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Les racines symbolistes des « Killer Games »

Par Karel Vereycken, décembre 2007.

Le nombre croissant de massacres commis par des adolescents et jeunes adultes « happés » par les univers persistant véhiculés par des jeux vidéo et les killer games dont la violence et la perversion ne cessent de croître nous porte à regarder de plus prêt les origines de cette cyberculture.

La plus grande tromperie des Killer Games c’est précisément qu’ils font croire aux joueurs et aux parents des joueurs, qu’il ne s’agit que d’un simple jeu. Une fois établi ce « fait », notre cerveau tend à renoncer à toute enquête sérieuse sur le sens explicite ou non, et encore moins des « valeurs », véhiculées par le jeu. Beaucoup d’adeptes des jeux, y compris les plus violents, nous ont confiés qu’en réalité, il ne s’intéressaient qu’à « l’environnement graphique » de leur jouet.

Si nous sommes loin d’avoir tous les éléments en main, voici quelques pistes intéressantes pour mieux comprendre la genèse des images qui finissent par créer une telle fascination dans les esprits qu’on estime que le nombre cyberdrogués a dépassé les 10 000 en France.

Les racines symbolistes

Derrière la pseudo dérision de cette « culture de la mort », tout enquêteur honnête, ayant une connaissance rudimentaire de l’histoire de l’art, reconnaît sans grande peine un remake du courant culturel qui ruina la fin du XIXe siècle : ce symbolisme dont la démarche se résumait souvent au culte de la mort et du plaisir, incarné par l’image de la femme fatale, l’évasion dans l’érotisme ou l’exaltation de l’ailleurs onirique et oriental.

Ce motif symboliste du couple eros (sexe) et thanatos (mort) provient directement des doctrines ésotériques et anti-chrétiennes n’excluant pas les sacrifices humains. Si Mme Blavatsky et ses théosophes prônaient la mise à mort du judéo-christianisme en faveur des vertus « femelles » de religions anti-prométhéennes, la montée du fascisme nécessitait la valorisation de symboles hautement plus virils et plus guerriers.

Aujourd’hui, l’on reconnaît volontiers l’influence de la Théosophie sur un des pères fondateurs de l’abstrait lyrique, le peintre russe Wassily Kandinsky ou le cubiste hollandais Piet Mondrian.

Si l’on admet aussi sans problème l’influence des Rose-croix sur le cercle post-impressionniste des « Nabis » (Paul Sérusier, Pierre Bonnard, Maurice Denis et même Aristide Maillol) et autres précurseurs de l’art moderne, l’influence du symbolisme sur l’art réaliste fantastique digital reste largement ignoré.

De la science-fiction au Killer games en passant par les films d’horreurs

Avant l’apparition du business des jeux électroniques, tout cette imagination saugrenue se donnait rendez-vous dans la littérature de science-fiction et les films d’horreur avec des résultats parfois tout aussi dévastateur.

Rappelons que le 3 juin 2002, en Loire Atlantique, un adolescent de 17 ans portant le masque du tueur anonyme du film d’horreur de Wes Craven Scream de 1996 a massacré une jeune fille de 15 ans.

Le masque du film reprend en détail la tête peinte par le peintre symboliste norvégien Edvard Munch dans son œuvre Le cri de 1893. Un texte du journal de Munch à l’époque décrit la genèse de l’œuvre :

Au-delà de l’anecdote, constatons que Munch n’était pas une victime innocente. Affirmant que «  l’ironie est la politesse du désespoir  », il nous montre dans sa lithographie Madone de 1902, la puissance séductrice de la femme fatale entourée d’une frise où courent en vain de frétillants spermatozoïdes tandis que dans le coin gauche un avorton lève un regard suppliant vers sa déesse, variation du motif d’eros/thanatos.

Kill Bill

Ce motif fait toujours recette. Pour rester dans le domaine cinématographique, il est à noter que le rôle attribué à Uma Thurman dans le film de Quentin Tarantino Kill Bill sorti en 2003 est également construit sur un scénario permettant de faire passer ces valeurs du symbolisme fascisant.

Dans ce film, des assassins surgissent et tirent impitoyablement et sans raison sur toutes les personnes présentes lors de la répétition d’une cérémonie de mariage à El Paso au Texas. La mariée (Uma Thurman), qui est enceinte lors de la tuerie survit.

