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La gravure est une mort sûre


La gravure est une technique de pointe qui mérite bien son nom,
Car chacun y est contraint de faire forte impression ;
Graveurs, burinistes, taille-douciers et autre aquafortistes,
S’y aplatissent sous les gros cylindres des machinistes.

Imprimer son image sur la marche du temps,
A l’aide d’une plaque gravée, travaillée à l’abri des vents ;
Laisser une trace sur le zinc poli de l’histoire,
En faisant tache d’encre noire conduisant à la gloire.

Il est vrai que par le jeu des miroirs inversés,
L’artiste a bien du mal à se révéler ;
Bien qu’avec ce vernis mou lentement égratigné,
Son cuivre doux est mis à nu et en rien protégé.

Au bout du rouleau, il en a sa plaque,
Tout son art ne lui paraît plus qu’une vaste arnaque ;
Alors, devant un demi pression, paumé sur le zinc,
Il arrose sa pointe sèche et égrène son aquatinte.

A force d’acides et de mélancolie,
Il court à la mort sûre et la douce folie ;
Se ferment alors les portes de la perception,
Tunnels sans fin de lumière et de vaines illusions.

Rien ne sert de tirer tes contre-épreuves,
Si tu vivotes dans le passé faisant jamais peau neuve ;
Ton image éternellement gravée en négatif,
Se taillera en douce comme un fugitif.

A quoi bon faire mousser ta mort subite,
En te plongeant dans un bain d’acide nitrique;
Envisage plutôt un dernier coup de brunissoir,
Avant de disparaître façon manière noire.



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A la découverte d’un tableau

 

Jean-Luc, un jeune instituteur récemment titularisé, voulait faire découvrir la peinture à un petit groupe d’élèves. Il en choisit donc six parmi eux, qui étaient en âge de s’ouvrir à ce genre d’aventure, et les accompagna au musée du Louvre.

Lorsque l’instituteur parvint devant le tableau qu’il avait choisi d’expliquer aux enfants, les guides accrédités jetèrent un oeil noir sur ce groupe improvisé et y virent une concurrence déloyale.

L’un d’entre eux, une dame assez âgée munie de lunettes à montures étonnantes, les bouscula légèrement et déclama d’une voix nasillarde pour la douzième fois de la journée :

 Domenico Ghirlandaio, né en 1449 et mort de la peste en 1494, à l’âge de 45 ans, fut l’un des peintres les plus importants de son époque. C’était le fils d’un orfèvre, Tommaso Corradi, surnommé Ghirlandaio parce qu’il fabriquait des parures en forme de guirlande très prisées des jeunes Florentines. A l’instar de Léonard de Vinci, Domenico fut formé par le peintre et sculpteur Andrea del Verrocchio ; il mit tout son talent au service des ordres religieux et des familles les plus riches du moment, les Medicis, les Malatestas. Le pape Sixte IV fit appel à lui pour la décoration de la chapelle Sixtine de Rome. Parmi les élèves de Ghirlandaio, l’un d’eux deviendra Michel-Ange, le plus grand sculpteur de tous les temps. De Ghirlandaio, voici le Portrait d’un vieillard et d’un jeune garçon réalisé vers 1485, peint sur bois avec une technique de tempera, astucieux mélange de jaune d’oeuf et d’huile. 

Son allocution terminée, la guide se remit en route, suivie comme une mère poule par une quarantaine de touristes, dont certains avaient pris des photographies dans l’espoir de mieux comprendre… plus tard.

Jean-Luc, qui avait auparavant rêvé d’une carrière dans la bande dessinée, n’en revenait pas : vouloir tout voir sans rien comprendre lui semblait la meilleure façon de vous dégoûter pour toujours de l’art. Il avait, lui, une tout autre méthode : choisir une seule oeuvre, mais prendre le temps de l’approfondir.

Nous allons jouer aux devinettes, dit Jean-Luc à ses élèves. Moi, je prétends que le véritable nom de ce tableau n’est pas Portrait d’un vieillard et d’un jeune garçon. Ce n’est que le nom donné par le collectionneur qui a vendu le tableau. Alors, essayons de découvrir son véritable nom…

— Pourquoi a-t-il un nez grand et affreux qui semble tout gonflé par des piqûres de guêpes ? demanda Myriam en rougissant, sûre d’avoir dit ce qui lui passait par la tête, c’est-à-dire n’importe quoi.

