Étiquette : gravure
Quinten Matsys et Léonard – L’aube d’une ère du rire et de la créativité
par Karel Vereycken, août 2024.
Read an online EN version of this article
Matsys et Léonard, sommaire
Introduction
A. Les enjeux culturels et philosophiques d’un contexte
- Blagues cyniques ou dialogue socratique ?
- Qu’est-ce que l’humanisme chrétien ?
- Pétrarque et le « Triomphe » de la mort
- L’ère du bon rire
- Sebastian Brant, Jérôme Bosch et la Nef des fous
B. Quinten Matsys
- Éléments biographiques
- De forgeron à peintre
- Duché de Brabant
- Formation : Bouts, Memling et Van der Goes
- Débuts à Anvers et à l’étranger
C. Œuvres choisies, décryptage et nouvelles interprétations
- La Vierge et l’Enfant, « Grâce divine » et « Libre arbitre »
- Le retable de Sainte-Anne
- Une nouvelle perspective
- Coopération avec Patinir et Dürer
- Le lien avec Érasme
- L’Utopie de Thomas More
- Pieter Gillis et le « diptyque de l’amitié »
- La connexion Léonard de Vinci (I)
D. L’art érasmien du grotesque
- Dans les peintures religieuses
- Avares, banquiers, receveurs d’impôt et agents de change, la lutte contre l’usure
- La connexion Léonard de Vinci (II)
- L’art du grotesque per se
- La métaphore du « couple mal assorti ».
- « La vieille femme hideuse », la paternité de Léonard
E. Conclusion
Bibliographie sélective
Au début du XVIe siècle, Quentin Matsys (1466-1530) s’impose comme peintre majeur à Anvers où il travaille pendant plus de 20 ans, créant de nombreuses œuvres, parmi lesquelles des triptyques profondément religieux, des portraits étonnamment détaillés et certaines des œuvres satiriques les plus hilarantes de l’histoire de la peinture.
Pour rendre hommage et justice à cet artiste mal connu, nous explorerons et mettrons en lumière sa verve et son esprit érasmien et présenterons certains de ses apports artistiques les plus originaux.
En 1500, Anvers, avec quelque 90 000 habitants, est la plus grande ville (précisons-le) d’Occident. Grand port et cœur battant d’un florissant commerce international qui dépasse alors la vieille Bruges des Médicis, Anvers est un aimant qui attire tous les talents de toutes les nations.
C’est dans ce contexte de brassage culturel que Quinten Matsys croise et collabore avec les plus brillants des grands humanistes chrétiens de son époque, qu’il s’agisse d’érudits militants pour la paix tels qu’Érasme de Rotterdam, Thomas More et Pieter Gillis, d’imprimeurs novateurs comme Dirk Martens d’Alost, de réformateurs exigeants comme Gérard Geldenhouwer et Cornelius Grapheus, de peintres flamands comme Gérard David et Joachim Patinir ou de peintres-graveurs et illustrateurs étrangers comme Albrecht Dürer, Lucas van Leyden et Hans Holbein le Jeune.
Malheureusement, aujourd’hui, les grandes maisons d’édition internationales, telles que, pour ne pas la nommer, Taschen, pour des raisons qui restent à élucider, semblent l’avoir condamné à l’oubli éternel. Ailleurs, son nom n’apparaît que sporadiquement dans un court chapitre consacré à « l’Ecole d’Anvers » à la fin de l’ouvrage Les Primitifs flamands et leur temps (656 pages, Renaissance du Livre, 1994). Pire encore, aucune de ses œuvres n’est référencée et seules deux mentions de son nom figurent dans L’art flamand et hollandais, les siècles des Primitifs (613 pages, Citadelles et Mazenod, 2003), œuvre de référence sur cette période.
La bonne nouvelle est que depuis 2007, le Centre interdisciplinaire pour l’art et la science de Gand, en Belgique, prépare un nouveau « catalogue raisonné » de son œuvre. Celui de Larry Silver (Phaedon Press, 1984) se vend hors de prix. Reste celui d’Andrée de Bosque (Arcade, Bruxelles, 1975), avec la majorité des images en noir et blanc. En guise de consolation, les lecteurs se contenteront de la thèse de doctorat de Harald Brising de 1908, dans une version réimprimée en 2019.
Afin d’honorer et de rendre justice à cet artiste, nous tenterons d’explorer dans cet article certaines questions restées sans réponse jusqu’à présent. Dans quelle mesure l’œuvre d’Érasme a-t-elle directement inspiré Matsys, Patinir et leur cercle ? Que savons-nous des échanges entre ce cercle à Anvers et d’éminents artistes de la Renaissance tels que Léonard de Vinci et Albrecht Dürer ? Quelle influence l’artiste érasmien a-t-il exercée sur ses correspondants étrangers ?
La question interroge d’emblée puisqu’Érasme n’était pas vraiment amateur de ce qui était la « peinture religieuse » à l’époque, préférant une véritable action agapique pour le bien commun, à la prosternation passive devant des rites religieux et des images saintes. Comme le note le critique d’art belge Georges Marlier (1898-1968) en 1954, dans son livre bien documenté, si Érasme respectait et honorait les peintures saintes si elles évoquaient un véritable sentiment religieux, de l’amour et de la tendresse, cela ne l’empêchait pas de penser que…
« la véritable imitation du Christ et sa Passion, consiste à mortifier les entraînements qui guerroient contre l’esprit et non pas à pleurer sur le Christ comme un objet pitoyable » (p. 163)
Nos recherches antérieures sur la Renaissance italienne, la vie d’Érasme et l’art de Dürer nous ont familiarisés avec l’époque de Matsys et ses défis, un sujet que nous ne pouvons pas redévelopper ici de façon exhaustive, mais qui nous donne quelques bases pour appréhender la valeur extraordinaire de cet artiste.
A. Les enjeux culturels et philosophiques d’un contexte
1. Blagues cyniques ou dialogue socratique ?
De nombreux spectateurs contemporains, pénalisés par un regard non entraîné et pollués par un wokisme et un pessimisme abusif, passent à côté du sujet. Il leur manque l’intégrité morale et intellectuelle nécessaire pour comprendre les plaisanteries, l’ironie et les métaphores qui constituaient l’essence même de la vie culturelle des Pays-Bas de l’époque. Beaucoup contemplent et commentent la couleur de leurs lunettes en croyant livrer leur vision du monde. Perdus dans leurs préjugés culturels, en regardant un visage peint, ils ne voient pas l’intention ou l’idée que l’artiste a voulu faire apparaître, non pas sur le tableau, mais dans l’esprit du spectateur. Fuyant ce domaine supérieur de la métaphore, ils se ruent sur les détails en enchaînant des interprétations symboliques dont la somme est supposé expliquer le sens de l’œuvre.
Ainsi, devant un visage « grotesque », ils s’obstinent à croire qu’il s’agit d’un portrait plutôt que de rire à pleins poumons ! Du coup, ne voulant pas voir cette dimension « invisible », prenant l’image « à la lettre », pour eux, les « grotesques » d’Érasme, de Matsys et de Léonard, ne sont et ne peuvent être que des « plaisanteries cyniques » témoignant d’un « manque de tolérance » à l’égard des personnes « laides », « malades », « anormales » ou « différentes » !
Répétons-le donc haut et fort : Erasme et ses trois principaux disciples, Rabelais, Cervantès et Shakespeare, sont les incarnations, quoique rarement reconnues, de l’« humanisme chrétien » et le bon rire, en tant qu’arme politique puissante pour « élever à la dignité d’homme, tous les membres du genre humain ».
2. Qu’est-ce que l’humanisme chrétien ?
L’idée maîtresse du programme éducatif et politique d’Érasme était de promouvoir la docta pietas, la piété savante, ou ce qu’il appelait la « philosophie du Christ ». Cette philosophie peut être résumée comme un « mariage » entre les principes humanistes résumés dans la République de Platon et la notion agapique de l’homme transmise par les Saintes Écritures et les écrits des premiers Pères de l’Église comme Jérôme et Augustin, qui considéraient Platon comme un de leurs précurseurs imparfaits.
En rupture totale avec la soumission à une foi « aveugle » et féodale, qui plaçait le salut de l’homme uniquement dans une existence après la mort, l’humanisme chrétien considère que la nature humaine est bonne. L’origine du mal n’est donc pas l’homme lui-même ou un « diable » extérieur, mais les vices et les afflictions morales que Platon avait déjà largement identifiés des siècles avant qu’elles deviennent chez les Chrétiens les « sept péchés capitaux » qui peuvent être surmontés par les « sept vertus capitales ».
Pour rappel, ces péchés capitaux et leur antidotes sont :
- L’orgueil (Superbia, hubris) par opposition à l’humilité (Humilitas) ;
- L’avarice (Avaricia) par opposition à la charité (Caritas, Agapè) ;
- La colère (Ira, rage) opposée à la patience (Patientia) ;
- L’envie (Invidia, jalousie) opposée à la bonté (Humanitas) ;
- La luxure (Luxuria, fornication) opposée à la chasteté (Castitas) ;
- La gourmandise (Gula) opposée à la tempérance (Temperantia) ;
- La paresse (Acedia, mélancolie, spleen, paresse morale) opposée à la diligence (Diligentia).
Il est assez révélateur pour notre époque que ces « péchés » (affections qui nous empêchent de faire le bien), et non leurs vertus opposées, aient été tragiquement sacralisés comme les « valeurs » de base garantissant le bon fonctionnement du système financier « néolibéral » actuel et de son ordre mondial « fondé sur les règles » !
« Les vices privés font la vertu publique », arguait Bernard Mandeville en 1705 dans La fable des abeilles. C’est la dynamique des intérêts particuliers qui stimule la prospérité d’une société, estimait ce théoricien néerlandais qui a inspiré Adam Smith et pour qui « la morale » ne fait qu’inviter à la léthargie et provoque le malheur de la cité.
C’est la cupidité et la recherche perpétuelle du plaisir, et non le bien commun, qui ont été proclamées motivations essentielles de l’homme, selon l’école philosophique devenue dominante, celle de l’empirisme britannique proféré par Locke, Hume, Smith et consorts.
De ce fait, la « charité », le « Care » et l’aide « humanitaire » ont été réduits à une activité souvent éphémère de dames de charité, permettant au système criminel actuel de faire accepter au plus grand nombre son existence perpétuelle. Ainsi, et c’est tout à fait regrettable, les « organisations humanitaires », les « fondations charitables » aux mains de grandes familles patriciennes et certaines ONG, dont le travail est souvent essentiel, sont malheureusement devenues des outils de domination.
3. Pétrarque et le « Triomphe de la mort »
Le vrai christianisme, comme toutes les grandes religions humanistes, s’efforce sans relâche de secouer ceux qui gaspillent leur vie dans le péché en leur montrant que leur comportement est à la fois dramatique et surtout ridicule à la lumière de l’extrême brièveté de l’existence physique humaine.
Dürer en fait le thème central de ses trois célèbres Meisterstiche (gravures de maître) qui ne peuvent être comprises que comme une seule et même unité : Le chevalier, la mort et le diable (1513) ; Saint Jérôme dans son étude (1514) et Melencolia I (1514). Dans chacune de ces gravures figure un sablier, métaphore de l’écoulement inexorable du temps qui passe. En juxtaposant au sablier (le temps) un crâne (la mort ), une bougie qui s’éteint (dernier souffle), une fleur qui flétrie (la vacuité des passions) etc., les artistes arrivent à faire émerger la métaphore de la « vanité ».
Érasme, qui fait du couple sablier-crâne son emblème, y ajoute sa devise : Concedi Nulli (Signifiant que la mort n’épargnera personne et que tous, riches ou pauvres, mourront un jour). En ce sens, à la Renaissance, l’humanisme chrétien était un mouvement de masse visant à éduquer les gens à « l’immortalité » spirituelle, à la fois contre les superstitions religieuses et contre un retour sournois du paganisme gréco-romain.
Avec cette exigence philosophique, Erasme marche ici directement dans les pas de Pétrarque et ses I Trionfi (1351-1374), un cycle poétique structuré en six triomphes allégoriques qui s’enchaînent les uns aux autres. Par exemple, le Triomphe de l’amour est lui-même surpassé par le Triomphe de la chasteté. À son tour, la Chasteté est vaincue par la Mort ; la Mort est vaincue par la Renommée ; la Renommée est conquise par le Temps ; et même le Temps est finalement vaincu par l’Éternité et enfin par le Triomphe de Dieu sur toutes ces préoccupations terrestres.
Puisque la mort « triomphera » à la fin de notre existence physique éphémère, dans la vision pré-Renaissance, c’est la peur de la mort et la peur de Dieu qui doivent aider l’homme à se concentrer pour apporter quelque chose d’immortel aux générations futures plutôt que de se perdre dans le labyrinthe des plaisirs et des douleurs terrestres que Jérôme Bosch (1450-1516) dépeint avec tant d’ironie dans son Jardin des délices terrestres (1503-1515). Léonard, dont le sentiment théo-philosophique était considéré comme une hérésie par bon nombre au Vatican, notait amèrement dans ses carnets que, vu leur comportement, beaucoup d’hommes et de femmes ne méritaient même pas le beau corps que Dieu leur avait offert:
« Vois, nombreux sont ceux qui pourraient s’intituler de simples tubes digestifs, des producteurs de fumier, des remplisseurs de latrines, car ils n’ont point d’autre emploi en ce monde ; ils ne mettent en pratique aucune vertu, rien ne reste d’eux que des latrines pleines ».
4. L’ère du « bon rire »
Selon les dictionnaires, on rit bien lorsqu’on trouve amusante et drôle une situation qui était au départ contrariante. En bref, le bon rire est la récompense d’un véritable processus créatif lorsque « l’agonie » de l’épuisement des hypothèses lors d’une recherche de solutions se termine par un joyeux Eurêka !
Cela peut être pour des questions scientifiques et purement matérielles, mais aussi dans le processus de développement de l’identité personnelle. La tempête et les nuages ont disparu et la pleine lumière ouvre des horizons et apporte une nouvelle perspective.
Pour les humanistes chrétiens, grâce à « l’effet miroir » intrinsèquement inhérent au « dialogue socratique » (qui commence par accepter que l’on ne sait pas – appelé docta ignorantia par Nicolas de Cues), l’homme peut être libéré de ces afflictions « pécheresses » qui le plombent et lui coupent les ailes.
Son libre arbitre peut être mobilisé pour l’amener à agir conformément à sa vraie (bonne) nature, celle de se consacrer et de trouver son ultime plaisir dans l’accomplissement du bien commun au service d’autrui, aussi bien dans ses relations personnelles que dans ses activités économiques. C’est cet objectif, celui de former et d’ennoblir le caractère de chacun, qui deviendra le but fondamental de l’éducation républicaine. On ne remplit pas les têtes mais on forme des citoyens.
Or, en affirmant que la vie de l’homme est entièrement prédéterminée par Dieu, Luther niait l’existence du libre arbitre et rendait l’homme totalement irresponsable de ses actes. Ce point de vue était à l’opposé de celui d’Érasme, qui avait commencé par demander à l’Église d’éradiquer ses propres abus financiers, tels que les fameuses « indulgences », et ceci bien avant que Luther n’entre en scène. Les humanistes chrétiens se sont fermement engagés à élever nos âmes au plus haut niveau de beauté morale et intellectuelle en nous libérant de notre attachement excessifs aux biens terrestres – non pas en nous infligeant des sentiments de culpabilité et des injonctions morales ou par le commerce lucratif de la peur de l’enfer, mais… par le rire ! Ouf, on respire ! Prenons un peu de recul et tout en nous engageant sérieusement à nous améliorer, rions de nos imperfections. Dieu nous a donné la vie et elle est belle, pourvu qu’on sache comment s’en servir !
Jean Jaurès, lecteur d’Érasme disait même que :
« Les progrès de l’humanité se mesurent aux concessions que la folie des sages fait à la sagesse des fous. »
Le rire vérace des uns, on s’en doute, ne fait pas le bonheur des autres, car il ruine l’autorité illégitime des puissants et des tyrans. Il s’agit bien de l’arme politique la plus dévastatrice jamais conçue. Par conséquent, pour les forces du mal, le rire vérace, tel qu’il est promu par Érasme et ses disciples, doit être ignoré, calomnié et autant que possible éradiqué et remplacé par la mélancolie, l’obéissance et la soumission à des doctrines et des « narratifs » écrits d’avance par et pour les élites dominantes grâce à une constipation scolastique douloureuse.
5. Sebastian Brant, Hieronymus Bosch et La nef des fous
La Nef des fous s’imprime, se copie, se diffuse et se vend comme des petits pains dans toute l’Europe. Son auteur n’était pas seulement un simple satiriste, mais un humaniste cultivé dont on retient la traduction de poèmes de Pétrarque.
La « peinture de genre », qui dépeint des aspects de la vie quotidienne en représentant des gens ordinaires engagés dans des activités ordinaires et quotidiennes, est née avec Quinten Matsys (on devrait plutôt dire avec le paradigme érasmien que nous venons d’identifier), souligne Larry Silver en reprenant ce qu’affirmait déjà Georges Marlier en 1954.
Plusieurs années avant qu’Erasme ne publie son Eloge de la folie (écrit en 1509 et publié à Paris dès 1511), le poète humaniste et réformateur social strasbourgeois Sébastien Brant (1558-1921) ouvre le bal du rire socratique avec son Narrenshiff (La Nef des fous, publiée en 1494 à Bâle, Strasbourg, Paris et Anvers), une œuvre satirique hilarante illustrée par Holbein le Jeune (1497-1543) et Albrecht Dürer (1471-1528) qui exécute 73 des 105 illustrations de l’édition originale. Brant était une figure clé et un allié de Johann Froben (1460-1529) et Johann Amerbach (1441-1513) issus de familles d’imprimeurs suisses qui accueillirent plus tard Érasme lorsque, persécuté aux Pays-Bas, il dut s’exiler à Bâle.
Après les saints et les princes, soudainement, ce sont des femmes, des hommes et des enfants ordinaires, des marchands certes encore souvent aisés, qui apparaissent dans les œuvres, non plus comme des « donateurs » assistants comme témoin à une scène biblique, mais pour leur qualités propres d’humains méritoires.
Dürer fait, par exemple, une gravure certes un peu ironique, d’« un cuisinier et sa femme ». Si au XVe siècle, la philosophie grecque pénètre en Europe, en ce début du XVIe, c’est le peuple qui fait irruption.
Bien sûr, les temps ont changé et la clientèle des peintres aussi. Les commandes proviennent beaucoup moins d’ordres religieux et de riches cardinaux de Rome et de plus en plus de bourgeois prospères ou de guildes, corporations, confréries et communautés des métiers désirant embellir leurs chapelles et demeures et offrir leurs portraits à leurs amis.
La Nef des fous de Brant marque un véritable tournant, prélude à un nouveau paradigme. Elle marque le début d’un long arc de créativité, de raison et d’éducation par le rire vérace et libérateur, dont l’écho résonnera très fort jusqu’à la mort de Pieter Bruegel l’Aîné en 1569.
Cet élan ne sera interrompu que lorsque Charles Quint, croyant faire peur, ressuscite, en 1521, l’Inquisition et adopte les « placards », c’est-à-dire des décrets punissant par la mort tout citoyen osant lire, commenter ou discuter de la Bible.
La Nef des fous s’organise en 113 sections, dont chacune, à l’exception d’une courte introduction et de deux pièces finales, traite indépendamment d’une certaine classe de fous, d’imbéciles ou de vicieux. L’idée fondamentale de la nef n’étant rappelée qu’occasionnellement.
Aucune folie du siècle n’est censurée. Le poète s’attaque avec noble zèle aux défauts et aux extravagances de l’homme. Le livre s’ouvre sur la dénonciation du plus grand fou de tous, celui qui se détourne de l’étude de tous les livres merveilleux qui l’entourent. Il ne veut pas « se casser la tête » et « encombrer » son crâne. « J’ai tout, dit le sot, d’un grand seigneur qui peut payer comptant la fatigue de ceux qui apprennent pour moi ». La troisième folie (sur les 113), donc tout près de la première, est la cupidité et l’avarice:
« C’est absurde folie d’entasser des richesses et de ne pas jouir de la vraie joie de vivre, le fou ne sachant pas à qui servira l’or qu’il a mis de côté, le jour où il devra descendre dans la tombe ».
Un triptyque de Jérôme Bosch, en partie perdu, s’inscrit dans cette lignée. Des recherches relativement récentes ont établi que le tableau actuel La Nef des fous (Louvre, Paris) de Bosch, possiblement exécuté avant même que Brant n’écrive sa satire, n’est que le volet gauche d’un triptyque dont le panneau droit était La Mort de l’avare (National Gallery, Washington).
Ce qui est intéressant avec ce dernier panneau, c’est qu’il n’y a pas de fatalité ! Même l’avare, jusqu’à son dernier souffle, peut choisir entre lever les yeux vers le Christ ou les abaisser vers le diable ! Que l’homme soit éternellement perfectible et que son sort dépende de sa volonté, était au cœur de la doctrine des Frères de la Vie commune, un mouvement laïc de dévotion chrétienne avec lequel Bosch, sans en être membre, avait d’importantes affinités. Cependant, personne ne connaît à ce jour l’image et le nom du panneau central qui a été perdu. Mais ce qui apparaît lorsqu’on referme les deux volets latéraux, c’est l’image d’un colporteur (autrefois appelé à tort Le retour de l’enfant prodigue) fuyant des mauvais lieux.
Ce thème figure également sur les panneaux extérieurs du triptyque de Bosch le Chariot de foin, montrant des rois, des princes et des papes courant après un chariot chargé d’une gigantesque botte de foin (une métaphore de l’argent) et que les diables tirent vers l’Enfer.
Le thème du colporteur qui pérégrine était très populaire parmi les Frères de la Vie commune et la Devotio Moderna. Pour eux, comme pour Saint Augustin, l’homme est en permanence confronté à un choix existentiel. Il est en permanence à la croisée du chemin (le bivium). Soit il emprunte le chemin rocailleux et difficile qui le mène à une position spirituellement plus élevée et plus proche de Dieu, soit il emprunte la voie de la facilité vers le bas en s’abaissant aux passions et aux affections terrestres.
La beauté de l’homme et de la nature, prévient Augustin, peut et doit être pleinement appréciée et célébrée sous condition qu’elle soit vécue comme « l’avant-goût de la sagesse divine » et non pas comme un simple plaisir des sens.
Le colporteur que l’on retrouve chez Bosch et Patinir est donc une métaphore de l’humanité qui s’efforce d’avancer sur le bon chemin et dans la bonne direction. Bosch peuplera ses tableaux d’hommes et de femmes ressemblant à des animaux décervelés se précipitant avec grande frénésie sur de petits fruits comme des cerises, des fraises et des baies, métaphores de plaisirs terrestres tellement éphémères qu’ils doivent éternellement renouveler l’expérience pour en tirer le moindre plaisir.
Le colporteur avance « op een slof en een schoen » (sur une pantoufle et une chaussure), c’est-à-dire qu’il abandonne sa maison et quitte le monde créé du péché (on voit un bordel, des ivrognes, etc.), et tous les biens matériels. Avec son « bâton » (symbole de la foi), il réussit à repousser les « chiens infernaux » (le mal) qui tentent de le retenir. Une enluminure d’un livre de psaumes anglais du XIVe siècle, le Luttrell Psalter, présente exactement la même représentation allégorique.
Ces images métaphoriques ne sont donc pas les fruits d’un « esprit malade » ou d’une imagination exubérante de Bosch, mais un langage courant qu’on retrouve assez souvent dans les marges des livres enluminés.
Le même thème, celui de l’Homo Viator, l’homme qui se détache des biens terrestres, est également récurrent dans l’art et la littérature de cette époque, notamment depuis la traduction néerlandaise du Pèlerinage de la vie et de l’âme humaine, écrit en 1358 par le moine cistercien normand Guillaume de Degulleville (1295-après 1358). Le Christ nous transforme en pèlerins à travers le monde. Unis à Lui nous traversons la Cité terrestre n’ayant comme véritable but que la Cité Céleste. Non plus seulement homo sapiens, mais homo viator, homme en route vers le Ciel.
Si les trois volets qui subsistent du triptyque de Bosch (la Nef des fous, La mort de l’Avare et le Colporteur) semblent de prime abord sans aucun lien, leur cohérence saute aux yeux une fois que le spectateur identifie ce concept primordial.
Il serait amusant, pour un peintre imaginatif et créatif vivant aujourd’hui, de recréer et de réinventer une image digne du volet perdu de Bosch, le thème étant forcément la chute de l’homme qui n’arrive pas à se détacher des biens terrestres, passant de la Nef des fous à La Mort de l’Avare.
B. Quinten Matsys, éléments biographiques
Connaissant maintenant les enjeux philosophiques et culturels majeurs de l’époque, nous pouvons examiner avec sérénité la vie de Matsys et quelques-unes de ses œuvres.
1. De forgeron à peintre
Selon l’Historiae Lovaniensium de Joannes Molanus (1533-1585), Matsys est né à Louvain entre le 4 avril et le 10 septembre 1466, comme un des quatre enfants de Joost Matsys (mort en 1483) et de Catherine van Kincken.
La plupart des récits de sa vie mêlent à cœur joie des faits et des légendes. En réalité, on dispose de très peu d’indices concernant son activité ou son caractère.
A Louvain, Quinten aurait eu des débuts modestes en tant que ferronnier d’art. La légende veut qu’il se soit épris d’une belle fille que courtisait également un peintre. La fille préférant de loin les peintres aux forgerons, Quinten aurait aussi vite abandonné l’enclume pour le pinceau.
An 1604, le chroniqueur Karel Van Mander affirme que Quinten, frappé d’une maladie depuis l’âge de vingt ans, « se trouvait dans l’impossibilité de gagner son pain » en tant que forgeron.
Van Mander rappelle que lors des fêtes du mardi gras,
« les confrères qui soignent les malades allaient de par la ville, portant une grande torche de bois sculptée et peinte, distribuant aux enfants des images de saints gravées et coloriées ; il leur en fallait donc un grand nombre. Il se trouva que l’un des confrères, allant voir Quinten lui conseilla de colorier de ces images, et il en résulta que celui-ci s’essaya au travail. Par ce début infime, ses dispositions se manifestèrent, et, à dater de ce temps, il se mit à la peinture avec une vive ardeur. En peu de temps il fit des progrès extraordinaires et devint un maître accompli. »
(Karel Van Mander, Le livre des peintres, 1604)
A Anvers, devant la cathédrale Notre-Dame, au Handschoenmarkt (marché aux gants), on trouve encore la « putkevie » (porte en fer forgé décorée sur un puits) qui aurait été réalisée par Quinten Matsys lui-même et qui représente la légende de Silvius Brabo et Druon Antigoon, respectivement les noms d’un officier romain mythique qui libéra Anvers de l’oppression d’un géant appelé Antigoon qui nuisait au commerce de la ville en bloquant l’entrée de la rivière.
L’inscription sur le puits se lit comme suit : « Dese putkevie werd gesmeed door Quinten Matsijs. De liefde maeckte van den smidt eenen schilder. » (La ferronnerie de ce puits a été forgée par Quinten Matsys. L’amour a fait du forgeron un peintre.)
Les dons documentés et les possessions de Joost Matsys, le père de Quinten, forgeron et horloger de la ville, indiquent que la famille disposait d’un revenu respectable et que le besoin financier n’était pas la raison la plus probable pour laquelle Matsys s’est tourné vers la peinture.
En 1897, Edward van Even a écrit, sans présenter la moindre preuve, que Matsys composait également de la musique, écrivait des poèmes et réalisait des gravures.
Bien qu’il n’existe aucune preuve de la formation de Quinten Metsys avant son inscription en tant que maître libre à la guilde des peintres d’Anvers en 1491, le projet de dessin de son frère Joos Matsys II à Louvain et les activités de leur père suggèrent que le jeune artiste a d’abord appris à dessiner et à transposer ses idées sur le papier auprès de sa famille et qu’ils l’ont exposé pour la première fois aux formes architecturales et à leur déploiement créatif.
Ses premières œuvres, en particulier, suggèrent clairement qu’il a reçu une formation de dessinateur d’architecture. Dans sa Vierge à l’enfant trônant avec quatre anges de 1505 (National Gallery, Londres), les personnages divins sont assis sur un trône doré dont le tracé gothique fait écho à celui de la fenêtre du dessin sur parchemin et à la maquette en calcaire du projet de Saint-Pierre auquel son frère était affecté à peu près à la même époque.
Ce qui est sûr, c’est que l’artiste a réalisé de magnifiques médaillons en bronze représentant Érasme, sa sœur Catarina et lui-même.
Vers 1492, il épouse Alyt van Tuylt qui lui donne trois enfants : deux fils, Quinten et Pawel, et une fille, Katelijne. Alyt meurt en 1507 et Quinten se remarie un an plus tard.
Avec sa nouvelle épouse Catherina Heyns, il a dix autres enfants, cinq fils et cinq filles. Peu après la mort de leur père, deux de ses fils, Jan (1509-1575) et Cornelis (1510-1556) deviennent à leur tour peintres et membres de la Guilde d’Anvers.
