Critiques
  16. Dérive mécaniste ?
  17. Mort de l’enseignement mutuel en France
  18. Conclusion
  19. Quelques ouvrages et textes consultés, en accès libre

« Répondez, mes amis : il doit vous être doux
D’avoir pour seuls mentors des enfants comme vous ;
Leur âge, leur humeur, leurs plaisirs sont les vôtres ;
Et ces vainqueurs d’un jour, demain vaincus par d’autres,
Sont, tour à tour parés de modestes rubans,
Vos égaux dans vos jeux, vos maîtres sur les bancs.
Muets, les yeux fixés sur vos heureux émules,
Vous n’êtes point distraits par la peur des férules ;
Jamais un fouet vengeur, effrayant vos esprits,
Ne vous fait oublier ce qu’ils vous ont appris ;
J’écoute mal un sot qui veut que je le craigne,
Et je sais beaucoup mieux ce qu’un ami m’enseigne. »

Victor Hugo, Discours sur les avantages de l’Enseignement mutuel, 1817.

1. Introduction

Enseigner la lecture et l’écriture à 1000 enfants présents dans une même salle, sans instituteur, sans livres scolaires, sans papier et sans encre, c’est clairement impossible. Et pourtant, cela a été imaginé et mis en pratique avec grand succès ! Chut ! Il ne faut pas en parler, car cela pourrait donner des idées à certains, et pas seulement dans les pays émergents !

Qu’un tel défi puisse être relevé ne pouvait qu’inquiéter l’oligarchie et ses serviteurs. Depuis la nuit des temps ils formatent une « élite » (les grands prêtres de la connaissance, les « experts » et autres sachants) se reproduisant en vase clos au sommet, tout en veillant à ce que la grande masse du peuple d’en bas s’instruise juste assez pour pouvoir livrer des colis, payer ses impôts, se plier aux règles définies par le sommet, et surtout, ne fasse pas (trop) désordre.

Pourtant, comme l’avait compris bien avant nous Hippolyte Carnot, ministre de l’Instruction publique de la IIe République, sans éducation républicaine, c’est-à-dire sans une véritable formation de citoyen dès la maternelle, le suffrage universel devient, assez souvent, une farce tragique capable d’engendrer des monstres.

Au début du XIXe siècle, « l’enseignement mutuel » (parfois appelé système « monitorial » anglais, « système de Madras » ou « système de Lancaster »), se répand comme un feu de brousse en Europe puis à travers le monde.

Si le maître s’adresse à un seul élève, c’est le mode individuel (cas du précepteur) ; s’il s’adresse à toute une classe, c’est le mode simultané ; s’il charge des enfants d’instruire les autres, c’est le mode mutuel. L’alliance des procédés simultané et mutuel est appelée mode mixte.

L’enseignement mutuel est rapidement victime de querelles de personnes et d’enjeux idéologiques, politiques et religieux. Il est vécu comme une agression par les congrégations religieuses qui pratiquent, elles, « l’enseignement simultané », édicté dès 1684 par Jean-Baptiste de la Salle pour les « Frères des écoles chrétiennes » : classes par âge, division par niveau, place fixe et individuelle, discipline stricte, travail répétitif et simultané surveillé par un maître inflexible.

Avec la constitution de petits groupes où les élèves enseignent les uns aux autres, se déplacent dans la salle de classe, l’enseignement mutuel a immédiatement fait naître, assez bêtement, la crainte d’un monde cul par-dessus tête, sortant d’un tableau de Jérôme Bosch. Dans quel monde sommes-nous si l’élève enseigne au maître, l’enfant au parent, le fidèle au prêtre, le citoyen au gouvernement ! Sans chef, que faire, chef ?

Estimant qu’un tel enseignement « affaiblit l’autorité » aussi bien des maîtres que des autorités politiques et religieuses, en 1824, le pape Léon XII (à ne pas confondre avec le bienveillant Léon XIII), le « pape de la Sainte-Alliance », farouche partisan de l’ordre et soupçonnant un vaste complot protestant contre le Vatican, l’interdit.

En France, où dans les années qui suivent la Révolution de 1830, près de 2 000 écoles mutuelles existent, principalement dans les villes, en concurrence avec les écoles confessionnelles, François Guizot, ministre de Louis-Philippe, les fera disparaître.

2. Apprendre et enseigner, une même joie

Un bon tuteur était réservé aux prince : ici, le prince Charles Louis du Palatinat avec son tuteur Wolrad von Plessen, tableau de Jan Lievens.

Le tutorat connaît aujourd’hui un regain d’intérêt dans le cadre des apprentissages scolaires et formations professionnelles. Il s’agit d’un processus « d’assistance de sujets plus expérimentés à l’égard de sujets moins expérimentés, susceptible d’enrichir les acquisitions de ces derniers ». C’est ainsi que le tutorat entre enfants, en particulier entre enfants d‘âges différents, est encouragé dès l’école maternelle, jusqu’à l’université avec l’institutionnalisation au niveau du premier cycle du tutorat méthodologique, en passant par l’école élémentaire et le secondaire qui ont vu se développer depuis les années 1980, tant en France qu’à l’étranger, de nombreuses expériences tutorales.

Or, le tutorat n’est que le pâle héritier de l’enseignement mutuel développé en Angleterre puis en France au XIXe siècle.

Il existe une vérité immuable : l’avenir de l’humanité dépend d’une faculté exclusivement humaine : la découverte de principes physiques universels nouveaux, parfois dépassant de loin les bornes de notre appareil sensoriel, permettant à l’Homme d’accroître sa capacité de transformation de l’univers afin d’améliorer de façon qualitative son sort et celui de son environnement. Or, une découverte n’est jamais le fruit d’une somme ou d’une moyenne d’opinions multiples mais bien celui d’un acte unique parfaitement souverain.

Regarde ce que je viens de découvrir !

Cependant, sans la socialisation de cette découverte, elle ne servira à rien. L’histoire de l’humanité est donc, par sa propre nature, pourrait-on dire, l’histoire d’un « enseignement mutuel ».

Le plus grand plaisir de celui qui vient d’effectuer une découverte, et cela est naturel chez les enfants, n’est-il pas de partager, non seulement ce qu’il ou elle vient de découvrir, mais la joie et la beauté que représente toute percée scientifique ? Et lorsque ceux qui découvrent, enseignent, le plaisir est au rendez-vous. Laissons-donc à nos enseignants professionnels le temps de faire des découvertes, leur enseignement y gagnera en qualité !

3. Précédents

A. En Inde

En 1623, l’explorateur italien Pietro Della Valle (1586-1652), après un voyage en « Indoustan » (Inde), dans une lettre expédiée d’Ikkeri (ville du sud-ouest de l’Inde), rapporte avoir vu :

Pietro della Valle.

« certains jeunes enfants qui y apprenaient à lire d’une façon extraordinaire (…) Ils étaient quatre et avaient pris du maître une même leçon ; afin de l’inculquer parfaitement dans leur mémoire, de répéter les précédentes qui leur avaient été prescrites, de peur de les oublier, l’un d’eux chantait d’un certain ton musical une ligne de la leçon, comme par exemple deux et deux font quatre. En effet, on apprend facilement une chanson. Pendant qu’il chantait cette partie de leçon pour l’apprendre mieux, il l’écrivait en même temps, non pas avec une plume, ni sur du papier. Mais pour l’épargner et n’en pas gâter inutilement, ils en marquaient les caractères avec le doigt sur le même plancher où ils étaient assis en rond, qu’ils avaient couvert pour ce sujet d’un sable très délié. Après que le premier de ces enfants avait écrit de la sorte en chantant, les autres chantaient et écrivaient la même chose tous ensemble (…) Sur ce que je leur demandais qui (…) les corrigeait lorsqu’ils manquaient, vu qu’ils étaient tous écoliers, ils me répondirent fort raisonnablement, qu’il était impossible qu’une seule difficulté les arrêtât tous quatre en même temps, sans pouvoir la surmonter et que pour le sujet ils s’exerçaient toujours ensemble afin que si l’un manquait les autres fussent ses maîtres. »

Dans ce texte apparaissent déjà les grands principes de l’enseignement mutuel, notamment l’apprentissage simultané de la lecture et de l’écriture, l’utilisation du sable pour les exercices d’écriture afin de ne pas gaspiller le papier qui est rare et fort cher, un cours en collectif donné par un maître, puis un travail en sous-groupes dans lequel les élèves apprennent à s’autoréguler, et enfin, une intégration du savoir qui, grâce à l’utilisation du chant, va faciliter la mémorisation.

B. En France

A Lyon, le prêtre lyonnais Charles Démia figure comme l’un des précurseurs de l’enseignement mutuel qu’il a théorisé dès 1688, et qu’il mettait en pratique dans les « petites écoles » pour enfants pauvres qu’il a fondées. D’après le Nouveau dictionnaire de pédagogie et de l’instruction primaire,

« Démia introduisit dans les classes ce qu’on appela plus tard l’enseignement mutuel : il recommande de choisir, parmi les écoliers les plus capables et les plus studieux, un certain nombre d’officiers, dont les uns, sous le nom d’intendants et de décurions, seront chargés de la surveillance, tandis que les autres devront faire répéter les leçons du maître, reprendre les écoliers quand ils se trompent, guider la main hésitante des ‘jeunes écrivains’, etc. Pour rendre possible la simultanéité de l’enseignement, l’auteur des règlements divise l’école en huit classes, dont le maître devra s’occuper tour à tour ; chacune de ces classes peut se subdiviser en bandes. »

A Paris, dès 1747, l’enseignement mutuel est pratiqué avec un grand succès dans une école de plus de 300 élèves, établie par M. Herbault à l’hospice de la Pitié, en faveur des enfants des pauvres. L’expérience, hélas, ne survécut pas à son fondateur.

En 1772, la charité ingénieuse du chevalier Paulet conçut et exécuta le projet d’appliquer une semblable méthode à l’éducation d’un grand nombre d’enfants, que la mort de leurs parents laissaient sans appui dans la société.

4. Les brigades de Gaspard Monge

Enfin, comme le raconte, dans sa biographie de Gaspard Monge, son élève le plus brillant, l’astronome François Arago (1786-1853), lui-même un ami proche d’Alexandre de Humboldt, c’est à l’École polytechnique que Monge va peaufiner son propre système d’enseignement mutuel et de tutorat.

Jugeant qu’il était inacceptable de devoir attendre trois ans pour voir sortir les premiers ingénieurs de l’École polytechnique, Monge décida, afin d’accélérer la formation des élèves, d’organiser des « cours révolutionnaires », une formation accélérée pendant trois mois. Pour cela, il perfectionna le concept de « chefs de brigades », une technique qu’il avait déjà pu tester avec succès à l’école du Génie de Mézières.

Elèves de l’Ecole polytechnique s’efforçant d’imiter les grands hommes, fronton du Panthéon, David d’Angers.
Polytechniciens devant l’Ecole du Génie de Mézières.

François Arago :
« Les chefs de brigade, toujours réunis à de petits groupes d’élèves dans des salles séparées, devaient avoir des fonctions d’une importance extrême, celles d’aplanir les difficultés à l’instant même où elles surgiraient. Jamais combinaison plus habile n’avait été imaginée pour ôter toute excuse à la médiocrité ou à la paresse.

« Cette création appartenait à Monge. A Mézières, où les élèves du génie étaient partagés en deux groupes de dix, à Mézières, où, en réalité, notre confrère fit quelque temps, pour les deux divisions, les fonctions de chef de brigade permanent, la présence, dans les salles, d’une personne toujours en mesure de lever les objections avait donné de trop heureux résultats pour qu’en rédigeant les développements joints au rapport de Fourcroy, cet ancien répétiteur n’essayât pas de doter la nouvelle école des mêmes avantages.

« Monge fit plus ; il voulut qu’à la suite des leçons révolutionnaires, qu’à l’ouverture des cours des trois degrés, les 23 sections de 16 élèves chacune, dont l’ensemble des trois divisions devait être composé, eussent leur chef de brigade, comme dans les temps ordinaires ; il voulut, en un mot que l’École, à son début, marchât comme si elle avait déjà trois ans d’existence.

« Voici comment notre confrère atteignit ce but en apparence inaccessible. Il fut décidé que 25 élèves, choisis par voie de concours parmi les 50 candidats que les examinateurs d’admission avaient le mieux notés, deviendraient les chefs de brigade de trois divisions de l’école, après avoir reçu à part une instruction spéciale. Le matin, les 50 jeunes suivaient, comme tous leurs camarades, les cours révolutionnaires ; le soir, on les réunissait à l’hôtel Pommeuse, près du Palais-Bourbon, et divers professeurs les préparaient aux fonctions qui leur étaient destinées. Monge présidait à cette initiation scientifique avec une bonté, une ardeur, un zèle infinis. Le souvenir de ses leçons est resté en traits ineffaçables dans la mémoire de tous ceux qui en profitèrent. »

Arago cite alors le témoignage d’Edme Augustin Sylvain Brissot (1786-1819), fils du célèbre girondin et abolitionniste, un des 50 élèves :

« C’est là, que nous commençâmes à connaître Monge, cet homme si bon attaché à la jeunesse, si dévoué à la propagation des sciences. Presque toujours au milieu de nous, il faisait succéder aux leçons de géométrie, d’analyse, de physique, des entretiens particuliers où nous trouvions plus à gagner encore. Il devint l’ami de chacun des élèves de l’Ecole provisoire ; il s’associait aux efforts qu’il provoquait sans cesse, et applaudissait, avec toute la vivacité de son caractère, aux succès de nos jeunes intelligences ».

Si une forme d’enseignement mutuel y est pleinement pratiquée, le dévouement total d’un maître aussi fervent que Monge, vient compléter ce qui ne serait autrement qu’un « système ».

5. Andrew Bell

Andrew Bell. (gravure manière noire) par C. Turner.

C’est un Écossais, le pasteur anglican Andrew Bell (1753-1832), qui revendique la paternité de l’enseignement mutuel qu’il a pratiqué et théorisé en Inde, à la tête de l’Asile militaire pour orphelins d’Egmore (Inde orientale). Cette institution, créée en 1789, est chargée d’éduquer et d’instruire les orphelins et les fils indigents des officiers et des soldats européens de l’armée de Madras.

Après sept ans sur place, Bell rentre à Londres et en 1797, il rédige un rapport destiné à la Compagnie des Indes (son employeur à Madras) sur les incroyables avantages de son invention.

Le médecin, naturaliste et inventeur russe Iosif Kristianovich (Joseph Christian) Hamel (1788-1862), membre de l’Académie des Sciences, est chargé par le Tsar de Russie Alexandre Ier, de faire un rapport complet sur ce nouveau type d’enseignement dont toute l’Europe discutait alors.

Il relate, dans Der Gegenseitige Unterricht (1818), ce qu’écrivait Bell dans un de ses écrits :

Ecole de Madras où enseigna Bell.

« Il arriva dans ce temps, qu’en faisant un matin ma promenade ordinaire, je passai devant une école de jeunes enfants Malabares, et je les vis occupés à écrire sur la terre. L’idée me vint aussitôt qu’il y aurait peut-être moyen d’apprendre aux enfants de mon école, à connaître les lettres de l’alphabet, en leur faisant tracer sur le sable. Je rentrai sur-le-champ chez moi, et je donnai ordre au maître de la dernière classe, de faire exécuter ce que je venais d’arranger dans mon chemin. Heureusement, l’ordre fût très mal accueilli ; car si le maître s’y fut conformé à ma satisfaction, il est possible que tout développement ultérieur eût été arrêté, et par là, le principe même de l’enseignement mutuel… »

Accueilli avec froideur en Angleterre, l’enseignement mutuel finit par séduire Samuel Nichols, un des dirigeants de l’école de St-Botolph’s Aldgate, la plus vieille paroisse protestante anglicane de Londres. La mise en œuvre des préceptes de Bell est réalisée avec grand succès et sa méthode est reprise par le docteur Briggs lorsqu’il ouvre une école industrielle à Liverpool.

6. Joseph Lancaster

Joseph Lancaster.

En Angleterre, c’est Joseph Lancaster (1778-1838), un instituteur londonien âgé de vingt ans, qui s’empare de la nouvelle manière d’enseigner, la perfectionne et la généralise à grande échelle.

En 1798, il ouvre une école élémentaire pour les enfants pauvres à Borough Road, un des faubourgs les plus miséreux de Londres. L’enseignement n’y est pas encore totalement gratuit mais 40 % moins cher que dans les autres écoles de la capitale.

Faute d’argent, Lancaster fait tout pour faire baisser encore les coûts de ce qui devient un véritable « système » : emploi de sable et d’ardoises plutôt que d’encre et de papier (Erasme de Rotterdam rapporte en 1528 qu’en son temps il y avait des gens qui écrivaient avec une sorte de poinçon sur des tables recouvertes d’une fine poussière) ; tableaux reproduisant les pages d’ouvrages scolaires suspendus aux murs pour éviter l’achat de livres ; maîtres auxiliaires remplacés par des élèves pour éviter de payer des salaires ; augmentation du nombre d’élèves par classe.

Ecole lancastérienne à Liverpool.

En 1804, son école compte 700 élèves, et douze mois plus tard, un millier. Lancaster, en s’endettant de plus en plus, ouvre une école pour 200 filles. Pour échapper à ses créanciers, il quitte Londres en 1806 et lors de son retour il est enprisonné pour dette. Deux de ses amis, le dentiste Joseph Foxe et le fabricant de chapeaux de paille William Corston, remboursent sa dette et fondent avec lui « La société pour la promotion du système lancastérien pour l’éducation des pauvres ». D’autres quakers viendront alors les soutenir, notamment l’abolitionniste William Wilberforce (1759-1833) que David d’Angers, sur le socle de son célèbre monument commémorant Gutenberg à Strasbourg, fait figurer aux côtés de Condorcet et de l’abbé Grégoire.

A partir de là, comme le relate Joseph Hamel dans son rapport de 1818, la nouvelle approche s’est répandue aux quatre coins du monde : Angleterre, Écosse, Irlande, France, Prusse, Russie, Italie, Espagne, Danemark, Suède, Pologne et Suisse, sans oublier le Sénégal et plusieurs pays d’Amérique du Sud comme le Brésil et l’Argentine et, bien sûr, les États-Unis d’Amérique. L’enseignement mutuel a été adopté comme pédagogie officielle à New York (1805), Albany (1810), Georgetown (1811), Washington D.C. (1812), Philadelphie (1817), Boston (1824) et Baltimore (1829), et la législature de Pennsylvanie a envisagé de l’adopter à l’échelle de l’État.

Première école lancastarienne aux Etats-Unis.

7. Enseignement mutuel, comment ça marche ?

Le principe fondamental de « l’enseignement mutuel », particulièrement pertinent pour l’école primaire, consiste dans la réciprocité de l’instruction entre les écoliers, le plus capable servant de maître à celui qui l’est moins. Dès le début, tous avancent graduellement, quel que soit le nombre d’élèves. Bell et Lancaster, et leurs disciples français, posent en postulat la diversité des facultés, l’inégalité des progrès, des rythmes de compréhension et d’acquisition. Ils sont donc conduits à repartir les élèves en classes différentes suivant les disciplines et suivant le niveau de connaissances des enfants, l’âge n’intervenant aucunement dans cette classification. Les écoliers ainsi réunis prennent part aux mêmes exercices. Leur programme d’étude est identique dans son contenu et dans ses méthodes.

Si l’effectif d’une division est trop élevé dans une discipline, la lecture ou l’arithmétique, par exemple, on constitue des sous-groupes qui évoluent parallèlement, les méthodes et supports de l’enseignement restant identiques.

Comment se présente alors une école du nouveau système ?

A. La salle de classe

Taille d’une école d’enseignement mutuelle élémentaire pour 350 élèves.

Quel que soit le nombre d’élèves — une centaine dans les bourgades françaises, mille dans l’école de Lancaster à Londres, deux cents dans les écoles parisiennes – ceux-ci sont groupés dans une salle unique, rectangulaire, sans cloisons. Jomard qui déploya dans les premières années de l’installation du mode d’enseignement mutuel une extraordinaire et féconde activité, a fixé les normes souhaitables pour des effectifs variant de 70 à 1 000 élèves. Il indique, par exemple, pour 350 élèves la nécessité d’une salle de 18 m de long sur 9 m de large. En Angleterre et dans les campagnes françaises, on utilise souvent une grange pour la nouvelle école. En France, les édifices religieux désaffectés depuis la période révolutionnaire sont nombreux et répondent parfaitement aux normes souhaitées. Ils accueilleront beaucoup d’écoles mutuelles.

B. Maîtres et « moniteurs »

Planning d’une journée d’enseignement mutuel, Alsace.

Le mode mutuel répartit la responsabilité de l’enseignement entre le « maître » et des élèves désignés comme « moniteurs » et considérés comme « la cheville ouvrière de la méthode ». Le moniteur (ou admoniteur) est un élève un peu plus grand et plus avancé dans la discipline. Il de doit point enseigner mais s’assurer que les élèves s’enseignent entre eux. Comme le rappelle Bally, dès 1819 :

« La base de l’enseignement mutuel repose sur l’instruction communiquée par les élèves les plus forts à ceux qui sont les plus faibles. Ce principe qui fait le mérite de cette méthode, a nécessité une organisation toute particulière pour créer une hiérarchie raisonnable, qui pût concourir de la manière la plus efficace, au succès de tous. »

Chaque jour, dans une « classe » réservée aux moniteurs, le maître transmet des connaissances et dispense à ses adjoints les conseils techniques pour la bonne application de la méthode. Au cours de la journée, il reste responsable de la 8e classe (celle de l’achèvement du cursus scolaire), et, à ce titre, se charge de la conduite de leurs exercices. Il procède aux examens périodiques, mensuels ou occasionnels, dans les classes et décide, éventuellement, des changements de classe. C’est lui, enfin, qui, au stade ultime, distribue punitions et récompenses.

C. Fonctionnement

Ainsi, sur une estrade, le bureau du maître avec un large tiroir où sont rangés argent, billets de récompense, registres, modèles d’écriture, sifflets, cahiers des enfants.

Derrière le maître, à côté de l’horloge – instrument essentiel pour organiser la vie de l’enseignement – un tableau noir sur lequel sont écrits sentences et modèles d’écriture.

Au pied de l’estrade, des bancs sont fixés transversalement aux pupitres, de tailles différentes, au milieu de la pièce. Les premières tables, non inclinées, comportent du sable sur lesquelles les petits enfants tracent des signes, les autres tables reçoivent des ardoises ; on trouve également, sur les dernières d’entre elles, des encriers de plomb et du papier, des baguettes pour indiquer les mots ou les lettres à lire.

À l’extrémité de chaque table sont fixés les « tableaux de dictées » ainsi que des signaux télégraphiques indiquant les moments de la leçon, tel par exemple « COR » pour « correction » ou « EX » pour « examen du travail ». Des modèles de table demi-circulaire ont été ensuite proposés afin de faciliter le travail des moniteurs.

D. Progresser en fonction de sa connaissance

La première école pilote d’enseignement mutuel, rue Saint-Jean-de-Beauvais à Paris en 1820, lithographie de Marlet.

A l’origine, le programme de l’école mutuelle est limité aux trois disciplines fondamentales : lecture, écriture, arithmétique, et à l’enseignement de la religion. S’y ajouteront rapidement, la géographie, la grammaire, la rédaction, le chant et le dessin. Les groupements d’élèves, souples, mobiles, différenciés, sont fonction de la nature des matières d’étude et des activités pratiquées dans la discipline.

Chaque matière enseignée dans les écoles mutuelles repose sur un programme précis et codifié. Ce programme est découpé en 8 degrés hiérarchisés, qui doivent être parcourus successivement. Chaque degré s’appelle « classe » et c’est ainsi que l’on parle de 8 classes d’écriture ou d’arithmétique. Ce terme de « classe » est totalement exclusif de la notion d’architecture ou de local. Il ne s’entend que par rapport aux acquisitions et aux connaissances, la 1ere classe étant celle des débutants et la 8e celle de l’achèvement du cursus scolaire. Les rythmes d’apprentissages et les acquisitions varient suivant les élèves et suivant la discipline.

Ainsi, au bout de six mois de présence, tel élève pourra se trouver en 4e classe de lecture, en 5e classe d’écriture et en deuxième classe d’arithmétique. Comme nous l’avons dit, l’affectation dans la classe se décide en fonction du niveau de connaissance et non pas en fonction de l’âge.

Mais cette première répartition s’assortit, au sein de chaque classe et dans chaque discipline, de la constitution de groupes restreints établis selon les activités qui doivent y être pratiquées. En arithmétique, par exemple, des travaux écrits se font sur l’ardoise. Ils ont lieu, assis, sur les bancs réservés à cet usage, avec 16 à 18 élèves au maximum par banc, selon les normes établies par Jomard.

Les exercices oraux, en lecture, en arithmétique ou en dessin linéaire, à l’aide d’un tableau noir, se font debout, par groupes de 9 au maximum, les élèves se tenant côte à côte et formant un demi-cercle. De là, d’ailleurs, l’appellation donnée à ce genre d’activité : « travail au cercle ».

Ainsi, dans une école mutuelle ayant 36 élèves en 3e classe d’arithmétique, le travail aux bancs se fera en deux groupes avec deux moniteurs et les exercices au tableau noir avec 4 groupes et 4 moniteurs. Les effectifs des classes pourront donc varier suivant les écoles et tout au cours de l’année, la seule limitation étant imposée par l’étendue du local.

D. Les outils

Le souci d’économie est l’une des caractéristiques fondamentales du nouvel enseignement. Le mobilier reste donc très sommaire.

  • Les bancs et pupitres sont faits de planches très ordinaires, fixées avec de gros clous. Les bancs n’ont pas de dossier : c’est un luxe superflu !
  • L’estrade est nettement surélevée : 0,65 m environ. On accède par plusieurs marches au bureau du maître. Celui-ci règne sur la collectivité enfantine autant par sa position matérielle que par son ascendant personnel.
  • La pendule est notée comme « indispensable », l’enseignement et les manœuvres étant strictement minutés.
  • Les demi-cercles, encore appelés cercles de lecture, donnent aux écoles mutuelles un aspect typique et original. Ce sont, généralement, des cintres de fer, demi-circulaires, qui peuvent se lever ou s’abaisser à volonté. Parfois, la matérialisation est simplement portée sur le plancher : rainures, gros clous ou bandes tracées en forme d’arc.
  • Les tableaux noirs ont été systématiquement utilisés pour le dessin linéaire et l’arithmétique. Ils mesurent 1 m de long sur 0,70 m de large et portent à leur partie supérieure un mètre mobile. On les place à l’intérieur de chaque demi-cercle.
  • Les télégraphes. Lorsque le travail a lieu aux tables, l’écriture par exemple, on se sert de signaux permettant la liaison et la communication entre le moniteur général et les moniteurs particuliers : ce sont les télégraphes. Une planchette, fixée à l’extrémité supérieure d’un bâton rond de 1,70 m de haut, est installée à la première table de chaque classe, grâce à deux trous percés en haut et en bas du pupitre. Sur l’une des faces est inscrit le numéro de la classe (de 1 à 8) ; sur l’autre, la mention EX (examen) remplacée vers 1830 par COR (correction). Ces télégraphes sont transportables. On les déplace en cas d’augmentation ou de diminution du nombre d’élèves. Le maître et le moniteur général ont ainsi la composition exacte de chaque classe et le nombre de tables occupées par chacune d’elles. Dès qu’un exercice est terminé, le moniteur de classe fait tourner le télégraphe et présente vers le bureau la face EX. Tous les moniteurs font de même. Le moniteur général donne l’ordre de procéder à l’inspection et de faire des corrections éventuelles. Celles-ci achevées, on présente de nouveau le numéro de la classe. Et les exercices reprennent. Près des télégraphes se trouvent aussi, à l’occasion, les porte-tableaux.
  • Les baguettes des moniteurs. Elles servent à indiquer sur les tables les lettres ou mots à lire, le détail des opérations à effectuer, les tracés à reproduire. Elles n’existent généralement dans les écoles rurales que grâce à la bonne volonté et à l’ingéniosité des moniteurs qui se les procurent dans les bois avoisinants.
  • Le sable (pour l’écriture) puis les ardoises sont constamment utilisés dans toutes les disciplines. C’est là une innovation essentielle du mode mutuel, les autres écoles n’en faisant pas usage.
  • Tableaux à la place de livres. La première raison est d’ordre pécuniaire, un seul tableau suffisant jusqu’à neuf élèves. Mais les motifs pédagogiques ne sont pas moindres. Le format permet une lecture aisée et un rangement facile. Le souci de présentation et de valorisation de certains caractères s’accompagne d’un souci de mise en page différent de ceux des manuels.
  • Les livres sont réservés à la huitième classe, de même que les plumes, l’encre et le papier.
  • Des registres, couramment en service, garantissent une saine gestion des établissements. L’un d’eux mérite une mention particulière : c’est « Le grand livre de l’école », avant tout un cahier- matricule. On y inscrit le nom, le prénom et l’âge de l’enfant, la profession et l’adresse des parents. Le maître y porte la date précise de l’entrée et de la sortie de chaque enfant, dans chaque classe, y compris pour les cours de musique et le dessin linéaire.

E. Le commandement

Pour conduire et faire évoluer correctement des dizaines ou centaines d’élèves et éviter toute perte de temps, les responsables de l’enseignement mutuel ont prévu des ordres précis, rapides, immédiatement compréhensibles :

  • La voix intervient peu. Les injonctions transmises de cette manière s’adressent généralement aux moniteurs, parfois à une classe tout spécialement.
  • La sonnette attire l’attention. Elle précède une information ou un mouvement à exécuter.
  • Le sifflet est à double usage. Il permet des interventions dans l’ordre général de l’école, « imposer le silence », par exemple, et il commande le début ou la fin de certains exercices au cours de la leçon, «faire dire par cœur, épeler, cesser la lecture ». Le maître est seul habilité à s’en servir.
  • Quant aux signaux manuels, ils ont été beaucoup utilisés. Destinés à évoquer l’acte ou le mouvement à accomplir, ils attirent le regard et doivent apporter le calme dans la collectivité.

Bellistes contre lancastériens

Alors que les deux écoles, celle de Bell et celle de Lancaster sont très proches l’une de l’autre, tant sur le plan des contenus d’enseignement que des méthodes et de l’organisation, elles s’opposeront violemment sur le rôle et la place de l’enseignement religieux. Toutes les autres divergences liées au programme sont affaires de goût, d’habitude ou de circonstances locales.

Comme le précisent Sylvian Tinembert et Edward Pahud dans Une innovation pédagogique, le cas de l’enseignement mutuel au XIXe siècle (Editions Livreo-Alphil, 2019), Lancaster, en tant qu’adepte du mouvement dissident quaker,

« reconnaît le christianisme mais professe que la croyance appartient à la sphère personnelle et que chacun est libre de ses convictions. Il prône également l’égalitarisme, la tolérance et défend l’idée que, dans le pays, il y a une telle variété de religions et de sectes qu’il est impossible d’enseigner toutes les doctrines. Par conséquent, il faut rester neutre, limiter cet enseignement à la lecture de la Bible, en évitant toute interprétation, et laisser l’instruction religieuse fondamentale aux diverses Églises en s’assurant que les élèves suivent les offices et les enseignements de la confession à laquelle ils appartiennent ».

N’empêche que Bellistes et Lancastériens vont s’écharper. Pour les Lancastériens, Bell n’a rien inventé et ne fait que décrire ce qu’il a vu en Inde. Pour les Bellistes, furieux que Lancaster trouve un répondant positif de la part de certains membres de la famille royale, il est dépeint comme le diable, un « ennemi » de la religion anglicane officielle, lui qui admet dans ses écoles des enfants de toutes les confessions !

9. Lorsque la méthode intéresse les Français

A Londres, l’association de Lancaster sera rejointe par de nombreuses personnalités de haut rang, aussi bien anglaises qu’étrangères. On y retrouve notamment le physicien genevois Marc Auguste Pictet de Rochemont (1752-1825), l’anatomiste et paléontologue français Georges Cuvier (1769-1832) et ses compatriotes, l’agronome Charles Philibert de Lasteyrie et le futur traducteur de Lancaster, l’archéologue Alexandre de Laborde (1773-1842).

Après la paix de 1814, de nombreux pays, notamment l’Angleterre, la Prusse, la France tout comme la Russie, rendus exsangues par les guerres napoléoniennes qui provoquèrent la perte de milliers de jeunes enseignants et cadres qualifiés sur les champs de bataille, font de l’éducation leur priorité notamment pour être à la hauteur de la révolution industrielle qui vient les bousculer.

A cela il faut ajouter que le nombre d’orphelins en Europe est devenu un problème majeur pour tous les États, d’autant plus que les coffres sont vides. Pour occuper les enfants de la rue, il faut des écoles, beaucoup d’écoles à construire avec très peu d’argent et beaucoup de professeurs… inexistants. Apprenant le succès retentissant de l’enseignement mutuel, plusieurs Français se rendent alors outre-Manche pour y découvrir la nouvelle méthode.

De Laborde en rapporte un « Plan d’éducation pour les enfants pauvres, d’après les deux méthodes (du docteur Bell et de M. Lancaster) », et Lasteyrie son « Nouveau système d’éducation pour les écoles primaires ». En 1815, le duc de la Rochefoucauld-Liancourt (1747-1827), publie son livre sur le « Système anglais d’instruction de Joseph Lancaster ».

Depuis 1802, il existait à Paris la « Société d’encouragement pour l’industrie nationale », dont le secrétaire général était le linguiste Joseph-Marie de Gérando (1772-1842) et dont Laborde était un des fondateurs. Sans surprise, Gérando avait été élevé par les Oratoriens et se destinait initialement à l’Église.

Le 1er mars 1815, Lasteyrie, Laborde et Gérando proposent à la Société d’encouragement la création d’une association qui aurait pour objet

« de rassembler et de répandre les lumières propres à procurer à la classe inférieure du peuple le genre d’éducation intellectuelle et morale le plus approprié à ses besoins ».

Gérando.

Dans son rapport présenté le 20 mars 1815 devant la Société d’encouragement, Gérando propose de solliciter le tout nouveau ministre de l’Intérieur Lazare Carnot (du 20 mars au 22 juin 1815) pour qu’il favorise « l’adoption des procédés propres à régénérer l’instruction primaire en France », c’est-à-dire le système d’enseignement mutuel.

L’intérêt politique et social ne sont pas seuls en jeu. L’économie française aussi doit tirer profit du développement de l’instruction. Qu’espérer, dit Carnot en 1815,

« si l’homme qui conduit la charrue est aussi stupide que les chevaux qui la tirent ? »

Gérando propose également la création d’une société dédiée spécifiquement à sa propagation en soulignant les avantages de la nouvelle approche : avantage économique d’abord, puisqu’il s’agit d’« employer les enfants eux-mêmes, les uns vis-à-vis des autres, comme auxiliaires de l’enseignement » et qu’un seul maître suffit pour 1000 élèves ; avantage éducatif ensuite, puisqu’il est possible « d’enseigner, en deux ans, tout ce que les enfants des conditions inférieures ont besoin de savoir et beaucoup plus qu’ils n’apprennent aujourd’hui par des procédés bien plus longs » ; avantage moral et social enfin, dans la mesure où les enfants « se pénètrent de bonne heure du sentiment du devoir, sentiment qui garantira un jour leur obéissance aux lois et leur respect pour l’ordre social ».

L’ingénieur-géographe et polytechnicien Edme-François Jomard (1777-1862), pour qui l’instruction du peuple est une obligation de la société vis-à-vis d’elle-même, ne disait rien d’autre: « Comment exiger d’infortunés, dénués de toutes lumières, qu’ils connaissent le pacte social et s’y soumettent ? ou comment pourrait-on, sans être insensé, compter sur leur invariable et aveugle soumission ? »

La Société d’encouragement valida alors les conclusions de son rapport en souscrivant pour une somme de 500 francs en faveur de l’association nouvelle et en décidant qu’elle mettrait à la disposition de celle-ci, outre son influence morale, les divers moyens d’exécution qui pouvaient lui appartenir.

10. Lazare Carnot à la manœuvre

Suite au Concordat entre Napoléon et le Vatican, l’Empereur, par son décret du 15 août 1808 sur l’éducation, décide que les écoles doivent désormais suivre les « principes de l’Église catholique ».

Les « Frères des écoles chrétiennes » (ou Lasalliens), partisans inconditionnels de « l’enseignement simultané », théorisé par leur fondateur Jean-Baptiste de La Salle, s’occuperont désormais de l’enseignement primaire et formeront les instituteurs.

Dispersés lors de la Révolution, ils reprennent leurs fonctions en 1810. Encouragés à se développer pour contrer l’influence des jésuites, autorisés en 1816 à revenir en France, ils se développent rapidement dans toute la France.

Mais la situation de l’éducation est pitoyable. C’est ce que constatent des hauts fonctionnaires français lorsqu’ils se rendent dans les territoires annexés par l’Empire, notamment l’Allemagne du Nord et la Hollande. La comparaison avec la France les fait rougir de honte.

« Nous aurions peine, écrit en 1810 le naturaliste Georges Cuvier dans son rapport, à rendre l’effet qu’a produit sur nous la première école primaire où nous sommes entrés en Hollande. »

Enfants, maîtres, local, méthodes, enseignement, tout est d’une tenue parfaite : « Plusieurs préfets ont assuré qu’on ne trouverait pas aujourd’hui dans leur département un seul jeune garçon qui ne sût lire et écrire. » Devant un tel contraste, qui ne tournait pas à l’avantage du conquérant, l’Université impériale, comme la Rome antique, se mit à l’école du pays conquis. Dans son décret du 15 novembre 1811 l’Empereur décide : « Le conseil de notre Université Impériale nous présentera un rapport sur la partie du système établi en Hollande pour l’instruction primaire qui serait applicable aux autres départements de notre Empire. »

L’Empereur abdique le 4 avril 1814 avant qu’une décision ait été prise pour régénérer les « petites écoles » françaises. Du moins l’Université Impériale avait-elle, par ses rapports, étalé au grand jour leur misère, attirant sur elles l’attention de l’opinion.

Nommé ministre de l’Intérieur, et donc en charge de l’Education lors des Cent-Jours, Lazare Carnot est persuadé du potentiel d’excellence de « l’enseignement mutuel ».

Il crée, le 10 avril 1815, un Conseil d’industrie et de bienfaisance, à la première séance duquel il donne lui-même communication du rapport de Gérando ;

Le 27 avril 1815, Lazare Carnot fait un rapport à l’Empereur où il dit :
« Il y a en France, 2 millions d’enfants qui réclament l’éducation primaire, et, sur ces 2 millions, les uns en reçoivent une très imparfaite, tandis que les autres en sont complètement privés. »

Il recommande alors l’enseignement mutuel :
« Elle a pour objet de donner à l’éducation primaire le plus grand degré de simplicité, de rapidité et d’économie, en lui donnant également le degré de perfectionnement convenable pour les classes inférieures de la société et aussi en y portant tout ce qui peut faire naître et entretenir dans le cœur des enfants le sentiment du devoir, de la justice, de l’honneur et le respect pour l’ordre établi ».

Il fait signer le même jour à l’empereur le décret suivant :
« Article 1er. – Notre ministre de l’Intérieur appellera près de lui les personnes qui méritent d’être consultées sur les meilleures méthodes d’éducation primaire. Il examinera ces méthodes, décidera et dirigera l’essai de celles qu’il jugera devoir être préférées.
« Art. 2. – Il sera ouvert, à Paris, une École d’essai d’éducation primaire, organisée de manière à pouvoir servir de modèle et à devenir école normale, pour former des instituteurs primaires.
« Art. 3. – Après qu’il aura été obtenu des résultats satisfaisants de l’École d’essai, notre ministre de l’Intérieur nous proposera les mesures propres à faire promptement jouir tous les départements des nouvelles méthodes qui auront été adoptées ».

Pour Carnot, en rupture avec ceux qui ne pensaient qu’en termes de philanthropie, il n’y avait plus d’enfants riches ou pauvres. En tant que citoyens, tous devraient désormais pouvoir disposer de la meilleure éducation possible.

Le conseil consultatif constitué par Carnot comprend ses amis Laborde, Jomard, l’abbé Gaultier, puis Lasteyrie et Gérando, c’est-à-dire les promoteurs mêmes ou les premiers fondateurs de la Société en formation.

