Censure, répression et révolte dans les Pays-Bas bourguignons
Introduction
Il n’est pas toujours facile d’accepter que les pays d’Europe du Nord aient représenté l’apogée de la culture de la Renaissance au XVIe siècle. Pourtant, il est clair que les concours de poésie du Landjuweel (littéralement « joyau du pays »), les manifestations de masse avec défilés de chars allégoriques, le théâtre, les récitations poétiques, danses, chansons, « refrains », farces et autres festins gastronomiques qui faisaient vibrer les « Pays-Bas bourguignons » (région comprenant les Pays-Bas, la Belgique et le nord de la France actuels) devraient être une source d’inspiration pour nous aujourd’hui.
Si ma joie est grande de découvrir ces trésors, ma colère ne l’est pas moins quand je mesure à quel point leur véritable histoire reste ignorée de la plupart d’entre nous, lorsqu’elle ne nous a pas été volontairement cachée.
Nous nous concentrerons ici sur la grandeur morale des zinne-spelen (drames allégoriques dites « moralités »), les farces et contributions musicales polyphoniques feront l’objet d’écrits ultérieurs.
Comme chacun le sait, ce sont les vainqueurs qui écrivent l’histoire. Non pas celle de l’humanité, mais la leur. Celle des « perdants » est laissée de côté. C’est pourquoi, en Belgique comme aux Pays-Bas, les églises officielles, catholiques, luthériennes ou calvinistes, et les élites dirigeantes, choisies par l’Espagne et les Britanniques, ont soigneusement effacé des livres la vérité sur le rôle révolutionnaire d’Érasme et son impact. 1
Comme nous le documentons ici, Érasme a réussi, grâce à sa bonté et son esprit noble et ironique, à mobiliser un assez large public, non seulement dans les sections instruites des élites européennes, mais également dans une large partie de la classe moyenne montante des travailleurs, une section sociale que l’on pourrait identifier aux Gilets jaunes d’aujourd’hui.
Denis van Alsloot – Détail, L’Ommeganck du 31 mai 1615 à Bruxelles, peinture, Victoria and Albert Museum.
A notre époque, les processions religieuses, les défilés de géants et les carnavals masqués de Venise, Rio de Janeiro ou encore de Dunkerque paraissent fort sympathiques, mais tellement loin de la « vraie culture » !
Qualifier ces événements et traditions de simple « folklore » résulte principalement d’une méconnaissance de l’histoire. Si l’on considère l’intention et le contenu de certaines de ces fêtes, comme le Landjuweel de Gand en 1539 et celui d’Anvers en 1561, avec cinq mille participants et encore plus de spectateurs, fêtes populaires plaçant l’art, la poésie et la musique comme véritables sources de paix et d’harmonie durables entre les nations, les États et les peuples, on peut dire qu’en terme de raffinement et de beauté, elles rivalisent, et je dirais même surpassent, bien des événements prétendument « culturels » d’aujourd’hui.
Des tauxd’alphabétisation précocement élevés
Il existe une autre idée tenace qu’il faut combattre. Celle qui voudrait qu’avant le XIXe siècle, celui d’Hippolyte Carnot et de Jules Ferry, le taux d’alphabétisation dépassât à peine 15 %, que ce soit dans l’Italie de la Renaissance, en France ou dans les pays nordiques. Les festivals culturels pour érudits ne pouvaient donc être que des événements organisés par une petite élite aux moyens conséquents cherchant à se faire plaisir…
Concernant le taux d’alphabétisation, les chercheurs estiment que les chiffres doivent être révisés. Absence de statistiques ne signifie pas nécessairement absence d’écoles. En effet, dès l’époque de Charlemagne, la plupart des villes et villages d’Europe possédaient des « petites écoles ». Avec l’urbanisation et l’essor des échanges commerciaux, l’apprentissage des langues et du calcul est venu compléter l’apprentissage de la lecture et de l’écriture.
Prenons le cas de Douai (ville du Nord de la France, mais autrefois située dans les Pays-Bas bourguignons), qu’AlainDerville évoque dans son article « L’alphabétisation du peuple à la fin du Moyen Âge », paru en 1984 dans La Revue du Nord 2:
« Vers 1204-1208, il y avait au moins 7 maîtres d’école à Douai dans la juridiction de Saint-Pierre, donc sans compter celle de Saint-Amé, et les frais d’école étaient inconnus (…) Un droit de 18 deniers est cité en 1316-1318 ; il était passé en 1450 à 4 sous (de Flandre). À cette date, 5 maîtres et une maîtresse refusèrent de le payer, disant, entre autres, que beaucoup d’écoliers étaient pauvres, à tel point que, parfois, ils étaient instruits gratuitement : un aveu précieux. En bref, selon B. Delmaire, le cas de Douai est plutôt à rapprocher de celui de Valenciennes : pour cette ville, P. Pierrard trouve au moins 20 maîtres en 1337, 49 maîtres et maîtresses en 1388, 18 maîtres et 10 maîtresses tenant 24 écoles en 1497. En 1386, 516 enfants étaient scolarisés, dont 145 filles, en 1497, 791, dont 161 filles.
« Dans une ville qui, après les malheurs de 1477-1493, devait compter 10 000 habitants plutôt que 15 000, les enfants de 7 à 10 ans devaient être de 12 à 1300, c’est-à-dire que, si l’école avait duré trois ans, les garçons auraient été scolarisés à 100 %, les filles à 25 %, au moins vers 1500. (…) L’intérêt des laïcs était donc très vif pour l’éducation des enfants, au moins primaire mais aussi, comme à Saint-Omer, secondaire et même supérieure (fondations au XIVe siècle de collèges et de bourses), et ce dès le début du XIIIe, comme l’avait bien vu [l’historien belge Henri] Pirenne. On n’a certainement pas attendu le XVIIe siècle pour ‘investir dans l’éducation’ ». 3
Il en était de même en Brabant et en Flandre. Pour preuve, un petit livre de conversation, le Boec van de ambachten (Livre des métiers), publié à Bruges en 1347, permettait, à l’aide d’exemples pédagogiques, d’apprendre le néerlandais ou le français. 4
En 2013, une équipe internationale de chercheurs du Forschungsinstitut zur Zukunft der Arbeit Institute for the Study of Labor (IZA) a documenté que le degré avancé d’alphabétisation et de main-d’œuvre éduquée à la fin des XVe et XVIe siècles doit être attribué à l’influence des Frères de la vie commune. 5
En 1567, dans sa description très complète de la région, le marchand florentin Francesco Guicciardini notait : « Ici, dans les Pays-Bas bourguignons, ont vécu et vivent encore des gens savants, hautement instruits dans toutes les sciences et tous les arts. Le peuple possède généralement des rudiments de grammaire, les gens de la campagne savent au moins lire et écrire. Leur connaissance des langues est étonnante. Car il y a ici des gens qui n’ont jamais mis les pieds ailleurs que dans leur propre pays et qui connaissent, outre leur langue maternelle, des langues étrangères, notamment le français, couramment utilisé. Nombre d’entre eux parlent également l’allemand, l’anglais, l’italien et d’autres langues étrangères. » 6
Une autre source rapporte qu’à Anvers, carrefour majeur du commerce mondial, les écoles de langues étaient nombreuses. « Si vous voulez apprendre le français, dit-il à son interlocuteur, allez à Anvers, vous y trouverez ce qu’il vous faut pour apprendre la langue. »7
Un autre indice du niveau culturel d’Anvers est le récit d’Andreas Franciscanus, très probablement secrétaire d’une mission diplomatique de Venise, qui écrivait en 1497 qu’à Anvers, où le carillon de la cathédrale égaie la ville tout au long de la journée, « tout le monde est passionné de musique et est si expert que même les cloches sont jouées harmonieusement et avec un son si plein qu’elles semblent chanter (…) tous les airs désirés. »8
Erasme lui-même a déclaré que « nulle part ailleurs on ne trouve un plus grand nombre de personnes ayant un niveau d’éducation moyen »9
Des visiteurs espagnols ont noté que l’alphabétisation était très répandue aux Pays-Bas. L’un des membres de l’entourage du prince Philippe, Vicente Alvarez, note dans son journal que «presque tout le monde savait lire et écrire, même les femmes… »10
Les Chambres de rhétorique
Pays-Bas bourguignons vers 1500.
A l’origine de ces festivals et concours de poésie du type Landjuweel, des sociétés littéraires et dramatiques appelées Kamers van rhetorike (chambres de rhétorique), qui apparaissent à partir de la fin du XIVe siècle dans le nord-ouest de la France et dans les anciens Pays-Bas, surtout dans le comté de Flandre et le duché du Brabant.
Alors qu’aux XVIIe et XVIIIe siècles ces chambres allaient devenir des clubs littéraires pour une bourgeoisie avide d’exercices d’éloquence et de rimes, à cette époque la culture rhétorique n’est pas socialement une culture d’élite, car la plupart des rhétoriciens étaient des commerçants et n’appartenaient pas à l’élite dirigeante de leur ville.
Des recherches récentes ont confirmé que les chambres de rhétorique de Flandre et du Brabant recrutaient principalement leurs membres dans les classes moyennes urbaines, plus précisément dans les cercles d’artisans (maçons, menuisiers, charpentiers, teinturiers, imprimeurs, peintres, etc.), de commerçants, de commis, d’exerçant des professions intellectuelles et de commerçants. 11
En 1530, parmi les 42 membres de la chambre bruxelloise De Corenbloem (Le Bleuet), on dénombre 32 artisans (bouchers, brasseurs, meuniers, charpentiers, tuiliers, peigneurs, pêcheurs, carrossiers, tailleurs de pierre, etc., soit 76,2 %). 12
Dans les professions artistiques, on compte un vitrier et deux peintres (7,1 %), et dans le commerce, un marchand de fruits, un aubergiste, un patron de bateau et un chiffonnier (9,5 %). Les autres membres sont un haut fonctionnaire, un harpiste et un annonceur.
Composition des membres de De Corenbloem, par profession.
Pour la période 1400-1650, on a recensé 227 chambres de rhétorique néerlandophones dans les Pays-Bas méridionaux et la Principauté de Liège, ce qui signifie que pratiquement chaque ville en possède au moins une. En 1561, le duché de Brabant compte environ 40 chambres de rhétorique reconnues, tandis qu’on en dénombre 125 dans le comté de Flandre. 13
Leur organisation est semblable à celle des corporations : à la tête de chacune se trouve le doyen, généralement un ecclésiastique (ces chambres conservaient un aspect religieux). Depuis leur création, elles sont de deux sortes : les libres (vrye), bénéficiant d’une subvention communale, et les soumises (onvrye ou vrywillige), n’ayant pas de subvention, mais rendant compte à une chambre suprême (hoofdkamer). Parmi les rhétoriciens se trouvent les fondateurs (ouders) et les membres (broeders ou gezellen) ; à la tête de toutes se trouvent un empereur, un prince, souvent un prince héréditaire (opperprins ou erfprins) ; viennent ensuite un président honoraire (hoofdman), un grand doyen, un doyen, un auditeur (fiscael), un porte-étendard (vaendraeger ou Alpherus) et un garçon (knaep), qui s’adonne parfois à la poésie.
Les plus importants sont les « facteurs », c’est-à-dire les poètes chargés de la « factie » (composition) des poèmes, des pièces de théâtre, des farces et de l’organisation des festivités. Initialement d’appartenance ecclésiastique, les chambres prirent leur indépendance pour s’établir, concrètement, comme un comité des fêtes, chargé par les autorités municipales d’égayer de poésie et de splendeur les événements politiques et culturels tout au long de l’année.
Char allégoriqueChar allégorique avec le géant AntigoneChar allégorique
Réhabilitation
Des recherches plus poussées, principalement aux Pays-Bas, ont conduit les chercheurs à « réhabiliter » les chambres de rhétorique, désormais considérées comme des institutions ayant joué un rôle majeur dans le développement du néerlandais vernaculaire au cours de la période 1450-1620. 14
Certes, composées pour la plupart sous forme de dialogues entre personnages allégoriques, héritage du Moyen Âge et de la tradition des troubadours, artistiquement parlant, la plupart de ces pièces, à quelques exceptions près, n’ont jamais atteint le niveau ou la qualité d’intensité dramatique ou de raffinement de Shakespeare ou de Schiller.
Mais comme nous le verrons, le désir et l’intention d’émanciper le peuple à travers une forme d’art littéraire et musicalqui élève par son contenu moral et libère par un rire cathartique (purificateur) étaient clairement au cœur de leurs objectifs admirables.
L’archiviste néerlandais Jeroen Vandommele suggère que les experts devraient repenser leur point de vue :
« Jusqu’à la fin du XXe siècle, la poésie et le théâtre issus de ces cercles étaient généralement perçus négativement. Les rhéteurs étaient perçus comme des amateurs, des artistes du verbe de bas étage, des artisans novices qui se réunissaient chaque semaine pour s’amuser avec des rimes tout en buvant beaucoup d’alcool. Ils étaient perçus comme les représentants d’une culture littéraire et intellectuelle de second ordre. L’humanisme du XVIe siècle et la renaissance littéraire se seraient manifestés principalement dans les textes (néo)latins et, en ce qui concerne la langue vernaculaire, dans les textes écrits à partir de la seconde moitié du XVIe siècle, principalement en dehors des cercles rhétoriciens. Ce n’est qu’au cours des trois dernières décennies que ces qualifications et ces visions ont été éloignées de la littérature et de la culture des rhétoriciens et qu’une tentative a été faite pour leur donner un sens en relation avec le contexte urbain dans lequel elles ont émergé. » 15
L’historien néerlandais respecté Herman Pleij a contribué à une meilleure compréhension du phénomène et a donné une impulsion majeure à cette approche en démontrant, à partir des années 1970, le potentiel de la littérature des XVe et XVIe siècles à générer ce qu’il appelle la « culture urbaine de la fin du Moyen Âge », véritable expression d’une culture civique et urbaine autonome. 16
Selon lui, leurs œuvres visaient à déclencher une « offensive civilisatrice » qui encouragerait les élites urbaines et les classes moyennes à se développer intellectuellement et moralement et à se distinguer (et se dissocier) de leurs homologues urbains moins civilisés.
Joutes, compétitions et autres festivals
Mystère de la Passion, tableau vivant sur le parvis des cathédrales.
Les chambres cultivent l’art de la poésie en s’affrontant lors de concours qui comptent parmi les événements majeurs qu’elles organisent entre elles ou pour le public. Chaque chambre fixe elle-même la fréquence des concours et la valeur des prix, souvent symboliques, à gagner. Si certaines chambres se contentent de quatre concours par an, la chambre anversoise De Violieren (La Giroflée) en fait une compétition hebdomadaire !
Très vite, ces activités donnent naissance à des festivités publiques, célébrées successivement dans toutes les grandes villes. Le Landjuweel combine habilement plusieurs genres théâtraux et musicaux, auparavant distincts, en une seule grande fête urbaine :
Les « Mystères » et « Miracles » (Mirakel-spelen, passie-spelen) sont des spectacles de rue ou de grands tableaux vivants, parfois sur des chars (wagen-spelen). Vers 1450, le Mystère de la Passion d’Arnoul Gréban, joué des milliers de fois dans toute la France, est une pièce de 34 000 vers, nécessitant 394 acteurs qui retracent la vie du Christ cinq jours durant.
La « Fête des Fous » ou « Fête des Innocents », mascarades et déguisements organisés par des « sociétés joyeuses » auxquelles le clergé participe activement depuis le XIIe siècle. On assiste alors à un renversement total de la société : la femme devient l’homme, l’enfant l’évêque, le professeur l’élève… On élit un pape, un évêque et un abbé des fous, on brûle de vieilles chaussures dans des encensoirs, on danse dans les églises en marmonnant du latin de manière à provoquer de nombreux éclats de rire. On danse et chante, accompagnés par des musiciens jouant d’instruments à vent (flûte, trompette ou cornemuse) ou à cordes (vielle à roue, harpe, luth). Il n’est pas rare de constater une grave confusion au sein des couvents : relations nocturnes entre l’abbé des fous et les abbesses mineures, voire simulacres de mariage entre un évêque et une supérieure. Pour la fête des fous, le bas clergé se déguise, porte des masques hideux et s’enduit de suie. Le costume et les attributs des fous furent consacrés au XVe siècle. Papes, conciles et diverses autorités publièrent des textes visant à supprimer cette fête dès le XIIe siècle.
Les Ommegang (littéralement « tourner autour » de l’église) sont des processions religieuses, organisées par l’Église et les corporations d’arbalétriers en l’honneur des saints, dont ils portent les statues sur leurs épaules. Si à Bruxelles, l’Ommegang devient l’occasion pour les nobles de déambuler en ville (comme en 1549 pour témoigner de leur loyauté à l’occupant espagnol), à Anvers, deux Ommegang se succèdent : le premier, religieux, à la Pentecôte, le second, apparu plus tard, à l’Assomption, avec une forte participation laïque des corporations, des métiers et des chambres de rhétorique, chacun d’eux fournissant un char à une procession dans les rues de la ville.
Carnaval, nouveau nom donné par l’Église aux « Saturnales », grandes fêtes romaines de huit jours en l’honneur de Saturne, dieu de l’agriculture et du temps, lors du solstice d’hiver. Cette période de célébrations costumées et de libertés, notamment à Venise, qui se développe entre les XIe et XIIIe siècles, est encadrée par l’Église, qui juge nécessaire d’éviter les révoltes populaires. Elle se caractérise par une inversion des rôles et l’élection d’un faux roi. Les esclaves sont alors libres de parler et d’agir à leur guise et se font servir par leur maître. Ces festivités sont accompagnées de grands repas.
Les rhétoriciens estiment à juste titre que ces genres se complètent parfaitement. Les festivals alternent donc, sans mépriser la hiérarchie qu’impose la nature des sujets, pièces à contenu spirituel et religieux (mystères, passions) et pièces à contenu philosophique, didactique et moralisateur (zinne-spelen), sans oublier la satire, la farce et autres éléments humoristiques (sotties, esbattements, etc.).
Fête des fous. (après 1550). Maison du Roi, Réserves. Musée de la ville de Bruxelles.
Historiquement, la scène où se déroulent ces événements s’est déplacée, de la nef des églises vers le parvis des cathédrales, puis vers l’espace public au sens large, d’abord en plein air (sur la grand-place, dans le cimetière, sur un char) avant d’être obligée par les autorités de se tenir exclusivement dans des lieux fermés.
Parmi les concours organisés par les chambres de rhétorique, le plus ancien connu serait celui de Bruxelles en 1394. Celui d’Audenarde, en 1413, est mieux documenté. Suivront ceux de Furnes en 1419, de Dunkerque en 1426, de Bruges en 1427 et 1441, de Malines en 1427 et de Damme en 1431.
Landjuweel
A l’origine, les Landjuwelen étaient un cycle de sept compétitions entre milices communales pratiquant le maniement des armes, les Schutterijen du duché de Brabant. Les plus hautes personnalités du pays assistent à ces tournois, qui sont même honorés par les souverains.
L’idée est d’organiser un Landjuweel tous les trois ans, le vainqueur de la première compétition étant chargé d’organiser la suivante, et ainsi de suite. A l’issue du septième Landjuweel, les vainqueurs inaugurent un nouveau cycle. Le vainqueur du premier tournoi, qui a remporté une coupe d’argent, doit confectionner deux plats d’argent pour le vainqueur du deuxième Landjuweel d’un cycle, qui en confectionne à son tour trois pour le vainqueur de la compétition suivante, et ainsi de suite jusqu’au septième tournoi du cycle.
Il existait une étroite collaboration entre les sociétés chevaleresques des villes de Bruges et de Lille en Flandre, ainsi qu’entre Bruges et Bruxelles. Comme Bruges, Lille organisait un tournoi annuel, « L’Espinette ».
En février de chaque année, une délégation brugeoise se rend à Lille pour participer au tournoi, et en retour, les Lillois participent au concours annuel de l’Ours Blanc à Bruges, qui se déroule en mai. Ce spectacle donne lieu à des festivités auxquelles les poètes brugeois contribuent également. Ils écrivent les scénarios des esbattements, récitent des louanges et rapportent ces activités dans leurs chroniques.
Les divergences de langues ne suscitent aucune querelle. Des prix sont institués pour récompenser les œuvres rédigées en français ou en néerlandais, selon la langue véhiculaire de la ville où se tient le concours. Mais il arrive parfois que lors d’un même concours, un prix soit décerné pour des œuvres dans les deux langues. Ce fut notamment le cas à Gand en 1439. Des prix sont également décernés pour la plus belle œuvre.
Des thèmes sous forme de questions sont proposés, auxquelles seules les chambres autorisées peuvent répondre en vers, rédigés par les « facteurs ». Ces questions ont généralement un but moral ou politique.
Ainsi, en 1431, en pleine guerre entre la France et la Flandre alliée à l’Angleterre, la chambre de rhétorique d’Arras (l’ancienne Atrecht, dans les Pays-Bas bourguignons), pose la question : « Pourquoi la paix, si ardemment désirée, tarde-t-elle si longtemps à venir ? »
Rappelons qu’en 1435, la paix d’Arras, organisée par les amis du Cardinal Nicolas de Cues, Jacques Cœur et Yolande d’Aragon, scellait la fin de la guerre de Cent Ans. 17
Contexte politique et économique
Au fil des alliances et mariages, les Pays-Bas bourguignons tombent sous le contrôle de la famille des Habsbourg, entièrement à la merci de la banque des Fugger d’Augsbourg. 18
C’est ainsi qu’à sa mort, en 1519, l’empereur du Saint-Empire romain germanique, Maximilien Ier (de la famille des Habsbourg), devait environ 350 000 florins à Jacob Fugger. Pour éviter tout défaut de paiement sur cet investissement, Fugger rassemble un cartel de banquiers afin de réunir les pots-de-vin nécessaires pour permettre à Charles Quint, le petit-fils de Maximilien, d’acheter les votes et de lui succéder sur le trône.
En collaboration directe avec Marguerite d’Autriche, qui a rejoint le projet par crainte pour la paix en Europe, Jacob Fugger centralise ainsi les fonds nécessaires pour corrompre chaque « grand électeur » du Saint Empire germanique, profitant de l’occasion pour renforcer considérablement ses positions monopolistiques, notamment face à des concurrents comme les Welser et le port d’Anvers en pleine expansion. 19
Dans les années 1520, Charles Quint devra emprunter à un taux de 18 %, et jusqu’à 49 % entre 1553 et 1556. Pour maintenir les dépenses colossales nécessaires à la gestion de son vaste empire, il n’a d’autre choix que de mener une politique prédatrice. Il vend ses mines pour apaiser les banquiers, leur donne carte blanche pour coloniser le Nouveau Monde et consent au pillage des régions les plus prospères de son empire, la Flandre et le Brabant, les écrasant d’impôts et de dîmes pour financer l’« économie de guerre ». 20
L’essor assez spectaculaire de la Renaissance du Nord, qui accède, à travers l’apprentissage du grec, du latin et de l’hébreu, notamment grâce au Collègetrilingue fondé par Érasme à Louvain en 1515 21, aux sciences et à toutes les richesses de l’époque classique, subit de plein fouet les coups de bélier d’une finance féodale devenue ogre.
Charles Quint ordonne de dresser une liste des auteurs à proscrire dans ses États, préfigurant ainsi la création de l’Index quelques années plus tard. De 1520 à 1550, il promulgue treize édits répressifs contre l’hérésie, introduisant une inquisition moderne inspirée du modèle espagnol.
Marie de Hongrie, portrait par Hans Knell.
La portée de ces « placards » reste assez limitée jusqu’à l’arrivée de Philippe II, en raison du manque d’enthousiasme de la reine régente Marie de Hongrie(1505-1558) et des élites locales à leur égard. Leur application est confiée aux autorités judiciaires urbaines et provinciales, ainsi qu’au Grand Conseil de Malines, sous la supervision d’un tribunal spécifique, établi en 1522 dans les Pays-Bas bourguignons sur le modèle de l’Inquisition espagnole.
En 1540 est fondé l’ordre des Jésuites, initialement chargé d’obtenir par la parole ce qui ne pouvait l’être par l’épée et le feu. Il se tourne rapidement vers son propre théâtre ! De 1545 à 1563, le Concile de Trente se réunit pour imposer des réformes et tenter d’éradiquer l’hérésie protestante. La lecture de la Bible était désormais interdite au commun des mortels, tout comme sa discussion et son illustration. Albrecht Dürer, le grand graveur et géomètre allemand établi à Anvers, fit ses valises en 1521 pour retourner à Nuremberg, et Érasme s’exila à Bâle la même année. Le grand cartographe flamand Gérard Mercator, formé par les érasmiens et soupçonné d’hérésie, fut emprisonné en 1544. Libéré de prison, il s’exila en Allemagne en 1552. En raison de leurs convictions religieuses, Jan et Cornelis, les deux fils du peintre Quinten Matsys22, ami d’Erasme quittèrent Anvers et s’exilèrent en 1544.
Charles Quint abdiqua en 1555 pour laisser la place à son fils Philippe II. Ce dernier retourna en Espagne et confia la régence des Pays-Bas bourguignons à sa demi-sœur Marguerite de Parme (1522-1586).
Alors que l’administration des Pays-Bas bourguignons était officiellement assurée par le Conseil d’État, composé des stathouders et de la haute noblesse, un conseil secret (la consulta ) créé par Philippe II et composé de Charles de Berlaymont (1510-1578), Antoine Perrenot de Granvelle (1517-1582) et Viglius van Aytta(1507-1577) prenait toutes les décisions importantes, notamment en matière de fiscalité, d’ordre, d’administration et de religion, et transformait ainsi le Conseil d’État en une simple chambre consultative.
Charles de Berlaymont.Viglis van Aytta.Antoine Perrenot de Granvelle – Frans Floris inv.1019
Trois conflits surgirent rapidement : la présence de troupes espagnoles, l’établissement de nouveaux diocèses et la lutte contre le protestantisme. Les troupes espagnoles survivantes des guerres d’Italie, fortes d’environ 3000 hommes, ne recevaient pas de solde et pillaient le pays. Après de nombreuses hésitations de la part de Philippe II, et sous la menace de la démission simultanée d’Orange et d’Egmont, les troupes partirent finalement en janvier 1561.
1523, Exécution des luthériens Hendrik Vos et Jan Van Essen.
Les premières victimes des persécutions, exécutés à Bruxelles le 1er juillet 1523, furent Hendrik Vos et Jan Van Essen, deux moines augustiniens d’Anvers qui avaient embrassé les idées de Luther, qu’ils avaient fréquenté à Wittenberg. 23 La première victime wallonne fut le théologien tournaisien Jean Castellain, exécuté à Vic, en Lorraine, le 12 janvier 1525. 24
De nombreuses victimes étaient des membres du clergé catholique convertis à la Réforme, mais aussi de nombreuses femmes. À partir de 1529, les persécutions prirent une tournure dramatique suite à l’adoption du placard impérial généralisant la peine de mort. 40 % des exécutions pour hérésie en Occident entre 1523 et 1565 eurent lieu dans les Pays-Bas bourguignons. Les XVIIe Provinces furent l’une des régions qui connurent le plus fort taux de condamnations à mort par rapport à l’ensemble de sa population. Environ 1500 personnes furent exécutées, soit une intensité trente fois supérieure à celle de la France. 25
Ils ne feront que renforcer l’opposition à la tyrannie qui conduira en 1576 Guillaume d’Orange (dit « Le Taciturne ») à prendre la tête de la révolte des Pays-Bas bourguignons, aboutissant 80 ans plus tard à la scission entre le nord (les Pays-Bas, majoritairement protestants) et le sud (la Belgique, exclusivement catholique).
Gand, 1539
Podium du Landjuweel de Gand de 1539.
En juin 1539, la Chambre De Fonteine (La Fontaine) de Gand convoqua les sociétés dramatiques et littéraires du pays à un grand landjuweel en l’honneur de la Sainte Trinité, pour lequel l’empereur Charles Quint accorda une permission et un sauf-conduit d’un mois à ceux qui souhaitaient y participer.
Une charte d’invitation fut publiée à ce sujet. Elle posait, pour la pièce de moralité, une question ainsi formulée : « Quelle est la plus grande consolation du mourant ? »
Ce sujet fait clairement écho à l’un des écrits populaires d’Érasme, traduit en néerlandais l’année de sa publication en 1534, de De preparatione ad Mortem. 26
Dix-neuf sociétés de rhétoriciennes répondirent à l’appel : il s’agissait de chambres établies à Anvers, Audenarde, Axel, Bergues, Bruges, Bruxelles, Courtrai, Deinze, Enghien, Kaprijke, Leffinge, Lo (dans le commerce de Furnes), Menin, Messines, Neuve-Église, Nieuport, Tielt, Tirlemont et Ypres.
La chambre anversoise De Violieren remporta le premier prix. Pieter Huys de Bergues remporta le deuxième prix, composé de trois vases en argent pesant sept marcs sur lesquels était gravée l’entrée d’une académie. Son poème, composé d’environ cinq cents vers en néerlandais, met en scène cinq figures allégoriques : la Bienveillance, l’Observance des Lois, le Cœur Consolé, la Consolation et le Cœur Contrit. Chacune d’elles énumère les biens dans lesquels l’homme trouve le bonheur à l’heure de la mort. Pour De Violieren, la plus grande consolation était « la résurrection de la chair », un dogme purement catholique.
Mais c’était sans compter sur la partie « off » du concours. Car les trois autres questions, auxquelles il fallait répondre en chœur, étaient :
« Quel animal au monde acquiert le plus de force ? »
« Quelle nation au monde fait preuve du plus de folie ? »
« Serais-je soulagé si je pouvais lui parler ? »
En conséquence, la majorité des pièces allégoriques jouées étaient des satires sanglantes contre le pape, les moines, les indulgences, les pèlerinages, le cardinal Granvelle, etc. Les compositions des lauréats gantois furent publiées d’abord en format in-quarto, puis en in-duo.
Dès leur parution, ces pièces furent interdites, et ce n’est pas sans raison que, plus tard, ce landjuweel fut cité comme le premier à avoir mobilisé le pays littéraire en faveur de la Réforme protestante. Ces œuvres étant loin d’être favorables au régime espagnol, le duc d’Albe ordonna leur suppression par l’Index de 1571 et, plus tard, le gouvernement des Pays-Bas bourguignons interdit même les représentations théâtrales des Chambres de Rhétorique. 27
L’influence d’Érasme
Érasme dans l’atelier de Matsys à Anvers, tableau d’Eugène Siberdt (1851-1931). À droite, le célèbre tableau de Matsys représentant les collecteurs d’impôts cupides.
À Anvers, l’influence d’Érasme était notable et sa présence recherchée. On connaît son amitié avec le secrétaire de la ville, Pieter Gillis28, un humaniste érudit anversois très apprécié de Thomas More 29qui intégra certains de ses poèmes dans son œuvre majeure, L’Utopie. Pour plaire à More, Pieter Gillis et Érasme lui offrent leur double portrait réalisé par Quentin Matsys30. La maison de Gillis à Anvers était également un lieu de rencontre régulier pour tous les grands humanistes de l’époque.
Den Grooten Spiegel, la maison de Gillis à Anvers.
De 1523 à 1584, 21 éditeurs ne publient pas moins de 47 éditions des œuvres de l’humaniste, et le rhéteur Cornelis Crul traduit, avant 1550, les Colloques et d’autres œuvres majeures en néerlandais.
La plupart des rhétoriciens maîtrisaient le latin et pouvaient donc lire Érasme dans l’original. Certaines écoles latines, comme celle de Gouda en 1521, incluaient dans leur programme des écrits choisis de lui pour chaque niveau de classes. 31
Le prestige de l’humaniste se répand dans toute l’Europe.
Ferdinand Colomb(1488-1539), fils très bibliophile du navigateur génois Christophe Colomb, non seulement acquit une vaste série de ses œuvres, mais se rendit aussi à Louvain en octobre 1520 pour y rencontrer leur auteur. 32
Dans une lettre datée de 1521, Jérôme Aléandre(1480-1542), légat du pape Léon X, mettait en garde contre les « éléments de mauvais aloi » qui prospéraient à Anvers. « Ils [les rhétoriciens] se présentaient commeles défenseurs de la bonne littérature et étaient tous de l’école de notre ami devenu un grand nom [Érasme]. » Aléandre ajoutait : « Il [Érasme] a pourri toute la Flandre!»33
De Violieren et la Guilde de Saint-Luc
Le blason de De Violieren (La Giroflée) d’Anvers pour le Landjuweel. Au centre, le boeuf ailé, symbole de Saint-Luc.
A Anvers également, une Chambre de rhétorique, De Violieren (Les Giroflées), est officiellement créée en 1480 comme une sorte de division littéraire au sein de la Guilde de Saint-Luc, la guilde des artistes datant de 1382.
La devise des rhéteurs était « Uyt ionsten versaemt » (Unis par l’affection. Mais « ionsten » est aussi proche de « consten », le mot flamand pour les arts).
Cette symbiose produisit des résultats fructueux. Pour la plupart des historiens, les Violieren constituaient en quelque sorte la branche littéraire de la Guilde de Saint-Luc. Jusqu’en 1664, la guilde avait son siège sur le côté nord de la Grand-Place d’Anvers, la maison Spaengien ou Pand van Spanje. La guilde était composée de tous les métiers liés aux beaux-arts, notamment les peintres, les sculpteurs, les enlumineurs, les graveurs et les imprimeurs.
L’Eglise, entre 1460 et 1560, pour se financer, louait aux artistes l’Onze-Lieve-Vrouwepand, un claustrum avec de galeries entourant une cour ouverte. Dans ce bâtiment, les peintres d’art, les sculpteurs, les ébénistes et les libraires pouvaient louer un stand où ils pouvaient exposer leurs produits à la vente. Il s’agissait de la plus grande foire d’art de ce qui était alors l’Europe. Après 1560, le marché s’organisait au premier étage de la Bourse du Commerce.
La Guilde de Saint-Luc :
Les Liggeren, registre de la guilde des peintres de Saint-Luc d’Anvers.
En 1491, l’ami d’Érasme, le peintre Quinten Matsys34, y fut inscrit comme maître. L’une de ses commandes majeures, le Triptyque de la Déploration du Christ, provenait de la guilde des charpentiers. Selon l’archiviste en chef de la ville d’Anvers, Van den Branden, Matsys lui-même était membre des Violieren et écrivait des poèmes pour leurs concours ;
En 1515, Matsys fut rejoint à la Guilde de Saint-Luc par deux autres grands artistes inspirés eux aussi par l’esprit d’Érasme, Joachim Patinir (1480-1524) et Gérard David(1460-1523) ;
En 1519, les registres de la guilde (The Liggeren35) mentionnent l’inscription de Jan Sanders van Hemessen(1500-1566), dont la fille Catharina (1528-1565) deviendra en 1548 la première femme peintre – et professeur de peinture aux hommes – à être admise à la guilde des peintres ;
En 1527, celle de Pieter Coecke van Aelst(1502-1550), maître de Bruegel ;
en 1531, ceux des deux enfants de Matsys, Jan et Cornelis ;
en 1540, celle de Peter Baltens(1527-1584) ;
en 1545, celle du graveur et imprimeur Hieronymous Cock(1510-1570) dont l’atelier produisit des estampes de Bruegel et du poète et traducteur révolutionnaire hollandais Dirk Coornhert(1522-1590), ami proche et conseiller de Guillaume le Taciturne (1533-1583) ;
en 1550, celle du grand imprimeur Christophe Plantin(1520-1589) ;
et en 1551, celle de Pieter Bruegel l’Ancien(1525-1569). 36
Les échanges quotidiens entre les rhétoriciens et les artistes les plus importants de l’époque eurent une influence bénéfique sur leurs activités et en firent, après quelques années, l’une des sociétés les plus prospères du Brabant.
Les correcteurs de l’imprimerie Plantin.
Dans les concours les plus importants, De Violieren remporta des lauriers : premier prix en 1493 à Bruxelles, en 1515 à Malines et en 1539 à Gand, dans une lutte mémorable à laquelle participèrent 19 chambres de différentes régions du pays.
En août 1541, un concours fut organisé à Diest par la Chambre locale De Lelie (Le lys), auquel participèrent dix autres chambres du Brabant. Le grand prix fut décerné à la Chambre anversoise De Violieren, pour la présentation d’un esbattement (farce).
Anvers, 1561
Comme de coutume, la Chambre ayant remporté le meilleur prix devait à son tour organiser un Landjuweel. C’était également l’avis de De Violieren, après son exploit à Diest ; cependant, les circonstances de l’époque ont fait que le sujet a été reporté. Vingt ans se sont écoulés avant que quiconque puisse songer à organiser un tel concours artistique.
Trois dirigeants de De Violieren, avec beaucoup de courage, s’engageront pleinement dans l’initiative, au péril de leur réputation, leur honneur, leur fortune, leur patrimoine et même de leur vie :
Anthonis van Stralen.
Anthonis van Stralen (1521-1568) était le chef des Violieren. Echevin d’Anvers, Van Stralen avait été étroitement associé à l’obtention du permis pour le Landjuweel. En mai 1561, il fut promu bourgmestre (buitenburgemeester) d’Anvers, peut-être en récompense de ses services. Le succès du Landjuweel était dû en grande partie à la coopération entre le magistrat anversois et le conseil des Violieren.
Melchior Schetz (vers 1513-1583) était prince de Violieren. Il était le beau-frère de Van Stralen et également échevin. Il était l’un des trois enfants du grand marchand anversois Érasme Schetz(mort en 1550), surnommé le « banquier d’Érasme ». 37 Avec ses trois fils, il a créé une importante société bancaire et commerciale. 38 Son amitié avec Érasme est symptomatique de la popularité dont Érasme jouissait à Anvers. Il lui offrit sa résidence hospitalière : la Huis van Aken, un palais où il avait reçu Charles Quint en personne.
Dans une lettre, il lui fit, entre autres, cette proposition alléchante : « Mon cœur et l’âme de tant de personnes aspirent à votre présence parmi nous. Je me suis souvent demandé quel enchantement vous retenait ici plutôt que parmi nous. Pieter Gillis [secrétaire de la ville et leur ami commun] m’a donné une raison : nous n’avons pas de vin de Bourgogne, qui convient le mieux à votre tempérament, ne craignez rien, et si c’est le seul obstacle qui vous retient, n’hésitez pas à revenir ; nous veillerons à ce que vous soyez approvisionné en vin, et non seulement en vin de Bourgogne, mais aussi en vin de Perse et d’Inde si vous en avez envie et besoin. »
En tant que prince de Violieren, son fils Melchior représentait la Chambre le plus souvent en public. Il devait également être responsable de l’organisation financière de la Chambre. Schetz était l’un des plus importants prêteurs d’argent d’Anvers. Il ne fait aucun doute que la ville a facilité financièrement l’organisation du festival.
Willem van Haecht (1530-1585) : Issu d’une famille de peintres et de graveurs, il était dessinateur et, vraisemblablement, libraire de profession. Sa devise était Behaegt Gods wille (conforme-toi à la volonté de Dieu). Van Haecht était un ami de l’humaniste et écrivain bruxellois Johan Baptista Houwaert(1533-1599). Il compare Houwaert à Cicéron dans l’éloge introductif du Lusthof der Maechden de Houwaert, publié vers 1582. Dans son éloge, Van Haecht affirme que tout homme sensé devrait reconnaître que Houwaert écrit avec éloquence et excellence.
Van Haecht a également écrit les paroles de diverses chansons, généralement d’inspiration chrétienne. C’est le cas des paroles d’une chanson polyphonique à cinq voix, Ghelijc den dach hem baert, diet al verclaert, probablement composée par Hubert Waelrant(1517-1595) pour l’ouverture de la pièce des Violieren au landjuweel de 1561. Le poème a également été imprimé sur une feuille volante avec notation musicale, distribué à l’assistance.
Dès 1552, Van Haecht était affilié à De Violieren, dont les membres comprenaient Cornelis Floris de Vriendt(1514-1575), le principal architecte de l’hôtel de ville de style Renaissance d’Anvers, ainsi que son frère, le peintre Frans Floris de Vriendt (vers 1519-1570) et le peintre Maerten de Vos (1532-1603). Van Haecht devint le « facteur » (poète titulaire) de De Violieren en 1558.
Cornelis Floris de Vriendt.Hieronymus Cock.Catarina van Hemessen.
La résidence style Renaissance du rhétoricien et peintre Frans Floris Devriendt dans l’Arenbergstraat d’Anvers, conçue par son frère Cornelis en 1563. Entre les croisées de l’étage Frans peignit les niches dans lesquelles étaient représentés les emblèmes du véritable artiste, à savoir : La Diligence, la Pratique, la Poésie, l’Architecture, le Travail, l’Expérience et l’Industrie. (Estampe d’après un dessin de Joseph Linning, avant 1868)
D’autres personnalités de premier plan impliquées dans l’organisation du Landjuweel comprenaient des imprimeurs tels que Jan de Laet (1524-1566), le graveur et éditeur HieronymusCock (vers 1510-1570) (fondateur de l’imprimerie Aux Quatre Vents qui publia les gravures de Bruegel) et le peintre Jacob Grimmer (1510-1590).
L’autre figure majeure était Peeter Baltens (1527-1584), peintre, rhéteur, graveur et éditeur anversois. 39 Baltens était membre de la Guilde de Saint-Luc et des Violieren. Ayant en partie formé Bruegel, son rôle s’avéra particulièrement important. Il noua des amitiés étroites (notamment avec les veuves de Hieronymus Cock(vers 1510-1570) et de Pieter Coecke van Aelst(1502-1550), cette dernière étant également la belle-mère de Bruegel) et collabora avec les plus grands noms anversois de son temps. Il s’associa avec des patriciens anversois tels que le poète Jonker Jan van der Noot(1539-1595), la riche famille de marchands Schetz et de riches marchands tels que Nicolaes Jonghelinck(1517-1570), banquier d’affaires, mécène et bailleur de fonds de Bruegel.
Selon Lode Goukens,
« Baltens a joué un rôle déterminant dans le lobbying d’un groupe de personnalités influentes appartenant au parti modéré. Un parti modéré qui valorisait la paix, l’harmonie et la bonne gestion des affaires plus que la religion, l’extrémisme ou le terrorisme d’État. Un parti qui souhaitait un retour au statu quo d’avant les troubles. » 40
Herman Pleij note que les Rhétoriciens ont comme consigne de redorer le blason des marchands d’Anvers en faisant la distinction entre le bon grain et l’ivraie. 41
De Groote Robijn, résidence d’Anthonis van Stralen, maire d’Anvers.
Cependant, les recherches sur les relations entre peintres, poètes (ou rederijkers) et marchands montrent que ces trois groupes développent un style de vie culturel commun au XVIe siècle, dans lequel l’amour de la science et de l’art occupe une place centrale.
Pour lancer un concours de rhétorique, il fallait obtenir l’autorisation du gouvernement du pays, ce qui n’était plus chose aisée à l’époque. C’était une conséquence du concours de Gand de 1539, où les idées de nouvelles doctrines contre les institutions de la religion catholique furent présentées et défendues sans la moindre hésitation.
Cependant, De Violieren et les élus d’Anvers (Van Stralen et Schetz) étaient farouchement déterminés à organiser leur Landjuweel. Celui qui fit le plus pour retarder l’obtention de l’autorisation fut le cardinal Perrenot de Granvelle(1517-1582), archevêque de Malines et conseiller de Marguerite de Parme(1522-1586), après l’abdication de l’empereur, son frère Charles Quint, régente des Pays-Bas bourguignons.
Organisation du Landjuweel
En février 1561, les délégués de la ville d’Anvers s’adressèrent à Granvelle avec une requête adressée à la régente, dans laquelle ils soutenaient que De Violieren, par rapport aux autres Chambres, était statutairement obligée d’organiser un concours.
Antoine Perrenot de Granvelle.
Granvelle espérait torpiller l’initiative, mais, conscient qu’un rejet brutal aurait enflammé l’opposition, il chercha divers prétextes. Il fit poliment comprendre aux délégués qu’il souhaitait reporter un tel événement, prétextant que, grâce à l’accord de paix entre la France et les Habsbourg, la guerre venait d’être suspendue et que de telles fêtes représentaient des dépenses importantes, que le pays ne pouvait ou ne voulait pas assumer.
Cela ne dissuada guère les Anversois. Ils répondirent que l’année précédente, l’autorisation avait été accordée à la Chambre de Vilvorde et qu’un report était inconcevable. Sentant qu’ils n’y renonceraient qu’avec un profond dégoût, Granvelle accepta à contrecœur de présenter leur demande à Marguerite, tout en affirmant que l’État s’arrogeait le droit de prélever des impôts sur tous ceux qui participaient au concours.
Craignant surtout que la fête ne devienne une caisse de résonance pour tous ceux qui critiquaient l’occupation espagnole et les abus de l’Église, Granvelle les somma aussi d’informer les chambres participantes que ne pouvait apparaître dans leurs pièces, leurs esbattements ou leurs poèmes, le moindre mot, phrase ou allusion contre la religion, le clergé ou le gouvernement, sinon elles perdraient non seulement le prix qu’elles auraient pu gagner, mais seraient punies et privées de leurs privilèges et de leurs droits ; et que la Chambre d’Anvers avait à veiller à ce que la ville soit bien gardée pendant les festivités et qu’aucun trouble ne puisse survenir.
Marguerite de Parme.
Marguerite de Parme, souvent en désaccord avec Madrid, se montra plus ouverte et moins craintive que Granvelle. Après avoir consulté le rapport fourni par le Conseil de Brabant, qui savait pertinemment que trop de répression encourageait la protestation, elle apposa l’apostille le 22 mars 1561, invitant le chancelier du duché à fournir à Anvers les lettres cachetées nécessaires à l’organisation du Landjuweel.
Ces lettres furent émises le même jour au nom du roi et accordèrent un sauf-conduit de quatorze jours avant le début jusqu’à quatorze jours après la fin du Landjuweel à tous ceux qui souhaitaient y assister, à l’exception de,
« tous les meurtriers, voleurs et autres criminels, ainsi que les ennemis déclarés du roi, les rebelles et ceux bannis du Saint-Empire romain germanique. »42
La chambre de rhétorique d’Anvers avait soumis 24 thèmes potentiels pour le Landjuweel (voir liste ci-dessous). Marguerite de Parme leur offrait le choix entre les trois sujets qu’elle avait sélectionné 43:
« L’expérience ou l’apprentissage apporte-t-il plus de sagesse ? »
« Qu’est-ce qui conduit le plus l’homme vers les arts ? »
« Pourquoi un homme riche et avide désire-t-il davantage de richesses ? »
Philosophie
Pour montrer combien nos rhétoriciens, sous la direction de Van Straelen et de Schetz, traitèrent de questions philosophiques et politiques de toutes sortes, voici l’ensemble des vingt-quatre sujets qu’ils avaient soumis 44:
Wat sake dat Roomen dede triumpheren? (Qu’est-ce qui a permis à Rome de triompher ?)
Wat dat Roomen meest dede declineren? (Qu’est-ce qui a fait le plus décliner Rome ?)
Weder experientie oft geleertheyt meer wijsheyt bybrengt? (Est-ce que c’est l’expérience ou le savoir qui apporte le plus de sagesse ?)
Hetwelck den mensche meer verwect tot cunsten? (Qu’est ce qui peut conduire le plus l’homme vers l’Art ?)
Dwelk ‘t voetsel der cunsten is? (De quoi l’art se nourrit-il ?)
Waeromme den mensche van tydelycke dinghen zoo begheerlijk is? (Pourquoi l’Homme est-il tellement désireux des choses temporelles ?)
Waer deur des menschen dagen meest vercort worden? (Qu’est-ce qui raccourci les jours des hommes ?)
Waer deur des menschen dagen verlengt worden? (Qu’est-ce qui rallonge les jours des hommes ?)
Waerom dat matige rijckdom ‘t meeste geluck der waerelt genaemt wordt ? (Pourquoi c’est la richesse moyenne qui apporte le plus de bonheur au monde ?)
Dwelck den meesten voorspoed in deser waerelt is? (Quelle est la plus grande prospérité dans ce monde ?)
Dwelck den meesten tegenspoed in deser werelt is? (Quel est le plus grand contre-temps dans ce monde ?)
Hoe compt dat dagelix alle dingen verdieren? (Comment se fait-il que toutes les choses se consument chaque jour ?)
Oft een ghierich mensch kan versaegt worden? (Si un homme avare peut être découragé ?)
Waerom een ryck ghierich mensch meer rykdom begeert? (Pourquoi un riche avare désire encore plus de richesse ?)
Waerom dat ryckdom egeen giericheyt en blust? (Pourquoi la richesse n’étéint pas l’avarice?)
Waerom dat d’eynde der blysschappen ongenucht volcht? (Pourquoi l’amusement est suivi de mécontement ?)
Waerom dat wellust berouw voortbrenght? (Pourquoi la luxure engendre des remords?)
Waerom dat wellust hare straffinghe medebrengt? (Pourquoi la luxure apporte sa propre punition ?)
Waar deur dat Roomen tot zoe groote prosperiteyt quam? (Comment les Romains ont atteint une si grande prospérité ?)
Dwelk de monarchie van Roomen in voorspoed hiel? (Quel gouvernement a maintenu les Romains dans la prospérité ?)
Wat cunste eldernootelykste in een stad is? (Quel art est de la plus haute nécessité dans une ville ?)
Wat der wereld meer rust inbrenct? (Qu’est-ce qui peut amener le monde vers plus de paix ?)
Waer deur de mensche meest compt tot hoocheyt der werelt? (Qu’est-ce qui conduit le plus les gens vers l’orgueil du monde ?)
Waer deur men den woeker best zoude mogen extirperen? (Quel serait le meilleur moyen pour éradiquer l’usure ?)
À première vue, on pourrait dire qu’en choisissant la question « Qu’est-ce qui peut le plus conduire l’homme vers l’art ? »45, Van Stralen et Schetz choisissent le sujet le moins « politique ». C’est méconnaître Érasme et la pensée platonicienne pour qui beauté et bonté forment une unité et pour qui tout gouvernement qui ne promeut pas la beauté, la néglige ou, pire encore, la méprise, se condamne à l’échec ! En pratique, les poètes, partant de ce principe supérieur, ont fini par fustiger, sans les nommer explicitement, tous les criminels et bellicistes de cette époque.
D’ailleurs, Willem van Haecht, le « facteur » (poète officiel) de De Violieren, dans la pièce qu’il composa spécialement pour le Landjuweel d’Anvers en 1561, montrait que ce qui conduisit les Empires à leur déclin fut, comme c’est encore le cas aujourd’hui, leur manque d’estime pour les Arts, y compris évidemment la Rhétorique.
Du coup, c’est sur ce thème que les 5000 participants (!) au Landjuweel, ont commencé à réfléchir, composer des chants, des pièces de théâtre, des refrains, des allégories, des rébus, des tableaux et des farces, le tout présenté ensuite, par le Landjuweel, à presque tout le pays.
On se frotte les yeux pour y croire : deux siècles avant (!) Friedrich Schiller, le poète allemand surnommé « poète de la liberté » et inspirateur de nombreuses révolutions à la fin du XVIIIe siècle, une élite humaniste éclairée par Érasme aux Pays-Bas a conduit une partie substantielle du pays à s’élever vers une paix durable en s’émancipant du servage et de l’ignorance par la beauté morale ! Le Landjuweel d’Anvers de 1561 fut bien plus qu’une simple fête, ce fut un changement de paradigme et un véritable tournant. Chapeau !
Après avoir reçu l’autorisation, la Chambre de rhétorique et le Conseil municipal d’Anvers s’attelèrent aussitôt à donner à ce grand festival littéraire toute sa splendeur et sa magnificience. Un carton d’invitation en vers fut rédigé, précisant le sujet du concours et les prix à gagner.
Melchior Schetz, prince de De Violieren, défilant dans les rues d’Anvers au Landjuweel de 1561.
Le 23 avril, ce carton d’invitation fut remis par le bourgmestre Nicolaas Rockox, en présence de Melchior Schetz et d’Anthonis van Stralen, à l’hôtel de ville d’Anvers, à quatre messagers assermentés, chargés de le transmettre à toutes les chambres de rhétorique du Brabant et de les inviter également au Landjuweel. Ces messagers voyagèrent aux frais de la ville et se rendirent d’abord à Louvain, la plus ancienne ville du Brabant. Partout, la nouvelle d’un Landjuweel à Anvers fut accueillie avec une joie extraordinaire, et les messagers furent accueillis avec une grande générosité.
Alors que dans la plupart des villes du Brabant les rhétoriciens s’occupaient à composer et à enseigner des pièces de théâtre et des poèmes, à fabriquer des chars de triomphe et à peindre des armoiries, à Anvers ils ne restaient pas inactifs.
De Violieren fait alors confectionner de magnifiques vêtements neufs pour ses membres, à la suggestion de Melchior Schetz, pour la cérémonie d’accueil offerte aux participants.
Podium du Landjuweel d’Anvers 1561.
Une élégante scène de théâtre fut érigée sur la Grand-Place d’Anvers, conçue par Cornelis Floris. Ironie de l’histoire, elle fut installée à l’endroit même où l’Inquisition décapitait les « hérétiques ». Le public assistait aux représentations debout, à l’exception du jury et des hauts fonctionnaires, pour lesquels des bancs étaient prévus.
Partout, l’effervescence et l’animation régnaient ; chaque citoyen souhaitait apporter sa contribution pour accueillir les invités étrangers avec la solennité requise et beaucoup de faste.
Le conseil municipal, pour sa part, avait pris les mesures nécessaires pour que tout se passe bien. Tous les habitants des rues où devaient passer les rhéteurs ont reçu l’ordre de dégager les rues et de retirer tout échafaudage ou obstacle qui pourrait gêner leur passage.
Tout le monde attendait avec impatience le 3 août, jour où l’entrée officielle aurait lieu et où les jeux de Landjuweel commenceraient.
Une journée mémorable
Hôtel de ville d’Anvers (à gauche) conçu par Cornelis Floris Devriendt.
Le 3 août 1561 est un jour mémorable dans l’histoire d’Anvers. La ville était parée de ses habits de fête : sur les façades des maisons, drapeaux, fanions et festons ; sur les places publiques, d’élégantes arches de style Renaissance.
Ce n’est un secret pour personne : les Anversois aiment gagner beaucoup d’argent. Mais ils aiment aussi le dépenser sans compter ! Au cours de ce merveilleux XVIe siècle, ils prenaient plaisir à afficher, lors de ces occasions, une splendeur qui dépasse, pour ainsi dire, notre imagination.
Juerken, le bouffon ou imbécile de De Violieren au Landjuweel d’Anvers de 1561.
Partout régnait la joie et la vie. De nombreux étrangers traversaient les rues ; tous, étrangers comme locaux, s’engageaient à maintenir le meilleur ordre possible au milieu de cette agitation et de ce tumulte. 46
À 14 heures, les « frères » de la guilde De Violieren se rassemblèrent pour se rendre ensemble à la Keizerspoort afin de rencontrer les chambres participantes. Ils étaient 65, montés sur des chevaux magnifiquement parés, vêtus de précieux uniformes. Ceux-ci se composaient de tabards de soie violette rayés de satin blanc ou de drap argenté, de pourpoints blancs rayés de rouge, de bas et de bottes blancs, et de chapeaux violets ornés de plumes rouges, blanches et violettes.
À la Keizerspoort, les chambres étrangères participantes furent solennellement reçues. Elles étaient quatorze et, au son des clairons et sous les acclamations de la foule, elles entrèrent dans Anvers, suivant la Huidevetterstraat, l’Eiermarkt et le Melkmarkt jusqu’à la Grote Markt, devant l’Hôtel de Ville.
Représentation artistique du Landjuweel d’Anvers de 1561, peint en 1899 par Edgard Farasyn pour l’hôtel de ville d’Anvers.
Le cortège était grandiose et impressionnant ; on n’avait jamais rien vu de tel dans ces régions. Sans les frères de la Guilde sur les chars, les porteurs d’armoiries, les écuyers, les valets de pied, les trompettistes, les tambours et autres musiciens à pied, le nombre de rhétoriciens à cheval de toutes les villes s’élevait à 1393, celui des chars à 23 et celui des autres chars à 197. 47
L’Ommegang de 1685 (supposé être une procession religieuse sans concours de poésie ou de théâtre) donne néanmoins une idée de ce à quoi ressemblaient les événements culturels de masse à Anvers.