2. Le Duché de Brabant
Louvain était alors la capitale du Duché de Brabant qui s’étendait de Luttre, au sud de Nivelles, à ‘s Hertogenbosch (Pays-bas actuel). Il comprenait les villes d’Alost, Anvers, Malines, Bruxelles et Louvain, où, en 1425, l’une des premières universités d’Europe vit le jour. Cinq ans plus tard, en 1430, avec les duchés de Basse-Lotharingie et de Limbourg, Philippe le Bon de Bourgogne hérite du Brabant qui fait partie des Pays-Bas bourguignons.
En 1477, alors que Matsys avait environ 11 ans, le duché de Brabant tomba sous la domination des Habsbourg en tant que partie de la dot de Marie de Bourgogne au roi d’Espagne Charles Quint.
L’histoire ultérieure du Brabant fait partie de l’histoire des « dix-sept provinces » des Habsbourg, de plus en plus sous le contrôle de familles de banquiers d’Augsbourg, telles que les Fugger et les Welser.
Si l’époque d’Érasme et de Matsys est une période faste de la « Renaissance du Nord », elle marque aussi des efforts toujours plus grands des familles de banquiers pour « acheter » la papauté afin de dominer le monde.
Le partage géopolitique du monde entier (et de ses ressources) entre l’Empire espagnol (dirigé par des banquiers vénitiens) et l’Empire portugais (sous la houlette des banquiers génois), fut scellé par le traité de Tordesillas, une combine entérinée en 1494 au Vatican par le pape Alexandre VI Borgia. Ce traité a ouvert les portes à l’asservissement colonial de nombreux peuples et pays, le tout au nom d’un sentiment très discutable de supériorité culturelle et religieuse.
Suite à des banqueroutes d’État à répétition, les Pays-Bas deviennent alors la cible d’un intense pillage économique et financier, imposé aux populations par l’alliance du sabre et de goupillon. En diabolisant à outrance Luther, de plus en plus déterminé à créer une opposition en dehors de l’Église catholique, le pouvoir en place esquive les questions pressantes formulées par Erasme et Thomas More exigeant des réformes urgentes pour éradiquer les abus et la corruption à l’intérieur de l’Église catholique.
Tout laisse à penser que le refus du Pape Clément VII d’accepter les demandes de divorce d’Henri VIII faisait partie d’une stratégie globale visant à plonger l’ensemble du continent européen dans des « guerres de religion », qui n’ont pris fin qu’avec la paix de Westphalie en 1648.
3. Formation : Bouts, Van der Goes et Memling
Les premiers triptyques peints par Matsys lui valent de nombreux éloges et amènent les historiens à le présenter comme « l’un des derniers primitifs flamands », le quolibet utilisé par Michel-Ange pour discréditer intrinsèquement tout art non-italien considéré comme « gothique » (barbare) ou « primitif » par rapport à l’art italien imitant le style antique.
Comme Matsys est né à Louvain, on a pensé qu’il a pu être formé par Aelbrecht Bouts (1452-1549), le fils du peintre dominant de Louvain à l’époque, Dieric Bouts l’Ancien (v. 1415-1475). En 1476, un an après la mort de son père, Aelbrecht aurait quitté Louvain afin de compléter sa formation auprès d’un maître en dehors de la ville, très probablement Hugo van der Goes (1440-1482), dont l’influence sur Aelbrecht Bouts, mais aussi sur Quinten Matsys, semble plausible. Van der Goes, qui devint en 1474 le doyen de la guilde des peintres de Gand et mourut en 1482 au Cloître Rouge près de Bruxelles, était un fervent fidèle des Frères de la Vie commune et de leurs principes. En tant que jeune assistant d’Aelbrecht Bouts, lui-même en cours de formation chez Van der Goes, Matsys aurait pu découvrir ce qui était alors le berceau de l’humanisme chrétien.
L’œuvre la plus célèbre de Van der Goes est le Triptyque Portinari (Uffizi, Florence), un retable commandé pour l’église Sant’Egidio de l’hôpital Santa Maria Nuova de Florence par Tommaso Portinari, directeur de la succursale brugeoise de la banque Médicis.
Les traits rudes de trois bergers (exprimant chacun un des états d’élévation spirituelle stipulés par les Frères de la Vie commune) dans la composition de van der Goes ont profondément impressionné les peintres travaillant à Florence.
Matsys est également considéré comme un possible élève de Hans Memling (1430-1494), ce dernier étant un disciple de Van der Weyden et un peintre de premier plan à Bruges.
Le style de Memling et celui de Matsys sont si proches qu’il est difficile de les distinguer.
Alors que l’historien de l’art flamand Dirk de Vos a qualifié, dans son catalogue de 1994 sur l’oeuvre de Hans Memling, le portrait du musicien et compositeur Jacob Obrecht (1496, Kimbell Art Museum, Fort Worth) d’œuvre très tardive de Hans Memling, les experts actuels, parmi lesquels Larry Silver, ont pu établir en 2018 qu’en réalité, il est beaucoup plus probable que le portrait soit la première œuvre connue de Quinten Matsys.
Obrecht, qui a exercé une influence majeure sur la musique flamande polyphonique et contrapuntique de la Renaissance, avait été nommé maître de chapelle de la cathédrale Notre-Dame d’Anvers en 1492. Vers 1476, Érasme est l’un des enfants de chœur d’Obrecht.
Obrecht se rendit au moins deux fois en Italie, en 1487 à l’invitation du duc Ercole d’Este Ier de Ferrare et en 1504. Ercole avait entendu la musique d’Obrecht, dont on sait qu’elle a circulé en Italie entre 1484 et 1487, et avait déclaré qu’il l’appréciait plus que la musique de tous les autres compositeurs contemporains ; il invita donc Obrecht, qui mourut de la peste en Italie.
Dès les années 1460, le professeur d’Érasme à Deventer, le compositeur et organiste Rudolph Agricola, s’était rendu en Italie. Après avoir étudié le droit civil à Pavie et suivi les cours de Battista Guarino, il se rendit à Ferrare où il devint un protégé de la cour des Este.
Vers 1499, Léonard réalise un dessin de la fille d’Ercole, Isabella d’Este, qui, selon certains, serait la personne peinte dans la Joconde.
4. Débuts à Anvers et à l’étranger
Matsys est enregistré à Louvain en 1491, mais la même année, il est également admis comme maître peintre à la Guilde de Saint-Luc à Anvers où, à l’âge de vingt-cinq ans, il décide de s’installer. A Anvers, comme nous l’avons déjà dit, il a représenté le maître de chapelle Jacob Obrecht en 1496, sa première œuvre connue, et plusieurs tableaux de dévotion à la Vierge et à l’Enfant.
Ensuite, comme les Liggeren (registres des guildes de peintres) ne rapportent aucune information sur l’activité de Matsys dans les Pays-Bas pendant une période de plusieurs années, il est très tentant d’imaginer que Matsys s’est rendu en Italie où il aurait pu rencontrer de grands maîtres (Léonard a vécu à Milan entre 1482 et 1499 et y est retourné en 1506 où il a rencontré son élève Francesco Melzi (1491-1567) qui l’a ensuite accompagné en France) ou à Colmar ou Strasbourg où il aurait pu rencontrer Albrecht Dürer qu’il semble avoir connu longtemps avant que ce dernier ne vienne aux Pays-Bas en 1520.
Dürer est envoyé par ses parents à Colmar en Alsace pour être formé à l’art de la gravure par Martin Schongauer (1450-1491) de loin le plus grand graveur de son époque. Mais lorsque Dürer arrive à Colmar à l’été 1492, Schongauer a rendu l’âme. De Colmar, l’artiste se rend à Bâle, où il produit des gravures sur bois pour illustrer des livres et découvre les impressionnantes gravures de Jacob Burgkmair (1473-1531) et de Hans Holbein l’Ancien (1460-1524). Il se rend ensuite à Strasbourg où il rencontre et réalise le portrait de l’érudit poète et écrivain humaniste Sébastien Brant, évoqué précédemment.
C. Œuvres choisies
1. La Vierge à l’Enfant, la grâce divine et le libre arbitre
En 1495, Matsys peint une Vierge à l’Enfant (Bruxelles). Même si l’œuvre reste encore très normative, Matsys enrichit déjà la dévotion avec des scènes moins formelles de la vie quotidienne. L’Enfant, explorant de manière ludique de nouveaux principes physiques, tente maladroitement de tourner les pages d’un livre alors qu’une Vierge très sérieuse est assise dans une niche de style gothique, sans doute choisie pour s’intégrer à l’architecture et au style du lieu qui accueillera le tableau.
Dans une autre Vierge à l’Enfant (Rotterdam) Matsys va plus loin dans cette direction. On y voit une jeune maman bienveillante et heureuse avec un enfant enjoué, ce qui souligne le fait que le Christ était le fils de Dieu, mais aussi celui des Hommes. Sur un présentoir proche du spectateur, on remarque la présence d’une miche de pain et un bol de soupe au lait avec une cuillère, sans doute une scène quotidienne pour la plupart des habitants des Pays-Bas essayant de nourrir leurs enfants à l’époque.
Dans sa Vierge à l’Enfant avec la soupe au lait (Bruxelles), peinte en 1520 par l’ami de Matsys, le peintre Gérard David (1460-1523), montre avec une immense tendresse une jeune maman apprenant à son enfant que le dos d’une cuillère n’est pas vraiment l’idéal pour amener la soupe du bol à sa bouche.
De nombreux tableaux sur ce thème, qu’ils soient de Quinten Matsys (Vierge à l’Enfant, Louvre, 1529, Paris) ou de Gérard David (Repos lors de la fuite en Égypte, National Gallery, Washington), montrent un enfant qui tente, avec d’énormes difficultés, de saisir quelques raisins, des cerises ou d’autres fruits.
En 1534, dans sa Diatribe sur le libre arbitre, Érasme utilise également cette métaphore sur l’équilibre fragile à considérer dans la proportion entre les opérations du libre arbitre (qui, seul, séparé d’un but supérieur, peut devenir pure arrogance) et celles de la grâce divine (qui, seule, peut être interprétée comme une forme de prédestination).
Pour rendre accessible au plus grand nombre, un sujet qu’on croirait réservé aux théologiens, Érasme emploie une métaphore très simple, mais d’une tendresse et d’une beauté extrêmes :
« Un père a un enfant encore incapable de marcher ; il tombe ; le père le relève tandis que l’enfant fait des mouvements précipités et lutte pour garder l’équilibre ; il lui montre un fruit devant lui ; l’enfant s’efforce de le saisir, mais à cause de la faiblesse de ses membres, il tomberait rapidement si le père n’étendait pas la main pour soutenir et guider sa marche.
« Ainsi, guidé par son père, l’enfant arrive au fruit que le père lui met volontiers dans les mains pour le récompenser de son effort. L’enfant ne se serait jamais levé si le père ne l’avait pas soulevé ; il n’aurait jamais vu le fruit si le père ne le lui avait pas montré ; il n’aurait pas pu avancer si le père n’avait pas soutenu ses faibles pas ; et il n’aurait pas atteint le fruit si son père ne l’avait pas mis dans ses mains.
« Qu’est-ce que l’enfant revendiquera comme ses propres actes dans ce cas ? On ne peut donc pas dire qu’il n’a rien fait. Mais il n’y a pas lieu de glorifier sa force, puisqu’il doit à son père tout ce qu’il est ».
Bref, le libre arbitre, certes, Erasme le défendra, car il en faut, mais sans prétendre que l’homme peut y arriver tout seul…
2. Retable de Sainte-Anne
A Anvers, l’activité de Matsys connaît une avancée majeure avec les premières commandes publiques importantes de deux grands retables en triptyque :
- le Triptyque de la Confrérie de Sainte-Anne (1507-1509, Musée de Bruxelles), signé « Quinten Metsys screef dit ». (Quinten Metsys a écrit ceci).;
- le Triptyque de la Déploration du Christ (1507-1508, Musée d’Anvers), peint pour la chapelle de la guilde des charpentiers à la cathédrale d’Anvers, œuvre largement inspirée de la Déposition de croix de Roger Van der Weyden (Prado, Madrid). Jean-Baptiste et Jean l’Évangéliste, qui apparaissent lorsque le triptyque est fermé, sont les saint patrons de la corporation.
Le thème et l’iconographie du Triptyque Saint-Anne ont bien sûr été entièrement dictés au peintre par la confrérie de Sainte-Anne de Louvain qui lui a passé cette commande pour leur chapelle dans l’église Saint-Pierre de la même ville.
Le panneau central dépeint l’histoire de la famille de sainte Anne – la Sainte Parenté – à l’intérieur d’un édifice monumental couronné d’une coupole tronquée et d’arcades qui offrent une large vue sur un paysage montagneux. En cinq scènes, le retable raconte la vie d’Anne, mère de la Vierge, et de son époux Joachim. Les différents membres de la famille de la sainte apparaissent sur le panneau central.
L’événement clé de la vie d’Anne et de son mari Joachim, à savoir qu’ils deviendront les parents de la Vierge Marie alors qu’ils se croyaient incapables d’avoir des enfants, est représenté sur les panneaux gauche et droit du triptyque.
Le baiser chaste
La « conception immaculée » de la Vierge, représentée par l’image d’un « chaste baiser » entre les deux époux devant la Porte d’Or de la muraille de Jérusalem, a été un sujet immensément populaire dans l’histoire de la peinture, de Giotto à Dürer.
Il a donc été rapidement transposé à l’Immaculée conception du Christ lui-même. D’où l’apparition soudaine de tableaux montrant Marie embrassant « chastement » (mais chaleureusement et parfois sur les lèvres) son enfant Jésus.
Le cycle du retable se termine par la mort d’Anne, représentée sur le panneau intérieur droit où elle est entourée de ses enfants et où le Christ donne sa bénédiction.
Malgré l’échelle impressionnante de cette œuvre et son récit conventionnel, Matsys réussit à créer un sentiment de contemplation plus libre et plus intime. Un exemple en est la figure du petit cousin de Jésus dans le coin gauche, qui s’amuse à rassembler de belles enluminures autour de lui et, maintenant pleinement concentré, tente de les lire.
3. Une nouvelle perspective
Dans deux autres occasions, j’ai pu documenter qu’aussi bien le peintre flamand Jan Van Eyck que le bronzier italien Lorenzo Ghiberti ont pu se familiariser avec « l’optique arabe », en particulier les travaux scientifiques d’Ibn al-Haytham (connu sous son nom latin Alhazen).
A la Renaissance, plusieurs « écoles », avec des approches différentes et parfois opposés, ont tenté d’établir la meilleure façon de représenter l’« espace » dans l’art grâce à « la perspective ».
D’abord, dès le début du XVe siècle, une école, profitant des travaux des Franciscains d’Oxford (Roger Bacon, Grosseteste, etc.) sur Alhazen, tente de partir de la physionomie humaine (deux yeux fabriquant une image dans l’esprit du spectateur) et à la place d’un modèle monofocal (cyclopique) invente une perspective avec deux points de fuite centraux (perspective bi-focale). Cette perspective est bien identifiable dans certaines œuvres de Van Eyck et de Lorenzo Ghiberti ce dernier ayant traduit certains textes d’Alhazen. Ensuite, une autre école, celle associée à Alberti, affirme que la « bonne » perspective, purement géométrique et mathématique, fait appel à un « point de fuite central ». Enfin, une troisième école, celle de Jean Fouquet en France et Léonard de Vinci, constatant les limites du modèle albertien, tente une perspective curviligne.
A l’époque moderne, les partisans de Descartes et de Galilée ont absolument voulu démontrer que leur modèle d’un espace vide était né à la Renaissance avec le modèle albertien. Du coup, toute autre démarche ne peut être que tâtonnement et bidouillage de « primitifs » égarés ou ignares.
Une découverte inestimable
Comme nous l’avons l’évoqué précédemment, le Centre interdisciplinaire d’art et de science de Gand (GICAS) en Belgique travaille depuis 2007 à un nouveau « catalogue raisonné » de l’œuvre de Quinten Matsys. Dans ce cadre, en 2010, Jochen Ketels et Maximiliaan Martens ont examiné le Retable Sainte Anne de Matsys et l’impressionnant portique italianisant du panneau central.
Rappelons que la partie peinte (en deux dimensions) sur le volet central a été conçue par l’artiste pour se prolonger et s’intégrer harmonieusement dans une vaste construction en bois (en trois dimensions) servant d’encadrement, structure malheureusement perdue mais dont on connaît l’existence grâce à des dessins.
« Lorsque nous avons dirigé nos lampes photographiques vers le panneau central, écrivent les deux chercheurs, la lumière rasante a révélé quelque chose qui n’avait pas du tout été mentionné dans la littérature : des lignes de construction incisées dans les voûtes à caissons de l’architecture ».
L’infrarouge a également mis en lumière l’existence d’un
« ensemble complexe de lignes de construction dessinées, à main levée ou assistées, créées à l’aide de plusieurs outils et techniques. Non seulement un système de construction aussi complexe n’a pas été observé dans les peintures nordiques de cette période, mais Matsys a dû utiliser une procédure mathématique pour construire la loggia complexe ».
Encore plus intéressant,
« pour dessiner les contours de la coupole tronquée et sa décoration, Matsys n’a pratiquement pas utilisé de lignes, mais a préféré les points (…) au bas du chapiteau, Matsys a ajouté quelques lettres séparées, probablement un ‘z’, un ‘e’ ou un ‘c’ (…) En raison de leur position proche de l’élément et du fait que Piero della Francesca, par exemple, avait déjà utilisé un système similaire avec des chiffres et des lettres dans ses dessins du De Prospectiva Pingendi (Sur la perspective des tableaux, vers 1480), on a des raisons de supposer un lien avec le tracé ou la composition de la colonne. »
A cet égard, il est intéressant de noter que l’une des rares personnes, en contact avec Matsys à un moment ou à un autre, à avoir lu et étudié le traité de Piero della Francesca sur la perspective n’est autre qu’Albrecht Dürer, dont les Quatre livres sur la proportion humaine (1528) s’appuie sur l’approche révolutionnaire de Piero.
Ce que Dürer appelle la méthode du « transfert » de Piero deviendra par la suite la base de la géométrie projective, notamment à l’Ecole polytechnique sous Monge, la science clé qui a rendu possible la révolution industrielle.
Les chercheurs ont également vérifié l’utilisation par Matsys de la perspective du point de fuite central en employant la méthode du « birapport » (cross-ratio en anglais).
Étonnés, car supposément impossible selon ce qu’ils ont appris dans les meilleures écoles, ils constatent que :
« Matsys montre sa compétence en matière de perspective, à la hauteur des normes de la Renaissance italienne », une perspective « très correct, en effet ».
Source : Publication de l’Université de Gand
Jusqu’à présent, on tenait pour acquis que la science de la perspective n’avait atteint les Pays-Bas qu’après le voyage de Jan Gossaert à Rome en 1508, alors que Matsys, qui fait preuve d’une connaissance magistrale et étendue de la science de la perspective, a commencé à composer cette œuvre dès 1507.
4. La collaboration de Matsys avec Patinir et Dürer
Une dernière remarque concernant ce tableau, le paysage montagneux derrière les personnages, qui s’apparente déjà aux paysages typiques et inquiétants produits par l’ami de Matsys, Joachim Patinir (1480-1524), un autre géant mal connu de l’histoire de la peinture.
Pourtant l’autorité de Patinir n’était pas des moindres. Felipe de Guevara, ami et conseiller artistique de Charles Quint et de Philippe II, mentionne Patinir dans ses Commentaires sur la peinture (1540) comme l’un des trois plus grands peintres de la région, aux côtés de Rogier van der Weyden et de Jan van Eyck.
Patinir dirigeait un grand atelier avec des assistants à Anvers. Parmi ceux qui subissent la triple influence de Bosch, Matsys et Patinir, on note :
- Cornelis Matsys (1508-1556), fils de Quinten, qui se mariera avec la fille de Patinir ;
- Herri met de Bles (1490-1566), actif à Anvers, possible neveu de Patinir ;
- Lucas Gassel (1485-1568), actif à Bruxelles et à Anvers;
- Jan Provoost (1465-1529), actif à Bruges et Anvers ;
- Jan Mostaert (1475-1552), peintre actif à Haarlem ;
- Frans Mostaert (1528-1560), peintre actif à Anvers ;
- Jan Wellens de Cock (1460-1521), peintre actif à Anvers ;
- Matthijs Wellens de Cock (1509-1548), peintre-graveur actif à Anvers ;
- Jérôme Wellens de Cock (1510-1570), peintre-graveur, qui fonda, avec sa femme, l’entreprise Aux Quatre Vents, probablement le plus grand atelier de gravure au nord des Alpes de l’époque, qui employait Pieter Brueghel l’Aîné.
Il est généralement admis que Matsys a peint les figures de certains paysages de Patinir. D’après l’inventaire de 1574 de l’Escorial, ce fut le cas pour Les tentations de saint Antoine (1520, Prado, Madrid). On est tenté de penser que cette collaboration entre amis a fonctionné dans les deux sens, à savoir que Patinir a réalisé des paysages pour des œuvres de Matsys et à sa demande, une réalité qui met quelque peu à mal le mythe persistant d’une Renaissance présentée comme le berceau de l’individualisme moderne.
Le fait que Matsys et Patinir étaient très proches est confirmé par le fait qu’après la mort prématurée de Patinir, Matsys devient le tuteur de ses deux filles. Il est également intéressant de noter que Gérard David, qui est devenu le principal peintre de Bruges après Memling, est devenu membre de la guilde St. Lucas d’Anvers en 1515 conjointement avec Patinir, ce qui lui a permis d’accéder légalement au marché de l’art anversois, en pleine expansion.
Les historiens de l’art moderne ont tendance à présenter Patinir comme l’« inventeur » de la peinture de paysage, affirmant que pour lui, les sujets religieux n’étaient que des prétextes pour présenter ce qui l’intéressait vraiment, les paysages, tout comme Rubens a peint Adam et Eve uniquement parce qu’il aimait peindre (et vendre) des nus.
C’est plausible pour Rubens, mais assez faux pour Patinir, dont les « beaux » paysages, comme l’a démontré l’historien de l’art Reindert L. Falkenberg, n’auraient été qu’une sorte de tromperie sophistiquée du diable. La beauté du monde, création satanique chez Patinir, n’existe que pour tenter les humains et les faire succomber au péché.
Rencontre avec Albrecht Dürer
Pourquoi Dürer est-il venu dans les Pays-Bas ? L’une des explications est qu’après la mort de son principal mécène et donneur d’ordre, l’empereur Maximilien Ier, l’artiste serait venu pour faire confirmer sa pension par Charles Quint.
Dürer arrive à Anvers le 3 août 1520 et visite Bruxelles et Malines où il est reçu par Marguerite d’Autriche (1480-1530), tante de Charles Quint. Chargée d’administrer les Pays-Bas bourguignons tant que Charles est trop jeune, elle prête parfois à Érasme une oreille attentive tout en gardant ses distances.
A Malines, Dürer a certainement visité la belle demeure de Jérôme de Busleyden (1470-1517), le mécène qui permettra à Erasme de démarrer en 1517 le « Collège trilingue ». Busleyden était l’ami de l’évêque de Londres, Cuthbert Tunstall (1475-1559), qui le présente à Thomas More (1478-1535).
Lors de son séjour chez Margaret, Dürer a pu admirer un incroyable tableau de sa collection, Le couple Arnolfini (1434) de Jan van Eyck. Marguerite venait d’accorder une pension au peintre vénitien, Jacopo de’ Barbari (1440-1515), diplomate et exilé politique à Malines, qui réalisa un portrait de Luca Pacioli (1445-1514), le franciscain qui fit découvrir Euclide à Léonard et écrivit De Divina Proportione (1509) que Léonard illustra.
De’ Barbari est mentionné par plusieurs de ses contemporains, notamment Dürer, Marcantonio Michiel (1584-1552) et Gérard Geldenhauer (1482-1542). En 1504, de’ Barbari a rencontré Dürer à Nuremberg et ils ont discuté du canon des proportions humaines, un sujet central des recherches de ce dernier. Un manuscrit non publiée du traité de Dürer révèle que l’Italien n’était pas disposé à partager ses découvertes :
« Je ne trouve personne qui ait écrit quoi que ce soit sur la façon d’élaborer le canon de proportions humaines, à l’exception d’un homme nommé Jacob, né à Venise et peintre charmant. Il me montra [sa gravure d’] un homme et une femme qu’il avait faits sur mesure, de sorte que je préférais maintenant voir ce qu’il voulait dire plutôt que de contempler un nouveau royaume… Jacobus n’a pas voulu me montrer clairement ses principes, ça, je l’ai bien vus »
(cité dans Levinson, Early Italian Engravings from the National Gallery of Art).
En mars 1510, selon les archives, de’ Barbari est au service de l’archiduchesse Marguerite à Bruxelles et à Malines. En janvier 1511, il tombe malade et rédige un testament. En mars, l’archiduchesse lui accorde une pension à vie en raison de son âge et de sa faiblesse. Il meurt en 1516, laissant à l’archiduchesse une série de 23 planches à graver. Mais lorsque Dürer lui demande de lui fournir certains des écrits de de’ Barbari sur les proportions humaines, elle décline poliment sa demande. Le journal de Dürer révèle qu’il était souvent reçu par ses collègues locaux.
A Anvers, « je suis allé voir Quinten Matsys dans sa maison », écrit-il dans son journal. Dans la même ville, il esquisse un portrait de Lucas van Leyden (1489-1533), et réalise le célèbre portrait du vieillard barbu de 93 ans qui servira de modèle à son Saint Jérôme.
Il rencontre au moins trois fois Érasme dont il fait un portrait respirant une complicité mutuelle. Érasme lui passe commande car il a besoin d’un grand nombre de portraits pour les envoyer à ses correspondants dans toute l’Europe. Comme il l’indique dans son journal, Dürer esquisse plusieurs fois Érasme au fusain lors de ces rencontres. Il en tirera un portrait gravé un peu maladroit, réalisé six ans plus tard.
A l’occasion de son deuxième mariage, le 5 mai 1521, Patinir invite Dürer. On ne sait pas quand et comment cette amitié a commencé, ou si elle était simplement de circonstance. Le maître de Nuremberg esquisse le portrait de Patinir et l’appelle « der gute Landschaftsmaler » (le bon peintre de paysages), créant ce mot nouveau pour ce qui devient un nouveau genre.
Lors du mariage, il rencontre Jan Provoost (1465-1529), Jan Gossaert (de Mabuse) (1462-1533) et Bernard van Orley (1491-1542), des peintres en vogue à la cour de Malines.
Mais la Mort et l’Avare (1515, Bruges) de Provoost est clairement d’inspiration erasmienne.
Le poète, professeur de latin et philologue Cornelis de Schrijver (Grapheus) (1482-1558), collaborateur de l’imprimeur d’Érasme à Louvain et Anvers, Dirk Martens, est une figure qui a pu mettre Dürer en lien avec les peintres d’Anvers, ville dont il est le secrétaire en 1520.
Les imprimeurs et les éditeurs ont joué un rôle clé à la Renaissance, car ils serviront d’intermédiaires entre, d’une part, les intellectuels, les érudits et les savants, et d’autre part, les illustrateurs, les graveurs, les peintres et les artisans. Comme Dürer lui-même, Grapheus était attiré par les idées de la Réforme, dont Luther et Érasme étaient les chefs de file. On sait que Grapheus a acheté à Dürer un exemplaire du De Captivitate (De la captivité babylonienne de l’Église) de Luther, un ouvrage incontournable pour quiconque s’intéressait à l’avenir de la chrétienté.
Comme Érasme et bien d’autres humanistes, Dürer a été l’hôte de Quinten Matsys dans sa fabuleuse maison de la Schuttershofstraat, ornée de décorations italiennes (festons de feuilles, de fleurs ou de fruits) et de grotesques (réseaux décoratifs et symétriques de lignes et de figures).
Une représentation idéalisée de la rencontre Dürer-Matsys (sous le regard de Thomas More et d’Érasme) figure dans un tableau de Nicaise de Keyser (1813-1887) conservé au Musée royal des arts d’Anvers. Une autre scène, un dessin de Godfried Guffens (1823-1901) datant de 1889, montre l’échevin anversois Gérard van de Werve recevant Albrecht Dürer qui lui est présenté par Quinten Matsys.
Lorsque Charles Quint revint d’Espagne et visita Anvers, Grapheus écrivit un panégyrique pour saluer son retour. Mais en 1522, il est arrêté pour hérésie, emmené à Bruxelles pour y être interrogé et emprisonné. Il perd alors son poste de secrétaire. En 1523, il est libéré et retourne à Anvers, où il devient professeur de latin. En 1540, il redevient secrétaire de la ville d’Anvers. La propre sœur de Quentin Matsys, Catherine, et son mari ont été condamnés à mort à Louvain en 1543 pour ce qui était devenu le délit capital de lecture de la Bible depuis 1521 : il a été décapité, elle aurait été enterrée vivante sur la place devant l’église.
A cause de leurs convictions religieuses, les enfants de Matsys quittent Anvers et partent en exil en 1544. Cornelis finira ses jours à l’étranger.
5. Le lien avec Erasme
En 1499, Thomas More et Érasme se rencontrent à Londres. Leur rencontre initiale s’est transformée en une amitié à vie, puisqu’ils ont continué à correspondre régulièrement. A cette époque, ils ont collaboré à la traduction en latin et à l’impression de certaines œuvres du satiriste assyrien Lucien de Samosate (vers 125-180 après J.-C.), surnommé à tort « le Cynique ».