Ainsi naîtra, le 17 juin 1815 (c’est-à-dire la veille de la défaite de Waterloo) la Société pour l’instruction élémentaire (SIE), toujours sous l’impulsion de Carnot bien décidé à gagner la guerre pour l’instruction. La première assemblée générale de la SIE se tient dans les locaux de la Société d’encouragement. À sa tête, on retrouve plusieurs protagonistes de la commission ministérielle : Jomard devient l’un des secrétaires de la nouvelle société, aux côtés de Gérando (président), Lasteyrie (vice-président) et Laborde (secrétaire général).

Avant l’ordonnance de 1816, le nombre d’enfants qui suivaient les petites écoles était de 165 000 dans toute la France, et il se trouve porté à 1 123 000 à la fin de 1820.

Lazare Carnot a clairement voulu pérenniser son offensive lancée durant les Cent-Jours en faveur de la propagation de l’enseignement mutuel à travers le pays et, ce faisant, en participant au développement rapide de l’instruction de tous les enfants de la Patrie.

Après sa création, les souscriptions pour la SIE affluent, et en peu de temps 150 noms s’ajoutent à ceux des fondateurs pour promouvoir et organiser l’enseignement mutuel en France. L’un de ces souscripteurs est forcément Lazare Carnot.

Au cours de sa première année d’existence, la SIE recueille l’adhésion de près de 700 membres, dans un premier temps des enseignants de l’École polytechnique (Ampère, Berthollet, Chaptal, Guyton de Morveau, Hachette, Mérimée, Thénard), et ensuite une trentaine d’anciens élèves, dont environ la moitié est issue de la première promotion (1794) de l’École polytechnique. Parmi ces derniers, un camarade de Jomard à l’Ecole des géographes, Louis-Benjamin Francœur, professeur d’algèbre supérieure à la Faculté des sciences de Paris, des camarades de la campagne d’Egypte ou encore Chabrol de Volvic, préfet de la Seine depuis 1812.

Tous n’ont qu’un seul espoir : que les méthodes géniales de Monge, brigades et enseignement mutuel, diminuées et interdites depuis que Napoléon a transformé Polytechnique en une simple école militaire sous la direction du mathématicien Pierre-Simon Laplace (1749-1827), puissent profiter au plus grand nombre et organiser un redressement national.

De Paris, la sollicitude de la SIE s’étend à la province ; elle y encourage la fondation de sociétés filiales, à qui elle offre « de leur envoyer des maîtres, de leur communiquer les renseignements dont elles pourraient avoir besoin, de leur donner au prix coûtant les tableaux et les livres… ».

La SIE se mobilise également pour l’éducation publique des filles (art. 10). Elle met sur pied, pour s’occuper d’elles, un comité de dames : présidente, la baronne de Gérando ; vice-présidente, la comtesse de Laborde. Des filles, le mouvement gagne les adultes sans instruction, si nombreux alors.

Le 1er mai 1816 la Société créait une commission pour l’établissement d’écoles d’adultes. Elle s’occupe aussi des casernes, dont on veut faire des écoles pour militaires ; des prisons, prisons d’enfants surtout; des habitants des colonies, que l’on pense élever par le développement de l’instruction.

Enfin les membres de la Société, attribuant une valeur humaine et générale à leur mission, rêvent de fonder des filiales à l’étranger. En novembre 1818, Laborde demande la création d’un comité spécial pour les écoles étrangères.

La Société enfin, ne bornant pas son activité à la simple création d’écoles, organisait des inspections, des examens. Elle assurait la publication d’ouvrages (ouvrages relatifs à la méthode mutuelle, livres élémentaires de lecture, de grammaire et d’arithmétique). Elle distribuait des récompenses aux meilleurs maîtres et moniteurs. Elle demandait aux maîtres, après promulgation de l’ordonnance du 29 juillet 1818 autorisant les sociétés de Caisse d’Epargne, de confier à ces Caisses une partie de leurs gages pour assurer leurs vieux jours. Donnant l’exemple, elle déposait à la Caisse des fonds pour les maîtres des écoles créées par elle.

La SIE, dont le siège est un local spécialement construit pour elle, situé au 6, rue du Fouarre à Paris 5e, reste aujourd’hui la plus ancienne et la plus grande association laïque d’enseignement primaire que nous possédons en France.

Façade de la Société pour l’Instruction Elémentaire, 6, rue du Fouarre, Paris. Dans les médaillons, de gauche à droite, entourant les  » Arts « , la  » Morale  » et les  » Sciences « , les portraits de quelques-uns de ses principaux fondateurs et dirigeants : Larochefoucauld-Liancourt, Francoeur, Jomard et Leroy.

11. Le projet pilote de la rue Saint-Jean-de-Beauvais

Après son voyage en Angleterre, Jomard, dont le portrait figure en médaillon sur la façade de la SIE est lui aussi acquis au nouveau système. Faisant part de ses « réflexions sur l’état de l’industrie anglaise », il écrit, après s’être enthousiasmé pour diverses inventions observées outre-Manche :

« Il y a cependant quelque chose de plus extraordinaire encore : ce sont des écoles sans maîtres : rien, pourtant, n’est plus réel. On sait à présent qu’il existe des milliers d’enfants enseignés sans maître proprement dit, et sans qu’il n’en coûte rien à leur famille, ni à l’État : admirable méthode qui ne peut tarder à se propager en France. »

Jomard.

Polytechnicien, Jomard est l’homme idéal pour piloter l’organisation matérielle de l’école d’essai, s’attachant notamment à faire réaliser le mobilier et imprimer les supports pédagogiques conformément aux principes anglais. Il supervise également la formation au rôle de « moniteur » d’un petit noyau d’élèves – ils sont une vingtaine – avant l’ouverture en septembre 1815 de l’école proprement dite, prévue pour 350 élèves : une modalité qui n’est pas sans rappeler les « chefs de brigade » de la première promotion de l’École polytechnique.

Cependant, très rapidement, les membres de la SIE se rendent à l’évidence qu’il faut former des formateurs. Les Anglais accueillent alors plusieurs Français pour les former à l’enseignement mutuel. Un pasteur cévenol, François Martin (1793-1837), après sa formation comme « moniteur » en Angleterre, est appelé par Lasteyrie pour diriger la première école mutuelle, qui ouvre ses portes le 13 juin 1815, rue Saint-Jean-de-Beauvais à Paris. Il s’agit de l’école modèle qui doit permettre l’ouverture d’autres écoles mutuelles grâce à la formation de « moniteurs » compétents. Rapidement, elle ne peut plus faire face à la demande de centaines de communes qui envisagent d’y envoyer l’un des leurs pour se former à la nouvelle méthode.

Le pasteur Paul-Emile Frossard, lui aussi formé par les Anglais, prend la tête d’une école parisienne rue Popincourt, Bellot en dirige une autre. En juillet, Martin rend son rapport. La classe modèle accueille une quinzaine d’élèves destinés à devenir moniteurs et directeurs d’écoles élémentaires qui comptent jusqu’à 350 enfants. Martin rapporte qu’en six semaines, ils lisent, écrivent, calculent et « savent exécuter les mouvements qui forment la partie gymnastique du nouveau système d’éducation ».

12. Enseignement mutuel et chant choral

Or, comme le documente amplement Christine Bierre dans son article « La musique et formation du citoyen à l’ère de la Révolution française » (1990),

Alexandre Choron.

« C’est à cette école de la rue Saint-Jean-de-Beauvais, sous la direction d’une Commission comprenant Gérando, Jomard, Lasteyrie, Laborde et l’abbé Gaultier, que fut testée pour la première fois, l’application de l’enseignement mutuel à l’apprentissage du solfège et du chant.

Alexandre Choron, qui depuis 1814 avait ouvert deux écoles de musique de garçons et de filles, faisait également partie de la Commission.

Il n’est donc pas étonnant de découvrir que ce fut à l’initiative du baron de Gérando, que l’idée d’introduire le chant dans l’instruction primaire a été adoptée. ‘Quant Monsieur le baron de Gérando vous a fait la proposition d’introduire le chant élémentaire dans les écoles de premier degré’, dit Jomard dans un rapport présenté au Conseil d’administration de la Société pour l’Enseignement mutuel, ‘vous avez tous été frappés de la justesse des vues développées par notre collègue (…) Il a fait voir l’influence heureuse que pourrait avoir une pareille pratique, et la connexion réelle qui existe entre un bon emploi du chant et le perfectionnement de la morale, but final de l’instruction et de tous nos efforts. Non seulement, l’application de l’enseignement mutuel à la musique était révolutionnaire en elle-même, mais ce qui l’était tout autant, c’est le fait que les enfants apprenaient à lire et à écrire, de façon presque aussi intensive. Les enfants étudiaient le chant, à raison de quatre à cinq heures par semaine ! »

En réalité, c’est Lazare Carnot lui-même qui a voulu introduire la musique dans les écoles d’enseignement mutuel. Dans cette intention, il rencontre plusieurs fois Alexandre Choron, qui réunit un certain nombre d’enfants et leur fait exécuter en sa présence plusieurs morceaux appris en fort peu de leçons. Carnot connaît Wilhem depuis dix ans. Il entrevoit donc la possibilité d’introduire, par lui, le chant dans les écoles, et tous deux visitent ensemble celle de la rue Saint-Jean-de-Beauvais, école pilote gratuite d’enseignement mutuel ouverte à Paris à trois cents enfants.

L’article récent de Michael Werner, « Musique et pacification sociale, missions fondatrices de l’éducation musicale (1795-1860) » dans la revue Gradhiva (N° 31/2020), vient en écho confirmer les recherches initiées par Christine Bierre en 1990.

Wilhem.

Extrait :
« L’un des domaines où les résultats de la pédagogie mutualiste sont bien visibles est précisément l’éducation musicale. Plusieurs acteurs y ont joué un rôle décisif et méritent qu’on s’y attarde un moment. Le premier est Guillaume-Louis Bocquillon, dit Wilhem. Fils d’officier et lui-même issu d’une formation militaire, il s’est ensuite consacré à la composition et à l’enseignement musicaux, en particulier au lycée Napoléon (ultérieurement collège Henri-IV). Son ami Pierre Jean de Béranger le met en contact avec Joseph-Marie de Gérando et François Jomard, grands animateurs de la SIE. Par leur intermédiaire, il prend connaissance de l’enseignement mutuel et comprend immédiatement les apports de cette méthode à l’éducation musicale. En 1818, la municipalité de Paris lui permet de monter une première expérience à l’école élémentaire de la rue Saint-Jean-de-Beauvais.

Wilhem élabore une méthode, le matériel pédagogique nécessaire (sous forme de tableaux) et instruit les élèves moniteurs choisis. Les résultats sont, aux dires de Jomard, spectaculaires. Au terme d’un enseignement de quelques mois, les élèves ont non seulement acquis les notions de base du solfège et de la notation musicale, les gammes chromatiques, les intervalles et mesures, mais exécutent aussi des chants collectifs à plusieurs voix (Jomard 1842 : 228 sq.).

La réussite conduit la SIE à proposer au préfet et au ministre de l’Intérieur d’introduire la musique dans l’enseignement des écoles élémentaires de la ville de Paris, ce qui sera officiellement entériné en 1820. Wilhem lui-même est nommé professeur titulaire d’enseignement musical à Paris et les cours de musique se généralisent dans un grand nombre d’écoles de la ville avant de se répandre dans les départements et en région. En même temps, la municipalité ouvre deux écoles normales chargées de former les futurs professeurs de chant.

Le deuxième acteur à intervenir très tôt dans le débat est le compositeur Alexandre Choron. Membre, comme Jomard et Francœur, de la première promotion de l’École polytechnique (1795), compositeur et ami d’André Grétry, il s’est dès 1805 préoccupé du dépérissement du chant choral consécutif à la suppression des maîtrises. Adversaire du Conservatoire dont il critique l’académisme et le désintérêt pour l’enseignement du chant choral, il est chargé par le ministère en 1812 d’une mission de « réorganisation du chœur et des maîtrises de musiques des églises de France ». Il élabore une méthode d’enseignement appelée « méthode concertante », mais reste également attaché à la vocation sociale de la musique chorale. Choron fait par ailleurs partie des membres fondateurs de la SIE en 1815, signe de son engagement dans les questions éducatives. Pendant la Restauration, il se tourne davantage vers les chants religieux qu’il considère comme le cœur historique de la pratique de la chorale.

(…) Enfin, il fonde, avec l’appui du roi l’Institution royale de musique classique et religieuse, concurrençant avec succès le Conservatoire dans l’enseignement de l’art vocal. Pour le grand public, il fait exécuter, à grand renfort de chanteurs issus de son école, des oratorios, requiem et cantates dans quelques églises spacieuses, assurant ainsi à la musique sacrée une nouvelle présence sur la scène parisienne. Pour certains de ces concerts, il lui arrive de mobiliser des élèves chanteurs des écoles élémentaires et des écoles des pauvres qu’il n’a jamais cessé de suivre tout au long de sa carrière. 

« (…) Ce qui a favorisé cette expansion de l’enseignement de la musique à destination des jeunes et des couches populaires à partir de 1820 était bien une volonté politique partagée par un large spectre de responsables et d’intervenants. Du côté des libéraux qui constituaient le noyau de la SIE, on continuait de s’inscrire dans la mission émancipatrice de l’éducation, fixée par la Convention. En pointant à la fois la formation intérieure de l’âme et l’épanouissement d’une conscience collective, la musique, et en particulier le chant, devient un terrain de choix pour l’éducation populaire. Les libéraux insistent donc sur les bienfaits moraux de la musique. Ainsi, dans sa proposition d’introduire le chant dans les écoles primaires, Gérando remarque-t-il : ‘Ceux d’entre nous qui ont visité l’Allemagne ont été surpris de voir toute la part qu’a une musique simple aux divertissements populaires et aux plaisirs de famille, dans les conditions les plus pauvres, et ont observé combien son influence est salutaire sur les mœurs.’

« Et Joseph d’Ortigue constate de façon lapidaire : ‘Un peuple qui chante est un peuple content, et par conséquent un peuple moral.’ Cette mise en avant des bienfaits sociaux de l’activité musicale correspond bien à l’idée d’une ‘éducation universelle’, héritée des Lumières et au fondement des pédagogies de Lancaster en Angleterre ou de Johann Heinrich Pestalozzi en Suisse. 

« Le chant, après l’essai fait à l’école St-Jean-de-Beauvais en 1819, pénètre très rapidement dans toutes les écoles mutuelles. Wilhem est à la fois le créateur et l’artisan du développement de cet enseignement qui gagne bientôt les cours d’adultes et d’apprentis. Des réunions périodiques d’enfants initiés à la musique vocale furent organisées. Ainsi naquit la première œuvre post-scolaire française : l‘Orphéon qui, après Wilhem, compte parmi ses directeurs Charles Gounod et Jules Pasdeloup. »

Dans un discours de 1842 devant la SIE, Hippolyte Carnot (fils de Lazare Carnot) affirme que Wilhem « a élevé la musique au rang d’une institution civique » et que « l’ennoblissement » de l’âme individuelle doit s’accomplir dans le nouvel ordre collectif de la nation réunie.

13. Jomard, Choron, Francoeur et savoirs « élémentaires »

Volvic.

L’article très complet de Renaud d’Enfert, publié sur le site de la Société de la bibliothèque et de l’histoire de l’Ecole polytechnique (SABIX), permet de compléter le tableau en faisant un gros plan sur l’action de Jomard et Francoeur dont les portraits figurent d’ailleurs en médaillon sur la façade du siège de la SIE rue du Fouarre à Paris.

Dès le début de la Seconde Restauration, la SIE reçut l’adhésion et l’appui du préfet de la Seine, Gaspard Chabrol de Volvic (1773-1843). Ce dernier va nommer dès l’été 1815 Jomard, le linguiste en contact avec les frères Humboldt qui a fait partie de l’éphémère commission sous Carnot et qui l’a protégé pendant les Cent-Jours, « chef de bureau d’instruction publique et arts », poste qu’il occupe jusqu’en 1823.

Par un arrêté du 3 novembre 1815, Volvic, afin d’arrêter « les mesures nécessaires pour étendre le bienfait de l’instruction à toutes les familles pauvres domiciliées dans l’étendue de la préfecture » et de développer « le nouveau système d’instruction élémentaire » dans l’ensemble du département de la Seine, crée, « pour étendre les bienfaits de l’instruction gratuite au département de la Seine » un comité de onze personnes, et y fait entrer tous les membres influents de la SIE (Jomard, Gérando, Laborde, Doudeauville, Lasteyrie, Gaultier, etc.).

Dans ces fonctions, Jomard est chargé de trouver des sites pour établir de nouvelles écoles. Celles-ci se multiplient rapidement dans la capitale et ses environs : en 1818, il comptabilise 18 écoles mutuelles gratuites et 32 payantes couvrant l’ensemble des arrondissements de la capitale, ainsi que 13 écoles dans les arrondissements de Sceaux et de Saint-Denis. De ce travail, il tire son « Abrégé des écoles élémentaires » (1816), sorte de guide pratique dans lequel il réunit tout ce que doit savoir, du point de vue de l’organisation matérielle, tout citoyen décidé à fonder une école mutuelle.

Sur le plan pédagogique, Jomard est l’auteur, en 1816, d’une méthode de lecture réalisée en collaboration avec le compositeur et musicien Alexandre Choron qui avait publié dès 1802 une méthode pour apprendre à lire et à écrire, et l’abbé Gaultier, un pédagogue qui avait développé une méthode d’enseignement sous le nom de « jeux instructifs » et s’était rendu à Londres pour étudier les méthodes anglaises.

Conçue pour la nouvelle école normale élémentaire de la rue Saint-Jean-de-Beauvais, où Choron a été nommé comme enseignant de musique, elle rompt avec la méthode traditionnelle d’épellation. Au lieu de dire « b-o-n = bon », elle part des sonorités musicales de la langue pour dire « b-on = bon ».

Jomard fait également paraître, en 1821-1822, une « Arithmétique élémentaire », destinée à pallier les faiblesses constatées de la méthode d’arithmétique de Lancaster : celle-ci est en effet accusée de « faire contracter aux enfants une simple habitude routinière et mécanique » au lieu de servir « à fortifier leur attention et à les former au raisonnement ». Dans l’intervalle, il a mis au point avec Francœur et Lasteyrie, au sein d’une « Commission de calligraphie » de la SIE, les principes qui doivent guider l’apprentissage de l’écriture dans les écoles mutuelles, une écriture voulue « nationale », afin de remplacer les modèles anglais.

Francoeur.

Pour sa part, Louis-Benjamin Francoeur (1773-1849) fournit, selon Jomard, « une longue suite de rapports lumineux sur les traités d’arithmétique, de poids et mesures, de chant et d’art musical, de dessin et de géométrie, qu’il serait bien trop long de rapporter ou de citer ».

Comblant un manque, Francœur publie en 1819 « Le dessin linéaire », une méthode de dessin basée sur le dessin à main levée des figures géométriques qui rompt avec les modalités traditionnelles d’enseignement et d’apprentissage du dessin, inspirées de pratiques académiques.

Pour Jomard et Francoeur, il s’agit, avec l’enseignement mutuel, d’élargir le nombre des matières de l’instruction primaire au-delà du traditionnel « lire, écrire, compter » : outre le dessin, des matières comme le chant, la gymnastique, la géographie ou la grammaire font ainsi leur apparition dans les écoles primaires via l’enseignement mutuel. Le dessin linéaire n’en apparaît pas moins comme un savoir élémentaire à part entière, au même titre que la lecture, l’écriture et l’arithmétique.

Présentant la méthode de Francœur à la Société d’encouragement, Jomard déclare ainsi :

« L’utilité que l’industrie en peut retirer un jour est si grande et si visible, qu’il serait superflu d’y insister. Ce n’est pas sans raison qu’on a regardé ce résultat comme aussi précieux pour le peuple, que la connaissance de la lecture et de l’écriture. »

Modèle tiré du manuel de dessin linéaire de Francoeur.

Enfin, pour Jomard, l’apprentissage généralisé de la lecture, de l’écriture, du calcul, du dessin linéaire et du chant, est le préalable obligé à l’éducation scientifique du peuple :

« On a dans ces derniers temps, avec grande raison, insisté sur l’utilité de l’enseignement des éléments des sciences physiques et mathématiques à la classe ouvrière. C’est de là que dépend l’avancement de l’industrie et de l’agriculture, qui, malgré tous leurs progrès, sont encore arriérées chez nous sous plusieurs rapports. Ce n’est que par la possession de ces notions élémentaires que les ouvriers perfectionneront leurs procédés, leurs moyens, leurs instruments, leurs produits, et pourront devenir d’habiles contremaîtres et de bons chefs d’ateliers. Mais comment arriver à ce résultat, quand la masse de la population est encore si ignorante.

« Comment, sans l’art de lire et d’écrire, pourrait-elle, non pas comprendre un seul mot des arts chimiques et mécaniques, mais seulement en sentir l’avantage et consentir à se livrer à des études pénibles ? Quoi ! 15 millions de Français et plus peut-être, ne savent pas faire les deux premières règles de l’arithmétique, et l’on se flatterait de propager parmi eux les premiers principes de la mécanique et de la géométrie ! La base de cette amélioration est évidemment l’instruction primaire rendue plus générale ou même universelle. »

14. Rayonnement au niveau national

Les résultats de l’enseignement mutuel sont spectaculaires et rapides, qu’il s’agisse de la durée des apprentissages ou de la qualité des acquis. Alors que dans les écoles des Frères il fallait 4 années pour apprendre à lire, ce temps est réduit à une année et demie dans les établissements mutuels !

Les Français de 1815, à l’enthousiasme si prompt, et à l’imagination si vive, virent dans ce système d’enseignement, une véritable panacée. Il présentait certes d’incontestables avantages. D’abord il est économique puisqu’il exige peu de maîtres, et permet d’instruire à peu de frais un nombre considérable d’enfants. On estime qu’il suffisait de 4000 à 5000 fr. par an pour entretenir une école de 1000 enfants : 4 francs par élève ! Jamais l’instruction n’aura été donnée à si bas prix. Il permettait aussi d’assurer un développement rapide de l’enseignement primaire puisque l’on n’était plus arrêté désormais par la pénurie de maîtres. Chiffres à l’appui, on calculait qu’il suffirait d’une douzaine d’années pour étendre à la France entière les bienfaits de l’instruction primaire !

A ces avantages indiscutables, ceux qui avaient visité l’Angleterre en 1815 ajoutaient des arguments qualitatifs. Ils estimaient l’enseignement des instructeurs supérieur à celui des maîtres :

« Il ne sait pas sa leçon mieux que le maître, écrivait Laborde, mais il la sait autrement ».

L’enfant instructeur (moniteur) a plaisir à communiquer à ses camarades ses connaissances nouvellement acquises, il fait son travail

« avec autant de charme qu’un précepteur y trouve de dégoût » (Laborde).

D’autre part, étant enfant lui-même, il connaît mieux que le maître les difficultés de la tâche, les embûches de la leçon, sur lesquelles il vient juste de trébucher. Il conduira donc ses camarades plus lentement, plus sûrement, sera pour eux un meilleur guide.

Mais l’enseignement ne sera pas seul à profiter du système mutuel ; la discipline de l’école et la morale y trouveront aussi leur compte. L’enfant, soumis à son camarade, lui obéira plus volontiers qu’au maître, puisque le jeune instructeur ne doit sa supériorité qu’à son mérite. Enfin l’enfant, avec son camarade qui le connaît bien puisqu’il vit avec lui, n’aura pas, comme avec le maître, la ressource de mentir pour cacher ses pensées intimes ou ses fautes ; et la dissimulation, fléau social que l’on apprenait dès les bancs de l’école, disparaîtra ainsi des établissements mutuels. Et Laborde concluait son apologie de la méthode par ce chant de triomphe : dans les nouvelles écoles,

« le travail est pour eux un jeu, la science une lutte, l’autorité une récompense ».

Les bienfaits de cet enseignement ne devaient d’ailleurs pas se limiter au cadre de l’école : les enfants rentrés chez eux exerçaient à leur tour sur leurs parents une heureuse influence ; ils devenaient des « missionnaires », à la fois de la morale et de la vérité dans leur famille.

« Et que de mauvais esprits n’aillent pas dire qu’il s’agit là de rêveries et d’utopies d’idéalistes ! » écrit Gontard en 1956. Des preuves existent, et irréfutables, de la valeur de la méthode. Regardez l’Ecosse. C’était à la fin du XVIIe siècle une terre de mendicité et de misère, vivant sans loi, sans religion, sans morale, les hommes buvant, les femmes blasphémant, tous se battant. En 1815, grâce à la baguette magique de l’école mutuelle, l’Ecosse est devenue un paradis.

«Il n’est pas rare de trouver en Ecosse un berger lisant Virgile… mais il est presque inconnu d’y rencontrer un malfaiteur », renchérit Laborde. Que l’on développe la méthode en France et celle-ci, en 1850, sera une terre de prospérité et de bonheur, d’où seront bannis l’immoralité, le fanatisme, les révolutions, les troubles sociaux, tous fils et filles de l’ignorance.

En 1818 Joseph Hamel, dans son rapport à l’Empereur de Russie, constate que

« la méthode d’enseignement mutuel s’est introduite dans toute la France avec une rapidité et un succès fort supérieur à ce qu’on pouvait raisonnablement en attendre, et, en moins de trois années, on a déjà fondé plus de 400 écoles. Tout porte donc à espérer que, dans un temps peu éloigné, plus de 2 millions d’enfants qui restaient dans l’ignorance la plus complète, pourront recevoir chaque année les bienfaits d’un enseignement gratuit, suffisant pour leur vocation ultérieure ».

D’emblée, toute la France s’y met ! A titre d’exemple, le récit de l’arrivée à Amiens et dans le département de la Somme.

Elèves de Polytechnique, fronton du Panthéon, David d’Angers.

A Amiens et dans la Somme

Après beaucoup de méfiance et bien des hésitations, la mairie d’Amiens fonde, le 15 mai 1817, une société d’encouragement de l’instruction élémentaire dans le département. Plus que l’ennoblissement de l’âme des élèves, pour le recteur, il s’agit,

« en donnant aux enfants de ces ouvriers l’instruction élémentaire, [de les préparer] non seulement à l’habitude de l’ordre et de la subordination que l’on puise dans les écoles d’enseignement mutuel et qu’ils reportent dans les ateliers, mais encore que cela les mette en état de servir plus utilement dans l’intérieur des fabriques comment pouvoir étudier les procédés industriels dont la conservation et le perfectionnement sont si essentiels à la prospérité nationale ».

Pour le recteur, la rapidité d’acquisition est un gage de succès de la nouvelle méthode par rapport à la « méthode simultanée » :

« Qu’une instruction primaire qui enlève pendant des années entières les enfants à un travail nécessaire à la subsistance de la famille devienne pour les pauvres une charge très onéreuse ; mais que l’expérience apprenne au père de famille que quelques mois suffiront pour procurer à ses enfants un avantage dont il a regretté tant de fois dans le cours de la vie de n’avoir pas pu jouir lui-même, on doit espérer qu’il ne balancera pas pour faire un léger sacrifice pour obtenir un résultat important ».

Ce sont principalement des écoles de garçons. Il existe quelques écoles de filles et des cours du soir pour adultes. Elles accueillent surtout des enfants de petits artisans : teinturier, employé d’octroi, cabaretier, contremaître, tailleur, garçon meunier, apprêteur, tonnelier, couturier, serrurier, boucher, fileur, repasseur, ouvrier, chargeur de voiture, menuisier, bouquiniste, allumeur de réverbère, coutelier, relieur, etc.

La classe manuelle, tableau de 1891. École de filles (Finistère).

À son apogée, en 1821, l’enseignement mutuel comporte dans le département de la Somme non pas une école mais 25 dont 4 (payantes) pour des filles : près de la moitié sont situées en ville. Il en comportera encore 16 en 1833. Le réseau se réduira considérablement ensuite, toutefois, il ne disparaîtra pas complètement. Les deux dernières écoles d’Amiens fermeront involontairement leurs portes en 1879 et celle d’Abbeville en 1880 : jusqu’à cette date, elle jouera un rôle important dans la préparation des candidats aux examens.

L’école modèle d’Amiens – la première école modèle d’enseignement mutuel de province – prépare les futurs instituteurs à la pratique de l’enseignement mutuel. Elle est fondée le 26 mai 1817. Elle accueille plus de 200 élèves. Dès 1818, 6 instituteurs de la Somme en sortaient. La plupart des maîtres de l’Aisne, de l’Oise et du Pas-de-Calais y font un séjour avant de prendre leur fonction. C’est dire son importance, au point d’ailleurs que lorsque le préfet a créé l’école normale de garçons en 1831, elle s’appelle « école normale primaire d’enseignement mutuel ». Elle servit d’abord d’école d’application : les élèves maîtres devaient se rendre une fois par semaine dans ses locaux afin d’observer et de pratiquer, en s’exerçant, la méthode mutuelle.

Après les remaniements de 1817-1818, plusieurs membres de la SIE accèdent à des ministères importants : Mathieu Molé (1778-1838) à la Marine, Laurent Gouvion-Saint-Cyr (1764-1830) à la Guerre, Elie Decazes (1780-1860) surtout, à l’Intérieur, ministère dont dépend l’enseignement primaire. Le soutien gouvernemental devient alors systématique.

Le ministre de l’Intérieur soutient la SIE de Paris et ses filiales par des subventions pour fondation ou entretien d’écoles. Il invite les préfets à concourir par tous moyens au développement de la méthode. Les préfets prennent l’initiative de constituer des sociétés locales, ils interviennent auprès des assemblées pour solliciter des subventions.

Des conseils généraux et municipaux, en nombre croissant, votent des crédits pour l’établissement d’écoles mutuelles. L’école fondée, les autorités locales, préfet, maire, la visitent, et président sa distribution des prix. De son côté, la commission d’instruction publique, qui depuis 1815 remplace le Grand Maître de l’Université, décide le 22 juillet 1817 d’établir dans les chefs-lieux des douze Académies de France une école modèle pour l’enseignement mutuel, pépinière des futurs maîtres. Les autres ministres, chacun dans leur sphère, soutiennent la méthode.

Mathieu Molé, chargé de colonies, fonde des écoles d’enseignement mutuel au Sénégal.

En 1818, Laurent Gouvion-Saint-Cyr établit à Paris, dans la caserne Babylone, une véritable école normale militaire d’enseignement mutuel. Chaque régiment de Paris et de province doit y envoyer un officier et un sous-officier qui, de retour après quelques mois de stage, dispenseront à la troupe les bienfaits de l’instruction primaire.

En 1817-1818, l’enseignement mutuel triomphe. Un enthousiasme irrésistible porte la France vers lui. Le réseau des écoles ne cesse de s’étendre. De trimestre en trimestre, toujours plus nombreux, arrivent à Paris les comptes-rendus de la province, dénombrant les écoles et leurs élèves.

C’est un chant de victoire que peut entonner Jomard à la séance de la SIE de janvier 1819. Sur les 81 départements que compte la France, 5 seulement sont dépourvus d’école mutuelle ; les 76 autres groupent 687 écoles, fréquentées par plus de 40 000 élèves. On compte en outre 105 écoles régimentaires, 5 écoles d’adultes, 4 écoles de prisons, 2 ou 3 écoles au Sénégal.

Exemplaire de ce qui devient alors un nouveau paradigme prométhéen d’optimisme scientifique, le 15 décembre 1821, lors d’une réunion à l’hôtel de ville de Paris, est fondée la Société de géographie par 217 personnalités dont les plus grands savants de l’époque, notamment Jomard, Champollion, Cuvier, Chaptal, Denon, Fourier, Gay Lussac, Berthollet, von Humboldt, Chateaubriand. Parmi ses membres illustres, on peut citer également Jean-Baptiste Charcot, Dumont d’Urville, Élisée Reclus et Jules Verne.

La collecte et l’étude des données géographiques de nombreux continents vont permettre à certains membres, comme Gustave Eiffel et Ferdinand de Lesseps, de proposer de grands projets d’infrastructure, notamment le canal de Suez et le canal de Panama.

15. Critiques

Les premières critiques contre l’éducation mutuelle ne proviennent pas de son échec mais de son succès. Le premier « risque » venait du fait que les enfants, ayant appris trop efficacement et trop vite (de 2 à 3 fois plus rapidement), allaient retourner dans la rue trop tôt, n’ayant pas encore l’âge d’aller travailler !

Les enfants n’étaient pas « enfermés » à l’école assez longtemps, et donc l’enseignement mutuel troublait l’ordre social existant. Ainsi entendit-on au sein du Conseil général du Calvados en 1818 :

« Le plus grand service à rendre à la société serait peut-être d’imaginer une méthode qui rendît l’instruction destinée à la classe inférieure et indigente de la société plus difficile et plus longue »…

Le deuxième « risque » était qu’en continuant à utiliser l’enseignement mutuel, ces nouvelles personnes instruites, pour la plupart issues des classes les plus pauvres, deviennent trop intelligentes, trop « éveillées », et commencent à exprimer des revendications politiques ou sociales, et notamment que chacun ait les mêmes droits que les classes sociales les plus aisées.

Imaginez le chaos si l’ordre social est remis en question ! L’urbaniste et sociologue Anne Querrien remarque qu’en effet, une majorité des organisateurs du mouvement ouvrier à l’époque sont issus de l’école mutuelle au sein de laquelle ils avaient bien sûr appris à lire, à écrire, à compter, mais aussi à se faire confiance et à faire confiance à leurs camarades. L’école mutuelle pousse ses élèves à réfléchir, et notamment à réfléchir à l’organisation de la société, société qui leur assignait alors un destin de soumission et d’obéissance.

Pour l’influent théologien et homme politique breton, Félicité Robert de Lamennais (1782-1854),

« Les écoles à la Lancaster sont la folie du jour. Toutes les autorités de ce pays, et surtout le Préfet, en sont engouées au-delà de toute expression. La haine pour les prêtres entre pour beaucoup dans cette manie. Le fait est que tout ce qu’il y a de bon dans cette méthode, était pratiqué depuis plus d’un siècle par les Frères des Écoles chrétiennes ; le reste est pur charlatanisme. On parle d’apprendre à lire et à écrire en quatre mois aux enfants : d’abord ce serait un grand malheur, car que faire de ces enfants si bien instruits, et à qui leur âge ne permettrait pas encore de travailler ? En second lieu, rien n’est plus faux que ces résultats merveilleux ».

S’il faut « se prononcer entre l’instruction de l’abbé de La Salle et celle de Lancaster, la question est bien simple ; il s’agit de choisir entre la société et l’anarchie ».

Son frère, le vicaire Jean-Marie de la Mennais (1780-1860) prendra alors la tête de ce qu’il faut bien qualifier de chasse aux sorcières. Il dit :

« L’enseignement mutuel fut introduit en France par des protestants, dans les funestes cent jours. M. Carnot était alors ministre de l’Intérieur ; sous ses auspices, la société d’encouragement, établie pour propager cette méthode, tint sa première séance le 16 mai 1815 ».

Il se démène pour prouver que « la méthode lancastérienne est défectueuse dans ses procédés, dangereuse pour la religion et les mœurs dans ses résultats » et dans une brochure, De l’Enseignement mutuel, publiée en 1819 à Saint-Brieuc, il attaque vigoureusement ce mode d’enseignement.

Il n’est pas faux que la remise en question de l’autorité et de l’ordre établi est en soi inhérente à l’enseignement mutuel. L’école « simultanée » se base sur le postulat que pour transmettre un savoir il faut être diplômé (être le professeur). À l’inverse, au sein de l’école mutuelle, le professeur n’est plus le dépositaire du savoir, chaque élève pouvant expliquer à ses camarades.

Un autre souci pour les élites était lié au fait qu’avec cette méthode, les enfants ne sont plus qu’instruits et non pas « éduqués », qu’aucune éducation morale chrétienne ne leur est transmise.

Enfin, l’enseignement mutuel s’appuyait sur un nombre d’encadrants plus faible, du fait du rôle des élèves comme créateurs, transmetteurs et porteurs de savoirs. Certains ont peut-être eu peur pour leur poste…

Ecole des Frères, à Paris.

Joseph Hamel, en 1818, dans son rapport à l’Empereur de Russie, répond aux principaux adversaires des mutualistes, les « Frères des écoles chrétiennes », qu’ils ignorent presque entièrement ce qu’ils dénoncent. Hamel rappelle également qu’il y a 40 000 communes à prévoir des écoles primaires et que le nombre d’écoles des Frères ne « s’élève pas à plus de 100 dans le royaume… »

Du côté négatif, ce qui frappe, lorsqu’on examine les incriminations, c’est qu’on dise une chose le matin et son contraire l’après-midi. Le matin on dit que l’enseignement mutuel brouille les esprits en diluant l’autorité des maîtres, l’après-midi on affirme qu’il « militarise » à outrance l’éducation par une structure de commandement totalement hiérarchisée ! Allez comprendre…

Sur la question de la moralité, jamais Lazare Carnot n’aurait cautionné une éducation ruinant l’esprit chrétien et encore moins la notion d’autorité légitime, tout en combattant avec vigueur celle qui en manquait, comme par exemple celle de la Monarchie de droit divin ou du Consulat à vie imposé par Napoléon. De la même façon, le matin on accuse le système mutualiste de ne pas transmettre « la morale » chrétienne, l’après-midi on y voit un complot protestant…

Or, l’élan national en faveur de « la patrie » et des générations futures, a justement réussi à unir, dans un même effort, des personnalités de tout bord politique et religieux. Cuvier (protestant) et Gérando (catholique), tous deux fervents républicains et promoteurs du mode mutuel, ainsi que l’inspecteur général de l’Université, Ambroise Rendu (1778–1860, catholique), participent même à la rédaction de l’ordonnance du 29 février 1816 promulguée par Louis XVIII et le ministre de l’Intérieur, de Vaublanc (1756–1845).

Suite aux pressions massives des congrégations, les enseignants mutualistes Martin, Frossard et Bellot, tous trois protestants, se voient contraints de quitter leur direction d’école. Martin se rendra fort utile dans d’autres pays européens, notamment à Bruxelles où il organise, en 1820, une école mutuelle aux Minimes.

16. Dérive mécaniste ?

Sans appréhender l’état d’esprit et l’enthousiasme que pouvaient avoir des jeunes polytechniciens pour l’éclosion d’une culture industrielle et les merveilles du machinisme, les défenseurs d’une France cul-terreuse et féodale n’y voient qu’une « vision foncièrement mécaniste », lorsque Jomard compare la méthode mutuelle à une machine, avec ses rouages et ses ressorts, dont le maître n’est qu’un simple opérateur :

« Une fois l’école disposée et garnie de tout le mobilier qui lui est nécessaire, il ne s’agira plus que d’introduire les élèves et le maître, et de mettre ensuite en mouvement tous les ressorts de cette espèce de mécanisme, au moyen des nouvelles pratiques ».

Alors que Victor Hugo y évoquait un « essaim heureux », on accuse Laborde de dérive « mécaniste » lorsqu’il compare le bourdonnement produit par l’activité des élèves dans les écoles mutuelles anglaises au bruit des machines dans les filatures de coton.

La communication, disent-ils, y est « toute mécanique et entièrement hiérarchisée ». Elle ne s’exerce « que du maître ou du moniteur général vers les moniteurs et vers les élèves, non dans l’autre sens. C’est un moyen d’action, non un moyen d’échange. »

Admettons que toute approche pédagogique, peu importe laquelle, érigée en système et postulant qu’il suffit de l’appliquer mécaniquement à une personne humaine, peut faire dans l’horreur. Facile donc d’accuser l’enseignement mutuel de tous les maux dont souffraient, peut-être bien plus, ceux qui l’en accusaient.

A l’école mutuelle, les châtiments corporels sont bannis. C’est une décision courageuse qu’Octave Gréard (1828-1904) ne manquera de souligner :

« C’est l’un des titres des fondateurs des écoles mutuelles à la reconnaissance publique d’avoir proscrit les peines corporelles, férules et fouets, qui étaient encore en usage, et l’on ne saurait trop leur savoir gré d’avoir cherché à remplacer dans le cœur des élèves le sentiment de la crainte par le sentiment de l’honneur, ou, comme disait M. de Laborde, le sentiment de la honte bien administrée. »

Connaissant l’immense bonheur des milliers d’enfants qui ont accédé rapidement à un minimum d’instruction publique et qui ont connu la joie indescriptible d’instruire leurs camarades, on ne peut que soupçonner la plume des congrégations jalouses derrière ce poème se désolant faussement du malheur des pauvres petits :

« Ce système, dit l’un, né de l’anglomanie,
Contraste horriblement avec notre génie.
Là, tout est mécanisme et nos tristes enfants
Semblent une machine, au milieu de leurs bancs ;
Leur discipline absurde, et sans doute funeste,
Règle même les pas, l’attitude ou le geste :
On peut, dès aujourd’hui, prophétiser le sort
De ce peuple automate ainsi mu par ressort ».