Après quinze jours de compétition entre les villes de grande et moyenne taille pendant le Landjuweel, une semaine supplémentaire de « Hagespelen », des compétitions moins fastueuses et moins coûteuses entre les cantons, villages et communes, a suivi. Les organisateurs ne voulaient pas de perdants. Les formats étaient si variés qu’à la fin du mois, pas une seule ville, village ou commune n’était sans prix.
Pièce de théâtre dans un village flamand.
Et de retour dans leurs villes, tous ces acteurs culturels, comédiens, chanteurs, poètes, farceurs et comiques, dynamisés comme jamais par la rencontre avec une nation entière, rejouèrent chez eux la pièce ou le spectacle qui leur avait valu un prix. Dans la mesure où chaque chambre primée fut obligée d’organiser un nouveau concours, un véritable effet de diffusion et de contamination culturelle se répandit dans le pays.
Bateaux de mer entrant à Bruxelles par le canal Bruxelles-Escaut. Peinture d’Andreas Martin (1699-1763).
La joie et la fierté étaient telles que la Chambre de Vilvorde a donné une représentation spéciale pour l’ouverture du nouveau canal Bruxelles-Willebroek en octobre 1561. Le projet d’un canal de 28 km de long, reliant Bruxelles à l’Escaut (et donc à Anvers et à la mer) était évoqué depuis 1415, mais c’est Marie de Hongrie qui, en 1550, a ouvert le chantier. Le canal a vu le jour après 11 ans de travaux.
Le Landjuweel d’Anvers impressionna les spectateurs venus de l’étranger, parmi lesquels Richard Clough 48, représentant du financier anglais Thomas Gresham. Le marchand ne cacha pas son admiration et ne tarit pas d’éloges sur les festivités, les comparant à l’entrée de Philippe II et de Charles Quint à Anvers en 1549. Il ne pouvait que constater que l’organisation du Landjuweel était plus vaste et le spectacle plus impressionnant :
« L’arrivée du roi Philippe II à Anvers, au prix de tous les rhétoriciens réunis en robe, n’est pas comparable à ce qu’a fait la ville de Bruxelles. (…) Je voudrais que quelques-uns de nos grands et nobles hommes d’Angleterre aient vu cela, (…) et cela leur ferait penser qu’il y en a d’autres comme nous, et ainsi prévoir le temps à venir ; car ceux qui peuvent faire cela, peuvent faire davantage. »49
Paix et art, unis pour la célébration
Le mardi 5 août, deux jours après la grande réception des chambres participantes, les rhétoriciens en visite, ainsi que le reste des spectateurs, sont solennellement accueillis sur la Grand-Place d’Anvers.
Les Violieren proposent ensuite une zinnespel (morale) de bienvenue : Den Wellecomme (La Bienvenue), écrite par Willem van Haecht. Au cœur de la pièce se trouve la paix relative qui permet l’organisation du Landjuweel, une rencontre symbolisant le renouveau de la rhétorique (l’art de la rhétorique) rendue possible grâce à la tranquillité retrouvée. Le duché avait beaucoup souffert dans les années 1550, mais s’était lentement relevé après la paix du Cateau-Cambrésis (1559) marquant une pause dans le conflit entre les Habsbourg et la France. L’espoir de jours meilleurs était permis. Les réactions littéraires à la paix furent donc particulièrement optimistes. L’aube d’un nouvel âge d’or était dans tous les esprits.
La pièce met en scène trois nymphes, des fleurs – sœurs – qui, ensemble, représentent De Violieren. Après des années de guerre, la Chambre a eu l’opportunité d’organiser le Landjuweel. Pour cela, les nymphes ont une grande dette de gratitude envers le peuple brabançon. Malgré les temps difficiles et les divisions croissantes entre les différents groupes sociaux, le peuple est resté uni.
C’est la Concordia, le sentiment d’unité et de solidarité, qui unit désormais les défenseurs du bien public. Par amour pour l’art de la rhétorique, tous sont venus de tous horizons à Anvers pour célébrer ensemble le Landjuweel. Selon les nymphes, il est grand temps que Rethorica reprenne la place qui lui revient dans la société. Maintenant que le dieu guerrier Mars et la détestée Discordia ont été chassés, elle seule peut apporter joie et paix au pays. Seule la semence de la rhétorique (« Rethorices saet ») peut porter des fruits de joie.
Les fleurs se mirent donc en quête de Rethorica. Autrement dit, De Violieren décrit principalement le Landjuweel comme une fête de la joie, organisée par les Chambres de Rhétorique pour renforcer le sentiment d’appartenance et les liens d’amitié entre les villes et les peuples de la région.
Illustration du drame de Van Haecht « La Bienvenue ». Trois nymphes viennent réveiller Rethorica, endormie, mais protégée par Antwerpia. A gauche sur l’avant-plan, les outils d’invention et de travail que Rhetorica a abandonné en s’endormant.
Finalement, les nymphes trouvent Rhetorica, endormie dans les bras d’une jeune fille (Anwerpia), qui l’a toujours protégée. Alors que les déesses de la vengeance (« Érinnies ») ont ravagé le pays pendant vingt ans, la rhétorique a toujours été protégée et chérie à Anvers. Il est temps de la réveiller de son long sommeil hivernal.
Frans Floris, L’éveil des arts (vers 1560), Musée des arts de Porto Rico, USA.
Une fois réveillée, Rhetorica et le Landjuweel marqueront le début d’une période de prospérité et d’un reveil des arts, pour Anvers et pour le monde, un thème allégorique développé par Frans Floris, le rhétoricien ami de Van Haecht, dans son oeuvre L’éveil des arts (vers 1560). Cette œuvre allégorique commémore la signature du traité du Cateau-Cambrésis, l’accord de paix le plus important du XVIe siècle, marqué par la guerre. siècle, marqué par la guerre. Dans un paysage ravagé par la guerre, Philippe II d’Espagne assume le rôle d’Apollon, représenté par le personnage barbu au centre. Le dieu du soleil éveille les arts libéraux, représentés par des femmes dotées d’attributs (le berceau des sculpteurs, la plume des poètes, les partitions des musiciens, les globes des cartographes, etc.) De sa main gauche, Philippe II montre quatre femmes qui éloignent un Mars abject. Mars, le dieu de la guerre, dépouillé de son épée et ses trophées de bataille. Cette scène symbolise une nouvelle ère de prospérité culturelle rendue possible par la paix.
Den Wellecomme de Van Haecht ne se contente pas de dégager une atmosphère de joie et d’euphorie, il lance aussi quelques piques aux oppresseurs. Les Chambres conservèrent un arrière-goût amer. Au cours des années précédentes, plusieurs rhétoriciens avaient été frappés par le destin. Le « facteur » précédent, le très estimé Jan van den Berghe (mort en 1559), était décédé de vieillesse. De plus, deux membres éminents avaient été victimes de persécutions religieuses.
Les imprimeurs Frans Fraet (1505-1558) et Willem Touwaert Cassererie (vers 1478-1558) furent condamnés et exécutés en 1558, malgré les protestations vigoureuses de leur guilde, pour avoir imprimé et été trouvés en possession de livres interdits (des Bibles néerlandaises).
Gravure d’après Jan van der Straet (Johannes Stradanus).
Anvers était le centre nord-européen de l’édition hétérodoxe dans la première moitié du XVIe siècle. C’est d’Anvers que les livres étaient expédiés dans toute l’Europe. Alastair Duke, qui a étudié les méthodes de l’Inquisition à cette époque, a suggéré que sur quatre mille livres publiés en Europe entre 1500 et 1540, la moitié a été imprimée à Anvers 50 ; presque la moitié de ces publications contenaient des influences protestantes. 51
Ces persécutions renforcèrent la méfiance du gouvernement central envers les rhéteurs. Les temps n’étaient pas faciles pour eux.
L’art de la rhétorique « n’a pas beaucoup d’amis », comme le regrette Van Haecht. 52
Bien que le Landjuweel ait été conçu pour célébrer la paix et non pour exprimer le mécontentement, l’horreur des années de guerre passées et les divisions qui en ont résulté étaient clairement palpables.
La rencontre se déroula sous le signe de l’amitié et de la solidarité – ce qui n’était pas sans raison la devise de De Violieren. Faisant référence au miracle de la Pentecôte, le carton d’invitation comparait les rhétoriciens aux apôtres, qui reçurent le Saint-Esprit en se rassemblant dans l’unité, sans désaccord ni conflit. Ce motif était courant chez les rhétoriciens.
Déjà dans les poèmes du brugeois Anthonis de Roovere (vers 1430-1482), les pièces de théâtre gantoises de 1539 et dans Const van Rhetoriken de Matthijs de Castelein (1485-1550), l’inspiration du rhétoricien est comparée à l’enthousiasme religieux des apôtres à la Pentecôte. Les rhétoriciens considéraient leur poésie comme un don du Saint-Esprit. Cela rappelle fortement la thématique d’Érasme dans sa Querela Pacis (La Complainte de la paix, 1517). Dans ce célèbre pamphlet pour la paix, le miracle de la Pentecôte est également utilisé pour souligner l’importance de l’unité et de l’amour dans la société. Seule la religion chrétienne, selon Érasme, avait la force de se défendre contre la tyrannie et la guerre. Le bien-être de la société tout entière a toujours eu la priorité sur toute forme d’intérêt personnel.
Un carton d’invitation rimé fut envoyé à toutes les chambres du Brabant, accompagnée d’une gravure sur bois (probablement réalisée par Willem van Haecht). Cette gravure allégorique souligne l’importance de la rhétorique pour parvenir à la paix.
Estampe sur bois illustrant l’invitation adressée aux autres chambres de rhétorique par les Violieren d’Anvers pour le Landjuweel de 1561.
Rhetorica trône au centre, ses attributs étant un parchemin et un lys, symboles respectivement des vertus de promotion du savoir et d’harmonisation de l’art rhétorique. De chaque côté d’elle se trouvent Prudentia (à gauche) et Inventio (à droite). Prudentia, la Providence, est représentée tenant un miroir (la perspicacité) et un serpent (la prudence). Inventio, l’Invention, possède les attributs d’un compas et d’un livre. Ces deux personnifications font référence aux qualités de conception soignée et d’érudition. Elles sont toutes deux destinées à soutenir Rhetorica. Elles se tiennent sur une marche surélevée, sur laquelle pousse la fleur de violette. Sous la fleur, le bœuf de la guilde de Saint-Luc soutient les armoiries de la guilde des peintres d’Anvers. Les personnifications Pax, Charitas et Ratio se placent à gauche du trône pour rendre hommage à Rhetorica. Une lumière divine (Lux) les illumine.
À droite, Ira, Invidia et Discordia sont poursuivies dans une profondeur brûlante (tenebrae). Les ténèbres du passé cèdent ainsi la place à un avenir illuminé où règne la rhétorique. Contrairement au texte du carton d’invitation, l’art de la rhétorique assure ici la paix. Il y a donc une interaction constante entre rhétorique et paix.
Dans le carton d’invitation et la pièce de bienvenue de De Violieren, la paix crée les conditions propices à l’épanouissement de la rhétorique. Dans la gravure sur bois, c’est précisément l’art de la rhétorique qui, grâce à ses qualités de perspicacité et d’invention, chasse la colère, l’envie et la discorde vers le ravin des ténèbres. Sa lumière divine crée les conditions propices à l’épanouissement de la paix, de l’amour et de la raison.
Les trois allégories positives à gauche de la Rhétorique contrastent délibérément avec les trois figures à sa droite. Ratio est opposée à Ira, Charitas à Invidia et Pax à Discordia. Dans sa conception, Van Haecht a choisi la discorde (Discordia) plutôt que la guerre (Bellum) comme opposé à la paix (Pax).
Le concept de paix était profondément ancré dans le système des valeurs collectives. Dans ce discours, la paix, avecla justice, l’ordre et l’esprit collectif, constitue l’un des piliers de la cohésion sociale interne. La paix protège la ville du monde extérieur et maintient l’équilibre entre les différents segments de la société, notamment par l’exercice de la cohésion et de la solidarité. De plus, la paix, tant spirituelle que matérielle, apporte bien-être et prospérité. Mais cela ne peut être atteint que si tous les groupes urbains travaillent ensemble à l’unisson.
La discorde, qu’elle soit entre les guildes, entre les sections du patriciat urbain, entre les riches et les pauvres, ou entre les factions religieuses, constitue la plus grande menace pour la paix intérieure et doit être évitée par-dessus tout. 53
Le discours des rhétoriciens sur la paix repose sur l’idée que Dieu avait créé le monde comme un tout harmonieux, ordonné et parfait. Discordia personnifie la rupture de cette création, de la relation entre Dieu et l’homme, et de celle entre l’homme et la nature.
La discorde perturbe également l’équilibre entre les citadins, entre la ville et la campagne, et entre le prince et ses sujets. De plus, elle provoque des troubles dans l’esprit humain. Ce concept implique une perte individuelle de maîtrise de soi et de raison.
Vandommele écrit que selon eux,
« Tout être humain est constitué de l’union du corps et de l’âme, qui ne s’équilibrent que lorsque toutes les parties fonctionnent harmonieusement. Les rhétoriciens croyaient que leur poésie pouvait y contribuer. »54
Tout comme la musique, la poésie était, à leurs yeux, un don du ciel. Toutes deux utilisaient la théorie de l’harmonie pour refléter l’ordre du cosmos et servaient également à communiquer avec Dieu. De plus, le mot « discorde » dans la littérature des rhétoriciens désigne également un manque d’harmonie dans les vers et les rimes, une offense impardonnable en poésie.
Pour toutes ces raisons, la discorde était considérée comme la principale cause de malheur. Il fallait à tout prix la bannir au plus profond de l’enfer. Les rhétoriciens, grâce à leur maîtrise de la poésie et de la rhétorique, étaient ceux qui pouvaient y parvenir. Ils assumaient le rôle de gardiens de la paix, responsables de la sociabilité urbaine.
Le Landjuweel d’Anvers de 1561, gigantesque événement culturel de masse rappelant ces nobles qualités humaines qui unissent le bien et le beau dans un contexte ou la survie de la société était loin d’être certaine, fut un véritable « cri du peuple », un peu semblable à ce que la France connaîtra ultérieurement avec la Fête de la Fédération avant la Révolution française. 55
Au Landjuweel, une entente entre commerçants, artisans, poètes et artistes, éclairés par les lumières d’Erasme, ont appelé les gouvernements du monde à renoncer à l’usure, au pillage et à la guerre et à organiser une paix durable fondée sur l’harmonie des intérêts mutuellement bénéfiques.
Anvers, bourse du commerce, reconstruction datant de 1872 de l’original construite en 1531.
Censure, répression et révolte
À partir de 1521, des décrets répriment la lecture et la possession de livres interdits, tant les écrits luthériens que les Bibles. En 1525, la justice anversoise mit en garde les imprimeurs et les libraires. À partir de 1528, les rhétoriciens sont tenus de faire examiner et valider au préalable leurs œuvres avant toute production ou publication.
En 1533, la réforme gagna du terrain. Pas un jour ne se passait sans une joute satirique contre le clergé. Cinq rhéteurs d’Amsterdam sont condamnés à effectuer un pèlerinage à Rome à leurs frais. En 1536, un imprimeur ayant enfreint la réglementation est décapité sur la Grand-Place d’Anvers. L’Eloge de la folie et les Colloques d’Erasme sont mises à l’Index des livres interdits en 1559, avant même la date du Landjuweel, pour y rester jusqu’en 1900.
Sans autorisation préalable, les Chambres de rhétorique ne peuvent plus présenter de pièces de théâtre en public. C’est la conséquence du Landjuweel de Gand en 1539, où, nous l’avons vu, la liberté prévaut. Le 6 octobre de la même année, le chancelier de Brabant écrivit au régent que la vente du recueil imprimé des pièces peut avoir de très graves conséquences. D’emblée, la collection est placée sur l’index des livres interdits. Un décret stipule également qu’il est désormais interdit de faire référence aux Saintes Écritures et aux sacrements. L’interdiction de vente des recueils provoqua une réaction contraire et attira de nombreux lecteurs. Ces œuvres de 1536 furent réimprimées trois fois, la dernière édition datant de 1564, deux ans avant le déclenchement du Beeldenstorm (Fureur iconoclaste).
En 1566, les peintures et sculptures des églises et des monastères, les reliques et tout ce qui était associé au culte des images furent brisés et détruits par les calvinistes, la branche la plus radicale du protestantisme. On soupçonne et accuse immédiatement les Chambres de Rhétorique d’inspiration érasmienne, d’être responsables des destructions de la « Furie iconoclaste » !
Avec l’arrivée du sanguinaire duc d’Albe dans les Pays-Bas bourguignons en 1567, le climat religieux relativement tolérant est remplacé par la persécution de ceux qui critiquent la foi catholique.
Anthonis van Stralen, chef des Violieren et, comme nous l’avons vu, l’un des principaux organisateurs du Landjuweel d’Anvers et ami personnel de Guillaume le Taciturne, tente de partir en exil en Allemagne. Mais le 9 septembre, sur ordre du duc d’Albe, il est intercepté par le comte Lodron entre Anvers et Lierre. Le 25 septembre, il est transféré à la prison de Treurenberg à Bruxelles. En février 1568, il est transféré au château de Vilvorde pour comparaître devant le nouveau Conseil des Troubles.
Après avoir été soumis pendant plusieurs jours à la torture, Van Stralen est porté au bourreau. Peinture d’Emile Godding (1841-1898), Hôtel de ville d’Anvers.
Après avoir été torturé, ses biens sont confisqués et il est condamné à mort par l’épée. La sentence est exécutée au château de Vilvorde le 24 septembre 1568. 56
Cette décision suscita une vive indignation à Anvers. De nombreux marchands et citoyens importants quittent alors définitivement la ville.
Les pièces du Landjuweel d’Anvers de 1561, dont celles de Willem Van Haecht, qui respirent l’esprit d’Érasme, sont interdites. Leur représentation du 21 juin 1565, bien accueillie par le public, fait grincer des dents le clergé, selon Godevaert van Haecht, un proche parent de l’auteur.
Van Haecht s’enfuit à Aix-la-Chapelle, puis aux Pays-Bas. Son poème « Hoe salich zijn die landen », écrit pour De Violieren, fut mis en musique par Jacobus Flori et inclus dans le Geuzenliedboek, recueil de chants de ceux qui s’étaient révoltés contre la domination espagnole dans les Pays-Bas bourguignons.
Eclate alors la « Furie espagnole » (ou Terreur espagnole), une série de saccages violents de villes (Malines, Anvers, Naarden, etc.) des Pays-Bas bourguignons. La principale cause en était le retard de paiement dû aux soldats et aux mercenaires par Philippe II. L’Espagne vient de déclarer faillite. Les banquiers refusent d’effectuer les transactions que leur demande le roi d’Espagne tant qu’ils n’ont pas trouvé de compromis. A titre d’exemple, le transfert depuis l’Espagne du salaire des troupes ne pouvait être effectué par lettre de change (l’équivalent au XVIe siècle d’un mandat postal). Le gouvernement espagnol a donc dû transférer l’argent réel par voie maritime – une opération beaucoup plus coûteuse, lente et périlleuse. Malheureusement pour Philippe, 400 000 florins destinés à payer les troupes ont été saisis par le gouvernement anglais d’Elizabeth I lorsque des navires contenant les florins se sont mis à l’abri d’une tempête dans les ports anglais. 57
La furie espagnole la plus célèbre fut le sac et l’incendie d’Anvers, qui durèrent trois jours en novembre 1576. Au moins 7000 personnes furent tuées et de nombreux biens furent détruits. Un écrivain anglais, témoin de l’événement, estima à 17 000 le nombre de morts.
Sac d’Anvers pendant la furie espagnole de 1576.
Peu après, sous la direction du grand érasmien Guillaume le Taciturne, soutenu par les Chambres de Rhétorique, la nation entière se soulève contre l’oppression et en faveur d’une République.
Le Plakkaat ou Akte van Verlatinghe (traduit par Acte d’abjuration), signé le 26 juillet 1581, est considéré comme la « déclaration d’indépendance » de nombreuses provinces des Pays-Bas qui considéraient que le roi avait failli dans ses obligations envers son peuple.
Le texte a été rédigée par le législateur et greffier anversois Jan van Asseliers (1530-1587), un ami proche aussi bien de Melchior Schetz que d’autres organisateurs clés du Landjuweel anversois de 1561. 58 Le texte a été imprimé à Leyden par Charles Silvius, le fils de Willem Silvius (1521-1580) 59 , l’humaniste anversois qui a imprimé et publié l’intégralité des actes du même Landjuweel en 1562. 60
Ce n’est qu’après 80 ans de guerre (1568-1648), lors du traité de Westphalie, que la République des Pays-Bas a été reconnue, laissant le sud sous le contrôle des Habsbourg.
Les citoyens instruits s’exilent. Entre 150.000 et 200.000 réfugiés se seraient établis dans les Provinces-Unies et en Allemagne. Certaines villes, comme Francfort, Hambourg, Londres et Amsterdam, doivent leur prospérité à l’arrivée des réfugiés des Pays-Bas méridionaux. Après 1581, les autorités espagnoles ne tentent plus d’empêcher ces départs qui répondent à leur volonté de vider le pays de ses habitants protestants. 61
VAN CAPPELLE, Johannes Pieter, Anthonis van Stralen. National Library of the Netherlands (original from the University of Amsterdam), 1827 ;
DE BAECKER, Louis, Les Flamands de France, Messager des sciences historiques et archives des arts de Belgique, Gand, Vanderhaeghen, 1850, p. 181;
GRAPHEUS, Abraham Grapheus; VAN STRALEN, Anthonis, VAN EVEN, Edward; Het Landjuweel van Antwerpen in 1561, Eene verhandeling Over Dezen Beroemden Wedstrijd Tusschen De Rederijkerskamers van Braband, Bewerkt naar Eventijdige Oorkonden En Versierd met 35 platen, naar tekeningen van Frans Floris en andere meesters, CJ Fontayn, Leuven, 1861 ;
VAN ISACKER, Karel; VAN UYTVEN, Raymond, Antwerpen, twaalf eeuwen geschiedenis en culture, Mercatorfonds, Mercatorfonds, Antwerpen, 1986 ;
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COIGNEAU, Dirk, COCKX-INDESTEGE, Elly, WATERSCHOOT, Werner, DE SCHEPPER, Marcus, PECKSTADT, Ann, WATTEEUW, Lieve, Uyt Ionsten Versaemt, Het Landjuweel van 1561 te Antwerpen, Bibliothèque royale Albert Ier, Bruxelles, 1994 ;
PLEIJ, Herman, De eeuw van de zotheid. Over de nar als maatschappelijke houvast in de vroegmoderne tijd, Uitgeverij Bert Bakker, Amsterdam, 2007 ;
VAN BRUAENE,Anne-Laure, Om beters wille Rederijkerskamers en de stedelijke cultuur in de Zuidelijke Nederlanden (1400-1650), Amsterdam University Press, 2008 ;
Open Universiteit Nederland, Orientatiecursus cultuurwetenschappen, Van Bourgondische Nederlanden tot Republiek, Deel 2, 2009 ;
CHRISTMAN, Victoria, The Coverture of Widowhood: Heterodox Female Publishers in Antwerp, 1530-1580. The Sixteenth Century Journal, 2011 ;
VAN DIXHOORN,Arjan, Monumentalizering van een festival. Het Antwerpse landjuweel van 1561 als historische gebeurtenis. Jaarboek de Fonteine (2011-2012), 15-42 ;
MEGANCK, Tine Luk, Pieter Bruegel The Elder, Fall of the Rebel Angels, Art, Knowledge and Politics on the Eve of the Dutch Revolt, SilvanaEditoriale, Milano, 2014 ;
NIJENHUIS, Andreas, Les Pays-Bas au prisme des Réformes (1500-1650), L’Europe en conflits, p. 101-136, Presses universitaires de Rennes, 2019. ↩︎
CHARLES, Pierre-Yves, Chercheur invité à l’Université Libre d’Amsterdam, La Réformation des Réfugiés, site internet de l’Eglise protestante unie de Belgique; ↩︎
MEGANCK, Tine Luk Meganck (Op. cit.) underscores that « Bruegel’s visual language is closely related to the poetic imaginary of the rhetoricians. Like the rhymesters, Bruegel often presented a serious message with a dash of mockery, as an inversion of the established order, as the world upside down. »↩︎
GODIN, André. Érasme et son banquier. In: Revue d’histoire moderne et contemporaine, tome 34 N°4, pp. 529-552, Octobre-décembre 1987. ↩︎
VAN DIXHOORN,Arjan, (Op. cit.), s’appuyant sur Vandommele, soutient que le mot « Art » (consten) se réfère ici seulement aux arts libéraux et aux arts mécaniques et non aux arts ”supérieurs ». Cet argument ne tient pas, car le leitmotiv de l’ensemble du Landjuweel, comme Vandommele lui-même le démontre avec force, était que l’harmonie de la poésie et de la musique, un don du ciel, était la seule base viable d’une paix et d’une concorde durables. Le thème du Réveil des arts « supérieurs » est d’ailleurs le thème d’un tableau peint par Frans Floris en 1560, un peintre et un intellectuel influent appartenant aux organisateurs du Landjuweel. Parmis les arts endormis de Floris, la musique, la sculpture, la cartographie, etc. ↩︎
GRAPHEUS, Abraham; VAN STRALEN, Anthonis; VAN EVEN, Edward; Het Landjuweel van Antwerpen in 1561, Eene verhandeling Over Dezen Beroemden Wedstrijd Tusschen De Rederijkerskamers van Braband, Bewerkt naar Eventijdige Oorkonden En Versierd met 35 platen, naar tekeningen van Frans Floris en andere meesters, CJ Fontayn, Leuven, 1861 ; ↩︎
GRAPHEUS, Abraham; VAN STRALEN, Anthonis; VAN EVEN, Edward; Ibid. ; ↩︎
La Fête de la Fédération était une célébration qui se déroula au Champ-de-Mars le 14 juillet 1790, premier anniversaire de la prise de la Bastille. Avec plus de 300 000 personnes présentes, l’événement célébrait les réalisations de la Révolution française (1789-1799) et l’unité du peuple français. La fête elle-même fut un accomplissement monumental : des dizaines de milliers de citoyens français se portèrent volontaires pour travailler dans la boue et la pluie à la construction d’un amphithéâtre sur le Champ-de-Mars, avec un autel de la Patrie colossal en son centre. Cet événement marqua la naissance du patriotisme français, du moins au sens où on l’entend aujourd’hui, et fut la première célébration du 14 juillet, fête nationale française, toujours célébrée chaque année. Parallèlement, cette fête marqua l’apogée de l’unité pendant la Révolution française, car par la suite, les révolutionnaires sombrèrent dans des luttes entre factieux et une politique fondée sur la terreur. ↩︎
VAN CAPPELLE, Johannes Pieter, Anthonis van Stralen. National Library of the Netherlands (original from the University of Amsterdam), 1827; ↩︎
Ongepast koppel (Ongelijke Liefde), 1525, National Gallery of Art, Washington D.C.
Inhoud
Inleiding
A. Culturele en filosofische kwesties van een context
Cynische grappen of socratische dialogen?
Wat is « Christelijk humanisme?«
Petrarca en de “Triomf van de Dood«
Dageraad van louterend gelach
Sebastian Brant, Jheronimus Bosch en Het Narrenschip
Rederijkers en Landjuweel
B. Quinten Matsys
Biografische elementen
Van smid tot schilder
Hertogdom Brabant
Opleiding: Bouts, Memling en/of Van der Goes?
Debuten in Antwerpen en in het buitenland
C. Enkele werken, analyses en interpretaties
De Maagd en het Kind, Gratie Gods en Vrije Wilskeuze
Het altaarstuk van Sint-Anna
Een nieuw perspectief
Samenwerking met Joachim Patinir en Albrecht Dürer
In de ban van Erasmus
Utopia en Thomas More
Pieter Gillis en het « Tweeluik der vriendschap«
De « Da Vinci-connection » (I)
D. Erasmiaanse kunst van het groteske
In religieuze schilderijen
Bankiers, tollenaars en woekeraars
De da Vinci-connection (II)
De kunst van het groteske per se
De metafoor van « Het ongepast koppel«
Matsys,Da Vinci, wie schilderde de « De groteske oude vrouw »?
Hans Liefrinck en Hieronymus Cock
E. Slotbeschouwing
Bibliografie
Begin 16e eeuw vestigde Quentin Matsys (1466-1530) 1 zich als een vooraanstaand schilder in Antwerpen. Hij werkte er meer dan 20 jaar. Via het werk van Matsys beïnvloedde Erasmus een hele generatie kunstenaars. Bidden en lachen waren de twee kanten van dezelfde munt, die van de « Filosofie van Christus. » Matsys schilderde diepreligieuze drieluiken, verbazingwekkend gedetailleerde portretten en enkele van de meest hilarische satirische werken uit de geschiedenis van de schilderkunst.
Matsys blijft een grote naam, maar zijn werk is bijna vergeten. Om deze grote kunstenaar recht te doen, zullen we hier zijn enthousiasme en zijn Erasmiaanse geest doorlichten. Ook bespreken we enkele van zijn meest originele artistieke bijdragen.
Portret van Quinten Matsys, gravure door Johannes Wierix, 1572.
In 1550 was Antwerpen2 met bijna 100.000 inwoners de grootste stad van het Westen. In het Oosten had Istanboel er al 200.000 in 1500…
Antwerpen was een belangrijke havenstad en het kloppend hart van een bloeiende internationale handel die op het einde van de 15de eeuw het oude Brugge3 van de Medici overtrof. Antwerpen was een trekpleister voor talenten uit vele streken en landen. 4
Het was in die economische en culturele smeltkroes dat Quinten Matsys meerdere van de briljantste christelijke humanisten van zijn tijd kon ontmoeten, of het nu ging om geleerden en vredesactivisten als Erasmus van Rotterdam5, Thomas More6 en Pieter Gillis7, innovatieve drukkers als Dirk Martens8 van Aalst, hervormers als Gerard Geldenhouwer9 en Cornelius Grapheus10, Vlaamse kunstschilders als Gerard David11 en Joachim Patinir 12 of buitenlandse schilder-graveurs en boekverluchters als Albrecht Dürer 13, Lucas van Leyden14 en Hans Holbein de Jongere 15. Antwerpen was the place to be!
Boeken over Quinten Matsys en zijn milieu zijn vandaag moeilijk te vinden en meestal duur. De grote internationale uitgeversbedrijven, om tot zover onbekende redenen, schijnen hem tot eeuwige vergetelheid te hebben veroordeeld. Soms verschijnt zijn naam, maar slechts sporadisch en in de marge en dan nog alleen wanneer er sprake is van het « manierisme » van de « Antwerpse School » 16
Erger nog, er wordt niet naar zijn werken verwezen en zijn naam wordt slechts twee keer vermeld in L’art flamand et hollandais, le siècles des primitifs (1380-1520), een referentienaslagwerk over deze periode. 17
Het goede nieuws is dat het Interdisciplinair Centrum voor Kunst en Wetenschap in Gent, 18 België, sinds 2007 sleutelt aan een nieuwe « Catalogue raisonné » van zijn werk. Maar dat is nog even wachten.
De laatste uitgave van het volledig werk, verzorgd door de Amerikaanse kunsthistoricus Larry Silver, dateert van 1984 19 en wordt vandaag voor hoge prijzen op Amazon aan de man gebracht.
Er bestaat nog de mooie, zeldzame monografie van Andrée de Bosque20, waarvan helaas de meeste afbeeldingen in zwart-wit zijn. Als troostprijs hebben de lezers nog het proefschrift 21 van Harald Brising uit 1908, herdrukt in 2019.
Om Quinten Matsys te eren en recht te doen, zullen we hier proberen een aantal vragen te beantwoorden die tot nu toe onbeantwoord zijn.
In hoeverre was het werk van Erasmus een directe inspiratiebron voor Matsys, Patinir en hun omgeving? Wat weten we over de uitwisselingen tussen deze kring in Antwerpen en vooraanstaande renaissancekunstenaars als Leonardo da Vinci en Albrecht Dürer? Welke invloed had de Erasmiaanse kunstenaar op zijn buitenlandse correspondenten?
Dit onderwerp roept meteen vragen op, aangezien Erasmus niet echt een liefhebber was van de « religieuze schilderkunst » van zijn eeuw. Hij gaf de voorkeur aan daadwerkelijke inzet en handelingen voor het algemeen belang, boven passieve bewondering en onderwerping aan religieuze rituelen en heiligenbeeldjes.
Zoals de Belgische kunstcriticus Georges Marlier (1898-1968) 22 in zijn gedocumenteerd boek benadrukt, was Erasmus geen amateur van kerkpropaganda, maar als een werk een authentiek gevoel van geloof, liefde en tederheid opriep, bracht hij daar eerbied voor op. Voor onze humanist was de innerlijke strijd van de mens veel belangrijker, gezien
« de ware navolging van Christus en zijn lijden bestaat in het uitdoven van de impulsen die tegenstrijdig zijn met de rede, en niet in het bewenen van Christus als een zielig object. » 23
Quinten Matsys. Vroeger heette dit schilderij, niet voor niets, De Hypocrieten, tegenwoordig De twee monniken in gebed. (Galleria Arti Doria Pamphilj, Rome).
Dankzij eerder onderzoek naar de Italiaanse Renaissance, het levenswerk van Erasmus 24 en de kunst van Dürer 25 hebben we ons verdiept in de tijd van Matsys. We kunnen daar niet hier uitgebreid op terugkomen, maar het biedt ons wel een sterke basis om de buitengewone waarde van deze kunstenaar in te schatten.
A. Culturele en filosofische kwesties van een context
1. Cynische grappen of socratische dialogen?
« Tussen neus en lepel », een spreekwoord. The Phoebus Foundation.
Voor de huidige « trash-cultuur », gebaseerd op emotionele effecten in een soort gevangenis van grenzeloos pessimisme, is het erg moeilijk om de culturele verfijndheid van een Matsys ten volle te waarderen.
Wat ontbreekt, is de morele en intellectuele integriteit die nodig is om de grappen, 26 ironie en metaforen 27 te begrijpen die de essentie vormden van het culturele leven in de Lage Landen van zijn tijd. 28
Veel mensen zien de wereld niet zoals hij is. Wel geven ze uitgebreid commentaar over de kleur van hun bril. Beknot door hun culturele vooroordelen, wanneer ze naar een geschilderd aangezicht kijken, zien ze niet de intentie, de ironisch knipoog of het idee dat de kunstenaar wil overbrengen. Een echte kunstenaar, schildert niet op doek of paneel, maar roept een beeld op in de geest van de toeschouwer. Moderne kijkers vluchten snel weg van het hogere domein van de metafoor. Ze klampen zich vast aan de veelvuldige details wiens symbolische interpretaties ze aan elkaar rijgen, in de hoop dat dit snoer de betekenis zal leveren voor het werk.
Wanneer ze een « grotesk » gezicht zien, houden ze vast aan het idee dat het over een portret gaat van een bepaalde persoon die echt heeft bestaan, in plaats van hardop te lachen! Omdat zij deze « onzichtbare » dimensie niet willen zien en het beeld « letterlijk » opvatten, zijn voor hen de « grotesken » van Erasmus, Matsys en Da Vinci slechts « cynische grappen » die getuigen van sluiks misprijzen en vermoedelijk van een sterk « gebrek van verdraagzaamheid » jegens « lelijke », « zieke », « abnormale », of gewoon « andere », mensen!
Laten we het hier luid en duidelijk herhalen: Erasmus en zijn drie belangrijkste geestelijke volgelingen, François Rabelais, 29Miguel de Cervantes 30 en William Shakespeare 31, zijn de incarnaties, hoewel zelden erkend, van het « Christelijk humanisme » en de louterend gelach, een machtig politiek wapen en een instrument dat het mogelijk maakt « alle leden van het menselijk genre tot de waardigheid van het menszijn te verheffen », zoals de Franse generaal, medeoprichter van de Ecole Polytechnique, Lazare Carnot, dat formuleerde.
2. Wat is « Christelijk humanisme »?
De kern van Erasmus’ onderwijs- en politiek programma was het bevorderen van docta pietas, geleerde vroomheid, of wat hij de « Filosofie van Christus » noemde. Het is méér dan een overtuiging, een manier van zijn. 32
Deze filosofie kan worden samengevat als een « eedverbond » tussen de humanistische principes samengevat in Plato‘s Republiek33 en het agape-mensbeeld 34 van het Evangelie en de geschriften van eerste kerkvaders zoals Hiëronymus 35 en Augustinus 36, die Plato en Socrates beschouwden als een van hun onvolmaakte voorlopers.
Het christelijk humanisme was een breuk met het zich onderwerpen aan een ‘blind’ en feodaal geloof, dat de redding van de mens, via de onsterfelijkheid van de ziel, uitsluitend zag in een bestaan na de dood.
Voor het christelijk humanisme is het de essentie van de menselijke natuur naar het hoogste goed te streven. « Hell is emptyand all the devils are here » (De Hel is leeg en al de duivels staan hier), schreef William Shakespeare in 1610 in The Tempest.
De oorsprong van het kwaad is niet de mens op zichzelf of een externe « duivel », maar de ondeugden en morele kwalen die Plato al eeuwen vroeger had geïdentificeerd voordat de christenen ze de « zeven hoofdzonden » (ondeugden) noemden, kwalen die men kan beperken, bestrijden en zelfs overwinnen dankzij de « zeven hoofddeugden ». 37
Jheronimus Bosch, De zeven hoofdzonden en de vier laatste dingen (dood, oordeel, hemel en hel), circa 1500, tafelblad, Prado, Madrid.
Ter herinnering, deze hoofdzonden en hun tegengif zijn:
Het is veelzeggend voor onze tijd dat deze “zonden” (ondeugden of kwalen die ons ervan weerhouden het goede te doen), en niet hun tegengestelde deugden, op tragische wijze zijn geprezen als de « basiswaarden” die het goede functioneren van het huidige “neoliberale” financiële systeem en zijn “op regels gebaseerde” wereldorde garanderen!
“Particuliere ondeugden zorgen voor publieke voordelen,” betoogde Bernard Mandeville in 1705 in De Fabel van de bijen. Het is de dynamiek van particuliere belangen die de welvaart van een samenleving stimuleert, meende deze Nederlandse theoreticus die Adam Smith inspireerde en voor wie « moraliteit » alleen maar lusteloosheid uitlokt en de wereld ongelukkig maakt.
Het zijn hebzucht en het voortdurende nastreven van genot, en niet het algemeen belang, die zijn uitgeroepen tot de essentiële drijfveren van de mens, volgens de filosofische school die dominant werd: het Britse empirisme, verkondigd door Locke, Hume, Smith en hun soortgenoten. De zintuigen, en niet de menselijke rede, zijn de piloot van het menselijke vliegtuig!
Menselijke basiswaarden, zoals liefde voor de medemens en « humanitaire » hulp, worden aldus beperkt tot kortstondige activiteiten. Niet van de overheid, maar van liefdadigheidsinstellingen. Voor de oligarchie blijven ze instrumenten om het juk van het criminele systeem wat draagbaarder te maken voor het te onderwerpen « menselijk vee. » Meer en meer liefdadigheidsinstellingen zijn in de handen van grote patriciërsfamilies en belangrijke NGO’s. Alhoewel hun werk vaak uiterst nuttig is, blijven zij helaas instrumenten van overheersing, een betreurenswaardige realiteit.
3. Petrarca en de “Triomf van de Dood”
Daniel Hopfer, Vrouwen kijken in de spiegel, verrast door dood en duivel, 1515. Metropolitan, New York.
Het ware christendom, net als alle grote humanistische religies, streeft er onvermoeibaar naar om degenen die hun leven in zonde verspillen ertoe te brengen deze ondeugden van zich af te schudden. Dat kan door hen te laten inzien dat hun gedrag niet alleen tragisch, maar totaal lachwaardig is in het licht van de uiterste kortstondigheid van het menselijke fysieke bestaan.
De Ridder, de Dood en de Duivel.Hiëronymus in zijn studeervertrek.Melencolia I.
De Duitse kunstenaar Albrecht Dürer, in harmonie met dit Renaissanceparadigma, maakte het tot het centrale thema van zijn drie beroemde Meisterstiche (meestergravures), die als één geheel moeten worden begrepen: De ridder, de dood en de duivel (1513); Hiëronymus in zijn studeervertrek (1514) en Melencolia I (1514). 38
Op elk van deze gravures is een zandloper afgebeeld, een metafoor voor de onstuitbare stroom van de tijd. Door de zandloper (tijd) naast een schedel (dood), een kaars die uitgaat (laatste adem), een verwelkende bloem (de leegte van de passies) enz. te plaatsen, slagen de kunstenaars erin de metafoor van de « ijdelheid » (Vanitas) voor te stellen. 39
Erasmus, die het zandloper/schedelbeeld tot zijn persoonlijk embleem maakte, voegde er het motto aan toe: Concedi Nulli (Ik wijk voor niets, de dood zal niemand sparen, rijk of arm.) In die zin was het christelijk humanisme in de Renaissance een massabeweging die beoogde mensen te onderwijzen over geestelijke « onsterfelijkheid », tegen zowel religieus bijgeloof als tegen een sluipende terugkeer naar het Grieks-Romeinse heidendom.
Illustratie van de « Triomf van de roem », over de « Triomf van de dood » in Petrarca’s I Trionfi. Bnf, Parijs.
Met deze filosofische eis treedt Erasmus hier direct in de voetsporen van Petrarca40 en diens I Trionfi (1351-1374)41, een gedichtencyclus die is opgebouwd uit zes elkaar opvolgende allegorische triomfen. De « Triomf der Liefde » wordt er overtroffen door de « Triomf der Kuisheid. » Op haar beurt wordt Kuisheid verslagen door de Dood; de Dood wordt overwonnen door Roem; Roem wordt veroverd door de Tijd; en zelfs de Tijd wordt uiteindelijk overwonnen door de Eeuwigheid en uiteindelijk staan we voor de « Triomf van God » over al deze louter aardse aangelegenheden.
Omdat de dood aan het einde van ons vluchtige fysieke bestaan zal « triomferen », is het in de pre-Renaissance visie de angst voor de dood en de vrees voor God die de mens moet helpen zich te richten op het bijdragen van iets onsterfelijks aan toekomstige generaties. Dat is veel beter dan te verdwalen in het labyrint van aardse genoegens en pijnen dat Jheronimus Bosch (1450-1516) 42 met zoveel ironie afbeeldt in zijn Tuin der Wereldse Lusten (1503-1515). 43
Leonardo da Vinci, wiens filosofisch-religieuze opvattingen door velen in het Vaticaan als ketters werden beschouwd, 44 schreef in zijn aantekeningen dat veel mannen en vrouwen, gezien hun gedrag, het prachtige lichaam dat God hen had gegeven niet eens verdienden:
“Zie, er zijn velen die zichzelf louter spijsverteringsstelsels, mestproducenten en latrine-vullers zouden kunnen noemen, want ze hebben geen andere bezigheid in deze wereld; Ze beoefenen geen enkele deugd, er blijft niets van hen over dan volle latrines [toiletten]. »45
4. De dageraad van louterendgelach
Erasmus, zelfportret?
Volgens woordenboeken spreekt men van « good laughter » wanneer we een situatie, die eerst vervelend en moeilijk blijkt, plotseling grappig vinden. Meestal is de oplossing zo eenvoudig, dat we ze niet zien! We lachen dan eigenlijk met de ironie van de situatie, met onszelf en met onze gebreken. Kortom, een goede lach is de beloning voor een authentiek creatief proces, wanneer de agonie van het uitputten van hypothesen in de zoektocht naar oplossingen, zowel voor wetenschappelijke als persoonlijke problemen, eindigt met een vreugdevol Eureka! De gure storm en de donkere wolken zijn door de creatieve winden weggeblazen en een helder licht toont ons plotseling een wijde horizon en een nieuw perspectief.
Op haar blog Angeles Earth, benadrukt de visuele kunstenares Angeles Nieto de innige verbondenheid tussen humor en creativiteit, twee basisingrediënten van de Renaissance:
« Humor volgt niet de lineaire, traditionele, gebruikelijke processen; humor stimuleert flexibel denken en creativiteit. De lach, kun je vergelijken als een schakelaar van jouw cognitieve gedachte, zodat je rationele kant op een bepaalde manier wordt verlamd. We lachen meestal als onze hersenen een verkeerd model herkennen, dat niet op zijn plaats is. Humor toont een nieuw standpunt dat de conventionele discussie ontwricht en bespot. De plotselinge mentale veranderingen die de humor veroorzaakt, zijn ook aanwezig in de creativiteit, we spelen met ideeën, op zoek naar verrassende ideeën. Humor is gebouwd op dissociatie, de mogelijkheid dat twee denkbeelden zich kruisen, zodat de tweede de betekenis van de eerste verandert. Creativiteit werkt onder dezelfde mechanismen als een grap. In beide gevallen gaat het om het verbinden van twee schijnbaar onverbonden ideeën. » 46
Erasmus gecensureerd.
Volgens christelijke humanisten kan men de mens vleugels geven door hem te bevrijden van de ondeugd die hem verlaagt.
Een middel daarvoor is hem een spiegel voor te houden, een proces inherent aan de « socratische dialoog ». Ken uzelf! Als hij de moed heeft zichzelf te zien zoals hij is, zal hij misschien zijn onwetendheid aanvaarden. Dat is een eerste vorm van het soort wijsheid dat Cusanus De docta ignorantia47 of « wetende onwetendheid » noemde.
Via zijn « vrije wilskeuze » kan ieder mens beslissen te handelen (of niet te handelen) in overeenstemming met zijn ware (goede) aard. Een totale toewijding aan het algemeen belang wordt dan een bron van immens plezier, zowel in onze persoonlijke relaties als in onze economische activiteiten. Het is dit doel, namelijk de vorming en de veredeling of verheffing van het persoonlijk karakter, dat de fundamentele doelstelling werd van zowel het christelijk als het republikeins onderwijs. Hoofden vullen met kennis en feiten, is geen doel op zichzelf. Gewetensvolle burgers met eigen kennis en oordeelsvermogen vormen is de echte uitdaging.
Maar door te beweren dat het leven van de mens volledig door God was voorbestemd, ontkende Luther het bestaan van de vrije wilskeuze en maakte hij de mens onverantwoordelijk voor zijn daden. 48
Deze opvatting was het tegenovergestelde van die van Erasmus, die de Kerk al lang vóór Luther had opgeroepen een einde te maken aan haar financiële uitbuiting van geloof, zoals de beroemde « aflaten » (indulgentia). 49
Christelijke humanisten beogen onze zielen te verheffen tot de hoogste graden van morele en intellectuele schoonheid. Ze trachten ons te bevrijden van onze overdreven gehechtheid aan aards plezier en aardse goederen – niet door doempreken, schuldgevoelens of de erg lucratieve handel van « aflaten », maar… dankzij de « louterende werking » (catharsis) van een bevrijdende lach! Keihard tegen de zonden, maar vol liefde en mededogen voor de zondaar die zich inzet voor zelfverbetering.
Oef, we kunnen ademen! Laten we even afstand nemen. Terwijl we serieus bezig zijn met onszelf te verbeteren, laat ons goedhartig lachen om onze onvolkomenheden. God heeft ons het leven gegeven en het is prachtig, zolang we maar weten hoe we het moeten benutten!
De Franse humanist, de socialist Jean Jaurès, vermoedelijk een lezer van Erasmus, zei zelfs:
« De vooruitgang van de mensheid wordt gemeten aan de toegevingen die de zotheid van de wijzen doet aan de wijsheid van de zotten. »
5. Sebastian Brant, Jheronimus Boschen Het Narrenschip
« Genre-schilderkunst », welke gewone mensen afbeeldt in hun alledaagse activiteiten, ziet de dag met Quinten Matsys (men zou eerder moeten zeggen met het Erasmiaanse paradigma dat we zojuist hebben geïdentificeerd), benadrukt Larry Silver 50, die alzo bevestigt wat Georges Marlier 51 al in 1954 had geschreven.
Enkele jaren voordat Erasmus zijn Lof der Zotheid publiceerde (geschreven in 1509 en al in 1511 in Parijs uitgegeven) 52, opende de humanistische dichter en sociaal hervormer Sebastian Brant (1558-1921) uit Straatsburg het bal van de Socratische lach met zijn Narrenschiff (Het Narrenschip, uitgegeven in 1494 in Bazel, Straatsburg, Parijs en Antwerpen) 53, een hilarisch satirisch werk geïllustreerd door Holbein de Jongere (1497-1543) en Albrecht Dürer (1471-1528), die 73 van de 105 illustraties in de oorspronkelijke uitgave verzorgde.
Het Narrenschip werd een bestseller in heel Europa. De auteur was niet zomaar een simpele satiricus, maar een érudiet humanist wiens vertaling van de gedichten van Petrarca bekend is. 54
Brant was een sleutelfiguur en vriend van Johann Froben (1460-1529) en Johann Amerbach (1441-1513), afkomstig uit Zwitserse drukkersfamilies. Zij verwelkomden later Erasmus, toen de humanist, vervolgd in Leuven en de Lage Landen, gedwongen werd in ballingschap te gaan in Bazel.
Quinten Matsys, portret van een man. Zijn broer? Zelfportret?Quinten Matsys, portret van een vrouw? Zijn zus Caterina?
Na de heiligen en de vorsten zijn het opeens gewone vrouwen, mannen en kinderen die in de werken verschijnen. Niet meer als « schenkers » die als getuigen aanwezig zijn bij een Bijbels of hemels tafereel, maar vanwege hun eigen kwaliteiten als verdienstelijke menselijke wezens.
Dürer maakte bijvoorbeeld een gravure, zij het enigszins ironisch, van « een kok en zijn vrouw ». 55 In het begin van de 15e eeuw duikt de klassieke Griekse taal terug op in West-Europa; in het begin van de 16de eeuw is het « de man van de straat » die opduikt in kunstwerken.
Met de opkomst van de kleine man, de ambachten en de burgerij verandert fundamenteel de klantenkring van de schilders. De opdrachten komen minder van religieuze orden en rijke kardinalen, meer van welvarende handelaars, burgers, gilden, gemeentes, steden, corporaties, broederschappen en ambachten die hun kapellen en huizen willen verfraaien en hun portretten aan vrienden willen schenken.
De uitbreiding van de Antwerpse markt, waarbij schilderkunst een luxeproduct voor de middenklasse werd, is een goed gedocumenteerd fenomeen. Onderzoek heeft de bewering van Lodovico Guicciardini (1521-1589) 56 bevestigd dat er in de jaren 1560 minstens 300 schilderateliers actief waren in Antwerpen.
Het Narrenschip van Brant was een mijlpaal en een keerpunt, het begin van een nieuw paradigma, van creativiteit, rede en opvoeding door middel van een oprechte, louterende en bevrijdende lach, waarvan de echo nog zeer luid zal weerklinken tot aan de dood van Pieter Bruegel de Oude in 1569. 57
Deze dynamiek kwam in gevaar toen Karel V in 1521 de Inquisitie nieuw leven inblies. Hij voerde de « plakkaten » in om zijn gezag en dat van de kerk te vrijwaren. Dat waren decreten die iedere burger die de Bijbel durfde te lezen en er commentaar op uitbracht, met de dood bestraften.
Het Narrenschip bestaat uit 113 delen. Elk deel, met uitzondering van een korte inleiding en twee afsluitende delen, handelt onafhankelijk van elkaar over een bepaalde klasse zotten, imbecielen of wrede mensen. Slechts af en toe wordt herinnerd aan het basisidee van het schip.
Geen enkele zotheid van de eeuw wordt vergeten. De auteur valt met nobele ijver de fouten en de buitensporigheden van de mens aan.
Het boek begint met de veroordeling van de allergrootste dwaas, degene die weigert de prachtige boeken te lezen die in zijn kas staan. Hij wil zijn hersenpan niet overladen met wijsheid. « Ik heb alles verkregen, » zegt de nar, « van een groot heer die de vermoeidheid van hen die in zijn plaats leren, in baar geld kan betalen. » 58
De derde zotheid (van de 113), die zich aansluit bij de eerste, is hebzucht en gierigheid:
« Het is absurde zotheid om rijkdommen te hamsteren en niet te genieten van de ware vreugde van het leven, de waanzin van de zot die niet weet, wie het goud dat hij opzij heeft gelegd, zal gebruiken op de dag dat hij in het graf zal afdalen. » 59
De houten panelen van deze drie schilderijen komen van dezelfde boom, zegt de Duitse specialist Peter Klein.
Deze visie is ook het thema van een drieluik van Jheronimus Bosch dat gedeeltelijk verloren is gegaan. Recentelijk onderzoek heeft aangetoond dat het huidige schilderij van Bosch, Het Narrenschip (Louvre, Parijs), dat mogelijk zelfs werd geschilderd voordat Brant 60 zijn satire schreef, mogelijkerwijs het linkerpaneel is van een drieluik waarvan het rechterpaneel De dood van de vrek (National Gallery, Washington) was. 61
Het interessante aan dit laatste paneel is dat niets fataal is! Zelfs de gierigaard kan tot zijn laatste ademtocht kiezen tussen het opslaan van zijn ogen naar Christus of het neerslaan van zijn ogen naar de duivel!
Dat de mens eeuwig vervolmaakbaar is en dat zijn lot ook afhangt van zijn persoonlijke, vrije wilskeuze, vormde de kern van de leer van de Zusters en Broeders des Gemene Leven, 62 een lekenbeweging van christelijke devotie waarmee Bosch, zonder er lid van te zijn, belangrijke affiniteiten had. Tot op heden blijft her raden naar het onderwerp et de titel van het middenpaneel. Voor het gesloten retabel, denkt men aan een afbeelding van een marskramer die wegloopt van slechte oorden.
Dat is reeds het thema van de buitenpanelen van Boschs drieluik De Hooiwagen. Op het centrale middenpaneel van dit werk ziet men koningen, prinsen en pausen die een kar achtervolgen die geladen is met een gigantische berg hooi (een metafoor voor geld) en door duivels naar de hel worden getrokken.
Het thema van de rondtrekkende marskramer 63 was zeer populair bij de Broeders van het Gemene Leven en de Devotio Moderna. 64 Voor hen, net als voor Augustinus, wordt de mens voortdurend geconfronteerd met een existentiële keuze. Hij bevindt zich voortdurend voor een tweesprong (het bivium). Ofwel kiest hij het moeilijke, rotsige pad dat naar boven loopt en hem dichter bij God brengt, ofwel kiest hij de gemakkelijke weg die naar beneden loopt naar aardse hartstochten, genegenheden, zonde en ondeugd.
Augustinus en later Dionysius de Kartuizer(1403-1471) verwierpen niet de schoonheid van mens en natuur. Ze waarschuwden wel dat we ervan moeten genieten als « een voorproef van de goddelijke wijsheid ». 65
De « marskramer » van Bosch en Patinir is daarom een metafoor voor de mens, die zich permanent onthecht en verder zoekt naar het juiste pad. Bosch schilderde verdwaasde mannen en vrouwen als hersenloze dieren die zich passioneel trachten te verzadigen met kleine vruchtjes zoals kersen, aardbeien en bessen, metaforen voor geld en aardse genoegens. Het bekomen plezier was intens, maar zo vluchtig en onvoldoende, dat men alleen maar dacht, bijna als drugverslaafden, deze ervaring zo snel mogelijk te hernieuwen. Alzo werd de ganse levensloop niets anders dan een permanente wedloop naar plezier dat nooit eindigde in waar geluk.
Hans Holbein de Jongere, illustratie bij Erasmus’ Lof der Zotheid: de Homo Viator, die altijd van de ene naar de andere plaats gaat.
De marskramer gaat « op een slof en een schoen », dat wil zeggen dat hij zijn huis verlaat en de geschapen wereld van zonde (we zien een bordeel, dronkaards, enz.) en alle materiële goederen achter zich laat.