Érasme a traduit le texte satirique de Lucien, Sur ceux qui sont aux gages des grands, et l’a fait envoyer à son ami Jean Desmarais, professeur de latin à l’Université de Louvain et chanoine à l’église Saint-Pierre de cette ville.
Lucien, dans son texte, attaque l’état d’esprit des érudits qui vendent leur âme, leur esprit et leur corps au pouvoir dominant. Il en cite, fier de lui, disant :
« Quel bonheur de compter au nombre de ses amis les premiers citoyens de Rome, de faire des dîners splendides, sans qu’il en coûte rien, de loger dans une belle maison, de voyager à son aise, mollement couché sur un char attelé de chevaux blancs de recevoir, en outre, une magnifique récompense de cette amitié et du bien-être dont il vous est donné de jouir ! Quel bon métier, où tout vient de la sorte sans semence ni culture ».
Dans un véritable manifeste contre la servitude volontaire, anticipant celui de La Boétie, Lucien, qui pardonne d’abord ceux qui se soumettent par pure nécessité alimentaire, s’en prend à leur fantasme pervers comme cause de leur capitulation :
« Il ne reste plus qu’un motif que je crois vrai, mais qu’ils n’avouent pas : c’est que l’espoir de jouir de mille plaisirs les précipite vers ces maisons, frappés de l’éclat de l’or et de l’argent dont elles brillent, tout heureux des festins et du luxe qu’ils se promettent ; quand ils boiront l’or à pleine coupe et sans obstacle. Voilà ce qui les entraîne ; voilà pourquoi ils échangent leur liberté contre l’esclavage. Ce n’est pas, comme ils le disent, le besoin du nécessaire, c’est le désir du superflu et de toutes ces magnificences. Mais, semblables à des amants infortunés, à des soupirants malheureux, ils sont traités par les riches avec la fierté rusée d’un objet aimé, qui entretient la passion de ses poursuivants, mais qui se laisse à peine dérober la faveur amoureuse d’un baiser, parce qu’il sait que la jouissance anéantit l’amour : il se refuse donc à cette jouissance, il s’en garde avec le plus grand soin. Cependant, pour laisser à l’amant quelque ombre d’espoir, dans la crainte que l’excès des rigueurs ne le désespère et qu’il ne cesse d’aimer, on lui accorde un sourire, on lui promet de faire un jour ce qu’il voudra, de se montrer aimable, de le traiter avec toutes sortes d’égards ; puis insensiblement l’âge arrive, et bientôt l’amour de l’un et les faveurs de l’autre ne sont plus de saison. Ainsi pour eux, la vie tout entière se passe à espérer. »
Lucien, Sur ceux qui sont aux gages des grands.
C’est en 1515 à Anvers, lorsque Thomas More est envoyé en mission diplomatique par le roi Henri VIII pour régler d’importants litiges commerciaux internationaux à Bruges, qu’Erasme lui présente son ami Pieter Gillis (1486-1533) (latinisé en Petrus Ægidius), compagnon humaniste et secrétaire de la ville d’Anvers. Gillis, qui avait débuté à dix-sept ans comme correcteur d’épreuves dans l’imprimerie de Dirk Martens à Louvain et Anvers, connaît Érasme depuis 1504. L’humaniste lui conseille de poursuivre ses études et ils restent en contact. L’imprimeur Martens a édité à Louvain plusieurs livres d’humanistes, notamment ceux de Denis le Chartreux (1401-1471) et De inventione dialectica (1515) de Rudolphus Agricola, le manuel d’enseignement supérieur le plus largement acheté et utilisé dans les écoles et les universités de toute l’Europe. Tout comme More et Érasme, Gilles était un admirateur et disciple d’Agricola, une figure emblématique de l’école des Frères de la Vie commune de Deventer. Grand pédagogue, musicien, facteur d’orgues d’églises, poète en latin et en langue vernaculaire, diplomate, boxeur et, vers la fin de sa vie, érudit en hébreu, Agicola, l’enseignant préféré d’Erasme, était la source d’inspiration de toute une génération. La maison de Gillis à Anvers était également un lieu de rencontre important pour les humanistes, les diplomates et les artistes de renommée internationale. Quinten Matsys y est également un invité de marque. Enfin, c’est Gillis qui recommande à la cour d’Angleterre le peintre Hans Holbein le Jeune, le jeune prodige qui avait illustré l’Éloge de la folie d’Érasme. Du coup il sera reçu outre-manche par Thomas More avec grand enthousiasme. Son frère Ambrosius Holbein (1494-1519) illustrera plus tard l’Utopie de More.
6. L’Utopie de Thomas More
Gillis partage avec More et Érasme une grande sensibilité à la justice, ainsi qu’une sensibilité typiquement humaniste vouée à la recherche de sources de sagesse plus fiables. Il est avant tout connu comme un personnage apparaissant dans les premières pages de l’Utopie, lorsque Thomas More le présente comme un modèle de civilité et un humaniste à la fois plaisant et sérieux :
« J’ai souvent reçu pendant ce séjour [à Bruges], entre autres visiteurs et bienvenus entre tous, Pieter Gillis. Né à Anvers, il jouit d’un grand crédit et d’une position éminente parmi ses concitoyens, digne des plus grands, car le savoir et le caractère de ce jeune homme sont également remarquables. Il est en effet plein de bonté et d’érudition, accueillant tout le monde avec libéralité, mais, quand il s’agit de ses amis, avec un tel élan, une telle affection, une telle fidélité et un tel dévouement sincère, qu’on trouverait peu d’hommes qui lui soient comparables dans les choses de l’amitié. Peu d’hommes ont aussi sa modestie, son manque d’affectation, son bon sens naturel, tant de charme dans la conversation, tant d’esprit avec si peu de malice ».
L’oeuvre la plus célèbre de Thomas More est bien sûr l’Utopie, composée en deux volumes.
Il s’agit de la description d’une île fictive qui n’était pas gouvernée par une oligarchie comme la plupart des États et empires occidentaux, mais qui était gouvernée sur la base des idées du bien et du juste que Platon a formulées dans son dialogue, La République.
Alors que l’Éloge de la folie d’Érasme appelait à une réforme de l’Église, l’Utopie de More (écrit en partie par Erasme), une autre satire de la corruption, de l’avidité, de la cupidité et des échecs qu’ils voyaient autour d’eux, appelait à une réforme de l’État et de l’économie.
L’idée du livre est venue à Thomas More alors qu’il séjournait dans la résidence anversoise de Gillis, Den Spieghel, en 1515.
Le premier volume, commence par une correspondance entre More et d’autres personnes, dont Pieter Gillis. De retour en Angleterre en 1516, l’humaniste anglais rédige l’essentiel de l’ouvrage.
Entre décembre 1516 et novembre 1518, quatre éditions de l’Utopie furent composées par Erasme et Thomas More et paraîssent en décembre 1516 chez l’éditeur Dirk Martens à Louvain. Avec le texte, une carte gravée sur bois de l’île d’Utopie, des vers de Gillis et l’« alphabet utopique » que ce dernier invente pour l’occasion, des vers de Geldenhouwer, historien et réformateur lui aussi éduqué par les Frères de la Vie commune de Deventer, des vers de Grapheus ainsi que l’épître de Thomas More dédicaçant l’ouvrage à Gillis. Plusieurs années après la mort de More et d’Érasme, en 1541, Grapheus, avec Pieter Gillis, publia son Enchiridio Principis Ac Magistratus Christiani.
7. Pieter Gillis et le « Diptyque de l’amitié »
Outre les triptyques et les peintures religieuses, Matsys excellait dans les portraits. L’une des plus belles oeuvres de Matsys est le double portrait d’Érasme et de son ami Gillis, peint en 1517.
Ce diptyque de l’amitié devait servir de visite « virtuelle » à leur ami anglais Thomas More à Londres et ils ont demandé à Quinten Matsys de réaliser les deux tableaux, car il était le meilleur peintre de la place. Le portrait d’Érasme fut le premier à être achevé. Celui de Gillis était constamment retardé parce qu’il tombait malade entre les séances de pose. Les deux hommes, dans leur correspondance, avaient parlé de ce double portrait à Thomas More, ce qui n’était peut-être pas une bonne idée, car More les interrogeait constamment sur l’état d’avancement des oeuvres et devenait très impatient de recevoir ce cadeau. Les deux oeuvres furent finalement achevées et envoyées à More alors qu’il se trouvait à Calais. Bien qu’ils soient représentés sur des panneaux distincts, les deux hommes érudits et cultivés sont présentés dans un espace d’étude continu. Si l’on regarde les deux tableaux côte à côte, on constate que Matsys a astucieusement maintenu la bibliothèque derrière les deux personnages, ce qui donne l’impression que les deux hommes représentés dans les deux panneaux distincts occupent la même pièce et se font face.
Érasme est occupé à écrire et Pieter Gillis montre les Antibarbari, un livre qu’Erasme préparait pour publication, tandis qu’il tient une lettre de More dans sa main gauche. La présentation d’Erasme dans son étude fait écho aux représentations de Saint Jérôme qui, avec sa traduction de la Bible, est un exemple pour tous les humanistes et dont Erasme venait de publier l’oeuvre. Il est intéressant de regarder les livres sur les étagères à l’arrière-plan.
- Sur l’étagère supérieure du tableau d’Érasme se trouve un livre portant l’inscription Novum Testamentum Graece, la première édition du Nouveau Testament en grec publiée par Érasme en 1516.
- L’étagère inférieure contient un tas de trois livres.
–Le livre du bas porte l’inscription Jérôme, qui fait référence aux éditions de l’humaniste des oeuvres de ce Père de l’Eglise ;
–le livre du milieu porte l’inscription Lucien, en référence à la collaboration entre Érasme et Thomas More dans la traduction des Dialogues de Lucien.
–L’inscription sur le livre au sommet des trois est le mot Hor, qui se lisait à l’origine Mor. La première lettre a probablement été modifiée lors d’une restauration ancienne, car outre le fait que Mor soit les premières lettres du nom de famille de Thomas More, elles font certainement référence aux essais satiriques écrits par Érasme alors qu’il séjournait chez Thomas More à Londres en 1509 et intitulés Encomium Moriae (Éloge de la folie).
Nous voyons Érasme en train d’écrire un livre. Cette représentation a fait l’objet d’une attention particulière, car les mots que l’on voit sur le papier sont une paraphrase de l’Épître aux Romains de saint Paul, l’écriture étant une reproduction soignée de celle d’Érasme, et la plume de roseau qu’il tient est connue pour être le moyen d’écriture favori d’Érasme.
En y regardant de plus près, dans l’ombre, on distingue une bourse dans les plis de la cape d’Érasme. Il se peut qu’Érasme ait voulu que l’artiste l’inclue pour illustrer sa générosité. Erasmus et Gillis ont tenu à informer Thomas More qu’ils avaient partagé le coût du tableau parce qu’ils voulaient qu’il s’agisse d’un cadeau de tous les deux.
Thomas More a fait part de sa grande satisfaction à propos de ces portraits dans de nombreuses lettres, les peintures étant exécutées « avec une si grande virtuosité que tous les peintres de l’Antiquité pâlissent en comparaison », tout en avouant une fois un peu après qu’il aurait préféré son image taillée dans la pierre (dans une incarnation qu’il estimait moins périssable).
8. Le lien avec Léonard de Vinci (I)
Plusieurs tableaux indiquent de façon incontestable que Matsys et son entourage avaient des connaissances approfondies et s’inspiraient en partie des peintures et dessins de Léonard de Vinci, sans nécessairement saisir pleinement l’intention scientifique et philosophique de l’auteur. C’est clairement le cas de la Vierge à l’Enfant du musée de Poznan (1513, Pologne), qui présente littéralement, devant un paysage de montagne de style Patinir, la pose gracieuse et aimante de Marie tenant le Christ dans ses bras, ce dernier embrassant l’agneau, presqu’une une copie de Sainte Anne et la Vierge de Léonard de Vinci, une oeuvre qu’il commence en 1503 et qu’il apporte à Amboise en France en 1517. Comme nous l’avons déjà dit, on ne sait pas comment cette image a pu atteindre le maître, qu’il s’agisse d’estampes, de dessins ou de contacts plus personnels.
Un deuxième exemple se trouve dans le Triptyque de la Déploration du Christ (1508-1511).
La scène centrale du triptyque ouvert, qui rappelle La descente de croix de Rogier van der Weyden (1435, Museo del Prado, Madrid), est soutenue par le paysage. Le drame religieux est étudié en détail et mis en scène de manière harmonieuse. En même temps, Matsys respecte la grande importance des croyants pour la narration et la description. Si la scène est propice à la réflexion et à la prière, Matsys déploie également la science du contraste. Si certains personnages plus rustres, notamment les têtes orientales, ont pu être inspirés par des visages de marins et de marchands qu’il a pu croiser dans le port, les traits de ceux qui sont frappés par la douleur et le chagrin sont plein de grâce.
Dans le panneau du milieu, nous ne voyons pas la souffrance, mais la lamentation après la souffrance. Il dépeint le moment où Joseph d’Arimathie vient demander à la Vierge la permission d’enterrer le corps du Christ. Derrière l’action centrale se trouve la colline du Golgotha, avec ses quelques arbres, la croix et les voleurs crucifiés.
Le panneau de gauche montre Salomé présentant la tête de Jean-Baptiste à Hérode le Grand, roi de Judée, Etat client de Rome.
Le panneau de droite est une scène d’une extraordinaire cruauté, représentant saint Jean, dont le corps est plongé dans un chaudron d’huile bouillante. Le saint, nu jusqu’à la taille, semble presque angélique, comme s’il ne souffrait pas. Autour de lui, une foule de visages sadiques, de vilains rustres aux vêtements criards. La seule exception à cette règle est la figure d’un jeune Flamand, peut-être une représentation du peintre lui-même, qui observe la scène du haut d’un arbre.
Quant aux visages des personnages qui entourent Saint Jean Baptise, tout comme ceux qui chauffent le chaudron, ils proviennent directement du dessin de Léonard de Vinci intitulé Les cinq têtes grotesques (vers 1494, Chateau de Windsor, Angleterre). L’ironie et l’humour flamands ont fait bon accueil à ceux de Léonard !
Chez Léonard, les visages semblent même éclater dans un rire hilarant, en se regardant les uns les autres et en regardant la figure couronnée au centre. Les feuilles de cette couronne ne sont pas celles des lauriers qui célèbrent les poètes et les héros, mais celles… d’un chêne.
A cette époque, le pape anti-humaniste et belliciste qui triomphait à Rome était Jules II, que Rabelais a mis en enfer en train de vendre des petits pâtés. Jules était membre d’une puissante famille de la noblesse italienne, la maison Della Rovere, littéralement « du chêne »…
C. La science erasmienne du grotesque
1. Dans la peinture religieuse
L’utilisation de têtes grotesques, exprimant les basses passions qui submergent et dominent les personnes malveillantes, était une pratique courante dans les peintures religieuses pour donner vie et contraste dans les oeuvres. En 1505, Dürer se rend à Venise et dans la ville universitaire de Bologne pour s’initier à la perspective. Il se rend ensuite plus au sud, à Florence, où il découvre les oeuvres de Léonard de Vinci et du jeune Raphaël, puis à Rome.
Le Christ parmi les docteurs (1506, Collection Thyssen Bornemisza, Madrid), a été peint à Rome en cinq jours et reflète l’influence éventuelle des grotesques de Léonard.
Dürer était de retour à Venise au début de l’année 1507 avant de retourner à Nuremberg la même année. Le Christ portant la croix de Jérôme Bosch (après 1510, Gand) est un autre exemple célèbre. La tête du Christ est entourée d’un groupe dynamique de « tronies » ou visages grotesques.
Bosch s’est-il inspiré de Léonard et de Matsys, ou est-ce l’inverse ? Si la composition peut sembler chaotique à première vue, sa structure est en réalité très rigide et formelle. La tête du Christ est placée précisément à l’intersection de deux diagonales. La poutre de la croix forme une diagonale, avec la figure de Simon de Cyrène aidant à porter la croix en haut à gauche, et avec le « mauvais » meurtrier en bas à droite.
L’autre diagonale relie l’empreinte du visage du Christ sur le suaire de Véronique, en bas à gauche, au voleur pénitent, en haut à droite.
Il est attaqué par un charlatan diabolique ou un pharisien et un moine diabolique, allusion évidente de Bosch au fanatisme religieux de son époque.
Les têtes grotesques rappellent les masques souvent utilisés dans les jeux de la passion ainsi que les caricatures de Léonard de Vinci.
En revanche, le visage du Christ, modelé avec douceur, est serein. Il est le Christ souffrant, abandonné de tous et qui triomphera de tous les maux du monde. Cette représentation s’inscrit parfaitement dans les idées de la Devotio Moderna.
Quinten Matsys, dans son Ecce Homo’s (1526, Venise, Italie), se base clairement sur la tradition de Bosch.
2. Les avares, les banquiers, les receveurs d’impôts et les agents de change, la lutte contre l’usure
La dénonciation satirique par Matsys de l’usure et de la cupidité est directement liée à la critique religieuse, philosophique, sociale et politique d’Érasme et de More.
Marlier, dans une description magistrale, met en lumière comment les usuriers et les spéculateurs sont devenus à Anvers les acteurs dominants de la vie économique de l’époque, une situation qui n’est pas sans rappeler la situation mondiale actuelle :
« C’est qu’au XVIe siècle la substitution progressive de la nouvelle économie capitaliste à l’ancien régime corporatif est allée de pair avec une succession de crises, dont pâtissent surtout les petites gens. Si la spéculation boursière, les manipulations monétaires et le commerce de l’argent favorisent l’édification de fortunes considérables, ils entraînent par contre l’appauvrissement et souvent la ruine des artisans et des paysans. Des marchands enrichis, des financiers mettent la main sur l’industrie et réduisent l’ouvrier au rang de prolétaire. Les travailleurs doivent passer désormais par toutes les conditions de ceux qui les emploient. Les salaires ne sont plus respectés et bien souvent le chômage sévit et plonge les familles dans la misère.
Le bouleversement économique s’accompagne de troubles financiers provoqués par l’afflux des métaux précieux de l’Amérique en l’Espagne. De gigantesques opérations de banque s’effectuent à Anvers, qui devient, sous le règne de Charles Quint, le grand marché monétaire de l’Europe. A partir de la troisième décade du siècle, le pouvoir d’achat des devises commence à fléchir et il en résulte une hausse continue des prix. Les salaires, par contre, restent stationnaires. Les hommes de finance accaparent les marchandises, détiennent les monopoles et s’emparent même des terres, dont ils pressurent sans pitié les tenanciers. Voilà les nouveaux riches, contre lesquels les pauvres et les faibles murmurent, mais que l’empereur protège, parce qu’ils sont les seuls capables de lui avancer les fonds nécessités par sa politique européenne.
Charles Quint doit se soumettre aux exigences draconiennes de ses banquiers et le service des intérêts exorbitants le pousse à multiplier les impôts. Il escompte le produit des taxes futures et met à l’encan certains offices de trésorerie. On devine les abus qui en résultent. Les taxes ne sont pas levées directement par le gouvernement, mais affermées à des accisiens, qui se rendent odieux par leurs exactions. Ils sont sans pitié pour les petites gens, auxquels ils enlèvent le peu qu’ils possèdent ».
(Marlier, p. 252-253)
« Dans une telle conjoncture, conclut Marlier, où les crises se multiplient, où la ruine succède du jour au lendemain à une prospérité fallacieuse, où le commerce est envahi par une foule de pratiques malhonnêtes, l’usure devait nécessairement prospérer. Du haut en bas de l’échelle sociale, quantité de personnes sont contraintes d’emprunter, moyennant un intérêt abusif. A tous les étages de la société, l’usurier se livre à son activité rémunératrice. Il trouve ses victimes aussi bien dans les milieux de l’aristocratie que parmi les paysans et les ouvriers. Dans les villes, il y a maintenant une classe d’hommes et de femmes qui ne vivent que de l’usure ».
(Marlier, p. 253)
A cela ajoutez le fait que les Fugger et les Welser s’cinvestissent massivement dans le commerce d’esclaves en provenance d’Afrique.
Les Fugger utilisent leurs mines d’Europe de l’Est et d’Allemagne pour produire des manillas (bracelets), des objets d’échange en métal qui sont entrés dans l’histoire comme « monnaie de traite » en raison de leur utilisation sur les côtes de l’Afrique de l’Ouest.
Les Welser, qui se concentrent sur les épices et le commerce de textile, ont tenté de leur coté d’établir une colonie dans ce qui est aujourd’hui le Venezuela (Nom espagnol dérivé de l’italien Venezziola, « petite Venise », devenue Welserland) et ont expédié plus de 1 000 Africains réduits en esclavage vers l’Amérique.
Pendant ce temps, dans les maisons des citoyens prospères d’Augsbourg, des esclaves indiens étaient forcés de travailler pour leurs « maîtres ».
D’après le site officiel de la famille Fugger, l’histoire selon laquelle Anton Fugger aurait jeté les reconnaissances de dettes de ce dernier dans le feu en 1530, sous les yeux de Charles Quint, afin de renoncer généreusement au remboursement de crédits, est une pure fiction.
Mais il a accordé au nouvel empereur une petite réduction de dette (haircut). En échange, Charles Quint renonce à son projet de « loi impériale sur les monopoles », qui aurait considérablement réduit le champ d’action des banques et des maisons de commerce du Saint Empire romain germanique.
Selon Richard Ehrenberg, chercheur sur les Fugger, l’histoire concernant Anton n’est apparue qu’à la fin du XVIIe siècle, sans doute pour attester de sa loyauté envers l’empereur.
Thomas More et Érasme ont dénoncé cette montée brutale des abus financiers prédateurs et criminels dans l’Utopie.
Sans refuser l’essor du capitalisme entrepreneurial moderne, Érasme condamne sans façons les abus d’un capitalisme financier totalement débridé :
« Le Christ, déclare-t-il, n’a pas interdit l’activité ingénieuse, mais le souci tyrannique du gain. »
Les fonctionnaires, plaide-t-il dans son Éducation d’un prince chrétien (1516), écrit pour éclairer le jeune Charles Quint qui ne l’a jamais lu, doivent être recrutés sur la base de leur compétence et de leur mérite, et non en raison de leur nom glorieux ou de leur statut social. Pour Érasme, (s’exprimant de façon satirique par la bouche de la Folie) :
« La plus folle et la plus méprisable de toutes les classes humaines, c’est celle des marchands. Occupés sans cesse du vil amour du gain, ils emploient pour le satisfaire, les moyens les plus infâmes : le mensonge, le parjure, le vol, la fraude, l’imposture remplissant leur vie entière. Cependant ils se croient de grands personnages, parce que leurs doigts sont chargés d’anneaux d’or et il se trouve assez de moinillons flatteurs qui ne rougissent pas de leur donner en public les titres les plus honorables pour attraper quelque parcelle d’un bien si mal acquis ». (cité dans Marlier, p. 270)
On peut, comme l’affirme Silver, sur la base de ce qui est écrit dans les registres représentés dans cette oeuvre et du fait que la collecte des impôts était confiée à des particuliers, réattribuer au tableau de Matsys, désigné jusqu’à récemment comme Les usuriers, la description plus « factuellement exacte » de Les receveurs d’impôts.
Cependant, force est de constater que cela ne change rien au fait que le sujet de cette oeuvre semble correspondre à ce que dénonce un vieux proverbe de l’époque :
« Un usurier, un meunier, un changeur de monnaie et un collecteur d’impôts sont les quatre évangélistes de Lucifer ».
Alors que le clerc municipal, à gauche, semble « raisonnable », puisque son visage n’est pas « grotesque », l’homme assis derrière, celui qui a extorqué l’impôt au peuple en s’engraissant au passage, dans une étrange rotation de son bras protégeant une bourse en cuir, montre la face grotesque et laide de la cupidité, justifiée par ce qu’il a déclaré et qui a été consigné dans les registres officiels.
La complaisance entre les deux hommes, l’un faisant le mal, l’autre fermant les yeux devant des pratiques innommables, est la véritable laideur de l’histoire. Les agents de change ou changeurs de monnaie, admet Silver, ont souvent joué le même rôle que les banquiers, citant l’historien de l’économie Raymond de Roover.
De plus, la quatrième canaille non représentée, le meunier (cible des peintures de Bosch et de Brueghel), était souvent fustigée parce que le prix des céréales devenait un point sensible à répétition dans les époques de fluctuation des prix des matières premières, comme c’était le cas à cette période.
Étant donné que le pillage financier prévalait après les années 1520, de telles dénonciations satiriques de la cupidité financière ne pouvaient que devenir très populaires. Le sujet est repris presque immédiatement par le fils du peintre, Jan Matsys (1510-1575), copié presque à l’identique par Marinus van Reymerswaele (1490-1546) et par Jan Sanders van Hemessen (1500-1566).
Le Banquier et sa femme
Dans une version plus « civilisée » de cette métaphore, sur le même thème, on trouve le célèbre Banquier (changeur ou prêteur) et sa femme de Matsys (1514, Louvre, Paris).
Dans un chapitre de son livre Les primitifs flamands intitulé Les héritiers des fondateurs, l’historien d’art Erwin Panofsky considère cette oeuvre comme une « reconstruction » d’une « oeuvre perdue de Jan van Eyck (un ‘tableau avec des figures à mi-corps, représentant un patron faisant ses comptes avec son employé’), que Marcantonio Michiel prétend avoir vue à la Casa Lampugnano de Milan ».
Soulignons de nouveau qu’il ne s’agit pas ici d’un double portrait d’un banquier et sa femme, mais d’un seule métaphore.
Tandis que le banquier (dans le même geste que Jacob Fugger sur le tableau de Lorenzo Lotto) vérifie si le poids du métal des pièces correspond bien à leur valeur nominale, sa femme, qui tourne les pages d’un livre d’heures, jette un regard triste sur les activités cupides de son mari visiblement malheureux.
En 1963, Georges Marlier écrivait :
« Le tableau du Louvre n’a pas d’accent satirique, mais reflète une préoccupation morale (…) L’intention édifiante est soulignée par une inscription qui figurait sur le cadre à l’époque, vers le milieu du XVIIe siècle, où le tableau se trouvait dans la collection Stevens à Anvers : “Stature justa et aequa sint podere” (que la balance soit juste et les poids égaux)
En effet, dans le Lévitique, XIX, 35-36, on peut lire:
35. « Ne faites rien contre l’équité, ni dans les jugements, ni dans ce qui sert de règle, ni dans les poids, ni dans les mesures.
36. « Que la balance soit juste, et les poids tels qu’ils doivent être ; que le boisseau soit juste, et que le setier ait sa mesure. »
Le banquier a, en plus de la balance qu’il utilise, fixé une paire de balances au mur derrière lui. Pour les humanistes chrétiens, le poids de la richesse matérielle est à l’opposé de celui de la richesse spirituelle. Dans le Jugement dernier de Van der Weyden à Beaune, le peintre montre ironiquement un ange pesant les âmes ressuscitées, envoyant les plus lourdes d’entre elles… en enfer.
D’autres supposent que la femme du banquier n’est pas complètement insensible à toutes les pièces de monnaie sur la table, mais que l’attention de ses yeux se porte davantage sur les mains de son mari que sur les objets posés sur la table. Piété ou plaisir de la richesse ? Un fruit sur l’étagère (pomme ou orange), juste au-dessus de son mari, pourrait être une référence au fruit défendu mais la bougie éteinte sur l’étagère derrière elle rappelle la brièveté des plaisirs terrestres.
Lorsque Marinus van Reymerswaele reprend ce thème (ci-dessus), la tentation de la femme pour l’argent sur la table semble encore plus grande.
Miroir bombé
On peut supposer que le miroir convexe (bombé), posé au premier plans sur la table du couple, opère comme une « mise en abîme » (une « pièce dans la pièce » ou « un tableau dans le tableau »). On y voit un homme (le banquier ?), lisant lui-même un livre (religieux ?).
Le miroir ne montre pas nécessairement un espace réel existant mais peut très bien représenter une séquence temporelle imaginaire en dehors de l’espace-temps de la scène principale. Il peut montrer le banquier dans sa vie future, libéré de la cupidité, lisant un livre religieux avec une grande ferveur.
Si l’utilisation d’images de miroirs convexes (dont les lois optiques ont été décrites par des scientifiques arabes comme Alhazen et étudiées par des franciscains d’Oxford comme Roger Bacon) rappelle à la fois le tableau représentant le couple Arnolfini de Van Eyck (1434, National Gallery, Londres) et celui de Petrus Christus (1410-1475) Orfèvre dans son atelier ou Saint Eligius (1449, Metropolitan Museum of Art, New York), la peinture de Matsys, qui cherche à rendre hommage au grand Van Eyck, est une création très réussie en son genre.
La bonne nouvelle est que, jusqu’à présent, l’hypothèse la plus généralement retenue quant à la signification de cette peinture est qu’il s’agit d’une œuvre religieuse et moralisante, sur le thème de la vanité des biens terrestres en opposition aux valeurs chrétiennes intemporelles, et d’une dénonciation de l’avarice en tant que péché capital.