17. Mort de l’enseignement mutuel en France

« Progrès des lumières », estampe, 1819.

En 1815, après Waterloo, Louis XVIII, qui avait fui, revient le 8 juillet 1815. Contrairement à son frère, le futur Charles X, chef des ultra-royalistes, il a pleinement conscience que l’on ne peut effacer les pages de l’histoire de la Révolution. Il constate que la France ne peut plus redevenir un pays de « sujets » et qu’elle est devenue une Nation. D’où la « Charte constitutionnelle » qu’il promulgue, et qui a valeur de constitution. Dans le même esprit, face à la popularité de l’enseignement mutuel, il lui accorde ses faveurs (subsides, création d’écoles modèles, protection du ministère de l’Intérieur).

L’enseignement mutuel va rapidement perdre ses protecteurs, la commission ministérielle créée par le décret du 27 avril ne survivant pas à la chute de Napoléon en juin 1815.

Dès l’automne 1816, alimentées par les congrégations, les critiques pleuvent. Le Grand Aumônier de France, cardinal de Talleyrand-Périgord, archevêque de Reims (ville natale de Jean-Baptiste de La Salle…), s’adressa de son côté au Roi pour lui faire connaître les alarmes des catholiques.

Si, en 1820, la SIE possède déjà un réseau de 1 500 écoles mutuelles groupant, grâce à une audacieuse pédagogie collective, plus de 170 000 élèves, le mutualisme subit les coups de bélier des ultras qui l’estiment trop libéral, trop favorable à l’autonomie des enfants et incapable « d’élever la jeunesse dans des sentiments religieux et monarchiques ».

L’enfant sortant de cette école, disent-ils,

« est un perroquet savant, sans idée religieuse, sans valeur morale, plus dangereux que l’ignorant pour l’ordre politique et social puisque l’instruction a développé en lui de nouveaux besoins, toujours prêt à s’engager dans de nouvelles scènes de révolution ou de déchristianisation. Ah, Carnot, le conventionnel régicide, le patron de l’enseignement mutuel, savait ce qu’il préparait en l’introduisant en France par le décret de 1815 ! »

Saint-Jean Baptiste de La Salle, musée du Vatican, Rome.

Partisan farouche de l’ordre et soupçonnant un vaste complot protestant contre le Vatican, le pape Léon XII, le « pape de la Sainte-Alliance » décide dans Quod Divina Sapientia, sa bulle papale du 28 août 1824 (art. XXVII, 299), que

« les écoles publiques d’instruction mutuelle seront supprimées et abolies dans tous les États pontificaux. Les évêques poursuivront ceux qui continueront à utiliser cette méthode d’enseignement ou qui tenteront de l’introduire dans leurs diocèses ».

Comme on l’a dit plus haut, en France, l’enseignement mutuel est perçu comme une agression par les congrégations religieuses qui pratiquent « l’enseignement simultané », codifié dès 1684 par Jean-Baptiste de La Salle (1651-1719) pour les Frères des Écoles Chrétiennes (Latin : Fratres Scholarum Christianarum ; Italien : Fratelli delle Scuole Cristiane, en abrégé FSC) : classes par âge, division par niveau, places fixes et individuelles, discipline stricte, travail répétitif et simultané supervisé par un maître inflexible.

Et les mérites des écoles des FSC et de « l’enseignement simultané », confirmés depuis leur création, sont considérés en totale opposition avec ceux de l’enseignement mutuel, la « manie du moment », et considéré comme l’œuvre de « charlatans » spéculant sur l’enseignement primaire.

Anticipant la bulle papale par l’ordonnance d’avril 1824, l’enseignement mutuel est placé chez nous sous la stricte tutelle de l’Église traditionnelle qui s’empare de l’ensemble de la question éducative. En août, donc après la bulle de Léon XII, un ministère des « Affaires ecclésiastiques et de l’Instruction publique », dont l’appellation dit bien le retour de l’Eglise aux affaires, est créé. L’accession de Charles X, ne fera qu’aggraver cette situation. L’Église d’alors aime les Lumières, mais avant tout celles des bougies…

École catholique de Versailles, peinture de d’Antoinette Asselineau, 1839.

Dès lors, le bilan de la scolarisation tourne au drame. En 1828, sur les 39 381 communes :

  • environ 24 000 sont pourvues d’écoles de garçons, recevant 1 070 000 enfants ;
  • le nombre des jeunes filles qui fréquentent les écoles primaires est au plus de 430 000 ;
  • 15 381 communes sont sans écoles de garçons ;
  • et peut-être 20 000 sans écoles de filles ;
  • 1 680 000 garçons et 2 320 000 jeunes filles, soit 4 millions au total, ne fréquentent aucune école.

Malgré une embellie entre 1828 et 1829, le mutuellisme est rejeté, ses écoles fermées les unes après les autres (leur nombre diminua des trois-quarts par rapport à 1820) bien que le poids électoral des ultras diminue d’élections en élections. Cependant, les éducateurs du peuple résistent.

Dans les années qui suivent la révolution de 1830, encore plus de 2 000 écoles mutuelles fonctionnent, principalement dans les villes, en concurrence avec les écoles confessionnelles promues par le régime. Officiellement, l’école mutuelle n’était pas garante de la moralité et on affirmait qu’elle était « industrielle », inhumaine.

François Guizot.

Arrive alors le fameux « moment Guizot ». Alors qu’il avait milité initialement pour le développement de l’enseignement mutuel au sein de la SIE, François Guizot (1787-1874), à partir de 1832 ministre de l’Instruction publique de Louis-Philippe, donnera le coup de grâce en France à l’enseignement mutuel en faisant entériner le mode simultané comme unique méthode pédagogique officielle. Les écoles adoptant l’enseignement mutuel ne sont alors plus subventionnées, elles ne reçoivent plus aucun soutien du gouvernement ni de l’Église. Devant les difficultés matérielles, une majorité des élèves admis gratuitement jusqu’alors doivent payer une rétribution. Beaucoup de parents, dans le besoin, les retirent pour les mettre à l’école gratuite des Frères ou des Sœurs qui vient d’ouvrir ses portes. L’Église calomnie, jette le doute sur la moralité des maîtres, s’efforce d’éloigner de l’école « du Diable » les enfants des familles catholiques, persécute et menace de les écarter du catéchisme et de la communion. Elle veut briser l’enseignement mutuel. Les maîtres, pour la plupart, abandonnent la méthode pour se rallier à l’enseignement simultané. Plus d’élèves, plus de maître, les écoles mutuelles disparaissent peu à peu.

C’est encore Guizot qui donne le dernier coup de marteau pour clouer le cercueil de l’enseignement mutuel en créant en 1867 l’École normale des instituteurs pour former les futurs professeurs de l’école de Jules Ferry à la méthode simultanée.

Le jeune Hippolyte Carnot adhère lui aussi à la SIE afin de renouer, post mortem, avec son père. Il tentera en 1847, lorsqu’il est ministre de l’Instruction publique sous la IIe République, de faire renaître cet enseignement mutuel que son père Lazare Carnot chérissait, mais, bien que son œuvre fût grande, ses ennemis furent nombreux et son mandat fort court.

18. Conclusion

L’enseignement est en crise. Le dossier La désintégration contrôlée de l’éducation – Ce que tout parent et enseignant devrait savoir (S&P, mars 2023) documente en détail comment tout ce qui a été en grande partie accompli par Lazare Carnot et son fils Hippolyte, repris bien sûr par la suite, notamment dans le plan Langevin-Wallon, a été systématiquement mis en pièce par les nouvelles congrégations de notre temps, adorateurs du veau d’or : l’oligarchie financière, transhumaniste et décadente, après avoir conduit le monde au bord du gouffre, toujours déterminée à sauver ses privilèges en organisant la ruine physique et morale de l’humanité.

Pour reconstruire une instruction digne de ce nom, nous en sommes convaincu, l’éducation mutuelle, sous condition de l’adapter à notre époque et de ne pas en faire un système déshumanisant, est une piste extrêmement prometteuse. Plusieurs pays africains ne nous ont pas attendu. Bien que dépourvus de moyens suffisants, ils s’en inspirent déjà. Il ne s’agit donc nullement d’une relique du passé, mais bien un outil concret pour construire l’avenir.

En France, Vincent Faillet, un jeune professeur de SVT, docteur en sciences de l’éducation et de la formation en région parisienne, dont le travail est évoqué dans cette vidéo, semble bien décidé à ouvrir le dossier :

19. Quelques ouvrages et textes consultés

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Christian Lévêque : l’écologie malade du « fixisme » ?

Moulin de Vernon en Normandie.

Karel Vereycken s’est entretenu fin mars 2021 avec l’écologue et hydrobiologiste Christian Lévêque, directeur de recherche émérite à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et spécialiste des écosystèmes aquatiques. Il est également président honoraire de l’Académie d’agriculture de France et membre de l’Académie des sciences d’Outre-mer.

Parmi ses derniers écrits, nous recommandons :

  • La biodiversité avec ou sans l’homme ? (Quae, 2017) ;
  • La mémoire des fleuves et des rivières (Ulmer, 2019) ;
  • La gestion écologique des rivières françaises – Regards de scientifiques sur une controverse (L’Harmattan, 2020, avec JP. Bravard) ;
  • Reconquérir la biodiversité, mais laquelle ? (Fondapol, 2021).

L’écologue Christian Lévêque.

Karel Vereycken : Dans vos écrits, vous soulignez que le discours qu’on entend dans les médias sur l’écologie est plus idéologique que scientifique. Que voulez-vous dire et en quoi est-ce préoccupant ?

Christian Lévêque : La première chose qui me préoccupe dans le discours écologique, c’est qu’il s’agit d’un discours à sens unique : « L’Homme détruit la nature. » C’est un discours de mise en accusation de l’homme dans son rapport à la nature. Or, ce que je vois autour de moi, ce n’est pas tout à fait ça. Prenons le cas du parc naturel de la Camargue, qu’on présente parfois comme un pur produit de la nature. En réalité, il s’agit d’un système aménagé par l’homme pour la production de sel et la riziculture. C’est un système géré artificiellement qui est néanmoins labellisé « parc naturel ». On voit bien, avec cet exemple, que l’action de l’homme n’est pas forcément négative.

Prenons maintenant le cas du bocage normand. Une fois de plus, ce n’est pas un système naturel, mais aménagé par l’homme et l’agriculture. Il est amusant de constater que le bocage figure dans tous les livres traitant de la biodiversité comme un bel exemple de nature qu’il faut préserver. On pourrait multiplier les exemples. Je prends souvent le cas du lac du Der (lac du Der-Chantecoq, en Champagne) qui est un barrage-réservoir (de 48 km²) sur la Marne, construit il y a une trentaine d’années pour protéger Paris des crues de la Seine. Or, tout comme la Camargue, ce site a été consacré « site Ramsar » (Note 1) en matière de préservation de la nature, en particulier pour l’habitat qu’il offre aux oiseaux.

On voit donc que le « vécu des gens » (la réalité) ne correspond en rien à celle dont parlent un certain nombre de mouvements militants qui ne font qu’accuser l’homme de ravager la nature. Pour moi, il y a quelque chose de totalement incohérent dans cette démarche. Ce qui ne veut pas dire pour autant que tout va pour le mieux, et il y a bien entendu des contre-exemples. Mais il faut revenir à des regards plus réalistes et moins dogmatiques sur nos rapports à la nature.

Ce qui me préoccupe le plus dans leur approche, c’est cette « vision fixiste » de la nature, sous-jacente dans la plupart des discours en matière de conservation de la nature. On a l’impression qu’en créant des aires protégées, on va protéger la nature. On oublie que la nature n’arrête pas de changer et qu’une aire protégée ne protège rien dans la durée. La flore et la faune vont évoluer sous l’influence du climat par exemple. Ou sous l’influence d’espèces qui vont se naturaliser sur le site. Et les espèces que l’on cherche à protéger peuvent disparaître car les conditions écologiques ne leur seront plus favorables. Ce sont des mesures d‘urgence qui peuvent être utiles comme telles, mais ce n’est pas une assurance à long terme.

Beaucoup de projets de restauration ou d’aménagement qui cherchent à reconstituer un état écologique historique (c’était mieux avant…) oublient que l’avenir ne peut pas être le passé. Les systèmes écologiques évoluent et se modifient en permanence sur la flèche du temps.

J’avais demandé, il y a quelques années, de faire une simulation sur la remontée du niveau de la mer, dans l’estuaire de la Seine dont je m’occupais. Si la mer monte d’un mètre – ce qui est possible et probable, d’ici à la fin du siècle – vous avez la moitié de la réserve de l’estuaire de la Seine qui est sous l’eau. Et si ça monte de deux mètres, il n’y a plus de réserve du tout. Est-ce qu’on pourrait repositionner la réserve plus haut ? Comme il y a beaucoup d’urbanisation, cela posera de grandes difficultés. C’était une parenthèse pour dire que les réserves naturelles sont un peu limitées en tant que perspective historique…

Si je vous comprends bien, ces écologistes font en quelque sorte un instantané de l’évolution, qu’ils veulent geler artificiellement pour toujours ?

Lorsqu’on regarde dans le passé, comme le font les paléo-écologues, on voit bien que la nature était différente de celle d’aujourd’hui. L’Europe a connu à diverses reprises des périodes de glaciation qui ont profondément modifié la flore et la faune.

Je dis souvent : réfléchissez. Il y a 10 à 20 000 ans, le nord de l’Europe était sous les glaces ainsi que le massif alpin, et l’on était en zone de permafrost là où nous sommes aujourd’hui. Cela a beaucoup changé depuis, non ? On est passé des toundras de Sibérie à des forêts luxuriantes et la biodiversité a également beaucoup changé. Et cela, en relativement peu de temps. La flore et la faune se sont reconstituées par des migrations ou des introductions d’espèces depuis environ 10 000 ans, ce qui est récent. A l’échelle géologique ou à celle de l’évolution, c’est une goutte d’eau.

Il faut bien intégrer que la nature est dynamique. Il est illusoire de penser que l’on pourra figer cette dynamique en établissant des normes et des lois pour la protéger. J’ai conscience que c’est difficile à intégrer car nous n’aimons pas beaucoup le changement, qui est porteur d’incertitudes et donc de dangers… Pour les scientifiques, la biodiversité est le produit du changement et donc de l’adaptation permanente des espèces aux fluctuations de leurs conditions d’existence.

Des chiffres fortement contestés.

Les mouvements environnementalistes nous alertent sur une forte érosion de la biodiversité et certains évoquent même la menace d’une « sixième extinction de masse » provoquée par l’action humaine. Qu’en est-il ?

Tout cela est compliqué et relève pour partie de la communication de grandes ONG environnementales. Il est vrai que les hommes ont un impact, mais il faut l’évaluer raisonnablement et ne pas tomber dans des discours inflationnistes.

A ceux qui tiennent ces discours, répliquez : « Apportez-moi les données ! » Or, on a beaucoup de mal à trouver les données sur lesquelles sont basées ces assertions.

J’ai vu récemment une communication de l’International Union for the Conservation of Nature (IUCN, l’une des plus grandes associations environnementalistes) et de l’Office français de la biodiversité (OFB) sur le nombre d’espèces menacées de disparition en France, évalué à 2400 espèces. Quand vous regardez le détail, c’est une liste à la Prévert d’espèces dont certaines sont sans aucun doute en régression, il n’est pas question de le nier, et d’autres dont la présence sur la liste sert à faire du chiffre.

Deux exemples pour l’illustrer. Parmi les quelques rares espèces supposées éteintes en France, il y a trois espèces de poissons d’eau douce appartenant au groupe des corégones qui peuplent les lacs alpins. Ce groupe est connu chez les taxinomistes pour être très variable. Selon les auteurs, on distingue des dizaines d’espèces de corégones, ou seulement deux en Europe… Les trois « espèces » en question sont-elles de vraies espèces ou des écotypes ? Ce qui souligne la difficulté rarement abordée de la définition de l’espèce !

Autre exemple, on comptabilise parmi les espèces disparues ou pratiquement disparues en France, des espèces qui vivent dans des pays voisins et qui, pour des raisons diverses, font de temps à autre une incursion chez nous. Il existe ainsi sur cette liste deux espèces de poissons qui sont endémiques en Espagne, où elles sont très abondantes, mais qu’on a pu apercevoir à certains moments dans des régions frontalières en France. Ce sont des espèces qui peuvent être importées accidentellement par des oiseaux, des mammifères ou des hommes, et qui s’installent temporairement chez nous, avant de disparaître. Comptabiliser ce type d’espèces parmi les espèces en danger, c’est quand même un peu fort ! C’est ce que j’appelle faire du chiffre. On aimerait que les données qui sont diffusées par les médias fassent preuve d’une plus grande rigueur !

D’autre part, on mélange systématiquement dans ces analyses les espèces métropolitaines et les espèces ultra-marines.

C’est donc intellectuellement malhonnête…

C’est un problème de manipulation sémantique, oui. On sait que l’essentiel des disparitions d’espèces a lieu dans les îles. C’est clair, c’est net : 95 % des espèces recensées disparues sont des espèces insulaires, des îles indo-pacifiques notamment. Sur les continents, on a très, très peu d’espèces disparues à l’époque historique. Donc pratiquer l’amalgame et laisser croire que la situation est la même partout n’est pas honnête. Les problèmes sont très différents concernant l’érosion de la biodiversité sur l’île de la Réunion, à Mayotte ou en métropole.

Pour la plupart des métropolitains, la France, c’est la métropole ; il faudrait donc préciser en « France métropolitaine et ultra-marine », et distinguer ce qui concerne les îles et ce qui concerne les continents.

Le problème des îles porte sur les « espèces endémiques » (à distribution réduite, liées à un territoire). Dans ce sens, il y a des îles océaniques, mais également des îles continentales. Un lac peut être une « île continentale ». Le lac Tanganyika, en Afrique, est une île continentale dans la mesure où il n’a aucune connexion avec d’autres lacs. Dans une île, vous avez des populations (végétales et animales) qui vont évoluer de manière isolée et qui vont donner au bout d’un certain temps des espèces biologiquement différentes de celles qui existent sur les continents. En général, ces îles ont été peuplées d’espèces qui vivent sur le continent, et l’évolution a fait son œuvre.

En Corse, en Sardaigne, etc., vous avez des espèces endémiques. Si certaines sont de « vraies » espèces biologiques, il s’agit souvent de sous-espèces dont l’évolution n’est peut-être pas complètement terminée.

La faune endémique des îles a beaucoup souffert de l’introduction d’espèces domestiques (chats, chiens) et d’espèces commensales (rats), c’est incontestable. Mais ce n’est pas le cas en milieu continental. Il ne faut donc pas tout amalgamer, à moins de vouloir manipuler les chiffres pour donner l’impression qu’en métropole, il y a de nombreuses espèces qui ont disparu.

On évoque souvent le cas des insectes. Dans les années 1960, pour désigner le liquide lave-glace, on utilisait le terme « démoustiqueur », tellement on ramassait d’insectes sur le pare-brise lors des déplacements en voiture…

C’est vrai qu’il y a moins d’insectes, je ne le conteste pas. L’homme a forcément un impact sur son environnement. Ou alors il faut exclure l’homme comme le proposent certains, pour qui une belle nature est une nature sans l’homme. Veut-on suivre cette logique ? Ce n’est pas la mienne. Tous les animaux ont un impact sur la nature. Lorsque vous regardez les films animaliers à la télévision, il y a toujours cette pauvre lionne ou cette pauvre louve qui cherche désespérément de quoi nourrir ses petits… On voit avec plaisir et même avec soulagement la pauvre lionne tuer une antilope ou la louve tuer un chamois. C’est cruel, la nature. Ce n’est pas un monde paradisiaque. C’est un monde de rapports de force.

Pour revenir aux insectes, il faut, là encore, essayer de comprendre pourquoi, au cas par cas, certaines populations (pas toutes) sont en régression. Et si les pesticides sont au banc des accusés, ils ne sont pas les seuls coupables. Il y a les pratiques agricoles et la modification des paysages, mais aussi toutes les conséquences de l’artificialisation et des pollutions résultant de l’urbanisation.

Ce qui sous-tend vos propos, et je crois l’avoir vu dans vos écrits, c’est la notion de « co-construction » entre la civilisation humaine et la nature ?

C’est en effet ce que je dis – avec d’autres, car je ne suis pas seul dans ce domaine. La « nature » européenne est une co-construction entre les processus spontanés, c’est-à-dire la dynamique des espèces elles-mêmes, et les activités humaines. Le paysage européen, c’est le produit de l’agriculture, au sens large. Il n’y a plus rien d’originel. Mais c’est aussi de nos jours le produit de l’urbanisation. On voit bien que l’urbanisation artificialise le paysage. On n’a plus de grands espaces sans artifices.

En milieu urbain, notre « nature » est une hyper co-construction. On aménage des coins de nature en ville, des parcs, des jardins. C’est artificiel mais ces milieux hébergent également des espèces de plus en plus nombreuses qui s’adaptent à la ville. On y trouve même beaucoup d’espèces protégées.

Une vision romantique prétend que si l’homme disparaissait définitivement, la nature « reprendrait ses droits », mais on peut également craindre que cela ne soit pas forcément le cas. On peut même redouter que des formes plus primitives du vivant, du type virus « malveillants » ou autres, viennent ravager ce qui resterait.

On peut tout imaginer. Je ne suis pas hostile à ce qu’on réfléchisse à ces questions, loin de là. Je dirais que globalement, l’homme a besoin de la nature, c’est évident. Sans les ressources de la nature, il ne peut pas vivre, comme d’ailleurs beaucoup d’autres espèces. Le principe de la nature, c’est qu’il y a des mangeurs et des mangés, ne l’oublions pas. Néanmoins, la nature a existé pendant très longtemps sans l’homme. L’homme est un tout petit épisode dans l’histoire de la Terre et de la nature, en tout cas l’homme actuel. Et il y a fort à parier que si l’homme disparaît, la nature poursuivra son chemin…

Maintenant, ce qui est vrai, c’est que si l’on abandonne un certain nombre d’activités – notamment agricoles – de co-construction de la nature, les paysages vont changer. La déprise agricole (abandon et sous-utilisation à long terme des sols) entraîne ce qu’on appelle la « fermeture » des paysages. Ça veut dire que les systèmes forestiers vont prendre la place des systèmes prairiaux ouverts, ce qui provoquera un changement assez important dans les peuplements qui leur sont associés. Et l’une des raisons probables de l’érosion des populations d’oiseaux des champs en France et en Europe, dont on discute pas mal, est en partie liée à cette déprise agricole. Cela veut dire que beaucoup d’endroits qui étaient des milieux « ouverts » sont maintenant abandonnés à une forêt qui gagne du terrain en France.

Et puis il ne faut jamais oublier que l’artificialisation des sols (extension des zones habitables) progresse beaucoup. Lorsque l’on aborde le problème de la disparition des insectes (sans exclure le rôle des insecticides), il faut considérer le rôle de l’éclairage, celui des lampadaires qui tuent des quantités d’insectes. L’urbanisation détruit évidemment un certain nombre de milieux favorables aux insectes. Les pratiques agricoles, surtout avec les cultures extensives, éliminent les bosquets, etc. Je ne nie pas du tout le rôle des insecticides, mais je refuse d’en faire le seul facteur ou le bouc-émissaire de la disparition des espèces.

Derrière tout cela, je pose la question de savoir s’il est légitime ou pas que l’homme se protège des nuisances de la nature. N’a-t-on pas le droit de se protéger contre toutes ces nuisances que sont les insectes ravageurs des cultures, que sont les moustiques, que sont tous ces vecteurs de maladies, etc. ? Il y a une vraie question qui est posée… et jusqu’où aller ? Pouvons-nous imaginer des compromis et sur quelles bases ?

En plus, cette question ne se pose pas de la même façon dans les pays en voie de développement que dans les pays avancés. Lorsqu’on regarde le rôle des insectes dans la transmission des grandes maladies parasitaires, bactériennes et virales, on a un autre regard.

La nature n’est pas sympa !

Moi, j’ai travaillé dans les pays en voie de développement. J’ai passé dix ans en Afrique et j’étais sur le terrain, pas derrière les écrans d’ordinateur d’un laboratoire français. Le discours actuel sur la biodiversité est complètement aberrant par rapport aux besoins et à la situation des pays en voie de développement.

Leur problème, ce n’est pas la conservation de la nature dans des réserves. Leur problème, c’est aussi de se protéger de la nature et de ses nuisances. Je dis bien aussi… car évidemment, ils ont aussi besoin de protéger leurs ressources.

Cette question des deux visages de la nature m’est particulièrement chère car dans le monde vécu des citoyens, la nature est une source inépuisable de nuisances (maladies, ravageurs de cultures, aléas climatiques, etc.). Mais les conservationnistes refusent d’en parler pour ne pas écorner cette image d’Epinal d’une nature bucolique assiégée par l’homme, qui est leur fonds de commerce !

Conservation de l’homme !

Ce n’est pas une guerre de tranchées, mais tout de même, ce n’est pas du tout la vision bucolique et idyllique que les « bobos » ont actuellement de la nature. Ça c’est vraiment un regard de pays riche.

Ce que vous avancez me semble très important. Pourtant, votre discours, sans être marginal, n’est pas médiatisé et reste très éloigné du discours dominant. Pourquoi y a-t-il tant de scientifiques qui s’adonnent à ce catastrophisme ?

C’est aussi une question que je me pose. Je me suis plusieurs fois étonné que mes collègues puissent avaliser des informations du type « 1 million d’espèces menacées de disparition », sans disposer des données permettant d’étoffer une telle affirmation ni savoir comment on l’a calculé. En principe, il existe une déontologie scientifique. Les scientifiques doivent parler de choses qui sont vérifiées, ou mettre des informations sur la table pour qu’on puisse en discuter. Or, on ne trouve nulle part de quelle manière ces chiffres ont été obtenus. Les affirmations de ce type qui tournent en boucle sur internet et sur les réseaux sociaux ne sont pas sourcées.

J’étais interrogé par l’hebdomadaire Le Point (20 février 2021) sur la question du WWF qui annonce, dans son rapport Planète vivante (Edition 2020) que 68 % des vertébrés ont disparu entre 1970 et 2016.

Manque de chance, il y a deux articles scientifiques qui, en s’appuyant sur les mêmes bases de données que le WWF, sortent des chiffres totalement différents. En gros, oui, il y a des espèces dont les populations sont en forte régression, c’est incontestable, on parle des lions, on parle des girafes, etc. Mais il y a également des populations qui sont en expansion et ça, on n’en parle jamais, de même qu’on ne parle jamais de l’évolution qui est en cours. On parle toujours de la disparition des espèces, mais quand on fait des analyses génétiques des populations, on s’aperçoit que l’évolution est toujours en cours. Vous avez des différences génétiques dans un même bassin fluvial, entre populations de poissons d’une même espèce à quelques dizaines de kilomètres de distance. L’évolution, c’est de l’adaptation, Les espèces sont en permanence en train de s’adapter. Quand vous introduisez une espèce américaine dans un lac européen, au bout de quelques décennies, elle se différencie de l’espèce d’origine et peut devenir une nouvelle espèce biologique.

Lors de conférences visant à populariser l’idée de la « grande réinitialisation » (Great Reset), c’est-à-dire le verdissement de la finance mondiale pour « sauver le climat », on a pu voir, à la fin de la grande session réunissant la fine fleur des financiers à Londres, le 11 novembre 2020, Greenpeace présenter la bande annonce de son film « Our Planet, Too Big too fail »

Je sais…

On peut donc croire qu’il existe un lobby de la finance verte qui a bien besoin de ce genre de propagande…

Indulgences vertes. Vous aurez bien une petite pièce pour sauver la planète ?

Il y a « une machine à cash », pour dire les choses simplement. Si vous présentez un programme de recherche dans lequel vous dites « je veux montrer tout l’intérêt de la préservation du bocage et de sa transformation historique, soulignant le rôle positif de l’homme », alors vous ne trouverez absolument aucun financement. En revanche, si vous jouez le chercheur pyromane et que vous criez au feu : « Ah, les espèces invasives, ah, le changement climatique ! ça va tout transformer, ça va tout détruire ! »

Ça marche très bien au niveau des médias, ça marche très bien, hélas, au niveau d’un bon nombre de nos concitoyens, et là, vous allez obtenir des crédits, car vous allez dire « donnez-moi de l’argent, je vais vous apporter la solution ». Cela ressemble fort à ce qu’on appelait au Moyen-Âge le régime des indulgences (Note 2), lorsque l’Eglise disait « donnez-nous de l’argent, et votre âme sera sauvée ! »

C’est ce que dit le WWF : « Donnez-nous de l’argent et on va sauver la planète ! » Ça dure depuis des décennies sans que la question de l’érosion de la biodiversité soit réglée pour autant.

C’est pas mal, les indulgences vertes !

Tout cela crée une sorte de doxa. On se renvoie la balle, on fait de la surenchère. On a une « érosion sans précédent » mais qui n’est pas documentée. On se monte le bourrichon d’une certaine manière, mais ça rapporte – de la notoriété, parce qu’on passe dans les médias, et de l’argent parce que vous allez sauver le monde. Qui va dire le contraire ? On est dans un grand jeu de rôle.

Cela me conduit à la dernière question à laquelle vous avez déjà répondu en partie. Aux politiques, vous dites « regardez les chiffres et ne répondez pas aux images et aux émotions ». Existe-t-il des domaines de recherche prometteurs permettant de clarifier ce débat ?

Pour clarifier ce débat, il faudra d’abord que les politiques soient à l’écoute, ce qui n’est pas forcément le cas. C’est une question pour laquelle je n’ai pas de réponse définitive. Je ne suis pas un gourou. Je ne dis pas « il n’y a qu’à… » ou « il faut qu’on… ».

Lorsque je parle de préserver la diversité biologique, je souligne qu’il faut le faire dans un contexte qui dépasse la seule vision naturaliste. Il y a la nature « objet » et la nature vécue… et on ne peut pas parler de la préserver sans tenir compte des paramètres sociaux en matière d’usages et de santé.

Record historique. En octobre 2019, près de 200000 grues cendrées s’étaient données rendez-vous aux bord du Lac du Der, à quelques dizaines de kilomètres de Vitry-le-François.

Revenons au lac du Der, qui est devenu une zone de protection pour les oiseaux. Une zone humide, un peu marécageuse, ce n’est pas compliqué à faire. Vous creusez un trou, vous y mettez de l’eau, et au bout d’un an ou deux, vous aurez une belle zone humide. La nature fait très bien les choses et il y a naturellement des échanges importants d’espèces d’un endroit à un autre par le biais des oiseaux, des mammifères, du vent, etc. Si vous avez la chance d’avoir un jardin, faites un trou et mettez de l’eau. Après quelques semaines vous verrez que la vie s’y est bien installée.

Oui, le vivant est conquérant !

Il y a eu des expériences intéressantes de création de marais au nord de Paris, dans le Parc départemental du Sausset (93), par un collègue qui est urbaniste. Au début, des paysagistes y ont mis des plantes. Quelques années après, tout cela avait disparu et l’endroit était envahi par une végétation spontanée de zones humides. A tel point que cette zone est devenue un centre d’attraction pour de nombreuses espèces d’oiseaux. Le public appréciait ce coin de nature sauvage… en milieu urbain.

C’est une chose qui a été déterminante dans ma réflexion, pour dire qu’effectivement l’action de l’homme n’est pas systématiquement négative. Mais ce qui était fait initialement pour distraire le public est devenu une réserve ornithologique fermée au public !

Comme je l’ai développé dans certains articles, on n’est pas obligé d’avoir une vision monolithique des choses. J’aborde souvent ces questions du point de vue des rapports nature-société. Si les hommes ont envie, quelque part, de coins de nature protégée, parce que ça leur fait plaisir, et parce qu’ils y trouvent un intérêt, pourquoi pas ? On n’est pas pour autant obligé de faire de la France tout entière une réserve naturelle ! On doit réfléchir sur la base d’un compromis entre différentes attentes des citoyens et des usages de la biodiversité.

Entre 100 % parking et 100 % réserve naturelle, il y a de la marge…

Publié en 2017 chez Quae.

On parle actuellement de 30 % d’aires protégées (terrestres et maritimes), et certains conservationnistes disent que ce n’est pas assez, qu’il faudrait passer à 50 %. Mais où va-t-on mettre les hommes, là-dedans ? On va les mettre dans des réserves indiennes ? Ça, on ne le dit pas… C’est bien le problème, et c’est irresponsable.

Si l’on revient aux pays en voie de développement, lorsqu’on parle de 30 ou 50 % d’aires protégées alors que leur population est en forte augmentation, va-t-on y faire des zones hyper-peuplées et d’autres hyper-dépeuplées ? Tout ça pour qu’on puisse admirer une belle nature dans les zones protégées alors que les hommes crèvent de faim à côté ? Vous avez lu le livre Le colonialisme vert de Guillaume Blanc ? Lisez-le.

J’ai vécu ça en partie. J’ai connu les zones protégées en Afrique de l’Ouest, elles n’ont pas résisté longtemps lorsqu’il y a eu des révoltes sociales. C’étaient des réserves de viande de brousse. C’est un peu différent en Afrique de l’Est, où c’est devenu en réalité du grand business. Pourquoi pas !

Pour protéger les animaux, certains sont près à abattre les hommes dans ces réserves…

Abattre est peut-être un peu fort (mais c’est vrai au sujet des braconniers…), mais les expulser sans aucun doute. C’est ce que fait le WWF. C’est ce que dit Blanc également et ce comportement a été dénoncé dans des articles parus dans Le Monde diplomatique.

Oui, la télévision néerlandaise y a également consacré un reportage extrêmement documenté.

On peut accepter que dans certains pays comme la France, on crée des réserves dans des endroits où il n’y a personne. C’est le cas du parc du Mercantour. Mais il est vrai aussi que nous avons des parcs régionaux qui essaient d’associer protection et activités humaines, avec un certain succès.

Ou le retour des haies ?

On peut replanter des haies, et c’est ce que l’on fait à petite échelle, mais c’est encore assez anecdotique. Une haie, ce n’est pas que de l’aubépine, c’est aussi des arbres, et il faut du temps. Il y a en théorie des choses simples à faire pour recréer l’hétérogénéité des habitats. Au lieu d’avoir d’immenses étendues de champs labourés, on peut reconstituer quelques bosquets, ce qui serait certainement très positif pour la biodiversité.

Cela offre un plus pour les oiseaux…

Ce sont les arbres qui sont importants pour beaucoup d’oiseaux. Il est également clair qu’il faut réduire les pollutions, mais celles de toute nature, et pas seulement les pesticides. Les pollutions lumineuses, ça existe, et l’on pense que pour les insectes et les oiseaux, cela joue un rôle actuellement. Il y a des scientifiques qui semblent disposer de données pour le prouver. On voit bien qu’il y a des choses à faire, mais ce n’est pas forcément la révolution.

C’est en « co-construisant » avec la nature et en se posant la question : qu’est-ce qu’on veut comme nature ? Ce qui nous amène à prendre en compte non seulement des facteurs écologiques, mais également des facteurs économiques et sanitaires. Je ne suis pas sûr que les citoyens soient prêts à accepter le retour des moustiques, par exemple. Mais je respecte aussi les choix de nature éthique. Encore faut-il qu’ils ne deviennent pas exclusifs.

Aujourd’hui, dès qu’il y a un coq qui chante ou des grenouilles qui croassent, on appelle la police et on exige que le maire du village soit fusillé !

Ce qui compte, c’est de rechercher des solutions au cas par cas, qui ne seront pas les mêmes partout. En évitant les excès et les attitudes trop dogmatiques. Mais à certains moments, il faut aussi savoir trancher. Ça c’est de la politique, pas de la science.

C’est pour cela que le concept de co-construction est vraiment la chose à faire connaître.

Il faut tenir compte, selon les endroits, du contexte écologique, économique, sociologique, etc. Il faut tenir également compte des changements dans la société. Au XIXe siècle, la préoccupation majeure était de survivre. L’agriculture ne produisait pas assez, les gens crevaient de faim dans certains endroits. Il fallait donc produire. On ne se posait pas la question de la protection de la nature. Aujourd’hui, c’est la même chose dans les pays en voie de développement.

Je ne sais pas si vous avez vu le cri d’alarme lancé par Jean-Christophe Debar, de la FARM (Fondation pour l’agriculture et la ruralité dans le monde). Car il y a toute une offensive européenne en cours, au nom du Green New Deal, contre la viande, accusée d’être en grande partie responsable des émissions de gaz à effet de serre.

C’est ce que l’on dit… encore faut-il faire des évaluations honnêtes de ces émissions.

On a vu alors des gens sortir leur calculette pour évaluer comment réduire de moitié l’élevage. Face à cela, M. Debar met en garde qu’imposer des baisses de rendement risque d’obliger à doubler les surfaces à cultiver. En gros, cela équivaut à raser les forêts pour faire du bio… Ils se trouvent pris dans leurs propres paradoxes.

Publié en 2021 chez Fondapol.

Pour produire la même chose en bio, cela demande 30 à 50 % plus de terres qu’en traditionnel. Je ne défends pas forcément le traditionnel, mais c’est un fait. A partir de là, on peut discuter. On peut certainement faire du bio dans certains endroits, mais dans l’état actuel, le bio est plus consommateur d’espaces. Moi je développe une autre idée. Je vis dans un pays où il y a encore du bocage (zone d’élevage). Eh bien, si l’on supprime la viande, qu’est-ce qu’il va devenir, ce bocage ? Ça va s’emboiser : friche, bois… ou ça va faire de belles zones industrielles pour centres commerciaux, ou des centres de loisirs. Donc, si on mange moins de viande, on va modifier nos paysages et sa biodiversité, ce qui montre la complexité des phénomènes et la limite des raisonnements « y’a qu’à, faut qu’on ».

On veut faire de nos agriculteurs de simples « capteurs de carbone ». Ils ne seront plus rémunérés pour les aliments qu’ils produisent, mais pour leur gestion de champs considérés comme des puits de carbone… La question est de savoir ce qui capte le plus de CO2 : une friche, une forêt ou un champ cultivé ?

Cela dépend des cultures et de ce qu’on intègre comme éléments de calcul. Vous parlez des émissions de gaz à effet de serre. On accuse les vaches.

Cependant, un des grands émetteurs de méthane, ce sont les zones humides… Les « feux follets », vous connaissez ? C’est du méthane. Avec la décomposition de la matière organique, il y a émission de méthane.

Pourtant on protège les zones humides, c’est un grand enjeu de conservation, n’est-ce pas ? Mais personne ne veut parler de la production de méthane par les zones humides… Les ONG montent au créneau quand on leur dit ça.

Ségolène Royal serait mécontente de vous entendre !

La décomposition des matières organiques en zone humide émet des gaz à effet de serre, notamment du méthane. Ici des feux follets.

C’est pourtant évident. J’ai assisté à une séance de l’Académie de l’agriculture où on a parlé de l’émission de méthane par le rot des vaches. J’ai demandé à quoi ça correspond par rapport aux émissions des zones humides ? Silence… Il existe aussi des données démontrant que le permafrost qui se dégèle émet des quantités considérables de méthane. Il faut dire ces choses. On s’amuse avec le rot des vaches, mais est-ce le fond du problème ? On amuse la galerie, en réalité…

Ne pensez-vous pas qu’il est temps de former à nouveau des écologues et des biologistes prêts à aller sur le terrain pour y faire des relevés, plutôt que de tout miser sur des modélisations informatiques ?

C’est un des grands problèmes de l’écologie actuellement. Récolter des données, aller sur le terrain, ça coûte cher, ce n’est pas valorisant au niveau des publications, et c’est parfois sportif ! Pour ces différentes raisons, l’écologie est en partie devenue une science spéculative. Dans son bureau, on fait de l’écologie théorique sur ordinateur avec des « modèles » et on sort ensuite de grandes théories qui ne sont pas validées par les données de terrain.

Pour moi, l’écologie est avant tout une science d’observation ! le modèle est un outil qui aide à traiter ses informations. Ce n’est pas une fin, et encore moins un moyen de se substituer au terrain. Ou alors on en reste à la vision fixiste de l’écologie et on croit que le vivant se conforme aux théories que l’on a imaginées. Comment prendre en compte la variabilité et les aléas dans des modèles déterministes ? Le modèle auquel on accorde un crédit prédictif est l’antithèse de la démarche adaptative.

Un mot pour conclure ?

A mon sens, il est urgent que « l’écologie » (et pas l’écologisme) fasse sa révolution copernicienne. L’écologie est née autour de l’objectif d’identifier les lois qui régulent la nature.