Ancienne tueuse à gages, elle se fixe comme seul but de se venger en tuant ses anciens complices y compris le père de son enfant. Résultat : un film « d’actions » (arts martiaux à gogo) où se mélange le sang des méchants à la beauté de l’actrice grâce à des mises à mort à coups de sabre.

La vengeance est une valeur moderne et la formule eut un tel résultat commercial que Kill Bill 2 et Kill Bill 3 furent rapidement commercialisés.

Jacek Malszewski, Thanatos I, 1898.

Si le symboliste français Gustave Moreau (précepteur de Matisse) habillait sa fascination pour la mort de mystères plus énigmatiques, comme dans son œuvre Jupiter et Sémélé, ce thème de la femme fatale fut largement développé par des artistes symbolistes, tel que le munichois Franz von Stück (Le péché, 1893 ; Le baiser du sphinx, 1895) ou le belge Ferdinand Khnopf (Le sphinx,1896).

Mais c’est sans doute le peintre polonais Jacek Malszewski, qui nous rapproche peut-être le plus du style en vogue dans l’art digital aujourd’hui.

Dans son Thanatos I de 1898, la mort ailée (une jeune femme) affûte sa faux. Le vieil homme qui demeure dans le manoir visible sur l’arrière plan accourt au bruit.

Enthousiasmé, il va vers une mort certaine.

Heavenly Sword

Regardons maintenant le scénario de Heavenly Sword, un jeu vidéo d’action, développé par Ninja Theory et édité par Sony pour sa PlayStation 3, lancé en septembre 2007 et affichant des profits fulgurants 941 % en un an.

Le joueur s’y identifie avec Nariko, une jolie femme à la longue crinière rouge qui part elle aussi en quête de vengeance contre un roi et son armée pour avoir malmené son clan.

Equipée d’une énorme épée divine, « une lame aussi puissante que divine », Nariko n’a que quelques heures pour accomplir sa tâche.

Car l’arme, forgé il y a des siècles, fut conçue pour un dieu. Mais, n’étant qu’humaine, l’énergie vitale de Nariko est aspirée par l’épée, l’affaiblissant à chaque coup porté.

Une fois de plus, la valeur centrale est la vengeance et le besoin de faire couler le sang à temps avant que s’impose le destin fatal de sa propre mort. La psychologie du terroriste kamikaze, celui de tuer un maximum avant de périr, est omniprésente.

La figure apparaît comme un mélange entre Lara Croft de Tomb Raider, Uma Thurman dans Kill Bill, arrosé de scènes ennuyeuses et banales de Kung Fu. La ressemblance entre les cheveux rouges de Nariki et les fleuves de sang rouge visent à esthétiser la violence.

L’artiste digital à l’origine de cette imagerie maladive est le jeune génois Alessandri Taini qui signe Talexi. Il semble, selon ses productions et sa page MySpace, un fervent admirateur de l’écrivain pervers italien et femme fatale Isabella Santacroce qui exhibe sa fesse droite sur sa page MySpace.

On ne connaît rien de cette personne, à part son association avec les Giovani Cannibali (jeunes cannibales), un mouvement littéraire des années 90 qui donna naissance en Italie à un mouvement philosophique et littéraire, le Nevroromanticismo, qui vise à exprimer le désarroi de l’existence.

Son œuvre se concentre sur l’amour dans tous ses états, y compris celui qui conduit inexorablement à la mort. Dans un livre, elle affirme que la famille n’est qu’un « carnaval horrible » qui ne mérite que la mort. Une série d’œuvres « personnelles » de Talexi, Dark Demonia et Frost Flower, inspiré par des écrits névroromantiques de Santacroce, ne montrent que désolation, bains de sang et avortons métastasés.

Le triangle d’or

Le triangle d’or : de gauche à droite, Dali, Fuchs et le sculpteur personnel d’Hitler Arno Breker.

La figure clef qui forme un pont reliant les symbolistes du début du siècle, l’art nazi, le modernisme et le réalisme fantastique qui domine l’environnement graphique des jeux vidéo d’aujourd’hui est le peintre mystique Ernst Fuchs.

Ernst Fuchs, Dédale et la nymphe, 1978.

Né en 1930, cette « artiste visionnaire » est aussi graphiste, graveur, architecte, concepteur de décors, poète et compositeur. Il fut un des fondateurs, avec d’autres élèves de Albert Paris Gütersloh, de l’école viennoise du réalisme fantastique inspiré par le symboliste Gustav Klimt et autres symbolistes.