Met zijn « stok » (symbool van geloof) weet hij de « helse honden » (het kwaad) af te weren die hem in de kuiten bijten en hem trachten te weerhouden.
Een illustratie uit een Engels psalmenboek uit de 14e eeuw, het Luttrell Psalter, toont precies dezelfde allegorische voorstelling.
Deze metaforische beelden zijn dus niet het resultaat van een « zieke geest » of een losbandige verbeelding van Jheronimus Bosch, maar citaten van een gemeenschappelijke beeldentaal die we al aantreffen in de marges van verluchte boeken, maar die met Bosch een eigen leven kregen en op de voorgrond kwamen.
Hetzelfde thema, dat van de Homo Viator, de mens die zich onthecht van aardse goederen, komt ook steeds terug in de kunst en literatuur van deze periode, met name sinds de Nederlandse vertaling van De pelgrimstocht van de menselijke ziel, geschreven in 1358 door de Normandische cisterciënzer monnik Guillaume de Degulleville (1295-na 1358).
Christus verandert ons in pelgrims over de hele wereld. Samen met Hem doorkruisen wij de « aardse stad » met als enig doel de « hemelse stad. » Niet langer alleen homo sapiens, maar homo viator, een man op weg naar de hemel.
Hoewel de drie overgebleven delen van Bosch’ drieluik (Het Narrenschip, De dood van de Vrek en De Marskramer) op het eerste gezicht totaal los van elkaar lijken te staan, wordt hun samenhang duidelijk zodra de toeschouwer dit overkoepelende concept identificeert. 66
Voor een hedendaagse kunstenaar, met talent, techniek, humor, ironie en verbeelding, zou het wel eens leuk zijn om het verloren middenpaneel te trachten te schilderen op een passende manier. Het thema is mijns inziens noodzakelijkerwijs de val van de mens die zich niet kan onthechten van aardse goederen, de weg die de toeschouwer leidt van het Narrenschip naar De dood van de vrek.
6. Rederijkers en Landjuweel
De lach van sommigen maakt niet iedereen blij. Spitsige humor en ironie ondermijnen het onrechtmatig gezag van keizers, pausen, bankiers, hertogen en tirannen. Ironie, satire en humor zijn inderdaad de machtigste politieke wapens ooit bedacht. Vervolging, censuur, intimidatie, terreur en bestraffing moeten gedaan maken met humor en ironie.
Ommegang in Antwerpen, schilderij van Erasmus de Bie, museum van Cassel, Frankrijk.
De golf van culturele emancipatie in de Lage Landen, waar Erasmus en Matsys zelf deel van uitmaakten met hun eigen bijdragen, bereikte een hoogtepunt in de tweede helft van de 16de eeuw en lokte een brutale reactie uit.
Het « begin van het einde » van de Spaanse bezetting in de Lage Landen, aldus de historici, kondigde zich aan toen het Landjuweel 67 werd beknot. Al in de 13de en 14de eeuw waren Landjuwelen wedstrijden in de dichtkunst tussen schuttersgilden in het hertogdom Brabant. In de 15de en de 16de eeuw organiseerden de Rederijkers naar dit voorbeeld wedstrijden tussen de kamers.
Elke wedstrijd werd georganiseerd rond een centrale filosofische vraag, een zinne, bijvoorbeeld: “Wat de mens het meest tot de kunst aanzet » (Antwerpen, 1561) of « “wat de mens in het uur van zijn dood de meeste troost biedt” (Gent, 1539). De kamers moesten dan met een toneelstuk, een spel van zinne (waarbij de zinne de gestelde vraag is) een antwoord geven.
Andere wedstrijdcategorieën waren de vermakelijke, kluchtige toneelstukken, esbattementen, liederen en het rebusblazoen. Dat was een soort wapenschild met daarop een rebus. De oplossing van die rebus was een spreuk of een leus.
De louterende werking van catharsis (zuivering) in komedie en satire is algemeen bekend. Geconfronteerd met de angsten van het dagelijks leven of politieke onderdrukking, zorgt humor voor een onmiddellijke emotionele ontlading, terwijl het tegelijkertijd een kritische afstand biedt die zelfverbetering mogelijk maakt.
Louterend lachen, spot en satire werken bevrijdend, hoewel het gevaar bestaat dat ze ons demobiliseren als ze niet worden gevolgd door een oproep tot actie.
Relaas over het Landjuweel van 1561 in Antwerpen. Waar het licht (Lux) schijnt, is er Vrede (Pax), Naastenliefde (Charitas) et Rede (Ratio). Dankzij gematigdheid (Prudentia), Dichtkunst (Rhetorica) en Vindingrijkheid (Inventio), verjagen ze Toorn (Ira), Nijd (Invidia) en Verdeeldheid (Discordia) over de kloof in de Duisternis (Tenebrae). In het midden, de stier (van de Sint-Lukasgilde) met het epigram « Wt ionsten Versaemt » (Uit genegenheid [voor de kunst] samengekomen).
Een absoluut hoogtepunt van volkscultuur in de Lage Landen was het schitterende Landjuweel van 1561 in Antwerpen, op touw gezet door de Antwerpse rederijkerskamer De Violieren. Deze kamer was in feite niets anders dan de letterkundige afdeling van het Sint-Lucasgilde, dat wil zeggen het schildersgilde waarvan Matsys, Patinir, David en andere vrienden van Erasmus leden waren. 68
Veertien kamers van Brabant namen deel. Zo’n 1400 rederijkers te paard, in feestelijk kostuum, met muziek en zang, deden hun intrede in de stad. In de stoet reden 23 praalwagens en 200 andere rijtuigen.
Toneel, dichtkunst, muziek en schilderkunst hadden eenzelfde beeldentaal. Een van deze « punten » (sierlijk opgetuigde praalwagens met allegorisch-moralizerende voorstellingen) gedurende de Onze-Lieve-Vrouwe-ommegang van Antwerpen in 1563 werd omschreven als het soort hooiwagen dat Bosch centraal stelde in zijn schilderij De Hooiwagen (1501, Madrid), een allegorie voor het ziekelijk streven naar « aards gewin » :
« Eene Hoywaghen daer op sittende eene Sater, ghenaempt Bedrieghelijck aen locken, achter volghende alle Natie van volck, treckende aen het Hoy, als Woekeners, Cassiers, Creemers &c. midts dat ertsch ghewin al hoy is »
(Een hooiwagen met daarop een sater met de naam « de Bedrieglijke Verleiding » en daarachter allerlei soorten volk, zoals woekeraars, bankiers en marskramers, die aan het hooi trekken, terwijl aards gewin allemaal hooi is). 69
Frans Hogenberg (?) De hooiwagen, ets uitgegeven door Bartholomeus de Mompere, Koninklijke bibliotheek, Brussel.
Hetzelfde thema staat ook centraal in een gravure van Frans Hogenberg van 1559. Op deze prent is het volk rondom de hooiwagen in groepjes verdeeld en voorzien van bijschriften. Zo staat bij een van deze groepjes te lezen:
« Geestelyck weerlijck het sij in wat staten Vint men ghebreck tot allen stonden Daer om doeghet goet en willet quaet laten Want anders (Ilaes) eest al hoy bevonden. »
(Geestelijke en wereldlijke personen van alle rangen blijken voortdurend gebreken te vertonen. Doe daarom het goede en vermijd het kwaad. Want anders zal het (helaas) allemaal hooi blijken te zijn). 70
Podium voor de toneelstukken gedurende het Landjuweel van 1561 in Antwerpen.
De toneelvoorstellingen vinden plaats op een fraai versierd houten podium op de Grote Markt, voor de werf van het nieuwe stadhuis. Het is ontworpen door Cornelis II Florisde Vriendt (1514-1575). De inleidende spelen zijn geschreven door de « factor » van de Violieren, Willem van Haecht(c. 1530-1585).
Het spel van zinnen moet een antwoord geven op de vraag “wat de mens het meest tot de kunst aanzet”. Twee honderd jaar voor Immanuel Kant en Friedrich Schiller, beschouwde men de opwaardering van kunst als belangrijk instrument voor humanisering en politieke ontvoogding.
Het Landjuweel en de Ommegang waren volksfeesten waar « alles mocht », waar de « kleine man » met satires, vermommingen en spotliederen de verdrukker mocht beschimpen en voor de zot houden en alzo, al was het voor een héél kort moment, het juk van Spanje wat draagbaarder werd.
De meeste allegorische toneelstukken die werden opgevoerd, waren bijtende satires tegen de paus, monniken, aflaten, pelgrimstochten, enzovoort.
Zodra ze verschenen, werden ze verboden, en het was niet zonder reden dat het landjuweel van 1561 later werd aangehaald als het eerste (en het laatste) dat de literaire wereld ophitste ten gunste van de protestantse reformatie. Omdat deze werken verre van gunstig waren voor het Spaanse regime, beval de hertog van Alba hun afschaffing door de Index van 1571 en later verbood de regering zelfs theatervoorstellingen van retorische genootschappen.
B. Quinten Matsys, biografische elementen
Nu we vertrouwd zijn met de belangrijkste filosofische en culturele problematiek van zijn tijd, kunnen we met een gerust hart het leven 71 van Matsys en enkele van zijn werken onderzoeken.
1. Van smid tot schilder
Quinten Matsys, penning met zelfportret.
Volgens de Historiae Lovaniensium van Joannes Molanus (1533-1585) werd Matsys geboren in Leuven tussen 4 april en 10 september 1466, als een van de vier kinderen van Joost Matsys (overleden 1483) en Catherine van Kincken.
De meeste verslagen over zijn leven vervlechten feiten en fabels. 72 De archieven zijn gierig aan sporen van zijn activiteiten of karakter.
In Leuven zou Quinten bescheiden zijn begonnen als kunstsmid. Volgens de legende werd hij verliefd op een mooi meisje, dat ook het hof werd gemaakt door een schilder. Het meisje gaf de voorkeur aan schilders boven smeden. Quinten zou het aambeeld al snel hebben ingeruild voor het penseel, aldus de legende.
De kroniekschrijver Karel Van Mander geeft een ander verhaal. Hij schreef in 1604 dat Quinten, die al sinds zijn twintigste jaar zwak en ziek was, in werkelijkheid « niet in staat was zijn brood te verdienen » als kunstsmid. Van Mander herinnert zich dat, op het moment van de feestvieringen van Vastenavond (Mardi Gras),
« De broeders die voor de zieken zorgden, gingen door de stad met grote, gesneden en beschilderde houten beelden en deelden gegraveerde en gekleurde afbeeldingen van heiligen uit aan de kinderen; Ze hadden er dus heel veel nodig. Toen een van de collega’s Quinten bezocht, vroeg hij aan hem deze afbeeldingen in te kleuren. Uiteindelijk probeerde Quinten zelf afbeeldingen te maken. Vanaf dit kleine begin kwam zijn voorkeur tot uiting en vanaf dat moment stortte hij zich met groot enthousiasme op het schilderen. In korte tijd boekte hij buitengewone vooruitgang en werd hij een volleerd meester. » 73
Karel Vereycken, Antwerpen. Ets op zink. Terwijl de reus Antigoon de haven bedreigt.
In Antwerpen, voor de Onze-Lieve-Vrouwekathedraal, op de Handschoenmarkt, kan men nog steeds de « putkevie » (versierd smeedijzeren hek op een waterput) vinden. Deze zou door Quinten Matsys zelf zijn gemaakt en stelt de legende van Silvius Brabo en Druon Antigoon voor. Dit zijn respectievelijk de namen van een mythische Romeinse officier die Antwerpen bevrijdde van de onderdrukking door een reus genaamd Antigoon. De reus Antigoon schaadde de handel in de stad door de toegang tot de rivier te blokkeren. Brabo kapte Antigoons hand af en wierp het in de Schelde.
Het opschrift op de waterput luidt: “Dese putkevie werd gesmeed door Quinten Matsijs. De liefde maeckte van den smidt eenen schilder.”
De archieven betreffende de bezittingen van Joost Matsys, de vader van Quinten, die smid en klokkenmaker was in de stad, tonen aan dat het gezin over een behoorlijk inkomen beschikte en dat financiële noodzaak niet de meest waarschijnlijke reden was waarom Matsys zich tot het schilderen wendde.
In 1897 schreef Edward van Even74, zonder enig bewijs te leveren, dat Matsys ook muziek componeerde, gedichten schreef en gravures maakte.
Quinten Matsys, Maria met Kind op de troon met vier engelen, 1505, National Gallery, Londen.
Hoewel er geen bewijs is van een opleiding die Quinten Metsys heeft gehad vóór zijn inschrijving als vrij meester bij het Antwerpse schildersgilde in 1491, doen de bouwplannen van zijn broer Joos Matsys II in Leuven en de activiteiten van hun vader vermoeden dat de jonge kunstenaar binnen eigen familie leerde tekenen en zijn ideeën op papier zetten. Deze zou hem ook voor het eerst in aanraking hebben gebracht met architecturale vormen 75 en hun creatief gebruik.
Vooral uit zijn vroege werken blijkt duidelijk dat hij is opgeleid als bouwkundig tekenaar. Op zijn schilderij Madonna en kind op troon met vier engelen (1505, National Gallery, Londen) zitten de goddelijke figuren op een vergulde troon, waarvan de gotische omkadering lijkt op die van het raam op de tekening op perkament en het kalkstenen model van het Sint-Pietersproject, waaraan zijn broer ongeveer in dezelfde tijd heeft gewerkt.
Quinten Matsys, bronzen medaille met de beeltenis van Erasmus.
Wat wel zeker is, is dat de kunstenaar prachtige bronzen medaillons heeft gemaakt waarop Erasmus, zijn zus Catarina en hijzelf zijn afgebeeld.
Rond 1492 trouwde onze schilder met Alyt van Tuylt die hem drie kinderen gaf: twee zonen, Quinten en Pawel, en een dochter, Katelijne. Alyt stierf in 1507 en Quinten hertrouwde een jaar later.
Nadien, met zijn nieuwe vrouw Catherina Heyns kreeg hij nog tien kinderen, vijf zonen en vijf dochters.
Kort na de dood van hun vader werden twee van zijn zonen, Jan (1509-1575) en Cornelis (1510-1556) 76 op hun beurt schilder en lid van het Antwerpse Gilde.
2. Het Hertogdom Brabant
Leuven, Stadhuis en Sint-Pieterskerk (rechts).
Leuven was destijds de hoofdstad van het hertogdom Brabant, dat zich uitstrekte van Luttre, ten zuiden van Nijvel, tot ‘s-Hertogenbosch (het huidige Nederland). Tot deze regio behoorden de steden Aalst, Antwerpen, Mechelen, Brussel en Leuven, waar in 1425 een van de eerste universiteiten van Europa werd gesticht. Vijf jaar later, in 1430, erfde Filips de Goede van Bourgondië samen met de hertogdommen Neder-Lotharingen en Limburg, Brabant, dat deel uitmaakte van de Bourgondische Nederlanden. 77
In 1477, toen Matsys ongeveer 11 jaar oud was, viel het hertogdom Brabant onder Habsburgse heerschappij als deel van de bruidsschat van Maria van Bourgondië toen ze trouwde met Maximiliaan van Oostenrijk.
De latere geschiedenis van Brabant maakt deel uit van de geschiedenis van de Habsburgse « Zeventien Provinciën », die steeds meer onder controle kwamen van Augsburgse bankiersfamilies zoals de Fuggers 78 en de Welsers.
Jacob Fugger de Oude.Gevelplaat in Augsburg: « Hier begon de eerste Duitse koloniale onderneming ».Bartolomeus Welser.
Als het tijdperk van Erasmus en Matsys een voorspoedige periode van de « Noordelijke Renaissance » was, dan werd het ook gekenmerkt door steeds grotere inspanningen van bankiersfamilies om het pausschap te « kopen » om zo de wereld te kunnen domineren.
De geopolitieke verdeling van de hele wereld (en haar grondstoffen) tussen het Spaanse Rijk (geregeerd door Venetiaanse bankiers) en het Portugese Rijk (onder leiding van Genuese bankiers) werd bezegeld door het Verdrag van Tordesillas, een akkoord dat in 1494 in het Vaticaan werd bekrachtigd door paus Alexander VI Borgia. Dit verdrag opende de deur voor de koloniale onderwerping van vele volkeren en landen, allemaal in naam van een zeer twijfelachtig gevoel van culturele en religieuze superioriteit.
Na herhaaldelijke staatsbankroeten werden de bewoners van de Lage Landen het doelwit van brutale economische en financiële plundering. De Fuggers leenden heel veel geld, zowel aan de keizer als de paus. Maar om nieuwe financieringen te verkrijgen, moesten de oudere worden terugbetaald. Door Luther, die steeds meer pleitte voor een breuk met Rome, overmatig te demoniseren, ontweek de heersende macht de prangende vragen die Erasmus en Thomas More stelden. Zij eisten dringende hervormingen om misbruik en corruptie binnen de katholieke kerk en de staat uit te roeien.
Het is niet ondenkbaar dat de abrupte weigering van paus Clemens VII om de eisen van Hendrik VIII voor een echtscheiding te honoreren, deel uitmaakte van een algehele strategie om het hele Europese continent in godsdienstoorlogen te storten, waaraan pas in 1648 een einde kwam met de Vrede van Westfalen ook wel Vrede van Münster genoemd.
3. Formatie: Memling, Bouts of Van der Goes?
De vroege, grote drieluiken die Matsys schilderde, leverden hem veel lof. Historici beschrijven hem als « een van de laatste Vlaamse primitieven ». Maar dat was in die tijd eigenlijk een spotnaam, gebruikt door Michelangelo79 om alle niet-Italiaanse kunst, die hij als « gotisch » (barbaars) of « primitief » beschouwde, in wezen in diskrediet te brengen in vergelijking met de Italiaanse kunst die de ware antieke stijl imiteerde.
Omdat Matsys in Leuven werd geboren, is gesuggereerd dat hij zijn opleiding heeft genoten bij Aelbrecht Bouts (1452-1549), de zoon van de destijds dominante schilder in Leuven, Dieric Bouts de Oude (ca. 1415-1475). 80
In 1476, een jaar na de dood van zijn vader, zou Aelbrecht Leuven hebben verlaten om zijn opleiding te vervolgen bij een meester buiten de stad, hoogstwaarschijnlijk Hugo van der Goes (1440-1482), 81 wiens invloed op Aelbrecht Bouts, maar ook op Quinten Matsys, aannemelijk lijkt.
Van der Goes, die in 1474 deken werd van het schildersgilde van Gent en in 1482 overleed in het Rood Klooster bij Brussel, was een vurig aanhanger van de Broeders van het Gemene Leven en hun principes. 82
Als jonge assistent van Aelbrecht Bouts, zelf een leerling van Van der Goes, had Matsys de bakermat van het christelijk humanisme kunnen ontdekken.
Het bekendste werk van Van der Goes is het Portinari-drieluik (Uffizi, Florence), een altaarstuk dat Tommaso Portinari, hoofd van het Brugse filiaal van de Medici-bank, in opdracht van de kerk van Sant’Egidio in het ziekenhuis Santa Maria Nuova in Florence maakte.
De ruwe trekken van de drie herders (die elk een van de door de Broeders des Gemene Levens voorgeschreven stadia van spirituele verheffing uitdrukten 83) in de compositie van Van der Goes maakten diepe indruk op de schilders die in Florence werkten.
Quinten Matsys, Portret van Jacob Obrecht, 1496.
Matsys wordt ook beschouwd als een mogelijke leerling van Hans Memling (1430-1494), zelf een leerling was van Van der Weyden(1400-1464) 84 en een vooraanstaand schilder in Brugge.
De stijl van Memling en die van Matsys lijken zo veel op elkaar dat het moeilijk is om ze te onderscheiden.
Terwijl de Vlaamse kunsthistoricus Dirk de Vos in zijn catalogus van het werk van Hans Memling uit 1994 het portret van de musicus en componist Jacob Obrecht 85 (1496, Kimbell Art Museum, Fort Worth) beschreef als een zeer laat werk van Hans Memling, konden hedendaagse experts, waaronder Larry Silver86, in 2018 vaststellen dat het veel waarschijnlijker is dat het portret het vroegst bekende werk van Quinten Matsys is.
Obrecht, die een grote invloed had op de Vlaamse polyfone (meerstemmige) en contrapuntische muziek uit de Renaissance, werd in 1492 benoemd tot koorleider van de Onze-Lieve-Vrouwekathedraal in Antwerpen. Rond 1476 was Erasmus toevallig een van Obrechts koorknapen.
Obrecht bezocht Italië minstens twee keer, in 1487 op uitnodiging van hertog Ercole d’Este I van Ferrara 87 en nadien, in 1504. Ercole had Obrechts muziek gehoord, waarvan bekend is dat deze tussen 1484 en 1487 in Italië circuleerde, en had verklaard dat hij deze meer waardeerde dan de muziek van alle andere componisten van zijn tijd; Daarom nodigde hij Obrecht uit. De componist overleed later in Italië aan de pest.
Al in de jaren 1460 reisde Erasmus’ leraar in Deventer, de componist en organist Rudolph Agricola(1443-1483), 88 naar Italië. Nadat hij burgerlijk recht had gestudeerd in Pavia en lessen had gevolgd bij de Italiaanse pedagoog Battista Guarino(1434-1505), vertrok hij naar Ferrara, waar hij een protegé werd van het hof van Este.
Isabella d’Este, tekening van Leonardo da Vinci, Louvre, Parijs.De Mona Lisa, Leonardo da Vinci, Louvre, Parijs.
Rond 1499 maakte Leonardo een tekening van Ercole’s dochter, Isabella d’Este. Op de basis van die tekening, denken sommigen dat zij dezelfde persoon is als de Mona Lisa.
4. Debuten in Antwerpen en in het buitenland
Matsys werd in 1491 in Leuven ingeschreven, maar werd datzelfde jaar ook als meester-schilder toegelaten tot het Sint-Lucasgilde van Antwerpen. Op vijfentwintigjarige leeftijd besloot hij zich in de havenstad te vestigen. Hij schilderde er, zoals gezegd, in 1496 de kapelmeester Jacob Obrecht, zijn eerste bekende werk, en verschillende devotionele schilderijen met als onderwerp de Maagd Maria en het Kind.
Omdat de Liggeren (registers van de schildersgilden) geen informatie bevatten over Matsys’ activiteiten in de Lage Landen over een periode van meerdere jaren, is het verleidelijk om te veronderstellen dat Matsys een reis ondernam naar Italië. 89
Daar had hij grote meesters kunnen ontmoeten. Da Vinci woonde tussen 1482 en 1499 in Milaan en keerde daar in 1506 terug. Het is in Milaan waar Da Vinci zijn leerling Francesco Melzi (1491-1567) ontmoette, die hem vervolgens naar Frankrijk vergezelde. Matsys kan ook Colmar of Straatsburg hebben bezocht, steden die ook bezocht werden door Albrecht Dürer, een kunstenaar met wie hij blijkbaar vertrouwd was voor zijn komst in 1520 in onze gewesten.
Voor de Belgische kunsthistoricus Dirk de Vos (1943-2024), oud-conservator van het Groeningemuseum, was een reis naar Italië niet alleen mogelijk maar hoogstwaarschijnlijk:
« De vroege en de volwassen stijlen van Metsys contrasteren zo sterk dat we het verschil alleen kunnen verklaren door een beroep te doen op de hypothese van het ijverig bezoeken van de werken van de Italiaanse Renaissance, en meer bepaald die van Leonardo da Vinci en zijn discipelen uit de late 15e eeuw. We zien namelijk dat Metsys directe ontleningen aan Leonardo da Vinci heeft gedaan, zozeer zelfs dat een andere inspiratiebron uitgesloten lijkt. Hoewel er geen tastbaar bewijs is van een reis naar Italië, vertoont Metsys’ aanwezigheid in Antwerpen toch hiaten in de continuïteit die verenigbaar zijn met een langdurige afwezigheid, bijvoorbeeld tussen 1491 en 1507. Een reis naar Italië is dus helemaal niet onwaarschijnlijk. » 90
Dürer werd door zijn ouders naar Colmar in de Elzas gestuurd om daar een opleiding in de graveerkunst te volgen bij Martin Schongauer (1450-1491), veruit de meest bekwame graveur van zijn tijd. 91
Maar toen Dürer in de zomer van 1492 in Colmar aankwam, was Schongauer al overleden. Vanuit Colmar vertrok de kunstenaar naar Bazel, waar hij houtsneden maakte om boeken te illustreren en de indrukwekkende gravures van Jacob Burgkmair (1473-1531) en Hans Holbein de Oude (1460-1524) ontdekte. 92
Vervolgens ging hij naar Straatsburg, waar hij de hierboven genoemde erudiete dichter en humanist Sebastian Brant ontmoette en een portret van hem tekende.
C. Geselecteerde werken
1. De Maagd en het Kind, goddelijke genade en vrije wilskeuze
Quinten Matsys, Maagd en Kind, Brussel.Quinten Matsys, Maria met Kind, Rotterdam.
In 1495 schilderde Matsys Maria met Kind (Brussel). Hoewel het werk nog steeds zeer normatief is, verrijkt Matsys de devotionele beeldentaal met minder formele scènes uit het dagelijks leven. Het Kind, dat op speelse wijze nieuwe natuurkundige principes verkent, probeert onhandig de bladzijden van een boek om te slaan, terwijl een zeer ernstige Maagd Maria in een nis in gotische stijl zit, die ongetwijfeld is gekozen om aan te sluiten bij de architectuur en stijl van de zaal of kapel waar het schilderij geplaatst moest worden.
In een andere Maria met Kind (Rotterdam) gaat Matsys nog verder in deze richting. Men ziet er een zorgzame en gelukkige jonge moeder met een speels kind, zoon van God, maar ook zoon van de Mens. In een opstelling vlakbij de toeschouwer bemerkt men een brood en een kom melksoep met een lepel. Dit is ongetwijfeld een alledaags tafereel voor de meeste mensen van die tijd. God is niet alleen aanwezig in de kerk, maar in ons dagelijks bestaan.
Gérard David, Maagd met Kind en melksoep, 1520, Brussel.
In zijn Madonna met kind en melksoep (Brussel), dat Matsys’ vriend Gerard David (1460-1523) schilderde in 1520, toont hij met grote tederheid een jonge moeder die haar kind aanleert dat de achterkant van een lepel niet de beste manier is om de soep vanuit de kom in de mond te brengen!
Veel schilderijen over dit thema, zowel van Quinten Matsys (Maria met Kind, Louvre, 1529, Parijs) als van Gerard David (Rust tijdens de vlucht naar Egypte, National Gallery, Washington), tonen een kind dat met enorme inspanning doet om enkele druiven, kersen of ander fruit te bemachtigen.
Gerard David, Rust tijdens de vlucht naar Egypte, Gerard David, Washington.Quinten Matsys, Maria met Kind, Parijs.Quinten Matsys, Maria met Kind, Amsterdam.
In 1534 gebruikt Erasmus in zijn De libero arbitrio sive collatio (Gesprek of verzameling uitspraken over de vrije wilskeuze) dezelfde metafoor voor het fragiele evenwicht dat centraal staat in de verhouding tussen de vrije wil (die, los van een hoger doel, op zichzelf pure arrogantie kan worden) en de goddelijke genade (die als loutere voorbestemming kan worden geïnterpreteerd).
Om dit onderwerp, dat men zou denken dat alleen voor theologen is bestemd, voor zoveel mogelijk mensen toegankelijk te maken, gebruikt Erasmus een heel eenvoudige metafoor, vol tederheid en schoonheid:
Jan Matsys, Maria met kind, 1537, Metropolitan, New York.
“Een vader heeft een kind dat nog niet kan lopen; het valt; de vader tilt het op terwijl het kind haastige bewegingen maakt en moeite heeft om zijn evenwicht te bewaren; hij laat hem een vrucht zien die voor hem staat; het kind probeert het vast te pakken, maar door de zwakte van zijn ledematen zal het snel vallen als de vader zijn hand niet uitstrekt om het kind te ondersteunen en te begeleiden.
« Zo komt het kind, onder leiding van zijn vader, bij de vrucht die de vader bereidwillig in zijn handen legt als beloning voor zijn inspanning. Het kind zou nooit zijn opgestaan als de vader hem niet had opgetild; hij zou de vrucht nooit hebben gezien als de vader hem die niet had laten zien; hij had niet vooruit kunnen komen als zijn vader zijn zwakke stappen niet had gesteund; en hij zou de vrucht nooit hebben kunnen bereiken als zijn vader hem die niet in handen had gegeven.
« Wat zal het kind in dit geval als zijn eigen daden bestempelen? We kunnen niet zeggen dat hij niets gedaan heeft. Maar er is geen reden om zijn kracht te verheerlijken, aangezien hij alles wat hij is, aan zijn vader te danken heeft. » 93
Kortom, de vrije wilskeuze van de mens, welke Erasmus verdedigt, is essentieel, maar zonder God gaat de mens niet ver.
2. Altaarstuk van Sint-Anna
De op het paneel geschilderde « portiek » (in twee dimensies) lijkt één geheel te hebben gevormd met de oorspronkelijke driedimensionale kader, die inmiddels verloren is gegaan.
Quinten Matsys, Broederschap van Sint-Anna (Brussel)
In Antwerpen beleefde Matsys’ activiteit een grote doorbraak met de eerste grote publieke bestellingen voor twee grote drieluik-altaarstukken:
Het Drieluik van de Broederschap van Sint-Anna (1507-1509, Museum van Brussel), gesigneerd “Quinten Metsys screef dit”;
Het Altaarstuk van het schrijnwerkersambacht (ook wel Nood Gods of Bewening van Christus genoemd, naam van het middenpaneel) (1507-1508, Museum van Antwerpen), geschilderd voor de kapel van het timmermansgilde in de kathedraal van Antwerpen, een werk dat grotendeels is geïnspireerd op de Kruisafname van Rogier Van der Weyden (Prado, Madrid). Johannes de Doper en Johannes de Evangelist, die verschijnen wanneer het drieluik gesloten is, zijn de patroonheiligen van de kerk.
Sint-Anna drieluik
Het thema en de iconografie van het Sint-Anna-drieluik werden, zoals gebruikelijk, volledig aan de schilder gedicteerd door de broederschap van Sint-Anna van Leuven, die hem deze opdracht gaf voor hun kapel in de Sint-Pieterskerk in dezelfde stad.
Het middenpaneel toont het verhaal van de familie van Sint-Anna, in een monumentaal gebouw met een afgeknotte koepel en een marmeren booggewelf die een breed uitzicht bieden op een bergachtig landschap. Het altaarstuk vertelt in vijf scènes het leven van Anna, de moeder van Maria, en haar man Joachim. Op het middenpaneel zijn de verschillende familieleden van de heilige afgebeeld.
De belangrijkste gebeurtenis in het leven van Anna en haar man Joachim, namelijk dat zij de ouders zouden worden van de Maagd Maria, terwijl zij zelf dachten dat zij geen kinderen konden krijgen, wordt afgebeeld op het linker- en rechterpaneel van het drieluik.
De kuise kus
De « onbevlekte ontvangenis » van Sint-Anna, moeder van Maria, uitgebeeld door de afbeelding van een « kuise kus » tussen de twee echtelieden (Anna en Joachim) voor de Gouden Poort van de muur van Jeruzalem, is een immens populair onderwerp in de geschiedenis van de schilderkunst, van Giotto tot Dürer.
Kuise ontmoeting tussen Anna en Joachim bij de Gouden Poort van Jeruzalem.Giotto-versie.Dieric Bouts, Maagd en Kind.
Daarom werd het al snel getransformeerd naar de « onbevlekte ontvangenis » van Christus zelf. Vandaar dat er plotseling schilderijen verschenen waarop Maria « kuis » (maar toch op de lippen) haar kindje Jezus kuste.
De altaarstukkencyclus eindigt met de dood van Anna, die op het rechterbinnenpaneel is afgebeeld, omringd door haar kinderen en waar Christus zijn zegen geeft.
Ondanks de indrukwekkende omvang van dit werk en de conventionele verhaallijn, slaagt Matsys erin een vrijer en intiemer gevoel van contemplatie te creëren. Een voorbeeld hiervan is het neefje van Jezus in de linkerhoek, die plezier heeft in het verzamelen van heiligenbeeldjes en die, volledig geconcentreerd, probeert ze te lezen.
3. Een nieuw perspectief
In twee andere geschriften 94 heb ik aangetoond dat, in hun werk, zowel de Vlaamse schilder Jan Van Eyck95 als de Italiaanse beeldhouwer en bronsgieter Lorenzo Ghiberti 96 zich vertrouwd hebben gemaakt met de « Arabische optica », in het bijzonder de wetenschappelijke werken van Ibn al-Haytham97 (bekend onder zijn Latijnse naam Alhazen).
Tijdens de Renaissance probeerden verschillende scholen, met verschillende en soms tegenstrijdige benaderingen, de beste manier te vinden om drie dimensionele ruimte weer te geven door middel van perspectief.
Vanaf het begin van de 15e eeuw, voortbouwend op het werk van de Franciscanen van Oxford (Roger Bacon, Grosseteste, enz.), was er een school die uitging van de menselijke fysiognomie (twee ogen die een beeld creëren in de geest van de toeschouwer). In plaats van een mono-focaal (cyclopisch) model, hebben zijn, gebaseerd of Alhazen, een perspectief bedacht met twee centrale vluchtpunten (bi-focaal perspectief).
Dit perspectief is duidelijk herkenbaar in zekere werken van Van Eyck en Lorenzo Ghiberti, waarbij laatstgenoemde zelf wetenschappelijke teksten van Alhazen vertaalde in het Italiaans en opnam in zijn handboek voor schilders, de Commentarii, welke door Da Vinci werden geraadpleegd tijdens zijn opleiding in het atelier van Verrocchio, zelf een leerling van Ghiberti.
Een andere school, die verbonden is met Leon Battista Alberti, 98 beweerde dat « juist » perspectief, dat puur geometrisch en wiskundig is, een beroep doet op een uniek « centraal vluchtpunt ».
Ten slotte probeerde een derde school, die van Jean Fouquet in Frankrijk en Leonardo da Vinci, een curvilineair (kromlijnig) perspectief te hanteren, waarbij de beperkingen van het Albertiaanse model worden overkomen en de vervormingen vermeden.
In de moderne tijd wilden de volgelingen van Descartes en Galileo absoluut aantonen dat hun model van de lege ruimte geboren was in de Renaissance, met het Albertiaanse model. Zij beweerden dus dat alle andere benaderingen het werk was van boerse en onwetende « primitieven ».
Een onschatbare ontdekking
Zoals eerder vermeld, werkt het Gentse Interdisciplinair Centrum voor Kunst en Wetenschap (GICAS) sinds 2007 aan een nieuwe « Catalogue raisonné » van het werk van Quinten Matsys. In dit kader onderzochten Jochen Ketels en Maximiliaan Martens 99 in 2010 het Anna-altaarstuk van Matsys en de indrukwekkende Italiaanse portiek van het middenpaneel.
Laten we niet vergeten dat het geschilderde deel (in twee dimensies) op het centrale luik door de kunstenaar zo was ontworpen dat het harmonieus aansloot op een grote houten constructie (in drie dimensies) die als kader diende. Deze constructie is helaas verloren gegaan, maar we weten van zijn bestaan dankzij tekeningen.
« Toen we onze fotolampen op het centrale paneel richtten, » schrijven de twee onderzoekers, « liet het strijklicht iets zien wat in de literatuur helemaal niet was vermeld: in de gewelven van de architectuur aangebrachte constructielijnen. »100
Infrarood benadrukte ook het bestaan,
« van een complexe reeks constructielijnen, getekend met de hand of met behulp van verschillende gereedschappen en technieken. Niet alleen was een dergelijk complex constructiesysteem niet te zien in de noordelijke schilderijen uit die tijd, maar Matsys moest ook een wiskundige procedure hebben gebruikt om de complexe loggia te construeren. » 101
Nog interessanter,
« Om de contouren van de afgeknotte koepel en de versiering ervan te tekenen, gebruikte Matsys nauwelijks lijnen, maar gaf hij de voorkeur aan stippen (…) onderaan het kapiteel voegde Matsys enkele losse letters toe, waarschijnlijk een ‘z’, een ‘e’ of een ‘c’ (…) Vanwege hun positie dicht bij het element en het feit dat Piero della Francesca bijvoorbeeld al een soortgelijk systeem met cijfers en letters had gebruikt in zijn tekeningen van De Prospectiva Pingendi (Over het perspectief van schilderijen, ca. 1480), is er reden om aan te nemen dat er een verband is met de omtrek of compositie van de zuil. » 102
Albrecht Dürer, gebaseerd op Piero della Francesca.
In dit verband is het interessant om op te merken dat een van de weinige personen die op enig moment contact heeft gehad met Matsys en die Piero della Francesca‘s verhandeling103 over perspectief heeft gelezen en bestudeerd, niemand minder is dan Albrecht Dürer, wiens Vier boeken over de menselijke verhoudingen (1528) voortbouwt op Piero’s revolutionaire benadering.
Wat Dürer de « transfer-methode » van Piero noemt, zou later de basis vormen voor de projectieve meetkunde, met name aan de École Polytechnique onder leiding van Gaspard Monge, de belangrijkste wetenschap die de Industriële Revolutie mogelijk maakte.
De onderzoekers controleerden ook Matsys’ gebruik van het centrale vluchtpunt-perspectief met behulp van de « kruisverhouding-methode ».
Verbaasd, omdat het volgens de leer van de beste scholen onmogelijk zou zijn, stellen ze het volgende vast:
« Matsys toont zijn vaardigheid in perspectief, overeenkomend met de normen van de Italiaanse Renaissance, » een perspectief dat « inderdaad zeer correct is. » 104
Tot nu toe werd aangenomen dat de perspectiefwetenschap pas in de Lage Landen doordrong na de reis van Jan Gossaert naar Rome in 1508. Matsys, die blijk gaf van een meesterlijke en uitgebreide kennis van de perspectiefwetenschap, begon echter al in 1507 met de opbouw van dit werk.
4. Matsys’ samenwerking met Joachim Patinir en Albrecht Dürer
Antwerpen, Grote Markt met gildehuizen.
Albrecht Dürer, portret van Joachim Patinir.
Een laatste opmerking over dit schilderij: het bergachtige landschap achter de figuren doet denken aan de typische en verontrustende landschappen van Matsys’ vriend Joachim Patinir (1480-1524), een andere weinig bekende maar grote kunstenaar in de geschiedenis van de schilderkunst.
In zijn tijd was Patinir’s vermaardheid niet klein. Felipe de Guevara, vriend en artistiek adviseur van Karel V en Filips II, noemt Patinir in zijn Commentaren op de schilderkunst (1540) als één van de drie grootste schilders van de regio, samen met Rogier van der Weyden en Jan van Eyck.
Patinir leidde een grote werkplaats met assistenten in Antwerpen. Onder degenen die onderhevig zijn aan de drievoudige invloed van Bosch, Matsys en Patinir, de volgende namen:
Cornelis Matsys (1508-1556), zoon van Quinten, die trouwde met de dochter van Patinir;
Herri met de Bles (1490-1566), actief in Antwerpen, mogelijke neef van Patinir;
Lucas Gassel (1485-1568), actief in Brussel en Antwerpen;
Jan Provoost (1465-1529), actief in Brugge en Antwerpen;
Jan Mostaert (1475-1552), schilder werkzaam in Haarlem;
Frans Mostaert (1528-1560), schilder actief in Antwerpen;
Jan Wellens de Cock (1460-1521), schilder actief in Antwerpen;
Matthijs Wellens de Cock (1509-1548), schilder-graveur werkzaam in Antwerpen;
Hieronymus (Wellens de) Cock (1510-1570), schilder-graveur, die samen met zijn vrouw de Antwerpse uitgeversbedrijf In de Vier Winden oprichtte, destijds waarschijnlijk de grootste ten noorden van de Alpen, waar Pieter Bruegel de Oude werkzaam was.
Cornelis Matsys, De blinde leidt de blinde (1550). Afmetingen: 4,5 x 7,8 cm. Gravure die Pieter Brueghel de Oude inspireerde tot zijn eigen schilderij over dit thema in 1558.
Het is algemeen aanvaard dat Quinten Matsys de figuren in enkele van Patinir’s landschappen heeft geschilderd. Volgens de inventaris van het Escorial uit 1574 was dit het geval voor De verzoekingen van de Heilige Antonius (1520, Prado, Madrid).
Maar deze samenwerking kwam beide vrienden tegoed: Patinir ontwierp landschappen voor de werken van Matsys op diens verzoek. Deze realiteit ondermijnt enigszins de hardnekkige mythe van een Renaissance die wordt geprezen als het begin van competitief individualisme.
Dat Matsys en Patinir een hechte band hadden, blijkt wel uit het feit dat Matsys, na Patinirs vroege dood, de voogd werd van zijn twee dochters. Interessant is ook dat Gerard David, die na Memling de belangrijkste schilder in Brugge werd, in 1515 samen met Patinir lid werd van het Sint-Lucasgilde in Antwerpen, wat hem het recht gaf zijn werk te verkopen, niet alleen in Brugge, maar tevens op bloeiende Antwerpse kunstmarkt.
Moderne kunsthistorici beschouwen Patinir vaak als de vader en « uitvinder » van de landschapsschilderkunst. Ze beweren dat religieuze onderwerpen voor hem slechts een voorwendsel waren om te laten zien wat hem werkelijk interesseerde: landschappen. Men legt ook uit dat Rubens Adam en Eva schilderde alleen maar omdat hij graag naakten schilderde (en verkocht). Voor Rubens was dat misschien zo, maar voor Patinir ligt het duidelijk anders. Zoals de kunsthistoricus Reindert L. Falkenberg heeft aangetoond, 105 waren zijn « prachtige » landschappen niets meer zijn dan een soort geraffineerde, heel aantrekkelijke duivelse valstrik. De schoonheid van de wereld, een duivelse schepping volgens Patinir, bestaat enkel om mensen te verleiden en hen te laten bezwijken voor de zonde…
Ontmoeting met Albrecht Dürer
Hendrik Leys, Dürers bezoek aan Antwerpen, 1855, Antwerpen.
Dürers reisdagboek 106 van zijn bezoek in de Lage Landen is een trouwe bron van informatie.
Waarom kwam Dürer naar Brabant? Een mogelijke verklaring is dat de kunstenaar, na de dood van zijn belangrijkste opdrachtgever, keizer Maximiliaan I, zijn pensioen wou laten uitbetalen door Karel V.
Dürer kwam op 3 augustus 1520 in Antwerpen aan en bezocht Brussel en Mechelen, waar hij werd ontvangen door Margaretha van Oostenrijk (1480-1530), de tante van Karel V. Ze was verantwoordelijk voor het bestuur van de Bourgondische Nederlanden zolang Karel nog te jong was. Soms luisterde ze naar Erasmus, maar ze hield ook afstand.
Mechelen, Paleis van Margaretha van Oostenrijk.Mechelen, Hof van Busleyden.
In Mechelen bezocht Dürer zeker het prachtige paleis van Hieronymus (Jeroen) van Busleyden(1470-1517), de beschermheer die Erasmus de financiële steun gaf om in 1517 in Leuven het “Dry Tonghen College” op te richten. 107 Een grondige kennis van Latijn, Grieks en Hebreeuws, zou zowel misverstanden die het resultaat waren van slechte vertalingen, als religieuze conflicten kunnen vermijden, dacht Erasmus. Busleyden was een vriend van de bisschop van Londen, Cuthbert Tunstall (1475-1559), die hem voorstelde aan Thomas More (1478-1535).
Tijdens zijn verblijf bij Margaretha kon Dürer een prachtig schilderij uit haar collectie bewonderen: Het Arnolfini-echtpaar (1434) van Jan van Eyck.
Margaretha had net een pensioen toegekend aan de Venetiaanse schilder Jacopo de’ Barbari (1440-1515), 108 een diplomaat en politieke balling in Mechelen die een portret schilderde van Luca Pacioli (1445-1514), de Franciscaan die de Griekse teksten van Euclides aan Leonardo da Vince verklaarde. Pacioli was ook de auteur van De Divina Proportione (1509) (De Gulden Snede), een werk dat Da Vinci rijkelijk illustreerde.
De’ Barbari wordt door verschillende van zijn tijdgenoten vermeld, namelijk Dürer, Marcantonio Michiel (1584-1552) en Gerard Geldenhauer (1482-1542).
In 1504 ontmoette De’ Barbari Dürer in Neurenberg en ze bespraken de canon van de menselijke proporties, een centraal thema in het onderzoek van laatstgenoemde. 109 Uit een ongepubliceerd manuscript van Dürers verhandeling blijkt dat de Italiaan niet bereid was zijn bevindingen te delen:
« Ik heb niemand gevonden die iets heeft geschreven over de toepassing van de canon van menselijke proporties, behalve een man genaamd Jacob, geboren in Venetië en een charmante schilder. Hij liet mij [zijn gravure van] een man en een vrouw zien die hij met zijn systeem had gemaakt, zodat nu zou ik liever zien wat hij bedoelde dan van een nieuw koninkrijk te dromen… Jacobus wilde mij zijn principes niet duidelijk laten zien, dat zag ik duidelijk » 110
Volgens de archieven was de’ Barbari in maart 1510 in dienst van aartshertogin Margeretha in Brussel en Mechelen. In januari 1511 werd hij ziek en schreef een testament. In maart kende de aartshertogin hem een levenslang pensioen toe. Hij stierf in 1516 en liet de aartshertogin een serie van 23 gravureplaten na. Maar wanneer Dürer haar vroeg om hem een aantal van De’ Barbari’s geschriften over menselijke proporties te overhandigen, wijst ze zijn verzoek beleefd af. 111
De duitse historicus Matthias Mende is van mening dat:
“Dürers theoretische werken ondenkbaar zijn zonder directe of indirecte kennis van Leonardo da Vinci’s ideeën. Er zijn zelfs tekeningen van Leonardo’s anatomische platen gevonden in Dürers nalatenschap.”112
Uit het reisdagboek van Dürer blijkt hoe hartelijk hij door zijn lokale collega’s werd ontvangen. 113
Erasmus, getekend door Dürer.Lucas van Leyden, getekend door Dürer.Oude man uit Antwerpen getekend door Dürer, model voor zijn Heilige Hiëronymus.
In Antwerpen schreef hij in zijn reisdagboek: « Ik ging Quinten Matsys in zijn huis opzoeken. » In dezelfde stad schetste hij een portret van Lucas van Leyden (1489-1533)114 en vervaardigde hij het beroemde portret van de 93-jarige man die later als model zou dienen voor zijn Sint-Hiëronymus.
Hij ontmoet Erasmus minstens drie keer en tekent, schildert of graveert portretten die wederzijdse medeplichtigheid uitstralen. Erasmus gaf Dürer de opdracht omdat hij een groot aantal portretten nodig had om naar zijn correspondenten over heel Europa te sturen. Zoals hij in zijn dagboek aangeeft, schetste Dürer Erasmus tijdens deze ontmoetingen meerdere malen met houtskool. Zes jaar later zou hij er een wat onhandig gegraveerd portret van maken.
Hans Schwartz, portret van Dürer, bronzen medaillon, 1520.
Ter gelegenheid van zijn tweede huwelijk, op 5 mei 1521, nodigde Patinir Dürer uit. Het is niet bekend wanneer en hoe hun vriendschap ontstond, of dat het gewoon toevallig was. De Meester van Neurenberg schetste een portret van Patinir en noemde hem « der gute Landschaftsmaler » (de goede landschapsschilder). Daarmee bedacht hij een nieuw woord voor wat een nieuw genre zou worden.
Tijdens het huwelijksfeest maakte hij kennis met Jan Provoost (1465-1529), Jan Gossaert (de Mabuse) (1462-1533) en Bernard van Orley (1491-1542), de twee laatste, populaire schilders aan het hof van Mechelen.
Maar Provoosts De vrek en de dood. (1515, Brugge) is duidelijk geïnspireerd door Erasmus.
Jan Provoost, De vrek en de dood, circa 1515, Groeningenmuseum, Brugge.
De dichter, hoogleraar Latijn en filoloog Cornelis de Schryver (Grapheus) (1482-1558), medewerker van Erasmus’ drukker in Leuven en Antwerpen, Dirk Martens, is een figuur die Dürer in contact kon brengen met de schilders van Antwerpen, een stad waarvan hij in 1520 secretaris was.
Drukkers en uitgevers speelden een belangrijke rol in de Renaissance. Ze fungeerden als bemiddelaars tussen intellectuelen en geleerden enerzijds en illustratoren, graveurs, schilders en ambachtslieden anderzijds. Net als Dürer zelf voelde Grapheus zich aangetrokken tot de ideeën van de Reformatie, waarvan Luther en Erasmus de leiders waren. Grapheus heeft Dürer een exemplaar bezorgt van Luthers De Captivitate (Over de Babylonische gevangenschap van de kerk), een must-read voor iedereen die geïnteresseerd is in de toekomst van het christendom.
Net als Erasmus en vele andere humanisten was Dürer te gast bij Quinten Matsys in diens prachtige huis aan de Schuttershofstraat, versierd met Italiaanse ornamenten (guirlandes van bladeren, bloemen of vruchten) en decoratieve en symmetrische motieven van lijnen en figuren).
Nicaise de Keyser, de ontmoeting tussen Dürer en Matsys (onder toeziend oog van Thomas More en Erasmus), Antwerpen.
Een geïdealiseerde weergave van de ontmoeting tussen Dürer en Matsys (onder toeziend oog van Thomas More en Erasmus) is te zien op een schilderij van Nicaise de Keyser (1813-1887) in het Koninklijk Museum voor Schone Kunsten in Antwerpen.
Een ander tafereel, een tekening van Godfried Guffens (1823-1901) uit 1889, toont hoe de Antwerpse schepen Gérard van de Werve Albrecht Dürer ontvangt, die door Quinten Matsys aan hem wordt voorgesteld.
Toen Karel V uit Spanje terugkeerde en Antwerpen bezocht, schreef Grapheus een lofrede om zijn terugkomst te vieren. Maar in 1522 werd hij gearresteerd wegens ketterij, meegenomen naar Brussel voor verhoor en gevangengezet. Hij verloor toen zijn functie als secretaris. In 1523 werd hij vrijgelaten en keerde terug naar Antwerpen, waar hij hoogleraar Latijn werd. In 1540 werd hij opnieuw stadssecretaris van Antwerpen.
De zuster van Quinten Matsys, Catharina, en haar man werden in 1543 in Leuven ter dood veroordeeld. Hun misdaad? Het lezen van de Bijbel. Hij werd onthoofd en zij werd levend begraven op het plein voor de kerk.
Vanwege hun religieuze overtuigingen verlieten Matsys’ kinderen Antwerpen en gingen in 1544 in ballingschap. Cornelis bracht zijn laatste dagen door in het buitenland.
5. In de ban van Erasmus
Thomas More, door Holbein de Jongere.Erasmus, door Holbein de Jongere.
In 1499 ontmoetten Thomas More en Erasmus elkaar in Londen. Hun eerste ontmoeting groeide uit tot een levenslange vriendschap en ze bleven regelmatig met elkaar corresponderen. In deze tijd werkten ze samen aan de vertaling in het Latijn en het drukken van enkele werken van de satiricus Lucianus van Samosata (ca. 125-180 n.Chr.), die ten onrechte de bijnaam « de Cynicus » kreeg.
Erasmus vertaalde Lucianus’ satirische tekst, Over hen die door de groten worden betaald,115 en liet deze naar zijn vriend Jean Desmarais sturen, hoogleraar Latijn aan de Universiteit Leuven en kanunnik van de Sint-Pieterskerk in die stad.
Lucien valt in zijn tekst de denkwijze aan van geleerden die hun ziel, hun geest en hun lichaam verkopen aan de dominante macht:
« Wat een vreugde om de eerste burgers van Rome tot je vrienden te mogen rekenen, om heerlijke diners te hebben, zonder dat het je iets kost, om te overnachten in een prachtig huis, om op je gemak te reizen, zachtjes liggend op een wagen getrokken door witte paarden, om bovendien een prachtige beloning te ontvangen voor deze vriendschap en het welzijn dat je mag genieten! Wat een goed werk, waar alles zo ontstaat zonder zaad of teelt. »116
In een waar manifest tegen vrijwillige onderwerping, vooruitlopend op de soumission volontaire van La Boétie, valt Lucien hun perverse fantasie aan als de oorzaak van hun capitulatie:
« Er blijft slechts één motief over waarvan ik geloof dat het waar is, maar dat zij niet toegeven: de hoop om van duizend genoegens te genieten, jaagt hen naar deze huizen, getroffen door de schittering van het goud en zilver waarmee ze glimmen, volkomen gelukkig met de feesten en de luxe die ze zichzelf beloven; wanneer zij het goud uit de volle beker drinken, zonder belemmering.
Dit is wat hen drijft; Daarom ruilen ze hun vrijheid in voor slavernij. Het is niet, zoals ze zeggen, de behoefte aan het noodzakelijke, maar het verlangen naar het overbodige en al die pracht en praal.
Maar net als ongelukkige geliefden, net als ongelukkige aanbidders, worden ze door de rijken behandeld met de sluwe trots van een geliefd object, die de hartstocht van zijn achtervolgers in stand houdt, maar zich nauwelijks laat beroven van de amoureuze gunst van een kus, omdat hij weet dat genot de liefde vernietigt: hij weigert daarom dit genot, hij beschermt zich er met de grootste zorg tegen.
Om de geliefde echter een sprankje hoop te geven, uit angst dat buitensporige strengheid hem tot wanhoop zou drijven en hij zou kunnen ophouden met liefhebben, schenken we hem een glimlach, beloven we hem op een dag te doen wat hij wil, aardig te zijn en hem met alle mogelijke consideratie te behandelen; dan komt de leeftijd, en al snel zijn de liefde van de een en de gunsten van de ander niet meer op hun tijd. Hun hele leven bestaat dus uit hopen. » 117
Het was in 1515 dat Thomas More door de Engelse koning Hendrik VIII op een diplomatieke missie werd gestuurd om belangrijke internationale handelsgeschillen in Brugge te beslechten. In Antwerpen, ontmoette hij Erasmus’ vriend Pieter Gillis (1486-1533) (gelatiniseerd als Petrus Ægidius), een collega-humanist en secretaris (burgemeester) van de stad Antwerpen. Gillis, die op zeventienjarige leeftijd als proeflezer was begonnen in de drukkerij van Dirk Martens in Leuven en Antwerpen, kende Erasmus al sinds 1504. De humanist raadde hem aan om verder te studeren en ze hielden contact.
In Leuven gaf drukker Martens diverse boeken van humanisten uit, waaronder die van Dionysius de Kartuizer (1401-1471) en De inventione dialectica (1515) van Rudolphus Agricola, het meest gekochte en gebruikte handboek voor hoger onderwijs op scholen en universiteiten in heel Europa.
Net als Erasmus was Gillis een leerling en bewonderaar van Agricola, een emblematische figuur van de school van de Broeders van het Gemene Leven in Deventer. Agicola, Erasmus’ favoriete leraar, was een uitmuntend pedagoog, muzikant, orgelbouwer, dichter in het Latijn en de volkstaal, diplomaat, bokser en tegen het einde van zijn leven een Hebreeuws kenner. Hij was een inspiratiebron voor een hele generatie. Gillis’ huis in Antwerpen was ook een belangrijke ontmoetingsplaats voor humanisten, diplomaten en internationaal gerenommeerde kunstenaars.
Ook Quinten Matsys was daar altijd welkom. Ten slotte was het Gillis die de schilder Hans Holbein de Jongere aan het Engelse hof aanbeval, de jonge tekenaar die het Lof der Zotheid van Erasmus had geïllustreerd. Hierdoor werd hij in Engeland met groot enthousiasme ontvangen door Thomas More. Zijn broer Ambrosius Holbein (1494-1519) zou later More’s Utopia illustreren.
6. De utopie van Thomas More
Pagina’s van Utopia, met het alfabet van de utopisten, bedacht door Pieter Gillis.