C’était le but recherché au début du XXe siècle : découvrir les lois de la nature. Avec l’arrière-pensée que si l’on connaissait les lois, on pourrait agir sur la nature. Tout comme on avait trouvé les lois des orbites planétaires et de la gravité avec Copernic et Newton, on espérait trouver des lois définissant le fonctionnement général de la nature. Avec le temps, on s’est aperçu qu’il n’y avait pas (ou très peu) de lois pouvant expliquer le fonctionnement général de la nature, mais beaucoup de situations particulières (la contingence). La seule grande loi est celle qui montre que la distribution des espèces à la surface du globe dépend du climat et de la géomorphologie. A part cela, chaque système écologique est relativement différent et fonctionne d’une manière différente. Il faut donc éviter les généralisations et les globalisations, comme le font les mouvements militants et les ONG lorsqu’ils parlent d’érosion de la biodiversité. On l’a vu à propos de la différence entre les espèces continentales et les espèces insulaires.

Et surtout, il faut se mettre dans la perspective que la nature, ça bouge, ce n’est pas en équilibre, ce n’est pas stable, et que penser la préserver dans des réserves ou à travers des lois normatives, c’est un peu de la fiction.

Ils font la même erreur sur le climat en évoquant une température globale de la planète…

Oui, ils appellent cela la « température moyenne » pour l’ensemble du globe. J’ai dit une fois, par boutade, « qu’est-ce que c’est, cette connerie ? » Ça signifie quoi, une moyenne globale ? On voit bien que ce n’est pas si simple au niveau de la planète. Il y a à la fois des réchauffements et des refroidissements, des canicules et des vagues de froid, etc. Il en est de même pour la biodiversité, elle n’est pas la même partout.

Chaque région a son histoire climatique, géologique et anthropique. On dit que l’écologie est contingente, c’est-à-dire qu’un système écologique est le produit d’une histoire et d’un contexte local. La globalisation masque cette hétérogénéité qui est pourtant la caractéristique du vivant. Chaque système a son mode de fonctionnement, ce qui rend bien entendu difficile les généralisations. Les forêts méditerranéennes ne sont pas les forêts bretonnes, ni les forêts tropicales, et ça ne fonctionne pas de façon identique. La vie, c’est avant tout la diversité et l’hétérogénéité, c’est l’adaptation aux conditions locales…

Cela veut dire que l’écologie doit s’inscrire dans une perspective dynamique et non pas statique. Pour moi, c’est le fond du problème. On manque encore d’outils pour prendre en compte la dynamique des écosystèmes. On manque aussi d’informations sur leur évolution sur le temps long. On a longtemps pensé qu’un système écologique fonctionnait comme une machine dans laquelle toutes les espèces avaient leur rôle. Ce concept que l’on a qualifié de déterministe était pratique, car il donnait l’illusion que l’on pouvait gérer la nature si on en connaissait les lois de fonctionnement.

Depuis, on s’est rendu compte, à la suite des travaux du paléontologue S. Gould, par exemple, et ceux des généticiens, que le hasard jouait un rôle considérable dans la dynamique du vivant. Le vivant n’est pas le monde physique et il n’obéit pas aux mêmes lois.

Mais reconnaître le rôle du hasard (ou des aléas), c’est ouvrir la porte à l’incertitude, et on a du mal à y souscrire car ça rend difficile la prévision. Les gestionnaires sont alors démunis en matière d’anticipation. Mais on continue à faire comme si on pouvait prévoir le futur, avec ces nouveaux astrologues que sont les modélisateurs qui entretiennent l’illusion que le futur est prévisible… et donc maîtrisable !

Il faut dire clairement que l’on ne sait pas prévoir. Il faut le marteler car en réalité, ce que nous pouvons faire de mieux, c’est de nous adapter. C’est cette thématique d’une gestion adaptative qu’il faut promouvoir, bien différente de la gestion normative que nous pratiquons, qui consiste à établir des normes pour appliquer des lois qui n’ont aucune signification dans des systèmes dynamiques.

On en est, hélas, à une sorte de retour à une pensée moyenâgeuse. On fait tout un foin sur la complexité du monde, mais en fin de compte, c’est le rasoir d’Ockham, on adopte un truc simplet.

En effet, le public veut les explications les plus simples possibles. On est resté sur la logique : une cause, un effet. On a du mal à penser que dans un système écologique, un effet peut avoir plusieurs causes qui s’additionnent ou se compensent. On oublie aussi qu’une cause peut mettre beaucoup de temps avant d’avoir un effet. Les sécheresses cumulées sont l’une des causes du dépérissement des arbres.

Comme vous l’avez dit, on cherche des « effets de com’ ». Tout ce qui est ambigu, métaphorique, paradoxal ou réellement hypothétique, est écarté.

La complexité, on a du mal à l’intégrer. C’est pourquoi on opte pour les idées simples et le plus souvent fausses. Il n’est pas évident de résumer des phénomènes aussi complexes que les dynamiques naturelles. Et puis, il faut bien l’admettre, beaucoup de citoyens sont ravis quand on donne dans le catastrophisme. La preuve, c’est que ça marche au niveau du temps d’écoute des émissions radio ou télé. Et les ouvrages de collapsologie se vendent bien.

Soyons plus positifs. Ce qui fait l’intérêt de l’écologie de nos jours, ce n’est pas de faire la liste des notices nécrologiques, mais de redonner une vision positive et opérationnelle des relations homme-nature. Sans nier, bien évidemment, qu’elles ne sont pas toujours très cordiales, on doit aussi reconnaître que dans certaines régions du monde, les hommes ont co-construit une nature qui répond à leurs besoins de sécurité physique et alimentaire.

Et cette nature à l’exemple de celle que nous connaissons en Europe, n’est pas pour autant un champ de ruines. Ce n’est pas en stigmatisant continuellement le rôle de l’homme et en prédisant l’apocalypse que l’on mobilisera les citoyens. Il faut redonner de l’espoir, réenchanter la nature, comme le disait Serge Moscovici.

Et l’écologie scientifique doit apporter son concours à la reconstruction de rapports moins dogmatiques avec la nature, en montrant qu’il y a aussi des « lendemains qui chantent ». Ce qui suppose de réviser sérieusement les concepts fondateurs et de s’affranchir des discours militants basés sur des considérations idéologiques.

Je retiens votre image d’« indulgence verte ». D’ailleurs, lorsqu’on regarde les formulaires de don de certaines ONG militantes, on constate qu’ils vous demandent de leur léguer votre héritage. On culpabilise les gens à mort, et ensuite, pour pouvoir accéder au paradis par un petit chemin vert, ils vous disent « confiez-nous votre fortune ».

Il serait intéressant de savoir comment fonctionnent réellement ces organisations qui prétendent défendre la nature. Ce sont des multinationales qui brassent beaucoup d’argent. Ce que je sais, c’est que le niveau des rémunérations que touchent les milliers de « spécialistes » et d’employés de ces grands organismes sont supérieurs aux salaires des scientifiques français.

Il y a un combat d’idées à mener, et nous sommes très content que vous le meniez. Nous essayons, nous, de notre côté, d’y apporter notre pierre.

C’est un combat qu’on ne peut pas mener tout seul. Discuter de la doxa dominante est compliqué, on a du mal à se faire entendre, on a l’impression de ne pas être écouté. Mais on s’aperçoit aussi que les lignes commencent à bouger.

Ainsi, j’ai participé par visioconférence à une réunion du Sénat sur la « continuité écologique » des rivières en France.

Je vous rappelle qu’il y a quelques années, l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (ONEMA) et l’Office français de la biodiversité (OFB) avaient décidé que pour restaurer l’état écologique des rivières françaises, il fallait détruire tous les « seuils » [3], c’est-à-dire détruire tous les moulins, en quelque sorte. En clair, éliminer toutes les constructions qui pouvaient entraver la circulation de l’eau des rivières, afin de permettre à certaines espèces (en réalité une poignée) de remonter le cours de la rivière pour se reproduire.

Publié en 2019 chez Ulmer.

Il y a eu pas mal d’actions très contestées et les propriétaires de moulins ont beaucoup manifesté. On est ici typiquement confronté à la fausse bonne idée, car la raréfaction des poissons migrateurs dans nos cours d’eau résulte de multiples causes, comme nous l’avons vu plus haut, notamment la qualité de l’eau, mais aussi l’endiguement des cours.

Avec un collègue géographe et d’autres auteurs, nous avons écrit un livre sur la restauration écologique des rivières, qui est paru l’année dernière.

Apparemment, cela a fait bouger un peu les lignes et on est en train d’évoluer vers l’abandon de ces mesures technocratiques consistant à supprimer systématiquement tous les seuils, qui, en outre, ne semblent pas donner les résultats escomptés mais détruisent un patrimoine. Il faut voir les choses au cas par cas et discuter de mesures alternatives avec les propriétaires. Il y a des politiques qui commencent à évoluer.

Je ne suis donc pas pessimiste, ce qui m’encourage à poursuivre ce combat d’idées.


NOTES:

  1.  En 1971, lors d’une conférence à Ramsar, en Iran, 18 pays ont signé une convention sur la protection des zones humides, « importantes, en raison des fonctions écologiques et hydrologiques qu’elles remplissent, pour la conservation de la diversité biologique mondiale et la pérennité de la vie humaine ».
  2. Au Moyen Âge, l’Église catholique permettait à ses fidèles d’acheter en argent bien sonnant des indulgences, lesquelles devaient réduire, selon le montant accumulé, le temps qu’on devait passer au purgatoire après sa mort pour expier ses péchés. C’était fort commode pour les vilains qui avaient les moyens de s’offrir un peu plus de péchés que la moyenne. Bien avant Luther, l’humaniste Erasme de Rotterdam fut le premier à s’insurger contre cette pratique. KV.
  3. Le mot « seuil » désigne tout ouvrage fixe ou partiellement mobile, construit dans le lit mineur d’un cours d’eau et qui le barre en partie ou en totalité. On en recense plus de 60 000 en France.

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Alain Bécoulet: la Science, puissant vecteur de rapprochement entre peuples

Le Tokamak chinois EAST.
Alain Bécoulet.

La coopération scientifique entre la France et la Chine dans le domaine du nucléaire civil est très ancienne.

Voici un entretien avec un chercheur qui y participe depuis trente ans, le physicien Alain Bécoulet, ancien directeur de l’Institut de recherche sur la fusion par confinement magnétique (IRFM) du CEA, aujourd’hui directeur du domaine « ingénierie » de l’International thermonuclear experimental reactor (ITER), un tokamak géant en voie d’assemblage à Cadarache, près d’Aix-en-Provence (13).

Au cours de sa longue carrière, Alain Bécoulet a travaillé, avant ITER, sur les tokamaks JET (Culham, Royaume-Uni), DIII-D (San Diego, Californie) et enfin Tore Supra (Cadarache, France).

Conférence de presse à l’Ambassade de la République populaire de Chine.

Karel Vereycken : Monsieur Bécoulet, bonjour.

Le 28 mars, lors d’une conférence de presse à Paris, en présence d’Alain Mérieux et de l’ancien président de l’Assemblée nationale Bernard Accoyer, le gouvernement chinois, par la voie de son ambassadeur, a remis son prix de la coopération scientifique et technologique internationale à deux chercheurs français au cœur de la coopération franco-chinoise : le professeur Jacques Caen, hématologue renommé, et vous-même, pour votre travail sur la fusion thermonucléaire dans le cadre du projet ITER.

Coût croissant des énergies fossiles et renouvelables, climat, conflits et croissance démographique. Autant de phénomènes qui interpellent brutalement nos gouvernements sur l’importance de l’énergie. Rappelez-nous brièvement ce qu’est la fusion et en quoi elle apporterait une réponse à ces défis ?

Alain Bécoulet : La fusion de noyaux atomiques légers est le mécanisme qui prévaut au fonctionnement de notre Soleil, et des étoiles en général. C’est une source nucléaire d’énergie virtuellement sûre, propre, décarbonée et très abondante. Si on arrive à la maîtriser, elle entrerait donc tout naturellement en première place des futurs mix énergétiques. Le défi, pour cela, est sa domestication sur Terre, qui entre seulement, avec ITER, dans sa démonstration de faisabilité à l’échelle 1.

Une fois cette étape franchie par ITER dans la deuxième moitié des années 2030, la voie sera ouverte vers des réacteurs électrogènes basés sur le principe de la fusion.

Puisque vous étiez de l’aventure, entre les premiers tokamaks et ceux d’aujourd’hui, quelles innovations ? Les progrès dans la supraconductivité ont-ils contribué à ces avancées ? Quel est l’objectif du tokamak géant ITER par rapport à ses prédécesseurs ?

Le défi est effectivement dans le déclenchement puis le maintien des réactions de fusion dans un « réacteur » de taille raisonnable, c’est-à-dire dans la miniaturisation à l’extrême d’un soleil.

Pour cela il a fallu, et il faut encore, plusieurs décennies non seulement de physique et d’expérimentation sur des « tokamaks » (c’est le nom que l’on donne à ce type de réacteurs) de formes et tailles diverses, mais également de nombreux développements et innovations technologiques.

Vous citez la supraconductivité : elle nous a en effet permis un saut considérable dans la réalisation des aimants continus nécessaires au confinement du milieu extrêmement chaud (une centaine de millions de degrés) dans lequel se passent les réactions de fusion.

La taille du tokamak est ensuite directement liée à la puissance que l’on peut extraire de ce type de réacteur, avec un effet à seuil en deçà duquel on ne peut pas déclencher de réactions. ITER, avec ses 830 m3 de « plasma » (c’est l’état dans lequel est le mélange de réactifs porté à de telles températures) va nous permettre de produire environ 500 MW de puissance fusion.

Un peu comme les missions spatiales, ITER (c’était d’ailleurs un des objectifs fixés par Gorbatchev et Reagan) a su réunir dans un projet commun des pays pas forcément amis. Le partage complet des informations et de la propriété intellectuelle est-il un élément fondamental pour cette coopération gagnant-gagnant ?

ITER est en effet construit par l’Organisation internationale, suite à un traité signé fin 2006 par sept partenaires : Chine, Corée du Sud, Etats-Unis, Inde, Japon, Russie et Union européenne. Cette dernière est le membre-hôte, hébergeant le site de construction à Cadarache, dans le sud de la France. Le traité ITER prévoit un partage complet de la propriété intellectuelle développée lors de la construction et de l’exploitation expérimentale d’ITER entre tous les membres.

Le Conseil d’ITER.

Quelles retombées pour l’économie française ?

ITER est construit en France et il est clair que les retombées économiques sont très importantes pour le pays (contrats de construction et de transport, hébergement des personnels et de leur famille…). A ce jour (on est encore à environ cinq ans de la fin de l’assemblage du tokamak), on estime à plus de 4 milliards d’euros ces retombées.

La politique des sanctions et d’embargos ne risque-t-elle pas de nuire à une science dont les progrès, en dernière analyse, profitent à tous? Les 10 millions de pièces nécessaires à l’assemblage d’ITER seront-elles au rendez-vous?

De manière générale, ITER est construit par assemblage des millions de pièces fabriquées et fournies « en nature » par ses membres. Les échanges entre pays sont donc au cœur du maintien du planning de construction. L’assemblage d’ITER est ainsi fortement perturbé depuis deux ans par les effets de la pandémie de Covid-19, qui a non seulement déstructuré la production industrielle partout dans le monde, mais également ralenti et compliqué considérablement les transports.

Toute difficulté politique entre les membres d’ITER est effectivement également de nature à perturber la mise au point de la fusion. La situation de tension actuelle entre la Russie et les autres pays en fait partie. Rappelons cependant qu’ITER n’est pas une « collaboration » internationale, mais bel et bien un traité international.

A ce jour, ce traité n’a pas été questionné par ses membres et l’impact est essentiellement lié à la grande complication des échanges internationaux, dont ITER dépend fortement en effet.

En quoi la Chine contribue-t-elle à ITER ?

La Chine est l’un des signataires du traité ITER et à ce titre, contribue au projet via des fournitures en nature et sa contribution au budget de l’Organisation internationale. Elle a, en parallèle, un programme national de recherche et développement ambitieux et dynamique qui prévoit, comme plusieurs autres membres, de tirer tous les enseignements d’ITER dans le design et la construction des futurs réacteurs.

La France, notamment EDF, n’a-t-elle pas contribué dès le début au développement du nucléaire civil dans ce pays ? Comment a évolué la coopération franco-chinoise dans ce domaine ? Comment a-t-on su créer une confiance mutuelle dans un domaine aussi sensible ?

La coopération franco-chinoise en fusion a déjà plus de trente ans, et je suis d’ailleurs particulièrement fier d’y avoir contribué activement très tôt. A ce stade, elle a été portée par les grands instituts de recherche que sont le CEA d’une part et l’Académie des Sciences de Chine de l’autre. La CNNC (Compagnie nucléaire nationale chinoise) s’est jointe il y a une vingtaine d’années, via son institut SWIP. Les grands industriels du nucléaire commencent à rejoindre la fusion essentiellement depuis l’étape ITER.

Quel rôle avez-vous pu jouer dans ces échanges ?

Signature de l’accord franco-chinois pour la création de SIFFER.

J’ai personnellement contribué au rapprochement de la Chine et de la France en fusion depuis plus de trente ans. Mes premières contributions ont évidemment été purement scientifiques et liées à mes propres activités de recherche, incluant de nombreux échanges dans les deux sens. Ce rôle s’est progressivement développé et amplifié au fur et à mesure du développement de mes responsabilités au CEA et au sein du programme fusion européen (programmes de recherche communs, échanges de matériel, projets communs, etc.), culminant au milieu des années 2010 par la création de SIFFER, le Sino-French Fusion Energy centeR, laboratoire virtuel joignant les forces en fusion du CEA, de l’Académie des Sciences Chinoise et du CNNC, en vue d’accélérer les échanges et la collaboration entre les deux pays. Des investissements significatifs sur les tokamaks des deux pays ont ainsi été réalisés dans des domaines technologiques tels que les composants face au plasma, la robotique d’inspection, les diagnostics, etc.

Racontez-nous un peu l’histoire de Tore Supra (devenu WEST), du projet EAST et des dernières percées obtenues en Chine.

Le tokamak Tore Supra (Cadarache, France) devenu WEST.

Tore Supra est le premier tokamak, dans les années 1980, à avoir démontré la possibilité d’utiliser la technologie des aimants supraconducteurs pour la fusion. Il a ainsi réellement ouvert la voie technologique vers ITER. Tore Supra a ensuite continué systématiquement la mise au point des autres technologies-clés pour le maintien des conditions de fusion dans un tokamak (injection en continu de puissance, évacuation en continu de la chaleur, contrôle en temps réel…) avec de vrais succès et records mondiaux, dont notamment des plasmas maintenus plus de six minutes à très haute puissance injectée, au début des années 2000. Le tokamak EAST.

Le Tokamak EAST en Chine.

La Chine a voulu très tôt suivre la même voie de recherche, probablement grâce à l’excellente collaboration que nous avions déjà en place. Elle a ainsi conçu et construit le tokamak EAST, sur des concepts très proches de Tore Supra, et de très nombreux échanges ont permis l’émergence rapide d’EAST.

Quand il s’est agi de faire évoluer les technologies de composants face au plasma de Tore Supra (milieu des années 2010), en soutien au programme ITER, la Chine a très largement soutenu le CEA et j’ai voulu d’une certaine manière souligner ce « jumelage » grandissant entre les deux tokamaks en rebaptisant Tore Supra en WEST, combinant le clin d’œil géographique au fait que Tore Supra embarquait ainsi une technologie à base de tungstène, dont le symbole chimique est le W.

Que faut-il faire pour susciter des nouvelles vocations en France ? Comment cela se passe-t-il en Chine ?

Alain Bécoulet parlant aux jeunes.

La Recherche en général a besoin des meilleurs talents. Elle se développe ainsi sur un terreau de vocations. Dans le cas de la fusion, le défi est l’un des plus importants auquel l’humanité se soit attaquée. La route est encore assez longue et nécessite un soutien fort de la part des États mais aussi, de plus en plus, des acteurs de l’Energie au sens large, et des investisseurs privés. On voit actuellement un intérêt grandissant de ce côté. Il est de nature à soutenir ces vocations. Ceci est valable en Occident, mais également en Chine.

Votre livre, L’énergie de fusion, publié en français en 2019 chez Odile Jacob et déjà traduit en anglais et en néerlandais, sortira bientôt en chinois, c’est un bon signe ?

Ce livre a en effet pour but de sensibiliser le plus largement possible aux recherches en fusion, en « racontant » avec des mots simples quelles sont les avancées scientifiques et techniques déjà acquises et quels sont les défis qu’il reste à relever jusqu’au réacteur.

Il est de nature à susciter de nouvelles vocations, je l’espère, et les retours que j’ai des lecteurs et des éditeurs me font très plaisir.

Comment réagissez-vous au prix que la Chine vous a décerné ?

Comme je l’ai dit dans mon discours, au-delà de l’immense honneur que le gouvernement chinois me fait en me décernant ce prix plus que prestigieux, c’est la recherche en fusion et son caractère totalement ouvert et collaboratif qui sont distingués. Ma conviction professionnelle la plus profonde est que la Science est l’un des vecteurs les plus puissants du rapprochement entre les peuples, et donc de la paix. La volonté de savoir, de connaître, de décoder la Nature, est une source inépuisable et universelle de l’être humain. Je suis particulièrement fier d’y contribuer et très reconnaissant que cela ait été reconnu et salué par le gouvernement chinois au travers de ce prix. Il couronne aussi de très belles rencontres et amitiés qui se sont développées au cours de ces années, et le plaisir à chaque fois renouvelé pour moi des visites en Chine.

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Uccello, Donatello, Verrocchio et l’art du commandement militaire

Uccello, Donatello, Verrocchio et l’art du commandement militaire. Enquête et réflexions sur les événements clés et les réalisations artistiques qui ont fait la Renaissance. Par Karel Vereycken, Paris.

Prologue

Livre-catalogue de l’exposition de 2019, National Gallery, Washington.

S’il y a encore beaucoup à dire, à écrire et à apprendre sur les grands génies de la Renaissance européenne, il est temps aussi de s’intéresser à ceux que l’historien Georgio Vasari appela avec condescendance des « figures de transition ».

Comment mesurer l’apport de Pieter Bruegel l’Ancien sans connaître Pieter Coecke van Aelst ? Comment apprécier l’œuvre de Rembrandt sans connaître Pieter Lastman ? En quoi Raphaello Sanzio a-t-il innové par rapport à son maître Le Pérugin ?

En 2019, une exposition remarquable consacrée à Andrea del Verrocchio (1435-1488), à la National Gallery de Washington, a mis en lumière ses grandes réalisations, fulgurances étonnantes d’une beauté inouïe que son élève Léonard de Vinci (1452-1519) a su théoriser et mettre à profit.

Le sfumato de Léonard ? Verrocchio en est le pionnier, notamment dans ses portraits de femmes, exécutés aux traits estompés combinant le crayon, la craie et la gouache.

Andrea del Verrocchio, tête de femme, 1475, technique mixte (crayon, craie et gouache).

Une découverte

En feuilletant le catalogue de cette exposition, ma joie fut grande en découvrant (et à ma connaissance, personne avant moi ne semble l’avoir remarqué) que l’image de l’ange énigmatique qui rencontre l’œil du spectateur dans le tableau de Léonard intitulé La Vierge aux rochers (1483-1486) (Louvre, Paris), à part sa posture plus posée, n’est grosso modo qu’une « citation visuelle » d’un haut-relief en terre cuite (Louvre, Paris) réalisé, nous dit-on, par « Verrocchio et un assistant ».

L’hypothèse qu’il s’agisse de Léonard en personne est plus que tentante, étant donné sa présence comme apprenti auprès du maître !

Bien d’autres ont fait leurs débuts dans l’atelier de Verrocchio, notamment Lorenzo de Credi, Sandro Botticelli, Piero Perugino (maître de Raphaël) et Domenico Ghirlandaio (maître de Michel-Ange).

S’inscrivant dans la tradition des grands chantiers lancés à Florence par le grand mécène de la Renaissance Côme de Medicis pour la réalisation des « portes du Baptistère » et l’achèvement de la coupole de Florence par Philippo Brunelleschi (1377-1446), Verrocchio conçoit son atelier comme une véritable école « polytechnique ».

A Florence, pour les artistes, les commandes affluent. Afin de pouvoir répondre à toutes les demandes, Verrocchio, ayant lui-même reçu une formation d’orfèvre, forme ses élèves comme artisans-ingénieurs-artistes : dessin, anatomie, perspective, géologie, sculpture, travail des métaux, de la pierre et du bois, architecture, décoration intérieure, poésie, musique et enfin, peinture. Un niveau de liberté et une exigence de créativité malheureusement disparus depuis longtemps.

En peinture, Verrocchio aurait fait ses débuts chez le peintre Fra Filippo Lippi (1406-1469). Quant au métier de fondeur de bronze, il aurait été, comme Donatello, Masolino, Michelozzo, Uccello et Pollaiuolo, l’un des apprentis recrutés par Lorenzo Ghiberti (1378-1455) dont l’atelier, à partir de 1401 et pendant plus de quarante ans, est chargé de concevoir et de réaliser les bas-reliefs en bronze de deux des immenses portes du Baptistère de Florence.

D’autres suggèrent que Verrocchio aurait été formé par Michelozzo, l’ancien compagnon de Ghiberti devenu par la suite l’associé en affaires de Donatello. Adolescent, ce dernier avait accompagné Brunelleschi lorsqu’il se rendait à Rome pour y étudier l’héritage de l’art grec et romain, et pas seulement au niveau architectural.

L’héritage humaniste de Ghiberti

Portrait de Ghiberti, bronze, portes du Baptistère, Florence.

En réalité, Verrocchio n’a fait que faire sienne l’approche de l’atelier « polytechnique » de Ghiberti, avec qui il avait appris le métier.

Excellent artisan qu’on accuse à tort d’être resté accroché au « style gothique », lui aussi est orfèvre, collectionneur d’art, musicien, lettré humaniste et historien.

Son génie, c’est d’avoir compris l’importance de la pluridisciplinarité pour les artistes. Selon lui « la sculpture et la peinture sont des sciences de plusieurs disciplines agrémentées de différents enseignements. »

Les dix disciplines qu’il juge important pour former les artistes sont la grammaire, la philosophie, l’histoire. Suivent ensuite la perspective, la géométrie, le dessin, l’astronomie, l’arithmétique, la médecine et l’anatomie.

On ne peut découvrir, pense Ghiberti, que lorsqu’on est parvenu à isoler l’objet de sa recherche de facteurs interférant, et on ne peut trouver qu’en se détachant d’un système dogmatique ;

comme la nature des choses le veut, les sciences cachées sous des artifices ne sont pas constituées afin que les hommes aux poitrines étroites les puissent juger.

Anticipant le type de biomimétisme qui va caractériser Léonard par la suite, Ghiberti affirme qu’il a cherché

à découvrir comment la nature fonctionnait et comment il pouvait s’en rapprocher pour savoir comment les objets viennent à l’oeil, comment fonctionne la vue et de quelle manière on devait pratiquer la statuaire et la peinture.

Ghiberti, qui fréquente le cercle des humanistes animé par Ambrogio Traversari, a le souci de s’appuyer sur l’autorité des textes anciens, en particulier arabes :

Mais pour ne pas répéter de façon superficielle et superflue les principes qui fondent toutes les opinions, je traiterai la composition de l’œil particulièrement selon les opinions de trois auteurs, c’est-à-dire Avicenne (Ibn Sina), dans ses livres, Alhazen (Ibn al-Haytam), dans le premier livre de sa perspective, et Constantin (Qusta ibn Luqa) dans le premier livre sur l’œil ; car ces auteurs suffisent et traitent avec plus de certitude des choses qui nous intéressent.

Bien que volontairement ignoré et calomnié par Vasari, le livre des Commentaires de Ghiberti constitue un véritable manuel pour les artistes, écrit par un artiste. C’est d’ailleurs en lisant ce manuscrit que Léonard de Vinci se familiarise avec d’importantes contributions arabes à la science, en particulier l’œuvre remarquable d’Alhazen, dont le traité d’optique venait d’être traduit du latin en italien sous le titre De li Aspecti, œuvre longuement citée par Ghiberti dans son Commentario terzo. Saint Jean-Baptiste, bronze réalisé par Ghiberti, Orsanmichele, Florence.

Dans ce manuscrit, les apports de Ghiberti sont modestes. Cependant, pour les élèves de son élève Verrocchio, comme Léonard, qui ne maîtrisaient aucune langue étrangère, le livre de Ghiberti mettait à leur disposition en italien une série de citations originales de l’architecte romain Vitruve, de scientifiques et de polymathes arabes comme Alhazen, Avicenne, Averroès et de scientifiques européens ayant étudié l’optique arabe, tels que les franciscains d’Oxford Roger Bacon et John Pecham ou encore le moine polonais Witelo (Vitellion) à Padou.

Ce qui fait dire à l’historien A. Mark Smith que, par l’intermédiaire de Ghiberti, le Livre d’optique d’Alhazen

pourrait bien avoir joué un rôle central dans le développement de la perspective artificielle dans la peinture italienne du début de la Renaissance.

Enfin, en 1412, tout en coordonnant les travaux de la porte du Baptistère, Ghiberti est aussi, avec son Saint Jean-Baptiste, le premier sculpteur de la Renaissance à couler une statue en bronze d’une hauteur de 255 cm pour décorer Orsanmichele, la maison des Corporations à Florence.

La fonte « à la cire perdue »

Pour réaliser des bronzes d’une telle taille, vu le prix du métal, les artistes font appel à la technique dite de « fonte à la cire perdue ».

Technique à la cire perdue, phases de réalisation.

Andrea del Verrocchio, David, bronze, hauteur 126 cm.

Elle consiste à confectionner d’abord un modèle en terre réfractaire (A), recouvert d’une épaisseur de cire correspondant à l’épaisseur de bronze recherchée (B). Ce modèle est ensuite recouvert d’une épaisse couche de plâtre qui, en se solidifiant, forme un moule extérieur. En pénétrant dans ce moule par des tiges prévues à cet effet (J), le bronze en fusion va se substituer à la cire. Enfin, une fois le métal solidifié, on brise le revêtement (K). Reste alors à affûter les détails et polir l’ensemble selon le choix de l’artiste (L).

Cette technique s’avérera par la suite fort utile pour fabriquer des canons et des cloches. Si elle semble avoir été parfaitement maîtrisée en Afrique, notamment à Ifé dès le XIIe siècle, en Europe, ce n’est qu’à la Renaissance, avec les commandes reçues par Ghiberti et Donatello, qu’elle sera entièrement réinventée.

En 1466, à la mort de Donatello, c’est Verrocchio qui devient à son tour le sculpteur en titre des Médicis pour lesquels il réalise une série d’œuvres, notamment, après Donatello, son propre David en bronze (musée national du Bargello, Florence).

Si, avec cette promotion, son ascendance sociale est certaine, Verrocchio se trouve devant le plus grand défi qu’un artiste de la Renaissance ait pu imaginer : comment égaler, voire dépasser Donatello, un artiste dont on n’a jamais assez loué le génie ?

L’art équestre

Le décor ainsi planté, abordons maintenant le sujet de l’art du commandement militaire en comparant quatre monuments équestres :
A) l’empereur romain Marc-Aurèle, sur la place du Capitole à Rome (175 après J.-C.) ;
B) la fresque de John Hawkwood par Paolo Uccello, dans l’église de Santa Maria del Fiore à Florence (1436) ;
C) Erasmo da Narni, dit « Gattamelata » (1446-1450), réalisé par Donatello à Padoue ;
D) Bartolomeo Colleoni par Andrea del Verrocchio à Venise (1480-1488).

Les statues équestres sont apparues en Grèce au milieu du VIe siècle avant J.-C. pour honorer les cavaliers victorieux d’une course. À partir de l’époque hellénistique, elles sont réservées aux plus hauts personnages de l’État, souverains, généraux victorieux et magistrats. À Rome, sur le forum, elles constituaient un honneur suprême, soumis à l’approbation du Sénat. Réalisées en bronze, ces statues équestres se dressent le plus souvent à l’endroit où les troupes ont combattu. Si chaque statue rappelle l’importance du commandement militaire et politique, la manière d’exercer cette responsabilité est bien différente.

A. Marc Aurèle à Rome

Marc Aurèle, copie de la statue en bronze, Place du Capitol, Rome. (340 × 230 × 410 cm).

Marc Aurèle est né à Rome en 121 après J.-C., dans une famille noble d’origine espagnole. A la mort de son père, son oncle l’empereur Hadrien confie l’enfant à son successeur Antonin. Ce dernier l’adopte et lui donne une excellente éducation. Il est initié très tôt à la philosophie par son maître Diognetus. Intéressé par les stoïciens, il adopte un temps leur mode de vie, dormant à même le sol, portant une tunique rêche, avant d’en être dissuadé par sa mère.

En 175, il se rend à Athènes où il se met à encourager la philosophie. Il aide financièrement les philosophes et les rhétoriciens en leur accordant un salaire fixe. Partisan du pluralisme, il soutient l’Académie platonicienne, le Lycée d’Aristote, le Jardin d’Épicure et le Portique stoïcien.

En revanche, sous son règne, les persécutions contre les chrétiens sont nombreuses. Il les considère comme des fauteurs de troubles, du fait qu’ils refusent de reconnaître les dieux romains, et comme des fanatiques.

Érigée en 175 après J.-C., la statue était entièrement dorée. Si on ignore son emplacement dans l’Antiquité, au Moyen Âge, elle se trouvait devant la basilique Saint-Jean-de-Latran, érigée par Constantin, et le palais du Latran, alors résidence papale. En 1538, le pape Paul III fait transférer le monument de Marc Aurèle au Capitole, siège du gouvernement de la ville. Michel-Ange restaure la statue et redessine la place qui l’entoure.

C’est sans doute la statue équestre la plus célèbre, et surtout la seule datant de la Rome antique qui ait survécu, les autres ayant été fondues pour fabriquer des pièces de monnaie ou des armes… Si la statue a survécu, c’est grâce à un malentendu : on pensait qu’elle représentait Constantin, le premier empereur romain à s’être converti au christianisme au début du IVe siècle, et il était hors de question de détruire l’image d’un souverain chrétien.

Marc Aurèle, statue originale, bronze doré, Rome.

Mais la présence d’un ennemi vaincu sous la jambe avant droite du cheval (présence attestée par des témoignages médiévaux, et disparue depuis), le geste de l’empereur et la forme du tapis de selle, inhabituelle dans le monde romain, suggèrent que la statue commémorait les victoires de Marc Aurèle, peut-être à l’occasion de son triomphe à Rome en 176, ou même après sa mort. En effet, son règne (161-180) a été marqué par des guerres incessantes pour contrer les incursions de peuples germaniques ou orientaux aux frontières d’un Empire désormais menacé et sur la défensive.

Le cheval, qui n’est pas très grand mais semble puissant, a été sculpté très soigneusement et avec réalisme. Ses naseaux sont fortement dilatés, ses lèvres tirées par le mors laissent apparaître ses dents et sa langue. La jambe levée, il vient d’être arrêté par son cavalier, qui tient les rênes de la main gauche. Comme lui, le cheval tourne légèrement la tête vers la droite, signe que la statue a été conçue pour être vue de ce côté. Une partie de son harnais est conservée, mais les rênes ont disparu.

L’athlétique cavalier domine néanmoins par sa taille celle de ce puissant cheval, qu’il monte sans étriers (accessoires inconnus des Romains). Il est vêtu d’une tunique courte ceinturée à la taille et d’un manteau d’apparat agrafé sur l’épaule droite. Il s’agit d’un vêtement civil et non militaire, adapté à un contexte pacifique. Il porte des chaussures en cuir maintenues par des lanières entrelacées.

La statue frappe par sa taille (424 cm de haut incluant le socle) et la majesté qu’elle dégage. Sans armure ni arme, les yeux grands ouverts et sans émotion, l’empereur lève le bras droit. Son autorité découle avant tout de la fonction qu’il incarne : il est l’Empereur qui protège son Empire et son peuple en punissant ses ennemis sans pitié.

B. La fresque de Paolo Uccello à Florence

Paolo Uccello, fresque d’un monument équestre en honneur de John Hawkwood (1536), dôme de Florence. 732 × 404 cm.

En 1436, à la demande de Côme de Médicis, Paolo Uccello (1397-1475) est chargé de réaliser une fresque (732 × 404 cm) représentant John Hawkwood (1323-1394), fils d’un tanneur anglais devenu chef de guerre pendant la guerre de Cent Ans en France et dont le nom sera italianisé en Giovanno Acuto. Au service du plus offrant, notamment de villes italiennes rivales, la compagnie de mercenaires de Hawkwood, sanguinaires, inspire la terreur car elle ne fait pas de quartiers.

A Florence, même si cela peut paraître paradoxal, c’est le chancelier humaniste Coluccio Salutati (1331-1406) qui met Hawkwood à la tête d’une armée régulière au service de la Signoria.

Cette démarche n’est pas sans rappeler celle du roi Louis XI qui, pour contrôler les écorcheurs et autres égorgeurs qui ravageaient alors la France, parvint à les discipliner en les incorporant dans une armée permanente, la nouvelle armée royale.

Les humanistes de la Renaissance, notamment Leonardo Bruni (1370-1440) dans son De Militia (1420), sont conscients du fléau que représente l’utilisation de mercenaires dans les conflits. Seule une armée permanente, pensent-ils, formée de professionnels et mieux encore, de citoyens, et entretenue par un Etat ou une ville, peut garantir une paix durable.

Paolo Uccello, portrait présumé, Louvre.

Bien que Hawkwood ait fidèlement protégé la ville pendant 18 ans, son « professionnalisme » de mercenaire était loin de faire l’unanimité, au point d’inspirer le proverbe « Inglese italianato è un diavolo Incarnato » (« Un Anglais italianisé est un diable incarné »). Pétrarque le dénonce, Boccace tente en vain de monter une offensive diplomatique contre lui, sainte Catherine de Sienne le supplie de quitter l’Italie, Chaucer le rencontre et, sans doute, l’utilise comme modèle pour The Knight’s Tale (Les Canterbury Tales).

Tout cela n’empêchera pas Côme, membre de la conspiration humaniste et grand mécène, de vouloir l’honorer lorsqu’il rentre d’exil. Mais à défaut d’une statue équestre en bronze, Florence n’offrira au mercenaire qu’une fresque dans la nef de Santa Maria del Fiore, c’est-à-dire sous la coupole du Duomo.

Image ultraviolet de la fresque d’Uccello.

Dès le début, la fresque de Paolo Uccello a clairement suscité la controverse. Un dessin préparatoire conservé dans les collections du musée des Offices de Florence le montre casqué, plus armé, plus grand et, avec son cheval, dans une position plus militaire. Uccello avait initialement représenté Hawkwood comme « plus menaçant », avec son bâton levé et son cheval « prêt à foncer ».

Une étude récente aux ultraviolets confirme que le peintre avait initialement représenté le condottiere armé de la tête aux pieds. Dans la version définitive, il porte une veste sans manches, la giornea, et un manteau ; seuls ses jambes et ses pieds sont protégés par une pièce d’armure. Enfin, la version finale présente un cavalier moins imposant, moins guerrier, plus humain et plus individualisé.

Dans la dispute, ce n’est pas Uccello qui est blâmé mais ses commanditaires. D’ailleurs, le peintre est rapidement chargé de refaire la fresque d’une façon jugée « plus appropriée ».

John Hawkwood, fresque de Paolo Uccello, détail, cathédrale de Florence.

Malheureusement, il n’existe aucune trace des débats qui ont dû faire rage au sein du conseil de fabrique de la cathédrale (Opera Del Duomo). Ce qui est certain, c’est que dans la version actuelle, le condottiere est passé du statut de chef de guerre dirigeant une bande de mercenaires, à l’image d’un « roi-philosophe » dont la seule arme est son bâton de commandement. Au bas de la fresque, on peut lire en latin : « Giovanno Acuto, chevalier britannique, qui fut en son temps tenu pour un général très prudent et très expert en affaires militaires. »

Par ailleurs, la position du cheval et la perspective du sarcophage ont été modifiées, passant d’un simple profil à une vue di sotto in su.