Sur le plan du contenu, le tableau pourrait également être lié à un thème courant à l’époque, à savoir La vocation de saint Matthieu.
9. En partant de là, Jésus vit un homme du nom de Matthieu, assis dans la cabane d’un collecteur d’impôts. Il lui dit : « Suis-moi », et Matthieu se leva et le suivit.
10. Pendant que Jésus dînait dans la maison de Matthieu, beaucoup de publicains (collecteur d’impôts) et de pécheurs vinrent manger avec lui et ses disciples.
11. Voyant cela, les pharisiens demandèrent à ses disciples : « Pourquoi votre maître mange-t-il avec les publicains et les pécheurs ? »
12. Après avoir entendu cela, Jésus dit : Ce ne sont pas les gens en bonne santé qui ont besoin d’un médecin, mais les malades.
13. Allez donc apprendre ce que signifie : ‘Je désire la miséricorde et non les sacrifices'[a] ; car je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs. »
(Mt 9, 9-13)
Le passage ci-dessus est probablement autobiographique en ce sens qu’il décrit l’appel de Matthieu à suivre Jésus en tant qu’apôtre. Comme nous le savons, saint Matthieu a répondu positivement à l’appel de Jésus et est devenu l’un des douze apôtres.
Selon l’Évangile, le nom de Matthieu était à l’origine Lévi, un collecteur d’impôts au service d’Hérode et donc peu populaire. Les Romains obligeaient le peuple juif à payer des impôts. Les collecteurs d’impôts étaient connus pour tromper le peuple en demandant plus que ce qui était exigé et en empochant la différence. Bien sûr, une fois que Lévi a accepté l’appel à suivre Jésus, il a été gracié et a reçu le nom de Matthieu, qui signifie « don de Yahvé ».
Ce thème ne pouvait évidemment que plaire à Érasme, puisqu’il n’insiste pas sur la punition, mais sur la transformation positive pour le mieux.
Tant Marinus van Reymerswaele (en 1530) que Jan van Hemessen (en 1536), qui ont copié Matsys après sa mort et s’en sont inspirés, ont repris le sujet dans La vocation de Saint-Matthieu. Dans le tableau de Van Hemessen, on voit également, comme dans l’œuvre de Matsys, la femme du collecteur d’impôts qui se tient devant, elle aussi la main sur un livre ouvert.
3. Le lien avec Da Vinci (II)
Pour résumer, jusqu’ici, trois éléments de l’oeuvre de Matsys nous ont permis d’établir ses liens approfondis avec l’Italie et Léonard.
- Sa bonne connaissance de la perspective, en particulier de celle de Piero della Francesca, comme le démontre la voûte en marbre de style italien apparaissant dans le Triptyque de Saint Anne (Bruxelles)
- Sa reprise des têtes grotesques de Léonard, dans les sadiques à l’oeuvre dans le Triptyque de la Déploration du Christ (Anvers)
- Sa reprise de la pose de la Vierge de la Sainte Anne et la Vierge de Léonard, dans sa Vierge et l’enfant (Poznan, Pologne).
Comment cette influence a pu s’établir reste entièrement à élucider. Plusieurs hypothèses, qui peuvent d’ailleurs se compléter, sont permises :
- Il a pu échanger avec d’autres artistes qui eux avaient effectué de tels voyages et avaient pu établir des contacts en Italie. La question de savoir si Dürer, qui avait ses propres contacts en Italie, aurait servi d’intermédiaire est une autre hypothèse à explorer. Certains dessins anatomiques de Dürer auraient été réalisés d’après Léonard. Jacopo de’ Barbari avait réalisé un portrait de Luca Pacioli, le frère franciscain qui avait aidé Léonard à lire Euclide en grec. Dürer avait rencontré Barbari à Nuremberg, mais, comme nous l’avons vu plus haut, leurs relations se sont dégradées.
- Assez jeune, il s’est rendu, soit en Italie (Milan, Venise, etc.) où il a pu établir, soit un contact direct avec Léonard, soit avec un ou plusieurs de ses élèves.
- Il a pu voir des gravures réalisées et diffusées par des artistes italiens et du Nord. Si les dessins et manuscrits originaux ont été copiés et vendus par Melzi, l’élève de Léonard, après la mort de son maître à Amboise en 1519, l’influence de Léonard sur Matsys apparaît dès 1507.
L’oeuvre de Léonard intéressait toute l’Europe. Par exemple, une réplique grandeur nature de la fresque de la Cène de Léonard est achetée en 1545 par l’abbaye des Norbertins de Tongerlo. Andrea Solario (1460-1524), élève de Léonard de Vinci, aurait créé l’oeuvre avec d’autres artistes. Selon des recherches récentes, il semble que Léonard ait peint lui-même certaines parties de cette réplique.
Le professeur Jean-Pierre Isbouts et une équipe de scientifiques de l’institut de recherche Imec ont examiné la toile à l’aide de caméras multispectrales, qui permettent de reconstituer les différentes couches d’une peinture et de distinguer les restaurations de l’original. Selon les chercheurs, un personnage attire particulièrement l’attention. Jean, l’apôtre à la gauche de Jésus, est peint avec la technique spéciale du « sfumato ». Il s’agit de la même technique que celle utilisée pour peindre la Joconde, et que seul Léonard maîtrisait, affirme Isbouts.
De même, Joos Van Cleve, dans la partie inférieure de sa Déploration (1520-1525), reprend la composition de la Cène de Léonard, ce qui montre bien que l’image était connue de la plupart des peintres du Nord.
Enfin, comme le souligne Silver, l’une des cinq têtes grotesques de Léonard, inversée par rapport à l’original, réapparaît pour le vieillard dans le Couple mal assorti de Matsys, plus tard ! Le fait qu’elle apparaît en image miroir s’expliquerait si Matsys l’a vue en gravure. En imprimant sa plaque, l’image gravée apparaît en effet en négatif par rapport à l’original.
Mais aussi une étude de Léonard de Vinci d’une tête (non grotesque) d’apôtre pour la Cène, présente des caractéristiques proches de celles utilisées par Matsys.
4. L’art du grotesque per se
Le travail de Léonard de Vinci sur les « têtes grotesques » date au moins du début de la période milanaise (années 1490), lorsqu’il a commencé à chercher un modèle pour peindre « Judas » dans la fresque de la Cène (1495-1498).
Léonard se serait inspiré de vraies personnes de Milan et des environs pour créer les personnages du tableau. Lorsque le tableau est presque terminé, Léonard n’a toujours pas de modèle pour Judas. On dit qu’il a traîné dans les prisons et avec les criminels milanais pour trouver un visage et une expression appropriés pour Judas, le quatrième personnage en partant de la gauche et l’apôtre qui a fini par trahir Jésus.
Léonard conseillait aux artistes d’avoir toujours un carnet de notes pour dessiner les gens « se disputant, riant ou se battant ». Il prenait note des visages bizarres sur la piazza. Dans une note où il explique comment dessiner des inconnus, il ajoute,
« je ne dirai rien des visages monstrueux, car ils restent naturellement dans l’esprit ».
Lorsque le prieur du couvent se plaint à Ludovic Sforza de la « paresse » de Léonard qui erre dans les rues à la recherche d’un criminel pour représenter Judas, Léonard répond que s’il ne trouve personne d’autre, le prieur sera un modèle idéal… Pendant l’exécution du tableau, l’ami de Léonard, le mathématicien franciscain Luca Pacioli, est dans les parages et en contact avec le maître.
Pour ce dernier, toujours désireux d’explorer et de capter la dynamique des contrastes de la nature, l’exploration de la laideur n’est pas seulement un jeu, mais inhérente au rôle de l’artiste : « Si le peintre souhaite voir des beautés qui l’enchanteraient », écrit-il dans son carnet,
« il est maître de leur production, et s’il souhaite voir des choses monstrueuses qui pourraient le terrifier ou qui seraient bouffonnes et risibles ou vraiment pitoyables, il en est le seigneur et le dieu ».
La chercheuse italienne Sara Taglialagamba note que le grotesque, qui est anormal ou « hors norme », n’est pas conçu par Léonard « pour s’opposer à la beauté », mais comme « l’opposé de l’équilibre et de l’harmonie ».
Les difformités qui caractérisent les figures de Léonard touchent aussi bien les hommes que les femmes, sont présentes chez les jeunes et les vieux (bien qu’elles se concentrent surtout sur ces derniers), n’épargnent aucune partie du corps et sont souvent combinées pour donner aux sujets des apparences encore plus bestiales.
Géométrie des proportions humaines
De son côté, Dürer, aujourd’hui accusé de « profilage racial », a pris très au sérieux l’étude du canon des proportions humaines, considérées, notamment avec la découverte du livre De Architectura de Vitruve, comme offrant la clé des bonnes proportions pour aussi bien la peinture que l’architecture et l’urbanisme.
Dürer a mesuré de façon systématique toutes les parties du corps humain afin d’établir des relations harmoniques entre elles. Les variations des proportions des visages et des corps, conclut-il, obéissent aux variations générées par des projections géométriques. Elles ne changent pas en termes d’harmonie mais apparaîtront différentes, voire grotesques, lorsqu’elles seront projetées sous un angle particulier.
Léonard et Dürer, et plus tard Holbein le Jeune dans son tableau Les Ambassadeurs (1533, National Gallery, Londres), sont passés maîtres dans la science des « anamorphoses », c’est-à-dire des projections géométriques à partir d’angles tangents qui rendent une image difficilement reconnaissable pour le spectateur qui regarde directement la surface plane, alors que l’image peut être comprise lorsqu’elle est regardée sous cet angle surprenant.
Le fait que des maîtres produisant de belles formes agréables comme Léonard ou Matsys se lancent soudainement dans des caricatures délirantes peut sembler troublant, alors qu’il ne devrait pas en être ainsi.
Toute caricature est basée sur une pensée métaphorique, comme tout grand art.
L’art de la Renaissance est souvent considéré comme ordonné et rassurant, mais les grotesques ne font que perpétuer l’art des gargouilles des bâtisseurs de cathédrales et les « monstres » en marge de tant de manuscrits enluminés que Bosch invitait à mettre en avant, anticipent ceux de François Rabelais, de Francesco Goya et de James Ensor.
Ses têtes sont tellement déformées et hors des normes habituelles qu’elles sont qualifiées de « grotesques ». Elles peuvent nous faire frémir et faire grincer des dents, mais également nous faire sourire lorsque nous acceptons, à contrecoeur et retenant notre irritation, de regarder de haut nos propres imperfections ou celles de nos bien-aimés que nous préférons ne pas voir. Soyons honnêtes. Nous sommes si loin des images que nous voyons dans les magazines et sur les écrans et que nous prenons pour la réalité.
Dans l’Eloge de la Folie d’Érasme, le narrateur (la Folie personnifiée) identifie d’abord, parmi de nombreux autres accomplissements, son propre rôle de premier plan dans la réalisation de choses qui, avec la logique, la raison, la sagesse formelle et l’intellect purs, échoueraient, comme les actes ridicules requis pour parvenir à la reproduction humaine.
Attention, avertit la Folie, si tout le monde était sage et dépourvu de folie, le monde serait bientôt dépeuplé !
5. La métaphore du « Couple mal assorti »
Si Erasme dénonce avec une ironie mordante la corruption et la folie des rois, des papes, des ducs et des princes, il expose également avec une ironie sans concession la corruption qui touche l’homme de la rue, par exemple les hommes plus âgés qui abandonnent leur épouse pour se mettre en ménage avec des femmes plus jeunes, « une chose si répandue, regrette la Folie, qu’elle est presque un sujet de louange ». La folie, avec une ironie satirique, se félicite de l’excellent travail qu’elle accomplit en offrant quelques gros grains aux seniors aussi bien homme que femme :
« … C’est en effet de ma générosité si vous voyez partout des vieillards aussi âgés que Nestor, qui n’ont même plus figure humaine, chevrotants, radotants, édentés, chenus, chauves, ou plutôt, pour reprendre la description d’Aristophane : crasseux, courbés, misérables, flétris, sans cheveux ni dents ni sexe prendre un tel plaisir de vivre, être si plein d’ardeur juvénile que l’un teint ses cheveux blancs, l’autre cache sa calvitie sous une perruque, un autre se sert de dents empruntées peut-être à quelque pourceau, tel autre se meurt d’amour pour une jeune fille et surpasse en inepties amoureuses n’importe quel jouvenceau. On voit des moribonds cadavres épouser un tendron et même sans dot et qui servira à d’autres ; la chose est si répandue qu’elle est presque un sujet de louange.
« Mais il est encore plus plaisant de voir des vieilles déjà mortes de décrépitude, si cadavériques qu’on pourrait les croire de retour des Enfers, et qui malgré cela ne cessent de répéter : Que la lumière est belle ! elles sont encore en chaleur et même, comme disent les Grecs, en rut, elles font entrer chez elles un Phaon grassement payé, se fardent assidûment, ne quittent jamais leur miroir, épilent leur toison au bas du pubis, exhibent leurs mamelles molasses et putrides, sollicitent un jappement tremblotant un désir qui languit, ne cessent de boire, se mêlent aux danses des jeunes filles, écrivent de pauvres lettres d’amour. Cela fait rire tout le monde ; on les trouve complètement folles et elles le sont ; mais elles sont contentes d’elles-mêmes, plongées pour l’instant dans les plus grandes délices, baignant dans le miel et, grâce à moi [la Folie], heureuses. »
(Erasme, Eloge de la folie, Chap. XXXI)
La formation de couples inégaux dans l’histoire littéraire remonte à l’Antiquité, lorsque Plaute, poète comique romain du IIIe siècle avant J.-C., déconseillait aux hommes âgés de faire la cour à des femmes plus jeunes. Erasme ne fait que reprendre un thème de la littérature satirique, notamment La Nef des fous, qui dans son 52e chapitre, combinant l’envie et la cupidité, aborde le thème du « mariage pour l’argent ».
Outre l’Eloge de la folie, Érasme consacre en 1529, dans des dialogues qu’il écrivait pour enseigner le latin aux enfants, un Colloque intitulé Le mariage qui n’en est pas un, ou l’union mal assortie. (Extrait, voir encadré)
Le mariage qui n’en est pas un, ou l’union mal assortie
Gabriel : Tu connais Lampride Eubule ?
Pétronius : Il n’y a pas dans cette ville de meilleur citoyen ni de plus fortuné.
Ga. Et sa fille Iphigénie ?
Pét. Tu as nommé la fleur des demoiselles de son âge.
Ga. C’est vrai. Eh bien ! Sais-tu à qui on l’a mariée ?
Pét. Je le saurai quand tu me l’auras dit.
Ga. A Pompilius Blenus.
Pét. Ce fanfaron, qui ne cesse d’assommer tout le monde avec ses rodomontades ?
Ga. Lui-même.
Pét. Mais il est depuis longtemps célèbre ici principalement à deux titres, ses mensonges et son mal qui n’a pas encore de nom propre, malgré le nombre de ceux qui en sont atteints !
Ga. Il s’agit d’une gale très orgueilleuse, qui ne le céderait ni à la lèpre, ni à l’éléphantiasis, ni à l’impétigo, à la podagre ou à la goutte du menton, s’il y avait conflit pour le premier rang.
Pét. C’est ce que proclame la tribu des médecins.
Ga. A quoi bon à présent te décrire la jeune fille puisque tu la connais, et cela bien que sa parure ait ajouté beaucoup d’agrément à ses charmes naturels ? Mon cher Pétrone, tu l’aurais prise pour quelque déesse : sa toilette lui allait à merveille. Sur ces entrefaits s’est présenté à nous l’heureux fiancé, le nez cassé, traînant la jambe – mais avec moins de grâce que ne font habituellement les mercenaires suisses–, les mains sales, l’haleine nauséabonde, l’oeil éteint, la tête bandée, et rendant du pus par le nez et les oreilles. Certains portent des anneaux aux doigts, lui en a jusque sur les jambes.
Pét. Qu’est-il arrivé aux parents pour qu’ils confient une telle enfant à un monstre semblable ?
Ga. Je l’ignore, si ce n’est qu’aujourd’hui la plupart des gens semblent avoir perdu l’esprit.
Pét. Peut-être est-il très riche ?
Ga. Il l’est extrêmement, mais de dettes.
Pét. Si la jeune fille avait empoisonné ses quatre grands-parents paternels et maternels, quel supplice plus cruel pouvait-on lui infliger ?
Ga. Eut-elle pissé sur les cendres de son père, on l’en aurait punie en la forçant à embrasser ne serait qu’une fois un pareil monstre.
Pét. Je suis bien d’accord.
Ga. Selon moi ce traitement est beaucoup plus cruel que de l’avoir exposée à des ours, des lions ou des crocodiles. Car ces bêtes féroces auraient épargné une beauté si remarquable, ou une prompte mort aurait mis fin à ses supplices.
Pét. Tu dis vrai. Cet acte me paraît absolument digne de Mézence qui, d’après Virgile, accouplait les vivants aux morts, les mains appliquées sur les mains et la bouche sur la bouche. Cependant même ce tyran, sauf illusion de ma part, n’aurait pas eu la barbarie d’unir une si aimable jeune fille à un cadavre. Du reste il n’y a pas de cadavre auquel on ne préférerait être attaché plutôt qu’à cette charogne puante : car son haleine est un véritable poison, ses discours une plaie, et son contact donne la mort.
Source : Erasme, Colloques, Vol. II,
traduit par Etienne Wolff,
Editions Imprimerie nationale, 1992.
Ce thème érasmien des « amants mal assortis » est devenu très populaire. Selon l’historien de l’art Max J. Friedlander, Matsys a été le premier à propager ce thème dans les Pays-Bas. Matsys dépeint ce thème en montrant un homme plus âgé qui s’éprend d’une femme plus jeune et plus belle. Il la regarde avec adoration, sans s’apercevoir qu’elle lui vole sa bourse. En réalité, la laideur grotesque de l’homme, aveuglé par son désir pour la jeune femme, correspond à la laideur de son âme. Celle-ci, aveuglée par sa cupidité, apparaît superficiellement comme une « gentille » fille, mais abuse en réalité de l’imbécile naïf.
De dehors, le spectateur s’aperçoit rapidement que l’argent qu’elle vole au vieux fou va directement dans les mains du bouffon qui se tient derrière elle et dont le visage exprime à la fois la luxure et la cupidité. La morale de la fin, c’est que tout le gain ne va ni à lui ni à elle, mais à la folie elle-même (Le Bouffon) !
Une situation qui n’est pas sans rappeler le tableau de Bosch de 1502, L’escamoteur (1475, St Germain-en-Laye). Le tableau de Matsys pose la question de la « corruption mutuelle assurée », où, comme en géopolitique, les deux parties pensent gagner aux dépens de l’autre dans un jeu à somme nulle mais en réalité chacune d’elles finissent par perdre. De ce point de vue, la leçon « moralisatrice » va bien au-delà de la simple tricherie entre partenaires.
Comme nous l’avons déjà dit, ce qui était considéré jusqu’à présent comme des « péchés » (la luxure et la cupidité) par l’Église, devient avec les humanistes chrétiens un sujet de rire, le tableau offrant un « miroir » permettant aux spectateurs de réfléchir sur eux-mêmes et d’améliorer leur propre caractère. Dans le folklore de la Saxe et ensuite des Flandres, Tyl Uylenspieghel est une grande figure. Uyl signifiant la chouette (sagesse), spieghel signifiant miroir.
Le thème du couple mal assorti apparaît déjà dans une gravure sur cuivre de Dürer datant de 1495, où une jeune fille ouvre sa main pour siphonner de l’argent de la bourse du vieux vers la sienne.
En 1503, Jacopo de’ Barbari reprend le sujet avec Vieillard et jeune femme (Philadelphie).
Cranach l’Ancien, qui s’est rendu à Anvers en 1508 et a été visiblement inspiré par les grotesques de Matsys, a commencé à produire en série des peintures sur ce thème (y compris l’utilisation des grotesques de Léonard retravaillés par Matsys !), répondant clairement à la demande croissante de l’Allemagne protestante, une production continuée par son fils Cranach le Jeune.
Cranach peindra ses propres variations sur le thème, le réduisant souvent à la seule « luxure », laissant de côté la « cupidité » et donc l’accaparement de l’argent. Bien entendu, plus l’homme est laid et âgé, et plus la femme est belle et jeune, plus le contraste qui en résulte crée un impact émotionnel mettant en valeur le caractère choquant de l’événement. Cranach s’amuse à inverser les rôles et à montrer une vieille femme riche accompagnée de sa servante, attirant un séduisant jeune homme…
Le fils de Quinten Matsys, Jan Matsys, nous a laissé une interprétation intéressante du thème, en y ajoutant une dimension sociale, celle des familles pauvres se servant de leurs filles comme appât pour piéger des messieurs riches et plus âgés dont la richesse et l’argent permettront à la famille de se nourrir, un thème également repris par Goya.
Dans l’une des versions de Cranach, l’homme riche a déjà devant lui une miche de pain sur la table, véritable symbole du chantage alimentaire. Mais ce qui frappe dans la version de Jan, c’est la mère, debout derrière le vieil homme fou, qui fixe de son regard le pain et les fruits sur la table. Si l’avidité et la luxure restent réelles, Jan dramatise un contexte donné dont on ne peut pas simplement se moquer.
Parmi les nombreux autres artistes qui ont peint ce thème, citons Hans Baldung Grien (1485-1545), Christian Richter (1587-1667) et Wolfgang Krodel l’Ancien (1500-1561). Aucun d’entre eux n’a réussi à reproduire au complet la métaphore de Matsys, le plus fidèle à l’esprit d’Érasme, celui de la folie qui gagne la partie, une situation vraiment risible ! Le triomphe de la folie ! Ici aussi, pour le visage du vieux fou, comme nous l’avons déjà mentionné, Matsys se fonde sur les esquisses de têtes grotesques de Léonard.
6. « La vieille femme hideuse », la paternité de Léonard
Cela nous permet maintenant de présenter la peinture peut-être la plus scandaleuse jamais réalisée, appelée alternativement la « Vieille femme hideuse » ou « La Duchesse laide ».
Des océans d’encre ont été jetés sur le papier pour spéculer sur son identité, sa « maladie » (la maladie de Paget dit un médecin), son « genre », la plupart du temps pour orienter le regard du spectateur vers une interprétation littérale, « basée sur des faits », plutôt que d’apprécier et de découvrir l’hilarante métaphore que l’artiste peint, non pas sur le panneau, mais dans l’esprit du spectateur.
Le tableau doit être analysé et compris avec son pendant – un tableau d’accompagnement – qui représente un vieil homme dont elle sollicite l’attention. De manière surprenante, en première approche, on peut dire que Matsys, bien avant Cranach, inverse ici les rôles habituels des genres, puisque ce que nous voyons n’est pas un vieil homme essayant de séduire la jeune fille, mais une vieille femme essayant d’attirer un vieil homme riche.
Tout d’abord, il y a la vieille dame, dont l’état physique est la décrépitude ultime, qui tente désespérément de séduire un vieil homme riche. Immédiatement, comme le Vieil homme et le jeune garçon (1490, Louvre, Paris) de Domenico Ghirlandaio, l’apparence extérieure de la personne incite le public à s’interroger sur la relation entre la beauté intérieure et la beauté extérieure.
« D’un point de vue extérieur, écrit un observateur, sur la base de sa robe exquise, de ses accessoires ornés de bijoux et de sa fleur en herbe, cette femme est théoriquement belle. Cependant, sa beauté intérieure se reflète dans son apparence physique exagérée et déplaisante ».
Une fois encore, l’influence littéraire évidente est l’Eloge de la folie (1511), qui fait la satire des femmes qui « jouent encore aux coquettes », « ne peuvent s’arracher à leur miroir » et « n’hésitent pas à exhiber leurs repoussants seins flétris ».
Les vêtements de la femme sont riches. Elle est habillée pour impressionner, y compris avec un couvre-chef bulbeux qui rehausse ses traits inhabituels. Défiant la modestie attendue des femmes âgées à la Renaissance, elle porte un corsage serré, découvert et étroitement lacé qui met en valeur son décolleté ridé.
Ses cheveux sont dissimulés dans les cornes d’un bonnet en forme de coeur, sur lequel elle a posé un voile blanc, fixé par une grande broche ornée de pierreries.
Quelle que soit la qualité de sa tenue, à l’époque où ce panneau a été peint, au début du XVIe siècle, ses vêtements devaient être dépassés de plusieurs décennies, rappelant ceux du portrait que Van Eyck avait fait de sa femme Margaret un siècle plus tôt, et suscitant le rire plutôt que l’admiration.
Cette coiffe était devenue un symbole iconographique de la vanité féminine, ses cornes étant comparées à celles du diable ou, au mieux, à celles qui indiquent qu’elle a été fait cocue par ses amants (cornuto). Elle semble se vendre pour son apparence, car elle offre une fleur, souvent symbole de la sexualité dans l’art de la Renaissance.
C’est dans le destin tragique de la rose coupée que la fuite du temps, et avec elle la déchéance physique, trouve son illustration la plus inquiétante. Fraîche ou fragile, la rose, tout en appelant au plaisir immédiat, semble protester contre la mort qui la guette.
Pour identifier la femme, plusieurs noms sont avancés. Au XVIIe siècle, le tableau a été confondu avec le portrait de Margarete Maultasch (1318-1369) qui, séparée de son premier mari Jean Henri de Luxembourg, s’est remariée avec Louis 1er, margrave de Brandebourg, après mille et un rebondissements qui ont abouti à l’excommunication du couple par Clément VI.
Une histoire compliquée dans une époque troublée, qui a valu à Margarete le surnom de « gueule-sac » (grande gueule), ou « prostituée » en dialecte bavarois. Le problème est que l’on connaît d’autres portraits de Margarete, sur lesquels elle apparaît sous son meilleur jour… Qualifiée de « femme la plus laide de l’histoire », elle a reçu le surnom de « Duchesse laide ».
A l’époque victorienne, cette image (ou l’une de ses nombreuses versions) a inspiré à John Tenniel la représentation de la duchesse dans ses illustrations des Aventures d’Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll (1865). Cela a permis d’ancrer le surnom et de faire de ce personnage une icône pour des générations de lecteurs.
Deuxièmement, le vieil homme, dont la robe bordée de fourrure et les bagues en or, sans être aussi manifestement archaïques ou absurdes que le costume de la femme, suggèrent néanmoins une richesse ostentatoire, et son profil distinctif fait écho au profil familier du principal marchand-banquier d’Europe au XVe siècle, feu Cosimo de’ Medici de Florence. Ce dernier, après avoir joué un rôle clé en tant que mécène des arts et soutien au Conseil oecuménique de Florence, semblait avoir perdu aussi bien sa raison que sa dignité.
Il convient de noter qu’en 1513, année de la réalisation du tableau, le pape guerrier Jules II, grand ennemi d’Érasme, rend l’âme et que Giovanni di Lorenzo de’ Medici devient le nouveau pape sous le nom de Léon X.
La figure du vieillard évoque également les portraits perdus du début du XVe siècle du duc Philippe le Hardi de Bourgogne.
Maintenant, si l’on y regarde à deux fois et que l’on oublie les seins de la femme, on s’aperçoit que son visage est celui… d’un homme affreux.
Il pourrait s’agir d’une figure politique ou d’un théologien détestés de l’époque, se vendant l’un à l’autre dans un élan de cupidité et de luxure.
Peut-être que la vieille prostituée laide est une référence au banquier Jacob le Riche, l’éternel banquier du Vatican ? Acceptons pour l’instant le fait qu’on ne sait pas.
L’artiste bohémien Wenceslaus Hollar (1607-1677) a vu le double portrait de Matsys et en a fait une gravure en 1645, en y ajoutant le titre « Roi et reine de Tunis, inventé par Léonard de Vinci, exécuté par Hollar ».
La « paternité » de Léonard de cette oeuvre fut donc un secret de polichinelle.
Pendant les périodes de carnaval, où les gens étaient autorisés à s’affranchir des règles de la société pendant quelques jours, du moins dans les Pays-Bas et dans la région du Rhin du Nord, les gens s’amusaient beaucoup en changeant les rôles. Les paysans pauvres pouvaient se déguiser en riches marchands, les laïcs en ecclésiastiques, les voleurs en policiers, les hommes en femmes et ainsi de suite.
Le concept original de cette métaphore vient clairement de Léonard, qui a fait un minuscule croquis d’une femme laide, éventuellement une prostituée, remarquablement avec le bonnet à cornes et une petite fleur plantée entre ses seins, exactement les mêmes attributs, métaphores et symboles employés plus tard par Matsys dans son œuvre !
Melzi, l’élève de Léonard, et d’autres élèves ou disciples, comme ils l’ont fait pour de nombreuses autres esquisses de Léonard, semblent avoir copié le travail de Léonard et, amusés, ont contre-posé la vieille en chaleur avec un riche marchand florentin avide. Melzi a-t-il partagé ou vendu ses esquisses à d’autres ?
Diverses versions amusantes du thème sont disséminées dans le monde entier et figurent dans des collections privées et publiques.
Une autre esquisse, réalisée par Léonard lui-même ou par ses disciples, montre un homme grotesque et sauvage, dont les cheveux se dressent sur la tête, accompagné d’une série de savants à l’allure grotesque, dont l’un ressemble à Dante !