Gillis deelt met More en Erasmus een sterk gevoel voor rechtvaardigheid, en ook een typisch humanistische bezorgdheid die zich toelegt op het zoeken naar betrouwbaardere bronnen van wijsheid. Hij is vooral bekend als een personage dat verschijnt in de openingspagina’s van Utopia, wanneer Thomas More hem presenteert als een toonbeeld van beleefdheid en een humanist die zowel aangenaam als serieus is:
« Tijdens dit verblijf [in Brugge] ontving ik, naast andere bezoekers en welkome gasten, vaak Pieter Gillis. Hij werd geboren in Antwerpen en geniet grote verdienste en een vooraanstaande positie onder zijn medeburgers, die de allergrootsten waardig is. De kennis en het karakter van deze jongeman zijn immers opmerkelijk. Hij is inderdaad vol vriendelijkheid en eruditie en verwelkomt iedereen met vrijgevigheid, maar als het om zijn vrienden gaat, doet hij dat met zoveel enthousiasme, genegenheid, trouw en oprechte toewijding, dat er maar weinig mensen zijn die qua vriendschap met hem te vergelijken zijn. Weinig mannen hebben zo’n bescheidenheid, zo’n gebrek aan gekunsteldheid, zo’n natuurlijk gezond verstand, zo’n charmante conversatie, zo’n scherpzinnigheid met zo weinig kwaadaardigheid. »
Barokke Spaanse toegangspoort van Den Spieghel, Antwerpen.
Het bekendste werk van Thomas More is natuurlijk Utopia, gecomponeerd in twee delen.
Het is een beschrijving van een fictief eiland dat niet werd geregeerd door aristocraten of een oligarchie zoals de meeste Europese staten, maar dat werd bestuurd op basis van de ideeën die Plato formuleerde in zijn dialoog De Republiek.
Terwijl Erasmus in Lof der Zotheid opriep tot hervorming van de kerk, riep More in Utopia (deels door Erasmus afgewerkt), een andere satire op de corruptie, hebzucht, hebberigheid en mislukkingen die zij om zich heen zagen, op tot hervorming van de staat en de economie.
Thomas More kreeg het idee voor het boek toen hij in 1515 in Gillis’ Antwerpse residentie Den Spieghel verbleef.
Het eerste deel van Utopia begint met briefwisseling tussen More en zijn vrienden, waaronder Pieter Gillis. Toen de Engelse humanist in 1516 naar Engeland terugkeerde, schreef hij het grootste deel van het werk.
Tussen december 1516 en november 1518 werden vier edities van Utopia samengesteld door Erasmus en Thomas More en in december 1516 gepubliceerd bij uitgever Dirk Martens in Leuven.
Bij de tekst is er een kaart van het eiland Utopia, verzen van Gillis en het « utopische alfabet » dat hij voor deze gelegenheid had bedacht. Verder vinden we verzen van Geldenhouwer, een geschiedschrijver en hervormer die eveneens een opleiding had genoten bij de Broeders van het Gemene Levens te Deventer, verzen van Grapheus en de brief van Thomas More waarin hij het boek aan Gillis opdroeg.
Enkele jaren na de dood van More en Erasmus, publiceerde Grapheus samen met Pieter Gillis zijn Enchiridio Principis Ac Magistratus Christiani (1541).
7. Pieter Gillis en het “Tweeluik der Vriendschap”
Quinten Matsys, dubbelportret van Erasmus en Pieter Gillis.
Naast drieluiken en religieuze schilderijen muntte Matsys uit in het schilderen van portretten. Een van Matsys’ mooiste werken is het dubbelportret van Erasmus en zijn vriend Gillis, geschilderd in 1517. 118
Dit vriendschapstweeluik zou dienen als een « virtueel » bezoek aan hun Engelse vriend Thomas More in Londen. Ze vroegen aan hun vriend Quinten Matsys om de twee portretten te maken, omdat hij in Antwerpen de beste schilder was. Het portret van Erasmus was het eerste dat voltooid werd. Het portret van Gillis vroeg meer tijd omdat het model tussen de poseer-sessies ziek werd. De twee humanisten hadden in hun correspondentie met Thomas More over dit dubbelportret gesproken, wat misschien geen goed idee was, omdat More voortdurend naar de evolutie van de werkzaamheden informeerde en erg ongeduldig werd om dit geschenk te ontvangen. Beide werken werden uiteindelijk voltooid en naar More gestuurd toen hij in Calais was. Hoewel de twee geleerde mannen op afzonderlijke panelen zijn afgebeeld, worden ze in een doorlopende studieruimte gepresenteerd. Als we de twee schilderijen naast elkaar zetten, zien we hoe Matsys de boekenkast achter de twee figuren heeft geplaatst. Hierdoor ontstaat de indruk dat de twee personen die op de twee afzonderlijke panelen zijn afgebeeld, zich in dezelfde ruimte bevinden en elkaar aankijken.
Erasmus is druk aan het schrijven en Pieter Gillis toont de Antibarbari, een boek dat Erasmus voorbereidde voor publicatie, terwijl hij in zijn linkerhand een brief van More vasthoudt. De voorstelling van Erasmus in zijn studeervertrek doet denken aan de voorstellingen van Sint-Hiëronymus, die met zijn vertaling van de Bijbel een voorbeeld was voor alle humanisten en wiens werk Erasmus net had gepubliceerd. Het is interessant om naar de boeken in de planken op de achtergrond te kijken.
Op de bovenste plank van het schilderij van Erasmus staat een boek met de tekst Novum Testamentum Graece, de eerste editie van het Nieuwe Testament in het Grieks, uitgegeven door Erasmus in 1516.
Op de onderste plank staat een stapel met drie boeken.
Het onderste boek draagt het opschrift Hieronymus, dat verwijst naar de humanistische edities van de werken van deze kerkvader;
Het middelste boek draagt het opschrift Lucianus, verwijzend naar de samenwerking tussen Erasmus en Thomas More bij de vertaling van Lucianus’ Dialogen.
Het opschrift op het boek bovenaan de drie is het woord Hor, dat oorspronkelijk werd gelezen als Mor. De eerste letter werd waarschijnlijk veranderd tijdens een vroege restauratie, want naast het feit dat Mor de eerste letters zijn van de achternaam van Thomas More, verwijzen ze zeker naar de satirische essays die Erasmus schreef toen hij in 1509 bij Thomas More in Londen verbleef en die de titel Encomium Moriae (Lof der zotheid) droegen.
We zien Erasmus een boek schrijven. Aan deze weergave is speciale aandacht besteed, omdat de woorden op het papier een parafrase zijn van de brief van Paulus aan de Romeinen, het handschrift een nauwkeurige weergave is van dat van Erasmus en de rietpen die hij vasthoudt bekend stond als Erasmus’ favoriete schrijfmedium.
Als we beter kijken, zien we in de schaduwen een beurs in de plooien van Erasmus’ mantel. Erasmus wilde wellicht dat de kunstenaar dit verbeelde om zijn vrijgevigheid te illustreren. Erasmus en Gillis lieten Thomas More weten dat ze samen de kosten van het schilderij deelden, omdat ze wilden dat het een geschenk van hen beiden zou zijn.
Thomas More gaf in talloze brieven uiting aan zijn grote tevredenheid over deze portretten. Volgens hem schilderde Matsys de schilderijen met « zo’n grote virtuositeit dat alle schilders uit de oudheid erbij in het niet vallen ». Maar hij gaf toe dat hij zijn beeltenis liever in steen had zien gehouwen (in een vorm die hij minder vergankelijk achtte…).
8. De Da Vinci-connection (I)
Maagd en Kind, Quinten Matsys, Poznan, Polen.Sint-Anna en de Maagd Maria, Leonardo da Vinci, Louvre, Parijs.Sint-Anna en de Maagd Maria, Francesco Melzi, Galleria degli Uffizi, Florence.
Verschillende schilderijen tonen onomstotelijk aan dat Matsys en zijn gevolg over meer dan oppervlakkige kennis beschikten en zich deels lieten inspireren door de schilderijen en tekeningen van Leonardo da Vinci, zonder dat ze noodzakelijkerwijs de wetenschappelijke en filosofische bedoelingen en diepte van de auteur volledig begrepen.
Dat is duidelijk het geval bij Madonna met Kind in het Museum van Poznan (1513, Polen). Hier wordt, in de stijl van Patinir, de sierlijke en liefdevolle houding van Maria met Christus in haar armen afgebeeld, waarbij Christus het lam omhelst. Het is bijna een kopie van Leonardo da Vinci’s Sint-Anna en de Maagd Maria, een werk dat hij in 1503 begon en in 1517 naar Amboise in Frankrijk bracht. Zoals reeds vermeld, is het niet bekend hoe dit beeld de meester heeft bereikt, via prenten, tekeningen of persoonlijke contacten.
Quinten Matsys, Altaarstuk van het schrijnwerkersambacht, Brussel.
Een tweede voorbeeld vinden we in het Altaarstuk van het schrijnwerkersambacht (1508-1511).
Het centrale tafereel van het open drieluik doet denken aan De Kruisafname van Rogier van der Weyden (1435, Museo del Prado, Madrid). Op de achtergrond, een landschap. Het religieuze drama wordt tot in detail bestudeerd en op harmonieuze wijze opgevoerd.
Tegelijkertijd heeft Matsys eerbied voor de gelovigen die veel waarde hechten aan het verhaal van het religieus gebeuren zelf. Hoewel de scène aanzet tot nadenken en gebed, maakt Matsys ook gebruik van contrast. Hoewel sommige van de meer rustieke personages, met name de oosterse hoofden, mogelijk geïnspireerd zijn door de gezichten van zeelieden en kooplui die hij in de haven tegenkwam, zijn de gelaatstrekken van degenen die getroffen zijn door pijn en verdriet, vol gratie. Zoals van der Weyden, schildert ook Matsys ogen vol tranen.
Detail van de Klaagzang.
Op het middelste paneel zien we niet het lijden, maar de klaagzang na het lijden. Het toont het moment waarop Jozef van Arimathea119 de Maagd Maria om toestemming komt vragen om het lichaam van Christus te begraven. Achter de centrale handeling ligt de heuvel Golgotha, met zijn paar bomen, het kruis en de gekruisigde dieven.
Op het linkerpaneel is te zien hoe Salome het hoofd van Johannes de Doper aanbiedt aan Herodes de Grote120 , koning van Judea, een vazalstaat van Rome.
Het rechterpaneel is een scène van buitengewone wreedheid. Het toont Johannes de Doper, wiens lichaam in een ketel met kokende olie wordt gedompeld. De heilige, naakt vanaf zijn middel, lijkt bijna engelachtig, alsof hij niet lijdt. Om hem heen een menigte sadistische gezichten, lelijke boeren in schreeuwerige kleding. De enige uitzondering op deze regel is de figuur van een jonge man, mogelijk een afbeelding van de schilder zelf, die het tafereel vanaf de kruin van een boom bekijkt.
De gezichten van de figuren die Johannes de Doper omringen, net als de gezichten van de figuren die de ketel verwarmen, zijn rechtstreeks overgenomen van een tekening van Leonardo da Vinci, Man misleid door zigeuners (vroegere titel: De vijf groteske koppen, circa 1494, Windsor Castle, Engeland).
Vlaamse ironie en humor verwelkomden die van Da Vinci!
Leonardo da Vinci, Een man misleid door zigeuners, Royal Trust Collection, Windsor Castle. Aan de rechterkant is een deel van de tekening afgesneden. Terwijl de zigeuner (of zigeunerin) rechts de hand van de man leest, steelt de zigeuner links zijn portemonnee. Op de achterkant staan aantekeningen, waaronder deze, misschien gerelateerd aan het onderwerp op de voorkant: “Ik heb deze man goed gekend, ondanks mezelf. Hij is een vergaarbak van verachtelijkheid; hij is een perfecte hoop van de grootste ondankbaarheid gecombineerd met alle ondeugden. Maar wat heeft het voor zin om me te vermoeien met lege woorden? Er zit niets anders in dan elke vorm van zonde…”.
Bij Da Vinci lijken de gezichten zelfs in lachen uit te barsten als ze naar elkaar en naar de gekroonde figuur in het midden kijken. De bladeren van deze kroon zijn niet die van de laurierbomen ter ere van dichters en helden, maar die van… een eik. De antihumanistische en oorlogszuchtige paus die in die tijd in Rome zegevierde, was Julius II, 121 die door Rabelais in de hel werd opgesloten omdat hij kleine pasteitjes verkocht. Giulio was een lid van een machtige Italiaanse adellijke familie, het Huis Della Rovere, letterlijk « van de eik »…
C. Erasmiaanse wetenschap van het groteske
1. In religieuze schilderkunst
Het gebruik van groteske koppen (tronies), die de lage passies uitdrukken die slechte mensen overweldigen en domineren, was een gangbare praktijk in religieuze schilderijen om de werken levendiger en contrastrijker te maken.
In 1505 reisde Dürer naar Venetië en de universiteitsstad Bologna om perspectief te leren. Vervolgens reisde hij verder naar het zuiden, naar Florence, waar hij, volgens de experten, de werken van Leonardo da Vinci en van de jonge Raphael ontdekte. Vervolgens reisde hij naar Rome.
Albrecht Dürer, Christus onder de rechtsgeleerden, Madrid.
Christus tussen de Schriftgeleerden (1506, Collectie Thyssen Bornemisza, Madrid) werd in vijf dagen in Rome geschilderd en weerspiegelt ook de mogelijke invloed van Da Vinci’s grotesken.
Dürer was begin 1507 terug in Venetië, alvorens hij datzelfde jaar naar Neurenberg terugkeerde.
Een ander sprekend voorbeeld is het schilderij De kruisdraging van Jheronimus Bosch (na 1510, Gent). Het hoofd van Christus wordt omgeven door een dynamische groep « tronies » of groteske gezichten.
Jheronimus Bosch, Kruisdraging, Gent.
Werd Bosch geïnspireerd door Da Vinci en Matsys, of was het andersom? Hoewel de compositie op het eerste gezicht chaotisch lijkt, is de structuur heel doordacht.
Het hoofd van Christus, in Bosch’s oeuvre, bevindt zich precies op het snijpunt van twee diagonalen. De balk van het kruis vormt een diagonaal, met linksboven de figuur van Simon van Cyrene die Christus helpt het kruis te dragen, en rechtsonder de « slechte » moordenaar.
De andere diagonaal verbindt de afdruk van het gezicht van Christus op de lijkwade van Veronica (linksonder) met de afdruk van de berouwvolle dief (rechtsboven). Hij wordt agressief bedreigt door een slechte charlatan of Farizeeër en een slechte monnik. Bosch verwijst hiermee duidelijk naar het religieuze fanatisme van zijn tijd.
De groteske koppen doen denken aan de maskers die vaak in de Passiespelen worden gebruikt en aan de karikaturen van Leonardo da Vinci. Het gezicht van Christus daarentegen is sereen en vol zachtheid. Hij is de lijdende Christus, door iedereen verlaten, die over alle kwaad in de wereld zal zegevieren. Deze voorstelling past perfect bij de ideeën van de Devotio Moderna. 122
Quinten Matsys, Kruisdraging.Quinten Matsys, Ecce Homo (1526, Venetië).
Quinten Matsys, in zowel zijn Kruisdraging als zijn Ecce Homo (1526, Venetië, Italië) is duidelijk vertrouwd met de Bosch-traditie.
2. Bankiers, tollenaars en woekeraars
Quinten Matsys, Het koopcontract, 1515, Berlijn. Een goede « deal » tussen bankiers, advocaten, theologen en criminelen aan de ene kant en een zot aan de andere kant, misschien een contract voor een aflaat?
Matsys’ satirische veroordeling van woeker en hebzucht houdt rechtstreeks verband met de religieuze, filosofische, sociale en politieke kritiek van Erasmus en More.
Marlier beschrijft op meesterlijke wijze hoe woekeraars en speculanten de dominante spelers werden in het economische leven van die tijd in Antwerpen, een situatie die doet denken aan de huidige wereldwijde situatie:
« In de 16e eeuw ging de geleidelijke vervanging van het oude corporatieve regime door de nieuwe kapitalistische economie gepaard met een opeenvolging van crisissen, waaronder vooral de gewone mensen leden. Speculatie op de aandelenmarkt, monetaire manipulatie en geldhandel bevorderen de opbouw van aanzienlijke fortuinen, maar leiden ook tot verarming en vaak de ondergang van ambachtslieden en boeren. Rijke handelaren en financiers nemen de industrie over en verlagen de arbeider tot de rang van proletariër. Werknemers moeten zich nu onderwerpen aan de condities van de werkgevers. Lonen worden niet langer gerespecteerd en er is vaak sprake van grote werkloosheid, waardoor gezinnen in armoede terechtkomen.
De economische omwenteling ging gepaard met financiële problemen, veroorzaakt door de toestroom van edele metalen (goud en zilver) uit Amerika naar Spanje. In Antwerpen vonden gigantische banktransacties plaats. Onder Karel V groeide de stad uit tot de grootste geldmarkt van Europa. Vanaf het derde decennium van de eeuw begon de koopkracht van valuta te dalen [inflatie], wat leidde tot een voortdurende prijsstijging. De lonen blijven daarentegen gelijk. De financiers monopoliseren de goederen, houden de monopolies in handen en nemen zelfs het land in beslag, terwijl ze de pachters genadeloos uitknijpen. Dit zijn de nouveau riches, tegen wie de armen en de zwakken morren, maar die de keizer beschermt, omdat zij de enigen zijn die hem de fondsen kunnen voorschieten die hij nodig heeft voor zijn Europese politiek.
Karel V moest gehoor geven aan de draconische eisen van zijn bankiers en de exorbitante rente die hij moest betalen, dwong hem tot een belastingverhoging. Hij verdisconteert de opbrengsten van toekomstige belastingen en veilt bepaalde schatkistkantoren. We kunnen ons voorstellen welke misstanden hieruit voortkomen. Belastingen worden niet rechtstreeks door de overheid geheven, maar worden verpacht aan accijnsbetalers, die zichzelf door hun hoge belastingen haten. Ze zijn genadeloos tegenover de kleine mensen, die ze het weinige dat ze bezitten afpakken. »
« In zo’n situatie », concludeert Marlier, « waar crisissen zich vermenigvuldigen, waar van de ene op de andere dag een vals voorspoedige ondergang volgt, waar de handel wordt overspoeld door een groot aantal oneerlijke praktijken, moet woeker wel floreren. Van hoog tot laag op de maatschappelijke ladder worden veel mensen gedwongen om geld te lenen, tegen torenhoge rentetarieven. Op alle niveaus van de samenleving is de woekeraar actief op zoek naar winst. De slachtoffers vallen zowel onder de aristocratie als onder de boeren en arbeiders. In de steden is er nu een klasse mannen en vrouwen die alleen van woeker leven. »123
Quinten Matsys, De woekeraars (en hun slachtoffers), 1520, Galleria Doria Pamphilj, Rome.
Manillas.
Daarbij komt nog dat de Fuggers en vooral de Welsers124 nauw betrokken waren bij de vroege slavenhandel van Afrika naar Amerika.
De Fuggers gebruikten hun mijnen in Oost-Europa en Duitsland om manillas te produceren. Dit waren koperen en bronzen armbanden die de geschiedenis ingingen als ruilobjecten en « handelsgeld » aan de kusten van West-Afrika.
De Welsers, die zich toelegden op de handel in specerijen en textiel, probeerden een kolonie te stichten in het huidige Venezuela (de Spaanse naam is afgeleid van het Italiaanse Venezziola, « Klein Venetië », dat later Welserland werd) en verscheepten meer dan 1.000 Afrikaanse slaven naar Amerika.
Ondertussen werden in de huizen van de welvarende burgers van Augsburg slaven van Indië gedwongen om voor hun « meesters » te werken.
Olieverfschilderij van Carl Ludwig Friedrich Becker. Anton Fugger verbrandt de schuldbrieven van Karel V, 1866.
Volgens de officiële website van de familie Fugger is het verhaal dat Anton Fugger in 1530 zijn schuldbewijzen in het vuur gooide, voor het oog van Karel V, om zo ruimhartig de terugbetaling van leningen kwijt te schelden, puur uitvindsel en propaganda.
Maar hij verleende de nieuwe keizer een kleine schuldvermindering (haircut). In ruil daarvoor zag Karel V af van de door hem voorgestelde « Keizerlijke Monopoliewet », die de macht van de banken en handelshuizen van het Heilige Roomse Rijk aanzienlijk zou hebben beperkt.
Volgens Fugger-onderzoeker Richard Ehrenberg ontstond het verhaal over Anton pas aan het einde van de 17e eeuw, alleen maar om aan te tonen hoe trouw zij waren aan de keizer. 125
Thomas More en Erasmus veroordelen de brutale opkomst van aasgier-kapitalisme, uitbuiting en criminele financiële praktijken in Utopia.
Zonder de opkomst van het moderne ondernemerskapitalisme te ontkennen, veroordeelt Erasmus botweg de misstanden van ongebreideld financieel winstbejag:
« Christus », zo verklaart hij, « verbiedt niet vindingrijke activiteiten, maar de tirannieke drang naar profijt. »126
Ambtenaren, zo betoogde hij in zijn Opvoeding van een christelijke prins (1516), geschreven ter lering van de jonge Karel V die het boek nooit zal lezen, moesten worden gerekruteerd op basis van hun bekwaamheid en verdiensten, niet vanwege hun roemruchte naam of maatschappelijke status.
Voor Erasmus (satirisch sprekend door de mond van Zotheid):
« De meest dwaze en verachtelijke van alle menselijke klassen zijn de handelaren. Ze zijn voortdurend bezig met hun walgelijke liefde voor winst en gebruiken de meest doeltreffende middelen om die te bevredigen: liegen, meineed, diefstal, fraude en bedrog vullen hun hele leven. Ze beschouwen zichzelf echter wel een belangrijk persoon, want hun vingers zitten vol met gouden ringen en er zijn genoeg vleiende monniken die niet blozen om hen in het openbaar de meest eervolle titels te geven om zo een deel van hun oneerlijk verkregen rijkdom in te palmen. » 127
Quinten Matsys, Belastingontvangers, eind jaren 1520, Liechtenstein.
Volgens Larry Silver, op basis van de registers van de boekhouding die in dit werk zijn afgebeeld en het feit dat de belastinginning in die tijd aan privé agenten was toevertrouwd, zou men de naam van dit werk, De woekeraars moeten veranderen in De tollenaars.
Dat verandert niets aan het feit dat het centraal onderwerp van dit werk overeenkomt met de inhoud van een oud spreekwoord uit die tijd:
« Een woekeraar, een molenaar, een geldwisselaar en een tollenaar zijn de vier evangelisten van Lucifer. »
De man rechts (de woekeraar met een groteske uitdrukking) geeft hier een deel van de buit aan de gemeentesecretaris (de tollenaar, met een « normale » uitdrukking). De woekeraar, die zijn eigen leren beurs beschermd, toont hier het groteske en lelijke gezicht van hebzucht, gerechtvaardigd door de wet en wat in de officiële registers werd vastgelegd.
De actieve/passieve medeplichtigheid tussen de twee mannen is de ware lelijkheid van het verhaal. Silver geeft toe dat geldwisselaars vaak dezelfde rol speelden als bankiers, waarbij hij economisch historicus Raymond de Roover citeert.
Bovendien werd de vierde beschuldigde, de molenaar (doelwit van de schilderijen van Bosch en Bruegel), vaak gehekeld omdat de graanprijs een steeds terugkerend pijnpunt werd in tijden van schommelende prijzen voor basisproducten, zoals in deze periode het geval was.
Aangezien de verarming van de bevolking, in het bijzonder vanaf de jaren 1520, werden dergelijke satirische veroordelingen van financiële hebzucht natuurlijk heel populair. Het onderwerp werd vrijwel onmiddellijk overgenomen door de zoon van de schilder, Jan Matsys (1510-1575), die het vrijwel identiek kopieerde, Marinus van Reymerswaele (1490-1546) en JanSanders van Hemessen (1500-1566).
De bankier en zijn vrouw
Quinten Matsys, De bankier en zijn vrouw, 1514, Louvre, Parijs.
Lorenzo Lotto, Jacob Fugger, 1505.
In een meer « beschaafde » versie van deze metafoor, op hetzelfde thema, vinden we de beroemde Bankier en zijn vrouw van Quinten Matsys (1514, Louvre, Parijs). 128
In een hoofdstuk van zijn boek De Vlaamse Primitieven getiteld De erfgenamen van de grondleggers beschouwt kunsthistoricus Erwin Panofsky129 dit werk als een « reconstructie » van een « verloren werk van Jan van Eyck (een « schilderij met halffiguren, voorstellende een baas die zijn rekeningen vereffent met zijn werknemer »), dat Marcantonio Michiel beweert te hebben gezien in de Casa Lampugnano in Milaan. »
Laten we nogmaals benadrukken dat dit geen dubbelportret is van een bankier en zijn vrouw, maar één metafoor.
Terwijl de bankier (in hetzelfde gebaar als Jacob Fugger op het schilderij van Lorenzo Lotto) controleert of het gewicht van het metaal van de munten overeenkomt met hun nominale waarde, werpt zijn vrouw, die de bladzijden van een getijdenboek omslaat, een trieste blik op de hebzuchtige activiteiten van haar zichtbaar ongelukkige echtgenoot.
In 1963 schreef Georges Marlier:
« Het schilderij van het Louvre heeft geen satirische toon, maar weerspiegelt een morele bekommering (…) De stichtelijke bedoeling wordt onderstreept door een inscriptie die op de lijst verscheen toen het schilderij zich in de collectie Stevens in Antwerpen bevond, rond het midden van de 17e eeuw: “Stature justa et aequa sint podere” (laat de weegschaal rechtvaardig zijn en de gewichten gelijk)130
In Leviticus XIX, 35-36 kunnen we lezen:
« 35. Doe niets dat in strijd is met de billijkheid, noch in oordelen, noch in normen, noch in gewichten, noch in maten. « 36. Laat de weegschaal rechtvaardig zijn en de gewichten zoals ze horen te zijn; Laat de korenmaat rechtvaardig zijn, en laat de bekerhouder zijn maat hebben. »
De bankier heeft, naast de weegschaal die hij gebruikt, ook een weegschaal aan de muur hangen achter zich. Voor christelijke humanisten is het gewicht van materiële rijkdom het tegenovergestelde van dat van geestelijke rijkdom. In Van der Weydens Laatste Oordeel in Beaune toont de schilder ironisch genoeg een engel die de herrezen zielen weegt en de zwaarste onder hen… naar de hel stuurt.
Anderen beweren dat de vrouw van de bankier niet helemaal ongevoelig is voor de geldstukken, maar dat haar ogen meer op de handen van haar man gericht zijn dan op de voorwerpen die op tafel liggen. Vroomheid of het genot van rijkdom? Een stuk fruit op de plank (een appel of sinaasappel), net boven haar man, zou kunnen verwijzen naar de verboden vrucht, maar de kaars die niet brandt op de plank achter haar, herinnert aan de kortstondigheid van aardse genoegens.
Marinus van Reymerswaele, De bankier en zijn vrouw.
Wanneer Marinus van Reymerswaele dit thema (hierboven) opneemt, lijkt de verleiding voor de vrouw om geld op tafel te leggen nog wat groter.
Bolle (convexe) spiegel, detail van Quinten Matsys, De bankier en zijn vrouw, Louvre, Parijs.
We kunnen aannemen dat de bolle (convexe) spiegel, 131 die op de voorgrond op de tafel van het echtpaar is geplaatst, functioneert als een « mise en abyme » (een « kamer in een kamer » of « een schilderij in een schilderij »). We zien een man (de bankier?) die zelf een boek (religieus?) leest.
De bolle spiegel toont niet noodzakelijkerwijs een bestaande, reële ruimte, maar kan ook een denkbeeldige plaats buiten de ruimte-tijd van de hoofdscène weergeven. Het kan eventueel de bankier in zijn toekomstige leven laten zien, vrij van hebzucht, die met grote passie een religieus boek leest?
Terwijl het gebruik van bolle spiegels (waarvan de optische wetten werden beschreven door Arabische wetenschappers zoals Alhazen en bestudeerd door Franciscanen uit Oxford, zoals Roger Bacon). 132 doet Matsys’ werk denken aan Van Eycks’ Echtpaar Arnolfini (1434, National Gallery, Londen) 133 en Petrus Christus’ (1410-1475)Goudsmid in zijn atelier of Sint-Eligius 134 (1449, Metropolitan Museum of Art, New York) en is een oprecht en zeer geslaagd eerbetoon aan Van Eyck.
Het goede nieuws is dat de tot nu toe meest aanvaarde hypothese over de betekenis van dit schilderij is dat het een religieus en moraliserend werk is, met als thema de ijdelheid van aardse goederen in tegenstelling tot tijdloze christelijke waarden, en een veroordeling van hebzucht als een doodzonde.
De roeping van Mattheüs.
Inhoudelijk gezien kan het schilderij ook in verband worden gebracht met een gemeenschappelijk en populair thema uit die tijd, namelijk De roeping van Mattheüs.135
« 9. Toen Jezus daar wegging, zag Hij een man, Mattheüs genaamd, in het huisje van de tollenaar zitten. Hij zei tegen hem: ‘Volg Mij’, en Mattheüs stond op en volgde hem. « 10. Terwijl Jezus in het huis van Mattheüs zat te eten, kwamen er veel tollenaars en zondaars bij Hem en zijn discipelen eten. « 11. Toen de Farizeeën dit zagen, vroegen ze zijn leerlingen: ‘Waarom eet uw Meester met tollenaars en zondaars?’ « 12 Toen Jezus dit hoorde, zei hij: ‘Gezonde mensen hebben geen dokter nodig, maar zieke mensen wel.’ « 13. ‘Ga daarom op weg en leer wat dit betekent: Barmhartigheid wil Ik en geen offers’[a]; want Ikben niet gekomen om rechtvaardigen te roepen, maar zondaars.‘ «
(Mattheüs 9, 9-13)
De bovenstaande passage is waarschijnlijk autobiografisch, omdat het de roeping beschrijft van Matteüs om Jezus te volgen als apostel. Zoals bekend, reageerde Mattheüs positief op de roeping van Jezus en werd hij een van de twaalf apostelen.
Volgens het Evangelie heette Mattheüs oorspronkelijk Levi. Hij was een belastinginner (tollenaar) in dienst van Herodes en was daarom niet erg geliefd. De Romeinen dwongen het Joodse volk om belasting te betalen. Het was bekend dat tollenaars de bevolking oplichtten door meer te vragen dan vereist en het verschil in eigen zak stoken. Toen Levi eenmaal de roeping om Jezus te volgen had aanvaard, werd hij vergeven en kreeg hij de naam Mattheüs, wat « geschenk van Jahweh » betekent.
Dit thema kon Erasmus alleen maar bevallen, sinds het niet de nadruk legde op straf of zonde zelf, maar op positieve transformatie en verandering als resultaat van vrije wilskeuze.
Marinus van Reymerswaele, De roeping van Mattheus, 1530, Madrid.
Jan van Hemessen, De roeping van Mattheüs, 1536, München.
Zowel Marinus van Reymerswaele (in 1530) als Jan van Hemessen (in 1536), die Matsys na diens dood kopieerden en door hem werden geïnspireerd, namen het onderwerp over. Op het schilderij van Van Hemessen, net als op het werk van Matsys, zien we ook de vrouw van de belastinginner vooraan staan, eveneens met haar hand op een open boek.
3. De Da Vinci-connection (II)
Leonardo da Vinci, Man misleid door zigeuners, Windsor.
Quinten Matsys, detail van Sint-Anna Triptiek, Antwerpen.
Samengevat kunnen we zeggen dat er tot nu toe drie elementen in Matsys’ werk zijn die ons in staat stellen zijn nauwe banden met Italië en Da Vinci vast te stellen.
Zijn goede kennis van perspectief, in het bijzonder die van Piero della Francesca, zoals blijkt uit het marmeren gewelf in Italiaanse stijl dat voorkomt in het Triptiek van Sint-Anna (Antwerpen); 136
Zijn overname van Da Vinci’s vijf groteske koppen, in de sadisten aan het werk in het zijluik vanhet Sint-Annaretabel (Antwerpen)
De overname van de houding van de Maria met kind en Sint-Anna van Da Vinci (Louvre) in Matsys’ Madonna met Kind (Poznan, Polen).
Hoe deze invloed tot stand kwam, blijft een raadsel. Er zijn meerdere hypothesen toegestaan, die elkaar kunnen aanvullen:
Hij kon met andere kunstenaars die dergelijke reizen hadden gemaakt, van gedachten wisselen en in Italië contacten leggen. Een andere hypothese die onderzocht moet worden, is de vraag of Dürer, die zelf contacten in Italië had, mogelijk als tussenpersoon heeft gehandeld. Er wordt gezegd dat sommige anatomische tekeningen van Dürer naar Leonardo zijn gemaakt. Jacopo de’ Barbari schilderde een portret van Luca Pacioli, de franciscaan die Leonardo had geholpen Euclides in het Grieks te lezen. Dürer had Barbari in Neurenberg ontmoet, maar zoals we hierboven hebben gezien, was hun relatie niet erg coöperatief.
Op vrij jonge leeftijd ging hij naar Italië (Milaan, Venetië, enz.) waar hij direct contact kon leggen met Leonardo of met een of meerdere van diens studenten. Volgens Philippe d’Aarschot werd Matsys, « zonder ooit een voet in Italië te hebben gezet, beïnvloed door Leonardo da Vinci. Is zijn Maria Magdalena (Museum Antwerpen) niet een replica van de Mona Lisa? « 137 Er wordt ook gezegd dat ook Holbein de Jongere beïnvloed werd door Leonardo, zoals blijkt uit enkele van zijn composities.138
Matsys kreeg gravures te zien die door Italiaanse en Noord-Italiaanse kunstenaars waren gemaakt en verspreid. Hoewel de originele tekeningen en manuscripten na de dood van Leonardo’s meester in 1519 in Amboise werden gekopieerd en later verkocht door Melzi’s zoon, is Leonardo’s invloed op Matsys al vanaf 1507 merkbaar.
Albrecht Dürer, anatomische studie naar Leonardo, Dresden notebooks.
Het werk van Leonardo wekte de interesse van heel Europa. Zo werd in 1545 een levensgrote replica van het fresco Het Laatste Avondmaal van Leonardo da Vinci aangekocht door de Norbertijnerabdij van Tongerlo. Andrea Solario (1460-1524), een leerling van Leonardo da Vinci, zou het werk samen met andere kunstenaars hebben gemaakt. Uit recentelijk wetenschappelijk onderzoek blijkt echter dat Leonardo delen van deze replica zelf heeft geschilderd.
Replica op ware grootte van het fresco Het Laatste Avondmaal van Leonardo da Vinci, gemaakt vóór de dood van de meester. Sinds 1545 is het in het bezit van de abdij van Tongerlo in België.
Professor Jean-Pierre Isbouts139 en een team wetenschappers van onderzoeksinstituut IMEC onderzochten het doek met multispectrale camera’s. Daarmee kunnen de verschillende lagen van een schilderij worden gereconstrueerd en kunnen restauraties worden onderscheiden van het origineel.
Volgens de onderzoekers trekt één personage in het bijzonder de aandacht. Johannes, de apostel links van Jezus, is geschilderd met de speciale « sfumato »-techniek. Het is dezelfde techniek die werd gebruikt om de Mona Lisa te schilderen, en die alleen Leonardo beheerste, meent Isbouts.
Joos van Cleve, Het Laatste Avondmaal, 1520-1525).
Op vergelijkbare wijze neemt Joos Van Cleve in het onderste luik van zijn Bewening (1520-1525) de compositie van Leonardo da Vinci’s Laatste Avondmaal over, wat duidelijk aantoont dat dit schilderij bij de meeste schilders in het Noorden bekend was.
Tenslotte, zoals Silver opmerkt, verschijnt één van Leonardo’s Vijf groteske koppen, in spiegelbeeld ten opzichte van het origineel, opnieuw voor de oude man in Matsys’ later schilderij, het Ongepast koppel!
Dat het in spiegelbeeld verschijnt, zou verklaard kunnen worden als Matsys het in een gravure zag. Bij het afdrukken van de plaat verschijnt het afgedrukte beeld daadwerkelijk negatief ten opzichte van het origineel.
Quinten Matsys, Het ongepast koppel.
Matsysspiegelbeeld van MatsysDa Vinci
Ook een studie van Leonardo da Vinci van een (niet-grotesk) hoofd van een apostel voor het Laatste Avondmaal, vertoont kenmerken die dicht bij die van Matsys liggen.
Leonardo, studie voor een apostel.
4. De kunst van het groteske per se
Vermoedelijk portret van de jonge Leonardo, studie van Verrocchio voor zijn David.
Leonardo da Vinci’s werk betreffende visi monstruosi (monsterlijke gezichten), dateert in ieder geval uit de vroege Milanese periode (jaren 1490), toen hij op zoek ging naar een model om « Judas » op het fresco van het Laatste Avondmaal (1495-1498) te schilderen.
Er wordt gezegd dat Da Vinci zich bij de schepping van de personages in het schilderij liet inspireren door echte mensen in en rond Milaan. Toen het schilderij bijna klaar was, had de meester nog steeds geen model voor Judas. Er wordt gezegd dat hij rondhing in de gevangenissen van Milaan en bij criminelen op zoek naar een passend gezicht en een passende uitdrukking voor Judas, de vierde figuur van links en de apostel die uiteindelijk Jezus verraadde.
Da Vinci adviseerde kunstenaars om altijd een notaboekje bij de hand te hebben en mensen te tekenen die « ruziemakend, lachend of vechtend » waren. Hij lette op de vreemde gezichten op het plein. In een briefje waarin hij uitlegt hoe je vreemden kunt tekenen, voegt hij toe:
« Ik zal niets zeggen over monsterlijke gezichten, omdat die van nature in het geheugen blijven hangen. »
Wanneer de prior van het klooster bij Ludovico Sforza klaagt over Da Vinci’s « luiheid » bij het ronddwalen door de straten op zoek naar een crimineel die Judas kan voorstellen, antwoordt de kunstenaar dat als hij niemand anders kan vinden, de prior zelf een ideaalmodel kan worden… Tijdens de uitvoering van het schilderij is Da Vinci’s vriend, de Franciscaanse wiskundige Luca Pacioli, in de stad en heeft contact met de meester.
Voor de laatstgenoemde, die altijd gretig was om de dynamiek van de contrasten in de natuur te verkennen en vast te leggen, is lelijkheid niet zomaar een spel, maar inherent aan de rol van de kunstenaar:
« Als de schilder schoonheden wil zien die hem betoveren », schrijft hij in zijn notitieboek, « dan is hij is de meester van hun productie, en als hij monsterlijke dingen wil zien die hem bang zouden kunnen maken of die belachelijk en lachwekkend of werkelijk zielig zouden zijn, dan is hij hun Heer en God. »
Da Vinci en anderen humanisten vroegen zich af wat de relatie was tussen innerlijke schoonheid (deugdzaamheid) en uiterlijke, lichamelijke schoonheid. Op de achterkant van Da Vinci’s portret van Genivra de Benci (Washington DC), ziet men een vaandel met daarop de Latijnse tekst: « Virtutem forma decorat » (Schoonheid siert de deugd). En dus ook omgekeerd, vroeg men zich af hoe iemands lelijk uiterlijk de uitdrukking was van zijn ondeugdzaamheid.
De Italiaanse experte Sara Taglialagamba meent dat het groteske, dat abnormaal of « buiten de normen » is, niet door Leonardo werd bedoeld « om zich tegen schoonheid te verzetten », maar als een contrast, als « het tegenovergestelde van evenwicht en harmonie ». 140
De misvormingen die kenmerkend zijn voor de figuren van Da Vinci, komen zowel bij mannen als vrouwen voor. Ze komen voor bij zowel jonge als oude mensen (hoewel ze zich vooral op oudere mensen concentreren). Geen enkel lichaamsdeel wordt gespaard en ze worden vaak gecombineerd om de geportretteerden een nog dierlijker uiterlijk te geven.
Albrecht Dürer, pagina uit de Vier boeken over de verhoudingen van de mens.
Dürer, die vandaag de dag wordt beschuldigd van racial profiling, nam de studie van de canon van de menselijke proporties zeer ernstig. Deze studie werd, met name door de ontdekking van Vitruvius’ boek De Architectura, beschouwd als de sleutel tot harmonieuze verhoudingen voor zowel de schilderkunst als de architectuur en de stedenbouw.
« Schoonheid, schreef Vitruvius, wordt geproduceerd door het aangename uiterlijk en de goede smaak van het geheel, en door de afmetingen van alle onderdelen die op de juiste wijze in verhouding tot elkaar staan. » 141
Dürer heeft alle delen van het menselijk lichaam systematisch gemeten om harmonische relaties tussen de delen vast te stellen. Hij concludeert dat de variaties in de verhoudingen van gezichten en lichamen overeenkomen met de variaties die door geometrische projecties worden gegenereerd. Ze veranderen niet qua harmonie, maar ze zien er anders uit, zelfs grotesk, als ze vanuit een bepaalde hoek worden geprojecteerd.
Da Vinci en Dürer, en later Holbein de Jongere in zijn schilderij De ambassadeurs (1533, National Gallery, Londen), waren meesters in de wetenschap van de « anamorfosen », dat wil zeggen geometrische projecties vanuit raaklijnen waardoor een afbeelding zo vervormd wordt dat ze moeilijk te herkennen is voor de toeschouwer die rechtstreeks naar het platte oppervlak kijkt, terwijl de afbeelding alleen te begrijpen is wanneer deze vanuit deze verrassende hoek wordt bekeken.
Da Vinci, anamorfose.
Het feit dat meesters die geraffineerd mooie figuren creëren, zoals Da Vinci of Matsys, zich plotseling uitten met gekke karikaturen en bizarre tronies, lijkt misschien verontrustend, maar dat hoeft niet. Elke karikatuur is gebaseerd op metaforische gedachten, net als alle grote kunst. Renaissancekunst wordt vaak gezien als ordelijk en geruststellend, maar de grotesken zijn slechts een voortzetting van de spuiers van de kathedraalbouwers. En de « monsters » in de marge van zoveel verluchte manuscripten die Bosch uitlicht, zijn een voorbode van die van François Rabelais, Francesco Goya en James Ensor. 142
Zijn tronies zijn zo misvormd en afwijkend van de gebruikelijke normen dat ze als « grotesk » worden beschreven. Ze kunnen ons doen huiveren maar ze kunnen ons ook aan het lachen krijgen als we met tegenzin instemmen om neer de kijken op onze eigen onvolkomenheden of die van onze dierbaren die we liever niet willen zien. Laten we eerlijk zijn. Ons uiterlijk staat heel ver van de beelden die we in tijdschriften en op schermen zien en die we voor de werkelijkheid aanzien.
In de Lof der Zotheid van Erasmus prijst de verteller (de personificatie van de Zotheid) voor het eerst, naast vele andere prestaties, zijn eigen leidende rol bij het bereiken van dingen die met pure logica, menselijke rede, formele wijsheid en intellect zouden mislukken, zoals de belachelijke handelingen die nodig zijn om de menselijke voortplanting te bewerkstelligen.
Pas op, waarschuwt de Zotheid, als iedereen wijs en vrij van zotheid zou zijn, zou de wereld snel ontvolkt worden!
5. De metafoor van « Het ongepast koppel »
Quinten Matsys, Het ongepast koppel, Washington.
Als Erasmus met bijtende ironie de corruptie en zotheid van koningen, pausen, hertogen en prinsen aan de kaak stelt, legt hij ook dezelfde corruptie bloot die de gewone man treft, bijvoorbeeld oudere mannen die hun vrouw verlaten om bij jongere vrouwen in te trekken, een praktijk die zo wijdverbreid was, betreurde de Zotheid, « dat het bijna een onderwerp van lof is. »
De Zotheid feliciteert zichzelf met satirische ironie voor het uitstekende werk dat het doet door senioren, zowel mannen als vrouwen, enkele flinke korrels zotheid te geven:
« Het is werkelijk mijn edelmoedigheid als je overal oude mannen ziet, zo oud als Nestor, die zelfs geen menselijk gezicht meer hebben, trillend, warrig, tandeloos, grijs, kaal, of liever, om de beschrijving van Aristophanes te gebruiken: smerig, krom, ellendig, verwelkt, zonder haar of tanden of seks, die zoveel plezier in het leven hebben, zo vol jeugdige hartstocht dat de een zijn haar wit verft, de ander zijn kaalheid verbergt onder een pruik, weer een ander tanden gebruikt die hij misschien van een varken heeft geleend, weer een ander sterft van liefde voor een jong meisje en elke jongere overtreft in amoureuze onzin. We zien stervende lijken die trouwen met een jong meisje, zelfs zonder bruidsschat, die van nut zal zijn voor anderen; Het is zo wijdverbreid dat het bijna een onderwerp van lof is.
« Maar het is nog veel aangenamer om oude vrouwen te zien die al dood zijn van aftakeling, zo lijkbleek dat je zou denken dat ze uit de hel zijn teruggekeerd, en die ondanks alles maar blijven herhalen: Wat is het licht van de dag toch mooi! ze zijn nog steeds loops en zelfs, zoals de Grieken zeggen, in de bronsttijd nodigen ze een goedbetaald hertenkalf uit in hun huis, maken zich ijverig op, bergen nooit hun spiegel op, plukken hun schaamhaar, tonen hun zachte en stinkende borsten, ontlokken een trillende kreet uit een kwijnend verlangen, stoppen nooit met drinken, mengen zich onder de dansen van jonge meisjes en schrijven slechte liefdesbrieven. Dit zorgt ervoor dat iedereen moet lachen; wij vinden ze volkomen zot en dat zijn ze ook; maar ze zijn tevreden met zichzelf, voor het moment ondergedompeld in de grootste genoegens, badend in honing en, dankzij mij [Zotheid], gelukkig. » 143
De vorming van ongelijke paren in de literatuurgeschiedenis gaat terug tot de oudheid, toen Plautus, een Romeinse komische dichter uit de 3e eeuw voor Christus, oudere mannen afraadde om jongere vrouwen het hof te maken. Erasmus neemt slechts één thema uit de satirische literatuur over, met name Het Narrenschip, dat in hoofdstuk 52, waarin afgunst en hebzucht worden gecombineerd, het thema « huwelijk om geld » aansnijdt.
Naast de Lof der Zotheid wijdde Erasmus in 1529, in dialogen die hij schreef om Latijn aan kinderen te leren, een Colloquium getiteld Het ongepast koppel. (Uittreksel, hieronder)
« Het ongepast koppel »
Gabriel: Ken jij Lampride Eubule? Petronius: Er is geen betere of meer fortuinlijke burger in deze stad.
Gabriel: En zijn dochter Iphigenia? Petronius: Je gaf de bloem een naam aan jonge dames van haar leeftijd.
Gabriel: Dat klopt. Goed! Weet je met wie ze getrouwd is? Petronius: Ik weet het als je het mij vertelt.
Gabriel: Aan Pompilius Blenus. Petronius: Deze opschepper, die met zijn opschepperij voortdurend iedereen irriteert?
Gabriel: Zelf. Petronius: Maar hij is hier al lang beroemd, vooral om twee redenen: zijn leugens en zijn ziekte, die nog steeds geen echte naam heeft, ondanks het grote aantal mensen dat eraan lijdt!
Gabriel: Dit is een zeer trotse jeuk, die niet zou wijken voor lepra, elefantiasis, impetigo, jicht of jicht van de kin, als er een conflict was om de eerste rang. Petronius: Dat is wat de stam van de artsen verkondigt.
Gabriel: Wat heeft het nu voor zin om het jonge meisje aan u te beschrijven, aangezien u haar kent, en dit ondanks het feit dat haar opsmuk veel plezier heeft toegevoegd aan haar natuurlijke charmes? Beste Petronius, je zou haar voor een godin aanzien: haar kleding stond haar wonderwel. Intussen kwam de gelukkige verloofde bij ons aan, met een gebroken neus, slepend met zijn been – maar met minder gratie dan Zwitserse huurlingen doorgaans doen – met vuile handen, een vieze adem, doffe ogen, een verbonden hoofd en pus uit zijn neus en oren. Sommige mensen dragen ringen aan hun vingers, hij heeft ze zelfs aan zijn benen. Petronius: Wat is er met de ouders gebeurd dat ze zo’n kind aan zo’n monster toevertrouwen?
Gabriel: Ik weet het niet, behalve dat de meeste mensen tegenwoordig hun verstand lijken te zijn verloren. Petronius: Misschien is hij wel heel rijk?
Gabriel: Hij is extreem rijk, maar vooral aan schulden. Petronius: Als het meisje haar vier grootouders van vaders- en moederskant had vergiftigd, welke wredere martelingen had ze dan kunnen ondergaan?
Gabriel: Als ze op de as van haar vader had gepist, zou ze gestraft zijn door gedwongen te worden om zo’n monster maar één keer te kussen. Petronius: Ik ben het er helemaal mee eens.
Gabriel: Naar mijn mening is deze behandeling veel wreder dan haar bloot te stellen aan beren, leeuwen of krokodillen. Want deze wilde beesten zouden haar zo’n opmerkelijke schoonheid hebben gespaard, of een snelle dood zou een einde hebben gemaakt aan haar martelingen. Petronius: Je hebt gelijk. Deze daad lijkt mij absoluut Mezentius waardig, die volgens Vergilius de levenden aan de doden koppelde, handen op handen en mond op mond. Maar zelfs deze tiran zou, tenzij ik in de war was, niet zo barbaars zijn geweest om zo’n mooi jong meisje met een lijk te verenigen. Bovendien is er geen lijk waaraan men niet liever gehecht zou willen zijn dan aan dit stinkende karkas: want zijn adem is een waar gif, zijn spraak een wond en zijn aanraking brengt de dood.144
Dit Erasmiaanse thema van « niet bij elkaar passende geliefden » is erg populair geworden. Volgens kunsthistoricus Max J. Friedlander145 was Matsys de eerste die dit thema in onze gewesten propageerde. Matsys beeldt dit thema uit door een oudere man af te beelden die verliefd wordt op een jongere, mooiere vrouw. Hij kijkt haar vol bewondering aan, maar merkt niet dat ze zijn beurs steelt. In werkelijkheid komt de groteske lelijkheid van de man, verblind door zijn verlangen naar de jonge vrouw, overeen met de lelijkheid van zijn ziel. De jonge vrouw, verblind door haar hebzucht, lijkt oppervlakkig gezien een tof meisje, maar in werkelijkheid misbruikt ze de naïeve dwaas.
Van buitenaf ziet de toeschouwer al snel dat het geld dat ze van de oude gek steelt, direct in de handen van de nar terechtkomt die achter haar staat, wiens gezicht zowel lust als hebzucht uitdrukt. De moraal dit werk is dat alle winst noch naar hem noch naar haar gaat, maar naar de zotheid zelf (De Nar)! Een situatie die doet denken aan Bosch’ schilderij uit 1502, De Goochelaar (1475, St Germain-en-Laye).
Véél meer dan « ongelijke » liefde (een oude man met een jonge vrouw), benadrukt het schilderij van Matsys een soort van « wederzijdse corruptie » sinds elkeen alleen maar denkt aan zijn eigenbelang. Net als in de geopolitiek, denken beide partijen dat ze ten koste van elkaar winnen, maar in werkelijkheid verliezen ze beiden. Vanuit dit oogpunt gaat de « moraal » van het gebeuren veel verder dan vreemdgaan tussen partners.
Zoals we al zeiden, werden de kwalen (zoals wellust en hebzucht), die tot dan toe door de Kerk waren beschouwd als « zonden », voor de christelijke humanisten een onderwerp van hartelijk gelach, waarbij het schilderij fungeerde als een « spiegel », waardoor de toeschouwer over zichzelf kon nadenken en zijn eigen karakter kon verbeteren.
In de folklore van Saksen en later voornamelijk in Vlaanderen is Tyl Uylenspieghel een belangrijke figuur. In het woord Uyl-en-spieghel betekent Uyl de wijsheid en spieghel de weerkaatsing. Zijn fratsen zijn in werkelijkheid een afspiegeling van volkswijsheid. Zijn fratsen zijn in werkelijkheid een afspiegeling van volkswijsheid.
Albrecht Dürer, Het ongepast koppel, 1495, Metropolitan, New York.Jacopo de’ Barbari, Oude man en jonge vrouw, 1503.
Het thema van het ongepast koppel komt al voor in een kopergravure van Dürer uit 1495, waarop een jong meisje haar hand opent om geld uit de beurs van de oude man naar haar eigen hand over te hevelen. In 1503 pakte Jacopo de’ Barbari het onderwerp opnieuw op met De oude man en de jonge vrouw (Philadelphia).
Cranach de Oudere, 146 die Antwerpen in 1508 bezocht en duidelijk werd geïnspireerd door de grotesken van Matsys, maakte ontelbare variaties op dit thema (inclusief het gebruik van de grotesken van Da Vinci die door Matsys waren overgenomen!). Cranach reageerde op de groeiende vraag in het protestantse Duitsland, een productie die werd voortgezet door zijn zoon Cranach de Jongere. 147
Cranach de oudere, 1530, Düsseldorf.Cranach de oudere, 1530, Besançon.Cranach de oude, « trofee-vrouw », Warschau.Cranach de oude, « De koppelaarster », 1548, Tbilisi.
Cranach zou zijn eigen variaties op het thema schilderen, waarbij hij het vaak alleen tot « wellust » beperkte en de geldkwestie wegliet. Hoe lelijker en ouder de man, en hoe mooier en jonger de vrouw, hoe meer het resulterende contrast een emotionele impact heeft die het storende karakter van de gebeurtenis benadrukt. Cranach vindt het leuk om de rollen om te draaien en laat een rijke oude vrouw zien, vergezeld door haar bediende, die een verleidelijke jongeman verleidt…
Ongelijke geliefden, Jan Massys, Nationaal Museum, Stockholm, Zweden.
Jan Matsys, een van de zonen van Quinten Matsys, die ook met Erasmus bevriend was, heeft ons een interessante interpretatie van het thema nagelaten. Hij heeft er een sociale dimensie aan toegevoegd: arme gezinnen gebruiken hun dochters als lokaas om oudere, rijke heren te lokken, die met hun rijkdom en geld in staat zijn om de familie te voeden. Dit thema van « koppelaarsters » is ook door Goya aangesproken.
In een van Cranachs versies heeft de rijke man al een brood op tafel voor zich staan, een waar symbool van voedselchantage. Wat opvalt in de versie van Jan is de moeder, die achter de gekke oude man staat en naar het brood en het fruit op tafel staart. Hoewel hebzucht en lust nog steeds reëel zijn, dramatiseert Jan een gegeven context die niet zomaar belachelijk gemaakt kan worden.
Tot de vele andere kunstenaars die dit thema opnamen, behoren onder meer Hans Baldung Grien (1485-1545), Christian Richter (1587-1667) en Wolfgang Krodel de Oude (1500-1561). Geen van hen slaagde erin de metafoor van Matsys, die het meest trouw bleef aan de geest van Erasmus, volledig weer te geven: de zotheid die het spel wint. Een werkelijk lachwekkende situatie! De triomf van de zotheid! Ook hier baseert Matsys zich, zoals we al zeiden, voor het gezicht van de oude zot op Da Vinci’s schetsen van groteske koppen.
6. De “groteske oude vrouw”, auteurschap van Da Vinci
De lelijke hertogin (links), Quinten Matsys, National Gallery, London. De oude man (rechts), Quinten Matsys, Musée Jacquemart André, Paris.
Op dit punt kunnen we de bespreking aandurven van wat misschien het meest schandalige schilderij ooit is, afwisselend genoemd de « groteske oude vrouw » of de « lelijke hertogin ».
Er is veel inkt gevloeid om te speculeren over zijn identiteit, zijn « ziekte » (de ziekte van Paget, volgens een dokter), zijn « geslacht », vooral om de blik van de toeschouwer te richten op een letterlijke, « op feiten gebaseerde » interpretatie, in plaats van om de hilarische metafoor te waarderen en te ontdekken die de kunstenaar schildert, niet op het paneel, maar zoals gezegd in het hoofd van de toeschouwer.