Fuchs est le dernier survivant de ce qu’on a appelé « le triangle d’or », c’est-à-dire les trois artistes dont l’œuvre domine le siècle présent : Salvador Dali, Arno Breker et Ernst Fuchs. En réalité, ce triangle d’or n’est rien d’autre que l’extension du « cercle intime » d’Adolf Hitler.

Etudiant les techniques classiques des grands maîtres, Fuchs fut adopté après la guerre par le sculpteur personnel d’Adolf Hitler, Arno Breker.

Dans son Journal (1942/1945) qui couvre la période d’occupation, Jean Cocteau se laisse dire en juin 42 par Arno Breker, parlant de Hitler : « Vous n’aurez jamais en face de vous un homme aussi sensible ».

Arno Breker, ancien élève du symboliste proche des « Nabis », Maillol, est le sculpteur fétiche du régime nazi et le confident artistique de Hitler.

Bien que cubiste en 1922, Breker fut l’auteur des statues hyperréalistes représentant la race supérieure germanique pour le stade de Berlin lors des jeux olympiques en 1936. On lui doit des statues monumentales représentant à merveille la boursouflure et le goût de vespasienne des dignitaires nazis.

Breker, intime d’Hitler et de Albert Speer, était la coqueluche des élites parisiennes dans l’entre deux guerres et fut aussi, à part son amitié avec Jean Cocteau, l’ami de Salvador Dali et plus tard le protecteur d’Ernst Fuchs.

Fuchs déclarait lors des funérailles de Breker en 1991 que « Breker était un vrai prophète du beau dans l’art » et Breker affirmait que Fuchs s’était

Aujourd’hui, Fuchs est la référence principale pour tous ceux engagés dans le réalisme fantastique qui domine « l’art digital ».

En Angleterre, la peintre Brigid Marlin a fondé en 1961 The Society for Art of Imagination, dont Fuchs et son adepte, le peintre suisse Hans Ruedi Giger, sont des membres honoraires.

H.R. Giger s’est fait connaître au grand public pour avoir obtenu l’oscar des meilleurs effets spéciaux sur le film culte de SF et d’horreur de Ridley Scott en 1980 Alien, le huitième passager.

Avec 80 millions de dollars de recette aux Etats-Unis (pour un budget de 11 millions seulement), 3 millions d’entrées en France, oscar des meilleurs effets spéciaux en 1980… Alien, le huitième passager connut un succès considérable.

Comme nous avons commencé à le documenter ici, en bâtissant sur l’héritage de Breker, Fuchs et Giger, l’industrie du jeu vidéo s’est érigée sur l’imaginaire malade qui a échoué à imposer le fascisme il y a trois générations et travaille durement pour sa victoire aujourd’hui, notamment à travers l’Ordre d’Alexandre le Grand.

“Le festin d’Alexandre le Grand”, peinture délirante de Pierre Peyrolle (France), 1990. Sur la droite du tableau sont représentés les “artistes du Triangle d’or” : Arno Breker, Salvador Dalí et Ernst Fuchs. Sur sa gauche (au centre): Roger Peyrefitte (grand-maître de l’ordre d’Alexandre pour le Mérite scientifique et artistique) ainsi que les chevaliers Alexandre de Villiers (à l’extrême gauche) et J. F. Bodenstein. L’arrière-plan représente le plafond du Panthéon de Rome.
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A propos du film « Bruegel, le moulin et la croix »


Film de Lech Majewski, avec Rutger Hauer, Charlotte Rampling et Michael York. Sorti en France le 28 décembre, sortira en Belgique le 29 février 2012.


L’énorme tableau (1,7 m sur 1,24 m) ou, pourrait-on dire, miniature géante (500 personnages), sur lequel s’appuie ce film, appelé Le Portement de Croix, a été exécuté en 1564 par Pierre Bruegel l’ancien au moment où l’Empire espagnol, sous prétexte de combattre les hérétiques, impose une austérité sanguinaire à une Flandre peuplée et prospère.

En réalité, en 1557, l’Empire des Habsbourg et ses banquiers, les Fugger d’Augsbourg, sont en faillite et l’Espagne subit un défaut souverain. En dépit de tout l’or tiré d’Amérique du sud et de l’envoi du Duc d’Albe, elle le sera de nouveau en 1560, 1575 et 1596.