Si cette perspective est quelque peu surréaliste et la pose du cheval, levant les deux jambes du même côté, tout simplement impossible, il n’en demeure pas moins que la fresque d’Uccello va fixer les normes de l’image idéale et impassible de la vertu et du commandement que doit incarner le héros de la Renaissance : son but n’est plus de « gagner » la guerre (objectif du mercenaire), mais de préserver la paix en prévenant tout conflit (objectif d’un roi-philosophe ou simplement d’un chef d’État avisé, pour qui la prospérité du royaume se mesure en termes du nombre de ses sujets et de leur prospérité).

Changement de paradigme

A ce titre, loin d’être une simple curiosité artistique, la fresque d’Uccello est le marqueur d’un nouveau paradigme, instituant la fin de l’ère des guerres féodales perpétuelles et donc le début de la Renaissance, où s’organise la concorde entre Etats-nations souverains dont la sécurité est indivisible, la sécurité de l’un garantissant celle de l’autre, paradigme encore plus rigoureusement défini lors de la Paix de Westphalie de 1648, lorsqu’elle fait de la notion du respect de « l’avantage d’autrui » la condition même de son succès.

Un historien suggère que les modifications imposées à la fresque d’Uccello faisaient partie de la rénovation de la cathédrale Santa Maria del Fiore voulue en 1436, date de la commande de la fresque, par le pape humaniste Eugène IV, déterminé à convaincre les Églises d’Orient et d’Occident de surmonter pacifiquement leur schisme et de se réunifier, comme cela fut tenté lors du Concile de Florence de 1437-1438 et pour lequel le Duomo était central.

Il est intéressant de noter que la fresque d’Uccello apparaît à peu près à la même époque où, en France, Yolande d’Aragon et Jacques Cœur, dont les relations avec l’Italie sont documentées, ont convaincu le roi Charles VII de mettre fin à la guerre de Cent Ans en créant une armée permanente. En 1445, par ordonnance, il se résout à discipliner et rationaliser l’armée sous la forme d’unités de cavalerie regroupées en Compagnies d’Ordonnances, la première armée permanente à la disposition du Roi de France plutôt que de la noblesse.

C. Le Gattamelata de Donatello (1447-1453) à Padoue

Gattamelata, Donatello, Padoue. Taille : 340 sur 400 cm.

Donatello, portrait présumé, Louvre.

Ce n’est que quelques années plus tard, à Padoue, entre 1447 et 1453, que Donatello (1386-1466) travaillera à la statue d’Erasmo da Narni (1370-1443), un condottiere de la Renaissance, c’est-à-dire le chef d’une armée de métier au service de la République de Venise, qui régnait alors sur la ville de Padoue.

Détail important, Erasmo était surnommé « il Gattamelata ». En français, « faire la chattemite » signifie affecter un faux air de douceur pour tromper ou séduire… qualité qui peut s’avérer fort utile en temps de guerre. D’autres avancent que son surnom de « chat miellé » lui vient de sa mère, Melania Gattelli, ou du cimier (casque) en forme de chat couleur miel qu’il portait au combat…

Né en Ombrie vers 1370, l’homme est d’origine modeste, fils de boulanger. Il apprend le maniement des armes auprès de Ceccolo Broglio, seigneur d’Assise, puis, à l’âge de trente ans, auprès du capitaine Braccio da Montone, connu pour recruter les meilleurs combattants.

En 1427, Erasmo, qui a la confiance de Côme de Médicis, signe un contrat de sept ans avec le pape humaniste Martin V, qui souhaite renforcer un corps d’armée fidèle à sa cause dans le but de mettre au pas les seigneurs d’Émilie, de Romagne et d’Ombrie rebelles à l’autorité papale. Il a acheté une solide armure pour renforcer sa haute stature.

Gattamelata n’était pas un combattant impétueux, mais un maître de la guerre de siège, ce qui l’obligeait à agir lentement, de manière réfléchie et progressive. Il épie longuement sa proie avant de la piéger. En 1432, il s’empare de la forteresse de Villafranca près d’Imola par la seule ruse et sans combat. L’année suivante, il fait de même pour s’emparer de la ville fortifiée de Castelfranco, épargnant ainsi ses soldats et son trésor. Incapables de comprendre sa tactique, certains l’accusaient de lâcheté pour avoir « fui » la ligne de front, sans se rendre compte que cela faisait partie de sa stratégie gagnante.

C’était un capitaine prudent, à la tête d’une troupe parfaitement disciplinée, et soucieux d’entretenir de bonnes relations avec les magistrats des villes qui l’employaient. Il obtient le grade de capitaine général de l’armée de la République de Venise lors de la quatrième guerre contre le duc de Milan en 1438 et meurt à Padoue en 1443.

A sa mort, la République de Venise lui rend les honneurs et Giacoma della Leonessa, sa veuve, passe commande d’une sculpture en l’honneur de son défunt mari pour 1650 ducats. La statue, qui représente le condottiere grandeur nature, sur son cheval, en armure de style antique et tête nue, tenant son bâton de commandement dans sa main droite levée, a été réalisée selon la méthode de la fonte « à la cire perdue ».

Dès 1447, Donatello réalise les modèles pour le moulage du cheval et du condottiere. Les travaux avançant très rapidement, l’œuvre est achevée en 1453 et placée sur son piédestal, dans le cimetière qui jouxte la basilique de Padoue.

Brillant par sa ruse et son astuce, Gattamelata était un combattant réfléchi et efficace dans l’action, le type de chef recommandé par Machiavel dans Le Prince, et qui apparaît au XVIe siècle chez François Rabelais dans son récit des « guerres picrocholines ». Non pas la puissance brute des armes, mais la ruse et l’intelligence seront les qualités majeures que Donatello fera apparaître avec force dans son œuvre.

Contrairement à Marc Aurèle, ce n’est pas son statut social qui confère au commandant son autorité, mais son intelligence et sa créativité dans le gouvernement de la cité et l’art de la guerre. Donatello avait le sens du détail. En regardant le cheval, nous voyons que c’est un animal massif mais loin d’être statique. Il a une démarche lente et déterminée, sans la moindre hésitation.

Gattamelata, détail de la statue en bronze réalisée par Donatello à Padoue. Taille : 340 sur 400 cm.

Mais ce n’est pas tout. Une analyse rigoureuse montre que les proportions du cheval sont d’un ordre supérieur à celles du condottiere. Donatello s’est-il trompé en faisant Erasmo trop petit et son cheval trop grand ? Non, le sculpteur a fait ce choix pour souligner la valeur de Gattamelata qui, grâce à ses compétences, est capable de dompter des animaux d’une taille impressionnante. En outre, les yeux du cheval le suggèrent sauvage et indomptable.

En le regardant, on pourrait penser qu’il est impossible de le monter, mais Gattamelata y parvient sans effort, car en regardant les rênes dans les mains du protagoniste, on remarque qu’il les tient en toute tranquillité. C’est un autre détail qui met en évidence la ruse puissante et l’ingéniosité d’Erasmo.

En outre, avez-vous remarqué que l’un des sabots du cheval est délicatement posé sur une sphère ? Si cette sphère (qui pourrait aussi être un boulet de canon, puisqu’Erasmo était un guerrier) sert à donner de la stabilité à l’ensemble de la composition, elle indique aussi comment cet animal à la force gigantesque (symbolisant ici la violence guerrière), une fois apprivoisé et habilement utilisé, permet de tenir le globe (le règne terrestre) en équilibre.

La ruse

Donatello, détail du Gattamelata, Padoue.

Après le cheval, venons-en maintenant au condottiere. Son expression est fière et déterminée. Il tient en main le bâton de commandement. Il ne s’agit pas seulement d’un objet symbolique ; il pourrait l’avoir reçu en 1438 de la République de Venise.

Contrairement à la fresque d’Uccello, Gattamelata n’est pas habillé comme un prince de son époque, mais bien comme une figure au-delà du temps incarnant le passé, le présent et le futur. Pour capter cela, attentif à chaque détail, Donatello a repris un modèle ancien et l’a modernisé avec un résultat incroyable. Les détails de l’armure du protagoniste comprennent des motifs purement classiques tels que la tête de Méduse (reprise du Marc Aurèle), l’une des trois gorgones de la mythologie grecque, dont les yeux ont le pouvoir de pétrifier tout mortel qui croise son regard.

Bien que le casque de Gattamelata aurait permis de l’identifier immédiatement, Donatello a écarté cette option. Ainsi casqué, il aurait symbolisé un guerrier assoiffé de sang plutôt qu’un homme rusé. En revanche, l’absence de casque permet à l’artiste de nous montrer le regard fixe d’Erasmo, et donc la détermination gravée sur son visage.

En le représentant le visage légèrement incliné et les jambes tendues, l’épée au fourreau placée de biais à son côté, Donatello donne l’illusion d’un déséquilibre, qui renforce dans l’esprit du spectateur l’idée que le cheval avance avec force.

L’historien d’art John Pope-Hennessy est formel :

Les différences fondamentales qui séparent le Gattamelata du Marc Aurèle sautent aux yeux. L’empereur se tient passivement assis sur son cheval, jambes ballantes. Au XVe siècle, en revanche, l’art de l’équitation suppose le recours à des éperons. L’impression d’autorité qui se dégage du monument conçu par Donatello provient de la domination totale du condottiere sur sa monture. (…) Les plantes des pieds sont exactement parallèles à la surface du piédestal, ainsi que les grands éperons à six pointes, étirés jusqu’au milieu du flanc de l’animal.

Ainsi, Gattamelata n’est pas la sculpture classique, grecque ou romaine, d’un héros au physique sculpté, mais une sorte d’homme nouveau qui réussit par la raison.

Le fait que la statue ait un piédestal aussi haut a aussi sa raison d’être. A cette hauteur, le Gattamelata ne partage pas notre propre espace. Il est dans une autre dimension, éternelle et hors du temps.

D. Le Bartolomeo Colleoni de Verrocchio à Venise

Une trentaine d’années plus tard, entre 1480 et 1488, à l’issue d’un concours, Andrea del Verrocchio est sélectionné pour réaliser une grande statue équestre (400 × 380 cm) en bronze d’un autre condottiere italien, Bartolomeo Colleoni (1400-1475).

Mercenaire impitoyable, travaillant tel jour pour un mécène et pour son rival le lendemain, à partir de 1454, il sert la République de Venise avec le titre de général en chef (capitano generale). Il meurt en 1475 en laissant un testament dans lequel il lègue une partie de sa fortune à Venise en échange de l’engagement d’ériger une statue de bronze en son honneur sur la place Saint-Marc.

Le Sénat vénitien accepte d’élever un monument équestre à sa mémoire, tout en mettant les frais à la charge de la veuve du défunt…

En outre, le Sénat refuse de l’ériger sur la place Saint-Marc, qui constitue, avec la basilique consacrée, le cœur vivant de la ville. Le Sénat décide donc d’interpréter les conditions posées par Colleoni dans son testament sans les contredire, en choisissant d’ériger sa statue en 1479, non pas sur la place Saint-Marc, mais dans une zone plus éloignée du centre de la ville, devant la Scuola San Marco, sur le campo dei Santi Giovanni e Paolo.

Bien que Verrocchio ait commencé à y travailler dès 1482, ce projet reste inachevé à sa mort, en 1488. Et c’est, non pas comme le souhaitait Verrocchio, son héritier Lorenzo di Credi qui coulera la statue, mais le vénitien Alessandro Leopardi (qui avait perdu le concours face à Verrocchio), qui n’hésitera pas à la signer de son nom !

Les quatre chevaux du quadrige de la Basilique Saint-Marc de Venise. Statuaire grecque rapportée de Constantinople au XIIIe siècle par les croisées.

Si le cheval est conforme à la typologie des magnifiques chevaux composant le quadrige dominant la basilique Saint-Marc de Venise (statuaire grecque du IVe siècle avant J.-C., ramenée par les croisés de Constantinople à Venise en 1204) et du cheval de Marc Aurèle, sa musculature est plus nerveusement soulignée et tracée. Objectivement, cette statue est idéalement plus proportionnée. Les détails sont également plus fins, grâce aux nouvelles techniques de pré-sculpture, ce qui rend l’œuvre captivante et réaliste.

La sculpture déborde de son piédestal. Selon André Suarès (cité dans La majesté des centaures) : 

Colleone à cheval marche dans les airs, il ne tombera pas.
Il ne peut choir. Il mène sa terre avec lui. Son socle le suit […] Il a toute la force et tout le calme. Marc Aurèle, à Rome, est trop paisible. Il ne parle pas et ne commande pas. Colleone est l’ordre de la force, à cheval. La force est juste, l’homme est accompli. Il va un amble magnifique. Sa forte bête, à la tête fine, est un cheval de bataille ; il ne court pas, mais ni lent ni hâtif, ce pas nerveux ignore la fatigue. Le condottiere fait corps avec le glorieux animal : c’est le héros en armes.

Son bâton de commandement se retrouve même métamorphosé en matraque ! Mais vu que ce n’est pas Verrocchio qui a fondu cette œuvre, ne le blâmons pas pour la fureur guerrière qui en émane.

Andrea del Verrocchio, statue équestre de Bartolomeo Colleoni, Venise. Taille : 400 × 380 cm.

Il est clair qu’ici, Venise, ce vicieux empire financier et maritime esclavagiste se présentant, à l’instar de Gènes, comme une « République », s’est vengée de la belle conception développée à la Renaissance d’un roi philosophe défendant l’Etat-nation. Andrea dell Verrocchio, détail du visage, statue équestre de Bartolomeo Colleoni, Venise.

Sur le plan esthétique, ce mercenaire sent l’animal. En bon observateur, Léonard nous avait prévenus : lorsqu’un artiste représente un personnage prisonnier d’une seule émotion (joie, rage, tristesse, etc.), il finit par peindre quelque chose qui nous éloigne de l’âme véritablement humaine. C’est ce que nous voyons dans cette statue équestre.

S’il montre, au contraire, un visage animé de différentes émotions, l’aspect humain sera mis en valeur. C’est le cas, comme nous l’avons vu, du Gattamelata de Donatello, incarnant ruse, détermination et prudence pour vaincre la peur face à la menace.

Le projet de Léonard de Vinci d’un gigantesque cheval en bronze, auquel il travailla pendant des années, élaborant de nouvelles techniques de fonte du bronze, ne fut malheureusement jamais construit, vu le contexte particulièrement mouvementé de l’époque.

Enfin, au-delà de toutes les interprétations, admirons le savoir-faire de ces artistes. En termes d’artisanat et d’habileté, il fallait généralement toute une vie pour être capable de réaliser des œuvres aussi monumentales, sans parler de la patience infinie et surtout de la passion requise.

A nous de les faire revivre !

Bibliographie :

  • Verrocchio, Sculptor and painter of Renaissance Florence, Andrew Butterfield, National Gallery, Princeton University Press, 2020 ;
  • Lorenzo Ghiberti, Richard and Trude Krautheimer, Princeton University Press, 1982;
  • Uccello, Franco et Stefano Borsi, Hazan, 2004 ;
  • Donatello, John Pope-Hennessy, Abbeville Press, 1993 ;
  • Les Commentaires de Lorenzo Ghiberti dans la culture florentine du Quattrocento, Pascal Dubourg-Glatigny, Histoire de l’Art, N° 23, 1993, Varia, pp. 15-26 ;
  • Monumento Equestre al Gattamelata di Donatello : la Statua del Guerriero Astuto, blog de Dario Mastromattei, mars 2020 ;
  • La sculpture florentine de la Renaissance, Charles Avery, Livre de poche, 1996 ;
  • La sculpture de la Renaissance au XXe siècle, Taschen, 1999 ;
  • Ateliers de la Renaissance, Zodiaque-Desclée de Brouwer, 1998 ;
  • Rabelais et l’art de la guerre, Christine Bierre, 2007 ;
  • La révolution du grec ancien, Platon et la Renaissance, Karel Vereycken, jan. 2021;
  • Avicenne et Ghiberti, leur rôle dans l’invention de la perspective à la Renaissance, Karel Vereycken, mars 2022.
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Uccello, Donatello, Verrocchio and the art of military command

Uccello, Donatello, Verrocchio and the art of military command. An inquiry into the key events and artistic achievements that created the Renaissance. By Karel Vereycken, Paris.

Prologue

Catalogue of the 2019 Exhibition in Washington.

If there is still a lot to say, write and learn about the great geniuses of the European Renaissance, it is also time to take an interest in those whom the historian Georgio Vasari condescendingly called « transitional figures ».

How can one measure the contributions of Pieter Bruegel the Elder without knowing Pieter Coecke van Aelst? How can we value Rembrandt’s work without knowing Pieter Lastman? How did Raphaelo Sanzio innovate in relation to his master Perugino?

In 2019, an exceptional exhibition on Andrea Del Verrocchio (1435-1488), at the National Gallery in Washington, D.C., highlighted his great achievements, truly inspiring outbursts of great beauty that his pupil Leonardo da Vinci (1452-1519) would theorize and put to his greatest advantage.

The sfumato of Leonardo ? Verrochio is the pioneer, especially in the blurred features of portraits of women made with mixed techniques (pencil, chalk and gouache).

Andrea del Verrocchio, head of a woman, mixte technique (pencil, charcoal, gouache, etc.), 1475-1478.

The joy of discovery

Leafing through the catalog of this exhibition, my joy got immense when I discovered (and to my knowledgne nobody else seems to have made this observation before me) that the enigmatic angel the viewer’s eye meets in Leonardo’s painting titled The Virgin on the Rocks (1483-1486) (Louvre, Paris), besides the movement of the body, is grosso modo a visual “quote” of the image of a terra cotta high relief (Louvre, Paris) attributed to Verrochio and “one of his assistants”, possibly even Leonardo himself, since the latter was training with the master as early as age seventeen ! The finesse of its execution and drapery also reminds us of the only known statue of Da Vinci, The Virgin with the laughing Child.

Many others made their beginnings in Verrocchio’s workshop, notably Lorenzo de Credi, Sandro Botticelli, Piero Perugino (Raphael’s teacher) and Domenico Ghirlandaio (Michelangelo’s teacher).

Coming out of the tradition of the great building sites launched in Florence by the great patron of the Renaissance, Cosimo de Medici for the realization of the doors of the Baptistery and the completion of the dome of Florence by Philippo Brunelleschi (1377-1446), Verrocchio conceived his studio as a true “polytechnic” school.

In Florence, for the artists, the orders flowed in. In order to be able to respond to all requests, Verrocchio, initially trained as a goldsmith, trained his students as craftsman-engineer-artists: drawing, calculation, interior decoration, sculpture, geology, anatomy, metal and woodworking, perspective, architecture, poetry, music and painting. A level of freedom and a demand for creativity that has unfortunately long since disappeared.

The Ghiberti legacy

Self-portrait of Ghiberti, bronze Gates of the Baptistry of Florence.

In painting, Verrocchio is said to have begun with the painter Fra Filippo Lippi (1406-1469). As for the bronze casting trade, he would have been, like Donatello, Masolino, Michelozzo, Uccello and Pollaiuolo, one of the apprentices recruited by Lorenzo Ghiberti (1378-1455) whose workshop, starting from 1401, over forty years, will be in charge of casting the bronze bas-reliefs of two of the huge doors of the Baptistery of Florence.

Others suggest that Verrocchio was most likely trained by Michelozzo, the former companion of Ghiberti who said up shop with Donatello. As a teenager, Donatello had accompanied Brunelleschi on their joint expeditions to Rome to investigate the legacy of Greek and Roman art, and not only the architectural legacy.

In reality, Verrocchio only perpetuated and developed the model of Ghiberti’s « polytechnic » studio, where he learned the art. An excellent craftsman, Ghiberti was also goldsmith, art collector, musician and humanist scolar and historian.

His genius is to have understood the importance of multidisciplinarity for artists. According to him « sculpture and painting are sciences of several disciplines nourished by different teachings ».

The ten disciplines that he considered important to train artists are grammar, philosophy, history, followed by perspective, geometry, drawing, astronomy, arithmetic, medicine and anatomy.

You can discover, says Ghiberti, only when you managed to isolate the object of your research from interfering factors, and you can discover by detaching oneself from a dogmatic system;

as the nature of things want it, the sciences hidden under artifices are not constituted so that the men with narrow chests can judge them.

Anticipating the type of biomimicry that will characterize Leonardo thereafter, Ghiberti affirms that he sought:

to discover how nature functioned and how he could approach it to know how the objects come to the eye, how the sight functions and in which way one has to practice sculpture and painting.

Ghiberti, who was familiar with some of the leading members of the circle of humanists led by Salutati and Traversari, based his own reflexions on optics on the authority of ancient texts, especially Arabic. He wrote:

But in order not to repeat in a superficial and superfluous way the principles that found all opinions, I will treat the composition of the eye particularly according to the opinions of three authors, namely Avicenna [Ibn Sina], in his books, Alhazen [Ibn al Haytam], in the first book of his perspective, and Constantine [Qusta ibn Luqa] in the first book on the eye; for these authors are sufficient and treat with more certainty the things that interest us.

Deliberately ignored (but copied) by Vasari, Ghiberti’s Commentaries are a real manuel for artists, written by an artist. Most interestingly, it is by reading Ghiberti’s Commentaries that Leonardo da Vinci became familiar with important Arab contributions to science, in particular the outstanding work of Ibn al Haytam (Alhazen) whose treatise on optics had just been translated from Latin into Italian under the title De li Aspecti, and is quoted at length by Ghiberti in his Commentario Terzio. Author A. Mark Smith suggests that, through Ghiberti, Alhazen’s Book of Optics

may well have played a central role in the development of artificial perspective in early Renaissance Italian painting.

Ghiberti, Saint John the Baptist, bronze, Orsanmichele, Florence.

Ghiberti’s comments are not extensive. However, for the pupils of his pupil Verrocchio, such as Leonardo, who didn’t command any foreign language, Ghiberti’s book did make available in italian a series of original quotes from the roman architect Vitruvius, arab scientists such as Alhazen), Avicenna, Averroes and those european scientists having studied arab optics, notably the Oxford fransciscans Roger Bacon, John Pecham and the Polish monk working in Padua, Witelo.

Finally, in 1412, Ghiberti, while busy coordinating all the works on the Gates of the Baptistry, was also the first Renaissance sculptor to cast a life-size statue in bronze, his Saint John the Baptist, to decorate Orsanmichele, the house of the Corporations in Florence.

Lost wax casting

However, in order to cast bronzes of such a size, the artists, considering the price of metal, would use the technique known as “lost wax casting”.

This technique consists of first making a model in refractory clay (A), covered with a thickness of wax corresponding to the thickness of the bronze thought necessary.

The model is then covered with a thick layer of wet plaster (B) which, as it solidifies, forms an outer mold. Finally, the very hot molten bronze, pored into the mold it penetrates by rods (J) provided for this purpose, will replace the wax.

Verrocchio’s David, for which it is thought he used his young pupil Leonardo as a model.

Finally, once the metal has solidified, the coating is broken. The details of the bronze (K) are then adjusted and polished (L) according to the artist’s choice.

This technique would become crucial for the manufacture of bells and cannons. While it was commonly used in Ifé in Africa in the 12th century for statuary, in Europe it was only during the Renaissance, with the orders received by Ghiberti and Donatello, that it was entirely reinvented.

In 1466, after the death of Donatello, it was Verrocchio’s turn to become the Medici’s sculptor in title for whom he produced a whole series of works, notably, after Donatello, his own David in bronze (Bargello National Museum, Florence).

If with this promotion his social ascendancy is certain, Verrocchio found himself facing the greatest challenge that any artist of the Renaissance could have imagined: how to equal or even surpass Donatello, an artist whose genius has never been praised enough?

Equestrian art

This being said, let us now approach the subject of the art of military command by comparing four equestrian monuments:

  • Roman Emperor Marcus Aurelius on the Capitoline square in Rome (175 AD) ;
  • Paolo Uccello’s fresco of John Hawkwood in the church of Santa Maria del Fiore in Florence (1436);
  • Erasmo da Narni, known as “Gattamelata” (1446-1450), casted by Donatello in Padua.
  • Bartolomeo Colleoni by Andrea del Verrocchio in Venice (1480-1488).

Equestrian statues appeared in Greece in the middle of the 6th century B.C. to honor the victorious riders in a race. From the Hellenistic period onward, they were reserved for the highest state figures, sovereigns, victorious generals and magistrates. In Rome, on the forum, they constituted a supreme honor, subject to the approval of the Senate. Apart from being bronze equestrian statues, each one is placed in a place where their troops fought.

While each statue is a reminder of the importance of military and political command, the way in which this responsibility is exercised is quite different.

Marcus Aurelius in Rome

Copy of the Marcus Aurelius statue in Rome (175 AD).

Marcus Aurelius was born in Rome in 121 A.D., into a noble family of Spanish origin. He was the nephew of the emperor Hadrian. After the death of Marcus Aurelius’ father, Hadrian entrusted him to his successor Antonin. The latter adopts and gives him an excellent education. He was initiated early in philosophy by his master Diognetus.

Interested in the stoics, he adopted for a while their lifestyle, sleeping on the ground, wearing a rough tunic, before he was dissuaded by his mother.

He went to Athens in 175 A.D. and became a promotor of philosophy. He helps financially the philosophers and the rhetoricians by granting them a fixed salary. Concerned with pluralism, he supported the Platonic Academy, the Lyceum of Aristotle, the Garden of Epicurus and the Stoic Portico.

On the other hand, during his reign, persecutions against Christians were numerous. He saw them as troublemakers – since they refused to recognize the Roman gods, and as fanatics.

Marcus Aurelius, original in the Museum.

Erected in 175 A.D., the statue was entirely gilded. Its location in antiquity is unknown, but in the Middle Ages it stood in front of the Basilica of St. John Lateran, founded by Constantine, and the Lateran Palace, then the papal residence.

In 1538, Pope Paul III had the monument of Marcus Aurelius transferred to the Capitol, the seat of the city’s government. Michelangelo restored the statue and redesigned the square around it, one of the fanciest in Rome. It is undoubtedly the most famous equestrian statue, and above all the only one dating back to ancient Rome that has survived, the others having been melted down into coins or weapons…

If the statue survived, it is thanks to a misunderstanding: it was thought that it represented Constantine, the first Roman emperor to have converted to Christianity at the beginning of the 4th century, and it was out of the question to destroy the image of a Christian ruler.

Neither the date nor the circumstances of the commission are known.

But the presence of a defeated enemy under the right foreleg of the horse (attested by medieval testimonies and since lost), the emperor’s gesture and the shape of the saddle cloth, unusual in the Roman world, make us to belief that the statue commemorated Marcus Aurelius’ victories, perhaps on the occasion of his triumph in Rome in 176, or even after his death. Indeed, his reign (161-180) was marked by incessant wars to counter the incursions of Germanic or Eastern peoples on the borders of an Empire that was now threatened and on the defensive.

The horse, while not that large, but looking powerful, has been sculpted with great care and represented with realism. Its nostrils are strongly dilated, its lips pulled by the bit reveal its teeth and tongue.

One leg raised, he has just been stopped by his rider, who holds the reins with his left hand. Like him, the horse turns his head slightly to the right, a sign that the statue was made to be seen from that side. Part of his harness is preserved, but the reins have disappeared.

The size of the athletic rider nevertheless dominates that of a powerful horse that he rides without stirrups (accessories unknown to the Romans). He is dressed in a short tunic belted at the waist and a ceremonial cloak stapled on the right shoulder. It is a civil and not a military garment, adapted to a peaceful context. He is wearing leather shoes held together by intertwined straps.

The statue is striking for its size (424 cm high) and for the majesty it exudes. Without armor or weapons, eyes wide open and without emotion, the emperor raises his right arm. His authority derives above all from the function he embodies: he is the Emperor who protects his Empire and his people by punishing their enemies without mercy.

The fresco by Paolo Uccello

Paolo Uccello, fresque en honneur de John Hawkwood (1436), Dôme de Florence.

In 1436, at the request of Cosimo de’ Medici, the young Paolo Uccello was commissioned to paint a fresco depicting John Hawkwood (1323-1394), the son of an English tanner who had become a warlord during the Hundred Years’ War in France and whose name would be Italicized into Giovanno Acuto.

Serving the highest bidder, especially rival Italian cities, Hawkwood’s company of mercenaries was no slouch.

In Florence, although it may seem paradoxical, it was the humanist chancellor Coluccio Salutati (1331-1406) who put Hawkwood at the head of a regular army in the service of the Signoria.

This approach is not unlike that of Louis XI in France, who, in order to control the skinners and other cutthroats who were ravaging the nation, did not hesitate to discipline them by incorporating them into a standing army, the new royal army.

The humanists of the Renaissance, notably Leonardo Bruni (1370-1440) in his De Militia (1420), became aware of the curse of using mercenaries in conflicts and of the fact that only standing army, i.e. a permanent army formed of professionals and even better by citizens and maintained by a state or a city could guarantee a lasting peace.

Although Hawkwood faithfully protected the city for 18 years, his ugly “professionalism” as a mercenary was not unanimously accepted, to the point of inspiring the proverb “Inglese italianato è un diavolo Incarnato” (« An Italianized Englishman is a devil incarnate »).

Petrarch denounced him, Boccaccio tried in vain to mount a diplomatic offensive against him, St. Catherine of Sienna begged him to leave Italy, Chaucer met him and, no doubt, used him as a model for The Knight’s Tale (The Canterbury Tales).

All this will not prevent Cosimo, a member of the humanist conspiracy and a great patron of the arts, returning from exile, from wanting to honor him. But in the absence of the bronze equestrian statue (which had been promised to him…), Florence, will only offer him a fresco in the nave of Santa Maria del Fiore, that is to say under right under the cupola of the Duomo.

UV study of Uccello’s fresco showing condottiere with helm.

From the very beginning, Paolo Uccello’s fresco seems to have stirred quite a controversy. A preparatory drawing in the collections of Florence’s Uffizi Museum indicates the commander, more armed, taller, and, with his horse in a more military position. Uccello had originally depicted Hawkwood as « more threatening », with his baton raised and horse « at the ready ».

A recent ultraviolet study confirms the fact that the painter had originally depicted the condottiere armed from head to toe. In the final version, he wears a sleeveless jacket, the giornea, and a coat; only his legs and feet are protected by a piece of armor. The final version presents a less imposing rider, less warlike, more human and more individualized

In the dispute, it was not Uccello who was considered faulty, but his sponsors. Moreover, the painter was quickly given the task of redoing the fresco in a way deemed “more appropriate”.

John Hawkwood par Uccello, détail.

Unfortunately, there is no record of the debates that must have raged among the officials of the church fabric (Opera Del Domo). What is certain is the fact that in the final version, visible today, the condottiere has been transformed from a warlord running a gang of mercenaries, into the image of philosopher-king whose only weapon is his commanding staff. At the bottom of the fresco, we can read in Latin: “Giovanno Acuto, British knight, who was in his time held as a very prudent general and very expert in military affairs.”

The position of the horse and the perspective of the sarcophagus have been changed from a simple profile to a di sotto in su view.

If this perspective is somewhat surrealistic and the pose of the horse, raising both legs on the same side, simply impossible, it remains a fact that Uccello’s fresco will set “the standards” of the ideal and impassive image of virtue and command that must embody the hero of the Renaissance: his goal is no longer to “win” a war (the objective of the mercenary), but to preserve the peace by preventing it (the objective of a philosopher-king or simply a wise head of state).

Paradigm shift

As such, one might say that Uccello’s fresco announces the “paradigm shift” marking the end of the age of perpetual feudal wars, to that of the Renaissance, that is to say to that of a necessary concord between sovereign nation-states whose security is indivisible, the security of one being the guarantee of the security of the other, a paradigm even more rigorously defined in 1648 at the Peace of Westphalia, when it made the agapic notion of the “advantage of the other” the basis of its success.

One historian suggests that the recommissioning of Uccello’s fresco was part of the « refurbishing » of the cathedral associated with its rededication as Santa Maria del Fiore by the humanist Pope Eugene IV in March 1436, determined to convince the Eastern and Western Churches to peacefully overcome their divisions and réunite as was attempted at the Council of Florence of 1437-1438 and for which the Duomo was central.

Interesting is the fact that Uccello’s fresco appeared at around the same time that Yolande d’Aragon and Jacques Coeur, who had his Italian connections, persuaded the French king Charles VII to put an end to the Hundred Years’ War by setting up a permanent, standing army.

In 1445, an ordinance was passed to discipline and rationalize the army in the form of cavalry units grouped into Compagnies d’Ordonnances, the first permanent army at the disposal, not of warlords or aristocrats, but of the King of France.

Donatello’s “Gattamelata” (1447-1453)

Donatello, statue équestre d’Erasmo da Narni, dit Gattamelata, 1447-1453, Padua.

It was only some years later, in Padua, between 1447 and 1453, that Donatello would work on the statue of Erasmo da Narni (1370-1443), a Renaissance condottiere, i.e. the leader of a professional army in the service of the Republic of Venice, which at the time ruled the city of Padua. An important detail is that Erasmo was nicknamed “il Gattamelata”.

In French, « faire la chattemite » means to affect a false air of sweetness to deceive or seduce… Others explain that his nickname of “honeyed cat” comes from the fact that his mother was called Melania Gattelli or that he wore a crest (a helmet) in the shape of a honey-colored cat in battle…

The man was of humble origin, the son of a baker, born in Umbria around 1370. He learned to handle weapons from Ceccolo Broglio, lord of Assisi, and then, when he was in his thirties, from the captains of Braccio da Montone, who was known for recruiting the best fighters.

In 1427, Erasmo, who had the confidence of Cosimo de’ Medici, signed a seven-year contract with the humanist Pope Martin V, who wished to strengthen an army corps loyal to his cause with the aim of bringing to heel the lords of Emilia, Romagna and Umbria who were rebellious against papal authority.

Donatello: Gattemelata (detail).

He bought a huge suit of armor to reinforce his high stature. He was not an impetuous fighter, but a master of siege warfare, which forced him to take slow, thoughtful and progressive action. He spied on his prey for a long time before trapping it.

In 1432, he captured the fortress of Villafranca near Imola by cunning alone and without fighting. The following year he did the same to capture the fortified town of Castelfranco, thus sparing his soldiers and his treasure.

Those who were unable to grasp his tactics, accused him of being a coward for “running away” from the front-line, not realizing, that on a given moment, this was part of the tactics of his winning strategy.

He was a prudent captain, with a very well-mannered troop, and he was careful to maintain good relations with the magistrates of the towns that employed him. He obtained the rank of captain-general of the army of the Republic of Venice during the fourth war against the Duke of Milan in 1438 and died in Padua in 1443. Following his death, the Venetian Republic gave him full honors and Giacoma della Leonessa, his widow, commissioned a sculpture in honor of her late husband for 1650 ducats.

The statue, which represents the life-size condottiere, in antique-style armor and bareheaded, holding his commanding staff in his raised right hand, on his horse, was made by the lost-wax method. As early as 1447, Donatello made the models for the casting of the horse and the condottiere. The work progresses at full speed and the work is completed in 1453 and placed on its pedestal in the cemetery that adjoins the Basilica of Padua.

Donatello, Gattemelata, détail du visage.

Brilliant for his cunning and guile, Gattamelata was a thoughtful and effective fighter in action, the type of leader recommended by Machiavelli in The Prince, and which appears in the sixteenth century by François Rabelais in his account of the “Picrocholine wars”.

Not the brute power of weapons, but the cunning and the intelligence will be the major qualities that Donatello will make appear powerfully in his work.

Contrary to Marcus Aurelius, it is not his social status that gives the commander his authority, but his intelligence and his creativity in the government of the city and the art of war. Donatello had an eye for detail. Looking at the horse, we see that it is a massive animal but far from static. It has a slow and determined gait, without any hesitation.

But that’s not all. A rigorous analysis shows that the proportions of the horse are of a “higher order” than those of the condottiere. Did Donatello make a mistake and make Erasmo too small and the horse too large? No, the sculptor made this choice to emphasize the value of Gattamelata who, thanks to his skills, is able to tame even wild and gigantic animals. In addition, the horse’s eyes show him as wild and untameable. Looking at him, one could say that it is impossible to ride him, but Gattamelata manages it with ease and without effort.

Because if you look at the reins in the hands of the protagonist, you will notice that he holds them in complete tranquility. This is another detail that highlights Erasmus’ powerful cunning and ingenuity.

Next, did you notice that one of the horse’s legs rests on a sphere? If this sphere (which could also be a cannonball, since Erasmus was a warrior) serves to give stability to Donatello’s composition as a whole, it also indicates how this animal of gigantic strength (symbolizing here warlike violence), once tamed and well used, allows the globe (the earthly kingdom) to be kept in balance.

Having told you about the horse, it is time to know more about the condottiere.

He has a proud and determined expression. The baton of command, which he holds in his hand, delicately touches the horse’s mane. The baton is not just a symbolic object; he may have received it in 1438 from the Republic of Venice.

Unlike Uccello’s fresco, Gattamelata is not dressed as a contemporary prince of commander, but as a figure beyond time embodying both the past, the present and the future. To capture this, Donatello, who takes care of every detail, has taken an ancient model and modernized it with incredible results. The details of the protagonist’s armor include purely classical motifs such as the head of Medusa, taken from Marcus Aurelius, in Greek mythology one of the three gorgons whose eyes had the power to petrify any mortal who crossed her gaze.

Although the helmet of Gattamelata would have allowed to identify him at eyesight, Donatello has discarded this option. With a helmet on his head, he would have been the symbol of a bloodthirsty warrior, rather than a cunning man. Even better, the absence of a helmet allows the artist to show us a fearless commander whose fixed gaze shows his determination. With the figure slightly bowed and legs extended, the sword in its scabbard placed at an angle, Donatello gives the illusion of an “imbalance” that reinforces in the viewer’s mind the idea that the horse is advancing with full strength.

Art historian John Pope-Hennessy is emphatic:

The fundamental differences between the Gattamelata and Marcus Aurelius are obvious. The (roman) emperor sits passively on his horse, legs dangling. In the fifteenth century, on the other hand, the art of riding implies the use of spurs. The impression of authority that emanates from the monument designed by Donatello comes from the total domination of the condottiere over his horse. (…) The soles of the feet are exactly parallel to the surface of the pedestal, as are the large six-pointed spurs, stretched to the middle of the animal’s flank.

As a result, Gattamelata is not a remake of the “classical Greek or Roman sculpture” of a hero with a sculpted physique, but a kind of new man who succeeds through reason. The fact that the statue has such a high pedestal also has its reason. Placed at such a height, the Gattamelata does not “share” our own space. It is in another dimension, eternal and out of time.

Verrocchio’s Colleoni

Verrocchio’s Colleoni.

Some thirty years later, between 1480 and 1488, Andrea del Verrocchio, after a contest, was selected to make a large bronze equestrian statue of another Italian condottiere named Bartolomeo Colleoni (1400-1475).

A ruthless mercenary, working for a patron one day and his rival the next day, he served from 1454 the Republic of Venice with the title of general-in-chief (capitano generale). He died in 1475 leaving a will in which he bequeathed part of his fortune to Venice in exchange for the commitment to erect a bronze statue to his honor in St. Mark’s Square.

The Venetian Senate agreed to erect an equestrian monument to his memory, while charging the costs to the widow of the deceased…

In addition, the Senate refused to erect it in St. Mark’s Square, which was, along with St. Mark’s Basilica, at the heart of the city’s life. The Senate therefore decided to interpret the conditions set by Colleoni in his last will and testament without contradicting them, choosing to erect his statue in 1479, not in St. Mark’s Square, but in an area further from the city center in front of the Scuola San Marco, on the campo dei Santi Giovanni e Paolo.

Although Verrocchio had started working on the project since 1482, it remained unfinished at his death in 1488. And it is, not as Verrocchio wished, his heir Lorenzo di Credi who will cast the statue, but the Venetian Alessandro Leopardi (who lost the contest to Verrocchio), who will not hesitate to sign it!

The four horses of the Triumphal Quadriga overseeing the Basilica of Saint Marc in Venice.

If the horse is in conformity with the typology of the magnificent horses composing the quadriga overseeing the Basilica of Saint Mark of Venice (Greek statuary of the IVth century BC brought back by the crusaders from Constantinople to Venice in 1204) and of the horse of Marcus Aurelius, its musculature is more nervously underlined and traced. Objectively, this statue is ideally more proportionate. There is also more fine detail, a result of new pre-sculpture techniques, making the work captivating and realistic to look at.

Andrea del Verrocchio, statue of Bartolomeo Colleoni.

The sculpture overflows its pedestal. According to André Suarès quoted in The Majesty of Centaurs:

Colleone on horseback walks in the air, he will not fall. He cannot fall. He leads his earth with him. His base follows him […] He has all the strength and all the calm. Marcus Aurelius, in Rome, is too peaceful. He does not speak and does not command. Colleone is the order of the force, on horseback. The force is right, the man is accomplished. He goes a magnificent amble. His strong beast, with the fine head, is a battle horse; he does not run, but neither slow nor hasty, this nervous step ignores the fatigue. The condottiere is one with the glorious animal: he is the hero in arms.