Léonard, bien sûr, qui signait toujours ses écrits par les mots « homme sans lettres », n’était qu’un simple artisan et n’a jamais été pris au sérieux par ces érudits que Lucien dénonçait pour s’être vendus à l’establishment.
Tous ces éléments montrent que ce que faisait Matsys n’avait rien de « bizarre » ou d’« extravagant », mais qu’il partageait une « culture » de visages grotesques dont les variations pouvaient être utilisées pour enrichir les jeux de mots métaphoriques de la culture humaniste.
Mais bien sûr, ce qui a rendu l’impact de cette oeuvre si dévastateur, c’est le fait que ce qui n’était pour Léonard que de rapides esquisses dans un carnet, est devenu chez Matsys des représentations grandeur nature, d’un hyperréalisme effrayant !
Dans la collection Windsor de la Reine, il existe un dessin à la craie rouge de la femme presque exactement telle qu’elle apparaît dans l’oeuvre de Matsys.
Jusqu’à très récemment, les historiens étaient convaincus que Quentin Matsys avait « copié » ce dessin attribué à Léonard et l’avait agrandi pour réaliser sa peinture à l’huile.
« Léonard a donc dessiné ce personnage unique, jusqu’à la poitrine ridée qui émerge de sa robe. Matsys n’a fait que l’agrandir dans la peinture à l’huile ».
Cependant, des recherches récentes suggèrent que cela ne s’est pas passé ainsi !
En réalité, Melzi, ou Léonard lui-même, a pu réaliser le dessin à la craie rouge à partir de la peinture de Matsys, que ce soit à partir d’une vue directe ou des reproductions. Un Italien copiant un peintre flamand, vous imaginez ?
L’experte Susan Foister, directrice adjointe et conservatrice de la peinture ancienne néerlandaise, allemande et britannique à la National Gallery de Londres, qui était également en 2008 la commissaire de l’exposition Renaissance Faces : Van Eyck to Titian, a déclaré à l’époque au Guardian :
« Nous pouvons désormais affirmer avec certitude que Léonard – ou, du moins, l’un de ses disciples – a copié la merveilleuse peinture de Matsys, et non l’inverse. C’est une découverte très excitante ».
Foister a précisé qu’ils avaient découvert que Matsys apportait des modifications au fur et à mesure, ce qui suggère qu’il créait l’image tout seul plutôt que de copier un modèle. De plus, dans les deux copies de Léonard, les formes du corps et des vêtements sont trop simplifiées et l’oeil gauche de la femme n’est pas dans son orbite.
« On a toujours supposé qu’un artiste moins connu d’Europe du Nord aurait copié Léonard et on n’a pas vraiment pensé que cela aurait pu être l’inverse », a résumé Foister.
Elle a ajouté que les deux artistes étaient connus pour s’intéresser à la laideur et qu’ils ont échangé des dessins « mais le mérite de cette œuvre magistrale revient à Matsys ».
Source : The Guardian
E. Conclusion
La conclusion s’écrit toute seule. Les « sept péchés capitaux » que More et Érasme ont tenté d’éradiquer il y a cinq siècles sont devenus les « valeurs » axiomatiques du système « occidental » d’aujourd’hui.
Pour les maintenir « en bas », on offre aux peuples la « liberté » de se vendre à la luxure, à l’envie, à l’avidité, à la paresse, à la gourmandise, à la cupidité, à la rage, etc. à condition qu’ils ne remettent pas en cause les politiques financières spéculatives et guerrières qui leur sont imposées par une oligarchie tyrannique au sommet.
A ceux qui prétendent défendre les valeurs « européennes » et « judéo-chrétiennes » nous leur disons qu’ils manqueront de crédibilité s’ils ne s’engagent pas dans une lutte sans merci contre l’oligarchie financière si clairement exposée par Thomas More et Erasme.
Erasme se retournerait dans sa tombe s’il savait qu’en 2024 son nom est principalement associé à une bourse offerte par l’UE aux élèves désireux d’étudier dans d’autres Etats membres de l’UE. Comme l’a suggéré le professeur belge Luc Reychler, ces bourses devraient inclure une période de formation obligatoire à la pensée d’Erasme et en particulier à ses concepts avancés de construction de la paix.
En résumé, pour qu’une nouvelle renaissance devienne réalité, nous devons libérer nos concitoyens de la peur. Ignorant les dangers réels comme la guerre nucléaire, ils vivent dans la crainte de menaces imaginaires.
Pour ceux qui, comme nous, aspirent à la paix par le développement de chaque individu et de chaque Etat, il est temps de prendre très, très, très au sérieux la vision d’Érasme, de Rabelais, de Léonard et de Matsys sur le « bon rire », vérace et libérateur.
Pour terminer, je vous laisse avec le rébus visuel de Jan Matsys.
Solution:
1) Le « D » est abréviation de « le » ;
2) Le globe signifie « monde » ;
3) Le pied, en flamand « voet » est proche du mot « voedt », c’est-à-dire « nourrit » ;
4) La vièle (violon d’époque), en flamand s’écrit en flamand vedel, dont le sens est proche de « vele », c’est-à-dire « nombreux ».
5) En dessous… les deux sots.
La phrase se lit donc: « Le monde nourrit de nombreux sots ».
Et vous, spectateur, vous en êtes un, nous lancent les fous. Eux le savent et nous conseillent de n’en parler à personne ! Mondeken Toe ! (Fermons la bouche !)
Bibliographie choisie
- Bosque, Andrée, Quinten Matsys, Arcade Press, Bruxelles, 1975 ;
- Marlier, Georges, Erasme et la peinture flamande de son temps, Editions van Maerlant, Damme, 1954 ;
- Kwakkelstein, Michael W., Heads in Histories ;
- Ketels, Jochen et Martens, Maximiliaan, Foundations of Renaissance, Architecture and Treatises in Quentin Matsys’ S. Anne Altarpiece (1509) ;
- Revel, Emmanuelle, Le Prêteur et sa femme de Quentin Metsys, Service culturel, Louvre, 1995;
- Silver, Larry, Matsys and Money, The Tax Collectors Rediscovered, Journal of Historians of Netherlandish Art ;
- Silver, Larry, Mondeken Toe, Quinten Matsys en de zot in de zestiende eeuw, The Phoebus Foundation, 2019;
- De Bruyn, Eric, Op de Beeck, Jan, De Zotte Schilders, ‘t Vliegend Peerd, Mechelen, 2003 ;
- Vereycken, Karel, Comment la Folie d’Erasme sauva notre civilisation, Schiller Institute, Washington, 2005 ;
- Vereycken, Karel, Dirk Martens, l’imprimeur d’Erasme qui diffusa les livres de poche, Artkarel.com, 2019 ;
- Vereycken Karel, Le combat d’Albrecht Dürer contre la mélancolie néo-platonicienne, Artkarel, 2007 ;
- Vereycken Karel, Léonard, peintre du mouvement, Fidelio, 2002 ;
- Vereycken Karel, Avec Jérôme Bosch, sur la piste du sublime, Institut Schiller, 2007 ;
- Vereycken, Karel, La révolution du grec ancien, Platon et la Renaissance, Artkarel, 2021 ;
- Vereycken Karel, Pieter Brueghel l’aîné, Pétrarque et le « Triomphe de la Mort », Artkarel, 2020 ;
- Vereycken Karel, L’oeuf sans ombre de Piero della Francesca, Fidelio, 2000 ;
- Vereycken, Karel, Patinir et l’invention de la peinture de paysage, Artkarel, 2008 ;
- Vereycken Karel, Devotio Moderna, Frères de la vie commune, le berceau de l’humanisme dans le Nord, Artkarel, 2011 ;
- Vereycken, Karel, Jan Van Eyck, un peintre flamand utilisant l’optique arabe, Artkarel, 2006 ;
- Vereycken, Karel, Avicenne, Ghiberti, leur rôle dans l’invention de la perspective à la Renaissance, Artkarel, 2022.
- Plus? Consulter l’Index des Etudes Renaissance sur ce site.
Avec le peintre James Ensor, arrachons le masque à l’oligarchie !
James Ensor est né le 13 avril 1860 dans une famille de la petite-bourgeoisie d’Ostende en Belgique. Son père, James Frederic Ensor, un ingénieur raté anglais anti-conformiste, sombre dans l’alcoolisme et l’héroïne.
Sa mère, Maria Catherina Haegheman, belge flamande, qui n’encourage guère sa vocation artistique, tient un magasin de souvenirs, coquillages, chinoiseries, verroteries, animaux empaillés et masques de carnaval, des artefacts qui peupleront l’imagination du peintre.
Esprit pétillant, James se passionne pour la politique, la littérature et la poésie. Un jour, commentant sa naissance lors d’un banquet offert en son honneur, il dira :
« Je suis né à Ostende un vendredi, jour de Vénus [déesse de la Paix]. Eh bien ! chers amis, Vénus, dès l’aube de ma naissance, vint à moi souriante et nous nous regardâmes longuement dans les yeux. Ah ! les beaux yeux pers et verts, les longs cheveux couleur de sable. Vénus était blonde et belle, toute barbouillée d’écume, elle fleurait bon la mer salée. Bien vite je la peignis, car elle mordait mes pinceaux, bouffait mes couleurs, convoitait mes coquilles peintes, elle courait sur mes nacres, s’oubliait dans mes conques, salivait sur mes brosses.«
Après une première initiation aux techniques artistiques à l’Académie d’Ostende, il débarque à Bruxelles chez son demi-frère Théo Hannon pour y poursuivre ses études à l’Académie des Beaux Arts. En compagnie de Théo, il est introduit dans les cercles bourgeois de libéraux de gauche qui fleurissent en périphérie de l’Université libre de Bruxelles (ULB).
Chez Ernest Rousseau, professeur à l’Université libre de Bruxelles, dont il deviendra recteur, Ensor découvre les enjeux de la lutte politique. Madame Rousseau est microbiologiste, passionnée d’insectes, de champignons et… d’art. Les Rousseau tiennent salon, rue Vautier à Bruxelles, près de l’atelier d’Antoine Wiertz et de l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique. Rendez-vous privilégié pour les artistes, les libres penseurs et autres esprits influents. Ensor y rencontre Félicien Rops et son beau-fils Eugène Demolder, mais aussi peut-être l’écrivain et critique d’art Joris-Karel Huysmans ainsi que l’anarchiste communard et géographe français Elisée Reclus.
De retour à Ostende, Ensor installe son atelier dans la maison familiale où il réalise ses premiers chefs-d’œuvre, portraits empreints de réalisme et paysages inspirés par l’impressionnisme.
Aux pays des couleurs
« La vie n’est qu’une palpitation ! », s’écrie Ensor. Ses nuages sont des masses grises, or et azur au-dessus d’une ligne de toits. Sa Dame au brise-lames (1880) est prise dans un glacis de gris et de nacre, au bout de la jetée.
Ensor est un chef d’orchestre se servant de couteaux et de pinceaux pour étaler la peinture en couches fines ou épaisses et ajouter par-ci par-là des accents pâteux.
Son génie prend tout son envol dans son tableau La Mangeuse d’huîtres (1882). Même si l’ensemble a l’air de dégager une certaine tranquillité, il peint en réalité une gigantesque nature morte qui semble avoir avalé sa sœur cadette Mitche.
L’artiste baptise d’abord le tableau Au pays des couleurs, plus abstrait que La Mangeuse d’huîtres, puisque ce sont bien les couleurs qui jouent le rôle principal dans la composition.
Nacres des coquillages, blanc bleuâtre de la nappe, reflets des verres et bouteilles, tout est dans la variation, tant dans l’élaboration que dans les tonalités de couleur. Ensor conserve l’approche classique : il utilise toujours des sous-couches tandis que les impressionnistes appliquent la peinture directement sur la toile blanche. Les pigments dont il se sert sont également très traditionnels : rouge vermillon, blanc de plomb, terre brune, bleu de cobalt, bleu de Prusse et outremer synthétique. Le jaune chrome de La Mangeuse d’huîtres fait exception. L’intensité de ce pigment est bien plus élevée que celle du jaune de Naples plus pâle qu’il utilisait auparavant. Mais ses couleurs, qu’il utilise souvent de manière pure au lieu de les mélanger, sont bien plus claires que celles des anciens.
L’écrivain Emile Verhaeren, qui écrira plus tard la première monographie du peintre, contemple La Mangeuse d’huîtres et s’exclame : « C’est la première toile réellement lumineuse ».
Epoustouflé, il souhaite mettre en avant Ensor comme le grand innovateur de l’art belge. Mais les avis ne sont pas unanimes. La critique n’est pas tendre : les couleurs sont trop criardes et l’œuvre est peinte de manière négligée.
De plus, il est immoral de peindre « un sujet de second rang » (En monarchie, il n’existe pas de citoyens, seulement des « sujets », une femme ne faisant pas partie de l’aristocratie) dans de telles dimensions – 207 cm sur 150 cm. Par la vue plongeante, librement appliquée, on a l’impression que tout dans le tableau va déborder de son cadre.
Le Salon d’Anvers, qui expose le meilleur de l’art actuel, refuse l’œuvre en 1882. Même les anciens compères bruxellois de L’Essor refusent La Mangeuse d’huîtres un an plus tard.
Le groupe des XX
C’est ainsi qu’en Belgique, la révolution artistique de 1884 démarrera par une phrase lancée par un membre du jury officiel : « Qu’ils exposent chez eux ! » avait-il clamé, refusant les toiles de deux ou trois peintres ; c’est donc ce qu’ils firent, en exposant chez eux, dans des « salons citoyens », ou en créant leur propres associations culturelles.
C’est dans ce contexte que Octave Maus et Ensor créeront à Bruxelles le « groupe des XX », cercle artistique d’avant-garde.
Parmi les « vingtistes » du début, outre Ensor, on trouve Fernand Khnopff, Jef Lambeaux, Paul Signac, George Minne et Théo Van Rysselberghe.
Parmi les artistes invités à venir exposer leurs œuvres à Bruxelles, de grands noms tels que Ferdinand Rops, Auguste Rodin, Camille Pissarro, Claude Monet, Georges Seurat, Gustave Caillebotte, Henri de Toulouse-Lautrec, etc.
C’est donc seulement en 1886 qu’Ensor peut exposer son œuvre novatrice La Mangeuse d’huîtres pour la première fois au groupe des XX.
Pour autant, ce n’est pas la fin de son calvaire. En 1907, le conseil communal de Liège décide de ne pas acheter l’œuvre pour le musée des Beaux-Arts de la ville.
Heureusement, Emma Lambotte, amie d’Ensor, ne laisse pas tomber le peintre. Elle achète le tableau et l’expose chez elle, dans son salon citoyen.
Engagement social et politique
Les troubles sociaux contemporains de son ascension en tant que peintre, qui virent à la tragédie lors des affrontements meurtriers de 1886 entre ouvriers et garde civique, l’incitent à trouver dans les masses en tant qu’acteur collectif un puissant compagnon d’infortune.
A la fin du XIXe siècle, la capitale belge, est une marmite bouillonnante d’idées révolutionnaires, créatrices et innovantes. Karl Marx, Victor Hugo et bien d’autres, y trouvent exil, parfois brièvement.
Le symbolisme, l’impressionnisme, le pointillisme et l’art nouveau s’y disputent leurs titres de gloire. Pour sa part, Ensor, il faut bien le reconnaître, puisant dans tous les courants, restera un inclassable s’élevant au-dessus des modes, des tendances du moment et des goûts éphémères, et de très loin.
Si Marx s’est trompé sur bien des points, il comprenait bien qu’à une époque où la finance tirait sa richesse de la production, la modernisation des moyens de production portait en germe la transformation des rapports sociaux. Tôt ou tard, et à tous les niveaux, ceux qui produisent la richesse clameront leur juste place dans le processus décisionnel.
Le combat d’Ensor pour un art plus libre reflète et coïncide avec le changement d’époque qui s’opère alors.
Partie de Vienne en Autriche, la crise bancaire de mai 1873 provoque un krach boursier qui marque le début d’une crise appelée la Grande Dépression, et qui court sur le dernier quart du XIXe siècle. Le 18 septembre 1873, Wall Street est pris de panique et ferme pendant 10 jours.
En Belgique, après une période marquée par une vertigineuse industrialisation, la loi Le Chapelier, une loi appliquée en 1791, soit quarante ans avant la naissance de la Belgique, qui interdisait la moindre forme d’organisation d’ouvriers, est abrogée en 1867, mais la grève est toujours un crime sanctionné par l’État.
C’est dans ce contexte qu’une centaine de délégués de représentants de syndicats belges fondèrent en 1885 le Parti ouvrier belge (POB). Réformistes et prudents, ils réclament en 1894, non pas la « dictature du prolétariat », mais une forte « socialisation des moyens de production ».
La même année, le POB obtient 20 % des suffrages exprimés aux élections législatives et compte 28 députés. Il participe à plusieurs gouvernements jusqu’à sa dissolution lors de l’invasion allemande en mai 1940.
Horta, Jaurès et la Maison du Peuple de Bruxelles
L’architecte Victor Horta, grand innovateur de l’Art Nouveau et dont les premières demeures symbolisent un nouvel art de vivre, sera chargé par le POB de construire la magnifique « Maison du Peuple » à Bruxelles, un bâtiment remarquable, fait principalement d’acier, abritant un maximum de fonctionnalités : bureaux, salle de réunion, magasins, café, salle de spectacle…
Le bâtiment fut inauguré en 1899 en présence de Jean Jaurès. En 1903, Lénine y participa au congrès du Parti ouvrier social-démocrate de Russie.
Jean Jaurès prononça d’ailleurs son dernier discours, le 29 juillet 1914, au Cirque Royal de Bruxelles, lors d’une grande réunion de l’Internationale socialiste pour sauver la paix.
En parlant des menaces de la guerre, Jaurès dit :
« Attila est au bord de l’abîme, mais son cheval trébuche et hésite encore ». S’opposant, comme il le fit toute sa vie, à ce que la France se soumît à un rôle subalterne, il dit textuellement : « Si l’on fait appel à un traité secret avec la Russie, nous en appellerons au traité public avec l’Humanité ».
Et il termina son discours, le meilleur de sa vie, par des paroles prophétiques dont voici le texte quasi littéral : « Au début de la guerre, tout le monde sera entraîné. Mais lorsque les conséquences et les désastres se développeront, les peuples diront aux responsables : ’Allez-vous en et que Dieu vous pardonne’ ».
Selon les témoins, à Bruxelles, le discours de Jaurès souleva l’auditoire, composé de milliers de personnes appartenant à toutes les classes de la société. Deux jours plus tard, le 31 juillet 1914, Jaurès, de retour à Paris, est assassiné.
Quant à la Maison du Peuple de Bruxelles, elle fut détruite en 1965 et remplacé par un remarquable chef-d’œuvre de la laideur.
Alimentation doctrinaire
L’art d’Ensor, surtout dans ses gravures, sera l’écho de ce grand chamboulement. Sa critique sociale et politique serpente à travers ses meilleures œuvres, dont aucune n’est peut-être aussi virulente que sa gravure Alimentation doctrinaire (1889/1895) montrant des figures incarnant les pouvoirs en place (Le roi des Belges, le clergé, etc.) littéralement déféquant sur les masses, une sale habitude qui reste bien enracinée chez nos « élites », si l’on revoit le traitement qu’on a infligé, sans la moindre discrimination, à nos « gilets jaunes ».
Ensor, dans ces gravures, présente les grandes revendications du POB : le suffrage universel (voté en 1893, de façon imparfaite, du moins pour les hommes), le service militaire « personnel » (c’est-à-dire pour tous, voté en 1913) et l’instruction universelle obligatoire (votée en 1914).
La revanche
Face à l’injustice et à l’incompréhension, Ensor ne peut plus réprimer sa juste colère. Pour s’amuser, et reconnaissons-le, se venger, il compte bien « se payer » ceux qui l’ignorent, le méprisent et le sabotent, avant tout cette aristocratie belge qui s’accroche à ses privilèges comme les moules aux roches.
Déconstruisant le carcan des règles académiques, s’inspirant de Goya, Ensor se forge alors un langage puissant de métaphores et de symboles.
Dans un premier temps, il veut renvoyer cette élite oligarchique belge, se prétendant hypocritement « catholique », aux fondements mêmes des principes humanistes qu’elle piétine.
Entre 1888 et 1892, Ensor a commencé à traiter des thèmes religieux. Comme le firent aussi Gauguin et Van Gogh, le peintre s’identifie au Christ persécuté.
En 1889, à 28 ans, il peint L’Entrée du Christ à Bruxelles, une vaste toile satirique qui fit sa renommée. Même ses proches, désireux de à se faire reconnaître pour exister, n’en veulent pas. La toile est refusée au Salon des XX où il est question de l’exclure du Cercle dont il est pourtant l’un des membres fondateurs ! Contre le souhait d’Ensor, les « vingtistes », courant vers le succès, se séparent quatre ans après pour se recréer sous le nom de La Libre Esthétique.
Dans cette œuvre, une large banderole rouge renseigne « Vive la sociale » et non « Vive le Christ ». Seul un petit panneau sur le côté applaudit un Jésus, roi de Bruxelles. Mais que diable le prophète, qui a les traits du peintre et presque perdu dans la foule, vient-il faire à Bruxelles ? Le socialisme a-t-il remplacé le christianisme au point que si Jésus revenait aujourd’hui, il le ferait sous la banderole « Vive la sociale », référence à la « République sociale » dont les partisans mettaient en avant le droit au travail, le rôle de l’État dans la lutte contre les inégalités, le chômage et la maladie ?
Pour les amis d’Ensor, il avait perdu la raison. En effet, il fallait « être fou » pour prendre de face, aussi bien l’oligarchie dominante que le peuple dont il espérait obtenir respect et reconnaissance.
L’avocat et critique d’art belge Octave Maus, co-fondateur avec Ensor des XX, a résumé de manière célèbre la réaction des critiques d’art contemporains au « coup de gueule pictural » d’Ensor :
« Ensor est le chef d’un clan. Ensor est sous les feux de la rampe. Ensor résume et concentre certains principes qui sont considérés comme anarchistes. En bref, Ensor est une personne dangereuse qui a initié de grands changements (…) Il est par conséquent marqué pour les coups. C’est sur lui que sont dirigées toutes les arquebuses. C’est sur sa tête que sont déversés les récipients les plus aromatiques des soi-disant critiques sérieux.«
En 1894, invité à exposer à Paris, son œuvre, plus objet intellectif qu’esthétique, suscite peu d’intérêt. Désespéré de ne pas rencontrer le succès, Ensor, persistera avec une peinture survoltée, sauvage, saturée et violemment bariolée.
Squelettes et masques
Très tôt, des têtes de mort, des squelettes et des masques font irruption dans son œuvre. Il ne s’agit pas là de l’imagination morbide d’un esprit malade comme le prétendent ses calomniateurs.
Radical ? Insolent ? Certes ; sarcastique, souvent ; pessimiste ? Jamais ! ; anarchiste ? disons plutôt « esprit gilet jaune », c’est-à-dire fortement contestataire d’un ordre établi ayant perdu toute légitimité et, absorbé par d’immenses manœuvres géopolitiques, marchant comme une horde de somnambules vers la « Grande Guerre » et la Deuxième Guerre mondiale qui vient derrière !
Têtes de morts, symboles de la vérité
Poétiquement, Ensor va ressusciter la métaphore ultra-classique des « Vanités » de la Renaissance, thème en somme très chrétien qui figure déjà dans « Le Triomphe de la Mort », ce poème de Pétrarque qui inspira le peintre flamand Pieter Bruegel l’Ancien ou encore la série de gravures sur bois d’Holbein, « La danse macabre ».
Un crâne juxtaposé à un sablier étaient les éléments de base permettant de visualiser le caractère éphémère de l’existence humaine sur terre. En tant qu’humains, nous rappelle cette métaphore, nous essayons en permanence de ne pas y penser, mais fatalement, nous finissons tous par mourir, du moins sur le plan corporel.
Notre « vanité », c’est cette envie permanente de nous croire éternels.
Ensor, n’hésitait pas à faire appel aux symboles. Pour pénétrer son œuvre, il faut donc savoir lire le sens qu’ils « cachent ». Visuellement, face au triomphe du mensonge et de l’hypocrisie, Ensor, en bon chrétien, érige donc la mort en seule vérité capable de donner du sens à notre existence. C’est elle qui triomphe sur notre existence physique.
Les masques, symbole du mensonge.
Petit à petit, comme dans La Mort et les masques (1897) (image en tête d’article), l’artiste va dramatiser encore un peu plus cette thématique en opposant la mort à des masques grotesques, symbole du mensonge et de l’hypocrisie des hommes. 1
Souvent dans ses œuvres, dans une inversion sublime des rôles, c’est la mort qui rit et ce sont les masques qui hurlent et pleurent, jamais l’inverse.
On dira que c’est grotesque et effroyable, mais en réalité, ce n’est que normal : la vérité rit lorsqu’elle triomphe et le mensonge pleure lorsqu’il voit sa fin arriver ! A cela s’ajoute, que lorsque la mort revient parmi les vivants et montre la flamme tremblante du chandelier, ces derniers hurlent, alors que la première a un gros avantage : elle est déjà morte et donc apparaît vit sans crainte !
Pensant sans doute à cette aristocratie bruxelloise qui accourut à Ostende pour y faire trempette, Ensor écrit :
« Ah ! Il faut les voir les masques, sous nos grands ciels d’opale et quand barbouillés de couleurs cruelles, ils évoluent, misérables, l’échine ployée, piteux sous les pluies, quelle déroute lamentable. Personnages terrifiés, à la fois insolents et timides, grognant et glapissant, voix grêles de fausset ou de clairons déchaînés.«
Ce même Ensor fustigea également les mauvais médecins tirant un immense ver solitaire du ventre d’un patient, les rois et les prêtres qu’il peignit « chiant » littéralement sur le peuple. Il pourfend les poissardes des bars, les critiques d’art qui n’ont pas vu son génie et qu’il peint sous la forme de crânes se disputant un hareng saur (jeu de mot sur « Art Ensor »).
Les Carnets du Roi
En 1903, un scandale d’une ampleur inédite éclate et secoue la Belgique, la France, et les pays voisins. Les Carnets du Roi, un ouvrage publié anonymement à Paris, et rapidement interdit à Bruxelles, dresse le portrait d’un autocrate à barbe blanche.
Sans le nommer, on y voit aisément Léopold II, le roi des Belges. Arrogant, prétentieux et roublard, il se révèle plus soucieux de s’enrichir et de collectionner les maîtresses que de veiller au bien commun des citoyens et au respect des lois d’un état démocratique. L’ouvrage, publié par un éditeur belge installé à Paris, avait jailli sous la plume d’un écrivain belge de la région liégeoise, Paul Gérardy (1870-1933), par hasard, un ami d’Ensor.
L’histoire des Carnets du Roi est avant tout celle d’un monarque dont on ne manque pas de se gausser par l’écrit et le dessin durant tout son règne, mais dont on critique également de façon extrêmement virulente, les méthodes utilisées pour gouverner son domaine personnel du Congo.
Divisé en une trentaine de courts chapitres, l’ouvrage se présente comme une suite de lettres et de conseils que le roi vieillissant adresse à celui qui devrait bientôt lui succéder sur le trône, son neveu Albert, par la suite protecteur d’Ensor et très impliqué avec son ami Albert Einstein qu’il accueillit en Belgique, à prévenir l’avènement de la Deuxième Guerre mondiale.
Dans Les Carnets, véritable satire, le monarque explique combien l’hypocrisie, le mensonge, la trahison et le double langage sont nécessaires à l’exercice du pouvoir : non pas pour assurer le bien des « gens du peuple » ou la stabilité de l’État monarchique, mais tout simplement pour s’enrichir sans vergogne. Les pages consacrées à l’exploitation des populations du Congo et au « rétablissement de l’esclavage » (sic) par un roi qui passait, via l’explorateur Stanley, pour en avoir été l’un des éradicateurs, sont d’une impitoyable lucidité.
Elles rejoignent les dénonciations les plus autorisées du monarque à la barbe blanche, à qui Gérardy prête ces mots :
« J’ai eu soin de faire publier que je n’étais soucieux que de civiliser les nègres, et comme cette sottise était affirmée avec sincérité par quelques convaincus, on y a cru rapidement et cela m’évita quelques ennuis.«
Rencontre avec Albert Einstein
Après 1900, des premières expos lui sont consacrées. Verhaeren écrit sa première monographie. Mais, curieusement, ce succès a désamorcé sa force de peintre. Il se contente de répéter ses thèmes favoris ou de s’autoportraiturer, y compris en squelette. Il reçoit en 1903 l’Ordre de Léopold. Enfin reconnu !
Le monde entier défile à Ostende pour le voir. Au début de l’année 1933, Ensor y rencontre Albert Einstein, de passage en Belgique après avoir fui l’Allemagne. Einstein, qui a résidé pendant quelques mois à Den Haan, non loin d’Ostende, fut protégé par le roi des Belges, Albert Ier, avec qui il se coordonne pour tenter d’empêcher une nouvelle guerre mondiale.
Si l’on prétend qu’Ensor et Einstein ne se comprenaient guère, la citation suivante indique plutôt le contraire. Ensor, toujours lyrique, aurait dit :
« Louons tous promptement le grand Einstein et ses ordres relatifs, mais condamnons l’algébrisme et ses racines carrées, les géomètres et leurs raisons cubiques. Je dis que le monde est rond….«
En 1929, le roi Albert Ier accorde le titre de baron à James Ensor.