Ambitieux, le film permet enfin à un public non initié d’apprécier Bruegel dans sa véritable dimension, celle d’un peintre engagé et politique fréquentant à Anvers la Schola Caritatis (Huis van Liefde), un cercle d’humanistes érasmien autour de Hendrick Niclaes, de l’imprimeur tourangeau Christophe Plantin ou encore des grands cartographes Ortelius et Mercator.

Pierre Bruegel l’Aîné, Le portement de croix, 1564, Kunsthistorisches Museum, Vienne.

Acte de résistance, le tableau met en scène les Rhoode rox, des gendarmes mercenaires espagnols en tunique rouge, véritables SS au service de l’occupation espagnole. Et paradoxalement, c’est bien au nom de la défense de la « vraie religion » qu’ils conduisent le Christ vers le Golgotha pour sa mise à mort.

En 1999, lors d’un entretien, le critique d’art et fin connaisseur de Bruegel Michael Francis Gibson, co-auteur du script du film avec le peintre symboliste, photographe et réalisateur américano-polonais Lech Majewski, m’avait confié que pour Bruegel, « le monde est vaste », car il englobe « tout ce qui existe de la petite enfance jusqu’à la vieillesse ; du jeu de l’enfant jusqu’aux plus abominables tortures. Il y a une juxtaposition des deux. C’est pour ça que je suis tellement frappé par ce groupe qui s’avance vers le Golgotha dans le tableau Le portement de croix. On y voit un grand garçon qui chipe le bonnet d’un petit enfant qui tente de le reprendre. Et juste à côté, on prépare la mise à mort des malheureux qui vont monter vers le Golgotha. »

Le film, en faisant appel à cette même méthode de composition fondée sur la mise en valeur des oppositions, donne magnifiquement vie à une douzaine de personnages du tableau. Ajoutez à cela des effets spéciaux d’une grande qualité esthétique, et c’est la philosophie même du peintre qui nous est rendue accessible.

Le problème du symbolisme

Cependant, on est en droit de s’interroger sur certaines interprétations symbolistes du producteur qui finissent par empoisonner ce qui autrement aurait pu être un film encore plus grandiose. Reprenons l’interprétation de certains éléments du tableau.

Une polarité formée par deux éléments qui ne font qu’un : l’énorme rocher à l’arrière-plan sur lequel triomphe un moulin, et un colporteur assis au premier plan, tournant le dos au spectateur (Détail du tableau Le Portement de Croix).

S’il est certain que le spectateur doit vraiment chercher la figure du Christ – pourtant au centre de l’œuvre, à la croisée des diagonales – ce qui frappe avant tout, et il s’agit là d’une des clés majeures pour la compréhension de l’œuvre, c’est la polarité formée par deux éléments qui ne font qu’un : l’énorme rocher à l’arrière-plan sur lequel triomphe un moulin, et un colporteur assis au premier plan, tournant le dos au spectateur.

C’est surtout dans l’œuvre de Joachim Patinir (1480-1524), un peintre évoluant dans le cercle des amis d’Erasme à Anvers, qu’on retrouve d’énormes rochers dressés comme des menhirs et les attributs des colporteurs.

Le professeur Eric De Bruyne [1] a démontré de façon très convaincante que le colporteur, notamment celui qu’on admire sur les volets fermés du Char de foin de Jérôme Bosch, porte un concept hautement philosophique forgé par saint Augustin et remis à l’ordre du jour par les Frères de la vie commune : celui de l’âme humaine qui, pour se détacher des biens terrestres, par un effort de volonté personnel, s’efforce de pérégriner (se détacher) sans cesse. A contrario, l’attachement aux biens de ce monde était considéré, non sans raison, comme ce qui conduisait fatalement l’homme au péché et donc à sa perte.

A cela s’ajoute le fait que Patinir, avec bien d’autres, fera fleurir ad infinitum la métaphore du rocher, métaphore de « la juste voie » sur laquelle chaque croyant, par choix personnel, doit s’engager. Ce choix, souvent difficile, il le représente par un sentier de montagne. Ainsi, chez bien des peintres, c’est par simple déclinaison iconographique que le rocher devient symbole de vertu. [2]

Or, le film suggère que le colporteur, détaché de sa relation avec le rocher-moulin, n’est qu’une simple référence au protestantisme. Ensuite, le narrateur affirme d’une façon assez sommaire que Bruegel a substitué l’image traditionnelle d’un Dieu au ciel par un être humain, en l’occurrence le meunier. Sur ce dernier point, rien n’est faux dans les faits. Reste alors à se mettre d’accord sur l’intention que Bruegel voulait exprimer par une telle métamorphose. A partir de la Renaissance, apprend-on à l’école, l’homme a pris la place de Dieu… Exit toute transcendance ? Ou s’agit-il d’une espèce de « grand architecte » en charge des vastes rotations cosmiques de l’univers que rien ne puisse arrêter, comme le suggère le film ?