Verrocchio’s Colleoni (détail).

His baton of command is even metamorphosed into a bludgeon! But since it is not Verrocchio who finished this work, let us not blame the latter for the warlike fury that emanates from this statue.

Venice, a vicious slave-trading financial and maritime Empire fronting as a “Republic”, clearly took its revenge here on the beautiful conception developed during the Renaissance of a philosopher-king defending the nation-state.

On the aesthetic level, this mercenary smells like an animal. As a good observer, Leonardo warned us: when an artist represents a man entirely imprisoned by a single emotion (joy, rage, sadness, etc.), he ends up painting something that takes us away from the truly human soul. This is what we see in this equestrian statue.

If, on the contrary, the artist shows several emotions running through the figure represented, the human aspect will be emphasized. This is the case, as we have seen, with Donatello’s Gattamelata, uniting cunning, determination and prudence to overcome fear the face of threat.

Leonardo’s own, gigantic project to erect a gigantic bronze horse, on which he worked for years and developed new bronze casting techniques, unfortunately was never build, seen the hectic circumstances.

Da Vinci’s gigantic project.

Finally, beyond all the interpretations, let us admire the admirable know-how of these artists. In terms of craft and skill, it generally took an entire life to become able to realize such great works, not even mentioning the patience and boundless passion required.

Up to us to bring it back to life !

Bibliography:

  • Verrocchio, Sculptor and Painter of Renaissance Florence, Andrew Butterfield, National Gallery, Princeton University Press, 2020;
  • Donatello, John Pope-Hennessy, Abbeville Press, 1993;
  • Uccello, Franco and Stefano Borsi, Hazan, 2004;
  • Les Commentaires de Lorenzo Ghiberti dans la culture florentine du Quattrocento, Pascal Dubourg-Glatigny, Histoire de l’Art, N° 23, 1993, Varia, pp. 15-26;
  • Monumento Equestre al Gattamelata di Donatello: la Statua del Guerriero Astuto, blog de Dario Mastromattei, mars 2020;
  • La sculpture florentine de la Renaissance, Charles Avery, Livre de poche, 1996 ;
  • La sculpture de la Renaissance au XXe siècle, Taschen, 1999;
  • Ateliers de la Renaissance, Zodiaque-Desclée de Brouwer, 1998;
  • Rabelais et l’art de la guerre, Christine Bierre, 2007.
  • The Greek language project, Plato and the Renaissance, Karel Vereycken, jan. 2021.
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Mutazilism and Arab astronomy, two bright stars in our firmament

By Karel Vereycken

(texte original en français)

“The ink of the scholar is holier than the blood of the martyr.”
“Seek knowledge from the Cradle to the Grave.”
“Seek knowledge even as far as China.”

Sayings (Hadith) most often attributed to the Prophet.

PROLOGUE

We live in a time of cruel stupidity. While the history of civilization is characterized by multiple cultural contributions allowing an infinite and magnificent mutual enrichment, everything is done to dehumanize us.

By dint of media coverage of the most extreme crimes, notably by claiming that such and such an abject or barbaric act has been committed « in the name » of such and such a belief or religion, everything is done to set us against each other. If we do not react, the famous thesis of a « Clash of Civilizations », concocted by the British Islamologist Bernard Lewis (Henry Kissinger’s, Zbigniew Brzezinski’s and Samuel Huntington’s mentor) as an evil tool of geopolitical manipulation, will become a self-fulfilling prophecy.

INTRODUCTION

In order to combat prejudices and dangerous misunderstandings about “Islam” (with 1.6 billion believers a non-negligible part of the world’s population), here follows a brief overview of the major contributions of the Arab-Muslim civilization.

By recalling two major contributions of the “Golden Age” of Islam, notably Arab astronomy and mutazilism, what is at stake here is the recognition that –just like Memphis, Thebes, Alexandria, Athens and Rome– Baghdad, Damascus and Cordoba were major crucibles of a universal civilization which is ours today.

While Europe has come to recognize that the invention of printing took place in China long before Gutenberg, and that America was visited way before Christopher Columbus, consensus and group think keeps repeating that the Arabs contributed nothing to the progress of science.

In the 1300 years separating the Greek astronomer from Alexandria, Claudius Ptolemy (ca. 100-178 AD) from the Polish Nicolaus Copernicus (1473-1543), they pretend, nothing but “a black hole”.

In 1958, in his book The Sleepwalkers, British Hungarian writer Alfred Koestler, who helped Sydney Hook to co-found the CIA’s cultural cold war front, the Congress for Cultural Freedom, epitomized western arrogance, writing:

the Arabs had merely been the go-betweens, preservers and transmitters of the heritage. They had little scientific originality and creativeness of their own. During the centuries when they were the sole keepers of the treasure, they did little to put it to use. (…) and by the fifteenth century, the scientific heritage of Islam had largely been taken over by the Portuguese Jews. But the Jews, too, were no more than go-betweens, a branch of the devious Gulf-stream which brought back to Europe its Greek and Alexandrine heritage, enriched by Indian and Persian additions.

Nothing is more false. Definitely, one must be born on the right spot to be allowed to have a seat in the train of history…

Copernicus himself, unlike Koestler, was perfectly familiar with Arab astronomy. In 1543, in his De Revolutionibus, he quotes several Arab scientists, more precisely Al-Battani, al-Bitruji, al-Zarqallu, Ibn Rushd (Averroes) and Thabit ibn Qurra. Copernicus also refers to al-Battani in his Commentariolus, a manuscript published posthumously. Later, the great Johannes Kepler (1571-1630) would also refer to Ibn Al-Haytam in his work on optics.

In reality, Copernicus and even more Kepler, whose creative genius cannot be overrated, came up with answers to questions raised by several generations of Arab astronomers preceding them and whose contribution remains largely ignored and even worse, unexplored. To this day, with about 10,000 manuscripts preserved throughout the world, a large part of which has still not been the subject of a bibliographic inventory, the Arab astronomical corpus constitutes one of the best preserved components of medieval scientific literature waiting to be rediscovered.

Science and religion versus slavery

Miniature of emancipated slave Bilal, Islams first Muezzin.

Before examining the contributions of Arab astronomy, a few words about the intimate link between Islam and the development of science.

According to tradition, it was in 622 AD that the Prophet Muhammad and his companions left Mecca and set out for a simple oasis that would become the city of Medina.

If this event is known as the “Hegira”, an Arabic word for emigration, break-up or exile, it is also because Mohammad broke with a societal model based on blood ties (clan organization), in favor of a model of a shared destiny based on belief. In this new religious and societal model, where each person is supposed to be a “brother,” it is no longer permissible to abandon the poor or the weak as was the case before.

The powerful clans in Mecca did everything they could to eliminate this new form of society, which diminished their influence.

The “Medina Constitution” allegedly proclaimed equality among all believers, whether they were free men or slaves, Arabs or non-Arabs.

The Koran advocates strict equality between Arabs and non-Arabs in accordance with the Prophet, who said, in his farewell address:

“There is no superiority of an Arab over a non-Arab, or of a non-Arab over an Arab, and no superiority of a white person over a black person or of a black person over a white person, except on the basis of personal piety and righteousness.”

(Reported by Al-Bayhaqi and authenticated by Shaykh Albani in Silsila Sahiha no. 2700).

Hence, if after the Prophet’s passing away, slavery and slave trade became a common practice in close to all Muslim countries, he cannot be held accountable. Zayd Ibn Harithah, according to tradition, after having been the slave of Khadija, Muhammad’s wife, was freed and even adopted by Muhammad as his own son.

For his part, Abu Bakr, Muhammad’s companion and successor as the first Caliph (Arab word for “successor”), also freed Bilal ibn-Raba, the son of a former Abyssinian princess who had been enslaved. Bilal, who had a magnificent voice, was even appointed the first muezzin, that is to say the one who calls for prayer five times a day from the top of one of the mosque’s minarets.

The Sultan Ahmed Mosque, popularly known as the Blue Mosque, in Mazar-e-Sharif, Balkh Province, Afghanistan.

Among the first verses revealed to the Prophet Muhammad one finds :

Read! And your Lord is the Most Generous,
Who taught by the pen — Taught man that which he knew not.”

(Surat 96).

The Prophet also states,

The best among you (Muslims) are those who learn the Koran and teach it.”

Other sayings, often attributed to the Prophet, clearly invite Muslims to seek knowledge and cherish science :

The ink of the scholar is more sacred than the blood of the martyr”.
Seek knowledge from the Cradle to the Grave”.
Seek knowledge even as far as China”.

Historical center of Samarkand (Ouzbekistan). The Registan and its three madrasahs.
Astronomical and mathematical notations. Manuscript page from Timbuktu.

The mosque is therefore much more than a place of worship, it is a school of all sciences, where scholars are trained. It serves as a social and educational institution: it may be completed with a madrassa (Koranic school), a library, a training center, or even a university.

As in most religions, in Islam, practices and rituals are punctuated by astronomical events (years, seasons, months, days, hours). Every worshipper must pray five times a day at times that vary depending on where he or she is on Earth: at sunrise (Ajr), when the sun is at its zenith (Dhohr), in the afternoon (Asr), at sunset (Magrib) and at the beginning of the night (Icha). Astronomy, as a spiritual occasion to fine-tune one’s earthly existence according to the harmony of the Heavens, is omnipresent.

As an example, to underscore its importance, July 16, 622 AD, the first day of the lunar year, was declared the first day of the Hegira calendar. And during the eclipse of the sun, mosques host a special prayer.

Islam encourages Muslims to guide themselves by the stars. The Koran states :

And He is the One who made the stars for you
to guide you with them in darkness of the land and the sea”.

With such an incentive, early Muslims could not but feel compelled to perfect astronomical and navigational instruments. As a result, today more than half of the stars used for navigation bear Arabic names. It was only natural that the faithful constantly tried to improve astronomical calculations and observations.

The first reason to do so is that during the Muslim prayer, the worshipper has to prostrate himself in the direction of the Kaaba in Mecca, so he has to know how to find this direction wherever he is on Earth. And the construction of a mosque will be decided according to the same data.

The second reason is the Muslim calendar. The Koran states :

The number of months in the sight of Allah is twelve (in a year)-
so ordained by Him the day He created the heavens and the earth;
of them four are sacred: that is the straight usage.”

Clearly, the Muslim calendar is based on the lunar months, which are approximately 29.5 days long. But 12 times 29.5 days is only 345 days in the year. This is far from the 365 days, 6 hours, 9 minutes and 4 seconds that measure the duration of the rotation of the Earth around the Sun…

Finally, a last challenge was posed by the interpretation of the lunar movement. The months, in the Muslim religion, do not begin with the astronomical new moon, defined as the moment when the moon has the same ecliptic longitude as the sun (it is therefore invisible, drowned in the solar albedo); the months begin when the lunar crescent starts to appear at dusk.

The Koran says: “(Muhammad), they ask you about the different phases of the moon. Tell them that they are there to indicate to people the phases of time and the pilgrimage season.”

For all these reasons, the Muslims could not be satisfied with either the Christian or the Hebrew calendar, and had to create a new one.

Spherical geometry

In order to forecast the phases of the moon, new methods of calculation and new instruments capable of observing them were required. The calculation of the day when the crescent moon starts to become visible again was a formidable challenge for the Arab scholars. To predict this day, it was necessary to be able to describe its movement in relation to the horizon, a problem whose resolution belongs to a rather sophisticated spherical geometry.

It was the determination of the direction of Mecca from a given location and the time of prayers that led the Muslims to develop such geometry. To solve these problems, it is necessary to know how to calculate the side of a spherical triangle of the celestial sphere from its three angles and the other two sides; to find the exact time, for example, it is necessary to know how to construct the triangle whose vertices are the zenith, the north pole, and the position of the Sun.

The field of astronomy has strongly stimulated the birth of other sciences, in particular geometry, mathematics, geography and cartography. Some people like to recall that Platonists and Aristotelians were arguing about rather abstract concepts, each of them believing that reason was sufficient to understand nature. Arab astronomy, on the other hand, played a decisive role in the emergence of a true scientific method by verifying the various hypotheses, by building measuring instruments and astronomical observatories and by rigorously recording observations over many years.

MUTAZILISM

Socrates discussing philosophy with his disciples,
Arabic miniature from a manuscript, Turkey 13th Century.

The question then arises as to where this infatuation with science and astronomy could have come from, in a culture essentially centered on religion?

A first answer comes from the fact that in the 8th century, shortly after the birth of Sunnism (656), Kharidjism (657) and Shi’ism (660), but independently of these currents, a school of Muslim theological and philosophical thought appeared, founded by the revolutionary theologian Wasil ibn Ata (700-748), a current known as “mutazilism” (or motazilism), branded in the West as “the rationalists” of Islam. One explanation of its name came from the fact that the mutazili refused to take part in the internal strife inside factions using theological interpretations for earthly power, the arab word iʿtazala meaning “to withdraw”.

Wasil was born in Medina in the Arabian Peninsula and moved to Basra, now in Iraq. From there he formed an intellectual movement that spread all over the Arab-Muslim world. Many of his followers were merchants and non-Arabs (mawâlî) from Iranian or Aramaic “converted” families, victims of the Omayyad dynasty’s discriminating policies between Arabs and non-Arabs. This hypothesis is sufficient to back the claim of a Mutazilite participation in the overthrow of the Omayyad and that dynasty’s replacement with the Abbasid.

In a clear break with dualistic cosmology (Mazdeism, Zoroastrianism, Manichaeism, etc.), Mutazilism insists on the absolute unity of God, conceived as an entity outside time and space. For them, there is a close relationship between the unity of the Muslim community (Ummah) and the worship of the Lord. The Mutazilites are closely inspired by the Koran, and it is quite wrong to present them as the “free thinkers” of Islam.

However, “we reject faith as the only way to religion if it rejects reason,” the Mutazilite saying goes. Relying on reason (the logos dear to the Greek thinkers Socrates and Plato), which it considers compatible with Islamic doctrines, Mutazilism affirms that man can, outside of any divine revelation, access knowledge.

Just as Augustine, a christian, emphasized man can advance on the path of truth, not only through the Gospel (revelation), but by reading “the Book of Nature”, a reflection and foretaste of divine wisdom. One book of the Bible, The Book of Wisdom, recognizes that

For from the greatness and the beauty of created things
their original author,
by analogy, is seen.

(Book of Wisdom, 13:5)

The Mutazilites differed from their opponents in their teaching that God has endowed man with reason specifically so that he can come to know the moral order in creation and its Creator; that is what reason is for. Reason is central to man’s relationship to God.

In the Fundamentals, the great Mutazilite theologian Abdel al Jabbar Ibn Ahmad (935-1025), whose texts were discovered only in the 1950’s by Egyptian scholars in a mosque in Yemen, begins by positing the primary duty to reason: « If it is asked: What is the first duty that God imposes you? Say to him: Speculative reasoning which leads to knowledge of God, because He is not known intuitively or by the senses. Thus, He must be known by reflection and speculation ».

Therefore, Reason logically precedes revelation. Reason first needs to establish the existence of God before undertaking the question as to whether God has spoken to man. Natural theology mus be antecedent to theology.

Al Jabbar says: « The stipulates of revelation concerning what we should say and do are no good until after there is knowledge of God, » which knowledge comes from reason. « Therefore, » he concludes, « it is incumbent on me to establish His existence and to know Him so that I can worship Him, give Him thanks and do what satisfies Him and avoid disobedience toward Him ».

How does Reason lead man to the conclusion of God’s existance? It is through the observation of the ordered universe that man first comes to know that God exists, says Al Jabbar. As he sees hat nothing in the world is its own cause, but is caused by something else, man arrives at the contingent nature of creation. From there, man reasons to the necessity of a Creator, an uncaused cause.

The concept of an inherent nature in things (tab’) means that God, though he is the First Cause, acts indirectly through secondary causes, such as the physical law of gravity. In other words, God does not immediately or directly do everything. He does not make a rock fall; gravity does. God allows some autonomy in his creation, which has its own set of rules, according to how it was made.

As Mutazilite writer and theologian Uthman al-Jahiz (765-869) stated, every material element has it own nature. God created each thing with a nature according to which it consistently behaves. The unsupported rock will always fall where there is gravitational pull. These laws of nature, then, are not an imposition of order from without by a commander-in-chief, but an expression of it from within the very essence of things, which have their own integrity. Creation is possessed of an intrinsic rationality from the Creator. That is why and how man is able to understand God’s Reason as manifested in his creation (This does not discount God’s ability to supercede natural laws in the case of a miracle). From that standpoint, the act of discovery of the nature and beauty of things, by each human individual, brings him closer to God.

Hence, Muzatilism gives human reason (the faculty of thinking) and freedom (the faculty of acting) a place and importance not only unknown in other trends of Islam but even in most philosophical and religious currents of the time. Against fatalism (“mektoub!” = it was written!), which was the dominant tendency in Islam, mutazilism affirms that the human being is responsible for his acts.

More than five centuries before Erasmus, Mutazilite faith and philosophy offered already the foundations to solve most of the sterile theological disputes that would destroy the Renaissance and throw Europe in the abyss of self-destruction known as the “wars of religion”.

Here are the five Fundamentals (Principles), described by Abdel al Jabbar and summarized in 2015 by economist Nadim Michel Kalife:

Monotheism (Al Tawhid) whose concept of God is beyond the simple intellect of the human mind. That is why the verses of the Koran describing God “sitting” on a throne should be interpreted only allegorically and not literally. Hence the Mutazilites called their opponents anthropomorphists who sought to reduce God who is unknowable to a human appearance. And they concluded that this one detail (!) of the Koran is sufficient to prove that the Koran is not “uncreated” but “created” by Allah, via man, to make it accessible to the believer, and therefore, that it can and should evolve and adapt according to the times and circumstances ;

Divine justice (Adl) is about the origin of evil in our world where God is all-powerful. Mutazilism proclaims free will, where evil is man’s doing and not God’s will, because God is perfect and therefore cannot do evil or determine man to do it. And, if human wrongdoings were the will of God, punishment would lose all meaning since man would be doing nothing but respecting the divine will. This unquestionable logic allowed Mutazilism to refute predestination and the « mektoub » of the Sunni schools;

Promise and threat (al-Wa’d wa al-Wa’id): this principle concerns the judgment of man at his death and that of the last judgment where God will reward the obedient in the heavenly paradise, and punish those who disobeyed him by damning them eternally in the fires of hell;

The intermediate degree (al-manzilatu bayn al-manzilatayn), the first principle opposing Mutazilism to the Sunni schools. A great sinner (murder, theft, fornication, false accusation of fornication, drinking alcohol, etc. ) should be judged neither as a Muslim (as Sunnism thinks) nor as a disbeliever or kâfir (as the Kharidjites think), but considered in an intermediate degree from which, when he dies, he will go to hell if he failed to be redeemed by God’s mercy ;

To order the good and blame the blameworthy (al-amr bil ma’ruf wa al-nahy ‘an al munkar): this principle authorizes even rebellion against authority when it is unjust and illegitimate, to prevent the victory of evil over all. This principle attracted the hatred of the ulama (theologians) and imams (predicators) who saw it as a manouver to weaken their own authority over the faithful. And the Seljuk Turks considered it a serious danger since it called into question their power… over the Arabs.

Mutazilism under the Abbasid

Abbasid Caliphate, 786 to 1194.
Caliph with his advisors. Maqamat of al-Hariri Illustration by Yahyá al-Wasiti, 1237.

In Baghdad, it was with the rise of the Abbasid Caliphate in 749 that Mutazilism gained influence, first under the Caliph Hâroun al-Rachîd (765-809) (“Aaron the Well-Guided”) and then under his son, Al-Ma’mûn (786-833) (“The one to be trusted”). Shortly before his death in 833, the latter made Mutazilism the official doctrine of the Abbasid Empire.

This was too much for the conservative ulama and imams who rebelled against the Caliph’s enlightened vision that created a space for secular society and limited their grip over society. Faced with the revolt, the Abbasid administration (made up largely of Persians), which was won over to Mutazilism, carried out a ruthless crackdown on Sunni (Arab) clerics for fifteen years, from 833 to 848. This bloody persecution left an increasingly bitter taste in people’s minds, especially when the Abbasid power refused to release Muslim prisoners in the hands of the Byzantines if they did not renounce the dogma of the “uncreated” nature of the Koran…

Finally, in 848, Caliph Jafar al-Mutawakkil (847-861), changed course completely and asked the traditionalists to preach hadiths according to which Muhammad had condemned the Mutazilites and their supporters.

Dialectical theology (Kalâm) was banned and the Mutazilites were not any longer welcome at the Baghdad court. This was also the end of the spirit of tolerance and the return of persecution against Christians and Jews. If the craze for science continued, Mutazilism disappeared with the fall of the Abbasids and the destruction of Baghdad by the Mongols in the 13th century.

Mutazilism also influenced Judaism. The Kitab Al-Amanat Wa’l-I’tiqadat – that is, the Book of Beliefs and Opinions – by the tenth-century Jewish rabbinic scholar Saadia Gaon (882-942), who lived in Baghdad, draws its inspiration from Christian theological literature as well as from Islamic models. The Kitab al-Tawhid, the Book of Divine Unity, by Saadia’s Karaite contemporary, Jacob Qirqisani (d. 930), is unfortunately lost.

This makes the German Islamologist Sabine Schmidtke say:

The new tradition of Jewish rational thought that emerged in the course of the ninth century was, in its initial phase, mainly informed by Christian theological literature, both in its content and methodology. Increasingly, specifically Mutazilite Islamic ideas, such as theodicy [*1] and human free will, as well as the emphasis on the oneness of God (tawhid), resonated among Jewish thinkers, many of whom eventually adopted the entire doctrinal system of the Mutazila. The now emerging ‘Jewish Mutazila’ dominated Jewish theological thought for centuries to come.

Brothers in Purity

A Brother in Purity (1287, Epistles of the Brothers in Purity, Süleymaniye Library, Istanbul)

Also worth mentioning in this context, are the Epistles of the Brothers in Purity (Ikwân al-Safâ), an encyclopedia of 52 epistles (dealing with mathematics, natural sciences, rational sciences and theological sciences), composed between the beginning of the ninth and the end of the tenth century and containing common knowledge. The text will be promoted by the Ismailis, an esoteric branch of shiite islam strongly contesting the ruling powers of that time. Produced in Basra, in present-day Iraq, the book, neo-platonic in character, is a collective work. As for the authors, designated under the mysterious name of Brothers of Purity, they belonged to a brotherhood of sages and intellectuals who met regularly to organize sessions of discussion, readings and recitation. Its followers considered that knowledge was an indispensable condition for any spiritual and mystical elevation. Its avant-garde character is apparent in its hymn to tolerance advocating a plurality of paths to salvation. Some experts believe that the Epistles of the Brothers in Purity are the work of a high-level Pythagorean philosopher, a disciple of the mutazilist platonic, al-Kindi.

Leaving aside, therefore, the errors that were very real, it has to be recognized and underscored that the optimistic philosophical vision of Mutazilism (reason, free will, responsibility, perfectibility of man) strongly contributed to the emergence of a true « golden age » of Arab culture and sciences.

The total number of muslim scientists in the 9th Century was larger that the non-muslim scientists in the 15th Century.

Finally, it is not uninteresting to note that today, “neo-Mutazilite” currents are appearing in reaction to obscurantist doctrines and the barbaric acts they provoke. For the Egyptian reformist thinker Ahmad Amin, “the death of mutazilism was the greatest misfortune that befell Muslims; they committed a crime against themselves.”

Bagdad

Artist view of ancient Bagdad. Note the canal that runs through the city and allows it to be integrated into the natural infrastructure of the Tigris River. In reality, the surrounding area was urbanized.

In 762, the second Abbasid caliph Al-Mansur (714-775) (“the victorious”) began construction of a new capital, Baghdad. Called Madinat-As-Salam (City of Peace), it houses the court palace, the mosque and the administrative buildings. Built on a circular plan, it is inspired by previous traditions, notably the one that gave birth to the Iranian city of Gur (current name: Firouzabad).

We are in the heart of fertile Mesopotamia, the “land between the rivers”, essentially the Euphrates and the Tigris, both of which have their source in Turkey. It is here that the Sumerians invented irrigation, agriculture (cereals and livestock) [*2], and writing (3400 years BC), starting in the 10th millennium BC.

Baghdad, a powerful and refined city, reigned over the entire East and became the capital of the Arab world. Crossed by the Tigris River, populated today by some 10 million inhabitants, it remains the largest city in Iraq as well as the second most populated city in the Arab world (behind Cairo in Egypt).

Minaret of the Grand mosque of Samarra that many Westerners believed to be the Tower of Babel…

The Abbasid cities were built on huge sites. The palaces and mosques of Samarra, the new capital from 836, stretch along the banks of the Tigris for 40 kilometers. To match the scale of the sites, monumental buildings were erected, such as the Abu Dulaf Mosque or the Great Mosque of Samarra, which had no equivalent elsewhere. Its curious spiral minaret (52 meters high) inspired in the following centuries the Western representations of the Tower of Babel.

Moreover, by relying on an extremely disciplined and obedient army from Khorassan (a region in north-eastern Iran) [*3], as well as on an elaborate system of stagecoaches and mail distribution, the Abbasid rulers managed to increase their hold on the provincial governors. The latter, who in the time of the Omayyad caliphs paid little tax on the pretext that they had to spend locally for the defense of the caliphate’s borders, now had to pay the taxes imposed by the ruler.

The New “Paper” Road

Thanks to high quanlity paper, arab astronomical research survived.

After the military victory against the Chinese in the battle of Talas (a city in present-day Kyrgyzstan) in 751, the year that marked the most eastern advance of the Abbasid armies, Baghdad opened up to Chinese and Indian cultures.

The Abbasid quickly assimilated a number of Chinese techniques, in particular paper-making, an art developed in Samarkand (capital of Sogdiana, now in Uzbekistan), another stopover city on the Silk Roads. The craftsmen of this city smoothed the paper with an agate stone. The resulting extremely smooth and shiny surface absorbed less ink and as a result, both sides of the same sheet became usable. The Chinese, who had invented silk paper, did not need to smooth their paper because they wrote with brushes and not with pens.

Hâroun al-Rachîd was very interested in the industrial production of paper. He ordered the use of paper in all the administrations of the Empire: it is easier to manufacture, less expensive and more secure than silk, because one cannot easily erase what is written on it. He developed the paper factories of Samarkand and established similar ones in Baghdad, Damascus and Tiberias around 1046 – the paper of Tripoli or Damascus was then referred to, and its quality was considered better than that of Samarkand – in Cairo before 1199, where it was used as a packaging for goods, and in Yemen at the beginning of the 13th century. At the same time, several paper factories were established in North Africa. There were 104 paper factories in Fez, Morocco, before 1106, and 400 paper mills between 1221 and 1240. They will emerge in Andalusia, Spain, in Jativa near Valencia in 1054 and in Toledo in 1085.

Agro-industrial revolution

Watermill in Cordoba, Spain.
Floating watermill, to be attached with cables in a strong current.

The first Abbasid caliphs led the economic transition from the Umayyad model of tribute, booty or the sale of slaves to an economy based on agriculture, manufacturing, trade and taxes. The introduction of more energy dense modes of technologies modes of energy (compared to the former ones), will revolutionize irrigation and agriculture:

–Construction of canals ensuring irrigation and limiting flooding;
–Construction of dams and the exploitation of the mechanical energy they produce;
–Construction of water mills;
–Use of tidal energy;
–Construction of windmills;
–Distillation of kerosene used as fuel for lamps and used since. [*4]

Ancient wind mills in Persia

Industrial uses of water mills in the Islamic world date back to the 7th century. During the time of the Crusades, all provinces of the Islamic world had operating mills, from al-Andalus and North Africa to the Middle East and Central Asia.

These mills performed various agricultural and industrial tasks.

When Erasmus’ follower Cervantes’ Don Quichote starts attacking the windmills of La Mancha, a Spanish region where Arab influence was notable, he not only ironially mocks the cult of chivalry, but also the insane undertaking called the crusades.

Irrigation, inherited from the ancient world (floods of the Nile in Egypt, canals in Mesopotamia, pendulum wells (shadoof), water wheels used to raise water (noria), dams in Transoxiana, Khuzistan and Yemen, underground galleries at the foot of the mountains in Iran (qanat) or in the Maghreb (khettara), is organized thanks to a solid community organization and the intervention of the State.

Abbasid artisans and engineers will develop machines (such as pumps) incorporating crankshafts and use gears in mills and water-lifting machines. They will also use the dams to provide additional power to watermills and water-lifting machines. Such advances will allow the mechanization of many agricultural and industrial tasks and free up the workforce for more creative occupations.

At its peak in the tenth century, Baghdad had a population of 400,000 to 500,000. Its food survival depended entirely on an ingenious system of canals for the irrigation of crops and the management of the recurring floods of the Euphrates and Tigris. Example: the Nahrawan canal, parallel to the Tigris, which allowed the waters of the Tigris to be diverted to protect the capital from flooding.

Agricultural production gains in diversity : cereals (wheat, rice), fruits (apricots, citrus fruits), vegetables, olive oil (Syria and Palestine), sesame (Iraq), roe, rapeseed, flax or castor oil (Egypt), wine production (Syria, Palestine, Egypt), dates, bananas (Egypt), sugar cane.

Breeding remains important for food, for the supply of raw materials (wool, leather) and for transport (camels, dromedaries, horses). Sheep are present everywhere but buffalo farming is developing (marshes of lower Iraq or Orontes). Small poultry, pigeon and bee farms are in high demand. The people’s diet is predominantly vegetarian (rice cake, wheat porridge, vegetables and fruits).

A number of industries will emerge from this agro-industrial revolution, including the first textile factories, the production of ropes, silk and, as noted above, the manufacture of paper. Finally, metalworking, glassware, ceramics, tooling and crafts also experience high levels of growth during this period.

Charlemagne, Baghdad and China

Charlemagne receiving elephant, camel and other gifts sent to him by Hâroun al-Rachîd.

Finally, in the eighth and ninth centuries, seeking to counter the Omayyad and the Byzantine Empire, Abbasid and Carolingian Franks conclude several agreements and alliances.

Three diplomatic missions were sent by Charlemagne to the court of Hâroun al-Rachîd and the latter sent at least two embassies to Charlemagne. The caliph sent him many gifts, such as spices, fabrics, an elephant and an automatic clock, described in the Frankish Royal Annals of 807. It marked the 12 hours with copper balls falling on a plate at each hour, and also had twelve horsemen who appeared in turn at the same intervals.

The same caliph sent a diplomatic mission to Chang’an (now called Xi’an), capital of the Tang dynasty. Chang’an being the eastern terminus of the Silk Road, the western market of Chang’an became the center of world trade. According to the record of the Tang Six Authority, more than 300 nations and regions had trade relations with Chang’an.

Maritime Silk Road

These diplomatic relations with China were contemporary with the maritime expansion of the Muslim world into the Indian Ocean and the Far East. Apart from the Nile, Tigris and Euphrates, navigable rivers were uncommon, so transport by sea was very important. The ships of the caliphate began to sail from Siraf, the port of Basra, to India, the Straits of Malacca and Southeast Asia.

Arab merchants dominated trade in the Indian Ocean until the arrival of the Portuguese in the 16th century. Hormuz was an important center for this trade. There was also a dense network of trade routes in the Mediterranean, along which Muslim countries traded with each other and with European powers such as Venice or Genoa.

The Silk Road crossing Central Asia passed through the Abbasid caliphate between China and Europe. At that time, Canton, or Khanfu in Arabic, a port of 200,000 people in southern China, had a large community of traders from Muslim countries. And when the Chinese Emperor Yongle decided to send his famous flotilla of ships to Africa, he chose Admiral Zheng He (1371-1433), a court eunuch who was born a Muslim. And when in 1497 the Portuguese captain Vasco da Gama reached the Kenyan city of Malindi, he was able to obtain an Arab pilot who took him directly to Kozhikode (Calicut) in India. In short, a sailor who knew how to navigate on the stars.

Scientific and cultural renaissance

Thus, it is under the caliphate of Hâroun al-Rachîd and his son Al-Ma’mûn, that Baghdad and the Abbasids will experience a real golden age, both in the sciences (philosophy, astronomy, mathematics, medicine, etc.) and in the arts (architecture, poetry, music, painting, etc.). For the British writer Jim Al-Khalili, “the fusion of Greek rationalism and Mutazilite Islam will give rise to a humanist movement of a type that will hardly be seen before 15th century Italy.”

In the field of sciences, an assimilation of Hellenistic, Indian and Persian astronomical doctrines took place very early. Several Sanskrit [*5] and Pehlevi [*6] writings were translated into Arabic.

Indian works by the astronomer Aryabhata (476-560), a prominent scientist of the Indian Gupta Renaissance, and the mathematician Brahmagupta (590-668) were cited early on by their Arabic counterparts. A famous translation into Arabic appeared around 777 under the title Zij al-Sindhind (or Indian Astronomical Tables). Sources indicate that this text was translated after the trip of an Indian astronomer invited to the court of the Abbasid caliph Al-Mansur in 770. The Arabs also adopted the sines (inherited from Indian mathematics) which they preferred to the chords used by Greek astronomers. From the same period, a collection of astronomical chronicles compiled over two centuries in Sassanid Persia and known in Arabic as the Zij al-Shah (or Royal Tables).

In the field of music, the Persian-born Arab musician Ishaq al-Mawsili (767-850), among others, can be mentioned. A composer of about two hundred songs, he was also a virtuoso on the oud (a kind of lute with a short neck but no frets). He is credited with the first system of codification of learned Arabic music.

The death of the Prophet Mohammed. Ottoman miniature painting from the Siyer-i Nebi, kept at the Topkapı Sarayı Müzesi, Istanbul (Hazine 1222, folio 414a) . circa 1595. Ottoman miniature painter 492 Siyer-i Nebi 414a

Respecting the visual arts, let us first stress that, contrary to the prevailing opinion, the Koran does not prohibit figurative images. There is no explicitly stated and universally accepted “ban” on images of living figures in Islamic legal texts. On the other hand, Islam, like other major religions, condemns the worship of idols.

From the eighth to the fifteenth century, numerous historical and poetic texts, both Sunni and Shi’a, many of which appeared in Turkish and Persian contexts, include admirable depictions of the Prophet Muhammad. The purpose of these images was not only to praise and pay homage to the Prophet, but represent occasions and central elements for the practice of Muslim faith.

In this respect, the book by the German art historian Hans Belting with the catchy title Florence & Baghdad, Renaissance Art and Arab Science (2011) is not only misleading but downright outrageous. Belting presents “Islam” as an aniconic faith (banning all human and animal representations), while in reality, besides exquisite calligraphy and geometric patterns in search for the infinite, representations of men and animals are an essential part of Islamic artistic expression.

In addition, other religions have experienced strong outbreaks of iconoclasm. For example, and this is one of the reasons why so little is known about ancient Greek painting, between 726 and 843, the Byzantine Empire ordered the systematic destruction of images representing Christ or the saints, whether they were mosaics adorning church walls, painted images or book illuminations.

From there on, Belting, for whom Islam is in essence an aniconic civilization, has great difficulty in demonstrating what he announces in the title: the influence of Arab science (notably Ibn al-Haytam work on human vision) on the Renaissance in Florence (in particular its definition of “geometric perspective”). In fact, presenting himself as an erudite, peaceful and “objective” scholar, Belting’s book feeds into the bellicose thesis of a supposed “Clash” of civilizations, while claiming the opposite.

Frescos of the « desert castle » of Qusayr ‘Amra (Jordan).

The first manifestations of pictorial art in the Arab-Muslim world date back to the Omayyad period (660-750). It is from this period that date the famous “desert castles”, such as Qusayr ‘Amra, in Eastern Jordan. Covered with wall paintings, these palaces reflect a contribution of the Byzantine, but also Persian Sassanid modes of representation. Thus, in the palace of Qusayr ‘Amra, used as a resort by the Caliph or his princes for sport and pleasure, the frescoes depict constellations of the zodiac, hunting scenes, fruits and women in the bath.

In the field of literature, Al-Rashid built up a vast library including a collection of rare books as well as thousands of books that kings and princes of the ancient world offered him.

For example, Kalila and Dimna, also known as the Indian Fables of Bidpaï, one of the most popular works of world literature. Compiled in Sanskrit nearly two thousand years ago, these animal fables, from which Aesop and La Fontaine drew, were translated from China to Ethiopia. Translated into Arabic around 750 by Ibn al-Muqaffa, they were richly illustrated in the Arab, Persian and Turkish worlds. The oldest illustrated Arabic version was probably produced in Syria in the 1200s. The landscape is symbolized by a few elements: a strip of grass, shrubs with stylized leaves and flowers. Men and animals are represented with bright colors and simplified lines.

A true manual for the education for kings, one of the fables evokes the idea,



of creating a university dedicated to the study of languages,
ancient and modern, and to the preservation,
in renewed forms, of the heritage of the human species…

Illustration of Kalima and Dimna.


And at the end of his story, the wise Bidpaï warns the young king Dabschelim:



“I must emphasize this last point: my stories require, at this stage, no extra commentary, wretched imaginings, or vapid guesswork by you, me, or anyone else. The very worst habit would be that of moralizing away the effective substance. Thus the urge to tag tidy little rationalizations, persuasive formulas, intellectual summaries, symbolical labels, or nay other convenient pigeon-holing device, mus be steadfastly resisted. Mental encapsulation perverts the medecine, rendering it impotent. It amount to a bypass around the story’s true destination; to explain away is to forget. It is also a type of hypocrisy – poisonous, an antidote to truth. Thus, let the stories which you can remember do their own work by their very diversity. Familiarize yourself with them, but fiddle with them not.”



Also noteworthy is The Sessions of the poet and man of letters Al-Hariri (1054-1122) [*7], written at the end of the tenth century and which had a tremendous diffusion throughout the Arab world. The text, which recounts the adventures of the brigand Abu Zayd, is particularly suitable for illustration.

Al-Ma’mûn and the Houses of Wisdom (Bayt al-Hikma)

After a violent dispute with his brother who sought to remove him from power, Al-Ma’mûn, the youngest son of Al-Rashid, became the eighth Abbasid caliph in 813. He was particularly interested in the work of scholars, especially those who knew Greek. He gathered in Baghdad thinkers of all beliefs, whom he treated magnificently and with the greatest tolerance. They all wrote in Arabic, a language that allowed them to understand each other. He brought manuscripts from Byzantium to enrich the vast library of his father. Open to scholars, translators, poets, historians, physicians, astronomers, scientists and philosophers, this first public library became the basis of the Bayt Al-Hikma (the “Houses of Wisdom”) combining translation, teaching, research and even public health activities, long before the Western universities. It was here that all known scientific manuscripts of the time, especially Greek writings, were gathered for study.

In Baghdad, this cultural bubbling will not remain confined to the Court but will go down to the street as this description of Baghdad by Ibn Aqul (died in 1119) testifies:

“First there is the large space called the Bridge Square. Then the Birds’ Market, a market where one can find all kinds of flowers and on the sides of which are the elegant stores of the money changers. (…) Then the caterers’ market, the bakers’ market, the butchers’ market, the goldsmiths’ market, unrivaled for the beauty of its architecture: high buildings with teak beams, supporting corbelled rooms. Then there is the huge booksellers’ market, which is also the gathering place for scholars and poets, and the Rusafa market. In the markets of Karkh and the Gate of the Ark, the perfumers do not mix with the merchants of grease and products with unpleasant smells; in the same way the merchants of new objects do not mix with the merchants of used objects.”

Persia, the Nestorians and medicine

Ruins of Gondichapur (Iran)

As a model for the Houses of Wisdom, the Persian influence and precedents are often mentioned. It is true that the Barmakids, a family of Persian origin [*8], had a great influence on the first Abbasid caliphs.

In fact, al-Ma’mûn’s tutor was Jafar ben Yahya Barmaki (767-803), a member of the family of the Armenians and the son of the Persian vizier of his father Al-Rashid. The Persian elite who advised the Abbasid caliphs took a keen interest in the works of the Greeks, whose translation had begun during the reign of the Sassanid king Khosro I Anushirvan (531-579).

The latter founded the Academy of Medicine in Gondichapur. Many Nestorian (Christian) scribes and scholars had taken refuge there after the Council of Ephesus in 431. [*9]

The liturgical language of the Nestorians was Syriac, a Semitic dialect [*10].

A Tang Dynasty Chinese ceramic statuette of a Sogdian merchant riding on a Bactrian camel.