En 1934, à l’écoute de tout ce qu’apporte Franklin Roosevelt et voyant la Belgique prise dans le tumulte du krach de 1929, le roi des Belges missionne son Premier ministre De Broqueville pour réorganiser le crédit et le système bancaire à l’instar du modèle du Glass-Steagall Act adopté aux Etats-Unis en 1933.
Le 17 février 1934, lors d’une escalade à Marche-les-Dames, Albert I décède dans des conditions jamais élucidées. Le 6 mars, De Broqueville fait un discours au Sénat belge sur la nécessité de faire son deuil du Traité de Versailles et d’arriver à une entente des Alliés de 1914-1918 avec l’Allemagne sur le désarmement, faute de quoi on irait vers une nouvelle guerre…
De Broqueville entame ensuite avec énergie la réforme bancaire. Ainsi, le 22 août 1934 sont promulgués plusieurs Arrêtés Royaux notamment l’Arrêté n°2 du 22 août 1934, relatif à la protection de l’épargne et de l’activité bancaire, imposant une scission en sociétés distinctes, entre banques de dépôt et banques d’affaire et de marché.
Bombes picturales
A partir de 1929, Ensor est surnommé le « prince des peintres ». L’artiste a une réaction inattendue face à cette reconnaissance trop longtemps attendue et trop tard venue à son goût : il abandonne la peinture et consacre les dernières années de sa vie exclusivement à la musique contemporaine avant de mourir en 1949, couvert d’honneurs.
En 2016, une toile d’Ensor de 1891, surnommée « Squelette arrêtant masques », restée dans la même famille depuis près d’un siècle et inconnue des historiens, s’est vendu à 7,4 millions d’euros, record mondial pour cet artiste.
Au centre, la mort (ici un crâne coiffé du bonnet en peau d’ours typique du 1er régiment de grenadiers) prise à la gorge par d’étranges masques qui pourraient représenter les souverains de pays préparant les prochains conflits. Les masques (le mensonge) s’apprêtent à étrangler sans succès la vérité (la tête de mort) ? Ainsi, plus de cent ans plus tard, les bombes picturales d’Ensor explosent encore joyeusement à la tête des esprits étroits et frileux, des bourgeois enfarinés et des pisse-vinaigre, comme il l’aurait dit lui-même.
- En 1819, un autre artiste, le poète anglais Percy Bysshe Shelley avait composé son poème politique Le Masque de l’Anarchie en réaction au massacre de Peterloo (18 morts, 700 blessés) lorsque la cavalerie chargea une manifestation pacifique de 60 000 à 80 000 personnes rassemblées pour demander une réforme de la représentation parlementaire. Dans cet appel à la liberté, il dénonce une oligarchie tuant à sa guise (l’anarchie). Loin d’un appel à la contre-violence anarchique, il s’agit peut-être de la première déclaration moderne du principe de résistance non violente. ↩︎
Le Bac (d’après Pierre Billet)
LOUVRE AUDIO GUIDE: Mona Lisa made in China?
Listen?
Audio on this website
Read?
- La Cène de Léonard, une leçon de métaphysique (FR en ligne) + EN pdf (Fidelio).
- Léonard de Vinci : peintre de mouvement (FR en ligne) + EN pdf (Fidelio).
- La Vierge aux rochers, l’erreur fantastique de Léonard (FR en ligne).
- Romorantin et Léonard ou l’invention de la ville moderne (FR en ligne) + EN pdf (Executive Intelligence Review) + DE pdf (Neue Solidarität) + IT pdf (Movisol website).
- L’Homme de Vitruve de Léonard de Vinci (FR en ligne) + EN online.
- Léonard en résonance avec la peinture traditionnelle chinoise — entretien avec Le Quotidien du Peuple. (en ligne: texte chinois suivi des traductions FR + EN).
LOUVRE AUDIO GUIDE: short note before starting your visit
Listen:
- To the audio on this website
Read:
- Index of articles dealing with art history and Renaissance studies on this website.
——————————
LOUVRE AUDIO GUIDE: Rembrandt, sculptor of light
Listen:
To the audio on this website.
Read:
- Rembrandt, un bâtisseur de nations FR pdf (Nouvelle Solidarité).
- Rembrandt et la lumière d’Agapè (FR en ligne) : Rembrandt et Comenius pendant la guerre de trente ans.
- Rembrandt and the Light of Agapè (EN online)
- Rembrandt : 400 ans et toujours jeune ! (FR en ligne).
- Rembrandt: 400 years old and still young ! (EN online).
- Rembrandt et la figure du Christ (FR en ligne) + EN pdf + DE pdf.
LOUVRE AUDIO GUIDE: Why Vermeer was hiding his convictions
Listen:
To the audio on this website
Read:
Rembrandt and the Light of Agapè
Rembrandt Harmenszoon van Rijn. Don’t count on me here to tell his story in a few lines! (*1) In any case, since the romantics, all, and nearly to much has been said and written about the rediscovered Dutch master of light inelegantly thrown into darkness by the barbarians of neo-classicism.
By Karel Vereycken, June 2001.
The uneasy task that imparts me here is like that of Apelles of Cos, the Greek painter who, when challenged, painted a line evermore thinner than the abysmal line painted by his rival. In order to draw that line, tracing the horizons of the political and philosophical battles who raged that epoch will unveil new and surprising angles throwing unusual light on the genius of our painter-philosopher.
First, we will show that Rembrandt (1606-1669) was « the painter of the Thirty years War » (1618-1648), a terrible continental conflict unfolding during a major part of his life, challenging his philosophical, religious and political commitment in favor of peace and unity of mankind.
Secondly, we will inquire into the origin of that commitment and worldview. Did Rembrandt met the person and ideas of the Czech humanist Jan Amos Komensky (« Comenius ») (1592-1670), one of the organizers of the revolt of Bohemia? This militant for peace, predecessor of Leibniz in the domain of pansophia (universal wisdom), traveled regularly to the Netherlands where he settled definitively in 1656. A strong communion of ideas seems to unite the painter with the great Moravian pedagogue.
Also, isn’t it astonishing that the treaties of Westphalia, who put an end to the atrocious war, are precisely based on the notions of repentance and pardon so dear to Comenius and sublimely evoked in Rembrandt’s art?
Finally, we will dramatize the subject matter by sketching the stark contrast opposing Rembrandt’s oeuvre with that of one of the major war propagandist: (Sir) Peter Paul Rubens (1577-1640).
Rembrandt, who finished rejecting any quest for earthly glory could not but paint his work away from that of the fashion-styled Flemish courtier painter. Moreover, Rubens was in high gear mobilizing all his virtuoso energy in support of the oligarchy whose Counter Reformation crusades and Jesuitical fanaticism were engulfing the continent with gallows, fire and innocent blood.
What Rembrandt advises us for his painting also applies to his life: if you stick your head to close to the canvass, the toxic odors will sharply irritate your nose and eyes. But taking some distance will permit you to discover sublime and unforgettable beauty.
What Art?
Since the triumph of Immanuel Kant‘s modernist thesis, the Critique of the Faculty of Judgment, it has not been « politically correct » to assert that art has a political dimension. And with good reason! If art can influence the course of history and shape it through its power, it is because it is a vector of ideas! An impossibility, according to the Kantian thesis, because art is a gratuitous act, free of everything, including meaning. The ultimate freedom! You either like it or you don’t, it’s all a matter of taste.
Following in the footsteps of the German poet Friedrich Schiller, we’re here to convince you otherwise, and abolish the tyranny of taste. For us, art is an eminently political act, although the work of art has nothing in common with a mere political manifesto, and the artist can in no way be reduced to an ordinary « activist ».
His domain, that of the poet, the musician or the visual artist, is to be a guide for mankind. To enable people to identify within themselves what makes them human, i.e. to strengthen that part of their soul, of their divine creativity, which places them entirely at the zenith of their responsibility for the whole of creation.
To achieve this, and we’ll develop this here, what counts in art is the type of conception of love it communicates. By making this « universal » sensitive, sublime art makes the most elevated conception of love accessible.
Such art, which forces us think, employs enigmas, ambiguities, metaphores and ironies to give us access to the idea beyond the visible. For art that limits itself to theatricality and the beauty of form fatally sinks into erotic, romantic love, depriving man of his humanity and therefore of his revolutionary power.
Rubens will be the ambassador of the great un-powers of his time: the glory of the empire and the magnificent financial strength of those days « new economy », the « tulip bubble ». In short, the oligarchy.
Rembrandt, in turn, will be the ambassador of the have-nots: the weak, the sick, the humiliated, the refugees; he will live in the image of the living Christ as the ambassador of humanity. It might seem strange to you to call such a man the « the painter of the thirty years war. »
Paradoxically, his historical period underscores the fact that very often mankind only wakes up and mobilizes its best resources for genius when confronted with the terrible menace of extinction. Today, when the Cheney’s, the Rumsfeld’s and the Kissinger’s want to plunge the world into a « post-Westphalian epoch », in reality a new dark age of « perpetual war », Rembrandt will be one of our powerful weapons of mass education.
Historical context and the origins of the war
Before entering Rembrandt, it is indispensable to know what was at stake those days. The academic name « Thirty Years War » indicates only the last period of a far longer period of « religious » conflict which was taking place around the globe during the sixteenth century, mainly centered in central Europe, on the territory of today’s Germany.
While 1618 refers to the revolt of Bohemia, the 1648 peace of Westphalia defines a reality far beyond the apparent religious pretext: the utter ruin of the utopian imperial dream of Habsburg and the birth of modern Europe composed of nation-states (*2)
On the reasons for « religious » warfare, let us look at the first half of the sixteenth century. At the eighteen years long Council of Trent (1545-1563), the Roman Catholic Church discarded stubbornly all the wise advise given earlier to avoid all conflict by one of its most ardent, but most critical supporters: Erasmus of Rotterdam.
As Erasmus forewarned, by choosing as main adversary the radical anti-semite demagogue Martin Luther, the church degraded itself to sterile and intolerant dogmatism, opening each day new highways for « the Reformation ».
The religious power-sharing of the « Peace of Augsburg » of 1555, between Rome and the protestant princes, temporarily calmed down the situation, but the ambiguous terms of that treaty incorporated all the germs of the new conflicts to come. Note that « freedom of religion » meant above all « freedom of possession ». The « peace » solely applied to Catholics and Lutherans, authorizing both to possess churches and territories, while ostracizing all the others, very often abusively labeled « Calvinists ».
Playing diabolically on internal divisions, some evil Jesuits of those days set up Calvinists and Lutherans to combat each other bitterly, by claiming, for example in Germany, that Calvinism was illegal since not explicitly mentioned in the treaty. Furthermore, the citizen obtained no real freedom of religion; he was simply authorized to leave the country or adopt the confessions of his respective lord or prince, which in turn could freely choose.
As a result of a general climate of suspicion, the protestant princes created in 1608 the « Evangelical Union » under the direction of the palatine elector Frederic V. Their eyes and hopes were turned on King Henri IV‘s France, where the Edit of Nantes and other treaties had ended a far long era of religious wars. After Henry IV‘s assassination in 1610, the Evangelical Union forged an alliance with Sweden and England.
The answer of the Catholic side, was the formation in 1609 of a « Holy League » allied with Habsburg’s Spain by Maximilian of Bavaria. Beyond all the religious and political labels, a real war party is created on both sides and the heavy clouds carrying the coming tempest threw their menacing shadows on a sharply divided Europe.
1618: The Revolt of Bohemia
Hence, after the never-ending revolt of the Netherlands, the very idea of an insurrection of Bohemia drove the Habsburgs (and the slave trading Fugger and Welser banking empires controlling them) into total hysteria, since they felt the heath on their plans. If Bohemia would become « a new, but larger Holland », then many other nations, such as Poland, could join the Reformation camp and destabilize the imperial geopolitical power balance forever.
As from 1576, the crown of Bohemia was in the hands of the Catholic Rudolphe II, Holy Roman Emperor. Despite a far-fetched passion for esotericism, Rudolphe II will be the protector of astronomers Tycho Brahe and Johannes Kepler in Prague.
In 1609, the Protestants of Bohemia obtain from him a « Letter of Majesty » offering them certain rights in terms of religion. After his death in 1612, his brother Matthias, Holy Roman Emperor, became his successor and left the direction of the country to cardinal Melchior Klesl, a radical Counter Reformation militant refusing any application of the « letter of majesty ».
This set the conditions for the famous « defenestration of Prague », when two representatives of the imperial power were thrown out of the window and fall on a manure heap, at the end of hot diplomatic negotiations. That highly symbolical act was in reality the first signal for a general uprising, and following the early death of Matthias, the rebels made Frederic V their sovereign instead of accepting Habsburg’s choice.
Charles Zerotina, a protestant nobleman and Comenius, (see box below), a Moravian reverend and respected community leader, masterminded that revolt. Frederic V, for example was crowned in 1619 by Jan Cyrill, who was Zerotina’s confessor, and whose daughter will become Comenius wife.
The insurgents were defeated at the battle of White Mountain, close to Prague, in 1620 by a Catholic coalition, composed of Spanish troops pulled out of Flanders together with Maximilian’s Bavarians. On the scene: French philosopher René Descartes, who paid his own trip and who was part of the war coalition and joined in entering defeated Prague in search for Kepler’s astronomical instruments… (*3)
An arrest warrant immediately targeted Comenius, who escaped with Zerotina from bloody repression. Protestantism was forbidden and the Czech language replaced by German.
Most resistance leaders were arrested and 27 beheaded in public. Their heads were put up on pins and shown on the roof of Prague’s Saint-Charles bridge.
One of them was the famous Jan Jessenius, head of the University of Prague who performed one of Europe’s early public anatomical dissections in 1600 and was a close friend of Tycho Brahe. To warn those who used their speech to encourage « heresy », his tongue was pulled out before he was beheaded, quartered and impaled.
Thirty thousand people went into exile while Frederic V and his court took refuge in Den Haag in the Netherlands. There, but years before, Comenius had a personal encouter with the future « Winterkönig » and his wife Elisabeth Stuart, on their way back from their wedding in England for which Shakespeare had arranged a representation of « The Tempest ».
A World War
1618 marked the outbreak of an all-out war across Europe, provoked by the imperial drive of Habsburg to reunify all of the continent behind one unique emperor and one single religion.
As of 1625, aided by French and English financial facilities, Christian IV of Denmark and Gustave Adolphus of Sweden intervened on the northern flank against Habsburg descending from the north as far as up till Munich.
Then, France opened another flank on the western front in 1635. Catholic cardinal Richelieu, who defeated the Huguenots at LaRochelle in 1628 (since he « fought their political rights but not their religious ones », will heavily aid the Protestant camp. His fears were that,
« if the protestant party is completely in shambles, the offensive of the house of Austria will come down on France ».
The famous etchings of the Lorraine engraver Jacques Callot, « Misery and calamities of war » of 1633, give an idea how this savage war swept Europe with its cortège of misery, famine, epidemics and desolation.
The estimated population loss on the territory of present day Germany indicates a downturn from 15 to less than 10 million. Hundreds of cities were turned back into simple villages and thousands of communities simply disappeared from the map.
War affected all the colonies of those powers involved in the conflict. Dutch and English pirates would sink any Spanish or Portuguese ships encountered at the other edge of the Earth’s curve. For Spain, loyal pillar of Habsburg, 250 million ducats were spent for the war effort (between 1568 and 1654), despite the state bankruptcy of 1575. That amount represents more than the double of the revenue from the loot of the new world (gold, spices, slaves, etc.) which scarcely amounted only to 121 million ducats…
Rembrandt and Comenius
That the young Rembrandt was totally heckled by the situation of general war which was shaking up Europe is easily visible in the early self-portrait of Nuremberg.
Here he portrays himself divided between two choices. One shoulder reveals the gorget, a piece of armor that invokes the patriotic call for serving the nation calling on every young Dutchman of his generation in age of serving the military, especially after the surprise attack of the Spanish troops on Amersfoort of august 1629.
The other shoulder is nonchalantly caressed by a « liefdelok », the French « cadenette » or lovelock exhibited by amorous adolescents. What to choose? Love the nation, or the beloved?
More and more irritated by the ambitions of Constantijn Huygens, the powerful secretary of the stadholder which got him well-paid orders for the government and made him move from Leiden to Amsterdam, Rembrandt’s thinking and activity gets ever more concentrated and powerful.
Ten years later, the dying away of his wife Saskia in 1642, year of the « Night watch », plunges the painter into a deep personnal existential crisis. Gone, the self-portraits where he paints himself as an Italian courtier, with a glove in one hand carrying a heavy golden chain around his neck fronting for his social status and competing with the court. Suddenly he seems to realize that the totality of the world’s gold will never buy back the lost lives of those once loved.
When interrogated on the matter, Rembrandt would bluntly state he didn’t need to go to Italy, as the tradition used to be, since everything Italy ever produced came to him anyway as it was available in one form or another on the Amsterdam art market. But traveler he was, as drawings of the gates of London indicate, done in the early forties, maybe the year Comenius crossed the channel?
In 1644, the neo-Platonist rabbi and teacher of Spinoza, Menasseh Ben Israel, for which Rembrandt illustrated books, received a letter from Comenius agent John Dury, chaplain of Mary Princess of Orange, starting a discussion on the reintegration of the Jews in England, and Menasseh finally went for negotiations to meet Cromwell in 1655.
The Nightly Conspiracy
Although some timid hypothesis’ exists concerning Comenius‘ influence on Rembrandt, a rigorous historian’s research could certainly bring more light on this matter.
Although Rembrandt’s worldview evolved in an environment of the Mennonite community, peace-loving Anabaptists miles away from any political commitment, Rembrandt’s passion for the « cause of Bohemia » seems particularly striking in « The nightly conspiracy of Claudius Civilus at the Schakerbos ».
The large painting figured as one in a series planned to decorate the new Amsterdam city hall to celebrate the revolt of the Batavians against the Romans. Starting from historical elements of Tacitus, the story had been cooked up to warm up Dutch patriotism since the reference to Spanish tyranny was clear to all. For reasons unknown today, Rembrandt’s painting was taken down after a couple of months. To mock the cowardice of the ruling elites, Rembrandt seems to have transposed the historical scene into his present timeframe.
One Swedish historian thinks that the leader of the conspiracy here is not Claudius Civilis (the Batavian general who lost an eye in battle), but another general who equally lost an eye in battle and which was non-other than the Hussite general Jan Zizka! (*4).
Remember that Comenius and the revolt of Bohemia strongly identified with John Huss. Looking closely makes you discover that Rembrandt’s Claudius Civilis is indeed dressed up in central European costume. From left to right one sees first a Dutch patrician. Is this a portrait of the then rising republican Jan De Wit?
Next, one sees a monk, without weapons, who poses his hand on Civilus’ arm in a conspiratorial gesture. Is this Comenius resistance movement, the Unity of the Brethren?
According to the historians, the two chalices, one wide, the other narrow, could signify the « Eucharist under the two species », namely that bread and wine be shared with all, which happened to be one of the demands of the Jan Hus tradition.
One also can identify a Jew or rabbi taking place in the conspiracy. Looks pretty weird for a simple Batavian conspiracy! That the establishment was unhappy to see their hero painted as an ugly Cyclops seems probable.
But to be challenged in their flight forward into pompous fantasy in stead of taking up the urgent tasks of their time was another one.
King of Swedish Steel, Louis De Geer
Comenius arrives in Amsterdam on invitation of the de Geer family in 1656, the year of Rembrandt’s bankruptcy (*5).
Louis de Geer, alias « the Steel King » and his son Laurent were the life-long protectors of Comenius for whom they paid the funeral and even build a chapel in the city of Naarden, some miles outside Amsterdam.
Originally from Luik (Liège) in today’s Belgium, that uncompromising Calvinist family settled in Amsterdam. It was the de Geer family who led the foundations of Sweden’s industrial flowering of iron, steel and copper . To do this, de Geer brought three hundred families of Walloon steelworkers to Sweden, and for whom he build hospitals, schools, housing projects and commercial facilities.
De Geer also financed the scottish preacher John Dury and the « intelligencer » Samuel Hartlib, two active friends of Comenius in England. At war with the Royal Society and Francis Bacon, they wanted to render scientific knowledge available to all of the population.
John Milton’s treatise On Education was dedicated to the same Samuel Hartlib. Louis de Geer and Sweden’s prime Minister Johan Skytte, realized Comenius education projects were the best of all possible investment to foster the physical economy. His educational reforms created a labor force of such an exceptional quality and astonishing productivity, that they warmly invited him to Sweden and asked him to reform the nation’s educational system.
That relationship of Comenius with the de Geer family leads us to Rembrandt, since Louis de Geer’s sister, Marghareta, and her husband Jacob Trip, one of the major shareholders of the Swedish copper mines, had their portrait done by Rembrandt, offering him a well paid order during very difficult years.
The City of Amsterdam allotted Comenius a yearly pension, encouraged him to publish his complete works on pedagogy and offered him the keys of the city library. Comenius brought over his family and assistants and installed a library and a printing shop behind the Westerkerk where Rembrandt will be buried.
Comenius, when going every day from his house to his printing shop crossed the street where Rembrandt lived his last days. Since early this century, Czech curators got convinced that Rembrandt’s Portrait of an old man at the Uffizi Gallery in Florence, is in reality a portrait of Comenius (*6).
True or not, one has to realize that Rembrandt demanded to each of his models to sit each day for four hours over a period of three months to paint their portrait, a thing maybe not so evident for the aging Comenius.
But what is known with certainty is the fact that one of Rembrandt’s pupils, Juriaen Ovens, painted Comenius portrait during that period.
The Peace of Westphalia and the « Via Lucis »
Although Bohemia did not gain its long-desired independence at the peace of Westphalia, one cannot underestimate Comenius influence on the negotiations leading to the establishment of the peace-treaty. His work, Cesta Pokoje (Road to peace) of 1630, written in Czech is described as,
« an ethical-religious writing in which love, faith and mutual comprehension are established as the single ethical foundations of a possible peace ».
From 1641 to 1642, right before the start of the first peace negotiations, Comenius wrote the Via Lucis (The path of light), which could have been used as a guiding memorandum for the negotiators.
At the question if this Via Lucis was a millenarist mystical vision, as has been often pretended, we can consider the following.
Asked what could be hoped for and when a major change could take place, Comenius answered that the hope would come with the arrival of a time where the Gospel of the Kingdom would be preached all over the world and universal peace established.
That change could arise as the result of the emergence of a light to which will turn not only the Christian, but all the people of the world.
That light will come, « from the combination of the lanterns of human conscience, of a rational consideration of the works of God or of nature, and from the law or divine will ».
For him, « human enterprise can, through prayer and considerations of pious men imagine the possible ways to unite these rays of light, to irradiate them on the entirety of the human species and to spill similar thoughts in the minds of others » (*7).
One identifies exactly that concept in an etching of Rembrandt that Goethe awkwardly used by having it copied as frontispiece for his Faust in 1790 (*8).
The subject here is not at all a man going along to get along with the devil, but light (mirror of Christ) enlightening the life and the mind of the mortals. Way before Voltaire and opposed to the Venetian illuminati, Comenius and Rembrandt made own the metaphor of light.
To get an even more precise idea of Comenius demands for peace, one can read another memorandum called Angelus Pacis (The peace-angel),
« send to the English and Dutch peace Ambassadors at Breda, a writing designated to be sent afterwards to all the Christians of Europe and then to all the nations of the world in order to stop them, that they cease fighting each other ».
Comenius first remarks laconically that England and Holland are morally so degraded that they even don’t need some spiritual difference as a pretext, but fight each other for purely material possessions! As a way out, he proposes a new friendship:
« But how do you conceive that new friendship (or rather reestablishment of your friendship)? Will it be not by the general pardon that you will allow each other? The wise men have always seen the oblivion of received injuries as the surest road leading to peace. Touching too rudely the wounds, is to revivify the pains and to furnish the wounds an occasion for irritation.
« When this is true, it would be to be wished that the river Aa, whose tranquil waters irrigate Breda, would turn for this hour into the river Lethe of which the poets tell us that whoever drinks their water forgets everything of the past.
« The one who is guilty of trouble, God will find him, even when men, for love of peace, spare him. That the just one starts accusing himself; that means that the one whose conscience accuses him of having broken the friendship and witnessed enmity, should, according to justice, be the first one and the most ardent to reestablish friendship. If the offended party neglects that duty of justice, it will be the honor of the offended party to assume that honorable role, according to the word of the philosopher. » (*9)
COMENIUS: TEACH EVERYTHING TO ALL AND EVERYONE
Jan Amos Komensky (« Comenius ») (1592-1670) was above all a militant teacher, practicing « the universal art of teaching everything to everybody » (pan-sophia) and reckless source of inspiring enthusiasm.
One year after his death in 1670, Leibniz wrote of him: « time will come, Comenius, that honors will be offered to your works, to your hopes and even to the objects of your desires ».
In some domains, indeed, Comenius was Leibniz‘s precursor. First, he fought the fossilization of thought resulting from the dominant Aristotelianism: « Little time after that unification between Christ and Aristotle, the church fell into a pitiable state and became filled with the uproar of theological dispute ».
Strong defender of the free will that he didn’t see entirely in contradiction with an Augustinianconcept of predestination, he felt closer to John Huss than to Calvin, while generally labeled a « Calvinist » by historians.
In 1608, Comenius enters the Latin School of Prérov (Moravia), a school reorganized at the demand of Charles Zerotina on the model of the Calvinist school of Sankt-Gall in Switzerland. Zerotina was one of the key figures of the Bohemian nobility, promoter of the Church of Unity of Brethren, organizer of popular education and key leader of the international anti-Habsburg resistance. For example, in 1589 he lends a considerable amount of money to the French King Henri IV, which he meets in Rouen, France, in 1593 in support of ending the religious wars with the the Spanish.
Henri IV’s conversion to Catholicism (« Paris is worth a mass ») ruined Zerotina’s hope to reproach the Unity of Brethren with the French Huguenots. Befriended with Theodore de Bèze, which he met regularly when studying in Basel and Geneva, Zerotina sent Comenius to study at the Herborn University in Nassau. That University was founded in 1584 by Louis of Nassau, brother of William the Silent, the leader of the revolt of the Netherlands against Habsburg’s Spain. Louis of Nassau, a key international coordinator of the revolt was in permanent contact with the humanist Huguenot leader Gaspard de Coligny in France and with Walsingham, the chancellor of England’s Queen Elisabeth Ist.
Together with Zerotina, Comenius unleashed the revolt of Bohemia of 1618. After spending some time with the guerrilla forces for which he drew a map of Moravia, Comenius went into exile, as bishop of his church, the « Unity Brethren of Bohemia ».
Till his death, he was the soul of the Bohemian resistance, the gray eminence of the Diaspora and the guardian that prevented the Czech language from disappearing, since it was replaced by German in Bohemia. Since wars are only possible if large parts of the population remain uneducated, for Comenius education became the leading edge to fight for Peace.
Opposed to the Jesuit educators who consolidated their own power by education the elites only, Comenius, starting from his conviction that every individual is made in the living image of God, elaborated with great passion a very high level curriculum, which he wanted accessible to all, as he develops this in his « The Great Didactic » (1638).
Following the advice of Erasmus and Vivès, Comenius abolishes corporal punishment and decides to bring boys and girls in the same class. With him, a school needs to be available in every village, free of cost and open to everybody.
Breaking the division between intellectual and manual work, the schools were part-time technical workshops, anticipating France’s Ecole Polytechnique and the Arts et Metiers (technical school to perfect working people), completely oriented towards the joy of discovery. Leibniz idea of academies originated in Comenius’ schools and societies of friends.
For him, as for Leibniz, the body of physics couldn’t walk without the legs of metaphysics. Integrating that transcendence, he strongly rejected the very idea that nature was reducible to a mere aggregate defined by formal laws, and he adamantly lambasted Bacon, Galileo and Descartes for doing so. In stead, nature has to be looked to as a dynamic process defined by the becoming. That becoming is not repetitive, but permanent progression and potentialization: nature has a quality of development, tending towards self-accomplishment and harmony.
He was severely attacked by Descartes’ « Judgment of the Pansophical works » and mocked by Voltaire, who made him appear as Candide‘s naive philosophy teacher « Pangloss ».
Founder of modern pedagogy, he realized children are beings of affection, before becoming beings of reason. Up till those days, ignorant children were often seen as possessed by the devil, a devil which had to be beaten out of them. The French cardinal Pierre de Bérulle, founder of the Oratorians, reflected that mindset when he wrote that « infancy is the most vile and abject state of man’s nature after that of death ».
To make knowledge accessible to all, Comenius revolutionized the dogmas of that educational approach. In well-ordered classrooms, beautifully decorated with maps, classes would last only one hour covering all the domains one fiends in an engraving of Comenius: theology, manual works, music, astronomy, geometry, botany, printing, construction, painting and sculpture.
Comenius taught Latin, but was strongly convinced that every pupil had to master first his mother tongue. That was a total revolution, since up till then, Latin was taught in Latin, and to bad for those who didn’t understand already !
He also will also re-introduce illustrated textbooks (« The sensible world in images »)(1653), which had been stupidly banned from schools to « not invite the senses to disturb the intellect ». For Comenius, images have the same role as a telescope, displacing the field of perception beyond immediate limits.