Het schilderij moet worden geanalyseerd en begrepen in samenhang met zijn tegenhanger – een begeleidend schilderij – waarop een oude man is afgebeeld, wiens aandacht deze oude vrouw wil afdwingen. Verrassend genoeg kan men op het eerste gezicht zeggen dat Matsys, lang vóór Cranach, hier de gebruikelijke genderrollen omdraait. We zien immers niet een oude man die een jong meisje probeert te verleiden, maar een oude vrouw die een rijke oude man probeert te versieren.
Ten eerste is er de oude dame, die in een staat van ultieme aftakeling verkeert en wanhopig probeert een rijke oude man te verleiden. Het uiterlijk van de persoon roept, net als bij Domenico Ghirlandaio‘s Oude man en jongen (1490, Louvre, Parijs), bij de toeschouwer meteen vragen op over de relatie tussen innerlijke en uiterlijke schoonheid.
« Vanuit een uiterlijk standpunt », schrijft een waarnemer, « is deze vrouw theoretisch gezien mooi, gezien haar prachtige jurk, met juwelen versierde accessoires en ontluikende bloem. Haar innerlijke schoonheid wordt echter weerspiegeld in haar overdreven en onaangename fysieke verschijning. » 148
Opnieuw is de literaire invloed duidelijk te zien in Lof der Zotheid (1511), dat vrouwen op de hak neemt die « nog steeds de coquette spelen », die « zich niet los kunnen maken van hun spiegels » en welke « niet aarzelen hun afstotelijke verschrompelde borsten te tonen ». 149
Jan van Eyck, Portret van zijn vrouw Margaretha, 1439, National Gallery, London.
De kleding van de vrouw is duur. Ze is gekleed om indruk te maken, met onder andere een bolvormig hoofddeksel dat haar bijzondere gelaatstrekken accentueert. Ze tart de bescheidenheid die van oudere vrouwen tijdens de Renaissance werd verwacht en draagt een strak geregen lijfje dat haar gerimpelde decolleté benadrukt.
Haar haar is verborgen in de horens van een hartvormig kapje, waarover ze een witte sluier heeft geplaatst, vastgehouden door een grote broche versierd met juwelen.
Hoe goed ze ook gekleed was, toen dit paneel begin 16e eeuw werd geschilderd, waren haar kleren waarschijnlijk al tientallen jaren verouderd. Ze deden denken aan de kleren op het portret dat Van Eyck een eeuw eerder van zijn vrouw Margaret had gemaakt. Ze wekten eerder gelach dan bewondering op.
In De Ciceronianus, een fictieve dialoog gepubliceerd in 1528, stelt Erasmus dat literaire stijl, net als mode, van de ene op de andere dag verandert. Een van zijn personages, Nosophon, wordt geciteerd als hij zegt:
“Kijk maar naar beelden die niet zo oud zijn, geschilderd, laten we zeggen, zestig jaar geleden en zie wat gedragen werd door mensen van het schone geslacht die tot vooraanstaande families behoorden of aan het hof leefden. Als een vrouw nu zo gekleed in het openbaar kwam, zouden de dorpsgekken en straatjongens haar bekogelen met rot fruit.”
Hypologus, zijn gesprekspartner antwoordt dan: “Wie zou het nu pikken als een fatsoenlijke getrouwde vrouw van die enorme hoorns en piramides en kegels boven op haar hoofd zou dragen en haar wenkbrauwen en slapen zou laten plukken zodat bijna haar halve hoofd kaal is.”150
Deze hoofdtooi was een iconografisch symbool geworden van vrouwelijke ijdelheid. De horens werden vergeleken met die van de duivel of, in het beste geval, met de horens die aangaven dat zij door haar minnaars was bedrogen (cornuto). Het lijkt erop dat ze zichzelf verkoopt op basis van haar uiterlijk, want ze biedt een bloem aan. In de Renaissance-kunst staat deze bloem vaak symbool voor seksualiteit.
Het tragische lot van de afgesneden roos illustreert op de meest verontrustende manier het verstrijken van de tijd en daarmee ook het fysieke verval. Fris of kwetsbaar, de roos roept op tot onmiddellijk genot, maar lijkt tegelijkertijd te protesteren tegen de dood die haar wacht.
Er zijn verschillende namen genoemd om de vrouw te identificeren. In de 17e eeuw werd het schilderij verward met het portret van Margarete Maultasch (1318-1369) die, gescheiden van haar eerste echtgenoot Jean Henri van Luxemburg, hertrouwde met Lodewijk I, markgraaf van Brandenburg, na duizend-en-een verwikkelingen die resulteerden in de excommunicatie van het echtpaar door Clemens VI.
Een ingewikkeld verhaal in roerige tijden, waaraan Margarete de bijnaam « muil-tas’ (grote mond) of « hoer » in het Beierse dialect overhield. Het probleem is dat we andere portretten van Margarete kennen waarop ze op haar mooist is… Ze werd niettemin omschreven als « de lelijkste vrouw uit de geschiedenis » en kreeg de bijnaam « de lelijke hertogin ».
In de Victoriaanse tijd inspireerde deze afbeelding (of een van de vele versies ervan) John Tenniels afbeelding van de hertogin in zijn illustraties voor Lewis CarrollsAlice’s Adventures in Wonderland (1865). Dit hielp om de bijnaam te bevestigen en het personage tot een icoon te maken voor generaties lezers.
De oude man, Quinten Matsys, Musée Jacquemart André, Parijs.
Ten tweede is er de oude man, wiens met bont afgezette gewaad en gouden ringen, hoewel niet zo duidelijk ouderwets of absurd als het kostuum van de vrouw, toch opzichtig rijkdom suggereren.
Zijn opvallende profiel doet denken aan het bekende profiel van de belangrijkste Europese zakenbankier in de 15e eeuw, de overleden Cosimo de’ Medici van Florence. Deze laatste, die een belangrijke rol had gespeeld als beschermheer van de kunsten en als voorstander van het Oecumenisch Concilie van Florence, verloor op latere leeftijd zowel zijn verstand als zijn waardigheid.
Het is opmerkelijk dat in 1513, het jaar dat het schilderij werd voltooid, de oorlogslustige paus Julius II, de grote vijand van Erasmus, stierf en Giovanni di Lorenzo de’ Medici de nieuwe paus werd onder de naam Leo X.
Jacob Fugger.
De figuur van de oude man doet ook denken aan de verloren gegane portretten uit het begin van de 15e eeuw van hertog Filips de Stoute van Bourgondië.
Als je nog een keer kijkt en de borsten van de vrouw vergeet, zie je dat haar gezicht, een gezicht is van… een vreselijke man.
Het zou een gehate politicus of theoloog uit die tijd kunnen zijn, die de een aan de ander verkoopt in een vlaag van hebzucht en lust.
Is de lelijke oude hoer misschien een verwijzing naar de bankier Jacob de Rijke, de perverse bankier van het Vaticaan? Laten we voor nu accepteren dat we het niet weten.
De Boheemse kunstenaar Wenceslaus Hollar (1607-1677) zag het dubbelportret van Matsys en maakte er in 1645 een gravure van. Hij voegde er de titel « Koning en koningin van Tunis, bedacht door Leonardo da Vinci, uitgevoerd door Hollar » aan toe.
Da Vinci’s « vaderschap » van dit werk was dus blijkbaar een publiek geheim.
In de carnavalsperiode, waarin mensen zich een paar dagen mochten onttrekken aan de regels van de maatschappij, althans in de Lage landen en de regio Noordrijn-Westfalen, werd er met veel plezier van rolwisselingen genoten. Arme boeren konden zich voordoen als rijke kooplieden, leken als geestelijken, dieven als politieagenten, mannen als vrouwen, enzovoort.
Leonardo da Vinci, schets, National Gallery, Washington.
Het oorspronkelijke idee voor deze metafoor komt duidelijk van Da Vinci, die een klein schetsje maakte van een lelijke vrouw, mogelijk een oude hoer, opvallend genoeg met horens, een kapje en een klein bloemetje tussen haar borsten. Precies dezelfde attributen, metaforen en symbolen die Matsys later in zijn werk gebruikte!
Francesco Melzi? Kopie naar Leonardo, Harvard University.
Melzi, de leerling van Da Vinci, maar ook andere leerlingen of discipelen hebben hoogst waarschijnlijk het werk van hun meester gekopieerd of gebruikt. Het plaatsen van de oude geile vrouw tegenover een rijke Florentijnse koopman is dus misschien een originele grap van Melzi of Salai (« kleine duivel »), een lievelingsleerling van Da Vinci vooral bekend als een grapjas. Werden er onder de mantel tekeningen verkocht? Het blijft maar gissen.
Francesco Melzi? naar Leonardo, Harvard Universiteit.
Leonardo da Vinci, schets, Uffizi Museum, Florence.
Er zijn over de hele wereld verschillende grappige versies van het thema te vinden in zowel particuliere als openbare collecties.
Een andere schets, gemaakt door Da Vinci zelf of door zijn discipelen, toont een groteske wildeman, met overeind staand haar, vergezeld door een reeks grotesk ogende geleerden, van wie er één op Dante lijkt!
Francesco Melzi, zeven karikaturen, 1515, Galleria dell’Academia, Venetië.
Da Vinci, die zijn geschriften altijd ondertekende met de woorden « man zonder letteren » (omo sanza lettere) 151, voelde zich verdrukt in zijn statuut als ambachtsman en werd nooit ernstig genomen door de boekgeleerden die Lucianus veroordeelde omdat zij hun ziel hadden verkocht aan de gevestigde orde.
Dit alles laat zien dat er niets « ziekelijk » was aan wat Matsys schilderde, maar dat hij deel uitmaakte van een « cultuur » van groteske gezichten waarvan variaties werden gebruikt om de metaforische inhoud en verbeelding van de humanistische cultuur te verrijken.
De impact van Matsys behandeling van dit kluchtig onderwerp was en blijft explosief. Van vluchtige schetsen van Da Vinci, maakte hij levensgrote en adembenemend hyperrealistische voorstellingen!
In de Windsor-collectie van de koningin bevindt zich een tekening met rood krijt waarop de vrouw vrijwel exact hetzelfde is afgebeeld als in het werk van Matsys.
Melzi of Da Vinci? naar Quinten Matsys, Windsor, Londen.
Tot voor kort waren historici ervan overtuigd dat Quentin Matsys deze tekening, toegeschreven aan da Vinci, had « gekopieerd » en had vergroot als onderwerp van zijn olieverfschilderij.
« Da Vinci tekende dit unieke karakter, tot aan de gerimpelde borst die uit haar jurk tevoorschijn komt. Matsys heeft het alleen vergroot in olieverf. »152
Recentelijk onderzoek suggereert echter dat het anders ging!
In werkelijkheid zou Melzi, of Da Vinci zelf, de rode krijt tekening naar het schilderij van Matsys hebben kunnen gemaakt, hetzij door er direct naar te kijken, hetzij op basis van reproducties. Kunt u zich voorstellen dat een Italiaan een Vlaamse schilder kopieert?
Susan Foister, adjunct-directeur en conservator van Oudhollandse, Duitse en Britse schilderijen bij de National Gallery in Londen, die ook de tentoonstelling Renaissance Faces: Van Eyck tot Titiaan uit 2008 cureerde, vertelde destijds aan The Guardian:
« We kunnen nu met zekerheid zeggen dat Leonardo – of in ieder geval een van zijn leerlingen – het prachtige schilderij van Matsys heeft gekopieerd, en niet andersom. Dit is een zeer opwindende ontdekking. » 153
Volgens Foister ontdekten ze dat Matsys tijdens het proces wijzigingen aanbracht aan zijn schilderij. Dit suggereert dat de Vlaming het zelf maakte in plaats van een sjabloon te kopiëren. Bovendien zijn in de rode krijt tekening de vormen van het lichaam en de kleding te simplistisch afgebeeld en ontbreekt het linkeroog van de vrouw in de oogkas.
« Er werd altijd aangenomen dat een minder bekende kunstenaar uit Noord-Europa Leonardo zou hebben gekopieerd, en er werd niet echt rekening mee gehouden dat het andersom zou kunnen zijn », vat Foister samen. 154
Ze voegde toe dat beide kunstenaars bekend stonden om hun interesse in grotesken en dat ze tekeningen uitwisselden, « maar de eer voor dit meesterlijke werk gaat naar Matsys. » 155
Emma Capron, Associate Curator of Renaissance Painting in de National Gallery in Londen, schreef in 2023:
“Door grappige figuren te behandelen met de serieuze attributen van een portret, parodieerde Massys het genre en stak hij misschien impliciet de draak met de zelfoverschatting die inherent is aan het zitten voor een portret. De spanning tussen een waardige vorm en een obscene inhoud was een fundamenteel komisch element dat werd uitgelegd door de Romeinse redenaar Cicero en satiricus Lucianus. Het was gebaseerd op een retorische methode die bekend staat als ‘paradoxaal encomium’ (paradoxale lofzang), die bestond uit de verheerlijking van een onderwerp dat voor de grap werd verheerlijkt. Deze methode werd tijdens de Renaissance opnieuw toegepast in spottende odes aan vergane schoonheden en, het beroemdst, in Erasmus’ Lof der Zotheid.”156
7. Liefrinck en Cock
In een commentaar157 geeft Jan Muylle enkele interessante gegevens over het werk van de Antwerpse houtsnijder-graveur en prentenuitgever Hans Liefrinck (ca. 1518-1573).
Liefrinck maakte onder meer de tweede staat van Pieter Bruegels ontwerpen De Vette Keuken en De Magere Keuken, en hij werkte samen met meester drukker Christoffel Plantijn.
Hij publiceerde ook, gedrukt op twee vellen, vier nauwelijks bekende kopergravuren met groteske koppen ontleend aan tekeningen van of naar Leonardo da Vinci.
Hans Liefrinck, kopergravure.
“We zijn ervan overtuigd dat hun belang deze terloopse vermeldingen ver overstijgt,” schrijft Muylle. Deze gravuren “vertonen soms – en dit is nergens gesignaleerd – sterke overeenkomsten met enkele groteske koppen in schilderijen van Quinten Metsijs (1465-1530) –van wie men sinds geruime tijd weet dat hij schatplichtig was aan Da Vinci — en met een prent van Liefrincks befaamde collega-uitgever Hieronymus Cock (ca. 1510-1570), tevens de opdrachtgever van Bruegel. De groteske koppen van Metsijs, Cock en Liefrinck tonen namelijk aan hoe snel Da Vinci’s voorbeelden – de meester overleed op 2 mei 1519 in Amboise – door Zuidnederlandse meesters, allen werkzaam in Antwerpen, zijn opgenomen in hun artistieke traditie.”
De bijschriften en epigrammen van Liefrinck’s en Cock’s gravures geven ook “een hoogstnoodzakelijke houvast bij het formuleren van een interpretatie. Dit is welkom, omdat het hier een representatief corpus van werken betreft.”
Hans Liefrinck, kopergravure. Het epigram zegt: « Sordida, deformis sic est coniuncta marito Foemina, quo quaerat quisque sibi similem« . (De lelijke vrouw is even wanstaltig als haar man. Hieruit blijkt dat iedereen een evenbeeld zoekt).
In de cartouche van Liefrincks tweede onderschrift leest men iets wat Da Vinci ook bijna zegde : “Deformes, bone spectator, ne despice vultus. Sic natura homines sic variare solet.” (Waarde kijker, veracht deze misvormde gezichten niet. Zo zorgt de natuur er gewoonlijk voor dat de mensen onderling verschillen.)
Hieronymus Cock (ca. 1510-1570) neemt ook de groteske verbeelding over van “Het ongepast koppel” (Ongelijke Liefde) in een gravure. Er wordt gezegd dat hij ze kopieerde van de Italiaan Agostino Veniziano(1490-1550). Het epigram van Veniziano is typische Venitiaanse “humor” : “Chi non ci vol veder si cavi gli occhi“ (Wie ons niet wil zien, trek zijn ogen uit). Welke versie er eerst is gemaakt blijft voorlopig onduidelijk. In de epigrammen maken beide kunstenaars eigenlijk geen referentie meer naar het oorspronkelijk thema.
Wat duidelijk is, is het feit dat het epigram onderaan Cocks prent, veel humanistischer is :
“Al ben ick leelyck, ick ben sier plesant, Wilt ghij wel doen houet u aen mijnen kant.”
De onderschriften bij de gravures van Liefrinck en Cock sluiten goed aan met het humanisme van Erasmus en de visie van Da Vinci.
E. Slotbeschouwing
Het werk van Quinten Matsys en zijn visuele dialoog met dat van Leonard da Vinci levert ons een duidelijk bewijs dat de Lage Landen zich niet hermetisch afsloten tegen de invloed van de Italiaanse Renaissance. In deze gewesten koos men eerder wat men zag als een meerwaarde voor onze nationale cultuur: de liefde voor God, schoonheid en de mens van Petrarca, de wetenschap van perspectief van Piero della Francesca, de hilarische tronies van Leonardo da Vinci. Dat alles vond in de Lage Landen veel aandacht en bewondering. Dit was niet het land van achterlijke boeren zonder cultuur zoals dat weleens beweerd werd in aristocratische kringen die helemaal niets begrepen hebben van Bruegels diepere boodschap.
Op cultureel gebied moet men helaas vaststellen dat de « Zeven hoofdzonden » die More en Erasmus vijf eeuwen geleden probeerden in te dijken, zijn verheven tot de axiomatische « waarden » van de hedendaagse « westerse » samenleving!
Totaal het tegenovergestelde van de universele mensenwaarden die de kern vormen van de filosofische, religieuze of agnostische overtuigingen van de grote meerderheid.
« Vrijheid » werd losgekoppeld van « noodzakelijkheid », « rechten » van « plichten. » Alles mag. Lust, afgunst, hebzucht, luiheid, vraatzucht, hebzucht, woede, geweld, wreedheid, verslaafdheid, enz. worden dagelijks in een positief licht gezet op televisie en internet, met inbegrip voor laagjarige kinderen. Het mag allemaal en wordt zelfs aangemoedigd, zolang het niet indruist tegen de dominante machtsstructuur.
Erasmus zou zich in zijn graf omdraaien als hij wist dat zijn naam in 2024 vooral verbonden is aan een studiebeurs die de EU aanbiedt aan jongeren die in andere EU-lidstaten willen gaan studeren. Zoals een Belgische professor voorstelde, zouden deze beurzen een periode van verplichte training in het gedachtegoed van Erasmus moeten bevatten, en in het bijzonder in zijn vergevorderde concepten van vredesopbouw. 158
Kortom, om een nieuwe renaissance te realiseren, moeten we onze medeburgers bevrijden van Angst. Ze negeren reële gevaren, zoals een kernoorlog, en leven in angst voor denkbeeldige bedreigingen.
Redelijkheid alleen is niet genoeg. Zonder humor zou de Renaissance, met zijn ongeëvenaarde bloei van ontdekkingen en uitvindingen in wetenschap, kunst en maatschappij, nooit hebben plaatsgevonden. Humor is een katalysator voor creativiteit. Zoals sommige hedendaagse Chinese wetenschappers zeggen: “Effectief Ha-ha [lachen] helpt mensen naar A-Ha [ontdekken]”. 159
Door ons gevoel voor humor te ontwikkelen, ontwikkelen we een nieuw vermogen om problemen vanuit verschillende invalshoeken te begrijpen, en dit type denken leidt tot meer creativiteit. Problemen op een lineaire, traditionele manier benaderen leidt tot conventionele, zelfs triviale oplossingen. Maar, zoals Albert Einstein suggereerde: “Om creativiteit te stimuleren, moeten we een kinderlijke liefde voor spel ontwikkelen”.
Humor is een creatieve daad omdat creativiteit, net als humor, verrassing uitlokt door bepaalde kaders te doorbreken. In beide gevallen is het doel om niet voor de hand liggende verbanden te leggen tussen ongerijmde elementen. En wat is een grap anders dan een combinatie van verschillende en/of contrasterende ideeën die ironie creëren, een verschuiving, een ongehoorzaamheid aan conventionele verwachtingen. Humor maakt ons bewust van de ongerijmdheid tussen twee elementen. En het vermogen om van het ene element naar het andere te gaan is een cognitief proces dat creativiteit bevordert. Met andere woorden, humor verandert de manier waarop we denken en vergemakkelijkt onverwachte manieren van denken, zoals het “gedachte-experiment” dat Einstein ertoe bracht zich voor te stellen dat hij “op een lichtstraal” reed.
En het “spelinstinct” van de mens, zoals Friedrich Schiller aangeeft in zijn werk Over de esthetische opvoeding van de mens in een reeks brieven (1795), als een eerste ontmoeting met een afwezigheid van beperkingen, dient een breder project van menselijke vooruitgang, waarin de vrijheid die nodig is voor de mens om zichzelf adequaat te besturen wordt uitgeoefend door de interactie van de vermogens die zich manifesteren in de loop van de esthetische ervaring. Kortom, de ontwikkeling van zowel “spelinstinct” als humor zijn essentieel voor creativiteit en kunst, inclusief de kunst van zelfbestuur.
De Nederlandse historicus Herman Pleij zegt het goed: « Eigenlijk zou men de huidige wereld meer zotheid toewensen. Niet voor niets biedt de nar op het vroegmoderne toneel de medespelers en toeschouwers graag de spiegel aan die hij in de hand houdt. Ken uzelf. En toon u bewust van de betrekkelijkheid der dingen. Al is het maar voor even. »160
Voor hen die, net als wij, streven naar vrede door de ontwikkeling van ieder individu en iedere staat, is het tijd om de visie van Erasmus, Rabelais, Da Vinci en Matsys over de « gulle lach » heel, heel, heel serieus te nemen. Dat is de weg naar bevrijding!
Jan Matsys, circa 1530, Phoebus Foundation, Antwerpen.
Tot slot, een visuele rebus van Jan Matsys.
Oplossing:
De “D” is een afkorting van “de »;
De wereldbol betekent “wereld”;
De voet, in het Nederlands, is de naam van het lichaamsdeel “voet”, maar het woord ligt dicht bij het woord “voedt” (voedsel geven);
De vedel (snaarinstrument), waarvan de betekenis dicht bij het woord “vele” ligt;
Hieronder… de twee narren of zotten die wijzen naar wat er gebeurt « tussen neus en lepel » (tussendoor, en passant).
De oplossing van de reubus is dus: « De wereld voedt veel zotten. »
En jij, toeschouwer, jij bent één van ons, vertellen ons de zotten. Ze weten het en adviseren ons om het aan niemand te vertellen! Mondeke Toe!
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VERKLARENDE VOETNOTEN:
De spelling van de naam van de kunstenaar verschilt in de loop van de tijd en per taalcultuur. In het Frans heet hij Quentin Metsys, in het Engels Quinten Massys en in het Nederlands Quinten (Kwinten) Matsijs. In Grobbendonk heet hij Matsys. Omdat de « ij » aan het einde van de 15e eeuw nog niet bestond, koos de auteur voor deze tekst « Quinten Matsys », identiek aan de spelling die Harald Brising in 1908 gebruikte en die Matsys zelf gebruikte om zijn schilderij De bankier en zijn vrouw uit 1514, Louvre, te signeren. ↩︎
Antwerpen, Twaalf eeuwen geschiedenis en cultuur, Karel Van Isacker en Raymond van Uytven, Mercatorfonds, Antwerpen, 1986. ↩︎
Brugge, duizend jaar kunst, Valentin Vermeersch, Mercatorfonds, Antwerpen, 1981. ↩︎
Erasmus (1466-1536) is een van de grootste denkers uit de geschiedenis van de Lage landen. Hij was priester, theoloog, filosoof, schrijver en humanist. Twee centrale motieven bepalen Erasmus’ denken: de vrijheid van mensen en vrede. In 1517 schreef hij Querela Pacis, “De Klacht van de Vrede”, waarin hij de vredesengel aan het woord laat. De engel spreekt zich uit tegen strikt nationalisme, vooral wanneer dit misbruikt wordt om oorlog te voeren, en ten gunste van internationale samenwerking. ↩︎
Jean Anouilh, Thomas More of de vrije man, Editions de la Table ronde, Parijs, 1987. ↩︎
Pieter Gillis (1486-1533), beter bekend onder zijn Latijnse naam Petrus Ægidius, was een humanist, jurist, proeflezer en redacteur die werkte voor Dirk Martens. Hij is een vriend van Erasmus en komt voor in de Utopia van Thomas More. Hij beveelde de schilder Holbein de Jongere aan bij Thomas More en werd stadssecretaris (burgemeester) van de stad Antwerpen. ↩︎
Dirk Martens (1446-1534) van Aalst was een geleerde, humanist, uitgever en boekdrukker in Vlaanderen, gevestigd in Leuven en Antwerpen. Hij publiceerde de eerste brief van Christoffel Columbus, waarin hij verslag doet van zijn reis, en een vijftigtal werken van Erasmus, evenals de eerste druk van Utopia van Thomas More. Om studenten gemakkelijk toegang te geven tot kennis, liet Martens veel klassiekers drukken in zakformaat. Zie Dirk Martens, de drukker van Erasmus die de paperback verspreidde, Karel Vereycken, Artkarel, 2019. ↩︎
Gerard Geldenhouwer (1482-1442), ook bekend als Gerhardus Noviomagus, was een humanist en satiricus met erasmiaanse inspiratie. Net als Erasmus kreeg hij onderwijs aan de beroemde Latijnse school van de Broeders van het Gemene Leven in Deventer. In Leuven schreef hij zijn eerste publicaties, waaronder een bundel Satires in de traditie van Erasmus’ Lof der Zotheid. Hij hield toezicht op het drukken van diverse werken van Erasmus en Thomas More. Later sloot Geldenhouwer zich aan bij de protestantse Reformatie, meer bepaald bij de tolerante stroming van Philipp Melanchthon in Maagdenburg. ↩︎
De Nederlandse historicus Cornelius de Schryver (1482-1558), beter bekend als Cornelius Grapheaus, was een humanist, dichter, filoloog en hoogleraar Latijn. Oorspronkelijk afkomstig uit Nijmegen, vestigde hij zich in Antwerpen. Toen hij jong was, ging hij naar Italië. Als vriend van Erasmus, Gillis en Geldenhouwer leverde hij zes elegische verzen voor de uitgave van Thomas More’s Utopia, uitgegeven door Dirk Martens. Hij was meermaals stadssecretaris (burgemeester) van Antwerpen. ↩︎
Na de dood van Hans Memling in 1494 werd Gerard David (1460-1523) de belangrijkste schilder van Brugge. In 1501 werd hij deken van het gilde. Ondanks zijn succes in Brugge, liet hij zich samen met Patinir inschrijven als meester in Antwerpen, waardoor hij zijn werken ook op de bloeiende kunstmarkt van die stad kon verkopen. Zie Gerard David, Hans J. Van Miegroet, Mercator Fonds, Antwerpen, 1989. ↩︎
De Antwerpse schilder Joachim Patinir (1483-1524), afkomstig van Dinant, was een goede vriend van Quinten Matsys. Zie Patinir ou l’harmonie du monde, Maurice Pons en André Barret, Robert Laffont, Parijs, 1980. ↩︎
De Neurenbergse schilder-graveur en meetkundige Albrecht Dürer (1471-1528) woonde elf maanden in Antwerpen: van 2 augustus 1520 tot 2 juli 1521. In zijn reisdagboek lezen we over de mensen die hij in Antwerpen ontmoette, onder wie de beroemde kunstenaars Quinten Matsys, Bernard van Orley en Lucas van Leyden. Zijn terugkeer naar Neurenberg viel samen met de aankondiging van de ‘plakkaten’ (decreten) van Karel V, die katholieken verboden de Bijbel te lezen. Omdat Dürers inkomsten grotendeels afkomstig waren van het illustreren van Bijbelteksten, waren de vooruitzichten om er zijn brood mee te verdienen vrijwel nihil. ↩︎
In 1510 produceerde de in Leiden geboren en door Dürer beïnvloede Lucas van Leyden (1489-1533) twee meesterlijke gravures, Het melkmeisje en Ecce Homo. Laatstgenoemde werd door Rembrandt zeer bewonderd. Lucas ontmoette Dürer in 1521 in Antwerpen en profiteerde opnieuw van zijn invloed, zoals blijkt uit de Passieserie uit datzelfde jaar. Het is mogelijk dat Lucas zijn graveervaardigheden met de hulp van Dürer heeft verbeterd, aangezien hij na hun ontmoeting een aantal etsen heeft gemaakt. ↩︎
Holbein de Jongere (1497-1543) was een schilder uit Bazel. Als tiener werd hem gevraagd om een exemplaar van Erasmus’ Lof der Zotheid te voorzien van tekeningen, wat hem zeer goed lukte. Holbein schilderde meerdere olieverfportretten van de humanist en kwam naar Antwerpen om Pieter Gillis te ontmoeten. Later sloot hij zich aan bij Thomas More in Engeland. ↩︎
De stijl van de Antwerpse maniëristen wordt bekritiseerd vanwege het gebrek aan karakter en individuele expressie. Er wordt gezegd dat het ‘gemanierd’ is en, erger nog, dat het gekenmerkt wordt door een kunstmatige elegantie. Zie Les Primitifs flamands et leur temps, pages 621-622-623-624, Editions Renaissance du Livre, 1994. ↩︎
L’art flamand et hollandais, le siècles des primitifs (1380-1520), Christian Heck, Citadelles & Mazenod, Parijs. ↩︎
De onderzoeksgroep Ghent Interdisciplinary Centre for Art and Science (GICAS) is een samenwerking tussen leden van de faculteiten Letteren en Wijsbegeerte (Kunstgeschiedenis, Archeologie, Geschiedenis), Wetenschappen (Analytische Chemie) en Architectuur en Ingenieurswetenschappen (Beeldverwerking). Het onderzoek richt zich op de materiële aspecten van kunstwerken, met een bijzondere nadruk op de Nederlandse schilderkunst (15e-17e eeuw). Het centrum past zowel beeldvorming als beeldverwerkingstechniek toe, als ook materiaalanalyse in relatie tot kunsthistorische kwesties en toepassingen in conservering en restauratie. ↩︎
The Paintings of Quinten Massys: With Catalogue Raisonne, Larry Silver, Allanheld & Schram, 1984. ↩︎
Quentin Metsys, Andrée de Bosque, Arcade Press, Brussel, 1975. ↩︎
Quinten Matsys; essai sur l’origine de l’italianisme dans l’art des Pays-Bas, Harald Brising, proefschrift van 1908, Leopold Classic Library, herdrukt in 2015. ↩︎
Erasme et la peinture flamande de son temps, Georges Marlier, Editions van Maerlant, Damme, 1954. ↩︎
Albrecht Dürers strijd tegen neoplatoonse melancholie, Karel Vereycken, Solidarité & Progrès webpagina, 2007. ↩︎
De Eeuw van de Zotheid, over de nar als maatschappelijke houvast in de vroegmoderne tijd, Herman Pleij, Uitgeverij Bert Bakker, Amsterdam, 2007. ↩︎
Le bas Moyen Âge et le temps de la rhétorique, Hanna Stouten, Jaap Goedegebuure, Frits Van Oostrom, in Histoire de la littérature néerlandaise, Fayard, 1999. ↩︎
De vergeten beeldentaal van Jheronimus Bosch, Dr Eric de Bruyn, Heinen, ‘s-Hertogenbosch, 2001; Bosch, his picture-writing deciphered, Dirk Bax, A.A.Balkema, Rotterdam, 1978. ↩︎
De Franse schrijver en christelijk humanist François Rabelais (1483-1553) in zijn brief aan Salignac (in werkelijkheid Erasmus) zijn « vader » en zelfs zijn « moeder » en vergelijkt zichzelf liefdevol met een soort baby die in zijn baarmoeder groeide, Rabelais, Oeuvres complètes, p. 947, Editions du Seuil, Parijs, 1973. ↩︎
Het Spaanse literaire genie Miguel de Cervantes (1546-1616) kreeg zijn opleiding van zijn schoolmeester Juan Lopez de Hoyos (1511-1583), een fervent volgeling van Erasmus, wiens visie hij overbracht op zijn meest geliefde leerling. ↩︎
Het is overtuigend aangetoond dat de Engelse toneelschrijver en dichter William Shakespeare (1564-1616) het toneelstuk Sir Thomas More uit 1595 schreef, of er in ieder geval een substantiële bijdrage aan leverde. Hij beschouwde zich, in geest en daad, als de « tweelingbroer » van Erasmus. ↩︎
Erasmus of the Low Countries, James D. Tracy, p. 104, Erasmus begon rond 1515 in zijn werken te spreken over « de filosofie van Christus ». Al in Julius Exclusus (Paus Julius II uitgesloten van de hemel, 1514) introduceert hij het idee wanneer Sint-Petrus de goddelijke eenvoud van Christus’ leer contrasteert met de wereldse arrogantie van de krijger-Paus Julius II. « Dit soort filosofie » (van Christus) komt « meer tot uitdrukking in emoties [affectibus] dan in syllogismen », het gaat « meer over inspiratie dan over leren, meer over transformatie dan over redeneren. »↩︎
Over Plato‘s humanisme: Bierre, Christine, Platon contre Aristote, la République contre l’oligarchie, webpage Solidarité & Progrès, 2004. ↩︎
Martin Luther King, in een sermoen, herinnert er ons aan dat in het oude Griekenland onderscheidde men drie verschillende vormen van liefde: eros, voor geslachtelijke liefd, philia voor (broederlijke) vriendschap en agape, vertaald in het latijn als caritas voor grenzeloze naastenliefde. Agape kiest ervoor de ander te beschouwen zoals in 1 Korintiërs 13 gebeurt: altijd bereid het beste van de ander te denken, klaar om te vergeven, bereid het beste voor de ander te zoeken. Een belangrijke eigenschap van agape, is dat ze niet gebaseerd is op de eigen behoeften. ↩︎
Tussen 339 en 397 n. Chr. studeerde en schreef kerkvader Hiëronymus van Stridon, waarbij hij gebruikmaakte van veel historische en filosofische werken uit zijn eigen bibliotheek. Hieronymus bleef zijn klassieke geleerdheid inzetten in dienst van het christendom, en de intellectuele discipline die daarbij kwam kijken werd gewaardeerd zolang deze het christelijke doel kon dienen – en zonder de nieuwe christelijke samenleving in gevaar te brengen. ↩︎
De epistemologie van Augustinus van Hippo was duidelijk Platonisch. Volgens hem is God, ondanks het feit dat Hij buiten de mens staat, zich van Hem bewust vanwege zijn directe handelen op hen (wat tot uiting komt in de straling van zijn licht op de geest of soms in zijn onderricht) en niet vanwege redeneringen of het leren uit louter empirische zintuiglijke ervaringen. ↩︎
Tot de grootste successen van Pieter Bruegel de Oude behoren De zeven hoofdzonden en De deugden, twee series tekeningen, gegraveerd en gedrukt door zijn vrienden en medewerkers in drukkerij In de Vier Winden van Hieronymus Cock in Antwerpen, in een beeldtaal die hij overnam van zijn inspiratiebron, de schilder Hieronymus Bosch. ↩︎
Het leven en de kunst van Albrecht Dürer, Erwin Panofsky, Princeton University Press, 1971. ↩︎
Vanitas (van het Latijnse ‘ijdelheid’, wat in deze context nutteloosheid of zinloosheid betekent) is een soort memento mori of symbolische metafoor die herinnert aan de onvermijdelijkheid van de dood. Het symboliseert de vergankelijkheid van het leven, de zinloosheid van genot en daarmee de ijdelheid van een bestaan dat wordt gedefinieerd door de permanente zoektocht naar aards genot. ↩︎
Over de strijd van Petrarca en zijn boezemvriend Boccaccio voor de introductie van het klassieke Grieks in Europa: De revolutie van het antieke Grieks, Plato en de Renaissance, Karel Vereycken, Artkarel, 2021. ↩︎
De immense populariteit en daarmee het historische belang van deze cycli, vooral in Frankrijk, mag niet worden onderschat. In Nederland is de vaak verkeerd begrepen beeldtaal van Pieter Brueghel de Oude voor zijn schilderij De triomf van de dood (Prado, Madrid) vrijwel rechtstreeks ontleend aan de dichtbundel van Petrarca. ↩︎
Met Hieronymus Bosch op het spoor van het Sublieme, Karel Vereycken, Archiefwebpagina, Schiller Instituut, Washington. ↩︎
Bosch, De Tuin der Lusten, Reindert Falkenburg, Hazan, Parijs, 2015. ↩︎
In zijn magnum opus, Il Cortegiano (De hoveling), Boek XXXIX, bespot de pauselijke nuntius Baldassar Castiglione (1478-1519) Leonardo da Vinci en betreurt « dat een van de eerste schilders ter wereld de kunst waarin hij uniek is, verachtte en filosofie begon te studeren, waarin hij concepten en hersenschimmen smeedde die zo vreemd waren dat hij ze nooit in zijn werk kon schilderen. »↩︎
Leonardo da Vinci’s notitieboeken, Richter, 1888, XIX filosofische stelregels. Moraal. Controverses en speculaties, nr. 1178, Dover Editions, Vol. II., 1970. ↩︎
De Docta Ignorantia (Over aangeleerde onwetendheid), Nicolaas van Cusa, 1440. Cusanus volgt hier Socrates, die volgens Plato zei: « Ik weet dat ik niets weet » (Plato, Apologie, 22d). ↩︎
Met zijn De servo arbitrio (De Verslaafde Wil) reageerde Maarten Luther in 1525 op Erasmus’ De libero arbitrio (Over de Vrije Wil) die een jaar eerder, in 1524, werd gepubliceerd. ↩︎
Op 31 oktober 1517 schreef Luther een brief aan zijn bisschop, Albert van Brandenburg, om te protesteren tegen de verkoop van aflaten. Bij zijn brief voegde hij een kopie van zijn Dispuut over de kracht en doeltreffendheid van aflaten, beter bekend als de 95 stellingen. Erasmus en anderen hadden deze oplichterij al uitgebreid veroordeeld, met name in zijn Lof der Zotheid uit 1509. ↩︎
Massys and Money: Tax Collectors Rediscovered, Larry Silver, JHNA, Volume 7, Number 2 (zomer 2015), Silver schrijft: « Toch wordt de invloed van Massys’ schilderkunst op de geschiedenis van de genreschilderkunst al enige tijd erkend. Het onderwerp werd vrijwel onmiddellijk opgenomen door de zoon van de schilder, Jan Massys, door Marinus van Reymerswaele en door Jan van Hemessen. » ↩︎
Het werk werd in een paar dagen geschreven in de residentie van Thomas More in Bucklersbury bij Londen en drukt de diepe schok van Erasmus uit toen hij ontdekte in welke erbarmelijke staat hij « zijn » Kerk en « zijn » Italië aantrof toen hij in 1506 naar Rome kwam. Voor Erasmus, in tegenstelling tot de scholastici, moest emotie niet genegeerd of onderdrukt worden, maar verheven en opgeleid, een thema dat later door Friedrich Schiller werd ontwikkeld in zijn Brieven over de esthetische opvoeding van de mens (1795). Stultitia (de Latijnse naam voor Zotheid) is de personificatie van Waanzin die voortdurend heen en weer slingert tussen schijnbare zotheid = echte wijsheid en schijnbare wijsheid = echte zotheid, zichzelf uitdrukt en stellig aanspraak maakt op haar vaderschap en op haar vaderschap van alles. Van de « zachte » zotheid van de zwakken, van vrouwen en kinderen, van mannen die door hun zonde de rede hebben verlaten, gaat Erasmus over tot het mobiliseren van al zijn ironie en vernuft om de « harde » criminele zotheid van de machtigen, van de « philo-sofisten », van kooplieden, bankiers, prinsen, koningen, pausen, theologen en monniken te kastijden. ↩︎
La Nef des Fous, Sebastian Brant, Editions Seghers en Nuée Bleue, herdruk, 1979, Straatsburg. ↩︎
Sebastian Brant, Forschungsbeiträge zu seinem Leben, zum Narrenschiff und zum übrigen Werk, Thomas Wilhelmi, Schwabe Verlag, p. 34, 2002, Basel. ↩︎
Dürer maakte deze gravure ter illustratie van een populaire bundel met de titel Het Boek van de Torenridder, een handleiding voor goed gedrag voor jonge meisjes. Volgens het verhaal at de vrouw van de kok een paling die bedoeld was voor een speciale gast, maar in plaats van het aan haar man te vertellen, loog ze. Er wordt gezegd dat een ekster het geheim van de vrouw aan haar man vertelde en dat de wraakzuchtige vrouw hem als straf zijn veren liet uitplukken. De kok, afgebeeld met alle attributen van zijn vak: mes, pan en lepel, luistert naar de vogel met een uitdrukking van toenemende verbazing op zijn gezicht, terwijl zijn vrouw haar blik opzij richt in afwachting die grenst aan een oplossing. ↩︎
Het feit dat de Florentijnse schrijver en koopman Lodovico Guicciardini (1521-1589) het grootste deel van zijn leven in Antwerpen woonde, zij het na 1542, maakt hem een waardevolle bron van informatie. ↩︎
For Bruegel, his World is Vast, Interview van de auteur met Bruegel expert Michael Gibson, kunstcriticus voor de International Herald Tribune, Fidelio, Vol. 8, N° 4, Winter 1998. ↩︎
Dendrochronologisch onderzoek van Peter Klein heeft het hout gedateerd op 1491, dus voor de publicatie van Brants Narrenschip. Meestal ziet men Bosch’s oeuvre als een illustratie van de eerste editie van 1493. Een andere mogelijke bron voor de allegorie van het schip is de Bedevaart van de ziel, een werk van de 14e-eeuwse cisterciënzer Guillaume de Deguileville, gedrukt in het Nederlands in 1486. ↩︎
Dendrochronological Analysis of Works by Hieronymus Bosch and His Followers, Peter Klein, Museum Boijmans Van Beuningen-NAi Publishers-Ludion, Rotterdam, 2001; ↩︎
See Moderne Devotie et Broeders en van het Gemene Leven, bakermat van het Humanisme, lezing van Karel Vereycken, 2011, Artkarel.com. ↩︎
Dit thema, verder ontwikkeld door Joachim Patinir, Herri met de Bles en anderen, staat centraal in DeBedevaart van de ziel, Guillaume De Deguileville, 14de eeuw. ↩︎
De Moderne Devotie, Spiritualiteit en cultuur vanaf de late Middeleeuwen, collectief werk, WBooks, Zwolle, 2018. ↩︎
Dionysus de Kartuizer (1401-1471) ging op 13-jarige leeftijd naar Zwolle om les te volgens aan de Latijnse school van de Broeders van het Gemene Leven, die werd geleid door Johannes Cele. Hij vergezelde Cusanus op zijn reis door de Nederlanden in 1451. Hij was bechtvader en raadsman van Hertog Filips de Goede. Hij was waarschijnlijk de theologische adviseur van Jan van Eyck voor de compositie van het Lam Gods. Dionysus schreef De Venustate Mundi et Pulchritudine Dei (Over de aantrekkingskracht van de wereld en de schoonheid van God). Een ander bekend traktaat van hem is Speculum amatorum mundi, vertaald als Spieghel der liefhebbers deser werelt (verschenen in 1535). Het is een moralistisch-didactisch werk dat de dwaasheid van aardse genietingen uitlegt. Wie de wereld liefheeft is verdoemd, want de weg naar de hemel is smal. Een zuiver hart kan geen vreugde vinden op aarde en begrijpt dat de eeuwige vreugde alleen is weggelegd voor wie tijdens het leven godvruchtig lijdt. ↩︎
Hier moeten we het baanbrekende werk van Prof. Eric de Bruyn erkennen in zijn opmerkelijke boek De vergeten beeldentaal van Jheronimus Bosch, Heinen, ‘s-Hertogenbosch, 2001, waarin hij onomstotelijk aantoonde dat het onderwerp van de achterkant van Bosch’ schilderij « De hooiwagen » niet de « Terugkeer van de verloren zoon » was, zoals jarenlang werd gedacht, maar eerder « De marskramer »↩︎
Les Flamands de France, Louis de Baecker, Messager des sciences historiques et archives des arts de Belgique, p. 181, Gent, Vanderhaeghen, 1850. ↩︎
Eigentijdse beschrijving, in De vergeten beeldentaal van Jheronimus Bosch, p. 23. Dr. Eric de Bruyn, Adriaan Heinen Uitgevers, s’Hertogenbosch, 2001 ↩︎
Voor een gedetailleerd relaas van Matsys’ jeugd, zie Quinten Metsys, Andrée de Bosque, p. 33, Arcade Press, Brussel, 1975. ↩︎
De legende begon met Dominicus Lampsonius (1536-1599), die in zijn Gelijkenissen van enige bekende schilders uit Neder-Duitsland, uitgegeven in 1572 door de weduwe van Hieronymus Cock in Antwerpen, een gegraveerd portret van Matsys opnam, gemaakt door Jan Wierix, vergezeld van een gedicht over hoe Matsys’ vriendin de voorkeur gaf aan het geluid van het stille penseel boven het zware geluid van de hamerslagen van een smid. Het verhaal wordt in 1604 opgenomen door Karel van Mander in zijn Schilder-Boeck en later door Alexander van Fornenberg (1621-1663) in zijn enthousiaste presentatie van Matsys, Den Antwerpschen Protheus, vaak Cyclopshen Apelles; dat wil zeggen; Het leven, het einde van de koninklijke familie, het einde van het land, het einde van het hoge land, de heer Quinten Matsys: Van Grof-Smidt, in Fyn-Schilder, Antwerpen, uitgegeven door Hendrick van Soest, 1658. ↩︎
Quinten Metsys, Edward van Even, in Het Belfort, Jaargang 12, 1897, Digitale Bibliotheek voor Nederlandse Letteren, webpagina. ↩︎
Architectuurtekeningen uit Nederland: 15e-16e eeuw, Oliver Kik, CODART eZine, nr. 8, herfst 2016. ↩︎
Voor meer: Cornelis Matsys 1510/11-1556/57: Grafisch werk, Jan Van der Stock, Tentoonstellingscatalogus. ↩︎
De Bourgondische Nederlanden, Walter Prevenier en Wim Blockmans, Mercator en Albin Michel Fonds, 1983. ↩︎
Zie The Age of the Fuggers, Franz Herre, Presse-Druck- und Verlag-GmbH Augsburg, 1985. ↩︎
In 1548 vermeld Francisco de Hollanda (1517-1585), in zijn De Pinture Antigua (1548), het gesprek tussen Vittoria Colonna en de beroemde schilder Michelangelo waarin ze de kunst van het noorden bespraken. Michelangelo: « Over het algemeen, mevrouw, zal de Vlaamse schilderkunst de liefhebber beter bevallen dan welke schilderkunst uit Italië dan ook, die hem nooit een traan zal doen laten, terwijl die uit Vlaanderen hem er vele zal doen laten; en dit niet vanwege de levendigheid en de vaardigheid van het schilderen, maar vanwege de goedheid van de vrome persoon. In Vlaanderen schildert men omwille van de uiterlijke precisie of van dingen die je blij kunnen maken en waarover niemand kwaad mag spreken, zoals heiligen en profeten. Zij schilderen voorwerpen en metselwerk, het groene gras van de velden, de schaduwen van bomen, rivieren en bruggen. Dit noemen zij landschappen, met veel figuren aan de ene kant en veel figuren aan de andere kant. En dit alles, hoewel het sommigen bevalt, gebeurt zonder enige vakkundige keuze van stoutmoedigheid en, in laatste analyse, zonder inhoud of kracht. »↩︎
Over deze kunstenaar: zie Dieric Bouts, Catheline Périer D’Ieteren, Mercator Fonds, Brussel, 2005. ↩︎
Over deze kunstenaar: zie Hugo van der Goes, Elisabeth Dhanens, Mercatorfonds, Antwerpen, 1998. Ook Hugo van der Goes en de Moderne Devotie, Karel Vereycken, Artkarel.com. ↩︎
Zie Schilderijen in de Bourgondische Nederlanden, Bernhard Ridderbos, Davidsfonds, Leuven, 2014. ↩︎
De drie graden van visie volgens Ruusbroec de Wonderbare en de herders in Van der Goes’ Portinari Triptiek, Delphine Rabier, Studies in Spirituality, nr. 27, pp. 163-179, 2017. In zijn tweede Brusselse werk, Die geestelike brulocht (ca. 1335/40) legt Ruusbroec uit dat het geestelijke leven in drie stadia verloopt waarin de liefde tot God zich telkens verdiept: het werkende leven, het innige leven en het Godschouwende leven. Ruusbroec beklemtoont dat de mysticus die het hoogste stadium heeft bereikt de vorige twee nooit achterlaat, maar ze beoefent vanuit de vereniging met God. Dit noemt Ruusbroec het ‘gemene’ leven. ↩︎
Over deze kunstenaar: zie Rogier van der Weyden, Dirk De Vos, Mercatorfonds, Antwerpen, 1999. ↩︎
Over de muziekcomposities van Jacob Obrecht (1457-1505), zie Vlaamse Muziek, Robert Wangermée, Arcade, Brussel, 1968. ↩︎
Metsys’s Musician: A Newly Recognized Early Work, Larry Silver, Journal of Historians of Netherlandish Art (JHNA), Volume 10, N° 2, Zomer 2018. ↩︎
Over de Renaissance en het hof van Ferrara: Een unieke Renaissance, Het Este-hof in Ferrara, Bentini Jadranka, Quo Vadis, 2003. ↩︎
De Latijnse school van de Broeders des Gemene Leven in Deventer werd ten tijde van Erasmus geleid door Alexander Hegius (1433-1498), een leerling van de beroemde Rudolf Agricola (Huisman) (1442-1485), een leerling van Cusa en een vurig verdediger van de Italiaanse Renaissance en de klassieke literatuur. Erasmus noemde het een ‘goddelijk intellect’. Op 24-jarige leeftijd reisde Agricola door Italië om orgelconcerten te geven en ontmoette daar Ercole d’Este I (1431-1505), heerser van het hof van Ferrara. Aan de Universiteit van Pavia ontdekte hij ook de verschrikkingen van de aristotelische scholastiek. Toen Agricola in Deventer doceerde, begon hij zijn lezing met de woorden: « Vertrouw niets van wat je tot op heden hebt geleerd. Wijs alles af! Begin met het standpunt dat alles moet worden afgeleerd, behalve datgene wat u opnieuw kunt ontdekken op basis van uw eigen autoriteit of op basis van decreten van hogere auteurs. »↩︎
De hypothese dat Quentin Matsys een reis naar Italië heeft gemaakt, is met name geopperd door de Italiaanse auteur Limentani Virdis. Hij schrijft de schilder zelfs het vaderschap toe van een fresco in het Milanese oratorium van de abdij van Santa Maria di Rovegnano. ↩︎
Vlaamse Kunst, p. 261, Dirk de Vos, Mercatorfonds, 1985. ↩︎
Le Beau Martin, Gravures et dessins, Musée d’Unterlinden, Colmar, 1991; ↩︎
Renaissance in the North, Holbein, Burgkmair, and the Age of the Fuggers, Guido Messling, Jochen Sanders (eds), Hirmer, 2023; ↩︎
Van Eyck, Vlaams schilder die de Arabische optica gebruikte, Karel Vereycken, lezing over het thema « Perspectief in de Vlaamse religieuze schilderkunst van de 15e eeuw » aan de Sorbonne Universiteit van Parijs, 26-28 april 2006. ↩︎
Van Eyck, een optische revolutie, Maximiliaan Martens, Till-Holger Borchert, Jan Dumolyn, Johan De Smet en Frederica Van Dam, Hannibal, MSK Gent, 2020. ↩︎
De rol van Avicenna en Ghiberti bij de uitvinding van het perspectief in de Renaissance, Karel Vereycken, Artkarel, 2022. ↩︎
Ibn al-Haytham over binoculaire visie: een voorloper van de fysiologische optica, Arabische Wetenschappen en Filosofie, pp. 79-99, Raynaud, Dominique, Cambridge University Press, 2003. ↩︎
Leon Battista Alberti (1404-1472) publiceerde zijn De Pictura in 1435. Hoewel het werk belangrijke geometrische concepten uitwerkt die gebruikt worden in perspectiefweergave, ontbreekt elke vorm van illustratie of beeldspraak en gaat het niet in op de vorming van beelden in de geest van de toeschouwer. Leonardo nam de tijd om de beperkingen van het Albertiaanse systeem te demonstreren en presenteerde enkele alternatieven. ↩︎
Grondslagen van de Renaissance, architectuur en verhandelingen in het altaarstuk van Anna van Quentin Matsys (1509), Jochen Ketels en Maximiliaan Martens, European Architectural Historians Network, EAHN: Onderzoeken en schrijven van architectuurgeschiedenis: onderwerpen, methodologieën en grenzen. blz. 1072-1083. ↩︎
De prospectiva pingendi (Over het perspectief van de schilderkunst), geschreven door Piero della Francesca (1415-1492), is het eerste Italiaanse Renaissance-traktaat dat aan het onderwerp perspectief is gewijd. Zie Het ei zonder schaduw van Piero della Francesca, Karel Vereycken, Fidelio, Vol. 9, nr. 1, voorjaar 2000, Schiller Institute, Washington. ↩︎
Joachim Patinir, Het landschap als beeld van de levende wereld, Reindert L. Falkenburg, Nijmegen, 1985. ↩︎
In Albrecht Dürer, Anja-Franziska Eichler, Könemann, 1999, Keulen, p. 112. ↩︎
Zie Erasmus’ droom, het « Drietalen college » van Leuven (1517-1797), Pr. Jan Papy, Editions Peeters, Leuven, 2018. ↩︎
Jacopo de’ Barbari en de vroege zestiende-eeuwse noordelijke kunst, Jay A. Levenson, New York University, 1978. ↩︎
Vier boeken over menselijke verhoudingen, Albrecht Dürer, 1528. Het is de moeite waard om op te merken, voor ons onderwerp hier, dat de kunstenaar in het derde boek principes geeft waarmee de verhoudingen van figuren kunnen worden veranderd, inclusief de wiskundige simulatie van convexe (bolle) en concave (holle) spiegels. ↩︎
Citaat uit Italiaanse prenten uit de National Gallery of Art, Jay A. Levenson, Konrad Oberhuber, Jacquelyn L. Sheehan, National Gallery of Art, 1971. ↩︎
Les premières gravures italiennes, Quattrocento-début du cinquecento.Venise, Vicence, Padoue : Jacopo de Barbari, Girolamo Mocetto, p. 312-348, Inventaire de la collection du département des Estampes et de la Photographie, Éditions de la Bibliothèque nationale de France, 2015. ↩︎
Albert Dürer et ses rencontres avec les artistes des Pays-Bas, Matthias Mende, Stadtgeschiedliches Museum-Nürnberg, in Albert Dürer aux Pays-Bas, son voyage (1520-1521), son influence, Paleis voor Schone Kunsten, Brussel, 1977, p. 149. ↩︎
Albrecht Dürer, Dagboek van zijn reis naar de Lage landen, 1520-1521. Vergezeld van het zilverstift schetsboek en de schilderijen en tekeningen gemaakt tijdens zijn reis, New York Graphic Society, Greenwich, 1996. ↩︎
Erasme parmi nous, p. 72-73, Léon E. Halkin, Fayard, Parijs, 1987. ↩︎
Jozef van Arimathea is een Bijbelse figuur die verantwoordelijk was voor de begrafenis van Jezus na zijn kruisiging. ↩︎
Herodes de Grote (ca. 72 – ca. 4 v.Chr.) was een Romeins-Joodse ‘cliëntkoning’ (satraap) van het koninkrijk Judea. Hij staat bekend om zijn kolossale bouwprojecten, waaronder de herbouw van de Tweede Tempel in Jeruzalem. ↩︎
Over de rol van Julius II bij de wederopbouw van Rome, zie What Humanity Can Learn from Raphael’s School of Athens, Karel Vereycken, Artkarel.com, 2022. ↩︎
Over de rol van de Fuggers en de Welsers in de financiële en fysieke slavernij in die tijd, zie Jacob the Rich, father of financial fascism, Karel Vereycken, Artkarel, 2024. ↩︎
Le prêteur et sa femme de Quinten Metsys, Emmanuelle Revel, Collection Arrêt sur œuvre, Service culturel, Action éducative, Louvre, Paris, 1995. ↩︎
Les primitifs flamands, Erwin Panofsky, Harvard University Press, 1971, vertaald van het Engels door Dominique Le Bourg, Hazan, collection « 35/37 », Parijs, 1992, pp. 280-282. ↩︎
Le siècle de Bruegel. La Peinture en Belgique qu XVIe siècle, catalogue d’exposition 27 septembre – 24 novembre 1963, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles, nota van Georges Marlier. ↩︎
Voor een bespreking van dit onderwerp en tegenstrijdige interpretaties: voor de duivelse aard van spiegels, zie Histoire du miroir, Sabine Melchior-Bonnet, Imago, Paris, 1994; voor spiegels als bemiddeling van het goddelijke, zie Cusanus, Het zien van God, 1453. ↩︎
L’hypothèse d’Oxford, Dominque Raynaud, Presses Universitaires de France, Paris, 1988. ↩︎
Jan van Eyck, a Flemish painter using Arab Optics, Karel Vereycken, lezing, 2006 Sorbonne Universiteit, Parijs, Artkarel, France. ↩︎
Zie Petrus Christus, Maryan W. Ainsworth and Maximiliaan P. J. Martens, p. 96. ↩︎
Iconographie de l’art chrétien, Louis Réau, Presses Universitaires de France, 1958, tome III, Iconographie des saints, pp. 927-928. ↩︎
Gids voor de Kunst in België, Philippe d’Aarschot, p. 105, Spectrum, 1965. ↩︎
Holbeins De Lais van Corintië uit 1526 toont de invloed van Leonardo da Vinci. Pierre Vays, honorair hoogleraar kunstgeschiedenis aan de faculteit van Genève, benadrukt ook de “Leonardesque toets van sommige van zijn composities”, in Holbein de Jongere, op https://www.clio.fr↩︎
Da Vinci likely painted part of Belgium’s ‘The Last Supper’ replica, Maïthé Chini, The Brussels Times, May 2, 2019. ↩︎
In Les grotesques et mouvements de l’âme, Léonard de Vinci conçu par Wenceslaus Hollar à la Fondation Pedretti, Federico Giannini, Finstre Sull’Arte, 26 mars 2019. ↩︎
The Colloquies of Erasmus, door de auteur vertaald van het engels, Gibbing & Company, London, 1900. ↩︎
Early Netherlandish Painting. volume 7, Quentin Massys, Max J. Friedländer, Editions de la Connaissance, Bruxelles, 1971. ↩︎
Cranach der Ältere und die Niederlande, Till-Holger Borchert, in DIe Welt von Lucas Cranach, editions G. Messling, 2010. ↩︎
Les couples mal assortis – Lucas Cranach, Perceval, eve-adam.over-blog.com, 2016 ↩︎
The Ugly Duchess by Quinten Massys, An Analysis, Katie Shaffer, Academia.edu, 2015. ↩︎
In Picturing women in late Medieval and Renaissance art, Christa Grössinger, Manchester University Press, 1997. p. 136. ↩︎
Quinten Massys and the Art of Satire, Emma Capron, in The Ugly Duchess, Beauty & Satire in the Renaissance, p. 20-21, uitgegeven in 2023 door National Galery Global en Yale University Press ter gelegenheid van de eponieme tentoonstelling; ↩︎
Léonard de Vinci, Daniel Arasse, p. 36, Hazan, Paris, 1997. ↩︎
De Larousse Encyclopedie merkt op dat « de invloed van Leonardo zichtbaar is in een Maria met kind (Museum van Poznań), geïnspireerd op de Maagd Maria en Sint-Anna, en ook te zien is in het vakmanschap van de Maagd van Rattier (1529, Louvre) of de Madeleine (Museum van Antwerpen). Het kan de karikaturale tendens hebben geïnspireerd van De oude man (1514, Parijs, Jacquemart-André Museum), van De lelijke vrouw (kopie in Londen, NG) en misschien zelfs genretaferelen zoals De oude Galant (Washington, NG) of De woekeraar (Rome, Gal. Doria-Pamphili). » ↩︎
Opgelost: Het mysterie van de boze hertogin – en de Da Vinci-connectie, Mark Brown, The Guardian, 11 oktober 2008. ↩︎
Creativity and Humor, Chapter 4 – Why Humor Enhances Creativity From Theoretical Explanations to an Empirical Humor Training Program: Effective “Ha-Ha” Helps People to “A-Ha”, Ching-Hui Chen, Hsueh-Chih Chen, Anne M. Roberts, pages 83-108, Explorations in Creativity Research, 2019; ↩︎
De Eeuw van de Zotheid, over de nar als maatschappelijke houvast in de vroegmoderne tijd, Herman Pleij, p. 11, Uitgeverij Bert Bakker, Amsterdam ↩︎
In its september 2024 issue #22, the Contemporary Art Magazine ArtistCloseUp, widely read among professionnals, presented some works of the French-Belgian Painter-engraver Karel Vereycken.