— C’est vrai, tu as raison, il n’est pas très beau, mais bizarrement, le tableau, lui, est beau. Alors pourquoi ? interrogea Jean-Luc.

— L’enfant aussi est beau ; et en vieillissant, on attrapera tous des crevasses sur le pif ! remarqua malicieusement Pierre, l’éternel premier de la classe.

— Que voit-on d’autre sur ce tableau ? demanda le maître.

— Il y a une grosse montagne dans le fond, répondit Momo.

— Et un chemin qui y mène, ajouta Sarah.

— N’oublions pas le petit arbre tout près, qui lui aussi est jeune ! observa Pierre.

— Et tu n’as pas remarqué la petite église entourée de vieux arbres, sur la colline, note Myriam.

— Très bien, dit Jean-Luc, on avance dans la bonne direction. D’abord, on peut être laid à l’extérieur et posséder la beauté intérieure. Apprenez à ne pas juger vos camarades sur leur apparence. Notre enveloppe terrestre n’est pas si importante, parce qu’elle est de toute façon éphémère. Nous naissons tous et, dans le meilleur des cas, nous mourrons très vieux. Mais nul n’échappera à la mort.

— Mais ce n’est quand même pas le portrait de la mort, ce serait affreux ! s’exclama Florette.

— Le peintre a peut-être voulu dire que la vie est comme un chemin qui mène à la montagne. Ayant pris de la hauteur, on peut voir au-delà, revoir d’où le voyage a commencé. A cet instant, on peut réfléchir à ce qu’on a donné aux autres et à ceux qui survivront, proposa Jean-Luc…

— Mais c’est « l’amour » alors ! s’exclama Louise, pensant avoir trouvé le titre du tableau.

— Oui, concéda Jean-Luc, ces deux-là ont l’air de s’aimer, mais comment sont leurs visages ?

— Ils sont tristes, dit Sarah, comme s’ils allaient se séparer pour toujours. Peut-être que le vieux sait qu’il a une grave maladie et qu’il est au bout du voyage. C’est peut-être pour ça que son nez est si bizarre. En plus, il a le front tout fissuré !

— Les rayures qui apparaissent sur son front proviennent de la détérioration du tableau, expliqua Jean-Luc. La peinture à l’oeuf est un peu comme les illustrations des vieux manuscrits qui s’abîment quand ils sont exposés à la lumière et à l’air ambiant. Pour protéger les peintures, on eut plus tard l’idée de les vernir, puis d’utiliser le vernis lui-même comme moyen d’apposer les couleurs sur la surface à peindre.

Les Flamands furent parmi les premiers à pratiquer cette technique. Dès l’âge de huit ans, les apprentis-peintres apprenaient à broyer les couleurs et à encoller les panneaux de bois avec une colle à base de peau de lapin. Ces derniers étaient ensuite enduits d’une préparation composée de plâtre fin mêlé à une substance adhésive et de peinture blanche. Ils effectuaient ces tâches durant une douzaine d’années et leur maître leur confiait parfois la réalisation d’un dessin ou le détail d’un tableau.

Ainsi, le peintre Verrocchio demanda un jour à Léonard de Vinci, qui était alors son élève, de réaliser le détail d’un ange dans l’un de ses tableaux. Le résultat fut tellement beau que Verrocchio abandonna avec joie sa carrière de peintre pour celle de sculpteur, parce qu’il avait vu que son élève pouvait certainement le surpasser.

— Donc, si nous trouvons le titre du tableau, vous n’allez plus nous emmener dans les musées ? demanda Boris avec malice.

— Je crois qu’il est temps de rentrer, les enfants. Si nous voulons être à l’heure à la cantine, il faut partir maintenant, dit Jean-Luc en regardant sa montre.

— Mais le vrai nom du tableau ? demandèrent les enfants en choeur.

— Nous reviendrons, conclut Jean-Luc.

 

(fable écrite en 1994 par Karel Vereycken)

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Venise

 

 

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