Like the Jews, these Nestorian Christians possessed a cosmopolitan culture and a knowledge of languages (Syriac and Persian) that enabled them to act as intermediaries between Iran and its neighbors. And thanks to their access to the wisdom of ancient Greece, they were often employed as physicians. [*11]

The Academy of Medicine of Gondichapur [*12] had reached its peak in the 5th century thanks to the Syriac scholars expelled from Edessa. In this school, medicine was taught based on the translations of the Greek scholar and physician Claudius Galen. These teachings were put into practice in a large hospital, a tradition taken up in the Muslim world. This school was a meeting place for Greek, Syriac, Persian and Indian scholars, whose scientific influence was mutual. Heir to the Greek medical knowledge of Alexandria, the school of Gondichapur trained several generations of physicians at the court of the Sassanid and later at that of the Muslim Abbasid. As early as 765, the Abbasid caliph Al-Mansur, who reigned from 754 to 775, consulted the head of the Gondichapur hospital, Georgios ben Bakhtichou, and invited him to Baghdad. His descendants will work and teach medicine there. Long after the establishment of Islam, the Arab elites sent their sons to this Nestorian Christian school.

Timothy I (727-823) was the Christian patriarch of the Church of the East (“Nestorian”) between 780 and 823. His first decision was to establish the seat of his church in Baghdad, where it was to remain until the end of the thirteenth century, thus forging privileged links between the Nestorians and the Abbasid caliphs. A man with a good command of Syriac, Arabic, Greek and eventually Pehlevi, Timothy enjoyed the consideration of the Abbasid caliphs Al-Mahdi, Al-Rashid and Al-Ma’mûn.

During his forty-three years of pontificate, the Eastern Church lived in peace. Moreover, the Nestorians played a major role in the spread of Christianity in Central Asia as far as China via the Silk Road. In Central Asia, before the arrival of Islam, it was Sogdian, (the Iranian language of Sogdia and its capital Samarkand) that served as the lingua franca on the Silk Road. [*13]

Translating, understanding, teaching, improving

Scholars at an Abbasid library. Maqamat of al-Hariri Illustration by Yahyá al-Wasiti, 1237.

In Baghdad and Basra, in the Houses of Wisdom, the histories and texts collected after the collapse of the empire of Alexander the Great were translated and made available to scholars, texts initially collated and translated from Syriac into Persian under the aegis of the Sassanid emperors.

The Arab historian and economist Ibn Khaldun (1332-1406), who came from a large Andalusian family of Yemeni origin, paid tribute to this effort to preserve and disseminate the Greek heritage: “What happened to the sciences of the Persians whose writings, at the time of the conquest, were annihilated by order of Omar? Where are the sciences of the Chaldeans, the Assyrians, the inhabitants of Babylon? Where are the sciences that reigned among the Copts in the past? There is only one nation, that of the Greeks, whose scientific productions we possess exclusively, and that is thanks to the care that Al-Ma’mûn took in translating these works.”

These first translations into Arabic made available to the Arab-Muslim world hundreds of texts on philosophy, medicine, logic, mathematics, astronomy, music, etc., from Greek, Pehlevi, Syriac, Hebrew, Sanskrit, etc, including those of Plato, Aristotle, Pythagoras, Sushruta, Hippocrates, Euclid, Charaka, Ptolemy, Claudius Galen, Plotinus, Aryabhata and Brahmagupta.

An illustration of a self-trimming lamp from Ahmad’s (Banu Musa) On Mechanical Devices, written in Arabic.

They were accompanied by reflections, commentaries, translations of commentaries, etc. and gave rise to a new form of literature. According to the Nestorian patriarch Timothy I, it was at the request of the Caliph Al-Mahdi that he translated Aristotle’s Topics from Syriac into Arabic. He also wrote a treatise on astronomy entitled The Book of Stars, now lost.

An astrology and astronomy enthusiast, Al-Ma’mûn once made it a condition of peace with the Byzantine Empire to hand over a copy of the Almagest, Ptolemy’s main work, which was supposed to summarize all Greek astronomical knowledge. In 829, in the upper district of Baghdad, he built the first permanent observatory in the world, the Baghdad Observatory, allowing his astronomers, who had translated the Astronomical Treatise of the Greek Hipparchus of Nicaea (190-120 B.C.), as well as his star register, to methodically monitor the movement of the planets.

Here is what Sâ’id al-Andalusî (1029-1070) tells us about Al-Ma’mûn’s interest in astronomy and his efforts to advance it:

“As soon as Al-Ma’mûn became caliph, his noble soul made every effort to attain wisdom, and to this end he was particularly concerned with philosophy; moreover, the scholars of his time studied in depth a book by Ptolemy and understood the diagrams of a telescope that was drawn therein. So Al-Ma’mûn gathered all the great scholars present throughout the regions of the caliphate, and he asked them to build the same kind of instrument so that they could observe the planets in the same way as Ptolemy had done and those who had preceded him. The object was built and the scholars brought it to the city of al-Shamâsiyya in the region of Damascus in the Sham in the year 214 AH (829 AD). Through their observations they determined the exact duration of a solar year as well as the inclination of the sun, the exit of its center and the situation of its various faces, which allowed them to know the state and positions of the other planets. Then the death of the caliph al-Ma’mûn in 218 A.H. (833) put an end to this project, but they nevertheless completed the astronomical telescope and named it ‘the Ma’mûn telescope’”

Now, let me present you a short list of the main astronomers, mathematicians, thinkers, scholars and translators who frequented the Houses of Wisdom:

Al-Jahiz (776-867). The encyclopedic approach of this Mutazilite is conceived as « a necklace gathering pearls » or as a garden which, with its plants, its harmonious organization and its fountains, represents in miniature the whole universe. He sketches the principle of the evolution of species;

Al-Khwarizmi (780-850), (in Latin Algorithmus). This Persian mathematician and astronomer, according to some a Zoroastrian converted to Islam, would have been a follower of mutazilism. He is best known for having invented the method of solving mathematical problems, which is still used today and which is called algorithm. He studied for some time in Baghdad but it is also reported that he made a trip to India. Al Khawarizmi invented the word algebra (from the Arabic word j-b-r, meaning force, beat or multiply), introduced the Indian numerical system to the Muslim world, institutionalized the decimal system in mathematics, and formalized the testing of scientific hypotheses based on observations;

Sahl Rabban al-Tabari (786-845), a Jewish astronomer and physician whose name means “The son of the rabbi of Tabaristan”. His son Ali was the tutor of al-Razi (865-925). An alchemist who became a physician, he is said to have isolated sulfuric acid and ethanol and was among the first to advocate their medical use. He greatly influenced the conception of hospital organization in connection with the training of future doctors. He was the object of much criticism for his opposition to Aristotelianism;

Al-Hajjaj (786-823) made the first Arabic translation of Euclid’s Elements from Greek. He also translated Ptolemy’s Almagest;

Al-Kindi (801-873) (known as Alkindus), considered the father of Arab philosophy, was a mutazilist. He was a prolific author (about 260 books) and explored all fields: geometry, philosophy, medicine, astronomy, physics, arithmetic, logic, music and psychology. Along with his colleagues, Al-Kindi was entrusted with the translation of the manuscripts of Greek scholars. After the death of Al-Ma’mun in 833, he was considered too much of a mutazilist, fell into disgrace and his library was confiscated;

The Banu Musa (“children of Moses”) brothers, three brilliant sons of a deceased astrologer, friend of the Caliph. Mohammed will work on astronomy; Ahmed and Hassan on the canals linking the Euphrates to the Tigris, a guarantee of the control and optimization of their respective floods. They published the Book of Ingenious Mechanisms, an inventory of new techniques and machines [*14];

Hunayn ibn Ishâk (808-873) (known as Iohannitius). This Nestorian Christian was entrusted by Al-Ma’mun with the task of overseeing the quality of translations; a physician, he translated some of the works of the Greek physician Claudius Galen;

Thabit ibn Qurra (836-901), a Syrian astronomer, mathematician, philosopher and musicologist;

Qusta ibn Luqa (820-912), a Greek Byzantine physician, also a philosopher, mathematician, astronomer, naturalist and translator. A Christian of the Melkite Church, he spoke both Greek (his mother tongue) and Arabic, as well as Syriac. Considered, along with Hunayn ibn Ishaq, as one of the key figures in the transmission of Greek knowledge from Antiquity to the Arab-Muslim world. He was the translator of Aristarchus of Samos for whom the Earth revolved around the Sun and the author of a treatise on the astrolabe;

Ibn Sahl (940-1000), in the footsteps of Al-Kindi, wrote a treatise on burning mirrors and lenses around 984, explaining how they can focus light on a point. His work was perfected by Ibn Al-Haytam (965-1040) (Latin name: Alhazen), whose writings reached as far as Leonardo da Vinci, via the Commentaries of Ghiberti. In Ibn-Sahl, we find the first mention of the law of refraction, later rediscovered in Europe as the law of Snell-Descartes.

Drawn into Bagdad for the opportunities it offered, these scholars generally worked in teams in a totally interdisciplinary spirit. Al-Ma’mûn, monitoring the science projets and noting the contradictions that arose from the translations of Greek, Persian and Indian sources, fixed with the scholars the next great scientific challenges to be met:

–To obtain, thanks to more efficient astronomical observatories, tables of astronomical ephemerides [*15] of greater precision than those of Ptolemy;
–To calculate with precision the circumference of the Earth with more advanced methods than those of the Greek astronomer Eratosthenes (3rd century BC);
–Produce a world map integrating the latest geographical knowledge concerning the distances between cities and the size of the continents;
–Deciphering the Egyptian hieroglyphs that Al-Ma’mûn had discovered during his trip to Egypt.

Translations of Plato

Socrates and his Students, illustration from ‘Kitab Mukhtar al-Hikam wa-Mahasin al-Kilam’ by Al-Mubashir, Turkish School, (13th c).

By asserting that what had advanced science at this period was the rediscovery of Aristotle and his purely empiricist method, one forgets the rediscovery of Plato, whose dialectical and hypothetical method has often done more for science than blind empiricism.

Al-Kindi’s intense involvement in the Platonic tradition is reflected in his summaries of the Apology and the Crito, and in his own works that paraphrase the Phaedo or are inspired by the Meno and the Symposium. The Syrian scientist Ibn al-Bitriq, a member of Al-Kindi’s “circle” in Bagdad, translated the Timaeus.

Otherwise, the House of Wisdom’s top translator, Hunayn ibn Ishaq and his circle translated the Greek physician Claudius Galen’s commentaries on the Timaeus, especially his On what Plato said in the Timaeus in a medical way and his On the doctrines of Hippocrates and Plato. And from Hunayn’s own works, we know that some of his students translated Galen’s lost Greek summaries of Plato’s Cratylus, Sophist, Parmenides, Euthydemus, Republic and Laws. Finally, the physician al-Razi presented and commented on Plutarch’s treatise On the Generation of the Soul in the Timaeus.

Inter-religious dialogue:
possible for some, complicated for others

In the West, the name of Al-Kindi is best known in association with The Apology of Al-Kindi, an anonymous text of the time. It is probably a fictitious dialogue between two believers, one Muslim (Abdallah Al-Hashimi), the other Christian (Al-Kindi), both criticizing the other’s and praising one’s own religion and inviting the other to join him! This dialogue supposedly took place at the time of the caliph Al-Ma’mûn. What we know about the open-mindedness of the Caliph does not contradict this assertion. The earliest known mention of the existence of this Apology came to us from Al-Biruni (973-1048).

The manuscript of Al-Kindi’s Apology was translated into Latin in 1142 at the request of Peter the Venerable (1092-1156), grand abbot of the abbey of Cluny, the most powerful and important in Latin Europe. That same year, after visiting Toledo, he conceived the idea of a systematic refutation of the Muslim religion, which he considered heretical and errant.

Here is how he explains the translation he has just ordered of the Koran (the Lex Mahumet pseudoprophete) by a team of translators (including an Arab) brought together for the occasion:

Whether one gives the Mohammedan error the shameful name of heresy or the infamous one of paganism, one must act against it, that is, write. But the Latins and especially the moderns, the ancient culture perishing, according to the word of the Jews who once admired the polyglot apostles, do not know any other language than that of their native land. So they could neither recognize the enormity of this error nor stop it. So my heart was inflamed and a fire burned in my meditation. I was indignant that the Latins did not know the cause of such a perdition and their ignorance robbed them of the power to resist it; for no one answered, for no one knew. So I went to find specialists in the Arabic language which has allowed this deadly poison to infest more than half the globe. I persuaded them, by dint of prayers and money, to translate from Arabic into Latin the history and doctrine of this wretched man and his very law, which is called Koran”.

Accused hence “the Arabic language which allowed this deadly poison (Islam) to infest more than half of the globe”…

This declaration of war was undoubtedly required to motivate his troops. Let us recall that Eudes de Châtillon, the grand prior of the abbey of Cluny, who will become Pope Urban II in 1088, will be, in 1095, at the origin of the first crusade sending the bandits who ravaged France, to go and wage war elsewhere.

The decline and Al-Ghazali

Aristotle trying to explain the astrolab to his pupils. Miniature from The best rulings and the most precious sayings of Al-Moubachir, Arabic manuscript, 13th Century. Istanbul.

Let us return to the Abbasids. As we have said, with the arrival in power of Al-Mutawakkil in 847, mutazilism was removed from power and the Houses of Wisdom were reduced to simple libraries. This did not prevent a traveller, describing his visit to Baghdad in 891, from reporting that the city contained more than one hundred public libraries. Following the Bayt Al-Hikma model, small libraries were founded on every street corner of the city…

Entangled in endless theological debates between experts and won by sectarianism, the mutazilist elite cut itself off from a people who were losing confidence and eventually welcomed with a sense of relief the obscurantist doctrine of Al-Ghâzalî (1058-1111) (Latin name: Algazel), the worst enemy of the mutazilites.

Al-Ghâzalî proposed a radical solution: philosophy is only right when it agrees with religion – which, according to Al-Ghâzalî, is rare. This leads him to radicalize his position, and to attack more and more the Greco-Arab philosophy, guilty, in his eyes, of blasphemy.

Where someone like the Persian Ibn Sina (980-1037) (Latin name: Avicenna), author of the Canons or Precepts of Medicine (around 1020), crossed Greek philosophy and Muslim religion, Al-Ghazali wanted to filter the first through the second.

Hence his most famous and important work, The Incoherence of the Philosophers, written in 1095. In it, he denounces the “pride” of the philosophers who claim to “rewrite the Koran” through Plato and Aristotle. Their error is above all a logical one, as the title of the book itself indicates, which underlines their “incoherence”: they want to complete the Koran with Greek philosophy, whereas the Koran comes later in history and therefore does not need to be completed. He therefore promotes a much more literal approach to the Koranic text, whereas Ibn Sina defended, cautiously it is true, a metaphorical approach. In truth, it is Aristotelianism and nominalism that triumph. The doctrine opposing Mutazilism became known as Ash’arism.

For Ascharites, to speak of God’s justice and rationality is a double blasphemy, because it amounts to limiting his omnipotence. If God were, as the Mutazilites say, compelled to will what is good, then he would be … compelled, which the Ascharites find theologically unacceptable. Therefore, believers should not admit the idea that God wills good, but submit to the principle that whatever he wills is good because he wills it.

Similarly, it is blasphemous to look for « second causes » in nature, i.e. scientific laws. The world exists because God, at every moment, wants it to exist. Any scientific research, any attempt to apply reason and analysis, is an offense to the divine omnipotence.

For Sébastien Castellion, the rejection of reason by the Ascharite school – and subsequently by much of Muslim civilization – was not an implicit and subterranean process, but an explicit decision based on theological principles. The great jurist Ibn Hanbal, whose school is predominant in Saudi Arabia today, said that « all those who indulge in reasoning by analogy and personal opinions are heretics (…). Accept only, without asking why and without making comparisons. »

The fall of Bagdad

From the eleventh century onward, the Abbasid, whose Empire was fragmenting, called upon the Turkish Seljuk princes to protect them against the Shiites, supported by the Fatimid caliphate of Cairo. Gradually, the Turkish and Mongol troops, coming from Central Asia, ended up governing the security of the Abbasid caliph while letting him exercise his religious power.

Then, in 1258, they deposed the last caliph and confiscated his title of successor of the Prophet, which gave them religious power over the four schools of Sunnism. In order to subdue the Arab and Persian populations, the Seljuk Turks created the madrasa (Koranic school) where the conservative doctrine of Acharite Sunnism was taught to the exclusion of the dialectical Mutazilite theology, considered an ideological threat to Turkish authority over the Arabs.

The Abbasid Empire declined as a result of administrative negligence, abandonment of canal maintenance, flood-induced famine, social injustice, slave revolts, and religious tensions between Shiites and Sunnis. At the end of the 9th century, the Zendj, black slaves (from Zanzibar) who worked in the marshes of the lower Iraq, revolted several times, even occupying Basra and threatening Baghdad. The Caliph restored order at the cost of an unprecedentedly violent repression. The rebels were only crushed in 883 at the cost of many victims. The empire did not recover.

In 1019, the Caliph forbade any new interpretation of the Koran, radically opposing the Mutazilite school. This is a brutal stop to the development of critical thinking and intellectual and scientific innovations in the Arab Empire, the consequences of which are still felt today.

ASTRONOMY

Since the dawn of time (it is the case to say it), man has tried to understand the organization of the stars in the environment near the Earth.

Installations such as Stonehenge (2800 BC) in England allowed the first observers to identify the cycles that determine the place and the exact day when certain stars rise. All these observations posed paradoxes: around us, the earth appears relatively flat, but the Moon or the Sun that we perceive with the same eyes seem spherical. The Sun « rises » and « sets », our senses tell us, but where is the reality?

It seems that Thales of Miletus (625-547 BC) was the first to have really wondered about the shape of the Earth. He thought that the Earth was shaped like a flat disk on a vast expanse of water. Then Pythagoras and Plato imagined a spherical shape, which they considered more beautiful and rational. Finally Aristotle reported some observational evidence such as the rounded shape of the Earth’s shadow on the Moon during eclipses.

The Greek scientist Eratosthenes (276 BC- 194 BC), chief librarian of the Alexandria library, then calculated the Earth’s circumference. He had noticed that at noon, on the day of the summer solstice, there was no shadow on the side of Aswan. By measuring the shadow of a stick planted in Alexandria at the same time and knowing the distance between the two cities, he deduced the circumference of the Earth with a rather astonishing accuracy: 39,375 kilometers against some 40,000 kilometers for current estimates.

Between Ptolemy’s Almagest and Copernicus’ De Revolutionibus, as we have said, Arabic astronomy constitutes “the missing link”.

The original title of Ptolemy’s work is The Mathematical Composition. The Arabs, very impressed by this work, called it “megiste”, from the Greek meaning “very great”, to which they added the Arabic article “al”, to give “al megiste” which became Almageste.

It is important to know that Ptolemy never had the opportunity to re-read his treatise as a whole. After writing the first of the thirteen books of his work, the one on “The Fundamental Postulates of Astronomy”, Ptolemy passed it on to copyists who reproduced it and distributed it widely without waiting for the completion of the other twelve books…

Astrolabe made of brass by mathematician Ibrahim ibn Sa’id al-Shali. It is dated in the year 459 of the Hegira, corresponding to 1067 and was built in a Toledo workshop.

In the end, confronted with observations that called into question his own observations and in order to rectify his errors, Ptolemy wrote another work, after the Almagest, entitled Planetary Hypotheses. The author returned to the models presented in the Almagest while making modifications to the average motions (of the planets) to take into account the latest observations. However, his Planetary Hypotheses went beyond the mathematical model of the Almagest to present a physical realization of the universe as a set of nested spheres, in which he used the epicycles of his planetary model to calculate the dimensions of the universe. Finally, the Almagest also contains a description of 1022 stars grouped into 48 constellations.

Ptolemy also presents stereographic projection invented by Hipparchus, the theoretical basis for the construction of the astrolabe by Arab astronomers.

In the ninth century, when the Arabs became interested in astronomy, knowledge was based on the following principles summarized in the work of Ptolemy:

–Ignoring the assertions of Aristarchus of Samos (310-230 BC) for whom the Earth revolved around the Sun, Ptolemy resumed in the second century AD the thesis of Eudoxus of Cnidus (approx. 400-355 BC) and especially Hipparchus (180 to 125 BC) to assert that the Earth is a motionless sphere placed at the center of the world (geocentrism);

–Ptolemy agreed with Plato, who was inspired by Pythagoras, that the circle was the only perfect form, and that the other bodies turning around the Earth did so according to circular and uniform trajectories (without acceleration or deceleration);

–Yet everyone knew that some planets do not follow these perfect rules. In the 6th century, the neo-Platonic philosopher Simplicius, in his Commentary on Aristotle’s Physics, wrote: “Plato then poses this problem to the mathematicians: what are the uniform and perfectly regular circular motions that should be taken as hypotheses, so that we can save the appearances that the wandering stars present?” ;

–In order to account for the « apparent retrograde motion » of Mars, Hipparchus will introduce other secondary perfect figures, again circles. The articulation and interaction of these “epicycles” gave the appearance of sticking with the observed facts. Ptolemy took up this approach;

–However, the more the precision of astronomical measurements improved, the more anomalies were discovered and the more it was necessary to multiply these interlocking “epicycles”. It quickly became very complicated and inextricable;

–The universe is divided into a sub-lunar region where everything is created and therefore perishable, and the rest of the universe, supra-lunar, which is imperishable and eternal.

Hipparchus of Nicea

Ptolemy’s Almagest in arab with figures of Hipparchus epicycles.

The Arab astronomers, for both religious and intellectual reasons that we mentioned at the beginning of this article, initially discovered and then, on the basis of increasingly detailed observations, challenged Hipparchus’ hypotheses, which were the basis of the Ptolemaic model.

Hipparchus imagined a system of coordinates for the stars based on longitudes and latitudes. We also owe him the use of parallels and meridians to locate the Earth as well as the division of the circumference into 360° inherited from the sexagesimal calculation (base 60) of the Babylonians.

In astronomy, his works on the rotation of the Earth and the planets are numerous. Hipparchus explains the mechanism of the seasons by noting the obliquity of the ecliptic: the inclination of the Earth’s axis of rotation. By comparing his observations with older ones, he discovered the precession of the equinoxes due to this tilt: the Earth’s axis of rotation makes a conical movement from East to West and of revolution 26,000 years. Thus in a few millennia, the North Pole will no longer be found with the North Star (Polaris) but with another star, Vega.

Based on Hipparchus, the Arabs perfected and fabricated an important instrument for measuring positions: the astrolabe. This “mathematical jewel” allows to measure the position of stars, planets, to know the time on Earth. Later, the astrolabe was replaced by more precise and easier to use instruments, such as the quadrant, the sextant or the octant.

With the manuscripts at their disposal in the Houses of Wisdom and the observatories of Baghdad and Damascus, the Arab astronomers had texts of an incredible richness but often in flagrant contradiction with their own observations of the movements of the Moon and the Sun. It is from this confrontation that later discoveries were born. The Arabs introduced a lot of mathematics to solve problems, especially trigonometry and algebra.

The Arab astronomers

In order to present the main Arab astronomers and their contributions, here is an excerpt from J. P. Maratray’s remarkable article L’astronomie arabe.

Al-Khwarizmi (783-850) called Algorithmi.
A mathematician, geographer and astronomer of Persian origin, he was a member of the « House of Wisdom ». He is one of the founders of Arab mathematics, inspired by Indian knowledge, in particular the decimal system, fractions, square roots… He is credited with the term “algorithm”. Algorithms are known since antiquity, and the name of Al-Khwarizmi (Algorithmi in Latin) will be given to these sequences of repeated elementary operations. He is also the author of the term “algebra”, which is the title of one of his works on the subject. He was also the first to use the letter x to designate an unknown in an equation. He wrote the first book of algebra (al-jabr) in which he described a systematic method of solving second degree equations and proposed a classification of these equations. He introduced the use of numbers that we still use today. These “Arabic” numbers are in fact of Indian origin, but were used mathematically by Al-Khwarizmi. He adopted the use of the zero, invented by the Indians in the 5th century, and adopted by the Arabs through him. The Arabs will translate the Indian word “sunya” by “as-sifr”, which becomes “ziffer” and “zephiro”. Ziffer will give “number”, and zephiro, “zero”. Al-Khwarizmi established astronomical tables (position of the five planets, the Sun and the Moon) based on Hindu and Greek astronomy. He studied the position and visibility of the Moon and its eclipses, the Sun and the planets. It is the first completely Arabic astronomical work. A crater of the Moon bears his name.

Al-Farghani (805-880) called Alfraganus (mentioned in Dante’s Commedia).
Born in Ferghana in present-day Uzbekistan, he wrote in 833 the Elements of Astronomy, based on the Greek knowledge of Ptolemy. He was one of the most remarkable astronomers in the service of Al-Ma’mûn, and a member of the House of Wisdom. He introduced new ideas, such as the fact that the precession of the equinoxes must affect the position of the planets, and not only that of the stars. His work was translated into Latin in the 12th century, and had a great impact on the very closed circles of Western European astronomers. He determined the diameter of the Earth, which he estimated at 10500 km. We also owe him a work on sundials and another on the astrolabe.

Al-Battani (850-929) called Albatenius.
He observed the sky from Syria. He is sometimes called “the Ptolemy of the Arabs”. His measurements are remarkably accurate. He determined the length of the solar year, the value of the precession of the equinoxes, the inclination of the ecliptic. He noted that the eccentricity of the Sun is variable, without going so far as to interpret this phenomenon as an elliptical trajectory. He wrote a catalog of 489 stars. We owe him the first use of trigonometry in the study of the sky. It is a much more powerful method than the geometrical one of Ptolemy. His main work is The Book of Tables. It is composed of 57 chapters. Translated into Latin in 1116 by Plato of Tivoli, it will greatly influence the European astronomers of the Renaissance.

Al-Soufi (903-986) known as Azophi.
Persian astronomer, he translated Greek works including the Almagest and improved the estimates of the magnitudes of stars. In 964, he published « The Book of Fixed Stars », where he drew constellations. He seems to have been the first to report an observation of the large Magellanic cloud (a nebula), visible in Yemen, but not in Isfahan. Similarly, we owe him a first representation of the Andromeda galaxy, probably already observed before him. He described it as « a small cloud » in the mouth of the Arabian constellation of the Great Fish. Its name (Azophi) was given to a crater on the Moon.

Al-Khujandi (circa 940- circa 1000).
He was a Persian astronomer and mathematician. He built an observatory in Ray, near Tehran, with a huge sextant, constructed in 994. It is the first instrument able to measure angles more precise than the minute of angle. He measures with this instrument the obliquity of the ecliptic, by observing the meridian passages of the Sun. He found 23° 32′ 19 ». Ptolemy found 23° 51′, and the Indians, much earlier, 24°. The idea of the natural variation of this angle never occurred to the Arabs. They discussed for a long time about the accuracy of the measurements, which made their science advance.

Ibn Al-Haytam (965-1039) called Alhazen.
A mathematician and optician born in Basra in present-day Iraq, he was asked by the Egyptian authorities to solve the problem of the Nile floods. His solution was the construction of a dam towards Aswan. He gave up in front of the enormity of the task (the dam was finally built in 1970!). Faced with this “failure”, he feigned madness until the death of his boss. He made a critical assessment of Ptolemy’s theses and those of his predecessors, and wrote Doubts on Ptolemy. He draws up a catalog of the inconsistencies, without however proposing an alternative solution. Among the inconsistencies he noted were the variation in the apparent diameter of the Moon and the Sun, the non-uniformity of the allegedly circular motions, the variation in the position of the planets in latitude, the organization of the Greek spheres. Observing that the Milky Way has no parallax, he placed it very far from the Earth, in any case further away than Aristotle’s sub-lunar sphere. Despite his doubts, he maintains the central place of the Earth in the universe. Ibn Al-Haytam takes up the work of Greek scholars, from Euclid to Ptolemy, for whom the notion of light is closely linked to the notion of vision: the main question being whether the eye has a passive role in this process or whether it sends a kind of fluid to “interrogate” the object. Through his studies of the mechanism of vision, Ibn Al-Haytam showed that the two eyes were an optical instrument, and that they actually saw two separate images. If the eye sent this fluid, one could see at night, he speculated. He understood that the sunlight reflected off the objects and then entered the eye. But for him, the image is formed on the lens… He took up Ptolemy’s ideas on the rectilinear propagation of light, accepted the laws of reflection on a mirror, and sensed that light has a finite, but very great speed. He studied refraction, the deviation of a light ray as it passes from one medium to another, and predicted a change in the speed of light as it passes. But he could never calculate the angle of refraction. He found that the phenomenon of twilight is related to the refraction of sunlight in the atmosphere, which he tried to measure the height, without success. Already known in antiquity, we owe him a very precise description and the use for experimental purposes of the dark room (camera obscura), a black room that projects an image on a wall through a small hole drilled in the opposite wall. The result of all this optical research is recorded in his Treatise on Optics, which took him six years to write and was translated into Latin in 1270. [*16] In mechanics, he asserted that an object in motion continues to move as long as no force stops it. This is the principle of inertia before the letter. An asteroid bears his name: 59239 Alhazen.

Al-Biruni (973-1048).
Certainly one of the greatest scholars of medieval Islam, originally from Persia, he was interested in astronomy, geography, history, medicine and mathematics, and philosophy in general. He wrote more than 100 works. He was also a tax collector and a great traveler, especially in India, where he studied language, religion and science. At the age of 17, he calculated the latitude of his native town of Kath (in Persia, now in Uzbekistan). At the age of 22, he had already written several short works, including one on cartography. In astronomy, he observed the eclipses of the Moon and the Sun. He is one of the first to evaluate the errors on his measurements and those of his predecessors. He noticed a difference between the average speed and the apparent speed of a star. He measured the radius of the Earth at 6339.6 km (the correct figure is 6378 km), a result used in Europe in the 16th century. During his travels, he met Indian astronomers who supported heliocentrism and the rotation of the Earth on its axis. He will always be skeptical, because this theory implies the movement of the Earth. But he will ask himself the question: « Here is a problem difficult to solve and to refute ». He believes that this theory does not lead to any mathematical problems. He refuted astrology, arguing that this discipline is more conjectural than experimental. In mathematics, he developed the calculation of proportions (rule of three), demonstrated that the ratio of the circumference of a circle to its diameter is irrational (future number Pi), calculated trigonometric tables, and developed methods of geodesic triangulations.

Ali Ibn Ridwan (988-1061).
Egyptian astronomer and astrologer, he wrote several astronomical and astrological works, including a commentary on another book of Claudius Ptolemy, the Tetrabible. He observed and commented on a supernova (SN 1006), probably the brightest in history. Its magnitude is estimated today, according to the testimonies that have come down to us, at -7.5! It remained visible for more than a year. He explains that this new star had two to three times the apparent diameter of Venus, a quarter of the brightness of the Moon, and that it was low on the southern horizon. Other western observations corroborate this description, and place it in the constellation of the Wolf.

From the 11th to the 16th century.
After a first phase, more important observatories were built. The first of them, model of the following ones, is that of Maragheh, in the current Iran. Their purpose was to establish planetary models and to understand the movement of the stars. (…) The school thus constituted will have its apogee with Ibn Al-Shâtir (1304-1375). Other observatories will follow, such as the one in Samarkand in the 15th century, Istanbul in the early 16th century, and, in the West, the one of Tycho Brahe in Uraniborg (Denmark at that time) at the end of the 16th century. The new models were no longer Ptolemaic inspired, but remained geocentric. The physics of the time still refused to put the Earth in motion and to remove it from the center of the world. These models were inspired by the Greek epicycles, keeping the circles, but simplifying them. For example, Al-Tûsî proposes a system comprising a circle rolling inside another circle of double radius. This system transforms two circular motions into an alternating rectilinear motion, and explains the variations of the latitude of the planets. Moreover, it accounts for the variations of the apparent diameters of the stars. But to go further, it will be necessary to change the reference system, which the Arabs refused to do. This change will occur with the Copernican revolution, during the Renaissance, in which the Earth loses its status as the center of the world.

Al-Zarqali (1029-1087) said Arzachel.
Mathematician, astronomer and geographer born in Toledo, Spain, he discussed the possibility of the movement of the Earth. Like others, his writings will be known to Europeans of the sixteenth and seventeenth century. He designed astrolabes, and established the Toledo Tables, which were used by the great Western navigators such as Christopher Columbus, and served as a basis for the Alphonsine Tables. He established that the eccentricity of the Sun varies, more precisely that the center of the circle on which the Sun rotates moves periodically away from or towards the Earth. A crater of the Moon bears his name, as well as a bridge of Toledo on the Tagus.

Omar Al-Khayyam (1048-1131).
Known for his poetry, he was also interested in astronomy and mathematics. He became director of the Isfahan observatory in 1074. He created new astronomical tables even more precise, and determined the duration of the solar year with great accuracy, given the instruments used. It is more accurate than the Gregorian year, created five centuries later in Europe. He reformed the Persian calendar by introducing a leap year (Djelalean reform). In mathematics, he was interested in third degree equations by demonstrating that they can have several solutions (he found some of them geometrically). He wrote several texts on the extraction of the cubic roots, and a treaty of algebra.

Al-Tûsî (1201-1274).
Astronomer and mathematician, born in the city of Tus in present-day Iran, he built and directed the observatory of Maragheh. He studied the works of Al-Khayyam on proportions, and was interested in geometry. On the astronomical side, he commented on the Almagest and completed it, like several astronomers (Al-Battani…) before him. He estimates the obliquity of the ecliptic at 23°30′.

Al-Kashi (1380-1439).
Persian mathematician and astronomer, he witnessed a lunar eclipse in 1406 and wrote several astronomical works afterwards. He spent the rest of his life in Samarkand, under the protection of Prince Ulugh Beg (1394-1449) who founded a university there. He became the first director of the new observatory of Samarkand. His astronomical tables propose values with 4 (5 according to the sources) digits in sexagesimal notation of the sine function. He gives the way to pass from a system of coordinates to another. His catalog contains 1018 stars. He improves the tables of eclipses and visibility of the Moon. In his treatise on the circle, he obtained an approximate value of Pi with 9 exact positions in sexagesimal notation, that is to say 16 exact decimals! A record, since the next improvement of the estimation of Pi dates from the 16th century with 20 decimals. He leaves his name to a generalization of the Pythagorean theorem to any triangles. This is the Al-Kashi theorem. He introduced the decimal fractions, and acquired a great reputation which made him the last great Arab mathematician astronomer, before the West took over.

Ulugh Beg (1394-1449).
Grandson of Tamerlan, prince of the Timurid (descendants of Tamerlan). Viceroy from 1410, he acceded to the throne in 1447. He was a remarkable scholar and a poor politician, a position he delegated to devote himself to science. His teacher was Qadi Zada al-Rumi (1364-1436) who developed in him a taste for mathematics and astronomy. He built several schools, including one in Samarkand in 1420 where he taught, and an observatory in 1429. He worked there with some 70 mathematicians and astronomers (including Al-Kashi) to write the Sultanian Tables published in 1437 and improved by Ulugh Beg himself shortly before his death in 1449. The accuracy of these tables will remain unequaled for more than 200 years, and they were used in the West. They contain the positions of more than 1000 stars. Their first translation dates from around 1500, and was made in Venice.

Taqi Al-Din (1526-1585).
After a period as a theologian, he became the official astronomer of the Sultan in Istanbul. He built an observatory there with the aim of competing with those of European countries, including that of Tycho Brahe. The observatory was opened in 1577. He drew up the Zij tables (“the unbroken pearl”). He was the first to use comma notation, rather than the traditional sexagesimal fractions in use. He observed and described a comet, and predicted that it was a sign of victory for the Ottoman army. This forecast turns out to be erronous, and the observatory is destroyed in 1580… He then devotes himself to mechanics, and describes the functioning of a rudimentary steam engine, invents a water pump, and is fascinated by clocks and optics.

The destruction of the observatory of Istanbul marks the end of the Arab astronomical activity of the Middle Ages. It was not until the Copernican revolution that new progress was made, and what progress! Copernicus and his successors were certainly strongly inspired by the results of the Arabs through their works. Travel and direct contact between scientists of the time were rare. Since Westerners did not understand Arabic, Latin translations probably influenced the West, along with the works of some Greek philosophers who had questioned the central position of the Earth, as Aristarchus of Samos had proposed around 280 BC.

Arab observatories

Scale model of the giant sextant constructed inside the Maragheh observatory (1259).

The modern observatory, in its conception, is a worthy successor of the Arab observatories of the late Middle Ages. Unlike the private observatories of the Greek philosophers, the Islamic observatory is a specialized astronomical institution, with its own premises, scientific staff, teamwork with observers and theoreticians, a director and study programs. They have recourse, as today, to increasingly large instruments, in order to constantly improve the accuracy of measurements.

The first of these observatories was built during the reign of Al-Ma’mûn in Bagdad in the 9th century. We have already mentioned the observatory of Ray, near Tehran and second city of the Abbasid Empire after Baghdad, with its monumental wall sextant dating from 994. To these must be added the observatories of Toledo and Cordoba in Spain, Baghdad and Isfahan.

Finally, the one in Maragheh in the north of present-day Iran, built in 1259 with funds collected to maintain hospitals and mosques. Al-Tusi worked there. Then came the era of the observatory of Samarkand, built in 1420 by the astronomer Ulugh Beg (1394-1449), whose remains were found in 1908 by a Russian team.

Today’s museum in Maragheh, Iran.

Conclusion

Mongol siege of Bagdad of 1258

Much more than the crusades, it will be the Mongol offensives that will devastate entire sections of the Arab-Muslim civilization. Genghis Khan (1155-1227), to the great pleasure of some Westerners, will destroy the Muslim kingdoms of Khwarezm (1218) and Sogdia with Bukhara and Samarkand (1220). The great city of Merv in 1221. In 1238, his son will seize Moscow, then Kiev. In 1240, Poland and Hungary will be invaded. In 1241, Vienna was threatened.

Before bringing down the Song Dynasty in China in 1273, the Mongols turned against the Abbassid.

Hence, the Houses of Wisdom came to a brutal end on February 12, 1258 with the Mongol invasion of Baghdad led by Hulagu (Genghis Khan’s grandson), who killed the last Abbasid caliph Al-Mu’tassim (despite his surrender) and destroyed the city of Baghdad and its cultural heritage. Hulagu also ordered the massacre of the caliph’s entire family and entourage.

Mutazilism was banned and the magnificent collection of books and manuscripts in the House of Wisdom in Baghdad was thrown into the muddy water of the Tigris, which turned brown for a few days because of the inked papers of the books and manuscripts.

One report says that the Mongols exterminated twenty-four thousand scholars and an incalculable number of books were lost. Of Mutazilism, its doctrine was only known through the texts of the traditionalist theologians who had attacked it. It was only the discovery of the voluminous works of Abdel al Jabbar Ibn Ahmad in the 19th century that made it possible to understand the key role played my this current of thought in the Arab renaissance and the formation of current Muslim theology, whether Sunni or Shiite.

Closer to home, the Iraq war of 2003: until then, Iraq was the world’s largest publisher of scientific publications in Arabic. As a result of the chaos caused by a war waged in the name of “democracy” and “the war on terror”, both the National Library and the National Archives were looted and burned. The same happened to the Central Library of Pious Legacies, the Library of the Iraqi University of Sciences, as well as many public libraries in Baghdad, Mosul and Basra. The same was true for the archaeological treasures of the Iraqi Museum and its library. It seems that some people have declared war on civilization.

British troops entering Bagdad in 1917.