On July 23, the magazine published an online interview with Karel on what motivates him and his creative method.
Karel Vereycken
Born in 1957 in Antwerp, Karel graduated from the Institut Saint-Luc in Brussels and trained in engraving at the Académie Royale des Beaux-Arts, where he obtained a certificate of passage « with distinction. » In France, as a member of the Fédération nationale de l’estampe, he confirmed his technical mastery at Atelier63 and continued to perfect his skills in the Paris workshop of Danish engraver Bo Halbirk.
What is your background and how did you start your journey in the art world?
“I was born in 1957 in Antwerp. My parents worked in the port and the ship repair industry. Their adolescence, studies and careers were reduced to zero by the war period and the need to bring an income and feed their brothers, parents and family. So for their children, my parents thought we should have the occasion to fully enjoy and explore the cultural dimensions.
My mother, who was prevented by the war to become an opera singer, got me into a music school. But at that time, the teaching methods, basically learning to read scores for two years before ever being allowed to sing, were so repugnant that I ran away from that. As an alternative, my mother sent me to a communal drawing school directed by a talented sculptor named Herman Cornelis. The bearded cigar-smoking giant would rip pages out of old books and stick them in my hands saying “copy this!”
At the same time, my father would take me every weekend to visit the numerous museums of Antwerp where paintings of Bruegel, Rembrandt, Bosch, Rubens, Van Eyck and many other Flemish masters were on show. Father couldn’t really explain why but knew this was somehow very important.
Antwerp has also a well preserved XVIth century print shop of Christopher Plantin, a French humanist who worked in that city in the 16th century with many cartographers such as Mercator and Ortelius, whose engraved globes and printed maps impressed me deeply.
Then, at age 12, I won my first art prize and my teacher convinced my mother “there was precious talent” in me. With that advice, my mother sent me to Brussels to attend the Saint Luke Art School and study Plastic Arts. Some teachers were quite annoying but others got us into deep study of anatomy, examining Leonardo da Vinci and Albrecht Dürer’s groundbreaking studies. I continued another two years at the Ecole Royale des Beaux Arts of Brussels to study copper engraving and got graduated “with distinction.”
I then moved to Paris and worked as a journalist and editor of a non-commercial militant paper. But after some years, I found out art was really lacking in my life so I returned to it. First by producing copies of old masters painting on wooden oak panels with hand-made egg tempera, venitian turpentine and various other ancient oil techniques I rediscovered with a friend of mine.
Since the people that ordered these painting took them home, at the end, I had nothing to put on show. Therefore, I returned to watercolors and etching. I also gave a three year course of drawing for some of my friends, mainly amateurs and beginners.”
What inspires you?
“What always attracted me in painting and imagining is the way art “makes visible” things and ideas that are “not visible” as such in the simple visible world but which “appear” in the minds of the viewer.
It took me over twenty years to sort out the difference between “symbols” (a “convention” accepted among a group or a code system designed to communicate a secret meaning), and “metaphor” which by assembling things unusual, by irony and paradox, allows the individual mind to “discover” the meaning the painter intended to transmit.
Such an approach offers the joy of discovery and surprise, a deep human quality. Modern art started as a non-figurative form of symbolism till “contemporary” art brought many artists to put an axe into the very idea of poetical meaning.
In 1957, the CIA sponsored, under various covers and often without the artists even knowing about it, many “abstract” artists to promote a form of art that it considered coherent with its ideology of “free enterprise.”
So what inspires me is true human culture, be it Chinese painting of the Song dynasty, the Buddhist sculptures of Gandhara, the early Flemish masters or the magnificent bronze heads of Ifé in current Nigeria. Bridging the distances in space and time, religion and philosophy, stands the celebration of unique human capacities, that of compassion, empathy and love.”
What themes do you pursue? Is there an underlying message in your work?
“I don’t pursue themes, they pursue me! My aim is to shock people by showing them that nothing is more “modern” and “revolutionary” than “classical” art, not understood as annoying academic formalism, but as a science of composition based on non-cynical, liberating ironical poetical metaphors, who are the key to all forms of art be it in the domain of the visual arts or music. Art is always a “gift” from the artist to the viewers and the act of giving is an act of love. That is the message.”
How would you describe your work?
“I consider my work as part of a teaching activity, as a sort of humanistic intellectual guerrilla “warfare.” Even if I appreciate selling my works, and get more resources available for my art work, I’m definitely not out to please a given public or to market an aesthetic object. What counts for me is to get viewers to reflect on how “art” can be a “window” to a dimension people intuitively know as important but were never given access to.
I also took dozens and dozens of friends on guided tours at the Louvre in Paris, to the Frankfurt Museum or to the Metropolitan in New York. Some of these guided visits have been audio-taped and are available on my website. After these tours, most of those I guided thanked me warmly saying “I never even suspected to what degree ideas are transmittable through paintings.””
Which artists influence you most?
“I have studied in depth the European renaissance in the works of Ghiberti, Van Eyck, Leonardo, followed by Piero della Francesca and Dürer, arab optical science gave us the science of perspective representation. I wrote several book-length articles on Rembrandt whose tenderness and profoundness moved me to tears. But if one looks to his life, he’s main quality was not his natural talent alone but the fact that he was such a hard worker. For example, to have your portrait done by Rembrandt, you had to pause for some time every day in his studio during at least three months! Having natural talents makes artists lazy! But having good results after much hard work is the trait of genius.
Deciphering Hieronymus Bosch images in his paintings brought me to explore all the ironies of the 15th Century’s Dutch language brought up by Erasmus and his circles. Viewing all of Goya’s work on show in Madrid was another shock to the degree that his painting is so political while remaining beautiful visual poetry in its own right. Emotionally, I identify mostly with him who saw, just as me, both Rembrandt, Erasmus and Bosch as the sources of his elan. Today, Gandhara Buddhist art is adding new dimensions I ignored and helps me to add the required nuances to my views mostly centered on European art.”
What is your creative process like?
“It takes a lot of courage to overcome the fear to be “completely alone” while you walk a road nobody ever walked on. Everything starts by having a “spark” of imagination and forge it into paradoxical metaphors. As an example, the way I created my work Stairway to Heaven (color etching on zinc, image 3). It started with my examination of the fantastic Chinese landscape paintings. Going through pictures of Chinese landscapes, I realized some of these paintings were not pure imagination but based on landscapes that really existed. The most fascinating of them are certainly those of an area called “Yellow mountains.”
Now at that time, I was also unraveling the way the Flemish painter Joachim Patinir painted his landscapes, as objects for religious contemplation. In the latter’s painting, man is seen, as in Augustinian philosophy, as a pilgrim, who has to learn how to detach himself from earthly possessions, that attachment considered a source of evil. The pilgrim is at the crossroads. By his free will he has to decide, either to take the easy road downhill or the difficult road uphill where he will reach out by going through a small gate.
So in my etching, I “married” a landscape from this Flemish school (on the left) with a view of China’s Yellow mountain. Initially, I had left out the pilgrim, but by working on the landscape, the idea came back to my mind. To accentuate that the road downhill was the road to evil, I added an owl, in Flemish folk art a symbol of evil since able to see in the dark and to grab you in your weakness. So, as one of my friends says, “behind Karel’s works, there’s always a story,” but it is up to you to discover it !”
What is an artist’s role in society and how do you see that evolving?
“I see on the internet dozens of very talented artists, the world is full of them! But what is required is a turn. What we need are political and financial elites willing to promote a culture that give these talents the chance and the means to shape the public and urban living space. We need a “culture of art” that makes people more and not less human.
As the German poet Friedrich Schiller said in his poem “The artists,” it is them that have the dignity of mankind in their hands, with them humanity rises or falls. Today, a much required turn is desirable. The despicable dictatorship of a handful of greedy gallerist sitting in London, Zurich, Venice and Geneva and deciding who is or is not a valuable artist should be brought to an end and I’m not even mentioning the laundering of criminal money it involves.”
Have you had any noteworthy exhibitions you’d like to share?
“With my colleagues from the workshop of Bo Halbirk in Montreuil, it was really nice in June 2024, to present my works at the 6th Exhibit of Contemporary Prints at the Paris Saint-Sulpice market. Going public, meeting art lovers and fellow artists is always a pleasure and a way to open new avenues. I need more of that!”
Joachim Patinir, Landscape with Saint Jerome, National Gallery, London.
In November 2008, a symposium was held at the Centre d’études supérieures sur la Renaissance in Tours on the theme of « Contemplation in Flemish painting (14th-16th centuries) ».
Here is a transcript of the contribution by Karel Vereycken on Joachim Patinir, a little-known Belgian painter who is essential to the history of art.
Joachim Patinir (1485-1524), drawing by Albrecht Dürer, who attended Patinir’s wedding in Antwerp in 1520.
It is generally believed that the « modern » concept of landscape in Flemish painting only emerged with the work ofJoachim Patinir (1485-1524), a Dinant-born painter working in Antwerp in the early 16th century.
For Viennese art historian Ludwig von Baldass (1887-1963), writing at the beginning of the 20th century, Patinir‘s work, presented as clearly ahead of its time, would herald landscape as überschauweltlandschaft, translatable as « panoramic landscape of the world », a truly cosmic and totalizing representation of the visible universe.
What characterizes Patinir‘s work, say the proponents of this analysis, is the sheer scale of the landscapes it presents for the viewer to contemplate.
This breadth has a dual character: the space depicted is immense (due to a panoramic viewpoint situated high up, almost « celestial »), while at the same time it encompasses, without concern for geographical verisimilitude, the greatest possible number of different phenomena and representative specimens, typical of what the earth can offer as curiosities, sometimes even imaginary, dreamlike, unreal, fantastic motifs: fields, woods, anthropomorphic mountains, villages and cities, deserts and forests, rainbows and storms, swamps and rivers, rivers and volcanoes.
Bayart Rock on the Meuse, near Dinant, Belgium.
For example, the « Bayart Rock », which borders the Meuse not far from Patinir‘s native town of Dinant.
In addition to this panoramic perspective, Patinir uses aerial perspective – theorized at the time by Leonardo da Vinci – by dividing the space into three color planes: brown-ochre for the first plane, green for the middle plane and blue for the distant plane.
However, the painter preserves the visibility of the totality of details with a meticulousness, minutiae and preciousness worthy of the Flemish masters of the XVth century, who, by tending towards a quantitative infinity (consisting in showing everything), sought to approach a qualitative infinity (allowing us to see everything).
For their part, the authors of the weltlandschaft thesis, after showering with praise, do not hesitate to strongly relativize his contribution, saying:
« For landscape painting to become anything other than a virtuoso but compulsive accumulation of motifs, and more precisely, the quasi-documentary capture of an infinitesimal fragment of contingent reality, we have to wait for the XVIIth century and the full maturity of Dutch painting… ».
And it’s here that the trap of this approach, which consists in making us believe that the advent of landscape as an autonomous genre, its so-called « secularization », is simply the result of emancipation from a medieval and religious mental matrix, considered necessarily retrograde, for which landscape was reduced to a pure emanation or incarnation of divine power, is clearly identified.
Patinir, the first, would thus have demonstrated a purely « modern » aesthetic conception, and these « realistic » landscapes would mark the transition from a religious – and therefore obscurantist – cultural paradigm to a modern one, i.e. one devoid of meaning… which he would later be criticized for.
This is how the romantic and fantastic minds of the XVIIth and XVIIIth centuries viewed the artists of the XVth and XVIth centuries.
Von Baldass was undoubtedly influenced by the writings of Goethe, who, no doubt in a moment of enthusiasm for Greek paganism, analyzed the increasingly diminished role of religious figures in XVIth-century Flemish paintings and deduced that it was no longer the religious subject that was the subject, but the landscape.
Just as Rubens would have used the pretext of painting Adam and Eve expelled from Paradise to be able to paint nudes, Patinir would simply have seized the pretext of a biblical passage to be able to indulge his true passion, landscape…
A little detour via Hieronymus Bosch
A fresh look at Patinir’s work clearly demonstrates the error of this analysis.
To arrive at a more accurate reading, I suggest a detour to Hieronymus Bosch, whose spirit was very much alive among Erasmus‘ circle of friends in Antwerp (Gérard David, Quentin Massys, Jan Wellens Cock, Albrecht Dürer, etc.), of which Patinir was a member.
Bosch, contrary to the clichés still in vogue today, is above all a pious and moralizing spirit. If he shows vice, it’s not so much to praise it as to make us aware of just how much it attracts us. Faithful to the Augustinian traditions of Devotio Moderna, promoted by the Brothers of the Common Life (a spiritual renewal movement to which he was close), Bosch believes that man’s attachment to earthly things leads him to sin. This is the central theme of all his work, the spirit of which can only be penetrated by reading The Imitation of Christ, written, in all probability, by the founding soul of the Devotio Moderna, Geert Groote (1340-1384), or his disciple, Thomas à Kempis (1379-1471), to whom this work is generally attributed.
In this work, the most widely read in human history after the Bible, we read:
« Vanity of vanities, all is vanity, except loving God and serving Him alone. Sovereign wisdom is to strive for the kingdom of heaven by despising the world.
—Vanity, then, to hoard perishable riches and hope in them. —Vanity to aspire to honors and to rise to the highest. —Vanity, to follow the desires of the flesh and seek that for which one must soon be rigorously punished. —Vanity, to wish for a long life and not care about living well. —Vanity, to think only of the present life and not to foresee what will follow it. —Vanity, to cling to what passes so quickly and not hasten towards the joy that never ends.
Remember often the words of the wise man: the eye is not satisfied with what it sees, nor the ear with what it hears.
Apply yourselves, therefore, to detaching your heart from the love of visible things, to bring it entirely to the invisible ones, for those who follow the lure of their senses defile their souls and lose the grace of God. »
Bosch treats this subject with great compassion and humor in his painting The Hay Wagon (Prado Museum, Madrid).
Hieronymus Bosch, The Hay Chariot Altarpiece, central panel, reference to the vanity of earthly riches. Prado Museum, Madrid.
The allegory of straw already exists in the Old Testament. Isaiah 40:6 :
« All flesh is grass, and all its brightness like the flower of the field; The grass withers, the flower withers, when the breath of Yahweh passes over it.
« Yes, the people are grass. The grass withers, the flower withers, but the word of our God is fulfilled forever.«
It was echoed in the New Testament by the apostle Peter (1:24):
« For all flesh is like grass, and all its glory like the flower of grass. The grass withers, and the flower falls. »
Johannes Brahms uses this passage in the second movement of his German Requiem.
Bosch‘s triptych depicts a hay wagon, an allegory of the vanity of earthly riches, pulled by strange creatures on their way to hell.
The Duke of Burgundy, the Emperor of Germany and even the Pope himself (this is the time of Julius II…) follow close behind, while a dozen or so characters fight to the death for a blade of straw. It’s a bit like the huge speculative securities bubble that is leading our era into a great depression…
It’s easy to imagine the bankers who sabotaged the G20 summit to perpetuate their system, which is so profitable in the very short term. But this corruption doesn’t just affect the big boys. In the foreground of the picture, an abbot has entire sacks of hay filled, a false dentist and also gypsies cheat people for a bit of straw.
The peddler and the Homo Viator
The closed triptych sums up the same topos in the form of a peddler (not the prodigal son). This peddler, eternal homo viator, is an allegory of Man who fights to stay on the right path and insists on staying on it.
In another version of the same subject painted by Bosch (Museum Boijmans Beuningen, Rotterdam), the peddler advances op een slof en een schoen (on a slipper and a shoe), i.e. he chooses precariousness, leaving the visible world of sin (we see a brothel and drunkards) and abandoning his material possessions.
Painting by Bosch. Here, the peddler is merely a metaphor for the path chosen by the soul as it steadily detaches itself from earthly temptations. With his staff (faith), the believer repels the sin (the dog) that comes to bite his calves.
With his staff (symbol of faith), he fends off the infernal dogs (symbol of temptation), who try to hold him back.
Once again, these are not manifestations of Bosch‘s exuberant imagination, but of a metaphorical language common at the time. We find this representation in the margin of the famous Luttrell Psalter, a XIVth-century English psalter.
Luttrell Psalter, peddler with staff and infernal dog, British Library, London.
This theme of homo viator, the man who detaches himself from earthly goods, is also recurrent in the art and literature of this period, particularly since the Dutch translation of Pèlerinage de la vie et de l’âme humaine (pilgrimage of life and the human soul), written in 1358 by the Norman Cistercian monk Guillaume de Degulleville (1295-after 1358).
A miniature from this work shows a soul on its way, dressed as a peddler.
Miniature from Guillaume Degulleville’s Pèlerinage de la vie et l’âme humaine.
Nevertheless, while in the XIVth century this spiritual requirement may have dictated a sometimes excessive rigorism, the liberating laughter of nascent humanism (Brant, Erasmus, Rabelais, etc.) would bring happier, freer colors to Flemish Brabant culture (Bosch, Matsys, Bruegel), albeit later stifled by the dictates of the Council of Trent.
Man’s foolish attachment to earthly goods became a laughing matter. Published in Basel in 1494, Sébastien Brant’sShip of Fools, a veritable inventory of all the follies that can lead man to his doom, left its mark on an entire generation, which rediscovered creativity and optimism thanks to the liberating laughter of Erasmusand his disciple, the Christian humanist François Rabelais.
In any case, for Bosch, Patinirand the Devotio Moderna, contemplation was the very opposite of pessimism and scholastic passivity. For them, laughter is the ideal antidote to despair, acedia (weariness) and melancholy.
Contemplation thus took on a new dimension. Each member of the faithful is encouraged to live out his or her Christian commitment, through personal experience and individual imitation of Christ. They must stop blaming themselves on the great figures of the Bible and Sacred History.
Man can no longer rely on the intercession of the Virgin Mary, the apostles and the saints. While following their examples, he must give personal content to the ideal of the Christian life. Driven to action, each individual, fully aware of his or her sinful nature, is constantly led to choose good over evil. These are just a few of the cultural backgrounds that enable us to approach Patinir’s landscapes in a different way.
Charon crossing the Styx
Patinir’s painting Charon Crossing the Styx (Prado Museum, Madrid), which combines ancient and Christian traditions, will serve here as our « Rosetta stone ». Inspired by the sixth book of the Aeneid, in which the Roman writer Virgil describes the catabasis, or descent into hell, or Dante‘s Inferno (3, line 78) taken from Virgil, Patinir places a boat at the center of the work.
Joachim Patinir, Charon crossing the Styx, Prado Museum, Madrid.
The tall figure standing in this boat is Charon, the Ferryman of the Underworld, usually portrayed as a gloomy, sinister old man. His task is to ferry the souls of the deceased across the River Styx.
In payment, Charon takes a coin placed in the mouths of the corpses. The passenger in the boat is thus a human soul.
Although the scene takes place after the person’s physical death, the soul – and this may come as a surprise – is tormented by the choice between Heaven and Hell.
Since the Council of Trent, it has been considered that a bad life irrevocably sends man to Hell from the moment of his death. But Christian faith continues, even today, to distinguish the Last Judgment from what is known as the « particular judgment ».
According to this concept, which is sometimes disputed within denominations, at the moment of death, although our final fate is fixed (Hebrews 9:27), all the consequences of this particular Judgment will not be drawn until the general Judgment, which will take place when Christ returns at the end of time.
So, the « particular judgment » that is supposed to immediately follow our death, concerns our last act of freedom, prepared by all that our life has been. Helping us to contemplate this ultimate moment therefore seems to be the primary aim of Patinir‘s painting, with other metaphors thrown in for good measure.
However, a closer look at the lower part of the painting reveals a contradiction that is absent from Virgil’s poem. While Hell is on the right (Cerberus, the three-headed dog guarding the gateway to Hell, can be seen), the gateway seems easily accessible, with splendid trees dotting the lawns.
To the left is Paradise. An angel tries to attract the attention of the soul in the boat, but it seems much more attracted by a seemingly welcoming Hell.
What’s more, the dimly-lit path to paradise seems perilous, with rocks, swamps and other dangerous obstacles. Once again, it’s our senses that may lead us to make a literally hellish choice.
Hercules at the crossroads, Ship of Fools, Sébastien Brant.
The subject of the painting is clearly that of the bivium, the binary choice at the crossroads that offers the pilgrim viewer the choice between the path of vice and that of salvation.
This theme was widespread at the time. We find it again in Sébastien Brant‘s Ship of Fools, in the form of Hercules at the crossroads. In this illustration, on the left, at the top of a hill, a naked woman represents vice and idleness. Behind her, death smiles down on us.
On the right, planted at the top of a higher hill, at the end of a rocky path, awaits virtue symbolized by work. Let’s also remember that the Gospel (Matthew 7:13-14) clearly evokes the choice we will face:
« Enter by the narrow gate. For wide is the gate and broad is the road that leads to destruction, and there are many who enter by it. But the gate is narrow and the way to life is narrow, and there are few who find it ».
Landscape as an object of contemplation
The art historian Reindert Leonard Falkenburg, in his 1985 doctoral thesis, was the first to note that Patinir takes pleasure in transposing this metaphorical language to the whole of his landscape.
Although the image of impassable rocks as a metaphor for the virtue achieved by choosing the difficult path is nothing new, Patinir exploits this idea with unprecedented virtuosity.
We thus discover that the theme of man courageously turning away from the temptation of a world that traps our sensorium, is the underlying theo-philosophical theme of almost all Patinir’s landscapes. In this way, his work finds its raison d’être as an object of contemplation, where man measures himself against the infinite.Let’s return to our Landscape with Saint Jerome by Patinir (National Gallery, London).
Here we discover the « narrow gate » leading to a difficult path that takes us to the first plateau. This is not the highest mountain. The highest, like the Tower of Babylon, is a symbol of pride.
Next, let’s look at Resting on the Road to Egypt (Prado Museum, Madrid). At the side of the road, Mary is seated, and in front of her, on the ground, are the peddler’s staff and his typical basket.
Joachim Patinir, The Rest of the Holy Family, Prado Museum, Madrid.
In conclusion, we could say that, driven by his spiritual and humanist fervor, by painting increasingly impassable rocks – reflecting the immense virtue of those who decide to climb them – Patinir elaborates not « realistic » landscapes, but « spiritual landscapes », dictated by the immense need to tell the spiritual journey of the soul.
Hence, far from being mere aesthetic objects, his spiritual landscapes serve contemplation.
Like a half-ironic mirror image, they enable those who wish to do so to prepare for the choices their soul will face during, and after, life’s pilgrimage.
Bibliography:
R.L. Falkenburg, Joachim Patinir, Het landschap als beeld van de levenspelgrimage, Nijmegen, 1985;
Maurice Pons and André Barret, Patinir ou l’harmonie du monde, Robert Laffont, 1980;
Eric de Bruyn, De vergeten beeldentaal van Jheronimus Bosch, Adr. Heinen, s’Hertogenbosch, 2001;
Dirk Bax, Hieronymus Bosch, his picture-writing deciphered, A. A. Balkema, Capetown, 1979;
Georgette Epinay-Burgard, Gérard Groote, fondateur de la Dévotion Moderne, Brepols, 1998.
Rembrandt H. van Ryn, was born on July 15, 1606, as the son of a not so poor miller living in the revolutionary city of Leyden in the Netherlands.
Today (2006), four hundred years later, even without any knowledge of the specific historical context, few are those that remain indifferent to his artistic message and skill. Why Rembrandt? What particular quality of his paintings, engravings and drawings gave him the power to reach over centuries of time?
As we will document here, Rembrandt, a precocious intellectual, became already quite « universal » as a young adult. But let’s try to find out what « universal » means.
The Revolt of the Netherlands
The revolt of the Burgundian Netherlands (Note 1) against the tyranny the Fuggers, bankers at the helm of the Spanish and Austrian Habsburg empire, resulted in the tragic break-up of this « nation-state in the making » between the north (today’s Netherlands) and the south (the territory that today includes Belgium and part of northern France).
The Habsburg empire, while brutally sticking to the rich southern part (Flanders), cynically offered the « insurgents » that, if they wished to have a country, they could settle in the malaria-infested swamps of the North, where 75% of the territory lies below sea level, but nevertheless an area slowly domesticated by generations of hardworking farmers thanks to a vast system of canals, dikes and locks, patiently erected since the end of the thirteenth century.
But Charles V, and even worse, his son Philip II of Spain, didn’t believe in the power of mind or that of work. Instead, they believed in the power of the sword and the terror of the Inquisition. After a long war and much unnecessary bloodshed, their policies had reached an impasse, and on April 9, 1609, the semi-bankrupt Habsburgs were forced to sign a twelve-year truce with the new Republic of the Netherlands.
Education
That same year, Rembrandt, hardly 3 years old, entered basic school, where girls and boys learn to read, to write and to calculate. School opens at 6 a.m. in the summer, at 7 a.m. in winter, and finishes only at 7 p.m. Classes start with prayer, the reading and discussion of passages of the Bible and the singing of psalms. Here Rembrandt develops an elegant handwriting and more than rudiments of the Bible.
The Netherlands want to survive. Its leaders wisely used the 12 year truce (1609-1621) to fulfill their commitment to the general welfare. This way, early XVIIth century Holland became maybe the first country of the world where everybody got the chance to learn how to read, write and calculate.
That universal school system, whatever its inadequacies, offered to both poor and rich alike, was the secret of the Dutch « Golden Century ». It’s schooling will also create the generations of Dutch immigrants that will participate a hundred years afterwards in the American Revolution
Others would enter the secondary school at the age of 12, but Rembrandt precociously enters Leyden’s Latin School at the age of 7. There, pupils generally, besides rhetoric, logic and calligraphy, learn, not only Greek and Latin, but English, French, Spanish or Portuguese. Then, in 1620, at the age of 14, since no age limit in the Netherlands bridled young talents, Rembrandt inscribed at the Leyden University. His choice is not Theology, Law, Science, nor Medicine, but Literature.
Did Rembrandt want to add to his knowledge of Latin, the mastery of Greek and Hebrew philology and perhaps Chaldean, Coptic or Arabic? After all, Leyden was already publishing Arabic-Latin dictionaries, while the Netherlands were increasingly growing to become the book printing centre of the world.
From its foundation in 1585, after a historic battle for the city’s freedom, Leyden University became a rallying point for humanists worldwide and a center for new discoveries in optics, physics, anatomy and cartography, offering the world such famous scientists as Christian Huygens (1629-1695) and Antonie van Leeuwenhoek (1632-1723), both correspondents of Leibniz.
People flocked in from Flanders, Germany, Denmark, Sweden, England and even Hungary. By 1621, over fifty Frenchmen were teaching in Leyden. In a desperate effort to pollute this source of creativity, in 1630, René Descartes registered as a « mathematician » at the University of Leyden. (Note 2)
But the big trouble had already started way before. A disastrous theological « debate » degenerated into a conflict akin to civil war. On the one side, Jacob Arminius, founder of the « Remonstrant » current upholding the Erasmian-Rabelaisian concept of man endowed with a free will although that free will remained to be fine-tuned with the grace of God. This view was also held by the elder general and capable national leader, Johan van Oldenbarnevelt (1547-1619).
On the opposing side, one Franciscus Gomarus, defender of the fatalist Calvinist doctrine of « predestination », a doctrine adhered to by Prince Maurits, the young incoming son of the founder of the nation, William the Silent. While leaders were strongly divided, the 1619 « Dordrecht Synod » installed the radical Calvinist doctrine as the law.
Johannes Uytenbogaert
But Leyden was mostly « Arminian » and so was Rembrandt. Rembrandt’s 1633 and 1635 portraits of Johannes Uytenbogaert, the main reverend leading the Arminians who was obliged to spent several years of his life in exile to escape from persecution, show how closely Rembrandt was connected to this movement.
So, when Rembrandt entered University, the situation was very hot. Arminian-minded teachers are on the leave and often forced to do so. So was Rembrandt, and after two months, at age 14, he quitted University and went full time into painting and set up his own workshop.
By 1621, the truce had come to an end, and the Spanish army was once again conducting an all-out war against the Netherlands, which was accused, not without reason, of supporting the Bohemian revolt and harboring the leaders of its resistance. (Note 3)
As a young intellectual confronted with injustice and political and religious madness, Rembrandt entered the studio of Jacob Isaaczoon van Swanenburg, a learned Dutch painter who lived in Venice and Naples, where he worked from 1600 to 1617 before running into trouble with the Inquisition, which accused him of « painting on Sundays ».
Few works have survived from this master, renowned for his city views and portraits. But his subjects and style resemble those of the great humanist Hieronymus Bosch. For three long years, Rembrandt learned how to grind pigments, master essences, varnishes, brushes, canvases and panels.
But above all, Swanenburgh made his pupil a master in the art of engraving and etching.
Pelgrims of Emmaus
The supper at Emmaus, Rembrandt, 1628.
Rembrandt’s interest in the power of ideas clearly appears in the « Pilgrims at Emmaus », where an atmosphere of astonishment and horror break out when Christ reveals himself to the disbelievers.
Self-portrait, Pieter Lastman.
Then, before setting up his studio, Rembrandt will spend six months in the workshop of Pieter Lastman in Amsterdam. With Lastman, Rembrandt finally finds a master that departs from the traditional Dutch landscapes, still-lives and boring group portraits.
Building on the theatrical settings of Caravaggio, Lastman paints biblical, Greek and Roman mythology. He paints history! And Rembrandt always desired to become a historieschilder. Now, Rembrandt finally found in painting the literature he was looking for when inscribing in the University.
Also, in Lastman’s workshop, he meets the talented Jan Lievens, with whom he will work for a while.
Knowing how to know thyself
Rembrandts reputation is largely the fruit of the near to one hundred multiform self-portraits, including about twenty engravings, covering the walls of numerous museums around the world. Some pragmatists tell us Rembrandt did that many self-portraits because he just was the cheapest model in town, and probably the most patient one. Others claim he was simply noting down his unending grimaces, the famous tronies, to prepare future dramatic historical paintings.
We think there is more to it and we approve Simon Schama who wrote that, « The reason for the multiplication of his self-image was not a relentless, almost monomaniacal assertion of the artistic ego but something like the exact opposite. »
The self-portrait, an art expression that has nearly disappeared from today’s practice, always throws an extremely daring challenge to the painter looking into the mirror. Is this me? I didn’t realize I look that way. I’ve changed again! What is wrong? The a priori ideas in the mind of the perceiver or the sense perceptions he’s confronted with? Real thinking, in essence, comes down to confronting not just those burning paradoxes, but the joy of overcoming them with self reflexive irony, and a truthful commitment to the permanent discovery and communication of that increasing irony through a Socratic dialogue.
Rembrandt, at the age of 22 starts training his first pupil, Gerrit Dou, only fifteen years old. Samuel van Hoogstraten, who was another young pupil, reported Rembrandt advising him:
« Try to learn introducing in your work what you know already. Then, very soon, you will discover what escapes you and want to discover. »
Hoogstraten’s self-portrait at age 17 demonstrates what a contagious genius Rembrandt became rapidly as a teacher.
But Rembrandt’s main problem was to show movement. Anima means soul and for Rembrandt animating the mind of the viewer was the art of making that viewer conscious of his own quality of moving the soul, i.e. moving the mover. Through this process of teaching and self-teaching Rembrandt works out various ways to tell his-stories.
One funny way to put faces into motion is to wrap them into clothing, put on jewelry, and choose a specific light setting that generates interesting eye-attracting shadows bringing into light the plastic volumes. Explore facial expressions evoking anger, fear, happiness, self-doubt, laughter, etc.
The real subject is not Rembrandt, but the discovery of human consciousness through self-consciousness. The mirror image permits oneself to look over one’s shoulder down on oneself. Leonardo and others advised artists to view their own work in a mirror, since the « fresh » mirror image offered the artist another « viewpoint », revealing those remaining imperfections that had escaped from his attention.
Rembrandt’s wife, Saskia
Also, the compassion and self esteem one is forced to develop in that process becomes a basic ingredient for promethean and agapic character formation. Then, Rembrandt’s joyful process of self-discovery spills naturally over into the portraits done of others.
Look how funny Saskia smiles, when she dresses up « as Rembrandt » with a feathered reddish hat, carrying a golden chain and with her little hand lost in Rembrandt’s large glove.
Then, there are also the self-portraits in assistenza, where the painter’s face pops up uninvited in a larger painting, such as in Velazquez‘ « Las Meninas ».
The Stoning of Saint-Stephen
The Stoning of Saint-Stephan
One of Rembrandt’s grimacing faces appears behind the martyr in the first known painting by the young Rembrandt, The Stoning of Saint-Stephen. Executed at the age of 19, the work powerfully expresses the basis of Rembrandt’s ideas. Loaded with some twenty figures, the subject had previously been treated by Lastman and Adam Elsheimer, a young German Mannerist living in Rome, whose works Rembrandt had admired while contemplating reproductions in Swanenburgh’s studio.
But why Saint-Stephen? Rembrandt’s choice stems directly from the subject. This Greek-speaking Jewish convert, the first Christian martyr, was tried by a court of law for blasphemy. He unabashedly told the Sanhedrin judges that they were « stiff-necked and uncircumcised in heart and ears » and that they were people who had « received the law by the disposition of angels, and have not kept it… »
Stephen also told them that God could not be kept « locked up in a temple ». At one point, Stephen,
« being full of the Holy Spirit, and having his eyes fixed on heaven, saw the glory of God, and Jesus standing at the right hand of God, and he said: ‘Behold, I see the heavens opened, and the Son of Man standing at the right hand of God’.
« And crying aloud, they stopped their ears, and with one accord rushed upon him; and having pushed him out of the city, they stoned him; and the witnesses laid their garments at the feet of a young man called Saul. And they stoned Stephen, who prayed and said: Lord Jesus, receive my spirit. And kneeling down, he cried aloud: Lord, do not impute this sin to them. »
The painting leaves the left side entirely in shadow, in a partially failed attempt to evoke the idea of Stephen seeing the « open heavens. » Saul is in the shadows because he is the one encouraging the execution. Later, on the road to Damascus, he would have his own vision of the « heavens opening » and in turn convert to Christianity, since Saul is none other than the future St. Paul.
In short, as we have said, at the age of 19, Rembrandt powerfully asserts the principles for which he wants to live and for which he is prepared to die, ideas that he must have discovered at the age of fourteen during the great Sophist event, the great « theological debate » that was the beginning of the end of the Republic.
Ideas
Historians might scream there is no space here for political manifestos. They are right. Rembrandt’s ideas go far beyond simple minded militantism, and their political impact is much more profound.
In 1641, an artist, Philips Angel, adressing the painting guild, honored Rembrandt and underscored the artist’s « elevated and profound reflection ». What were these « elevated and profound » ideas all about?
Truth. Somebody must mobilize the courage to stand up and tell the truth in front of established authorities or misleading public opinion. That theme comes regularly back, notably with « Suzanna and the Elders ». Daniel, a witness of injustice will speak up and saves Suzanna from the death sentence.
Reason. Faith and religion do not always coincide with religious rites. Look to the angry angel preventing Abraham from killing his own son in « The sacrifice of Isaac ». Think before acting! Reason, love of God and love for mankind must guide any religious practice and on the basis of reason, a dialogue of cultures can enrich humanity.
Self-perfection. Change, yes. People can find in themselves the means to identify their errors and change for the better. The example of Saint-Paul will stand as a permanent reference for Rembrandt, who painted him several times and even represented himself as the Church father.
Love, Repentance, Pardon. In a period of permanent danger of « religious wars », Rembrandt strongly identifies with Saint Stephen’s demand « Lord, lay not this sin to their charge. » Rembrandt will paint several times « The return of the prodigal son ». The father gives a great feast for the returning son because he « who was dead came back to life ». The notion of pardon, and acting in the advantage of the other, will become the key concept for the success of the world Peace of Westphalia concluded in 1648 ending the thirty years war, including the recognition of the Netherlands as a sovereign state.
The Night Watch
The Night Watch
Misrepresented as a nocturnal scene, the Night Watch is probably one of the greatest intellectual provocations against cold Aristotelian classicism.
The Netherlands was at war. Amsterdam, like most major cities, maintained a considerable militia of archers, crossbowmen and harquebusiers. These small citizen armies had a firing range and a meeting hall, the Kloveniersdoelen, where soldiers could rest after training.
Obviously, such glorious gatherings deserved to be immortalized in vast group portraits, where all the members of the company was presented in such a way that, as van Hoogstraten put it, « you could, as it were, behead them all with a single cannon shot. »
Rembrandt completely overturned this traditional representation. Firstly, apart from the 2 captains and their 16 companions (who each paid for their presence on the canvas), Rembrandt added another third of figures to the original number.
Secondly, the revolutionary concept implemented is the idea of depicting the whole group as « on the march », not just advancing, but raising flags and weapons after passing under a circular arch seen just behind them.
Thirdly, a spectacular sense of movement emanates from the rapid oscillation of a chiaro-oscura, illuminating one part, casting another into shadow.
Finally, the show seems formally a confused, chaotic scene. People enter from all sides. In infinite heteronomy, one loads his rifle, another beats the drum, another raises his spear while another stares at his rifle.
Beyond this apparent hectic confusion, what remains is the spirit of a republican citizenry called to arms and moving from chaos to unity, a subject Rembrandt represented the same year in an allegorical oil sketch, Concord of the State.
Against narrow academic rigor, the spirit of inclusion of the multitude so common to Flemish painters like Bruegel was once again manifesting itself.
Van Hoogstraten, defending Rembrandt against these critics (as usual, those who were jealous of his brilliant performance) commented:
« Rembrandt observed this requirement [of unity] very well… and although in the opinion of many he went too far, making the painting more according to his personal taste than according to the individual portraits he had been commissioned to paint.
Nevertheless, the painting, no matter how harsh the critics, will stand, in my judgment, against all these rivals because it is so picturesque in its conception and because it is so powerful that, according to some, all the other doelen works look like playing cards in comparison. »
Immortality
We took here just a few examples to demonstrate that Rembrandts universal character derives directly from his ruthless commitment, directed to make us conscious of the creative potential given to all human beings, men and women, old and young, Christians, Jews, Muslims or others, a creative and creating human nature called the soul.
This commitment is once again available in today’s new generation and can therefore be mobilized for great achievements.
From this point of view, Rembrandt is in a good position to become a reference individual capable of leading us out of the current cultural « dark age », where video games teach our children to take perverse pleasure in gratuitous violence and push them to become « naturally born killers ».
In contrast, a Rembrandt who catches life and loves mankind will trace the divine in the slightest spark of light. As some sort of 5th apostel, without ever painting God directly, Rembrandt reveals the harmony of his creation.
Those who took time studying his paintings can tell themselves: « God exists, I just met Rembrandt », since through Rembrandt’s art God’s tender love and blessing power are revealed to us in our human reality.
That « immortal » nature of Rembrandt’s soul will doubtlessly nourish the « immortality » of the creative geniuses he will inspire. Let us not wait another four hundred years to celebrate such a genius, for what he brings us is living and not to be buried in the history of art
Notes:
Friedrich Schiller, The revolt of the Netherlands; Karel Vereycken, How Erasmus Folly saved our Civilization; Karel Vereycken, « Rembrandt, bâtisseur de nations » in Nouvelle Solidarité, June 10 and 17, 1985.
Years earlier, René Descartes, using his own funds, made a trip to Bohemia and in 1620 took part in the battle of Montagne Blanche, leading to the massacre of Prague, the capital of Bohemia. One biographer reports that Descartes, entering Prague, immediately appropriated Kepler’s Brahe scientific instruments.
For a detailed report on the links between Rembrandt and Comenius and the Bohemian revolt, see Karel Vereycken, The light of Agapê, Rembrandt and Comenius versus Rubens, Ibykus N°85, 2003.
Ernst van Wetering, director of the Rembrandt Research Project (RRP), on the basis of scientific examinations of Rembrandt’s works, estimates that the master required his models to pose for three hours a day for at least three months.
Karel Vereycken, Leonardo, painter of movement, Fusion N°108, 2006.
La chute des anges rebelles, tableau de Pieter Bruegel l’ancien (1562).
A propos du livre de Tine Luk Meganck, Pieter Bruegel the Elder, Fall of the rebel angels, Art, Politics and Knowledge at the eve of the Dutch Revolt, (Pierre Bruegel l’Ancien, La chute des anges rebelles, art, savoirs et politique à la veille de la révolte des Pays-Bas) (2014, Editions Silvana Editoriale, Collection des Cahiers des Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique).
Ayant pu régulièrement admirer ce tableau à ce qui s’appelait encore le Musée royal d’Art ancien lors de ma formation à l’Institut Saint-Luc de Bruxelles, la Chute des anges rebelles de Pieter Bruegel l’Ancien méritait bien qu’on lui consacre un jour une recherche approfondie.
C’est désormais chose faite avec l’étude de Tine Luk Meganck, docteur en histoire de l’art diplômée par l’Université de Princeton et chercheure attachée au Musée de Bruxelles, dont les recherches furent publiées en anglais en 2014 dans la Collection des Cahiers des Musées Royaux des Beaux Arts de Belgique.
Si ce livre, qu’il faut saluer, en rappelant aussi bien le milieu culturel que la situation politique exerçant une influence sur la démarche du peintre, permet de mieux « lire » l’œuvre paradoxale du peintre flamand, l’étude, en évitant certains détails précieux tout en faisant des gros plans sur d’autres, nous laisse sur notre faim quant à l’essentiel.
Pire, à force d’étoffer ce qui ne reste que des simples hypothèses, Mme Meganck a bien du mal à résister à la tentation de vouloir nous faire partager d’office des conclusions qui n’ont pas lieu d’être mais qui lui permettraient de conforter une hypothèse déjà ancienne disant que le cardinal Granvelle, figure plus qu’ambigu du pouvoir impérial espagnol, aurait pu être un des commanditaires de Bruegel. Avant de répondre à cette question, revenons au tableau.
La Chute des anges rebelles, vaste tableau (117 x 162) peint sur bois de chêne par Pieter Bruegel l’Ancien en 1562, reprend une vieille thématique chrétienne qui cherche à répondre aux interrogations des croyants :
Si Dieu était le créateur de tout ce qui existe, a-t-il également créé le mal ?
La chute des anges rebelles, miniature d’un maître anonyme, Livre des bonnes mœurs de Jacques Legrand, Bourgogne, XVe siècle. (Crédit : BNF)
Bien avant la Théodicée du philosophe allemand Leibniz (1646-1716) qui répond en profondeur à cette question, Augustin d’Hippone (354-430), en rompant avec le manichéisme pour qui l’histoire n’était qu’une lutte incessante entre le « bien » et le « mal », souligne que le mal n’a aucune légitimité et n’est que simple « absence » du bien. En clair, si l’homme fait le choix de faire le bien, le mal, sans vecteur de propagation, est obligé de battre en retrait.
Une autre allégorie fut ajoutée pour expliquer l’origine du mal, celle de l’ange déchu. Le poète anglais John Milton (1608-1674), dans son célèbre Paradis perdu (1667) ainsi que le poète néerlandais Joost Van den Vondel (1587-1679), dans son Lucifer (1654) brodent sur ce thème. Lorsque Dieu créa l’homme à son image, avancent-ils, les anges qui l’entouraient, succombaient à la jalousie. Le Seigneur les chargea d’observer le comportement des hommes qu’il avait créé à son image. Constatant la beauté et l’harmonie de l’existence humaine, les anges furent pris de panique : avec des humains si près et tant aimés de Dieu, qu’allons-nous devenir ?
L’évêque Irénée de Lyon (130-202), affirma que l’ange
à cause de la jalousie et de l’envie qu’il éprouvait à l’égard de l’homme pour les nombreux dons que Dieu lui avait accordés, fit de l’homme un pécheur en le persuadant de désobéir au commandement de Dieu, provoqua sa ruine.
Découvrant la déchéance de certains anges, Dieu ordonna leur expulsion.
Plusieurs prophètes annoncent, après une guerre féroce, le triomphe de l’archange Michel et de sa milice céleste d’anges sur Lucifer, prince des lumières. Ce n’est plus une lutte éternelle mais la victoire du bien et de Dieu sur le mal annonçant le Royaume de Dieu dans l’univers.
D’après le livre de l’Apocalypse de l’apôtre Jean (chapitre 12, verset 7-9),
Il y eut guerre dans le ciel : Michel et ses anges sont allés à la guerre avec le dragon. Et le dragon et ses anges. Et il a réussi, ni était un endroit pour eux dans le ciel. Et le grand dragon fut précipité, le serpent ancien, appelé le diable et Satan, qui trompe le monde entier, a été jeté à la terre, et ses anges furent précipités avec lui.
Depuis Origène (185-253), la chute de l’ange provient du péché d’orgueil. Reprenant le Livre d’Isaïe (versets 12 à 14), Origène affirme :
Comment Lucifer est-il tombé du ciel, lui qui se levait le matin ? Il s’est brisé et abattu sur la terre, lui qui s’en prenait à toutes les nations. Mais toi, tu as dit dans ton esprit : Je monterai au ciel, sur les étoiles du ciel je poserai mon trône, je siégerai sur le mont élevé au-dessus des monts élevés qui sont vers l’Aquilon. Je monterai au-dessus des nuées, je serai semblable au Très Haut. Or maintenant tu as plongé dans la région d’en bas et dans les fondements de la terre.
Aux Quatre Vents
La chute des anges rebelles de Frans Floris, 1554.
Bruegel va y ajouter son imagination et la philosophie érasmienne qu’il a rencontré en travaillant à Anvers dans l’atelier Aux Quatre Vents du graveur Jérôme Cock, fils de Jan Wellens Cock, un disciple de Jérôme Bosch.
Dans cet atelier, il a pu croiser le graveur néerlandais Dirck Volckertszoon Coornhert(1522-1590), formé par le jeune secrétaire d’Erasme, Quirin Talesius (1505-1575), lui-même traducteur d’Erasme en néerlandais et futur secrétaire d’Etat du prince d’Orange, Guillaume le Taciturne (1533-1585) le grand dirigeant humaniste qui souleva les Pays-Bas contre l’Empire espagnol.
Dirck Volkertszoon Coornhert, portrait de Maarten Van Heemskerk.
Coornhert s’occupe de graver l’œuvre du peintre Maarten van Heemskerk et de Frans Floris, lui aussi l’auteur en 1554 (donc huit ans avant Bruegel) d’un tableau sur le thème de la Chute des anges rebelles. En 1560, lorsque Coornhert devient éditeur, son élève s’appelle Philippe Galle qui grava plusieurs dessins de Bruegel pour l’éditeur Jérôme Cock.
Pour l’atelier de Cock, Bruegel élabora deux séries de gravures : les « Sept péchés capitaux » et les « Sept vertus ».
Comme le note Mme Meganck, Bruegel, renouant avec une vieille tradition qui date du moyen-âge, place à coté de chaque péché un animal symbolisant le coté bestial de la chose : à coté de la rage, un ours ; à coté de la paresse, un âne ; à coté de l’orgueil, un paon ; à coté de l’avarice, un crapaud ; à coté de la gourmandise, un sanglier ; à coté de la jalousie, une dinde et enfin, à coté de la luxure, un coq.
La Fortitude, gravure au burin de la série Les Sept Vertus, réalisée par Jérôme Cock d’après un dessin de Bruegel l’ancien. La légende dit : « Vaincre ses impulsions, pour retenir sa rage ainsi que d’autres vices et émotions, voila ce qui est la vraie fortitude (force) ».
Déjà, dans sa gravure la Fortitude qui fait partie des Sept vertus et qui anticipe d’une certaine façon la Chute des anges rebelles, Bruegel montre une armée d’hommes tabassant un ours (la rage), tuant le sanglier (la gourmandise), égorgeant le paon (l’orgueil), frappant le crapaud (l’avarice), etc. Sous la gravure on peut lire en latin :
Vaincre ses impulsions, pour retenir sa rage ainsi que d’autres vices et émotions, voila ce qui est la vraie fortitude (force).
Or, chez Bruegel, les anges rebelles, dans leur chute, ne se transforment pas en démons à cornes mais en oiseaux plumés, en crapauds, en singes et autres cochons sauvages —qui font tous plus rire que trembler— ratiboisés par des anges restés fidèles et annonçant, à coup de buisines, leur triomphe.
Homme au turban, de Jan Van Eyck, 1433.
Et lorsque Mme Meganck affirme sans hésitation qu’un des cochons avec un bonnet rouge est une référence au peintre et diplomate humaniste flamand Jan Van Eyck, pour la raison toute simple qu’il était connu pour avoir porté un turban rouge, je ne sais plus s’il faut rire ou pleurer…
Il n’existe d’ailleurs aucune preuve formelle permettant de conclure que le portrait d’un homme avec un turban rouge, peint sans doute par Van Eyck en 1433 est un autoportrait.
En tout cas, pour le courant humaniste augustinien que nous évoquions, le mal n’est pas systématiquement quelque chose d’extérieur à l’homme mais également une chose à surmonter par chaque homme en lui-même en faisant le choix du bien. Rappelons que déjà, dans le polyptyque du Jugement dernier de Roger Van Der Weyden à l’Hospice de Beaune, ce n’est nullement le diable qui tire l’homme en enfer, mais d’autres hommes et femmes !
Ce qui est incontestable, c’est que lorsque Bruegel peint La chute des anges rebelles, il vise directement l’orgueil de ceux qui « se prennent pour Dieu » ou se croient même au-dessus de lui.
Reste alors à savoir à qui il s’adresse ? Pense-t-il comme le cardinal Granvelle aux Luthériens contestant l’autorité de l’Eglise de Rome ? Ou pense-t-il aux Catholiques espagnols dont l’absolutisme répressif et orgueilleux en défense de leur pouvoir terrestre, allait totalement à l’encontre de la vraie « philosophie du Christ » telle qu’elle fut défendue par Guillaume le Taciturne, lecteur d’Erasme et de Rabelais ?
C’est là, où notre analyse diffère radicalement de celle de Mme Meganck.
Le palais du Coudenberg à Bruxelles au XVIe siècle, à l’époque la capitale des Pays-Bas bourguignons.
En 1562, en effet, Bruegel s’installe à Bruxelles où il se marie l’année suivante avec Mayken Coeck, fille de son maître Pieter Coecke van Aelst. La Cour de Bruxelles avec celle de Madrid, est alors l’endroit où se joue aussi bien le destin des Flandres que celui des Habsbourg.
Or, à cette époque, l’Empire espagnol qui règne sur les Pays-Bas bourguignons, en dépit des arrivages d’or du Nouveau monde, subira les conséquences dramatiques de quatre faillites d’État : 1557, 1560, 1575 et 1596. Or, comme aujourd’hui, pour faire perdurer la valeur de plus en plus fictive de certains titres financiers, il faut, y compris par la force de l’épée, extorquer la richesse physique des populations qui sont sommées à régler la facture.
Ainsi, comme l’a fort bien analysé feu l’historien d’art Michael Gibson, lorsque Bruegel peint Le dénombrement de Bethléem (1566, année où commence le mouvement iconoclaste), il peint l’occupant espagnol collectant la dîme et lorsqu’il peint Le massacre des innocents (1565), pour figurer les troupes romaines, il peint les sinistres tuniques rouges (les Rhoode Rox) de la gendarmerie impériale de Philippe II qu’on retrouve également dans Le portement de croix (1564). Et lorsqu’il peint la Tour de Babel (1563), où défile le Pape à un des étages supérieurs, il dénonce l’orgueil d’un pouvoir terrestre s’estimant, péché suprême, au-dessus de celui de son Seigneur.