Pour notre part, en tenant compte de la « philosophie du Christ » qui animait les érasmiens de l’époque et de la polarité colporteur/meunier que nous venons d’aborder, il nous semble que Bruegel affirme ici qu’une société qui, comme le faisait l’Empire espagnol à l’époque, porte aux cieux le meunier (à l’époque l’archétype de l’usurier, aujourd’hui on dirait la City et Wall Street), porte en elle la mort qu’elle inflige ici à ses sujets et au Christ en personne ! Pire encore, aveuglé par le moulin, le spectateur lui aussi, perd de vue le Christ.

Les proverbes flamands et néerlandais ne sont pas vraiment tendres pour le meunier. Vivant aux abords des villes et travaillant souvent de nuit, à part d’être accusés de pratiquer le droit de cuissage, les riches meuniers de l’époque sont estampillés de voleurs, escrocs, usuriers, fous, spéculateurs, affameurs du peuple, séducteurs et autres noms d’oiseaux.

Deux proverbes soulignent cette réputation : « Cent boulangers, cent meuniers, cent tailleurs : trois cents voleurs » et « tous les meuniers ne sont pas des voleurs ». Une chanson anversoise de 1544 met, elle, l’accent sur la débauche du meunier : « Sans vent, il pouvait moudre avec son moulin, (…) et deux fois plus vite avec la fille. » Dans la Farce du meunier de Bredero (1618), un meunier qui se réjouit à l’idée d’une relation extraconjugale, est si ivre qu’il ne se rend même pas compte qu’il fait, par inadvertance, l’amour avec sa propre femme !

Un article du Kroniek van de Kempen de 1982 estime que « du meunier, on attendait l’honnêteté absolue.

Pieter Bruegel l’ancien, détail de la Gula (la gloutonnerie, 1557), un dessin de la série des sept péchés capitaux.

Cependant, il portait souvent le nom d’escroc et voleur de blé. Il était notamment dans la position où il pouvait escroquer les paysans et le raisonnement était que l’occasion faisait le voleur. Dans les vieilles chansons, poèmes et farces, le meunier apparaît souvent comme un séducteur, un briseur de couples et un escroc. »

Bruegel lui-même, dans la Gulla (la gloutonnerie), un dessin de la série des sept péchés capitaux, nous montre un moulin-homme (ci-contre). Les paysans lui apportent des sacs de blés qui sont engloutis par la bouche de cette créature, ici la porte du moulin. Ce moulin n’est que la métaphore d’une gloutonnerie et d’une cupidité toute financières. Il est par ailleurs surmonté d’un hibou, en Flandres et en Espagne symbole de l’esprit maléfique, car capable d’opérer dans l’obscurité de la nuit. Rappelons aussi que Don Quichotte part en guerre contre des moulins à vent qu’il confond avec des géants maléfiques.

Pour conclure, constatons que le film se cherche une fin. Alors que, suite à la Crucifixion du Christ, la foudre aurait pu immoler ce moulin maudit, aucune justice divine ne vient nous conforter et, après avoir permis à une poignée d’individus d’avoir pris conscience de la réalité, la vie, comme le moulin… continue. Philosophiquement, cette fin est tragique, car qui peut croire que Bruegel, dont les proches organiseront quelques années plus tard la révolte des Pays-Bas, en 1572, se serait contenté d’être le simple témoin de son époque ? Saisir l’inévitable tragique et le délicieux comique de la vie quotidienne devient une mauvaise plaisanterie si elle conduit à l’impuissance et au renoncement.

NOTES:

[1] Dr Eric de Bruyn, De vergeten beeldentaal van Jheronimus Bosch, Adr. Heiners Uitgevers, ’s Hertogenbosch, 2001.

[2] R. L. Falkenburg, Joachim Patinir : Het landschap als beeld van de levenspelgrimage, Nijmegen, 1985 ; Karel Vereycken, Joachim Patinir et l’invention du paysage en peinture, novembre 2008.

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