His ideas, and especially the rapid successes of schools adopting his pedagogy attracted all of Europe and beyond. In 1642, Comenius was hired by Johan Skytte, the influential chancellor of the University of Uppsala, to reorganize the Swedish education system according to his principles. Skytte, an erudite Platonist inspired by Erasmus, will be Gustaphe Adolph’s preceptor and his son Bengt Skytte will be an influential teacher of Leibniz.
Before that job, Comenius discarded a similar offer originating from Richelieu of France and the offer that came from John Winthrop Junior from the United States who offered Comenius to preside Harvard University, newly founded in the Massachussetts Bay Colony of America.
Rembrandt and Forgiveness
To express in art that precise moment where love gives birth to pardon and repentance will be precisely one of Rembrandt’s favorite subjects. The fact that he choose the name Titus for his son, after the roman emperor who supposedly had showed great clemency toward the early Christians, demonstrates that point. But Titus was also the name of a bishop of Creta who was a close collaborator of Apostle Paul.
Rembrandt was fascinated by the figure of Saint-Paul, who used to be after all a roman officer who, through his conversion, showed the possible transformation of each individual for the better, capable of becoming a militant for the good.
Rembrandt’s self-portrait of the Rijksmuseum, with the famous « ghost-image » of a badly lit dagger nearly planted his breast supposedly represent him as Saint-Paul, traditionally represented defending Christian faith with the scripture in one hand and the sword in the other.
The bible in the armored hand do appear in that painting, but the sword here seems more as a dagger, suggesting an eventual reference to the name given by Erasmus to his Christian’s manual, the « Enchiridion » after the Greek word egkheiridion (dagger).
The Prodigal Son
In one of Rembrandt’s late works, the « Return of the prodigal son », despite the fact that the work was completed by a pupil, we see how profoundly he dealt with precisely that subject. The expressiveness of the figures is amplified by the nearly life-size representation on the wide canvas (262 x 205 cm).
The father’s eyes, plunged in interior vision, look yonder the small passage by which the son hasarrived, as doubting of the happiness that overwhelms him, since his son « who was dead », « came back to life ».
The son, who installs his convicts head on the father’s abdomen, engages in the act of total repentance. The naked foot who leaves behind the rotten shoe, communicates in a metaphorical way that sinners deed of repentance, offering what he has inside. The father embraces his son by putting his pardoning hands on his shoulders, while the jealous brothers stand by wondering and enraged why so much love is given to the son « who had spoiled the fathers good with prostitutes ».
Three observations indicate Comenius person and thought might have inspired this work.
First, according to all available portraits, the face of the father shows heavy resemblance with the treats of Comenius himself, a well known militant for peace based on repentance and pardon which Rembrandt probably met frequently during that period.
Second, and after a second look, the son doesn’t look European at all, but actually Negroid, which would add to the painting some critical thoughts on the widely practiced slavery of the European powers of those days.
To conclude, one could interpret the parable of the prodigal son in a much larger sense: is this not man itself, son of God, who returns to his father after having wandered on the roads of sin? Comenius, after a moment of nearly total desperation uses that same image in his book The labyrinth of the world and the paradise of the hearth (1623).
Similar to the image employed by the Dutch painter Hieronymous Bosch, in his « ambulant salesman », man gets lost in the multiplicity of the world that leads him to self-destruction, but after a crisis decides to regain divine unity.
In order to add still another dimension to the discussion on the quality of love involved in art, it is useful to contrast our master with the works of the most talented belonging to the tradition of his detractors: Peter-Paul Rubens.
Rembrandt, Rubens and other Philistines
But before investigating Rubens, it is appropriate to consider the following. Despite the fact that Rembrandt came out of the immense intellectual ferment of the late sixteenth century University of Leiden, one of the cradle’s of humanism, one cannot escape the fact that his lashing career would have infatuated many.
Remember, Constantijn Huygens « discovered Rembrandt » in 1629, while still a young millers son running a small boutique with Jan Lievens, asking them to come to Amsterdam and work for the government. (*10).
Rembrandt’s « patron » nevertheless would write without blushing in his diary Mijn Jeugd (my youth) that Peter Paul Rubens, the Flemish baroque painter was « one of the seven marvels of the world ».
Rubens was, before everything else, the talented standard bearer of the « enemy » Counterreformation and its Jesuits army, whose admiration made Rembrandt totally uncomfortable. How could this virtuoso painter be seen as the brightest star on the firmament of painting? According to some, Huygens was looking for « a Dutch Rubens », capable of making shine the « elites » of the nation.
Rembrandt at one point got so irritated with Huygens’ shortsightedness that he
offered him a large painting called Samson blinded by the Philistines. The work, a pastiche of the violent style, painted « à la Rubens », shows roman soldiers gouging out Samson’s eye with a dagger. Did Rembrandt suggest that his Republic (the strong giant) and its representatives were blinded by their own philistinism?
When a little Page becomes a great Leporello
Rembrandt perfectly translates the feeling of revulsion any honest Dutch patriot would have felt in front of Rubens. Had the Dutch elites already forgotten that Peter Paul’s father, Jan Rubens, once a Calvinist city councilor of Antwerp close to the leadership of the revolt of the Netherlands, had severely damaged the integrity of the father of the fatherland by engaging in an extra-conjugal relationship with Anna of Saxen, the unstable spouse of William the Silent?
Humiliated, but with courage and determination, Rubens mother fought as a lioness to free her husband from an uncertain jail. Her son Peter Paul, could not but become the calculated instrument of vengeance against the protestants and an indispensable tool to do away the blame hanging over the family. Hence, at the age of twelve, Peter Paul was sent to the special college of Romualdus Verdonck, a private school specifically designed to train the shock troops of the Counterreformation.
From there on, Rubens becomes a pageboy at the little court of Marguerite de Ligne, countess de Lalaing at Oudenaarde, whose descendants still form the Royal blood of today’s Belgium. As a kid, Rubens copied the biblical images of the woodprints of Holbein and the Swiss engraver Tobias Stimmer. After two waves of iconoclasm (1566 and 1581), the Counterreformation was very eager to recruit image-makers of all kinds, but under strict regulations specified by the final session of the Council of Trent in 1563. (*12).
After a short training by Abraham van Noort, Rubens career was boosted by his entering of the workshop of Otto van Veen. Born in Leiden in 1556 and trained by the Jesuits, « Venius » was the pupil of the master-courtier Federico Zuccari in Rome. Zuccari was the court painter of Habsburg’s Philippe II of Spain and the founder of the « Accademia di San Luca ». Traveling from court to court, Venius succeeded in getting the favors of Alexander Farnèse, the malign Spanish governor in charge of occupying Flanders.
Farnèse, who actually organized the successful assassination of the father of the Netherlands, the erasmian humanist William the Silent in 1584, nominated Venius as his court painter and as engineer of the Royal armies.
Furthermore, Venius will be the man who opened Rubens mind on Antiquity and together they will read and comment classical authors in Latin. Especially, he will show Rubens that an artist, if he wants to attain glory during his lifetime, must appeal a little bit to his talent and a very much to the powerful.
In Italia
In may 1600, Rubens rides his horse to Venice. In June, during Carnival he encounters the Duke of Mantua, Vincent of Gonzague, who is the cousin of archduke Albert who is ruling then Flanders with Isabella since 1598.
The duke of Mantua, the oligarchic type Mozart portrays in his « Don Giovanni » and Verdi explicitly in « Rigoletto », was very fond at the idea to add a « fiamminghi » to his stable.
The court of Mantua, in a competition of magnificence with other courts, notably those of Milan, Florence or Ferrare, employed once the painter Mantegna, the architect Leon Battista Alberti and the codifier of courtly manners Baldassare Castiglione. At the times of Rubens, the court paid the living of poet Torquato Tasso and the composer Monteverdi which wrote in Mantua his « Orpheus » and « Ariane » in 1601.
Galileo was also one of the guests for a short period in 1606. But especially, the Duke had in his possession one of the largest collections of works of art of that period, and his agents in Italy and all over the world were in charge of identifying new works worth becoming part of the collection.
An inventory of 1629 lists three Titian’s, two Raphael’s, one Veronese, one Tintoretto, eleven Giulio Romano’s, three Mantegna’s, two Corregia’s and one Andrea del Sarto amidst others. Similar to Giulio Romano who became the mere instrument of the « scourge of the princes » Pietro Aretino, our Flemish painter became just another Leporello, an obligingly « valet » enslaved by the Duke.
When we look to his self-portrait with his Circle of friends in Mantua, we see a fearful man, who « became somebody » because surrounded by « people who made it » and recognized by the powerful.
In Espagna
Immediately the Duke gave Rubens a truly Herculean task: transport a quite sophisticated present to Philippe III and his prime minister the Duke of Lerma from Mantua to Madrid. On top of a little chariot specially designed for hunting and several boxes of perfume, the core of the present consisted of not less then forty copies of the best paintings of the Duke’s private collection, notably some Raphael‘s and Titians. On top, Rubens’ mission was « to paint the fanciest women of Spain » during his trip. While his patron in Mantua whines for his return, Rubens will deploy his seductive capabilities at the Spanish court which looked far more promising to his career.
Back in Italy, his immediate going to Rome seems an opportune move, since in these days Barocci was held for to old, Guido Reni for to young. Also, Annibale Carracci appeared out of order since suffering from melancholic apoplexies while Caravagio, accused of murder, was hiding on the properties of his patrons, the Colonna’s.
But essentially, Rubens goes to the holy city because he’s enthusiastically promoted there by the Genovese cardinal Giacoma Serra, very impressed by the « splendid portraits » of women Rubens painted for the Spinola-Doria dynasty in Genoa.
Nevertheless, hearing about the imminent death of his mother, Rubens rushes to Antwerp, and after much a hesitation settles his workshop there, far at a distance from the centers of power, but close to the fabulous privileges he obtains from the Spanish regents over the Netherlands, Albrecht and Isabella.
In Antwerpia
These advantages were such that conspiracy-theorist see them as sufficient proof that there was a blueprint to kill the soul of the Erasmian spirit in Christian painting in the region.
First, Rubens will receive 500 guilders per year without any obligation concerning his artistic output except the double portrait of the rulers, any supplementary order necessitating separate payment.
Next, Rubens obtains a status permitting him to bypass the regulations and obligations of the Saint-Luc painters guild, particularly the rule that limits the number of pupils and the amount of their salary. And since a lot is never enough, Rubens obtains a tax-exemption status in Antwerp! As a real patrician he orders the building of his palace.
Broken down long time ago, and for whatever reasons, one has to observe that it was during the times of Flemish collaboration with Hitler’s Germany (from 1938 to 1946) that his Genovese modeled resort, temporarily recreated in 1910 for the Universal Exposition in Brussels, will be entirely rebuild after the engravings of Jacobus Harrewijn of 1692, decorated as the original and the interior filled with fitting old furniture (*14).
It is true that his enthusiasm for opulent blondes and violent action was interpreted by Nazi historians as the expression of profound sympathy for the Nordic races, while his visual energy was seen as the antithesis of « degenerated » art. The Rubens cult in Antwerp might tell us something interesting about the recurrent rise of rightwing extremism in that city.
Propaganda Genius
Rubens feat was to « merchandize » the ruling taste of the oligarchy of his time. Similar to the German filmmaker Leni Riefenstahl under Hitler, Rubens became the genial producer of their propaganda. Precocious child and brilliant draughtsman, he had spent hours and hours working after Italian collections and bas-reliefs in the ruins of Rome.
Since the « Warrior-pope » Julius II and Leo X took over the Vatican, art had to submit to the dictatorship of the degenerated taste of imperial Rome. Eight years of work, from 1600 to 1608, in Genoa, Mantua, Florence, Rome, without forgetting Madrid, with free access to nearly all the great collections of antiquities and paintings of the old families, enabled Rubens to constitute a « data-base », whose fructification will generate the bulk of his fortune.
Specialists do point easily to the unending stream of visual quotes identified in his works. A group of Michelangelo in « The Baptism of Christ » (Koninklijk Museum voor Schone Kunsten, Antwerp); a pose of Raphael’s Aristotle in the School of Athens in his « St-Gregory with St-Domitilla, St-Maurus and Papianus » (Gemäldegalerie, Berlin) or one of his Madonna’s in « The fall of man » (Rubenshuis, Antwerp), without forgetting a head of the Laocone in the « Elevation of the Cross » (Cathedral, Antwerp) or the « contraposto » of a Venus coming straight away from a roman statuary in « The union of Earth and Water » (Hermitage, Saint-Petersburg). (*11).
The Tulip, Seneca plus Ultra
The desire to be accepted by the ruling oligarchs becomes even clearer when we discover his admiration for Seneca.
Through his education and under the influence of his brother Philippe, Peter Paul Rubens will become a fanatical follower of the Roman neo-stoic Seneca (4 BC – 65 AC). In his painting The four philosophers, Rubens paints himself standing, once again « on the map » with those who got a chair at the table.
With a view on the palatine hill in the background, site of the Apollo cult considered the authentic Rome, we see his brother Philippe, a renowned jurist, sitting across the leading stoic ideologue of those days, Justus Lipsius and his pupil Wowerius, all situated beneath a niche filled with a bust of Seneca honored by a vase with four tulips, two of them closed, and the other two opened.
Originally from Persia, the tulip bulb was brought from Turkey to Europe by an Antwerp diplomat in 1560. Its culture degenerated rapidly from a hobby for gentleman-botanist into the immense collective folly known as the Tulip Mania and « tulip-bubble » or « Windhandel » (wind-trade).
That gigantic speculative bubble bursted in Haarlem on February 2, 1637, while some days earlier, a tulip with the name of « vice-roy » went for 2500 guilders, paid in real goods being two units of wheat and four of rye, four fat calves, eight pigs, a dozen of sheep, two barrels of wine, four tons of butter, a thousand pounds of cheese, a bed and a silver kettle drum (*14).
As can be seen in his painting Rubens in his garden with Helena Fourment, Rubens was not indifferent to that highly profitable business. Behind the master and his spouse, appears discretely behind a tree in Rubens garden a rich field of tulips!
But in the « Four philosophers », the tulip is nothing else than a metaphor of the « Brevity of life », an essay of Seneca.
The latter, tutor of Nero, preached a Roman form of sharp cynicism known under the label of fatum (fatality): to rise to (Roman) grandeur, man must cultivate absolute resignation. By an active retreat of oneself on oneself and by a obstinate denegation of a threatening and absurd world, man discovers his over-powerful self. That power even increases, if the self decides that death means nothing.
At the opposite of Socrates, who accepted to die for giving birth to the truth, Seneca makes his suicide his main existential deed. Waiting for his hour, his job is to steer his boredom by managing alternating pleasures and pains in a world where good and bad have no more sense.
As all cases of radical Aristotelianism, that philosophy, or « art of life » steers us in the hell of dualism, separating « reason », cleaned from any emotion, from the unbridled horses driving our senses. These two ways of being unfree makes us a double fool. Rubens fronts for that philosophy in his work Drunk Silenus.
The excess of alcohol evacuates all reason and brings man back to his bestial state, a state which Rubens considers natural. Instead of being a polemic, the painting reveals all the complacency of the painter-courtier with the concept of man being enslaved by blind passion. Instead of fighting it, as Friedrich Schiller outlines the case repeatedly and most explicitly in his « On the Esthetical Education of Mankind », Rubens cultivates that dualism and takes pleasure in it. And sincerely tries to recruit the viewer to that obscene and degrading worldview.
Peace IS war
As an example of « allegories », let us look for a moment at Rubens canvas Peace and War.
Above all, that painting is nothing but a glittering « business-card » as one understands knowing the history of the painting. At one point, Rubens, who had become a diplomat thanks to his international relations, organized successfully the conclusion of a peace-treaty between Spain and England (which collapsed fairly soon).
Repeating that for him « peace » was based on the unilateral capitulation of the Netherlands (reunification of the Catholic south with the North ordered to abandon Protestantism), he succeeded entering the Spanish diplomatic servicesomething pretty unusual for a Flemish subject, in particular during the revolt of the Netherlands.
Following this diplomatic success, the painter is threefold knighted: by the Court of Madrid to which he presents a demand to obtain Spanish nationality; by the Court of Brussels and also by the King of England!
Before leaving that country, he offers his painting « Peace and War » to King Charles. The canvas goes as follows: Mars is repelled by wisdom, represented as Minerva, the goddess protecting Rome. Peace is symbolized by a woman directing the flow of milk spouting out of her breast towards the mouth of a little Pluto. In the mean time a satyr with goat hooves displays the corn of abundance…
On the far left, a blue sky enters on stage while on the right the clouds glide away as carton accessories of a theatre. Rubens main argument here for peace is not a desire for justice, but the increase of pleasures and gratifications resulting from the material objects which men could accumulate under peace arrangements! Ironically, seen the cupidity of the ruling Dutch elites, which Rembrandt would lambaste uncompromisingly, it seems that Rubens might have succeeded in convincing these elites to sell the Republic for a handful of tulips. If only his art would have been something else then self-glorification! Here, his style is purely didactical, copied from the Italian mannerism Leonardo despised so much.
Instead of using metaphors capable to make people think and discover ideas, the art of Rubens is to illustrate symbolized allegories. The beauty of an invisible idea has never, and can not be brought to light by this insane iconographical approach. His « style » will be so impersonal that dozens of assistants, real slave laborers, will be generously used for the expansion of his enterprise.
King Christian IV’s physician, Otto Sperling, who visits Rubens in 1621 reported:
« While still painting he was hearing Tacitus read aloud to him and at the same time was dictating a letter. When we kept silent so as not to disturb him with our talk, he himself began to talk to us while still continuing to work, to listen to the reading and to dictate his letter, answering our questions and then displaying his astonishing power. »
« Then he charged a servant to lead us through his magnificent palace and to show us his antiquities and Greek and Roman statues which he possessed in considerable number. We then saw a broad studio without windows, but which captured the light of the day through an aperture in the ceiling. There, were united a considerable amount of young painters occupied each with a different work of which M. Rubens had produced the design by his pencil, heightened with colors at certain points. These models had to be executed completely in paint by the young people till finally, M. Rubens administered with his own hand the final touch.
« All these works came along as painted by Rubens himself, and the man, not satisfied to merely accumulate an immense fortune by operating in this manner, has been overwhelmed with honors and presents by kings and princes ». (*15).
We know, for example, that between 1609 and 1620, not less than sixty three altars were fabricated by « Rubens, Inc. ». In 1635, in a letter to his friend Pereisc, when the thirty years war is ravaging Europe, Rubens states cynically « let us leave the charge of public affairs to those who’s job it is ».
The painter asks and obtains a total discharge of his public responsibilities the same year while retiring to enjoy a private life with his new young partner.
Painter of Agapè, versus painter of Eros
Being a human, Rembrandt correctly had thousand reasons to be allergic to Rubens. The latter was not simply « on the wrong side » politically, but produced an art inspiring nothing but lowness: portraits designated to flatter the pride of the mighty by making shine and glitter some shabby gentry; history scenes being permanent apologies of Roman fascism where, under the varnish of pseudo-Catholicism, the alliance of the violent forces of nature and iron-cold reason dominated. Behind the « art of living » of Seneca, there stood the brutal methods of manipulation of the perfect courtier described by Baldassare Castiglione in his « Courtier ». For courtly ethics, everything stands with balance (sprezzatura) and appearance, and behind the mask of nice epithets operates the savage passions of seduction, possession, rape and power-games.
On the opposite, Rembrandt is the pioneer of interiority, of the creative sovereignty of each individual. To show the beauty of that interiority, why not underline paradoxically exterior ugliness?
In the « Old man and young boy » of Domenico Ghirlandajo, an imperfect appearance unveils a splendid beauty. The old man has a terribly looking nose, but the visual exchange between him and the boy shows a quality of love which transcends both of them. At the opposite of Seneca, they don’t contemplate the « brevity of life », but the longevity or « immortality of the soul ».
Martin Luther King, in a sermon tries equally to define these different species of love. After defining Eros (carnal love), and Philia (brotherly love), he says:
« And then the Greek language comes out with another word. It’s the word agape. Agape is more than Eros; it’s more than an aesthetic or romantic love; it is more than friendship. Agape is understanding, creative, redemptive goodwill for all men. It is an overflowing love which seeks nothing in return. Theologians would say that it is the love of God operating in the human heart. And so when one rises to love on this level, he loves every man, not because he likes him, not because his ways appeal to him, but he loves every man because God loves him, and he rises to the level of loving the person who does an evil deed, while hating the deed that the person does. » (*17)
Then, King shows how that love intervenes into the political domain:
« If I hit you and you hit me and I hit you back and you hit me back and go on, you see, that goes on ad infinitum. It just never ends. Somewhere somebody must have a little sense, and that’s the strong person.
The strongperson is the person who can cut off the chain of hate, the chain of evil. And that is the tragedy of hate, that it doesn’t cut it off. It only intensifies the existence of hate and evil in the universe. Somebody must have religion enough and morality enough to cut it off and inject within the very structure of the universe that strong and powerful element of love. »
You probably understood our point here. Martin Luther King, in his battle for justice, was living in the same « temporal eternity » as Rembrandt and Comenius opposing the thirty years war. Isn’t that a most astonishing truth: that the most powerful political weapon at man’s disposal is nothing but transforming universal love, over more available to everyone on simple demand? But to become a political weapon, that universal love cannot remain a vague sentiment or fancy romantic concept. Strengthened by reason, Agapè can only reach height with the wings of philosophy.
Rembrandt and Comenius knew that « secret », which will remain a secret for the oligarchs, if they remain what they are. »
The Little Fur
Another comparison between two paintings will make the difference even more clearer between Eros and Agapè: Het pelsken (the little fur) of Rubens (left) and Hendrickje bathing in a river of Rembrandt (right).
That comparison has a particular significance since the two paintings show the young wives of both painters. At the age of fifty-three Rubens remarried the sixteen year old Helena Fourment, while Rembrandt settled at the age of forty-three with the twenty-two year old Hendrickje Stoffels.
The naked Helena Fourment, with staring eyes, and while effecting an hopeless gesture of pseudo-chastity, pulls a black fur coat over her shoulders. The stark color contrast between the pale body skin and the deep dark fur, a typical baroque dramatic touch of Rubens, unavoidably evokes basic instincts. No wonder that this canvas was baptized the « little fur » by those who composed the catalogues.
However, paradoxically, Hendrickje is lifting her skirt to walk in the water, but entirely free from any erotic innuendo! Her hesitating, tender steps in the refreshing water seem dominated by her confident smile. Here, the viewer is not some « Peeping Tom » intruding into somebody’s private life, but another human being invited to share a moment of beauty and happiness.
Suzanne and the Elderly
Another excellent example is the way the two painters paint the story of Suzanne and the elderly. Comenius, was so impassioned by this story that in 1643 he called his daughter Zuzanna in 1646 his son Daniel. This Biblical parable (Daniel 13) deals with a strong notion of justice, quite similar to the one already developed in Greece by Sophocles Antigone. In both cases, in the name of a higher law, a young woman defies the laws of the city.
In her private garden, far from intruding viewers, the beautiful Suzanne gets watched on by two judges which will try to blackmail her: or you submit to our sexual requests, or we will accuse you of adultery with a young man which just escaped from here! Suzanne starts shouting and refuses to submit to their demands. The next day, Suzanne gets accused publicly by the judges (the strongest) in front of her family, but Daniel, a young man convinced of her innocence, takes her defense and unmasks the false proofs forged by the judges. At the end, the judges receive the sentence initially slated for Suzanne.
In the Rubens painting, a voluptuous Suzanne lifts her desperate eyes imploring divine help from heaven. The image incarnates the dominant but
insane ideology of both Counterreformation Catholicism and radical Protestantism: the denial of the free will, and thus of the incapacity to obtain divine grace through one’s acting for the good. For the Calvinist/protestant ideologues, the soul was predestinated for good or evil. Reacting by a simple inversion to the crazy indulgences, it was « logical » that no earthly action could « buy » divine grace. So whatever one did, whatever our commitment for doing the good on earth, nothing could derail God’s original design. The Counterreformation Catholics thought pretty much the same, except that one could claim God’s indulgence in the context of the rites of the Roman Catholic Church, especially by paying the indulgences: « No salvation outside the church ».
In a spectacular way, Rembrandt’s Suzanne and the elderly reinstates the real evangelical Christian humanist standpoint: a chaste Suzanne looks straight in the eyes of the viewer which is witnessing the terrible injustice happening right under his nos. So, will you be the new Daniel? Will you find the courage to intervene against the laws of the State to defend a « Divine » justice? Hence, agapè is that infinite love for justice and truth, that leads you to courageous action and makes you a sublime personality capable of changing history, in the same way Antigone, Jeanne d’Arc, or Suzanne did before.
Plato versus Aristotle
The fact that Rembrandt was a philosopher is regularly put into question, even denied. The inventory of his goods, established when his enemies forced him into bankruptcy in 1654, doesn’t mention any book outside a huge bible, supposedly establishing a legitimate suspicion of him being near to illiteracy. While romanticized biographies portray him as an accursed poet, a narcissistic genius or the simple-minded mystical visionary son of a miller, a comment in 1641 from the artist Philips Angel underscores, not his painting, but Rembrandt’s « elevated and profound reflection ».
It is Aristotle contemplating Homer’s bust, which demonstrates once and for ever how stupid the Romantics can be. Ordered by an Italian nobleman, the painting shows Aristotle as a Venetian aristocrat, as a perfect courtier: with a wide white shirt, a large black hat and especially carrying a heavy golden chain.
In short, clothed as Castiglione, Aretino, Titian and Rubens… Rembrandt shows here his intimate knowledge of the species nature of Plato’s enemies of the Republic, that oligarchy to whom Aristotelianism became a quasi-religion.
With great irony, the canvas completely mocks knowledge derived from the « blind » submittal to sense perception. Here Rembrandt seems to join Erasmus of Rotterdam saying « experience is the school of fools! ».
Equipped with empty eyes, incapable of perception, Aristotle is groping with an uncertain hand Homer’s head of which he was supposedly a knowledgeable commentator. Homer, the Greek poet who turned blind, stares worriedly to Aristotle with the open eyes of mind.
That inversion of the respective roles of Aristotle and Homer is dramatized by situating the source enlightening the scene as a tangent behind the bust of the poet.
Light reflections illuminating Aristotle’s hat underneath make appear the ironical « ghost image » of donkey ears, the conventional attribute widely used since the Renaissance to designate the stubbornness of scholastic Aristotelianism.
To this Aristotelian blindness, Rembrandt, whose own father became blind, opposes the other clear-sightedness of Simeon, as seen in his last painting, found on Rembrandt’s easel after his death.
All during his life, Simeon had wished to see the Christ with his own eyes. But, growing old, that hope quitted him with along with his sight. As he did every day, Simeon went one day to the temple. There, Maria asked him to keep her child in his arms. Suddenly, an infinite joy
overwhelmed Simeon, who, without seeing Christ with his mortal eyes, saw him much more clearly with his mind than all the healthy seers. Rembrandt wanted us to reflect on that conviction: don’t believe what you see, but act coherently with God’s design and you might see him. On Simeon’s hands, a series of dashes of paint suggest some kind of crystal ball, an image which only « appears » when our minds dares to see it, underlining Simeon’s prophetic nature.
Jesus Christ healing the sick
Rembrandt’s anti-Aristotelian philosophy is also explicitly manifest in an engraving known as Christ healing the sick, an exceptionally large etching on which he worked passionately over a six year period. In order to « sculpt » the ambiguous image of the Christ, son of both God and mankind, Rembrandt executed six oil portraits featuring young rabbi’s of Amsterdam. But it was Leonardo’s fresco, the Last Supper, which Rembrandt extensively studied as shown by drawings done after reproductions, that seems to have been his starting point.
Scientific analysis of his still existing copperplate indicate that the Christ’s hands were originally drawn as an exact imitation of Leonardo’s « Last Supper » fresco.
Completely different from the kind of « spotlight theatrics » that go from Caravagio to Hitchcock, the work reminds the description of the myth of the cavern in Plato’s Republic. But here stands the Christ blessing the sick.
Transfigured, and akin to the prisoners in Beethoven’s opera Fidelio, the sick people walk from right to left towards Christ. Encountering the light transforms them into philosophers!
One generally identifies easily, amidst others, Homer and Aristotle (who’s turning his head away from Christ), but also Erasmus and Saint-Peter, which according to some possesses here the traits of Socrates.
The etching brings together in a single instant eternal several sequences of Chapter XIX of Saint Mathew:
“Let the little children come to me, and do not hinder them, for the kingdom of heaven belongs to such as these.”
In a powerful gesture, Christ brushes aside even the best of all wise wisdom to make his love the priority, where Peter desperately tries to prevent the children from being presented to Jesus.
Sitting close to him we observe the image of an undecided young wealthy man plunged in profound doubts, since he desired eternal life but hesitated to sell his possessions and give it all to the poor.
When he left, Jesus commented that it was certainly easier for a camel to get through the eye of a needle, than for a rich man to enter the his kingdom.
Above simple earthly space situated in clock-ticking time, the action takes place in « the time of all times », an instantaneous eternity where human minds are measured with universality, some kind of « last judgment » of divine and philosophical consciousness.