Antoine Perrenot de Granvelle
En tant que fils d’un notable influent, Antoine Perrenot de Granvelle (1517-1586), sans être d’origine aristocratique, a eu une carrière fulgurante.
Dès l’âge de 21 ans il est appelé à se mettre au service des Habsbourg en tant qu’évêque d’Arras. Après le décès de son père, il devient le garde des Seaux et le secrétaire d’État de l’Empereur Charles Quint.
A Bruxelles il fait ériger un palais grandiose style Renaissance et il se fait peindre son portrait par le Titien.
Il est à la manœuvre pour marier Philippe II avec Marie Tudor et œuvre comme diplomate, notamment lors du traité de Cateau-Cambrésis (1559). Granvelle sera le conseiller principal de Philippe II dans les années précédent la révolte des Pays-Bas.
Réticent à titre personnel devant la répression, sa loyauté quasi-religieuse au Roi l’amena à appliquer sans état d’âme les mesures les plus extrêmes de l’Inquisition et de Philippe II.
Lorsque ce dernier rentre à Madrid, Granvelle, en contact permanent avec le Roi, imposa sa politique à la jeune Margarite de Parme, la régente.
La Consulta, un cabinet secret de seulement trois personnes assure sa tutelle : Charles de Berlaymont, un administrateur dévoué, Wigle van Aytta (Viglius), un ex-érasmien ayant perdu tout courage pour s’imposer face à un Granvelle omnipuissant. Lorsque la ville d’Anvers devient une poudrière luthérienne, Granvelle fait multiplier les diocèses et se fait nommer en 1561 cardinal-archevêque de Malines obtenant ainsi une voix au Conseil d’État.
La révolte des nobles
En mai 1561, constatant leur mise à l’écart dans l’exercice du pouvoir, dix membres de l’Ordre de la Toison d’or, c’est-à-dire des membres de la noblesse, notamment le comte Lamoral d’Egmont, Philippe de Montmorency comte de Hornes et huit autres seigneurs se réunissent alors chez le Prince Guillaume d’Orange (le « Taciturne »), pour former une « Ligue contre Granvelle » exigeant son départ et celui des troupes espagnoles. Sous la pression, le roi finit par retirer les troupes en 1561 et renvoi Granvelle en Franche-Comté en 1564. Trop peu et trop tard pour aplanir les tensions entre la noblesse et Madrid. Egmont tente alors de plaider la cause à Madrid mais revient avec des promesses assez vagues.
Guillaume d’Orange, dit le Taciturne, lecteur d’Erasme et fondateur de la République des Pays-Bas.
Reprenant à son compte la thèse qui prétend que l’origine de la révolte des Pays-Bas fut un conflit entre d’un coté la noblesse « de robe », du type du cardinal Granvelle et de l’autre, la « noblesse d’épée » comme Guillaume d’Orange, Mme Meganck affirme que
la raison pour la détérioration des relations entre Granvelle et Orange n’était pas tellement un conflit idéologique mais un conflit pour des positions de pouvoir.
Or rien n’est plus faux et méprisant pour ce dirigeant hors du commun. Il serait fastidieux ici de résumer en quelques lignes la biographie très documentée d’Yves Cazaux, Guillaume le Taciturne (Fond Mercator, Albin Michel, Anvers 1973). Le prince d’Orange, tout comme Erasme dès 1517, estimait que si le Vatican persistait à faire de Luther son ennemi principal, les guerres de religions risquaient de ravager l’Europe pendant un siècle et de diviser gravement la chrétienté. Ancien conseiller des Finances, Guillaume savait aussi que la présence des troupes espagnoles, que Granvelle cherchait à renforcer, ne pouvait qu’accélérer le pillage des populations et donc accélérer la désunion.
Dans un moment relativement unique, aux Pays-Bas, aussi bien la noblesse que le peuple voyait leur liberté religieuse, économique et culturelle menacé. Alors que pour Granvelle la défense de son pouvoir personnel et sa richesse coïncidait avec la défense de l’absolutisme espagnol, Guillaume d’Orange défendait, essentiellement en engageant sa fortune personnelle, l’idéal de l’unité et du bien commun.
Notons que l’acte de la Haye (dit « acte d’abjuration ») de 1581, qui formalise l’indépendance des Pays-Bas, souligne que « le prince est là pour ses sujets, sans lesquels il n’est point prince ».
Le même texte utilise le terme néerlandais « verlatinghe » (abandon). Car pour les fondateurs de la République néerlandaise, c’était Philippe II d’Espagne, par ses exactions et en violation de l’intérêt général, qui a abandonné les Dix-sept Provinces, non pas le contraire.
Parlant de Granvelle, grand ami du sanguinaire duc d’Albe chargé de mettre de l’ordre dans le pays après Granvelle, Yves Cazaux estime que
ce prélat ambitieux, distingué, humaniste et jouisseur n’était sans doute pas le plus assoiffé de sang et il a pu écrire avec une certaine vraisemblance qu’il avait tempéré la répression autant qu’il avait pu. On trouve aussi dans ses papiers, sa doctrine et son programme politique pour les Pays-Bas : il avait conseillé au Roi d’incorporer tous les pays ‘en un seule royaume et s’en faire couronner roi absolu’. Au roi absolu de Granvelle, le prince d’Orange opposait la Généralité dans la liberté et la conception érasmienne de la souveraineté nationale. A la croisade de toute la catholicité, vœu de Granvelle et des Guise, le prince opposait la tolérance et la liberté religieuse. Les deux hommes étaient faits pour s’affronter en combat mortel, sans peut-être avoir perdu toute estime pour l’autre.
Chambres de Rhétorique
En 1561, lors du Landjuweel d’Anvers (concours public en plein air de poésie, de chansons, de théâtre et de farces), une pièce de théâtre mettait en scène comment —éclairées par la lumière—, la paix, la charité et la raison, avec l’aide de la prudence, de la rhétorique et de l’inventivité, chassaient la rage, la jalousie et la discorde.
Apport nouveau et important de Mme Meganck, l’influence des Chambres de Rhétorique et le Landjuweel d’Anvers de 1561 sur Bruegel, une piste dont me parla déjà Michael Gibson et qu’il développa dans son livre Le portement de croix (Éditions Noêsis, Paris 1996) qui servira par la suite à la réalisation du film « Bruegel, le moulin et la croix ».
Montrant à quel point la population voyait venir l’orage, en 1562, lorsqu’une Chambre de Rhétorique posa la question : « Qu’est-ce qui permettrait le maintien de la paix ? », les réponses qui prévalaient étaient « la sagesse », « l’obéissance », « la crainte de Dieu » et « l’unité ». Détail intéressant évoqué par Mme Meganck, 4 des 70 réponses évoquaient la chute de Lucifer et les anges rebelles, tellement le thème était populaire.
Un rhétoricien de la Chambre du Saint Esprit de Geraardsbergen ajouta par ailleurs que
La sagesse est également un bien en politique, car la sagesse n’est ni l’orgueil ni le rejet, mais l’amour tendre qui amène les bergers à diriger la communauté, pas avec des préjugés mais avec un cœur joyeux, sans penser à eux-mêmes ou être assoiffé de pouvoir, mais en cherchant le bien-être du peuple, comme un père le fait pour ses enfants : voilà les bon dirigeants pour la communauté laïque.
Alors que ces expressions culturelles étaient une soupape de sécurité inestimable permettant d’éviter l’explosion de la cocotte-minute sociétale, dès la moindre critique des ecclésiastiques, la répression frappait.
Scène d’une procession à Anvers. Tableau d’Erasmus de Bie.
Après qu’une Chambre de rhétorique avait ironisé en 1560 sur le clergé et le saint Esprit, et après une enquête approfondie à propos de ces « pièces scandaleuses » menée par Granvelle en personne, un placard ordonna qu’à partir de là, toutes les chansons et poèmes, avant d’être chantés ou récités, nécessitaient une autorisation préalable par les autorités religieuses et temporelles.
Commanditaire ?
Granvelle, peint par Frans Floris.
Lorsque Mme Meganck écrit (p. 155) que « L’hypothèse que Granvelle aurait commandité la Chute des anges, ou que Bruegel aurait adressé son invention spécifiquement à lui, permettrait de jeter une nouvelle lumière sur le cœur de son iconographie », je peux souscrire à la deuxième partie de son énoncé.
Cependant, lorsqu’elle poursuit « Dans le contexte de la révolte de la noblesse locale des Pays-Bas contre Granvelle, l’intention du tableau semble extrêmement pertinent : ceux qui se rebellent contre l’ordre établi finiront en ruine », on ne la suit plus. Car rien n’est plus juste, de contester une autorité illégitime (mais parfois légale), au nom d’une autorité supérieure fondée sur le bien, le vrai et le beau, comme l’a fait le général De Gaulle contre l’occupation Nazie et un régime collaborationniste qui le condamna à mort ! Si l’on appliquait ce raisonnement à la France de 1940, De Gaulle aurait été Lucifer !
Pour sa défense, Mme Meganck, qui récuse « la propagande de la révolte néerlandaise » pour qui Granvelle aurait été « un monstre assoiffé de sang », rapporte que ce dernier, un collectionneur passionné de tableaux et de curiosités de toutes sortes, artificielles et naturelles, et disposant d’un nain à son service, s’intéressait aussi bien à l’œuvre de Jérôme Bosch qu’à celle de Bruegel. Philippe II aurait même retardé son redéploiement à Besançon tellement il approvisionnait la cour de Madrid avec toutes sortes d’objets extravagants.
Mme Meganck rappelle que l’inventaire de la collection de Granvelle, une collection enrichie après sa mort par sa famille, comprenait en 1607 La fuite en Égypte, une œuvre de Bruegel l’Ancien datée de 1563. En 1575, plusieurs années après la mort de Bruegel, l’évêque de Tournai Maximilien Morillon, son confident, signale à Granvelle que les prix des tableaux du peintre ont nettement augmenté.
Mme Meganck, se contredisant, nous dit qu’il est regrettable qu’aucune preuve formelle n’existe pour affirmer que Granvelle aurait commandité une œuvre auprès de Bruegel tout en disant, page 146 :
Granvelle est un des rares amateurs d’art connu qui a probablement possédé des peintures de Bruegel durant la vie de l’artiste.
Collectionneur érudit
Etude d’insectes divers, anonyme, vers 1550.
Le livre de Mme Meganck constate également que le tableau de Bruegel grenouille (c’est le cas de le dire) de références à des objets exotiques qui commençaient à faire la fierté des collectionneurs érudits tel que Granvelle : papillons, oiseaux et poissons exotiques, cadrans solaires et instruments de musique, pièces d’armures, casques et calices.
Par exemple, Mme Meganck épingle dans son livre un beau papillon qui aurait pu faire partie de ce genre de collections et qu’on le retrouve au centre de La chute des anges rebelles.
Vanité, de Jan Sanders Van Hemessen (vers 1540).
Notez que ce type de papillon figure également dans la Vanité (1540) de Jan Sanders Van Hemessen comme métaphore du caractère éphémère de l’existence humaine, une thématique qui ne pouvait qu’intéresser l’érasmien qu’était Bruegel. Bruegel aurait-il voulu séduire Granvelle en étalant de tels objets exotiques ? tente l’auteure.
Tout au contraire, notre Bruegel, Pierre le drôle, semble bien avoir cherché à montrer comment des individus comme Granvelle, des possédants possédés par leurs possessions, finiraient bien par emporter leurs riches collections luxueuses dans leur chute.
Un dernier détail, un des rares qui semble bizarrement avoir échappé à l’auteure, conforte plutôt notre hypothèse tout en mettant à mal la sienne : en bas au milieu du tableau quelques unes des sept têtes couronnées de couronnes du dragon de l’Apocalypse (Note 1) symbolisent de façon métaphorique le pouvoir absolutiste si cher à Granvelle. Le commanditaire serait donc plutôt à chercher du côté de Guillaume le Taciturne.
Soulignons que c’est lorsqu’en juin 1580 Philippe II signe un édit promettant à quiconque tuerait Guillaume d’Orange, l’anoblissement et 25 000 écus, que Balthazar Gérard, un franche-comtois fanatisé (Note 2), se rend à Delft aux Pays-Bas et l’abat de trois balles de pistolet.
Pour conclure, précisons également que Mme Meganck n’a pas trouvé l’endroit propice dans son texte pour rapporter l’affirmation de Karel Van Mander, auteur du Schilderboeck de 1604, que peu avant sa mort et au moment où chaque famille bruxelloise se voit contrainte par l’occupant d’accueillir chez elle des soldats espagnols sans solde, Bruegel ordonna à sa femme de brûler ses lettres et œuvres sur papier par crainte des ennuis qu’elles pourraient lui procurer à elle et ses enfants.
La bonne nouvelle, c’est que la Chute des anges rebelles, certes un livre ouvert pour ceux qui voudront bien le lire, gardera encore pour un certain temps ses mystères.
NOTES:
*1: Dans le Livre de l’Apocalypse 13:1 et 13:2, il est dit : « Et il se tint sur le sable de la mer. Puis je vis monter de la mer une bête qui avait dix cornes et sept têtes, et sur ses cornes dix diadèmes, et sur ses têtes des noms de blasphème. La bête que je vis était semblable à un léopard ; ses pieds étaient comme ceux d’un ours, et sa gueule comme une gueule de lion. Le dragon lui donna sa puissance, et son trône, et une grande autorité.… »
*2: Le village natal de l’assassin, Vuillafans, à 42 km de Besançon (ville natale du cardinal Granvelle) dans le Doubs, conserve fièrement sa maison et une rue porte son nom…
Jan Van Eyck (1390-1441). Comment saisir l’intention de ce grand peintre flamand dont cinq siècles nous séparent ?
A part regarder son œuvre, voici trois pistes que j’ai tenté de débroussailler pour vous :
Le peintre était sans doute initié à la lectio divina, l’interprétation à plusieurs niveaux du sens profond des Saintes Ecritures ;
L’influence du penseur religieux français Hugues de Saint-Victor (1096-1141), une figure méconnue mais majeure dont le cardinal philosophe Nicolas de Cues a pu s’inspirer ;
Les conseils éventuels qu’a pu donner au peintre le théologien Denys le Chartreux (1401-1471), le confesseur de Philippe Le Bon, duc de Bourgogne, pour qui le peintre effectua des missions diplomatiques.
Par Karel Vereycken
Voici une bonne raison pour apprendre le néerlandais ! Lire dans le texte original le livre inspirant et bien écrit Landschap en Wereldbeeld, van Van Eyck tot Rembrandt (Paysage et vision du monde, de Van Eyck à Rembrandt) de l’historien d’art néerlandais Boudewijn Bakker (Paru en 2004 chez Thoth à Bossum, Pays-Bas, également disponible en anglais).
Dans un style précis et d’accès facile, Bakker nous offre une série de clés permettant au spectateur du XXIe siècle de renouveler le regard porté sur la peinture flamande et néerlandaise et de révéler son sens parfois un peu « caché »…
Ce qui parfois nous étonne aujourd’hui s’avère souvent des références largement partagées par les peintres, leurs commanditaires, les religieux et plus largement le grand public dans ces contrées.
Paradoxe
Avant de lire l’œuvre de Bakker, la peinture du Nord de l’Europe m’a souvent parue aller à l’opposé de la matrice philosophique et religieuse qui prévalait au XVe siècle, alors qu’elle en est l’expression.
Jusqu’ici, je pensais que, pour l’essentiel, la vision du monde qui prévalait à la fin du Moyen-Age se résumait au rejet du monde visible tel que nous le percevons par nos sens. Car ce monde, d’après la mésinterprétation de Saint Augustin et Platon par les scolastiques, n’est que tromperie et tentation, le diable en personne en quelque sorte.
Or, et c’est là que ce paradoxe se manifeste avec toute sa force éruptive, comment réconcilier ce rejet du visible avec en particulier l’œuvre du peintre flamand Van Eyck, qui nous montre des êtres humains animés de bonté, pleins de beauté et de douceur, entourés d’une nature belle, abondante et exubérante ?
Adam, détail du retable de Gand (1432), Jan Van Eyck.
Comment ose-t-il, me demandais-je, nous montrer tant de beauté alors qu’à son époque la doctrine de la foi, s’érigeant en gardienne du temple, ne cessait de rappeler que l’Homme, dans son imperfection criante, n’est pas Dieu, et mettait systématiquement en garde contre les tentations de ce monde ?
Les tableaux ironiques mais extrêmement moralisateurs de Jérôme Bosch et de Joachim Patinier ne sont-ils pas là pour nous faire comprendre, avec une violence non-dissimulée mais avec humour et méthode, que l’origine du péché se trouve précisément dans notre attachement excessif aux biens terrestres et dans les plaisirs que nous croyons en tirer ?
Coïncidence des opposés
Le cardinal philosophe Nicolas de Cues (Cusanus)
Sans se référer explicitement à la méthode du grand théo-philosophe, le cardinal Nicolas de Cues, celle de la « coïncidence des opposés » (coincidentia oppositorum), c’est-à-dire la résolution de paradoxes d’apparence insolvable mais possible à partir d’un point de vue plus élevé et donc supérieur, Bakker démontre que le paradoxe que nous venons d’évoquer, n’en est, lui aussi, qu’un en apparence.
Pour comprendre cela, Bakker rappelle d’abord que pour le courant augustinien, pour qui l’homme a été créé à l’image vivante du créateur (Imago Viva Dei), la nature, n’est ni plus ni moins qu’une « théophanie », c’est-à-dire, pour ceux qui se rendent capable de la lire, la révélation d’une intention divine.
Pour ce courant, Dieu se révèle à l’homme, non pas par un seul, mais par « deux livres », dont le premier n’est autre que « le livre de la nature » qu’on apprécie par les yeux ; le deuxième étant la Bible à laquelle auquel on accède grâce aux yeux et aux oreilles.
Bakker souligne à ce propos le rôle, un peu oublié, de deux penseurs chrétiens de premier ordre qui, depuis l’hégémonie de l’aristotélisme introduit par saint Thomas d’Aquin, la montée du nominalisme et la contre-réforme, ont fini par tomber dans l’oubli.
Il s’agit en premier lieu de l’abbé et théologien français Hugues de Saint Victor (1096-1141), un des auteurs médiévaux ayant connu une large diffusion manuscrite à son époque, et de Denys le Chartreux (1402-1471), un ami néerlandais et collaborateur de Nicolas de Cues (1401-1464) et confesseur de Philippe le Bon, duc de Bourgogne (1396-1467).
Lectio divina de la nature ?
Saint-Dominique lisant. Fresque de Fra Angelico.
Par rapport à l’interprétation des peintures, l’approche de Bakker, qui en réalité a fait le travail que tout historien de l’art digne de ce nom devrait fournir avant de se livrer à des interprétations d’œuvres d’art, consiste dans la confrontation des tableaux avec, s’ils si elles existent, les écrits de leurs époques.
Dans cet exercice, Bakker formule l’hypothèse fertile que les chefs-d’œuvre de la peinture flamande, truffés d’autant d’énigmes et de mystères que nos belles cathédrales, se lisent « à plusieurs niveaux », tout comme l’exégèse biblique de l’époque faisait appel, pour les textes sacrés, à une méthode de lecture ancestrale, dite « à quatre niveaux ».
D’abord dans le judaïsme, bien avant l’arrivée de Jésus, l’étude de la Torah faisait appel à la « doctrine des quatre sens » :
le sens littéral,
le sens allégorique,
le sens allusif, et
le sens mystique (éventuellement caché, secret ou kabbalistique).
Ensuite, les chrétiens, en particulier Origène (185-254), puis Ambroise de Milan au IVè siècle, reprennent cette méthode pour la Lectio Divina, c’est-à-dire l’exercice de la lecture spirituelle visant, par la prière, à pénétrer le plus profondément possible un texte sacré.
Enfin, introduite au IVe siècle par Ambroise, Augustin fait de la Lectio Divina la base de la prière monastique. Elle sera reprise ensuite par Jérôme, Bède le Vénérable, Scot Erigène, Hugues de Saint-Victor, Richard de Saint-Victor, Alain de Lille, Bonaventure et s’imposera à Saint Thomas d’Aquin et Bernard de Clairvaux.
Bakker prend soin de préciser ces quatre niveaux de lecture :
Le sens littéral est celui qui est issu de la compréhension linguistique de l’énoncé. Il raconte les faits et la « petite histoire » tout en replaçant l’écrit dans le contexte de l’époque ;
Le sens allégorique. Vient du grec allos, autre, et agoreuein, dire. L’allégorie en énonçant une chose en dit aussi une autre. Ainsi l’allégorie explique ce que symbolise le récit ;
Le sens moral ou tropologique (du latin tropos signifiant « changement »), en cherchant dans le texte des figures, des vices ou des vertus, des passions ou des étapes que l’esprit humain doit parcourir dans son ascension vers Dieu, nous indique les leçons que chacun peut en tirer pour sa propre vie dans le présent ;
Le sens anagogique (adjectif provenant du grec anagogikos c’est-à-dire élévation), est obtenu par l’interprétation des Évangiles, afin de donner une idée des réalités dernières qui deviendront visibles à la fin des temps. En philosophie, chez Leibniz, « l’induction anagogique » est celle qui tente de remonter à une cause première.
Ces quatre sens ont été formulés au Moyen-Age dans un fameux distique latin : littera gesta docet, quid credas allegoria, moralis quid agas, quo tendas anagogia (la lettre enseigne les faits, l’allégorie ce que tu dois croire, la morale ce que tu dois faire, l’anagogie ce que tu dois viser).
La raison pour laquelle j’amène cette question de l’exégèse biblique à niveaux multiples, précise Bakker, c’est que dans le cadre de la vision du monde du Moyen-Age, on estimait que cette interprétation ne s’appliquait pas seulement à la Bible, mais tout autant à la création visible.
Gros plan de la page du livre devant lequel s’agenouille la Vierge dans l’Annonciation qui décore les volets extérieurs du retable de Gand de Jan Van Eyck (1432). En bas de la page, on lit clairement (en rouge) : « De visione dei », le titre de l’œuvre de Nicolas de Cues de 1453.
Nous voilà donc devant un sentiment amoureux de la création ? Pas du tout ! Loin du panthéisme (un péché), il s’agit de « lire », comme l’affirme Hugues de Saint-Victor, « avec les yeux de l’esprit », ce que « les yeux de la chair » ne sont pas capable de voir, un concept que reprendra Nicolas de Cues dans son œuvre de 1543 : Du tableau, ou la Vision de Dieu.
Le paradoxe se trouve ainsi résolu. Car, dans l’allégorie de la caverne évoquée par Platon dans La République, l’homme qui se trouve enchaîné devant une paroi où il ne voit que défiler des ombres projetées sur la paroi de la caverne, en mobilisant son intelligence, in fine se rend capable d’identifier les processus qui les engendrent.
Certes, l’homme ne peut pas « connaître » Dieu de façon directe. Cependant, en étudiant les effets de son action, il peut deviner son intention. C’est donc à travers Hugues de Saint Victor, que le courant augustinien et platonicien qui avait inspiré la Renaissance carolingienne refait surface à Paris.
Pour ce courant, la création comme un tout, du point de vue anagogique, est un reflet du paradis céleste et une référence directe vers l’omnipuissance, la beauté et la bonté divine.
Pour Bakker :
L’ensemble de ces interprétations sont faciles à illustrer avec les œuvres d’Augustin, parce qu’elles ont inspiré tout au long du Moyen-Age les auteurs sur la nature. Augustin aimait beaucoup le monde tel qu’il se présente à nous ; il savait jouir de ce qu’il appelait ‘certains espaces larges et magnifiques de la ville ou de la campagne’, où la beauté vous frappe avec éclat lorsque vous les montrez à un étranger. Mais la création contient également d’innombrables messages ‘moraux’, autant d’occasions pour un observateur pieux et attentif pour réfléchir sur son âme et sa tâche sur Terre. Coup après coup, Augustin souligne cet aspect lorsqu’il parle des phénomènes naturels. Chaque fois, il nous incite à chercher l’invisible derrière le visible, l’éternel derrière le temporel, etc. Ainsi l’harmonie que nous montre la création nous indique la paix qui doit régner entre les hommes. Chaque créature, pris séparément, apparait, pour celui qui veut le voir comme un exemple (négatif ou positif) pour l’homme. Ceci s’applique notamment pour le comportement des animaux, par exemple. Et ce qui concerne la Terre comme un tout, ne négligez pas les creux du paysage, car c’est là que jaillissent les sources.
Hugues de Saint Victor
Hugues de Saint Victor
En France, c’est lors de la Renaissance intellectuelle du XIIe siècle que les centres d’étude scolaires se multiplient (école cathédrale, école d’Abélard, école du Petit-Pont pour Paris, Chartres, Laon…) et qu’une véritable effervescence intellectuelle fait de notre pays un pôle d’attraction. Ainsi, de nombreux étudiants en provenance d’Allemagne, d’Italie, d’Angleterre, d’Ecosse et du Nord de l’Europe partent pour Paris pour y étudier avant tout la dialectique et la théologie.
Hugues de Saint Victor (1096-1141) est d’origine saxonne (ou flamande ?). Vers 1127, il entre chez les chanoines réguliers de Saint-Victor peu après la fondation de ce monastère installé à la lisière de Paris.
Les Victorins se distinguent dès l’origine par la haute place qu’ils donnent à la vie intellectuelle. Les chanoines de cette abbaye ont un regard positif sur le savoir, d’où l’importance qu’ils accordent à leur bibliothèque.
Les maîtres principaux qui ont influencé Hugues sont : Raban Maur (lui-même disciple du conseiller de Charlemagne, l’irlandais Alcuin), Bède le Vénérable, Yves de Chartres et Jean Scot Erigène et quelques autres, peut-être-même Denys l’Aréopagite dont il commente La Hiérarchie céleste.
Abbaye de Saint Victor à Paris en 1655.
D’une curiosité intellectuelle insatiable, Hugues conseille à ses disciples de tout apprendre car, dit-il, rien n’est inutile. Lui-même est le premier à mettre en pratique le conseil qu’il donne aux autres. Une partie notable de ses écrits est consacrée aux arts libéraux, aux sciences et à la philosophie, dont il traite en particulier dans un manuel d’introduction aux études profanes et sacrées, demeuré célèbre, le Didascalicon.
Ses contemporains le considèrent comme le plus grand théologien de leur temps et lui donnent le titre glorieux de « nouvel Augustin ». Il influence les Franciscains d’Oxford (Grosseteste, Roger Bacon, etc.) dont l’influence sur le peintre Roger Campin n’est plus à démontrer et Nicolas de Cues s’en inspire.
À la question de savoir s’il faut admirer ou mépriser le monde, Hugues de Saint Victor répond qu’on doit aimer le monde, mais à condition de ne pas oublier qu’il faut l’aimer en vue de Dieu, comme un présent de Dieu, et non pour lui-même.
Pour atteindre cette sagesse, l’homme doit considérer son existence comme celle celui d’un pèlerin qui se détache sans cesse de l’endroit où il réside, métaphore très fertile qu’on retrouvera chez les peintres flamands Bosch et Patinier. « Le monde entier est un exil pour ceux qui philosophent », souligne Hugues.
Maître Hugues pose l’exigence d’un dépassement de la dilectio (amour jaloux et possessif de Dieu) pour la condilectio (amour accueillant et ouvert au partage). Il prône l’idée d’un amour tout agapique tourné vers les autres, et non centré sur soi-même, un amour tourné vers le prochain, l’amour de Dieu augmentant avec l’amour du prochain. C’est tout simplement l’idée de charité chrétienne et de solidarité fraternelle qui est ainsi exprimée.
Hugues énumère cinq exercices spirituels : la lecture, la méditation, la prière, l’action, la contemplation. La première donne la compréhension ; la seconde fournit une réflexion ; la troisième demande, la quatrième cherche et la cinquième trouve. Ces exercices ont pour but d’atteindre la source de la vérité et de la charité et là, l’âme de l’homme est toute « transformée en flamme d’amour », reposant entre les mains de Dieu dans « une plénitude à la fois de connaissance et d’amour ».
Pour le sujet qui nous intéresse ici, c’est surtout sa vision optimiste de l’homme et de la création qui se différencie des clichés que nous retenons du pessimisme médiéval. Car pour lui, la création est un don de Dieu et le chemin vers Dieu passe donc tout autant par la lecture du livre de la nature que par la Bible.
Ainsi, pour lui, l’image que nous en percevons n’est d’abord que révélation ou dévoilement de la Puissance divine, perçue « à travers la longueur, la largeur, la profondeur de l’espace », « à travers la masse des montagnes, la longueur des fleuves, l’étendue des champs, la hauteur du ciel, la profondeur de l’abîme ».
Ainsi, le peintre, lorsqu’il excelle dans la représentation de l’univers physique ne fait qu’augmenter sa capacité à dévoiler la puissance du créateur !
Dévoilement également de la Sagesse à travers la beauté. Pour Hugues, « tout l’univers sensible est un grand livre tracé par le doigt de Dieu », c’est-à-dire créé par la vertu divine et
chaque créature est comme une figure, non pas produit du désir humain, mais fruit du vouloir divin chargé de manifester la Sagesse invisible de Dieu (…) Tout comme un illettré regarde les signes d’un livre ouvert sans connaître les lettres, un homme stupide et bestial ‘qui ne comprend pas les choses qui sont de Dieu’, ne voit dans les créatures que la forme extérieure, mais n’en comprend pas le sens intérieur.
Pour s’élever, Hugues propose à ses disciples de Saint-Victor, à tous ceux capables de « contempler sans relâche », de poser « un regard spirituel » sur le monde. Pour son disciple, Richard de Saint-Victor, la Bible et le grand livre de la nature {« rendent le même son et s’harmonisent pour dire les merveilles d’un monde secret. »}
Denys le Chartreux, clé pour comprendre Van Eyck
Le théologien Denys le Chartreux (Van Rykel).
Deux siècles après Hugues de Saint-Victor, c’est une même flamme qui anime le théologien Denys le Chartreux (1401-1471), originaire du Limbourg belge. Sous le titre La beauté du monde : ordo et varietas, Bakker lui consacre tout un chapitre de son livre. Et vous allez comprendre pourquoi.
Avant d’entrer chez les Chartreux de Roermond aux Pays-Bas, Denys, est formé dans l’esprit des Frères de la vie commune à l’école de Zwolle aux Pays-Bas et achève sa formation à l’Université de Cologne.
Avec Jean Gerson (1363-1429) et Nicolas de Cues (1402-1464), et ce malgré un style beaucoup plus bavard et parfois confus, Denys le Chartreux compta au nombre des auteurs les plus lus, les plus copiés puis les plus édités, quand l’imprimerie en vint à supplanter le laborieux travail des moines copistes. D’ailleurs, le premier livre publié en Flandres, ne fut autre que le Miroir de l’âme pècheresse de Denys le Chartreux, imprimé en 1473 par l’ami d’Erasme de Rotterdam, Dirk Martens.
Au monastère de Roermond au Pays-bas, Denys écrit 150 œuvres dont des commentaires sur la Bible et 900 sermons. Après en avoir lu un, le pape Eugène IV, qui vient d’ordonner à Brunelleschi de parachever la coupole du dôme de Florence, exulta : « L’Eglise mère se réjouit d’avoir pareil fils ! ».
En tant que savant, théologien et conseiller, Denys était très influent. « Nombre de gentilshommes, de clercs et de bourgeois viennent le consulter dans sa cellule à Ruremonde où il ne cesse de résoudre doutes, difficultés et cas de conscience. (…) Il se trouve en relations fréquentes avec la maison de Bourgogne et sert de conseiller à Philippe le Bon », confirme l’historien néerlandais Huizinga dans son Déclin du Moyen-âge.
Selon Bakker, ayant rédigé une série d’œuvres d’orientation spirituelle, Denys, remplit le rôle de confesseur et de guide spirituel du souverain chrétien Philippe le Bon , duc de Bourgogne, et par la suite, de celui de sa veuve.
Denys le Chartreux, chaire de la Cathédrale de Laon.
Denys le Chartreux est un ami, admirateur et collaborateur du cardinal Nicolas de Cues.
Ensemble, ils suivent à Cologne les cours du théologien flamand Heymeric van de Velde (De Campo) qui les initie à la théologie mystique du moine platonicien syrien connu sous le nom du Pseudo-Denys l’Aréopagite et à l’œuvre de Raymond Lulle et d’Albert le Grand.
Lorsqu’en 1432, Nicolas De Cues décline la chaire de Théologie que lui offre l’Université de Louvain, c’est De Campo qui, à sa demande, accepte cette fonction.
Politiquement, de 1451 à 1452, c’est Denys le Chartreux que choisit Nicolas de Cues, alors légat apostolique, pour l’accompagner durant plusieurs mois lors de sa tournée en pays rhénan et mosellan pour y faire appliquer, à la demande du pape, le renouveau spirituel qu’il promeut.
Bakker note que Denys a une prédilection pour la musique. Il recopie et illumine de sa main des partitions et donne des instructions sur la meilleure interprétation possible des psaumes. Sa préférence va à des psaumes qui font l’éloge de Dieu. Et pour faire l’éloge du créateur, Denys trouve des images et des paroles qu’on verra rebondir dans l’imagination des peintres de l’époque.
Cependant, pour Denys, la beauté de Dieu signifie quelque chose de plus profond qu’une simple attractivité visuelle. « Pour toi (seigneur), ‘être’ équivaut à ‘être beau’ ». Rappelons que la vue, dans la philosophie chrétienne, est le sens primordial et celui qui résume tous les autres.
Dans les psaumes de Denys, deux notions prévalent. D’abord, celle de l’ordre et de la régularité. On les retrouve dans les corps célestes qui déterminent le rythme des jours et des années. Mais la Terre elle-même obéit à un ordre divin. Et là Denys cite le Livre de la Sagesse de Salomon (11,20) affirmant : « Tu as tout ordonné avec mesure, nombre et poids ».
Ensuite, il y a l’idée de multiplicité et de diversité. Sur les phénomènes climatiques, c’est-à-dire des phénomènes purement « physiques », Denys affirme par exemple,
Dans le ciel, seigneur, tu génères des effets multiples de pression et de souffle, tels que des nuages, des vents, des pluies (…) et différents phénomènes : des comètes, des couronnes lumineuses, des vortex, des étoiles tombantes (…), du givre et de la brume, de la grêle, de la neige, l’arc en ciel et le dragon volant.
Pour Denys, tout cela n’a pas été créé pour rien mais pour pénétrer l’homme de la réalité divine, sa grandeur infinie, son omnipuissance et son amour pour l’homme.
Faites en sorte seigneur, écrit-il, que dans les effets de votre laboriosité universelle, nous vous percevions et que par l’amour dont elle témoigne, nous nous enflammions et que nous nous éveillions à honorer votre grandeur.
Sur Dieu et le beau, Denys écrit un véritable traité d’esthétique théologique sous le titre De Venustate Mundi et pulchritudine Dei (De l’attractivité du monde et de la beauté de Dieu).
Retable de Gent (Belgique) ou l’Agneau mystique, peint par Jan Van Eyck.
La cour de Philippe le Bon, duc de Bourgogne. Miniature de Rogier Van der Weyden.
En lisant ce qui suit, c’est tout de suite le retable de Gand, l’Agneau mystique, ce grand polyptyque peint par Jan Van Eyck qui nous vient à l’esprit.
Sachant que ce peintre était au service (peintre et ambassadeur) du même Philippe le Bon, duc de Bourgogne, dont Denys le Chartreux fut le confesseur et guide spirituel, on est en droit de croire que ce texte s’est imposé dans l’esprit du peintre dans l’élaboration de son œuvre.
Denys le Chartreux :
De même que toute créature participe à l’être de Dieu et à sa bonté, de même le Créateur lui communique aussi quelque chose de sa beauté divine, éternelle, incréée, par quoi elle est en partie rendue semblable à son Créateur et participe quelque peu à sa beauté. Autant une chose reçoit l’être, autant elle reçoit le bon et le beau. Il existe donc une beauté incréée qui est la beauté et le beau par essence : Dieu.
Autre est la beauté créée : le beau par participation. De même que toute créature est appelée être dans la mesure où elle participe à l’être divin et lui est assimilée par une certaine imitation, de même toute créature est dite belle dans la mesure où elle participe à la beauté divine et lui est rendue conforme. De même que Dieu a fait toutes choses bonnes parce qu’il est bon par nature, de même il a fait toutes choses belles parce qu’il est essentiellement beau.
(…) Le fils unique de Dieu, vrai Dieu lui-même, a pris notre nature et est devenu notre frère. Par lui, notre nature a reçu une dignité de majesté indicible. Dieu a de plus orné les âmes des bienheureux qui sont dans la patrie céleste, de sa lumière et de sa gloire, et les a élevés à la vision béatifique, immédiate, claire et bienheureuse de sa Divinité toute pure. En contemplant la beauté incréée et infinie de l’essence divine, elles sont transformées à son image d’une façon surnaturelle et ineffable. Elles sont remplies et débordent de cette participation, de cette communion de bonté, lumière et beauté divines, au point d’être entièrement ravies en lui, configurées à lui, absorbées en lui. Elles atteignent ainsi une beauté telle, que les splendeurs du monde entier ne sauraient être comparées à la beauté de la plus petite d’entre elles.
Retour au peintre
Ce dernier paragraphe évoque immédiatement la partie supérieure du polyptyque de Jan Van Eyck à Gent.
On a du mal à mesurer l’effet que ce tableau a pu susciter chez les croyants : ils y voyaient non seulement Adam et Eve, élevés au même niveau que Dieu, la Vierge et Saint-Jean Baptiste, mais y découvraient, alors que moins d’un pour cent de la population européenne ne savaient lire et écrire, l’image d’une ravissante jeune femme lisant la Bible. Son nom ? Marie, mère de Jésus !
La partie inférieure de la même œuvre met en scène un autre évènement majeur : la réunification, suite aux différents conciles œcuméniques, de tous les chrétiens, qu’ils soient d’Occident ou d’Orient et jusque là divisés par des querelles subalternes, autour de la quintessence de la foi chrétienne : le sacrifice du Fils de Dieu pour libérer l’homme du péché originel.
Sont regroupés en chœurs autour de l’évènement tout ce qui comptaient dans l’univers : les trois papes, les philosophes, les poètes (Virgile), les martyrs, les ermites, les prophètes, les justes juges, les chevaliers chrétiens, les saints et les vierges.
Le tout présenté dans un paysage transformé par un véritable « Printemps » chrétien. Van Eyck n’hésite pas à représenter, avec moult détails de toute la splendeur de leur microcosme, une bonne cinquantaine d’espèces végétales au moment où elles offrent leurs plus belles fleurs et feuilles.
Littéralement, cela fait apparaître la richesse de la création dans toute sa variété; allégoriquement, cela représente le créateur comme sève de la vie; moralement, c’est le sacrifice du fils de Dieu qui redonnera vie à l’église des chrétiens; et enfin, anagogiquement, cela nous rappelle que nous devons tendre à nous unir au créateur, source de toute vie, bien et sagesse.
Une fois de plus, ce n’est que chez Denys le Chartreux, dans le passage de conclusion de son {Venestate Mundi et pulchritudine Dei} que l’on trouve un éloge aussi passionné de la beauté du monde visible, y compris une référence au fameux {« vert foncé des prés »} si typique de Van Eyck :
{Démarrons par le plus bas, les éléments de la terre. Dans quelles longueur et largeur immensurables elle s’étend loin devant nous ; comment sa surface est ornée d’innombrables espèces et sortes d’individus de choses merveilleuses. Regardez les lis et les roses et autres fleurs de belles couleurs émettant leurs odeurs adorables, les herbes guérissantes qui poussent sur le vert foncé des prés et à l’ombre des forêts, la splendeur des arbres et des champs luxuriants, des hauteurs de montagnes, de la fraicheur des arbres, des étangs, des ruisseaux et des rivières s’étalant jusqu’à la mer au lointain ! A quel point Il doit être beau en lui-même, Celui qui a tout créé ! Regardez et admirez la multitude d’animaux, comment ils brillent dans la variété de leurs couleurs ! Aux poissons et oiseaux se réjouit l’œil et s’adresse notre éloge du Créateur. Dans quels beauté et lustre se drapent les grands animaux, le cheval, l’unicorne, le chameau, le cerf, le saumon et le brochet, le phénix, le paon et l’épervier. Qu’Il est élevé, celui qui a fait tout cela !}
Avec ce que nous venons de lire et de dire, le spectateur peut enfin savourer en pleine confiance et sans modération cette beauté, car il ne s’agit de rien d’autre que la prégustation de la sagesse divine !
Avec ce que nous venons de lire et de dire, le spectateur peut savourer en pleine confiance cette beauté, car il ne s’agit de rien d’autre que la prégustation de la sagesse divine !
Bibliographie :
Boudewijn Bakker, Landschap en Wereldbeeld. Van Van Eyck tot Rembrandt, Thoth, 2004 ;
Patrice Sicard, Hugues de Saint-Victor et son école, Brepols, 1991.
Denys le Chartreux, Vers la ressemblance, textes réunis et présentés par Christophe Bagonneau, Parole et Silence, 2003.
Hans Holbein le jeune, Erasme, 1523, Collection de Lord Radnor of Longfares, Salisbury
On caractérise souvent de « petit âge de ténèbres » la période qui va du début des guerres de religion (1511) jusqu’au traité de Westphalie (1648) qui en organise la fin. Mais pendant que le monde s’horrifie devant le retour des guerres, l’humanité découvre aussi L’Eloge de la Folie d’Erasme, qui date également de 1511. Ironie tragique de l’histoire, car Erasme y pose déjà le principe de « l’avantage d’autrui », concept révolutionnaire qui aurait pu éviter ces guerres et qui plus tard, défendu par Mazarin, fera la réussite de la paix de Westphalie.
Cette notion se trouve on ne peut plus clairement exprimée par l’admirateur d’Erasme, François Rabelais. Car Gargantua, sur sa médaille, fait représenter un corps humain ayant deux têtes, tournées l’une vers l’autre, quatre bras, quatre pieds et deux culs (Platon, Le Banquet) entouré de lettres ioniques (en grec dans l’original) qui disent : « L’agape ne cherche pas son propre avantage. »
Ces guerres de « sédition », comme Erasme les appelait – car il s’agissait de conflits entre chrétiens – n’étaient en réalité rien que l’expression d’une volonté manifeste et délibérée de grandes puissances féodales et romaines (banquiers Lombards, Fugger, Génois et autres Vénitiens) d’annihiler les acquis de la Renaissance du XVe siècle européen et de repousser d’un revers de la main la brûlante exigence de réforme politique qu’elle venait de poser au monde.
Si l’humanité a survécu à cette « contre Renaissance », caricaturalement représentée par les bûchers de l’Inquisition espagnole et les paroles des jésuites au Concile de Trente, c’est essentiellement grâce à l’action, l’amour et l’oeuvre d’un grand homme, Erasme de Rotterdam (1466-1536), véritable phare de sagesse qui éclaira son époque et les siècles à venir.
Lors du Concile de Trente, son œuvre entière, taxée d’hérésie, fut interdite de lecture pour les catholiques et mise à l’Index en 1559 où elle restera jusqu’en 1900 (!).
Erasme, en dehors de ses nombreux commentaires et livres, écrivait en moyenne 40 lettres par jour. D’une correspondance dépassant les 20000 pièces, les quelque 3000 lettres qui nous restent nous permettent de suivre jour par jour comment Erasme, au détriment de sa santé, sa vie, son honneur, sa réputation et sa faible fortune fut le véritable chef d’une résistance internationale hardie.
Loin du titre ronflant de « Prince des Humanistes » et très éloigné aussi du confort académique d’un membre d’une « République des Lettres », il parcourt sans cesse l’Europe entière avec ses caisses de livres pour unir les hommes de bonne volonté. Luther d’ailleurs, le premier, l’appelait avec mépris « Errans Mus » (rat errant).
Mais de Madrid à Stockholm, de Cambridge à Gdansk, à Louvain, à Leipzig, à Strasbourg, à Anvers, à Rome, à Londres, à Bâle, partout Erasme coalisait les hommes autour de l’espérance d’un monde meilleur. Ses lettres étaient publiées sans cesse, ses livres traduits dans plusieurs langues et ses amis et correspondants lettrés, omniprésents dans les rouages de presque tout les états, l’informaient en retour de la moindre chose d’importance.
Conscient de son rôle, il s’engage sans compromis (Nulli concedo, je ne recule devant personne, initialement une allusion au caractère inexorable de la mort, sera sa devise) pour faire éclater, avec une parole juste et compatissante, la vérité qui dérange et accroît l’amour pour l’intérêt général. Pour garder cette liberté de parole nécessaire à sa mission universelle, il décline toutes les fonctions que lui offraient rois, papes, églises, diètes et conciles.
Erasme n’essaye pas d’être bon catholique, ni bon protestant, ni même un bon érasmien. En tant que chrétien, il fuit les doctrines et le dogme, car il refuse d’être englouti dans des querelles partisanes. Cette conduite hors paire, ainsi que son mépris profond de toute vanité terrestre, sera l’exemple constant et la référence pour tous ceux qui s’opposaient à l’orgie de concupiscence qui ravagea le monde de cette époque.
De surcroît, son amour tout agapique pour le Christ, l’humanité et les belles lettres résistera comme un roc dans la tempête de haine et de laideur morale caractéristique de cette époque, tandis que son humour satirique, qui éclatera aux yeux du monde avec L’Eloge de la folie, permettra enfin aux hommes de rire de leur propres manquements et bêtises pour mieux les surmonter et s’en libérer.
Son mouvement de jeunes ? On peut le voir notamment dans les œuvres de trois géants de la littérature mondiale. Chacun – Rabelais dans sa lettre à Erasme, Cervantès formé par l’érasmien Lopez de Hoyos, et Shakespeare par sa filiation avec Thomas More – s’avère être un fruit de son inspiration intérieure.
En plus de son action politique lors de la ligue de Cambrai dans le conflit contre Venise, nous tenterons de circonscrire les concepts clefs qui ont été la base de sa démarche et de son enseignement.
D’abord, et dans la lignée de Cues et Bessarion, il souhaite une simplification de la liturgie catholique pour rendre accessible à tous la « philosophie du Christ » comme elle ressort de l’Evangile et des actes des apôtres.
A l’opposé des scolastiques, comme Pétrarque, il estime que cette vérité révélée, à laquelle on peut accéder par la foi religieuse, n’est pas incompatible avec la sagesse philosophique des auteurs antiques tels que Platon ou d’autres, sagesse qui est le fruit de la raison humaine.
Ensuite, et armé de ce christianisme évangélique, il s’inspire de la République de Platon qu’il réadapte pour son époque avec son ami Thomas More et nous livre L’utopie. Sa vision est libre du pragmatisme pessimiste de Machiavel et de l’idée banale et passive de tolérance, car fondée sur le concept actif de « l’avantage d’autrui », ce concept que l’on retrouve chez « les politiques » autour de Henry IV (Sully, Bodin, etc.) et surtout la clef de voûte qui permettra plus tard d’aboutir à la paix de Westphalie mettant fin aux guerres de religion.
Contre le pessimisme de la scolastique romaine et sorbonnagre, ainsi que contre ce que l’on pourrait appeler un « catharisme » luthérien, Erasme défend ce que l’on pourrait appeler un « épicurisme chrétien » ; qu’il reprend de l’humaniste italien Lorenzo Valla. C’est cette notion de « poursuite du bonheur » que l’on retrouvera plus tard dans la déclaration d’indépendance de la jeune république américaine.
Luther estimait qu’il fallait écraser Erasme comme une punaise.
En 1516, Erasme estime qu’il est sur le point d’aboutir et d’être entendu par les plus hautes instances. On est donc obligé de s’interroger sur la spontanéité de l’apparition de Martin Luther en 1517 dont la radicalité va être utilisée pour polariser le monde dans des débats théologiques dignes d’une nouvelle scolastique.
Pour combattre les excès de Luther, et allant plus loin que Valla et Augustin, Erasme défendra un « libre arbitre » coopérant avec la grâce, sans ménager par ailleurs la « tyrannie monacale » des ordres mendiants, oisifs et corrompus.
Voyant venir à grand pas les guerres de religion et l’Inquisition, Erasme redouble de pression sur ceux qu’il aime pour qu’une réforme progressive, raisonnable et humaniste de l’église et de la société s’organise. Pour y arriver, et exaspéré par la décadence des humanistes de cette Italie dans laquelle il avait placé tout son espoir, il publiera Le Cicéronien, attaque satirique contre le paganisme déguisé en maniérisme, omniprésent à Rome.
Persécuté par Jérôme Aléandre, scion d’une vieille famille oligarchique de Venise, Erasme finit par devenir indésirable à Londres, calomnié à Rome, traqué à Louvain, diffamé à Paris, insulté à Madrid, tandis qu’un de ses détracteurs crache chaque matin sur son effigie. Il est obligé de quitter Louvain, et plus tard Bâle où il retourne pour mourir, un an après la mort de son « frère jumeau » Thomas More, décapité le 22 juin 1535 à Londres par Henry VIII, roi d’Angleterre.
Pendant que Luther dit qu’il faut « écraser Erasme comme une punaise », et que Calvin le traite d’impie, bon nombre de réformateurs préfèreront l’humanisme évangélique d’Erasme au biblisme cruel des idéologues protestants ou aux théologiens catholiques du Concile de Trente.
En guise de conclusion, nous jetterons un bref coup d’œil sur l’un de ses élèves les plus prolixes, l’érasmien français, François Rabelais.
La « patrie sans nom d’Erasme », Anvers vers 1500
Albrecht Dürer, Dessin du port d’Anvers, 1520, Albertina, Vienne.
C’est un de ces matins où la brume flamande jette son manteau épais sur les épaules des villes du plat pays. Une myriade de mouettes, en tailleur couleur gris de Payne, lancine des cris moqueurs tout en lorgnant vers le bas. Quel vaste foule dans cette immense grisaille !
Arrimée au quai du Schelde (Escaut), cette armada de bateaux de pêche décharge fiévreusement sa cargaison de paniers débordant de crabes, de crevettes, de maatjes et de kabeljauw. Même le petit phoque vert-de-gris qui s’est laissé glisser par la marée haute jusque là, partage le vain espoir des planeurs : que l’un de ses malheureux paniers puisse retomber pardessus bord et livrer son lot de délicatesses avant que la glace ne transforme cette rivière en patinoire !
Coincé entre l’église des marins Sint-Walburgis et le Steen (château féodal) qui borde l’Escaut, l’Oude vismarkt (vieux marché aux poissons) est le quartier le plus actif d’Anvers. En 1500, la vieille cité respire comme le poumon du monde et embrasse dans ses murs entre cinquante et quatre-vingt-dix mille âmes.
En passant par la Palingbrug (pont aux anguilles), où d’importantes parties des premiers remparts subsistent, on accède au Vleeshuis (maison des bouchers), abattoir moderne surmonté de salles de négoce. Non loin de là, dans la Nieuwstad (ville nouvelle) sur la Brouwersvliet (quai des brasseurs), des brasseurs dûment équipés transformeront bientôt des fleuves d’eau, ingénieusement canalisés vers la ville par les travaux entrepris sous Gilbert van Schoonbeke, en rivières de belles bières ambrées.
L’Anvers des Fugger a désormais supplanté la Bruges des Médicis comme le plus grand dépôt du monde. Entre l’Oosterlingenhuis, siège de la ligue Hanséatique pour un temps, et la Beurs, on y croise facilement des marchands portugais, espagnols, juifs, levantins, arméniens ou italiens. La soie et les épices, venus jusqu’en Italie par les caravanes venues d’Asie trouve ici preneur ou s’échange contre le bois de la Baltique ou le blé de la Pologne. Lin et drap flamands, laine anglaise, vins de Bordeaux ; tout s’y achète sans difficulté grâce aux métaux rares du Danube.
Antwerpen, grote markt.
A Anvers, comme dans tant d’autres villes des Pays-Bas Bourguignons, la construction des façades des gildenhuizen (sièges des corporations) sur la Grote Markt (grande place), donne lieu à un véritable tournoi d’architecture.
Au bord du fleuve, on construit un nouveau type de bateau, les Kraken, tandis que dans les arrières boutiques, les ouvriers fabriquent des retables en bois polychromes prisés jusqu’en Scandinavie. Sur la base des cartons envoyés par les cours prestigieux d’Italie, des tapisseries sont patiemment mises sur l’ouvrage. L’Ars Nova, lancé par Jan van Eyck en peinture et Philippe de Vitry en musique cinquante ans plus tôt, y fleurit.
Le concert, maître flamand, début du XVIe siècle.
Pendant que des carillons imposent leurs mélodies, des chorales font entendre la nouvelle musique polyphonique et Orlando di Lasso compose pour clavecin. La peinture de chevalet fait rêver les marchands de montagnes et de simples citadins s’offrent des portraits.
Dans l’ombre de la cathédrale, dont le chantier s’achève avec Keldermans, et dans les Begijnhoven (béguinages), on récite les poèmes d’ Hadewijch, pendant que des doigts agiles fabriquent la belle dentelle dont les motifs fleuris s’harmonisent avec les cascades en pierre du gothique scaldique qui couronnent les pinacles des Hôtels de Ville, des résidences particulières ou les toits des clochers d’innombrables églises.
Dans des larges demeures patriciennes en pierre, des Rederijkers (chambres de rhétorique) préparent des pièces satiriques, mémorisent des poèmes pieux, ou décorent des chars allégoriques (comme le char de foin) pour l’Ommeganck (défilé) de la Saint-Jean.
Une rencontre peu ordinaire
Albrecht Dürer rencontrant Quinten Matsys.
Pour avoir une notion de la pépinière d’idées et de créativité que représente cette époque qui se cristallise à Anvers, il est facile de s’imaginer quelques rencontres peu ordinaires dans une de ces minuscules maisons du Vlaaikensgang (traboule aux tartelettes) situées au bord d’un des vlieten (canaux) qui irriguent le coeur de la cité.
Bien que d’habitude Thomas More (1478-1535) et Erasme de Rotterdam (1466-1536) se retrouvent chez Pieter Gilles (Aegidius) (1486-1533), le secrétaire d’Anvers qui dispose d’une grande maison Den Spieghel sur la Eiermarkt (marché aux œufs), aujourd’hui il se sont donné rendez-vous chez le peintre Quinten Matsys (1465-1530), qui pour l’occasion a convié son collègue Gérard David (1460-1523) au Sint Quinten dans la Schuttershofstraat (rue des Arbalétriers), sa belle demeure ornée de fresques à l’italienne. Metsys leur montre ses croquis de la Sainte-Anne et la Vierge d’après Léonard de Vinci (1452-1519) qu’il a exécutés en Italie.
Erasme, dessiné sur le vif par Dürer lors de son séjour à Anvers en 1520.
Mais attention, Albrecht Dürer (1471-1528) arrive aujourd’hui à Anvers ! Erasme insiste à se faire portraiturer par ce maître de Nuremberg dont il dit : « Dürer, (…) sait rendre en monochromie, c’est-à-dire en traits noirs – que ne sait il rendre ! Les ombres, la lumière, l’éclat, les reliefs, les creux, et… (la perspective). Mieux encore, il peint ce qu’il est impossible de peindre : le feu, le tonnerre, les éclairs, la foudre et même, comme on dit, les nuages sur le mur, tous les sentiments, enfin toute l’âme humaine reflétée dans la disposition du corps, et presque la parole elle-même. »
En attendant, Erasme et More s’amusent à imaginer le début de L’Utopie, dans lequel ce dernier raconte comment il croise par hasard Gilles dans la Onze Lieve Vrouwe cathédrale (Notre-Dame) d’Anvers en présence d’un voyageur, le fameux Raphaël Hythlodée qui livra son récit sur l’Isle d’Utopie, cette république humaniste qu’il avait observé dans cette Amérique que l’on venait de redécouvrir.
Sur ce nouveau monde, un autre ami d’Erasme, Erasmus Schetz (1480-1550), banquier d’Anvers, industriel et latiniste accompli, leur fournit des informations précieuses qui proviennent de son réseau de marchands portugais implantés au Brésil. Martin Behaim (1459-1509), l’élève brillant du cartographe nurembergeois Johan Müller (Regiomantanus) (1436-1476) dont Dürer achète la bibliothèque, fabrique à Anvers les premiers globes avant de s’installer à Porto où il fréquente Christophe Colomb.