NOTES:

  1. A theodicy or « righteousness of God ») is an explanation of the apparent contradiction between the existence of evil and two characteristics peculiar to God: his omnipotence and his goodness.
  2. Sumer. The natural environment of the Sumerian country was not really favorable to the development of a productive agriculture: poor soils with a high content of salts harmful to the growth of plants, very high average temperatures, insignificant rainfall, and flooding of rivers coming in the spring, at harvest time, and not in the fall when the seeds need them to germinate, as is the case in Egypt. It was therefore the ingenuity and relentless labor of Mesopotamian farmers that enabled this country to become one of the granaries of the ancient Middle East. From the 6th millennium BC, the peasant communities developed an irrigation system which gradually branched out to cover a large area, thereby taking advantage of the advantage offered to them by the extremely flat relief of the Mesopotamian delta, where there was no no natural obstacle to the extension of the irrigation canals over tens of kilometers. By regulating the level of water derived from natural watercourses to adapt it to the needs of crops, and by developing techniques aimed at limiting soil salinization (leaching of fields, practice of fallow), it was possible to obtain very high cereal yields.
  3. Khorassan is a region located in northeastern Iran. The name comes from the Persian and means « where does the sun come from ». It was given to the eastern part of the Sassanid Empire. Khorassan is also considered the medieval name of Afghanistan by Afghans. Indeed, this territory included present-day Afghanistan, as well as southern Turkmenistan, Uzbekistan and Tajikistan.
  4. In the 10th century, the Persian medical scholar Mohammad Al-Razi describes the distillation of petroleum to obtain kerosene or « illuminating petroleum » in his Book of Secrets.
  5. Sanskrit is a language of India, among the oldest known Indo-European languages ​​(older even than Latin and Greek). It is notably the language of Hindu religious texts and, as such, it continues to be used as a cultural language, like Latin in centuries past in the West.
  6. Peshlevi or Middle Persian is an Iranian language that was spoken during the Sassanid era. She descends from Old Persian. Middle Persian was usually written using the Pahlevi script. The language was also written using the Manichean script by the Manichaeans of Persia.
  7. Abu Muhammad al – Qasim ibn ’Ali al – Hariri (1054–1122), Arab man of letters, poet and philologist, was born near Basra, in present-day Iraq. He is known for his Oaths and his maqâmât (literally fashions, often translated as assemblies or sessions), a collection of 50 short stories combining social and moral commentary with the brilliant expressions of the Arabic language. If the genre of maqâma was created by Badi’al – Zaman al – Hamadhani (969–1008), it is the sessions of al – Hariri that best define it. Written in a rhyming prose style called saj ’and interwoven with exquisite verse, the stories are meant to be entertaining and educational. Each of the anecdotes takes place in a different city in the Muslim world during the time of al – Hariri. They tell of an encounter, usually at a gathering of townspeople, between two fictional characters: the narrator al – Harith ibn Hammam and the protagonist Abu Zayd al-Saruji. Over the centuries, the work has been copied and commented on many times, but only 13 copies still in existence today have illuminations illustrating scenes from the stories. The manuscript presented here, executed in 1237, was both copied and illustrated by Yahya ibn Mahmud al-Wasiti, often considered the first Arab artist. It contains 99 miniatures of exceptional quality. No other known copy contains so much. The miniatures, recognized for their striking depiction of Muslim life in the 13th century, are considered to be the earliest Arab paintings created by an artist whose identity is known. Al – Wasiti, founder of the Baghdad School of Illumination, was also a remarkable calligrapher, as evidenced by his fine Naskhi style. The almost immediate popularity of the maqâmât reached Arab Spain, where Rabbi Judah al-Harizi (1165-c. 1225) translated the sessions into Hebrew under the title Mahberoth Itiel and subsequently composed his own Tahkemoni, or Hebrew sessions. . The work was also translated into many modern languages.
  8. The Barmecids or Barmakids are members of a Persian nobility family originally from Balkh in Bactria (north of Afghanistan). This family of Buddhist religious (paramaka means in Sanskrit the superior of a Buddhist monastery) who became Zoroastrians and then converted to Islam provided many viziers to the Abbasid caliphs. The Barmakids had acquired a remarkable reputation as patrons and are regarded as the main instigators of the brilliant culture which then developed in Baghdad.
  9. The Christological thesis of Nestorius (born c. 381 – died 451), Patriarch of Constantinople (428-431), was declared a heretic and condemned by the Council of Ephesus. For Nestorius, two hypostases, one divine, the other human, coexist in Jesus Christ. From the Eastern Church, Nestorianism was one of the historically most influential forms of Christianity in the world throughout late Antiquity and the Middle Ages, to India, China and Mongolia.
  10. Syriac (a form of Aramaic, the language of Christ) is alongside Latin and Greek the third component of ancient Christianity, rooted in Hellenism but also descended from Near Eastern and Semitic antiquity. From the first centuries, in a movement symmetrical to that of the Greco-Latin Christian tradition towards the west, Syriac Christianity developed towards the east, as far as India and China. Syriac is still today the liturgical and classical language (a bit like Latin in Europe) of the Syriac Orthodox, Syriac Catholic, Assyrian, Chaldean and Maronite Churches in Lebanon, Syria, Iraq and South India. Where is. Finally, it is the branch of Christianity most in contact with Islam in which he continued to live.
  11. In South-West Asia, the Greek influence remained alive in several cities under Christian influence: Edessa (now Urfa in Turkey), at the time capital of the county of Edessa, one of the first Eastern Latin states, the closest to the Islamic world; Antioch (now Antakya in Turkey); Nisibe (now Nusaybin in Turkey); Al-Mada’in (ie “The Cities”), an Iraqi metropolis on the Tigris, between the royal cities of Ctesiphon and Seleucia on the Tigris and Gondichapour (now in Iran) whose ruins remain. To this must be added the cities of Latakia (in Syria) and Amed (today Diyarbakir in Turkey) where there were Jacobite centers (Christians of the East, but members of the Syriac Orthodox Church, not to be confused with the Nestorians).
  12. The Gondishapour Academy was located in present-day Khuzestan province in southwestern Iran, near the Karoun River. It offered the teaching of medicine, philosophy, theology and science. The faculty was well versed not only in Zoroastrian and Persian traditions, but also taught Greek and Indian languages. The Academy included a library, an observatory, and the oldest known teaching hospital. According to historians, the Cambridge of Iran was the most important medical center in the Old World (defined as the territory of Europe, the Mediterranean and the Near East) during the 6th and 7th centuries.
  13. Sogdian is a middle Iranian language spoken in the Middle Ages by the Sogdians, a trading people who resided in Sogdiana, the historic region encompassing Samarkand and Bukhara and covering more or less present-day Uzbekistan, Tajikistan and northern Afghanistan. Before the arrival of Arabic, Sogdian was the lingua franca of the Silk Road. Sogdian traders settled in China and Sogdian monks were among the first to spread Buddhism there. As early as the 6th century, Chinese rulers appealed to the Sogdian elite to resolve diplomatic, commercial, military and even cultural issues, prompting many Sogdians to migrate from Central Asia and China’s border regions to major Chinese political centers.
  14. The Book of Ingenious Machines contains a hundred machines or objects, most of them due to the Banou Moussa brothers or adapted by them: funnel, crankshaft, conical ball valves, float valve and other hydraulic regulation systems, mask gas and ventilation bellows for mines; dredge, variable jet fountains, hurricane lamp, auto-off light, auto-powered; automatic musical instruments including a programmable flute.
  15. Astronomical ephemeris: registers of the positions of stars at regular intervals.
  16. Ibn Al-Haytam. In 2007, during a conference at the Sorbonne, I explored the use, by the Flemish painter Jan Van Eyck (early 15th century), of a bifocal geometric perspective, wrongly qualified as « primitive », erroneous and intuitive, actually inspired by the work and binocular experiences of the Arab scholar Ibn Al-Haytam (Alhazen). The latter drew on the work of his predecessors Al-Kindi, Ibn Luca and Ibn Sahl. Alhazen was widely known in the West thanks to the translations of the Franciscans of the University of Oxford (Grosseteste, Bacon, etc.). See summary biography.

SUMMARY CHRONOLOGY:

  • 310-230 BC.: Life of the Greek astronomer Aristarchus of Samos;
  • 190-120 BC.: life of the Greek astronomer Hipparchus of Nicaea;
  • v. 100-160 : life of Roman astronomer Claudius Ptolemy;
  • 700-748: life of Wasil ibn Ata, intellectual founder of Mutazilism;
  • 750: beginning of the Abbasid dynasty;
  • 751: Abbasid victory against the Chinese at the battle of Talas (Kyrgyzstan);
  • 763: founding of Baghdad by Caliph Al-Mansur;
  • 780: Timothy I, patriarch of the Nestorian Christian church in Baghdad;
  • 780-850: life of the Arab mathematician al-Kwarizmi;
  • 786 to 809: caliphate for 23 years of Haroun al-Rachîd, legendary hero of the Thousand and One Nights tales. Development of mutazilism;
  • 801-873: life of the mutazilist and Platonic philosopher Al-Kindi;
  • 805-880: life of Al-Farghani, treatise on the Astrolabe;
  • 813-833: caliphate of Al-Ma’mûn (20 years);
  • 829: creation of the first permanent astronomical observatory in Baghdad followed by that of Damascus;
  • 832: creation of the public library and creation of the Maisons de la Sagesse;
  • 833: shortly before his death, Al-Ma’mûn decrees the created Koran and has mutazilism adopted as the official doctrine of the Abbasids;
  • 836: transfer from the capital to Samarra;
  • 848: the mutazilites removed from the Baghdad court;
  • 858-930: life of Al-Battani, known as Albatenius;
  • 865-925: life of translator and doctor Sahl Rabban al-Tabari;
  • 869-883: revolt of the Zanj (black slaves from Zanzibar);
  • 892: return from the capital of the Abbasids to Baghdad;
  • 965-1039: life of Ibn Al-Haytam, known as Alhazen;
  • 973-1048: life of Al-Biruni;
  • 1095: first crusade;
  • 1258: Baghdad sacked by the Mongols;
  • 1259: creation of the Maragheh Astronomical Observatory (Iran);
  • 1304-1375: life of Ibn Al-Shâtir;
  • 1422: creation of the Astronomical Observatory of Samarkand, capital of Sogdiana;
  • 1543: Polish astronomer Nicolas Copernicus publishes his De Revolutionibus;
  • 1917: British troops enter Baghdad;
  • 2003: looting and destruction by systematic arson of libraries and museums during the Iraq war.

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« l’Homme de Vitruve » de Léonard de Vinci

Alors que nous commémorons cette année, avec une belle exposition au Louvre, Léonard de Vinci (1452-1519), mort en France il y a cinq cents ans, bien des bêtises circulent à propos de ce personnage si inspirant.

Ayant eu la chance de pouvoir assimiler, dès mon adolescence, les rudiments de l’anatomie lors de ma formation à l’Institut Saint-Luc de Bruxelles comme peintre-graveur, je m’efforcerais ici de vous livrer quelques clés permettant au grand public de pleinement apprécier un dessin très connu de Léonard, présent à Paris, « l’Homme de Vitruve ».

Or, comme Léonard l’indique lui-même dans ses carnets en reprenant l’expression de Nicolas de Cues, ce n’est qu’avec « les yeux de l’esprit » que l’art nous devient « visible », car les « yeux de la chair » y sont aveugles.

Canons de proportions

A gauche : statue égyptienne ; à droite un Kouros de la Grèce archaïque.

La civilisation grecque, et avec elle celle de l’Europe, comme chacun le sait, n’a pu atteindre toute sa splendeur que grâce à l’assimilation patiente des apports d’autres grandes civilisations.

L’Asie, connue chez nous grâce au monde arabo-musulman, et l’Afrique, en particulier l’Égypte, jouèrent un rôle majeur. Les cultes funéraires de l’Égypte ancienne, dont la momification des défunts, permirent aux médecins locaux, grecs et levantins travaillant en Égypte, d’explorer les secrets du corps humain.

Comme le montrent les sculptures de l’Égypte ancienne, la taille exacte du corps humain avoisine l’équivalent de 7 ¼ à 7 ½ la taille de la tête d’un individu.

Fiche d’un cours de dessin de l’auteur.

La taille d’un nouveau-né dépasse à peine 4 têtes, celle d’un enfant de sept ans est de 6 têtes, et celle d’un adolescent de dix-sept ans atteint les 7 têtes.

En sous-divisant la partie supérieure du corps humain, du sommet du crâne jusqu’au bas du torse, l’on mesure 4 têtes : la première jusqu’au menton ; la deuxième jusqu’aux mamelons ; la troisième jusqu’au nombril et la quatrième jusqu’au pubis. En partant de l’autre bout du corps humain, en remontant à partir de la plante des pieds, l’on mesure également 4 têtes : 2 jusqu’au haut du genou et 2 têtes supplémentaires jusqu’au « grand trochanter », c’est-à-dire l’articulation entre le fémur et l’os iliaque du bassin.

Ces deux fois quatre têtes s’emboîtent au milieu de notre corps d’une demie tête, ce qui donne, non pas huit, mais 7 ½ têtes au total. Ces tailles varient proportionnellement avec la taille du corps et toute disproportion provoque assez vite un sentiment de monstruosité.

Polyclète contre Lysippe

Dès le Ve siècle, le sculpteur grec Polyclète capta, dans son fameux « doryphore » (porteur de lance) du Musée national d’archéologie de Naples, ce magnifique canon anatomique, connu depuis comme le « canon de Polyclète ».

Il faut souligner qu’à l’époque de la Renaissance, certains nostalgiques de l’Empire romain préféraient un autre canon grec, celui de Lysippe (IVe siècle av. J.C.), codifié par la suite par l’architecte, auteur et ingénieur civil romain Vitruve (Ier siècle av. J.C.).

Vitruve n’a fait qu’exprimer le goût dominant de son époque. Les sculpteurs grecs, afin de donner une apparence athlétique et héroïque aux Empereurs dont ils dressaient les portraits, en adoptant le « canon de Lysippe », réduisaient souvent la tête de leur modèle à seulement 1/8e de la longueur totale du corps.

Ainsi, avec la réduction de la taille de la tête, celle du corps se retrouva proportionnellement augmentée permettant à la figure de gagner en proéminence musculaire, chose que les empereurs, pas forcément doté dès la naissance d’un physique à la hauteur de leur ambition, ne pouvaient qu’apprécier et favorisaient grandement leur popularité.

L’engouement pour cette astuce a même conduit certains artistes à imaginer des figures 12 à 15 fois la taille de leur tête. En bref, les relations publiques trônaient au détriment de la science et de la vérité.

Aujourd’hui les illustrateurs de bandes dessinées choisissent les proportions selon le rôle qu’ils veulent donner à leur sujet :
— pour une personne ordinaire : 7,5 ou « canon normal »
— pour une star de cinéma : 8 têtes ou « canon idéalisé »
— pour un modèle de mode : 8,5 têtes
— pour un héro du type superman : 9 têtes ou « canon héroïque »

L’Homme de Vitruve

L’Homme de Vitruve, dessin de Léonard de Vinci.

Autour du dessin, le texte suivant, en image miroir, traduction de Léonard d’un extrait du Livre III sur l’Architecture de Vitruve :
« Vitruve dit, dans son ouvrage sur l’architecture : la Nature a distribué les mesures du corps humain comme ceci :
Quatre doigts font une paume, et quatre paumes font un pied, six paumes font un coude : quatre coudes font la hauteur d’un homme. Et quatre coudes font un double pas, et vingt-quatre paumes font un homme ; et il a utilisé ces mesures dans ses constructions.
Si vous ouvrez les jambes de façon à abaisser votre hauteur d’un quatorzième, et si vous étendez vos bras de façon que le bout de vos doigts soit au niveau du sommet de votre tête, vous devez savoir que le centre de vos membres étendus sera au nombril, et que l’espace entre vos jambes sera un triangle équilatéral.
La longueur des bras étendus d’un homme est égale à sa hauteur.
Depuis la racine des cheveux jusqu’au bas du menton, il y a un dixième de la hauteur d’un homme. Depuis le bas du menton jusqu’au sommet de la tête, un huitième. Depuis le haut de la poitrine jusqu’au sommet de la tête, un sixième ; depuis le haut de la poitrine jusqu’à la racine de cheveux, un septième.
Depuis les tétons jusqu’au sommet de la tête, un quart de la hauteur de l’homme. La plus grande largeur des épaules est contenue dans le quart d’un homme. Depuis le coude jusqu’au bout de la main, un quart. Depuis le coude jusqu’à l’aisselle, un huitième.
La main complète est un dixième de l’homme. La naissance du membre viril est au milieu. Le pied est un septième de l’homme. Depuis la plante du pied jusqu’en dessous du genou, un quart de l’homme. Depuis sous le genou jusqu’au début des parties génitales, un quart de l’homme.
La distance du bas du menton au nez, et des racines des cheveux aux sourcils est la même, ainsi que l’oreille : un tiers du visage. »

Évidemment, le fait que Léonard, en le dessinant, ait étudié « l’Homme de Vitruve », ne signifie nullement qu’il s’agisse là des « proportions idéales ». Sans doute, en disséquant plusieurs cadavres de façon clandestine comme il fut obligé de le faire à l’époque, le maître s’est-il forgé sa propre idée sur la question.

Musclé

Il faut savoir qu’en Italie, le pur goût romain est redevenu tendance suite à la découverte en 1506 de la statue du Laocoon sur l’emplacement de la villa de Néron à Rome. On y redoublera le volume des masses musculaires prétendant travailler « à l’Antique ».

Bien qu’il n’ait jamais critiqué ouvertement ce courant, on a du mal à ne pas penser aux fresques de Michelange dans la Chapelle Sixtine, lorsque Léonard, cherchant à élever l’esprit à des hauteurs philosophiques inégalées, conseille aux peintres : « ne donne pas à tous les muscles des figures un volume exagéré » et « si tu agis différemment c’est davantage à la représentation d’un sac de noix que tu seras parvenu qu’à celle d’une figure humaine » (Codex Madrid II, 128r).

Dessin de l’architecte Giacomo Andrea, un ami proche de Léonard de Vinci qui s’était penché sur l’œuvre de l’architecte et ingénieur romain Vitruve.

Sans doute inspiré par son ami, l’architecte Giacomo Andréa, dans « l’Homme de Vitruve », Léonard s’intéresse avant tout à d’autres harmonies : si une personne étend ses bras en direction parallèle au sol, l’on obtient la même longueur que toute sa taille.

Egalité que Léonard inscrit dans un carré (symbole du domaine terrestre). Si l’on étire ses bras et ses jambes en étoile, ils s’inscrivent dans un cercle dont le centre est le nombril. Or, l’emplacement de ce dernier divise le corps selon le nombre d’or (dans cet exemple 5 têtes sur un total de 8 têtes, 5+3 faisant partie de la série de Fibonnacci : 1+2 = 3 ; 3+2 = 5 ; 5+3 = 8 ; 8+5 = 13 ; 13+8 = 21, etc.).

Proportion d’or

Léonard avait compris ce que signifie réellement la proportion d’or : non pas un « nombre magique » en lui-même, ni une fantaisie numérologique, mais l’expression et le reflet, dans le visible, d’une dynamique de moindre action qui caractérise aussi bien le principe du vivant que celui du travail humain, c’est-à-dire le principe même qui unit l’homme (le carré) au Créateur et à l’univers (le cercle).

Alors, si vous y jetez un œil, faites attention ! Car, il y a ce que vous voyez, et ce que vous vous interdisez de voir !

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Jan Papy: Erasme, le grec et la Renaissance des sciences

Entretien de Karel Vereycken, en aout 2019, avec Jan Papy, professeur de littérature latine de la Renaissance à l’Université de Leuven (KUL), Belgique.

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Le « rêve d’Erasme », le Collège des Trois Langues de Louvain

REVUE DE LIVRE :

Le Collège des Trois Langues de Louvain (1517-1797)

Erasme, les pratiques pédagogiques humanistes et le nouvel institut des langues.

Sous la direction de Jan Papy, avec les contributions de Gert Gielis, Pierre Swiggers, Xander Feys & Dirk Sacré, Raf Van Rooy & Toon Van Hal, Pierre Van Hecke.

Edition Peeters, Louvain 2018.
230 pages, 60 €.

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En Belgique, il y a un an, dans la vieille ville universitaire de Louvain, et ensuite à Arlon, une exposition très intéressante a échappé à notre attention.

Réunissant des documents historiques, gravures et manuscrits de la bibliothèque universitaire ainsi que de nombreuses pièces de l’étranger, du 19 octobre 2017 au 18 janvier 2018, l’évènement a voulu, à l’occasion du 500e anniversaire de sa fondation, retracer l’origine et mettre à honneur l’activité du fameux « Collège Trilingue » érigé en 1517 grâce aux efforts du grand humaniste chrétien Erasme de Rotterdam (1467-1536).

Quand on parle de civilisation européenne, c’est bien cette institution, bien que peu connue et de taille modeste, qui en fut l’un des artisans majeurs.

Car tout comme Guillaume le Taciturne (1533-1584), l’organisateur de la révolte des Pays-Bas contre la tyrannie habsbourgeoise, les visionnaires More, Rabelais, Cervantès et Shakespeare s’inspireront de son combat exemplaire, de sa verve et de son grand projet pédagogique.

Vitrail récent représentant Jérôme de Busleyden devant sa résidence à Mechelen. C’est là qu’il introduisit Erasme auprès de Thomas More.

L’occasion pour les Editions Peeters de Louvain de consacrer à cet anniversaire un beau catalogue et plusieurs recueils, publiés aussi bien en néerlandais, en français, qu’en anglais, réunissant les contributions de plusieurs spécialistes sous l’œil avisé (et passionné) de Jan Papy, professeur de littérature latine de la Renaissance à l’Université de la ville, appuyé d’une « équipe trilingue louvainiste » qui n’a pas épargné ses efforts pour relire attentivement toutes les publications ayant trait au sujet et explorer des sources nouvelles dans diverses archives d’Europe.

L’histoire de cet établissement humaniste en est une non seulement d’une remarquable visée scientifique et pédagogique, mais aussi d’efforts obstinés, voire de combats courageux, couronnés d’un succès international sans précédent. Mettant à profit le legs de Jérôme de Busleyden (1470-1517), conseiller au Grand Conseil de Malines, décédé en août 1517, Érasme s’attela aussitôt à la création d’un collège où des savants de renommée internationale prodigueraient un enseignement public et gratuit du latin, du grec et de l’hébreu. Dans ce collège ‘trilingue’, étudiants-boursiers et professeurs vivaient ensemble.

peut-on lire sur la jaquette du catalogue de plus de 200 pages.

Pour les chercheurs, il ne s’agissait pas de retracer de façon exhaustive l’histoire de cette entreprise mais de répondre à la question :

Quelle fut la ‘recette magique’ qui a permis d’attirer aussi rapidement à Louvain entre trois et six cents étudiants venant de partout en Europe ?

Portrait d’Erasme de 1517 par son ami le peintre anversois Quinten Metsys.

En tout cas, la chose est inédite, car, à l’époque, rien que le fait d’enseigner et en plus gratuitement, le grec et l’hébreu —considéré par le Vatican comme hérétique— est déjà révolutionnaire. Et ceci, bien que, dès le XIVe siècle, initié par les humanistes italiens au contact des érudits grecs exilés en Italie, l’examen des sources grecques, hébraïques et latines et la comparaison rigoureuse des grands textes aussi bien des pères de l’Eglise que de l’Evangile, est la voie choisie par les humanistes pour libérer l’humanité de la chape de plomb aristotélicienne qui étouffe la Chrétienté et de faire renaître l’idéal, la beauté et le souffle de l’église primitive.

Pour Erasme, comme l’avait fait avant lui Lorenzo Valla (1403-1457), en promouvant ce qu’il appelle « la philosophie du Christ », il s’agit d’unir la chrétienté en mettant fin aux divisions internes résultant de la cupidité (les indulgences, la simonie, etc.) et des pratiques de superstition religieuse (culte des reliques) qui infectent l’Eglise de haut en bas, en particulier les ordres mendiants.

Pour y arriver, Erasme désire reprendre l’Evangile à sa source, c’est-à-dire comparer les textes d’origine en grec, en latin et en hébreux, souvent inconnus ou sinon entièrement pollués par plus de mille ans de copiages et de commentaires scolastiques.

Frères de la Vie Commune

Wessel Gansfort, détail d’un portrait posthume peint récemment par Jacqueline Kasemier.


Mes recherches propres me permettent de rappeler qu’Erasme est un disciple des Sœurs et Frères de la Vie commune de Deventer au Pays-Bas. Les figures fondatrices et emblématiques de cet ordre laïc et enseignant sont Geert Groote (1340-1384), Florent Radewijns (1350-1400) et Wessel Gansfort (1420-1489) dont on croit savoir qu’ils maitrisaient précisément ces trois langues.

Le piétisme de ce courant dit de la « Dévotion Moderne », centré sur l’intériorité, s’articule à merveille dans le petit livre de Thomas a Kempis (1380-1471), L’imitation de Jésus Christ. Celui-ci souligne l’exemple personnel à suivre de la passion du Christ tel que nous l’enseigne l’Evangile, message qu’Erasme reprendra.

Rudolphe Agricola.

En 1475, le père d’Erasme, qui maîtrise le grec et aurait écouté des humanistes réputés en Italie, envoie son fils de neuf ans au chapitre des frères de Deventer, à l’époque dirigé par Alexandre Hegius (1433-1498), élève du célèbre Rudolphe Agricola (1442-1485), qu’Erasme a eu la possibilité d’écouter et qu’il appelle un « intellect divin ».

Disciple du cardinal-philosophe Nicolas de Cues (1401-1464), défenseur enthousiaste de la renaissance italienne et des belles lettres, Agricola a comme habitude de secouer ses élèves en leur lançant :

Soyez méfiant à l’égard de tout ce que vous avez appris jusqu’à ce jour. Rejetez tout ! Partez du point de vue qu’il faut tout désapprendre, sauf ce que, sur la base de votre autorité propre, ou sur la base du décret d’auteurs supérieurs, vous avez été capable de vous réapproprier.

Erasme reprend cet élan et, avec la fondation du Collège Trilingue, le portera à des hauteurs inédites. Pour ce faire, Erasme et ses amis appliqueront une nouvelle pédagogie.

Désormais, au lieu d’apprendre par cœur des commentaires médiévaux, les élèves doivent formuler leur propre jugement en s’inspirant des grands penseurs de l’antiquité classique, notamment « Saint Socrate », et ceci dans un latin purgé de ses barbarismes. Dans cette approche, lire un grand texte dans sa langue originale n’est que la base.

Vient ensuite tout un travail exploratoire : il faut connaître l’histoire et les motivations de l’auteur, son époque, l’histoire des lois de son pays, l’état de la science et du droit, la géographie, la cosmographie, comme des instruments indispensables pour situer les textes dans leur contexte littéraire et historique.

L’art et la science au peuple. Le début du XVIe siècle a connu un engouement pour les sciences.

Cette approche « moderne » (questionnement, étude critique des sources, etc.) du Collège Trilingue, après avoir fait ses preuves en clarifiant le message de l’Evangile, se répand alors rapidement à travers toute l’Europe et surtout s’étend à toutes les matières, notamment scientifiques !

En sortant les jeunes talents du monde étroit et endormi des certitudes scolastiques, l’institution devient un formidable incubateur d’esprits créateurs.

Certes, cela peut étonner le lecteur français pour qui Erasme n’est qu’un littéraire comique qui se serait perdu dans une dispute théologique sans fin contre Luther. Si l’on admet généralement que sous Charles Quint, les Pays-Bas et l’actuelle Belgique ont apporté leurs contributions à la science, peu nombreux sont ceux qui comprennent le lien unissant Erasme avec la démarche d’un mathématicien tel que Gemma Frisius, d’un cartographe comme Gérard Mercator, d’un anatomiste comme André Vésale ou d’un botaniste comme Rembert Dodoens.

Or, comme l’avait déjà documenté en 2011 le professeur Jan Papy dans un article remarquable, en Belgique et aux Pays-Bas, la Renaissance scientifique de la première moitié du XVIe siècle, n’a été possible que grâce à la « révolution linguistique » provoquée par le Collège Trilingue.

Car, au-delà de leurs langues vernaculaires, c’est-à-dire le français et le néerlandais, des centaines de jeunes, étudiant le grec, le latin et l’hébreu, accèderont d’un coup, à toutes les richesses scientifiques de la philosophie grecque, des meilleurs auteurs latins, grecs et hébreux. Enfin, ils purent lire Platon dans le texte, mais aussi Anaxagore, Héraclite, Thalès, Eudoxe de Cnide, Pythagore, Ératosthène, Archimède, Galien, Vitruve, Pline, Euclide et Ptolémée dont ils reprennent les travaux pour les dépasser ensuite.

Vestiges de l’ancienne muraille de Louvain. Au premier plan, la tour Jansénius, au deuxième, la tour Juste Lipse.


Comme le retracent en détail les œuvres publiées par les Editions Peeters, dans le premier siècle de son existence, le collège dut traverser des moments difficiles à une époque fortement marquée par des troubles politiques et religieux.

Le Collège Trilingue, près du Marché aux poissons, au centre de Louvain, a notamment dû affronter de nombreuses critiques et attaques de la part d’adversaires « traditionalistes », en particulier certains théologiens pour qui, en gros, les Grecs n’étaient que des schismatiques et les Juifs les assassins du Christ et des ésotériques. L’opposition fut telle qu’en 1521, Erasme quitte Louvain pour Bâle en Suisse, sans perdre contact avec l’institution.

En dépit de cela, la démarche érasmienne a d’emblée conquis toute l’Europe et tout ce qui comptait alors parmi les humanistes sortait de cette institution. De l’étranger, des centaines d’étudiants y accouraient pour suivre gratuitement les cours donnés par des professeurs de réputation internationale. 27 universités européennes ont nommé dans leur corps professoral d’anciens étudiants du Trilingue : Iéna, Wittenberg, Cologne, Douai, Bologne, Avignon, Franeker, Ingolstadt, Marburg, etc.

Le Wentelsteen, l’escalier du Collège Trilingue. Crédit : Karel Vereycken


Comme à Deventer chez les Frères de la Vie Commune, un système de bourses permet à des élèves pauvres mais talentueux, notamment les orphelins, d’accéder aux études. « Une chose pas forcément inhabituelle à l’époque, précise Jan Papy, et entreprise pour le salut de l’âme du fondateur (du Collège, c’est-à-dire Jérôme Busleyden) ».

En contemplant les marches usées jusqu’à la corde de l’escalier tournant en pierre (Wentelsteen), l’un des rares vestiges du bâtiment d’alors qui a résisté à l’assaut du temps et du mépris, on imagine facilement les pas enthousiastes de tous ses jeunes élèves quittant leur dortoir situé à l’étage. Comme l’indiquent les registres des achats de la cuisine du Collège Trilingue, pour l’époque, la nourriture y est excellente, beaucoup de viande, de la volaille, mais également des fruits, des légumes, et parfois du vin de Beaune, notamment lorsque Erasme y est reçu.

Avec le temps, la qualité de son enseignement a forcément variée avec celle de ses enseignants, le Collège Trilingue, dont l’activité a perduré pendant longtemps après la mort d’Erasme, a imprimé sa marque sur l’histoire en engendrant ce qu’on qualifie parfois de « petite Renaissance » du XVIe siècle.

Erasme, Rabelais et la Sorbonne

Quitte à nous éloigner du contenu du catalogue, nous nous permettons d’examiner brièvement l’influence d’Erasme et du Collège Trilingue en France.

A Paris, chez les chiens de garde de la bienpensance, c’est la méfiance. La Sorbonne (franciscaine), alarmée par la publication d’Erasme sur le texte grec de L’Evangile de Saint Luc, fait interdire dès 1523 l’étude du grec en France. En Vendée, à Fontenay-le-Comte, les moines du couvent de Rabelais confisquent alors sans vergogne ses livres grecs ce qui incitera l’intéressé à déserter son ordre mais pas ses livres. Médecin, Rabelais traduit par la suite Galien du grec en français. Et, comme le démontre la lettre de Rabelais à Erasme, le premier tient le second en haute estime.

L’Abbaye de Thélème, gravure au burin, d’après la description donnée par Rabelais dans Gargantua, son conte philosophique.

Dans son Gargantua (1534), esquissant les contours d’une Eglise du futur, Rabelais évoque le Collège Trilingue sous le nom d’abbaye de Thélème (Thélème = désir en grec, peut-être une référence à Désiré, prénom d’Erasme), un magnifique bâtiment hexagonal à six étages, digne des plus beaux châteaux de la Loire où l’on puisse retrouver, « les belles grandes librairies, en Grec, Latin, Hébrieu, François, Tuscan et Hespaignol, disparties par les divers estaiges selon langaiges », référence on ne peut plus claire au projet érasmien.

Marguerite de Valois, reine de Navarre. Soeur de François Ier, femme de lettres, poétesse, lectrice d’Erasme et protectrice de Rabelais.

Contre la Sorbonne, en 1530, le Collège Trilingue d’Erasme servira explicitement de modèle pour la création, à l’instigation de Guillaume Budé (ami d’Erasme), du « Collège des lecteurs royaux » (devenu depuis le Collège de France) par François Ier, avec les encouragements de sa sœur Marguerite de Valois reine de Navarre (1492-1549) (grand-mère d’Henri IV), poétesse, femme de lettres et lectrice d’Erasme.

Dans le même élan, en 1539, Robert Estienne est nommé imprimeur du roi pour le latin et l’hébreu, et c’est à sa demande que François Ier fit graver par Claude Garamont une police complète de caractères grecs dits « Grecs du Roi ».

Pour les mettre à l’abri des foudres des sorbonagres et des sorbonicoles, François Ier déclare alors les lecteurs royaux conseillers du roi. A l’ouverture, il s’agit de chaires de lecture publique pour le grec, l’hébreu et les mathématiques mais d’autres chaires suivront dont le latin, l’arabe, le syriaque, la médecine, la botanique et la philosophie. Aujourd’hui, il aurait sans doute ajouté le chinois et le russe.

Ce qui n’empêche pas qu’à peine un an après sa publication, en 1532, Pantagruel, le conte philosophique de Rabelais déchaîne les foudres de la Sorbonne. Accusé d’obscénité, en sus d’apostasie, Rabelais s’en tire de justesse grâce à l’un de ses anciens condisciples, Jean du Bellay (1498-1560), diplomate et évêque de Paris, qui l’emmène à Rome à titre de médecin.

A son retour, les esprits calmés, la bienveillance de François Ier et de Marguerite de Navarre, lui permettent de retrouver son poste à l’Hôtel-Dieu de Lyon.

Si certains historiens de l’Eglise estiment qu’Erasme, à Louvain en particulier, a exagéré et parfois même suscité des réactions hostiles de la part de certains théologiens à son encontre, rappelons tout de même que lors du Concile de Trente (1545-1563), l’œuvre complète d’Erasme, taxée d’hérésie, fut interdite de lecture pour les catholiques et mise à l’Index Vaticanus en 1559 où elle restera jusqu’en 1900 !

Si Thomas More, en qui Erasme voyait son « frère jumeau », a été béatifié en 1886 par le pape Léon XIII, canonisé par Pie XI en 1935 et fait saint patron des responsables de gouvernement et des hommes politiques par Jean-Paul II en l’an 2000, pour Erasme, il va falloir attendre.

Interrogé en 2015 au sujet d’un geste éventuel de réhabilitation en faveur d’un chrétien qui a tant fait pour défendre le christianisme, sa Sainteté le pape François, dans sa réponse écrite, a vivement remercié l’auteur pour ses réflexions.

Reconstruisons le Collège Trilingue !

Reconstitution sous forme d’image numérique, sur la base de documents historiques, du Collège Trilingue de Louvain. Crédit : Visualisations Timothy De Paepe

Ce qui reste du Collège Trilingue aujourd’hui : au fond d’une cour, entourée de bâtiments plus récents et sans intérêt, une petite porte donnant sur la salle d’escalier et une façade refaite au début du XVIIe siècle.

Dans le catalogue de l’exposition, le professeur Jan Papy retrace également le destin qu’ont connu les bâtiments qui abritaient jadis le Collège Trilingue.

Il mentionne notamment la tentative d’un des recteurs de l’Université Catholique de Louvain, de récupérer l’édifice en 1909, un projet qui échoua malheureusement à cause de la Première Guerre mondiale.

Le bâtiment est ensuite transformé en dépôt et en logements sociaux. « Dans la chapelle du Collège Trilingue, on fume alors le hareng et la salle de cours sert d’usine à glace… »

Aujourd’hui, à part l’escalier, rien n’évoque la splendeur historique de cette institution, ce qui fut forcément ressentie lors des commémorations de 2017.

Jan Papy regrette, bien que l’Université ait célébré les 500 ans avec « tout le faste académique requis », que l’ « on ne peut cependant s’empêcher d’éprouver des sentiments équivoques à la pensée que cette même Université n’a toujours pas pris à cœur le sort de cet institut qu’Erasme avait appelé de ses vœux et pour lequel il avait tant œuvré ».

Les restes du bâtiment, certes, dans leur état actuel, n’ont pas grande « valeur », du point de vue « objectif ». Ce n’est qu’en fonction de l’attention subjective que nous leur attribuons, qu’elles ont une valeur inestimable et précieuse comme témoignage ultime d’une partie de notre propre histoire.

Passage actuel (Busleydengang), à partir du Marché à poissons, vers le Collège Trilingue au centre de Louvain.

A cela s’ajoute que reconstruire le bâtiment, dont il ne reste pas grand-chose, coûterait à peine quelque petits millions d’euros, c’est-à-dire pas grand-chose à l’aube des milliards d’euros que brassent nos banques centrales et nos marchés financiers. Des mécènes privés pourraient également s’y intéresser.

Demain ? Reconstitution du portail d’origine donnant sur Collègue Trilingue à partir du marché à poissons. Crédit : Visualisations Timothy De Paepe

De notre point de vue, la reconstruction effective du Collège Trilingue dans sa forme originale, qui constitue en réalité une partie du cœur urbanistique de la ville de Louvain, serait une initiative souhaitable et incontestablement « un énorme plus » sur la carte de visite de la ville, de son Université, des Flandres, de la Belgique et de toute l’Europe. N’est-il pas un fait regrettable, alors que tous les jeunes connaissent les bourses Erasmus, que la plupart des gens ignorent les idées, l’œuvre et le rôle qu’a pu jouer un si grand humaniste ?

Des images en trois dimensions, réalisées dans la cadre de l’exposition sur la base des données historiques, permettent de visualiser un bel édifice, du même type que ceux construit par l’architecte Rombout II Keldermans à l’époque (Note), apte à remplir des missions multiples.

Crédit : Visualisations Timothy De Paepe

Enfin, chaque époque est en droit de « ré-écrire » l’histoire en fonction de sa vision de l’avenir sans pour autant la falsifier. Rappelons également, bien qu’on tende à l’oublier, que la Maison de Rubens (Rubenshuis) à Anvers, un Musée qui attire des milliers de visiteurs chaque année, n’est pas du tout le bâtiment d’origine ! Comme le reconnaît le site du Musée actuel :

La maison de Rubens reste sans doute inchangée jusqu’au milieu du 18e siècle, après quoi elle est entièrement transformée. Les façades sur la rue sont démolies et reconstruites selon le goût de l’époque. La demeure du XVIe siècle est aussi en grande partie remplacée par une bâtisse neuve. Le bâtiment est confisqué par les Français en 1798 et devient une prison pour les religieux condamnés au bannissement. La maison est rachetée par un particulier après l’époque napoléonienne. L’idée de faire de la maison un monument naît dans le courant du XIXe siècle. La Ville d’Anvers en fait l’acquisition en 1937. Les années suivantes seront mises à profit pour rendre autant que possible à la demeure son aspect à l’époque de Rubens. Le musée Maison Rubens ouvre ses portes en 1946. C’est la maison que vous visitez aujourd’hui.

L’annonce officielle d’une reconstruction du bâtiment pourrait éventuellement se faire le 18 octobre 2020, date anniversaire du jour où le Collège Trilingue ouvrait ses portes. Moi j’y serais !


Note: On pense à la Cour de Busleyden et le Palais de Marguerite d’Autriche à Malines ou à la Cour des marquis (Markiezenhof) de Bergen-op-Zoom

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The old geezer

The old geezer, Karel Vereycken, eau-forte sur zinc, 8e état.

 

The old geezer, Karel Vereycken, eau-forte sur zinc, 7e état.

 

 

6e état.

 

5e état, mars 2018.

 

3e état, mars 2018.

old geezer

Deuxième état.

Premier état

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Eduardo Greaves: l’avenir du nucléaire passe par le thorium

Interview par Karel Vereycken du Professeur Eduardo GREAVES, spécialiste en physique nucléaire à l’Université Simon Bolivar de Caracac au Vénézuéla. La discussion porte sur les enjeux pour l’humanité du développement des réacteurs nucléaires de 4e génération utilisant le thorium et pouvant substituer les combustibles solides actuels par des combustibles liquides bien plus sûrs et plus performants.

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Portrait de Louis Pasteur

Portrait de Louis Pasteur
Louis Pasteur, Karel Vereycken, huile sur toile, juin 1986
L’auteur à la conférence Pasteur de 1986 à Paris.
Présentation de l’œuvre, lors de la conférence internationale en honneur de Louis Pasteur,organisée par la Fondation pour l’Energie de Fusion (FEF) à Paris en 1986.
couverture du livre de la FEF
Livre publié par la Fondation pour l’Energie de Fusion (FEF) en 1986.
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