The healing of the sick souls and bodies is the central breaking point which articulates the two universes, the one of sin and suffering, with the one of the good and happiness. Christ’s love, metaphorized as light, heals the « sick » and makes philosopher-kings out of them. They appear nearly as apostles and figure exactly on the same level as the apostles of Leonardo‘s milan fresco The last Supper. Brought out of darkness into the light, they become themselves sources of light capable of illuminating many others.
That « light of Agapè » is the single philosophical basis of Rembrandt’s revolution in the techniques of oil-painting: in stead of starting drawing and paint on a white gesso underground or lightly colored under-paint (the so-called priming, eventually adding imprimatura), all the later works are painted on a dark, even black under-paint!
The « modern » thick impasto, possible through the use of Venetian turpentine and the integration of bee wax, are revived by Rembrandt from the ancient « encaustic » techniques described by Pliny the Elder. They were employed by the School of Sycione three hundred years before Christ and gave us Alexander the Great‘s court painter Apelles, and the Fayoum mommy paintings in Alexandria, Egypt (*17).
Building the color-scale inversely permitted Rembrandt to reduce his late palette to only six colors and made him into a « sculptor of light ». His indirect pupil, Johannes Vermeer, systemized Rembrandt’s revolutionary discovery (*18).
Deprived of much earthly glory during their lives, Rembrandt and Comenius were immediately scrapped from official history by the oligarchic monsters that survived them. But their lives represent important victories for humanity. Their political, philosophical, esthetical and pedagogical battles against the oligarchy and its « valets » as Rubens, makes them eternal.
They are and will remain inexhaustible sources of inspiration for today’s and tomorrows combat.
NOTES:
- Karel Vereycken, « Rembrandt, bâtisseur de nation« , Nouvelle Solidarité, June 1985.
- The treatises of Westphalia (Munster and Osnabruck) of 1648, and the ensuing separate peace accords between France and the Netherlands with Spain, finally shred into pieces every political, philosophical and juridical argument serving as basis of the notion of empire, and by doing so put an end to Habsburg’s imperial fantasy, the « Thirty years war ». As some had outlined before, notably French King Henry IV’s great advisor Sully in his concept of « Grand Design », making the sovereign nation-state the highest authority for international law was, and remains today, the only safe road to guaranty durable peace. Empires, by definition, mean nothing but perpetual wars. If you want perpetual war, create an empire! Hence, through this revolution, small countries obtained the same rights as those held by large ones and the notions of big= strong, and small=weak, went out of the window. The Hobbesian idea that « might makes right » was abolished and replaced by mutual cooperation as the sole basis of international relations between sovereign nation-states. Hence, tiny Republics, as Switzerland or the Netherlands,the latter at war with Spain for nearly eighty years, finally obtained peace and international recognition. Second, and that’s undoubtedly the most revolutionary part of the agreements, mutual pardon became the core of the peace accords. For example paragraph II stipulated explicitly « that there shall be on the one side and the other a perpetual Oblivion, Amnesty or Pardon of all that has been committed since the beginning of these Troubles, in what place, or what manner soever the Hostilitys have been practis’d, in such a manner, that no body, under any pretext whatsoever, shall practice any Acts of Hostility, entertain any Enmity, or cause any Trouble to each other; » (translation: Foreign Office, London). Moreover, several paragraphs (XIII, XXXV, XXXVII, etc.) stipulate (with some exceptions) that there will be a general debt forgiveness concerning financial obligations susceptible of maintaining a dynamic of perpetual vengeance. In reality, the Peace of Westphalia was the birth of new political order, based on the creation of a new international economic and monetary system necessary to build peace on the ruins of the bankrupt imperial order.
- Footnote, p. 77 in Comenius by Olivier Cauly, Editions du Félin, Paris, 1995.
- Brochure dealing with that painting published by the Nationalmuseum of Stockholm.
- To put to an end to the politically motivated financial harassment which was organized by the family of his deceased wife, Saskia van Uylenburgh, Rembrandt submits on July 14, 1656 to the Dutch High Court a cessio bonorum (Cessation of goods to the profit of the creditors), accepting the sale of his goods. In 1660, Rembrandt abandons the official management of his art trading society to his wife Hendrickje Stoffels and his son Titus.
- p. 105, Henriette L.T.de Beaufort, in Rembrandt, HDT Willinck & Zoon, Harlem, 1957.
- p. 358, Samuel Hartlib and Universal Reformation, Cambridge University Press, 1994.
- p. 12-13, Bob van den Bogaert, in « Goethe & Rembrandt », Amsterdam University Press, Amsterdam 1999.
- p. 25, Marcelle Denis in Comenius, pédagogies & pédagogues, Presse Universitaire de France, 1994.
- Constantijn Huygens (1596-1687), was an exceptional precocious erudite. Politician, scientist, moralist, music composer, he played the violin at the age of six, wrote poems in Dutch, Latin, French, Spanish, English and Greek. His satire, « ‘t Kostelick Mal » (expensive folly), opposed to the « Profijtelijk Vermaak » (profitable amusement) makes great fun of courtly manners and the then rampant beaumondism. His son, Christiaan Huygens was a brilliant scientist and collaborator of Leibniz at the Paris Academy of sciences.
- One has to outline shortly here that contrary to the rule of the Greek canon of proportions (height of man = seven heads and a half), the Romans, as Leonardo seems to observe sourly in his drawing reworking Vitrivius, increase the body size up to eight and sometimes many more heads. It was the Greek canon established after the « Doryphore » of Polycletius, which settled the matter much earlier after many Egyptian inquiries on these matters. Leonardo, who wasn’t a fool, realized Vitruvius proportions (8 heads) are wrong, as can be seen by the two belly-buttons appearing in the famous man bounded by square and circle. Hence, the proportional « reduction » of the head was an easy trick to create the illusion of a stronger, more powerful musculature. That image of a biological man displaying « small head, big muscles » supposedly stood as the ultimate expression of Roman heroism. Foreknowledge of this arrangement permits the viewer to identify accurately what philosophy the painter is adhering to: Greek humanist or Roman oligarch? That Rubens chose Rome rather than Athens, leaves no doubt, as proven by his love for Seneca.
- « The holy Council states that it isn’t permitted to anybody, in any place or church, to install or let be installed an unusual image, unless it has been approved so by the bishop »; « finally any indecency shall be avoided, of that sort that the images will not be painted or possess ornaments of provoking beauty… » P. 1575-77, t. II-2, in G. Alberigo, « The ecumenical Councils », quoted by Alain Taton (p. 132) in « The Council of Trent », editions du CERF, Paris, 2000.
- p. 172, Simon Schama, in his magnificent Rembrandt’s eyes, Knopf, New York, 1999.
- For a more elaborate description of the tulip-bubble, Simon Schama, p. 471, « L’embarras de richesses, La culture hollandaise au Siècle d’Or », Gallimard, Paris, 1991.
- p. 117, Otto Sperling, Christian IV’s doctor, quoted by Marie-Anne Lescouret in her biography Pierre-Paul Rubens, J.C. Lattès, Paris, 1990.
- « Love your enemies », sermon of Martin Luther King, November 17, 1957, Dexter Avenue Baptist Church, Montgomery, Alabama. Quoted in Martin Luther King, Minuit, quelqu’un frappe à la porte, p.63, Bayard, Paris 1990.
- p. 87-88, Karel Vereycken, in The gaze from beyond, Fidelio, Vol. VIII, n°2, summer 1999.
- Johannes Vermeer of Delft was a close friend of Karel Fabritius, the most outstanding pupil of Rembrandt, who died at the age of thirty-four when the powderkeg of Delft exploded. Vermeer became the executor of his last will, a role generally reserved for the closest friend or relative. Anthonie van Leeuwenhoek, the inventor of the microscope and Leibniz correspondent, will become in turn the executor of Vermeer’s last will. That filiation does nothing more than prove the constant cross-fertilization of the artistic and scientific milieu. The Dutch « intimist » school, of which Vermeer is the most accomplished representative, is the most explicit expression of a « metaphysical » transcendence, transposed for political reasons, from the domain of religion, into the beauty of daily life scenes.
SELECTED BIBLIOGRAPHY:
- Baudiquey, Paul, Le retour du prodigue, Editions Mame, 1995, Paris.
- Bély, Lucien, L’Europe des Traités de Westphalie, esprit de la diplomatie et diplomatie de l’esprit, Presses Universitaires de France, Paris, 2000.
- Callot, Jacques, etchings, Dover, New York, 1974.
- Castiglione, Baldassare, Le Livre du Courtisan, GF-Flammarion, 1991.
- Cauly, Olvier, Comenius, Editions du Félin, Paris, 1995.
- Clark, Kenneth, An introduction to Rembrandt, Readers Union, Devon, 1978.
- Comenius, La Grande Didactique, Editions Klincksieck, Paris, 1992.
- Denis, Marcelle, Comenius, Presses Universitaires de France, Paris 1994.
- Descargues, Pierre, Rembrandt, JC Lattès, 1990.
- Goethe Rembrandt, Tekeningen uit Weimar, Amsterdam University Press, 1999.
- Grimberg, Carl, Histoire Universelle, Marabout Université, Verviers, 1964.
- Haak, B., Rembrandt, zijn leven, zijn werk, zijn tijd, De Centaur, Amsterdam.
- Hobbes, Thomas, Le Citoyen ou les fondements de la politique, Garnier Flammarion, Paris, 1982.
- Jerlerup, Törbjorn, Sweden und der Westphalische Friede, Neue Solidarität, mai 2000.
- King, Martin Luther, Minuit, quelqu’un frappe à la porte, Bayard, Paris, 2000.
- Komensky, Jan Amos, Le labyrinthe du monde et le paradis du cœur, Desclée, Paris, 1991.
- Lescourret, Marie Anne, Pierre-Paul Rubens, JC Lattès, Paris, 1990.
- Marienfeld Barbara, Johann Amos Comenius : Die Kunst, alle Menschen alles zu lehren. Neue Solidarität.
- Rembrandt and his pupils, Nationalmuseum, Stockholm, 1993.
- Sénèque, Entretiens, Editions Bouquins, Paris, 1993.
- Schama Simon, Rembrandt’s Eyes, Knopf, New York 1999.
- Schama, Simon, L’embarras de richesses, La culture hollandaise au Siècle d’Or, Gallimard, 1991.
- Schiller, Friedrich, traduction de Regnier, Vol. 6, Histoire de la Guerre de Trente ans, Paris, 1860.
- Sutton, Peter C., Le Siècle de Rubens, Mercatorfonds, Albin Michel, Paris, 1994.
- Tallon, Alain, Le Concile de Trente, CERF, Paris, 2000.
- Tümpel, Christian, Rembrandt, Fonds Mercator-Albin Michel, 1986.
- Van Lil, Kira, La peinture du XVIIème siècle aux Pays-Bas, en Allemagne et en Angleterre, dans l’art du Baroque, Editions Köneman, 1998, Cologne.
Rembrandt: 400 years old and still young!
Rembrandt H. van Ryn, was born on July 15, 1606, as the son of a not so poor miller living in the revolutionary city of Leyden in the Netherlands.
Today (2006), four hundred years later, even without any knowledge of the specific historical context, few are those that remain indifferent to his artistic message and skill. Why Rembrandt? What particular quality of his paintings, engravings and drawings gave him the power to reach over centuries of time?
As we will document here, Rembrandt, a precocious intellectual, became already quite « universal » as a young adult. But let’s try to find out what « universal » means.
The Revolt of the Netherlands
The revolt of the Burgundian Netherlands (Note 1) against the tyranny the Fuggers, bankers at the helm of the Spanish and Austrian Habsburg empire, resulted in the tragic break-up of this « nation-state in the making » between the north (today’s Netherlands) and the south (the territory that today includes Belgium and part of northern France).
The Habsburg empire, while brutally sticking to the rich southern part (Flanders), cynically offered the « insurgents » that, if they wished to have a country, they could settle in the malaria-infested swamps of the North, where 75% of the territory lies below sea level, but nevertheless an area slowly domesticated by generations of hardworking farmers thanks to a vast system of canals, dikes and locks, patiently erected since the end of the thirteenth century.
But Charles V, and even worse, his son Philip II of Spain, didn’t believe in the power of mind or that of work. Instead, they believed in the power of the sword and the terror of the Inquisition. After a long war and much unnecessary bloodshed, their policies had reached an impasse, and on April 9, 1609, the semi-bankrupt Habsburgs were forced to sign a twelve-year truce with the new Republic of the Netherlands.
Education
That same year, Rembrandt, hardly 3 years old, entered basic school, where girls and boys learn to read, to write and to calculate. School opens at 6 a.m. in the summer, at 7 a.m. in winter, and finishes only at 7 p.m. Classes start with prayer, the reading and discussion of passages of the Bible and the singing of psalms. Here Rembrandt develops an elegant handwriting and more than rudiments of the Bible.
The Netherlands want to survive. Its leaders wisely used the 12 year truce (1609-1621) to fulfill their commitment to the general welfare. This way, early XVIIth century Holland became maybe the first country of the world where everybody got the chance to learn how to read, write and calculate.
That universal school system, whatever its inadequacies, offered to both poor and rich alike, was the secret of the Dutch « Golden Century ». It’s schooling will also create the generations of Dutch immigrants that will participate a hundred years afterwards in the American Revolution
Others would enter the secondary school at the age of 12, but Rembrandt precociously enters Leyden’s Latin School at the age of 7. There, pupils generally, besides rhetoric, logic and calligraphy, learn, not only Greek and Latin, but English, French, Spanish or Portuguese. Then, in 1620, at the age of 14, since no age limit in the Netherlands bridled young talents, Rembrandt inscribed at the Leyden University. His choice is not Theology, Law, Science, nor Medicine, but Literature.
Did Rembrandt want to add to his knowledge of Latin, the mastery of Greek and Hebrew philology and perhaps Chaldean, Coptic or Arabic? After all, Leyden was already publishing Arabic-Latin dictionaries, while the Netherlands were increasingly growing to become the book printing centre of the world.
From its foundation in 1585, after a historic battle for the city’s freedom, Leyden University became a rallying point for humanists worldwide and a center for new discoveries in optics, physics, anatomy and cartography, offering the world such famous scientists as Christian Huygens (1629-1695) and Antonie van Leeuwenhoek (1632-1723), both correspondents of Leibniz.
People flocked in from Flanders, Germany, Denmark, Sweden, England and even Hungary. By 1621, over fifty Frenchmen were teaching in Leyden. In a desperate effort to pollute this source of creativity, in 1630, René Descartes registered as a « mathematician » at the University of Leyden. (Note 2)
But the big trouble had already started way before. A disastrous theological « debate » degenerated into a conflict akin to civil war. On the one side, Jacob Arminius, founder of the « Remonstrant » current upholding the Erasmian-Rabelaisian concept of man endowed with a free will although that free will remained to be fine-tuned with the grace of God. This view was also held by the elder general and capable national leader, Johan van Oldenbarnevelt (1547-1619).
On the opposing side, one Franciscus Gomarus, defender of the fatalist Calvinist doctrine of « predestination », a doctrine adhered to by Prince Maurits, the young incoming son of the founder of the nation, William the Silent. While leaders were strongly divided, the 1619 « Dordrecht Synod » installed the radical Calvinist doctrine as the law.
But Leyden was mostly « Arminian » and so was Rembrandt. Rembrandt’s 1633 and 1635 portraits of Johannes Uytenbogaert, the main reverend leading the Arminians who was obliged to spent several years of his life in exile to escape from persecution, show how closely Rembrandt was connected to this movement.
So, when Rembrandt entered University, the situation was very hot. Arminian-minded teachers are on the leave and often forced to do so. So was Rembrandt, and after two months, at age 14, he quitted University and went full time into painting and set up his own workshop.
By 1621, the truce had come to an end, and the Spanish army was once again conducting an all-out war against the Netherlands, which was accused, not without reason, of supporting the Bohemian revolt and harboring the leaders of its resistance. (Note 3)
As a young intellectual confronted with injustice and political and religious madness, Rembrandt entered the studio of Jacob Isaaczoon van Swanenburg, a learned Dutch painter who lived in Venice and Naples, where he worked from 1600 to 1617 before running into trouble with the Inquisition, which accused him of « painting on Sundays ».
Few works have survived from this master, renowned for his city views and portraits. But his subjects and style resemble those of the great humanist Hieronymus Bosch. For three long years, Rembrandt learned how to grind pigments, master essences, varnishes, brushes, canvases and panels.
But above all, Swanenburgh made his pupil a master in the art of engraving and etching.
Pelgrims of Emmaus
Rembrandt’s interest in the power of ideas clearly appears in the « Pilgrims at Emmaus », where an atmosphere of astonishment and horror break out when Christ reveals himself to the disbelievers.
Then, before setting up his studio, Rembrandt will spend six months in the workshop of Pieter Lastman in Amsterdam. With Lastman, Rembrandt finally finds a master that departs from the traditional Dutch landscapes, still-lives and boring group portraits.
Building on the theatrical settings of Caravaggio, Lastman paints biblical, Greek and Roman mythology. He paints history! And Rembrandt always desired to become a historieschilder. Now, Rembrandt finally found in painting the literature he was looking for when inscribing in the University.
Also, in Lastman’s workshop, he meets the talented Jan Lievens, with whom he will work for a while.
Knowing how to know thyself
Rembrandts reputation is largely the fruit of the near to one hundred multiform self-portraits, including about twenty engravings, covering the walls of numerous museums around the world. Some pragmatists tell us Rembrandt did that many self-portraits because he just was the cheapest model in town, and probably the most patient one. Others claim he was simply noting down his unending grimaces, the famous tronies, to prepare future dramatic historical paintings.
We think there is more to it and we approve Simon Schama who wrote that, « The reason for the multiplication of his self-image was not a relentless, almost monomaniacal assertion of the artistic ego but something like the exact opposite. »
The self-portrait, an art expression that has nearly disappeared from today’s practice, always throws an extremely daring challenge to the painter looking into the mirror. Is this me? I didn’t realize I look that way. I’ve changed again! What is wrong? The a priori ideas in the mind of the perceiver or the sense perceptions he’s confronted with? Real thinking, in essence, comes down to confronting not just those burning paradoxes, but the joy of overcoming them with self reflexive irony, and a truthful commitment to the permanent discovery and communication of that increasing irony through a Socratic dialogue.
Rembrandt, at the age of 22 starts training his first pupil, Gerrit Dou, only fifteen years old. Samuel van Hoogstraten, who was another young pupil, reported Rembrandt advising him:
« Try to learn introducing in your work what you know already. Then, very soon, you will discover what escapes you and want to discover. »
Hoogstraten’s self-portrait at age 17 demonstrates what a contagious genius Rembrandt became rapidly as a teacher.
But Rembrandt’s main problem was to show movement. Anima means soul and for Rembrandt animating the mind of the viewer was the art of making that viewer conscious of his own quality of moving the soul, i.e. moving the mover. Through this process of teaching and self-teaching Rembrandt works out various ways to tell his-stories.
One funny way to put faces into motion is to wrap them into clothing, put on jewelry, and choose a specific light setting that generates interesting eye-attracting shadows bringing into light the plastic volumes. Explore facial expressions evoking anger, fear, happiness, self-doubt, laughter, etc.
The real subject is not Rembrandt, but the discovery of human consciousness through self-consciousness. The mirror image permits oneself to look over one’s shoulder down on oneself. Leonardo and others advised artists to view their own work in a mirror, since the « fresh » mirror image offered the artist another « viewpoint », revealing those remaining imperfections that had escaped from his attention.
Also, the compassion and self esteem one is forced to develop in that process becomes a basic ingredient for promethean and agapic character formation. Then, Rembrandt’s joyful process of self-discovery spills naturally over into the portraits done of others.
Look how funny Saskia smiles, when she dresses up « as Rembrandt » with a feathered reddish hat, carrying a golden chain and with her little hand lost in Rembrandt’s large glove.
Then, there are also the self-portraits in assistenza, where the painter’s face pops up uninvited in a larger painting, such as in Velazquez‘ « Las Meninas ».
The Stoning of Saint-Stephen
One of Rembrandt’s grimacing faces appears behind the martyr in the first known painting by the young Rembrandt, The Stoning of Saint-Stephen. Executed at the age of 19, the work powerfully expresses the basis of Rembrandt’s ideas. Loaded with some twenty figures, the subject had previously been treated by Lastman and Adam Elsheimer, a young German Mannerist living in Rome, whose works Rembrandt had admired while contemplating reproductions in Swanenburgh’s studio.
But why Saint-Stephen? Rembrandt’s choice stems directly from the subject. This Greek-speaking Jewish convert, the first Christian martyr, was tried by a court of law for blasphemy. He unabashedly told the Sanhedrin judges that they were « stiff-necked and uncircumcised in heart and ears » and that they were people who had « received the law by the disposition of angels, and have not kept it… »
Stephen also told them that God could not be kept « locked up in a temple ». At one point, Stephen,
« being full of the Holy Spirit, and having his eyes fixed on heaven, saw the glory of God, and Jesus standing at the right hand of God, and he said: ‘Behold, I see the heavens opened, and the Son of Man standing at the right hand of God’.
« And crying aloud, they stopped their ears, and with one accord rushed upon him; and having pushed him out of the city, they stoned him; and the witnesses laid their garments at the feet of a young man called Saul. And they stoned Stephen, who prayed and said: Lord Jesus, receive my spirit. And kneeling down, he cried aloud: Lord, do not impute this sin to them. »
The painting leaves the left side entirely in shadow, in a partially failed attempt to evoke the idea of Stephen seeing the « open heavens. » Saul is in the shadows because he is the one encouraging the execution. Later, on the road to Damascus, he would have his own vision of the « heavens opening » and in turn convert to Christianity, since Saul is none other than the future St. Paul.
In short, as we have said, at the age of 19, Rembrandt powerfully asserts the principles for which he wants to live and for which he is prepared to die, ideas that he must have discovered at the age of fourteen during the great Sophist event, the great « theological debate » that was the beginning of the end of the Republic.
Ideas
Historians might scream there is no space here for political manifestos. They are right. Rembrandt’s ideas go far beyond simple minded militantism, and their political impact is much more profound.
In 1641, an artist, Philips Angel, adressing the painting guild, honored Rembrandt and underscored the artist’s « elevated and profound reflection ». What were these « elevated and profound » ideas all about?
- Truth. Somebody must mobilize the courage to stand up and tell the truth in front of established authorities or misleading public opinion. That theme comes regularly back, notably with « Suzanna and the Elders ». Daniel, a witness of injustice will speak up and saves Suzanna from the death sentence.
- Reason. Faith and religion do not always coincide with religious rites. Look to the angry angel preventing Abraham from killing his own son in « The sacrifice of Isaac ». Think before acting! Reason, love of God and love for mankind must guide any religious practice and on the basis of reason, a dialogue of cultures can enrich humanity.
- Self-perfection. Change, yes. People can find in themselves the means to identify their errors and change for the better. The example of Saint-Paul will stand as a permanent reference for Rembrandt, who painted him several times and even represented himself as the Church father.
- Love, Repentance, Pardon. In a period of permanent danger of « religious wars », Rembrandt strongly identifies with Saint Stephen’s demand « Lord, lay not this sin to their charge. » Rembrandt will paint several times « The return of the prodigal son ». The father gives a great feast for the returning son because he « who was dead came back to life ». The notion of pardon, and acting in the advantage of the other, will become the key concept for the success of the world Peace of Westphalia concluded in 1648 ending the thirty years war, including the recognition of the Netherlands as a sovereign state.
The Night Watch
Misrepresented as a nocturnal scene, the Night Watch is probably one of the greatest intellectual provocations against cold Aristotelian classicism.
The Netherlands was at war. Amsterdam, like most major cities, maintained a considerable militia of archers, crossbowmen and harquebusiers. These small citizen armies had a firing range and a meeting hall, the Kloveniersdoelen, where soldiers could rest after training.
Obviously, such glorious gatherings deserved to be immortalized in vast group portraits, where all the members of the company was presented in such a way that, as van Hoogstraten put it, « you could, as it were, behead them all with a single cannon shot. »
Rembrandt completely overturned this traditional representation. Firstly, apart from the 2 captains and their 16 companions (who each paid for their presence on the canvas), Rembrandt added another third of figures to the original number.
Secondly, the revolutionary concept implemented is the idea of depicting the whole group as « on the march », not just advancing, but raising flags and weapons after passing under a circular arch seen just behind them.
Thirdly, a spectacular sense of movement emanates from the rapid oscillation of a chiaro-oscura, illuminating one part, casting another into shadow.
Finally, the show seems formally a confused, chaotic scene. People enter from all sides. In infinite heteronomy, one loads his rifle, another beats the drum, another raises his spear while another stares at his rifle.
Beyond this apparent hectic confusion, what remains is the spirit of a republican citizenry called to arms and moving from chaos to unity, a subject Rembrandt represented the same year in an allegorical oil sketch, Concord of the State.
Against narrow academic rigor, the spirit of inclusion of the multitude so common to Flemish painters like Bruegel was once again manifesting itself.
Van Hoogstraten, defending Rembrandt against these critics (as usual, those who were jealous of his brilliant performance) commented:
« Rembrandt observed this requirement [of unity] very well… and although in the opinion of many he went too far, making the painting more according to his personal taste than according to the individual portraits he had been commissioned to paint.
Nevertheless, the painting, no matter how harsh the critics, will stand, in my judgment, against all these rivals because it is so picturesque in its conception and because it is so powerful that, according to some, all the other doelen works look like playing cards in comparison. »
Immortality
We took here just a few examples to demonstrate that Rembrandts universal character derives directly from his ruthless commitment, directed to make us conscious of the creative potential given to all human beings, men and women, old and young, Christians, Jews, Muslims or others, a creative and creating human nature called the soul.
This commitment is once again available in today’s new generation and can therefore be mobilized for great achievements.
From this point of view, Rembrandt is in a good position to become a reference individual capable of leading us out of the current cultural « dark age », where video games teach our children to take perverse pleasure in gratuitous violence and push them to become « naturally born killers ».
In contrast, a Rembrandt who catches life and loves mankind will trace the divine in the slightest spark of light. As some sort of 5th apostel, without ever painting God directly, Rembrandt reveals the harmony of his creation.
Those who took time studying his paintings can tell themselves: « God exists, I just met Rembrandt », since through Rembrandt’s art God’s tender love and blessing power are revealed to us in our human reality.
That « immortal » nature of Rembrandt’s soul will doubtlessly nourish the « immortality » of the creative geniuses he will inspire. Let us not wait another four hundred years to celebrate such a genius, for what he brings us is living and not to be buried in the history of art
Notes:
- Friedrich Schiller, The revolt of the Netherlands; Karel Vereycken, How Erasmus Folly saved our Civilization; Karel Vereycken, « Rembrandt, bâtisseur de nations » in Nouvelle Solidarité, June 10 and 17, 1985.
- Years earlier, René Descartes, using his own funds, made a trip to Bohemia and in 1620 took part in the battle of Montagne Blanche, leading to the massacre of Prague, the capital of Bohemia. One biographer reports that Descartes, entering Prague, immediately appropriated Kepler’s Brahe scientific instruments.
- For a detailed report on the links between Rembrandt and Comenius and the Bohemian revolt, see Karel Vereycken, The light of Agapê, Rembrandt and Comenius versus Rubens, Ibykus N°85, 2003.
- Ernst van Wetering, director of the Rembrandt Research Project (RRP), on the basis of scientific examinations of Rembrandt’s works, estimates that the master required his models to pose for three hours a day for at least three months.
- Karel Vereycken, Leonardo, painter of movement, Fusion N°108, 2006.
Le violoniste, d’après Jacques Callot
Poséidon procédant à la destruction d’Atlantide
Qui est là?
Ambiance hausmannienne
4e état, janvier 2023.
3e état, janvier 2023.
L’olivier du Pont du Gard
Autoportrait à l’écharpe
La mort de Melencolia
Hommage à Joëlle Serve
Voici mon post facebook du 29 décembre 2020
Pendant la Covid-19, la vie continue, les enterrements aussi. Assisté aujourd’hui au service funéraire de ma professeure de gravure, ma très chère Joëlle Serve.
Joëlle était diplômée de l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux Arts de Paris et lauréate de l’Institut, prix Casa Velázquez.
Une des premières femmes, en 1975, à avoir créé et dirigée un atelier de gravure, rue Daguerre à Paris, l’Atelier 63 et en 1983 l’association de gravure Trace.
A Paris, elle accueillait des jeunes coréennes, italiennes ou américaines, montrant que la France, parfois si arrogante, est aussi un pays sachant faire preuve d’hospitalité.
Joëlle était une personnalité haut en couleurs, une femme de caractère plein d’humour, qui détestait l’hypocrisie, la lâcheté et surtout les tièdes et les faux-culs. Pas vraiment de quoi se faire beaucoup d’amis dans la cour du monde de l’Art.
En gravure, pendant dix ans, elle m’a (presque) tout appris. Méthodique, elle jugeait l’apprentissage des techniques comme essentiel pour équiper les artistes d’un vocabulaire permettant de s’exprimer.
Pour refaire le cheminement de la découverte de la gravure, on a commencé par apprendre le trait en copiant une planche tirée des Prisons de Piranèse, ensuite l’aquatinte en copiant un paysage du Lorrain et enfin une technique combiné en copiant un des caprices de Goya.