Cour de Jérôme de Busleyden à Mechelen. Crédit : Karel Vereycken
Dürer réside à Anvers en 1520 où il assiste au mariage de Joachim Patinier (1480-1524). Il y rencontre Jan Provost (1465-1529), Jan Gossaert (1462-1533) et Bernard van Orley (1491-1542) et dessine un portrait de Lucas van Leyden (1489-1533). En 1523 il y dessine le vieillard de 93 ans qu’il utilise dans son Saint Jérôme.
A une jetée de là, à Malines, il rend visite à une autre admiratrice, Marguerite d’Autriche (1480-1530) tante de Charles Quint qui régente les Pays-Bas Bourguignons et prête parfois une oreille attentive à Erasme.
Hébergé chez elle, Dürer admire un incroyable tableau de sa collection, Les époux Arnolfini de Jan van Eyck. Marguerite vient d’accorder une pension à un peintre vénitien Jacopo Barbari (1440-1515), exilé politique à Malines et auteur du portrait de Luca Pacioli (1445-1514), ce franciscain qui initia Léonard à Euclide, et auteur de la Divine Proportion.
Dürer y visite certainement la belle résidence de Jérôme de Busleyden (1470-1517), bientôt mécène du « Collège Trilingue » qu’Erasme lance à Louvain en 1517 et ami de Cuthbert Tunstall (1475-1559), l’évêque de Londres qui avait présenté More à Busleyden.
De retour à Anvers, Dürer fait un croquis du Strasbourgeois Sébastien Brant (1457-1521) qui vient de publier en 1494 à Bâle la Nef des Fous. Le peintre Jérôme Bosch (1450-1516), qui a fait un tableau sur ce thème et qui s’est régalé avec L’Eloge de la Folie, illustré par le jeune Hans Holbein (1497-1543) et publié en 1511, fait le déplacement à Anvers pour s’y procurer une copie de L’Utopie, fraîchement imprimé à Louvain en 1516 chez l’ami de Gilles, l’imprimeur Dirk Martens (1486-1534).
Une des 56 imprimeries d’Anvers, celle de Christophe Plantin disposant de 22 presses employant 160 ouvriers.
Gemma Frisius (image) et son ami et élève Mercator, vulgarisent l’emploi de la trigonométrie.
Gemma Frisius
Peu après, quand le souffle de l’Inquisition espagnole commence à épaissir la brume avec la fumée des bûchers, l’imprimeur Christophe Plantin (1514-1589) réunit dans le plus grand secret les membres du groupe humaniste, Het Huys der Liefde (Scola Caritatis) de Hendrik Niclaes (1502-1580).
Le scientifique Gemma Frisius (1508-1555) y discute avec son élève le cartographe Gerhard Kremer (Mercator) (1512-1594) et Abraham Ortelius (1527-1598) raconte les dernières explorations du globe terrestre au jeune Pieter Bruegel (1525-1570) qui prépare pour l’imprimerie In de Vier Winden (Aux Quatre Vents) de Jérôme Cock (1510-1570), sa série de gravures sur le thème des Sept péchés et les Sept vertus.
Bruegel lui parle de ses lectures des oeuvres de François Rabelais (1494-1553) qu’il acheta à Lyon sur le retour d’Italie.
Aux Quatre Vents travaille aussi le graveur Dirk Coornhert (1522-1590), formé par le jeune secrétaire d’Erasme Quirin Talesius (1505-1575) et futur bras droit de l’organisateur de la révolte des Pays-Bas Guillaume le Taciturne (1533-1584).
Cette riche culture urbaine n’aurait jamais pu voir le jour aux Pays-Bas Bourguignons sans la vaste révolution agricole commencée dès la fin du Xe siècle.
Essor économique et émancipation politique
Mars, enluminure de Simon Bening (1483-1519) montrant le secret de l’agriculture flamande, c’est-à-dire le bon attelage, non pas des bœufs, mais des chevaux dont la productivité est le double des premiers. A cela s’ajoute une révolution technologique, car à la place du « collier de gorge » utilisé au Moyen-Age (qui tendait à égorger l’animal), l’emploi du « collier d’épaule » (importé de Chine et utilisé dès le XIIIe siècle) permet aux Flamands d’augmenter encore plus la productivité. C’est cette révolution agricole qui permettra une urbanisation où la créativité de chacun trouve la place qu’elle mérite.
La géographie que dessine le « Delta d’or » du Rhin, de la Meuse et de l’Escaut dans cette région offre aux habitants une infrastructure naturelle hors pair qu’ils enrichirent par un labyrinthe de canaux et une ceinture impressionnante de digues de mer, en place dès 1300, et bientôt surmontée de milliers de moulins à vent.
La poldérisation (aménagement de terres sur la mer) et une agriculture intensive leur permet d’accroître considérablement les rendements agricoles quand ils s’effondrent partout ailleurs.
Les économistes estiment que si en Europe il fallait quatre paysans pour nourrir un citadin, il n’en fallait que deux aux Pays-Bas.
Si l’on prend comme unité de référence une ville de 10000 habitants, on trouve en 1550 la région de la Belgique actuelle en haut de l’échelle de l’urbanisation (21%), suivi des Pays-Bas (15,8%) et de l’Italie du nord (15,1%).
Si on baisse le critère à 5000, les Flandres atteignent 36% vers 1500 et la région entre la Meuse et la Zuiderzee (Brabant et Hollande) 54%. Ainsi la patrie d’Erasme, avec l’Italie, figure parmi les régions les plus urbanisées d’Europe.
A partir de 1384, les ducs de Bourgogne avaient tenté d’unifier ce vaste territoire allant de la Frise jusqu’à la vieille route romaine qui reliait Boulogne sur Mer à Cologne.
Bien que le duc y gouverne avec les membres de l’ordre de la Toison d’Or, le pouvoir s’appuyait sur des formes d’auto-gouvernement déjà existantes.
Car historiquement, la conquête des terres fertiles gagnées sur la mer à la fin du treizième siècle s’était accompagnée d’un reflux inéluctable de la féodalité politique et l’essor économique de ces territoires allait de pair avec l’émancipation politique de leurs habitants. Des comités communaux, en charge du financement et de la gestion des polders et de l’aménagement de l’eau, avaient fièrement découvert leurs capacités collectives à gérer leurs propres intérêts.
Carte des Pays-Bas Bourguignons: –En orange, les acquisitions des Ducs de Bourgogne et de Charles Quint. 1384 : Artois (5), Flandre (9), Malines (15) 1427 : Namur (8) 1428 : Hainaut (6), Zélande (10), Hollande (7) 1430 : Brabant (1), Limbourg (3) 1443 : Luxembourg (4) Sous Charles Quint: Utrecht (17), Frise occidentale et orientale (13), Gueldre (2) provinces perdues et reprises : Groningue (14), Overijssel (16), Zutphen (11), la Picardie est perdue à la France en 1477. –En vert, La principauté de Liège indépendante. –En rouge, l’Angleterre. –En bleu, la France En noir, d’autres États du Saint Empire romain germanique
Afin de faciliter les processus décisionnels, les communes furent structurées en Staten (Etats), mais des assemblées ad hoc, par exemple des communes et des villes concernées par la pêche des harengs, pouvaient toujours avoir lieu.
Si en Angleterre ou en France les parlements ne se réunissaient que rarement et encore très souvent dans le seul but de régler des questions d’impôts et de finances, aux Pays-Bas Bourguignons, les registres locaux indiquent, par exemple, que les délégations flamandes se sont réunies 4055 fois entre 1386 et 1506, soit 34 fois par an, en vue de résoudre les problèmes économiques et sociaux et pour discuter de projets d’infrastructures.
En Angleterre, on ne relate que 73 rencontres entre 1384 et 1510, c’est-à-dire moins d’une session par an !
Ainsi, dans les collèges d’échevins des villes et des communes, ces intérêts économiques organisés, à l’origine des guildes de métiers, disposaient d’un pouvoir réel, capable de bloquer la collecte d’un impôt décrété par un gouvernement central.
A l’origine, les guildes avaient sorti les individus de leur étroit cocon familial pour les intégrer dans une nouvelle solidarité urbaine. Cette « famille étendue » citadine sera souvent un vaste laboratoire de découvertes et d’expérimentations, où s’échangeront les savoirs, les compétences et les adresses.
Avec Charles Quint, fils de Philippe le Beau de Bourgogne et de Jeanne de Castille (« la folle »), le pays tombe dans l’escarcelle des Habsbourg. Trop jeune et souvent absent, le pays sera souvent gouverné par les régentes flamandes, Marguerite d’Autriche et Marie de Hongrie. Elles renforceront l’unité du pouvoir central par l’institution d’un Conseil d’Etat, d’un Conseil Privé (justice) et d’un Conseil des Finances.
Palais de Marguerite d’Autriche à Malines.
En 1548, peu avant sa mort, Charles Quint crée le « Cercle de Bourgogne » regroupant les dix provinces méridionales avec les sept provinces du nord jusqu’alors détachées de l’empire. Il prend de plus toutes les dispositions nécessaires afin qu’un seul héritier puisse lui succéder à la direction de la « Généralité des XVII provinces », pays que les Habsbourg nommèrent avec dédain Pays-Bas.
Son fils, Philippe II, né en Espagne, avoua un jour qu’il aurait « préféré régner sur un désert plutôt que sur toutes ces villes ». Le Don Carlos de Friedrich Schiller nous raconte le reste du drame.
Tout ceci permet de mieux comprendre à quel pays pense Rabelais quand il dit à Erasme : « Vous qui êtes le père de votre patrie et sa gloire ». Ce n’était donc pas seulement la patrie des lettres ! Et les « guerres de religions » n’étaient qu’un prétexte rêvé, permettant de briser une communauté d’Etat-nations naissants formés par la France de Louis XI et de Jacques Cœur, l’Angleterre d’Henry VII et de Thomas More, et les Pays-Bas Bourguignons, patrie d’Erasme dont les oligarques ont volé jusqu’au nom.
Les Frères de la vie commune
Thomas à Kempis, auteur présumé de l’Imitation du Christ.
On souligne, à juste titre, l’influence sur Erasme de l’esprit révolutionnaire de la « Dévotion Moderne » qu’animaient les Frères et sœurs de la vie commune, ordre séculier d’enseignants portés sur l’éducation et la traduction de manuscrits, qui sera regroupé comme ordre des chanoines réguliers de saint Augustin de la Congrégation de Windesheim.
Le piétisme de ce courant, centré sur l’intériorité, s’articule le mieux dans le petit livre de Thomas van Kempen (a Kempis) (1380-1471), L’imitation de Jésus Christ. Celui-ci souligne l’exemple à suivre de la passion du Christ tel que nous l’enseigne l’Evangile, message qu’Erasme reprendra.
En 1475, le père d’Erasme, qui maîtrisait le grec et aurait pu écouter des humanistes réputés en Italie, envoie son fils de neuf ans au célèbre chapitre des frères de la Vie Commune de Saint Lébuin de Deventer, école fondée par un penseur exceptionnel et élève des Frères de la vie commune, le cardinal Nicolas de Cues (1401-1464).
L’expansion du réseau des Frères et Sœurs de la Vie Commune à partir de la ville de Deventer à la fin du XIVe siècle.
Rodolphe Agricola
Rudolphe Agricola, organiste et pédagogue humaniste.
Elle était alors dirigée par Alexandre Hegius (1433-1498), élève du célèbre Rudolphe Huisman (Agricola) (1442-1485), adepte de Cues, défenseur enthousiaste de la renaissance italienne et des belles lettres, qu’Erasme a pu écouter et qu’il appela un « intellect divin ».
Agricola, à l’age de 24 ans, fait une tournée d’Italie pour donner des concerts d’orgue, rencontre Hercules d’Este à la cour de Ferrare, et découvre à l’université de Pavie les horreurs de la scolastique confite d’Aristote.
Pour ouvrir ses cours à Deventer, Agricola disait :
Ayez méfiance à l’égard de tout ce que vous avez appris jusqu’à ce jour. Rejetez tout ! Partez du point de vue qu’il faut tout désapprendre, sauf ce que, sur la base de votre autorité propre, ou sur la base du décret d’auteurs supérieurs, vous avez été capable de vous réapproprier.
Malheureusement, la mère d’Erasme est emportée peu après par la peste et son père décède également. Confié à trois tuteurs, il est placé avec son frère à l’école de ’s Hertogenbosch. Là, selon Erasme, le Domus Pauperum, l’orphelinat pour les enfants des pauvres qu’animaient traditionnellement les frères, ne visait à rien d’autre qu’à briser ses dons et ses aptitudes, à grands renforts de coups, de réprimandes et de sévérité, les pères étant convaincu qu’il fallait éloigner les jeunes gens de tout désir d’étude universitaire pour les faire entrer d’office au couvent.
Geert Groote
Geert Groote, le fondateur des Soeurs et frères de la Vie commune.
Donc, loin de l’authenticité des fondateurs « mystiques » et humanistes des débuts que furent Jan van Ruysbroek (1293-1381) et Geert Groote (1340-1384) ou de Heymeric van Kempen (de Campo) (1395-1460) (qui eut une influence sur Cues), la reprise en main des frères par Rome commençait à faire des dégâts.
A tel point qu’Agricola et Wessel Gansfoort (1420-1489), pourtant dignitaires des Frères de la vie commune, finirent par créer leur propre cercle d’érudits à l’abbaye cistercienne d’Adwerth en Friesland car il n’y avait qu’elle qui leur autorisait l’accès à une bibliothèque riche en lectures humanistes.
Le frère d’Erasme succombe rapidement aux pressions des recruteurs de moines et Erasme finit lui-même par prononcer ses vœux pour entrer chez les Augustiniens de Steyn, près de Gouda, mais à condition d’y retrouver des livres. En se faisant prêtre en 1492, il exprime rapidement son désir de liberté et s’engage alors en politique comme secrétaire de l’évêque de Cambrai qui venait juste d’être nommé chancelier de l’Ordre de la Toison d’Or.
A Steyn il gardera d’excellents amis. Mais dorénavant personne ne pourrait le convaincre qu’une foi qui s’oppose à l’éducation des hommes et ne porte pas à agir pour le bien de ses semblables puisse d’une quelconque façon être en accord avec l’évangile.
Les Frères de la vie commune de Magdeburg formeront bientôt une autre célébrité : Martin Luther (1483-1546). Son père, tout comme celui de Calvin, le prédestine à une carrière juridique. Mais en 1505, un violent orage fait éclater un éclair auquel il échappe de justesse. Pour trouver son salut, il prend le chemin inverse d’Erasme et décide de se faire moine chez les ermites augustiniens.
Les idéaux d’Erasme
La découverte brutale du contraste cruel entre la beauté morale du message de l’Evangile et l’hypocrisie troublante des pratiques religieuses, ainsi que la découverte de la beauté des belles lettres, vont nourrir chez Erasme une double ambition.
D’abord, il estime que le moment est venu de procéder à une réforme complète des pratiques anti-chrétiennes scandaleuses et de l’esprit oligarchique qui s’est emparé de l’Eglise catholique romaine. Depuis Constance (1414), Bâle (1431) et Ferrare-Florence (1437), tous les grands conciles œcuméniques avaient soulevé trois problèmes fondamentaux :
Union doctrinale entre Orient et Occident ;
Unité pour défendre la chrétienté face aux Turcs ;
Réforme du fonctionnement interne.
Il allait de soi que tant que les deux premiers points n’étaient pas réglés, le troisième point était de l’ordre du tabou, comme Jan Hus avait pu le constater à ses dépens, lorsqu’il fut arrêté en arrivant au Concile de Bâle et brûlé sur le bûcher pour hérésie le 6 juillet 1415.
Pour Erasme, le problème n’était pas l’Eglise catholique, mais les forces oligarchiques qui malheureusement la dominaient de plus en plus. Les banquiers de Sienne et de Venise qui géraient les fortunes des cardinaux et des évêques, le culte des reliques et la simonie, ou encore les ordres monastiques, véritables empires féodaux possédant terres, hommes, et gérant les âmes humaines, au mieux, comme du bétail.
Pour y remédier, Erasme lançait un vaste mouvement d’éducation souhaitant l’appui d’un pape fort, capable de résister aux ordres et à l’argent. C’est le programme explicite du Enchiridion militis christiani (Manuel du soldat chrétien) et la vraie revendication que l’on retrouve implicitement dans L’Eloge de la Folie.
Comme Lorenzo Valla (1403-1457) ou comme Jacques Lefèvre d’Etaples (1450-1537) le feront à leur façon, Erasme désire reprendre l’Evangile à sa source, c’est-à-dire comparer les textes d’origine en grec, en latin et en hébreux, souvent inconnus sinon entièrement pollués par plus de mille ans de copiages et de commentaires scolastiques.
Collège trilingue, reconstruction 3-D (Crédit: Thierry De Paepe, 2017)
Pour venir à bout de ce travail d’Hercule, Erasme conçoit la fondation d’un collège trilingue chargé de cette tâche, réunissant les hommes les plus sages et loin des polémiques passionnelles et des carrières égotiques. Grâce au mécène Jérôme de Busleyden, ce projet verra le jour à Louvain en 1517, mais sera rapidement saboté par des théologiens menacés dans leur fonds de commerce.
Ensuite, le message optimiste du christianisme évangélique appelait, par sa nature même, à la défense de l’intérêt général et à des réformes politiques nécessaires pour y aboutir. C’est le sujet développé par Erasme et Thomas More dans L’Utopie. Cette utopie n’est pas utopique si l’on réussit à garantir une éducation classique pour tous, objectif des quatre mille Adages, et préoccupation fondamentale partagée avec Thomas More et Juan Luis Vivès (1492-1540).
En même temps, en reprenant le flambeau de Pétrarque, Erasme désire concilier cette « Philosophie du Christ », transmise par Saint Jérôme (317-419) et Origène (185-251), avec ceux (et uniquement ceux-là) qui dans l’antiquité « ont vu par la lumière naturelle un peu de ce que nous enseigne la Sainte Ecriture », en particulier Platon.
Il dit : « Cette philosophie (du Christ) est véritablement plus dans notre sensibilité que dans les syllogismes, plus dans la vie que dans la discussion ; elle est plutôt une intuition qu’une érudition, une inspiration qu’une raison ; c’est le lot d’un petit nombre d’êtres érudits, mais il n’est permis à personne de n’être pas chrétien ; nul n’a le droit de n’être pas pieux, j’ajouterai avec audace qu’il n’est permis à personne de n’être pas théologien. Ce qui est le plus conforme à la nature, pénètre plus facilement dans les âmes. Or, qu’est-ce que la philosophie du Christ, cette philosophie qu’il (le Christ) qualifie de [re-naissance], que le retour à une nature bien établie ? Et si personne n’a transmis ces vérités plus pleinement que le Christ, toutefois dans les œuvres des gentils on peut sauver plus d’une chose en accord avec cette doctrine. Y eût-il jamais si basse théorie philosophique qui ose enseigner que l’argent rend l’homme heureux… »
Avec Valla, dont il a lu les Elegantia, et son ami Juan Luis Vivès, il pense qu’en passant, il devient plus qu’urgent de reforger une langue, en particulier un latin, et une pédagogie qui reflète, par sa beauté, sa musicalité, et sa compassion, toute la noblesse de ce contenu.
Lorenzo Valla
Lorenzo Valla.
Leibniz affirme sans hésitation que les deux plus grands esprits du Moyen-âge sont Nicolas de Cues et Lorenzo Valla. Le jeune Erasme reconnaît en ce dernier le représentant de cette Italie idéale qu’il admire.
Issu d’une famille romaine aisée, Valla profite de professeurs particuliers, de l’helléniste Giovanni Aurispa (1369-1459), secrétaire papale d’Eugène IV et de Martin V, et en particulier de Leonardo Bruni (1370-1444), élève de Coluccio Salutati (1331-1406).
Comme Pétrarque, ce courant voyait l’alliance entre philosophes sophistes (et particulièrement Aristote) et théologiens scolastiques comme la base d’un ordre féodal anti-chrétien et obscurantiste. A l’université de Pavie, Valla se révolte contre la pensée dominante qui est l’averroïsme.
Averroès (Ibn Rushd, 1126-1198) est souvent vu à tort, et surtout par ceux qui se réclament des Lumières, comme un annonciateur de l’esprit moderne (car il a écrit une fois sur le vin et le sexe…). La réalité est tout autre car, à partir des traductions arabes d’Aristote, Averroès avait concocté une philosophie idéale pour maintenir ce monde féodal.
Selon lui, il fallait accepter le caractère double de la vérité. D’un coté, grâce à des symboles et des signes, la religion permettait de communiquer une vérité à l’immense multitude des illettrés.
Averroès
Averroès, tel qu’il fut dépeint par Raphaël dans l’Académie d’Athènes, fresque au Vatican.
D’autre part, une petite élite pouvait accéder à la vérité, qui elle, était toute philosophique. Ce qui est vrai en théologie peut s’avérer faux en philosophie, mais en dernière analyse, c’est l’intellect qui tranche, et point besoin de transcendance. Averroès écrit même un traité sur l’harmonie entre la philosophie et les religions sur cette base biaisée.
Mais évidemment, enseigner la philosophie à tous serait néfaste car seule la religion permet à la multitude d’accéder à une connaissance (symbolique) de la vérité… Aujourd’hui, on l’accuserait à raison d’être un adepte du royaume des mensonges de Léo Strauss.
L’averroïsme était l’idéologie choisie par l’oligarchie vénitienne pour dominer le monde et c’est elle qui va massivement promouvoir cet aristotélisme des temps modernes.
Pétrarque
Pétrarque.
Bien avant Valla, Pétrarque (Francesco Petrarca, 1304-1374), lors de son séjour à Venise, avait dénoncé les assauts intellectuels de quatre oligarques averroïstes (dont les trois vénitiens Dandolo, Contarini et Talento) décidés à le recruter à leur chapelle et « qui selon la coutume des modernes philosophes, pensent à n’avoir rien fait, s’ils n’aboient contre le Christ et sa doctrine surnaturelle. »
Son livre Sur ma propre ignorance et celle des autres se construit autour de cette polémique :
« S’ils ne craignaient les supplices des hommes de bien plus que ceux de Dieu, ils oseraient, dit Pétrarque, non seulement attaquer la création du monde selon le Timée, mais la Genèse de Moïse, la foi catholique et le dogme sacré du Christ. Quand cette appréhension ne les retient plus, et qu’ils peuvent parler sans contrainte, ils combattent directement la vérité ; dans leurs conciliabules, ils se rient du Christ et adorent Aristote, qu’ils n’entendent pas. Quand ils disputent en public, ils protestent qu’ils parlent abstraction faite de la foi, c’est-à-dire qu’ils cherchent la vérité en rejetant la vérité, et la lumière en tournant le dos au soleil. Mais, en secret, il n’est blasphème, sophisme, plaisanterie, sarcasme qu’ils ne débitent, aux grands applaudissements de leurs auditeurs. Et comment ne nous traiteraient-ils pas de gens illettrés, quand ils appellent idiot le Christ notre maître ? Pour eux, ils vont gonflés de leurs sophismes, satisfaits d’eux-mêmes en se faisant fort de disputer sur toute chose sans avoir rien appris. »
La publication de ce livre obligera Pétrarque à quitter Venise.
Contre l’ascétisme étouffant qui stérilise tout espoir, et réduit la créativité humaine à néant, Valla va mobiliser Epicure dans son écrit De Vere Bono (sur le véritable bien). Il s’agit d’un dialogue où un stoïque (Bruni) affirme que la raison seule est source de vertu. Le deuxième orateur (Beccadelli) est un épicurien qui affirme que le vrai bonheur ne provient pas de la vertu, mais du plaisir.
Epicure
Epicure, moins épicurien que l’on croit?
Epicure (IVe Siècle av. J.C.) précise que « Quand donc nous disons que le plaisir est notre but ultime, nous n’entendons pas par là les plaisirs des débauchés ni ceux qui se rattachent à la jouissance matérielle, ainsi que le disent les gens qui ignorent notre doctrine, ou qui sont en désaccord avec elle, ou qui l’interprètent dans un mauvais sens. Le plaisir que nous avons en vue est caractérisé par l’absence de souffrances corporelles et de troubles de l’âme.
« Ce ne sont pas les beuveries et les orgies continuelles, les jouissance des jeunes garçons et des femmes, les poissons et les autres mets qu’offre une table luxurieuse, qui engendrent une vie heureuse, mais la raison vigilante, qui recherche minutieusement les motifs de ce qu’il faut choisir et de ce qu’il faut éviter et qui rejette les vaines opinions, grâce auxquelles le plus grand trouble s’empare des âmes.
« De tout cela la sagesse est le principe et le plus grand des biens. C’est pourquoi elle est même plus précieuse que la philosophie, car elle est la source de toutes les autres vertus, puisqu’elle nous enseigne qu’on ne peut pas être heureux sans être sage, honnête et juste, ni être sage, honnête et juste sans être heureux. Les vertus, en effet, ne font qu’un avec la vie heureuse, et celle-ci est inséparable d’elles. »
Pour l’épicurien, (dit Valla) les actes héroïques que citent les stoïciens (suicide de Lucrèce, etc.) n’ont pas leur origine dans le désir d’être vertueux, mais découlent de la recherche d’un plaisir qui dépasse totalement les plaisirs du corps. Ainsi, dans le dialogue de Valla, le dernier orateur (le collectionneur de manuscrits pour Côme de Médicis, Niccoli) défend la vision chrétienne qui transcende de loin les épicuriens et il accuse ses prédécesseurs d’avoir été incapable de reconnaître que le vrai bonheur réside dans la faculté d’être en accord avec Dieu, bien qu’il appuie la critique épicurienne des Stoïciens. De toute façon, pour un vrai chrétien, disent Valla et Erasme, l’idée qu’une philosophie quelconque puisse enseigner la vertu, sans amour de Dieu et des hommes, est une fraude. On ne fait pas le bien parce que c’est vertueux, mais parce que faire le bien plaît à Dieu, à l’humanité et à nous-mêmes. Erasme développe cette idée dans son colloque L’Epicurien.
La déclaration d’indépendance américaine, à travers l’influence de Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716), qui part de Valla et d’Erasme, intègre explicitement cette notion dans l’idée de la défense de « la vie, la liberté et la poursuite du bonheur » (le bien étant consubstantiel avec le bonheur, dans le meilleur des mondes possibles de Leibniz).
Erasme se retrouve donc évidemment avec Valla, quand celui-ci se fâche contre cette « philosophie » d’Averroès et ses rejetons scolastiques. Il faut savoir qu’à l’époque d’Erasme rageait encore la bataille entre les « Anciens » (thomistes et scotistes) et les « Modernes » (Ockham et Buridan) et que pour bien marquer son rejet de ces écoles scolastiques, Erasme reprendra à son compte le terme de « philosophie du Christ » employé par Agricola, une philosophie qu’il voit exprimé par « saint Socrate », comme il le nomme dans le colloque Le Banquet religieux.
Polémiste chrétien mais anti-aristotélicien virulent, Valla est forcé d’aller de ville en ville pour devenir en 1433 le secrétaire d’Alphonse d’Aragon (1396-1458) à Naples. Là, il élabore entre autres un traité Sur le libre arbitre et réfute en 1440, sur des bases philologiques rigoureuses, l’authenticité de la « Donation de Constantin » déjà révélée par Nicolas de Cues dans la Concordance catholique. Ce texte, un faux, accordait des privilèges extravagants quasi-impériaux au pape et garantissait la mainmise totale des grandes familles romaines sur le Sacré Collège en charge de l’élection du pontife.
Nicolas de Cues
Le cardinal Nicolas de Cues, théo-philosophe et militant humaniste.
Quand l’humaniste Nicolas V (Tommaso Parentucelli, 1397-1455) devient pape en 1447, Nicolas de Cues et le cardinal Jean Bessarion (1403-1472) appellent les peintres Fra Angelico (1400-1455) et Piero della Francesca (1415-1492) à la Curie romaine tandis que Lorenzo Valla est chargé de traduire les historiens grecs Hérodote et Thucydide.
Dans le Repastinatio Dialecticae et Philosophiae (Eradication de la dialectique et de la philosophie) Valla affirme qu’il veut réfuter « Aristote et les Aristotéliciens, afin de préserver les théologiens de notre époque de l’erreur, et de les ramener vers la vraie théologie. »
Fâché contre la logique d’Aristote, il ne situe pas l’âme dans l’intellect, ni dans la volonté, mais dans le cœur (et Rabelais dira le sang). La séparation entre l’intellect et la volonté est artificielle parce que « c’est une seule âme qui comprends et se souvient, enquête et juge, aime et hait. » Ainsi, « l’amour (en grec : agape et en latin : caritas) est la seule vertu, car c’est l’amour qui nous rend meilleur ». Valla identifie cette qualité du sublime dans le combat, avec la « fortitude », et donne l’exemple du cas des apôtres, « qui, de couards, se transformèrent en hommes les plus courageux, du moment où ils reçurent le Saint-Esprit, qui est l’Amour du Père et du Fils. »
Erasme et More publient ensemble des œuvres de Lucien de Samosate (125-192). Peu créateur en philosophie, Lucien est un incomparable satiriste qui disait : « Je suis un homme qui hait les fanfarons et les charlatans, qui déteste les mensonges et les hâbleries, qui a en horreur tous les coquins […]. Or, il y en a beaucoup, comme vous savez […]. Oui, j’aime ce qui est vrai, ce qui est beau, ce qui est simple, en un mot tout ce qui mérite d’être aimé. Seulement, je dois avouer qu’il y a peu de gens auxquels je puisse faire l’application de cet art. »
Ainsi L’Evangile, de pair avec les dialogues de Platon, la verve des satires de Lucien, et aussi l’« épicurisme chrétien » de Valla, sera le modèle constant de More et d’Erasme.
L’Eloge de la folie
Hans Holbein le jeune, page de L’Eloge de la Folie.
On comprend mieux ce qui a pu guider la main de l’auteur si nous le lisons à la lumière de ce que nous venons de voir au sujet de Valla : pour éduquer l’émotion, même si elle est un peu folle, il faut d’abord qu’elle puisse se manifester ! Ainsi la Folie personnifiée comme Stultitia, (qui oscille ironiquement entre fausse folie=vraie sagesse et fausse sagesse=vraie folie) y prend ironiquement la parole et se targue de ce que sans elle, rien n’est possible :
« Nulle société, nulle vie en commun ne saurait être agréable ou durable sans folie, à telles enseignes que le peuple ne pourrait supporter une minute de plus le prince, ni le seigneur le valet, ni la servante la dame, ni l’ami l’ami, ni l’épouse l’époux, s’ils ne se consentaient mutuellement tantôt de se tromper, tantôt de se flatter, puis à regarder sagement entre les doigts, ensuite à s’enduire d’un peu de miel de folie. »
Car, pour Erasme, il y a dans le monde beaucoup plus d’émotion (folie) que de raison. Ce qui maintient le monde en état, la source de la vie, relève de la folie (sagesse). Car l’amour est-il autre chose ? Pourquoi se marie-t-on, sinon par suite d’une aberration qui ne voit pas les inconvénients ? Toute jouissance et tout plaisir ne sont que des condiments de la folie. Lorsque le sage désire devenir père, il faut qu’il passe d’abord par la folie. Car qu’y a-t-il de plus fou que la procréation ?
« Pourquoi donc bécotons-nous et dorlotons-nous les petits enfants, si ce n’est parce qu’ils sont encore si délicieusement fous ? Et n’est-ce pas ce qui donne tant de charme à la jeunesse ? »
Mais la folie a une sœur qui s’appelle amour propre, autre ingrédient indispensable pour le bonheur. Une fois obtenue notre adhésion à cette énorme vérité humaine que la scolastique niait, Erasme fait éclore le deuxième thème, qui, discrètement présent dès le début (le père de la folie s’appelle « argent » et c’est lui qui dirige le monde..), nous surprend. Ici s’opère une magnifique transition où l’on passe d’un état de compassion à l’égard des faibles à une dénonciation satirique des forts.
De la folie « douce » des faibles, des enfants, des femmes, des hommes qui se trompent ou se sont éloignés de la raison par le péché, Erasme passe, et mobilise toute sa verve et son humour pour dénoncer la folie « dure » et criminelle des puissants, des « folie-sophes », des marchands, des banquiers, des princes, des rois, des papes, des théologiens et des moines.
Sans esprit de vengeance, mais avec le triste souvenir de son mauvais traitement dans les couvents, et tout en affirmant ne pas vouloir remuer cette Camarine (merde), la folie dit des moines :
« Les plus heureux, (…) sont ceux qui s’appellent communément eux-mêmes « [religieux] et [moines] » (solitaires), deux désignations très fausses, car la plupart d’entre eux sont très éloignés de la religion et on ne rencontre personne davantage qu’eux en tous lieux. Je ne vois pas quelle misère surpasserait la leur si je (la folie) ne venait à leur secours de maintes façons. Tout le monde les exècre au point que l’on considère comme un mauvais présage d’être fortuitement sur leur chemin ; cela ne les empêche pas d’avoir d’eux-mêmes une opinion grandiose et flatteuse. D’abord à leurs yeux la perfection de la piété c’est de n’avoir rien appris, pas même à lire. Puis, quand à l’église ils braillent leurs psaumes, qu’ils savent numéroter mais ne comprennent pas, ils croient chatouiller l’oreille des saints d’une profonde volupté. Parmi eux certains se font payer cher leur crasse et leur mendicité, devant les portes ils meuglent avec force pour qu’on leur donne du pain, [il n’y a pas d’auberge, de voiture, de bateau où ils ne fassent pas de chahut] au grand détriment bien sur des autres mendiants. Et c’est de cette manière que ces personnages tout à fait exquis, avec leur crasse, leur ignorance, leur rustauderie, leur impudence font revivre pour nous, disent-ils, les apôtres.
« Quoi de plus plaisant que de les voir tout faire selon une réglementation, d’après des sortes de tables mathématiques qu’il serait sacrilège de ne pas respecter : tant de nœuds à la chaussure, telle couleur pour chaque pièce de vêtement, telle diversité entre elles, telle étoffe et tant de chaumes de largeur pour la ceinture, tel aspect et tant de boisseaux de contenance pour le capuchon, tant de doigts de largeur pour la chevelure, tant d’heures de sommeil. Qui ne voit l’inégalité d’une telle égalité entre corps et esprits si divers ?… »
Pieter Bruegel l’aîné, La parabole des aveugles, 1568, Musée de Naples.
Ici nous vient inévitablement à l’esprit le tableau de Bruegel Les aveugles guidant les aveugles. Les scientifiques pensent aujourd’hui avoir identifié avec précision les quatre types de cécité différents qui frappent ces représentants des quatre ordres mendiants qu’on voit sur le tableau ! Où va le monde avec eux ? Dans le fossé !
Après toute cette dénonciation, Erasme avertit contre le voyeurisme cynique et le confort de l’impuissance, en disant que ceux qui trouvent que ceci est plus que ridicule doivent considérer ce qui est le plus sage : se réconcilier avec la folie de la vie (avoir la force d’aimer et d’agir), ou chercher une poutre pour se pendre !
L’Eglise du futur
En opposition avec cette satire, regardons cette « Eglise du futur » dont rêvaient les humanistes. On la trouve évoquée par François Rabelais dans le chapitre 52 du Gargantua. Gargantua propose au moine qui s’est fait remarquer par son amour pour les hommes en les défendant courageusement contre les soldats de Pichrocole (Charles Quint), de lui construire un monastère avec de belles murailles. Celui-ci répond que « ou mur y a et davant et derrière, y a force murmur, envie et conspiration mutue. »
Finalement, il construit l’abbaye de Thélème, un magnifique bâtiment hexagonal à six étages, digne des plus beaux châteaux de la Loire où, « Depuis la tour Artice jusques à Cryere estoient les belles grandes librairies, en Grec, Latin, Hébrieu, François, Tuscan et Hespaignol, disparties par les divers estaiges selon langaiges », référence on ne peut plus clair au projet du collège trilingue d’Erasme. (Thélème=désir en grec, peut-être une référence à Désiré Erasme).
Au lieu d’être repère de toute la lie de la terre, comme ce fut hélas souvent le cas pour les monastères, l’abbaye ne reçoit que les beaux et les belles, « bien formez et bien naturez », tous bien habillés avec les plus beaux habits possibles.
Dans une attaque satirique contre les souffrances imposées par les vêpres et autres matines, Gargantua disait que la plus sûre perte de temps qu’il ne connaisse « estoit soy gouverner au son d’une cloche, et non au dicté de bon sens et entendement. »
Par ailleurs la vie de l’abbaye était « employée non par loix, statuz ou reigles, mais selon leur vouloir et franc arbitre », le thème d’Erasme par excellence sur lequel nous reviendrons.
Leur règle était donc « Fay ce que vouldras », (souvent mal traduit comme [fais ce que TU voudras], ce qui enlève l’ambiguïté très intéressante entre ce que tu voudras et ce que Dieu souhaite que tu fasses) « …parce que gens libères, bien nez, bien instruictz, conversans en compaignies honnestes, ont par nature un instinct et aiguillon, qui toujours les poulse à faictz vertueux et retire de vice, lequel ilz nommoient honneur. »
L’optimisme philosophique exprimé par cette confiance dans le penchant naturel de l’homme à désirer le bien et l’auto-perfectionnement est précisément ce qui séparera toujours Erasme et Rabelais aussi bien des théologiens catholiques, que de Luther et Calvin.
Le Gargantua finit par une prophétie qui laisse entendre que Rabelais a compris que ce genre d’enseignement provoquera un tel bouleversement dans le monde que même les plus puissants ne pourront empêcher, car « Le filz hardy ne craindra l’impropère de se bender contre son propre père ; Mesmes les grands, de noble lieu sailliz, de leurs subjectz se verront assailliz, … »
Car une fois revenu à un véritable amour de l’enseignement du Christ et de l’Humanité, tous les autres problèmes du monde devenaient beaucoup plus facilement solvable.
La République Utopique
Thomas More. En l’an 2000, le pape Jean-Paul II le fait saint patron des responsables de gouvernement et des hommes politiques. Utopie?
L’Utopie (Isle de nulle part) que More a commencée dès 1509 pour faire diptyque avec L’Eloge de la folie et qu’Erasme lui pressa de terminer, est avant tout une satire. Erasme l’a complétée et veillé à son impression en 1516 chez Martens à Louvain.
Derrière le récit d’un personnage fictif, le marin portugais Raphaël Hythlodée « qui connaît assez bien le latin et très bien le grec », More esquisse le projet d’une véritable république, et élabore un programme d’action sur tous les problèmes sociaux (sécurité, crime, droit, mariage, éducation, etc.) et économiques (monnaie, monopoles, réforme agraire, laine, etc.) de son époque.
Hythlodée décrit une civilisation très organisée : elle possède des vaisseaux à carène plate et « des voiles faites de papyrus cousu », composée de gens qui « aiment à être renseignés sur ce qui se passe dans le monde » et qu’il « croit Grecque d’origine », car ils ont Lascaris (l’helléniste) comme seul grammairien.
Jean Lascaris
Jean Lascaris, helléniste hors pair et ambassadeur de François Ier à Venise.
A un moment il est dit : « Ah ! Si je venais proposer ce que Platon a imaginé dans sa République ou ce que les Utopiens mettent en pratique dans la leur, ces principes, encore que bien supérieurs aux nôtres, et ils le sont à coup sûr, pourraient surprendre, puisque chez nous, chacun possède ses biens tandis que là, tout est mis en commun. »
Ce commentaire satirique a attiré toutes les foudres des anticommunistes qui voyaient en lui et en Erasme des prédécesseurs de Marx, surtout quand More critique la dérégulation des marchés :
« Vos moutons, dis-je. Normalement si doux, si faciles à nourrir de peu de chose, les voici devenus, me dit-on, si voraces, si féroces, qu’ils dévorent jusqu’aux hommes, qu’ils ravagent et dépeuplent les champs, les fermes, les villages. En effet, dans toutes les régions du royaume où l’on trouve la laine la plus fine, et par conséquent la plus chère, les nobles et les riches, sans parler de quelques abbés (…), ne laissent plus aucune place à la culture (vivrière), démolissent les fermes, détruisent les villages, clôturant toute la terre en pâturages fermés, ne laissent subsister que l’église, de laquelle ils feront une étable… »
Encore plus drôle est le passage où il se moque de l’usure et de la frénésie pour les métaux précieux, usure alors à la source des pires exactions dans le nouveau monde : « Et qui ne voit qu’elle (la valeur de l’or) est inférieure à celle du fer, sans lequel les mortels ne pourraient vivre (…), alors que tout au contraire la nature n’a attaché à l’or et à l’argent aucune propriété qui nous serait précieuse, si la sottise des hommes n’ajoutait du prix à ce qui est rare ? La nature, (…) a mis à notre portée immédiate ce qu’elle nous a donné de meilleur, comme l’air, l’eau, la terre elle-même ; tandis qu’elle écarte de nous les choses vaines et inutiles. »
En Utopie, « pour parer à ses inconvénients, ils ont imaginé un moyen (…) Alors qu’ils mangent et boivent dans de la vaisselle de terre cuite, de forme élégante mais sans valeur, ils font de l’or et de l’argent, pour les maisons privées comme pour les salles communes, des vases de nuit et des récipients destinés aux usages les plus malpropres. Ils en font aussi des chaînes et de lourdes entraves pour lier leurs esclaves. Ceux enfin qu’une faute grave a rendus infâmes portent aux oreilles des anneaux d’or, une chaîne d’or au cou, un bandeau d’or sur la tête. »
Dénonçant le « complexe militaro-industriel » de son époque il critique les guerres injustes et inutiles et le danger d’avoir en permanence des armées professionnelles. « De quelque manière que les choses se présentent, je pense donc qu’un état n’a jamais aucun intérêt à nourrir en vue d’une guerre, que vous n’aurez que si vous le voulez bien, une foule immense de gens de cette espèce, qui mettent la paix en danger ».
Bien que le vol restera puni par la peine de mort en Angleterre jusqu’au milieu du XIXe siècle, More, le philosophe qui conseilla son prince et finit décapité par son meilleur élève le roi Henry VIII, dénonce cette loi comme inutile, perverse et radicalement contraire à l’Evangile : « Alors que Dieu a retiré à l’homme tout droit sur la vie d’autrui et même sur la sienne propre, les hommes pourraient convenir entre eux des circonstances autorisant des mises à mort réciproques ? »
Trois cents ans avant Friedrich Schiller, More et Erasme comprennent qu’une révolution politique passe par l’éducation de l’homme à des plaisirs élevés. Après avoir développé les plaisirs du corps (la santé, et l’absence de souffrance) il développe les plaisirs de l’âme, « qu’ils (en Utopie) considèrent comme les premiers et les plus excellents de tous, et dont la majeure partie résulte pour eux de la pratique des vertus et de la conscience de mener une vie louable. » Mais qui ne voit donc pas, que celui qui passe une vie à la recherche du plaisir du corps mène une vie « non seulement laide, mais pitoyable ? »
« Mais partout ils s’en tiennent au principe qu’un plaisir plus petit ne doit pas faire obstacle à un plus grand (noble) ; qu’il ne doit jamais entraîner la douleur après lui, et ce qu’ils considèrent comme allant de soi, qu’il ne doit jamais être déshonnête.
« Mépriser d’autre part la beauté du corps, ruiner ses forces, endormir son agilité par la paresse, épuiser son corps à force de jeûnes, détruire sa santé, rejeter avec mépris les autres douceurs de la nature, sans en espérer un surcroît de biens pour autrui ou pour l’Etat ni une joie supérieure par laquelle Dieu récompenserait le sacrifice ; pour une vaine ombre de vertu se détruire sans profit pour personne, avec l’idée de pouvoir supporter plus aisément un revers de fortune qui peut-être n’arrivera jamais : voilà ce qu’ils estiment être le comble de la folie, l’acte d’une âme méchante envers elle-même et suprêmement ingrate envers la nature, puisqu’elle la congédie avec tous ces bienfaits, comme si elle rougissait d’avoir cette dette envers elle. »
Mazarin
Le cardinal Mazarin, grand artisan de la paix en Europe.
More esquisse également les fondements d’une concorde entre l’Eglise et l’Etat, ce concept fondamental d’une laïcité positive, autorisant la liberté des consciences unies dans un intérêt supérieur. C’est ce concept qui sera repris dans l’édit de Nantes sous Henry IV et la paix de Westphalie de Mazarin : « Les Utopiens ont des religions différentes mais, de même que plusieurs routes conduisent à un seul et même lieu, tous leurs aspects, en dépit de leur multiplicité et de leur variété, convergent tous vers le culte de l’essence divine. C’est pourquoi l’on ne voit, l’on entend rien dans leurs temples que ce qui s’accorde avec toutes les croyances. Les rites particuliers de chaque secte s’accomplissent dans la maison de chacun ; les cérémonies publiques s’accomplissent sous une forme qui ne les contredit en rien. »
Et même : « Les uns adorent le soleil, d’autres la lune ou quelque planète. Quelques-uns vénèrent comme dieu suprême un homme qui a brillé en son vivant par son courage et par sa gloire.
« Le plus grand nombre toutefois et de beaucoup les plus sages, rejettent ces croyances, mais reconnaissent un dieu unique, inconnu, éternel, incommensurable, impénétrable, inaccessible à la raison humaine, répandu dans notre univers à la manière, non d’un corps, mais d’une puissance. Ils le nomment Père et rapportent à lui seul les origines, l’accroissement, les progrès, les vicissitudes, le déclin de toutes choses. Ils n’accordent d’honneurs divins qu’à lui seul.
« Au reste, malgré la multiplicité de leurs croyances, les autres Utopiens tombent du moins d’accord sur l’existence d’un être suprême, créateur et protecteur du monde. »
La pire calomnie contre More et Erasme, exactement la même que nous retrouvons aujourd’hui lancée contre Lyndon LaRouche et son mouvement, c’est justement que tout ceci est très beau, très idéal, mais totalement utopique et donc sans prise sur la vie politique ! Les belles idées sont sans effet sur la politique, qui elle, est sale et laide. Ecoutons Johan Huizinga, pourtant grand spécialiste d’Erasme :
« Malgré une certaine modération innée, Erasme était un esprit complètement impolitique. Il vivait trop loin de la réalité pratique et il avait une idée trop naïve de la perfectibilité des hommes pour être à même de comprendre les difficultés et les nécessités de l’appareil d’Etat. Ses conceptions au sujet du bon gouvernement étaient très primitives et, comme c’est souvent le cas chez des savants fortement teintés de morale, dans le fond très révolutionnaires, bien qu’il ne lui fût jamais venu à l’idée d’en tirer de telles conséquences. (…) Il voit les questions économiques dans leur simplicité idyllique. Le souverain doit régner gratis et lever aussi peu d’impôts que possible. (…) Il se révèle plus réaliste lorsqu’il énumère, à l’intention du prince, les travaux de la paix : l’entretien des villes, la construction de ponts, de halles, de rues, l’assèchement de marais, la rectification du lit des rivières, l’endiguement, le défrichement. » Pour Huizinga, tout ceci n’est pas de la politique car « ici, c’est le hollandais qui parle en lui ».
Erasme en Italie et la ligue de Cambrai
Et puisque justement on parle de politique, allons-y. Examinons un des enjeux essentiels de l’époque d’Erasme qui échappe à tant d’historiens recroquevillés sur leurs matelas académiques, et qui pourtant est fondamental pour comprendre la vie d’Erasme.
Car derrière cette féodalité des esprits, caricaturalement représentée par les ordres religieux et les empires terrestres qu’ils exploitaient, se trouvait une vaste féodalité de l’argent dont l’un des centres névralgiques s’appelle la Sérénissime Venise. Lieu de refuge des familles romaines quand les Goths d’Alaric saccagent la ville en 410, Venise, avec Gênes et les Lombards dans le nord est le centre d’un empire financier international. Leur devise sera « diviser pour régner » et leur spécialité le commerce des esclaves, les indulgences, et la manipulation des guerres. Pendant que la Venise « catholique » loue des bateaux aux croisés d’une main, elle n’hésite pas à vendre des canons aux Turcs de l’autre. Erasme décrit bien la nature de la bête dans son colloque L’Ami du mensonge et l’ami de la Vérité et il n’est pas le seul. Car, dès 1501, à Blois, le roi de France, Louis XII, et l’Empereur Maximilien envisagent de mettre fin à la domination de Venise.
En 1506, Erasme part en Italie en charge des enfants du médecin personnel d’Henry VII, et assiste surpris à Bologne au spectacle inoubliable de l’entrée du pape Jules II, armée de pied en tête, dans la ville. La seule vue du « Vicaire du Christ » à la tête d’une armée dans un tel appareil, le convainc de la véritable nature du personnage.
Alde Manuce
Alde Manuce, un éditeur avant tout au service du système?
Erasme sera à Venise avant et pendant les événements décisifs. D’abord, fin 1507, il s’introduit pendant plusieurs mois dans l’imprimerie d’Alde Manuce (1449-1515), grand éditeur d’Aristote dont l’atelier est devenu le rendez-vous obligé pour les lettrés et les érudits. Il y rencontre des hellénistes, en particulier Janus Lascaris (1445-1534), bibliothécaire et ambassadeur de Louis XII. Manuce, dont l’imprimerie est financée à l’origine par un futur détracteur d’Erasme, le prince Alberto Pio de Carpi (1475-1531), le loge chez Asolani, son beau-père. Erasme y partage pendant plusieurs mois sa chambre avec le jeune Aléandre et la nourriture y est tellement douteuse (selon le Colloque Opulence sordide) qu’il y attrape la gravelle.
Jérôme Aléandre (1480-1542), autre descendant d’une importante famille de Venise, était un littéraire de la nouvelle académie de Manuce et deviendra plus tard le légat du pape en charge de la lutte contre « l’hérésie ». Il s’implique dans une véritable chasse aux sorcières contre Erasme, homme qu’il hait de tout ses intestins, car il n’a pas trahi son idéal comme lui l’a fait. Il n’est pas exclu que tant de violence fut la réaction directe de l’oligarchie vénitienne. C’est contre Aléandre que Rabelais propose d’aider Erasme, dans sa lettre à notre humaniste.
Ensuite, le 10 décembre 1508 à Cambrai, une coalition hétéroclite est formée contre Venise réunissant différentes parties, hélas plus intéressées par leurs possessions que par l’avenir de l’humanité. Louis XII, protecteur de Léonard de Vinci, rêve de reprendre Milan car il descendait des Visconti. Le pape Jules II, grand amateur d’un catholicisme triomphant, veut reprendre la Romagne et Ravenne, occupées par Venise. D’autres princes et seigneurs entreront dans cette coalition.
Sur le champ de bataille d’Agnadel devant la ville, le 14 mai 1509 la Ligue de Cambrai inflige une défaite écrasante aux 40000 troupes vénitiennes. Le roi de France, Louis XII, charge immédiatement Léonard de Vinci de préparer les célébrations officielles de la victoire.
A Rome, le cardinal Raphaël Riario (1460-1521) demande alors à Erasme, présent dans la ville éternelle, d’écrire un mémorandum sur la situation. Erasme en fait deux, dont les textes ont bizarrement disparu. Il semblerait que tandis qu’un des textes expliquait comment faire la paix, l’autre stipulait comment gagner la guerre. Selon Melanchthon, le pape Jules II aurait soupiré qu’Erasme « ne comprenait définitivement rien aux affaires du monde. »
Agostino Chigi
Agostino Chigi, un banquier siennois à la tête du Vatican…
Jules II, qui en réalité semble vouloir faire la part belle aux concurrents de Venise, les Génois, envoi alors d’urgence son banquier, Agostino Chigi (1466-1520), l’homme qui a payé son élection en 1504 en achetant les voix des cardinaux, pour négocier une sortie de crise.
Chigi propose aux Vénitiens de renoncer à leur monopole sur l’importation de l’alun provenant de Turquie, une ressource stratégique indispensable pour fixer les teintures dans le textile et pour la fabrication du verre. Si en échange ils achètent l’alun de la mine papale de la Tolfa, dont Chigi a la gestion au service du Vatican, sa banque leur avancera l’argent nécessaire pour louer les mercenaires suisses qui permettront Venise de repousser la ligue de Cambrai, sur le point d’entrer dans la ville, et en position de mettre fin à leur système. Devant tant de choix, Venise accepte l’accord.
Jules II effectue alors un retournement d’alliances spectaculaire et s’allie avec les Vénitiens pour chasser les Français hors d’Italie. Le 5 octobre 1511, une Sainte Ligue officialise cette alliance et accomplit le travail. « Si Venise n’existait pas », disait le pontife, « il faudrait en faire une autre. »
Dominico Grimani
Dominico Grimani, le cardinal vénitien qui tenta de convaincre Erasme d’abandonner un combat jugé perdu d’avance…
A Rome, le cardinal vénitien Dominico Grimani (1461-1521), intime du banquier Chigi, offre alors habilement sa maison et sa bibliothèque riche de 8000 volumes à Erasme tentant de le retenir à Rome, tout en lui rappelant la fragilité de sa santé…
Celui-ci refuse et part pour l’Angleterre. Il y écrit en quelques jours L’Eloge de la Folie qu’il fait publier en France. Les humanistes avaient perdu une bataille, mais il fallait gagner la guerre. Un autre flanc s’ouvrait outre-Manche. Henry VII venait de mourir et le protégé de Thomas More, ce jeune lettré Henry VIII, avec lequel Erasme a échangé des poèmes, accède au trône.
A Rome, au service de Jules II, Le Bramante est chargé de lancer la reconstruction de Saint-Pierre, Raphaël est chargé des fresques de la Chambre de la signature et de la décoration de la villa d’Agostino Chigi, et Michel-Ange part à Carrare pour choisir les blocs de marbre pour le mausolée du pontife. Jules II, que Rabelais met en enfer à vendre des petits pâtés, sera le sujet d’une pièce tellement satirique, Jules refusé au paradis qu’Erasme dira que « l’auteur fut un fol, et l’imprimeur plus fol encore ».
Encourager Luther pour détruire Erasme
Lucas Cranach, portraits de Luther et de Melanchthon, 1543, Galerie des Offices, Florence.
Si l’on a souvent accusé Erasme d’avoir « pondu l’œuf que Luther a fait éclore », il serait plus juste d’affirmer que Luther est entré comme un renard dans le poulailler et que Venise lui a donné les clefs ! La question est légitime car si l’on avait voulu créer le prétexte nécessaire pour pouvoir abattre Erasme et son influence, on n’aurait pu mieux faire !
L’histoire s’accélère quand en août 1514, Albrecht de Brandebourg est promu archevêque de Mayence. Pour couvrir les frais de son installation, il concède une indulgence plénière (la rémission totale des péchés) contre de l’argent, le tout organisé par la banque des Fugger à Augsbourg, une dynastie de banquiers formée à Venise.
La moitié des profits lui revient, l’autre moitié part à Rome pour financer la reconstruction de la basilique Saint Pierre et ceux qui s’y réunissent. Le prédicateur dominicain Tetzel affirme que l’on peut même absoudre les morts, et que ceci ne nécessite aucune confession préalable ! L’historien Michelet affirme qu’on pouvait même obtenir la rémission des péchés futurs !
L’exploitation scandaleuse d’une véritable superstition pseudo-religieuse est l’enjeu réel de la plupart des débats théologiques. On soulignait « l’immortalité de l’âme », non pas pour obliger chacun à être responsable devant l’éternel, mais pour pouvoir vendre des indulgences ! Ces indulgences, qu’on nommait des « œuvres » ; permettaient à chacun de racheter ses péchés grâce à son « libre arbitre » !
Erasme avait déjà dénoncé les indulgences dans L’Eloge de la Folie publié en 1511, et la proportion scandaleuse de ces pratiques a peut-être été montée en épingle pour forcer une crise dont le terrain de bataille serait favorable aux ennemis d’Erasme.
Le siège de la banque Fugger à Augsbourg.
N’est-il pas étonnant de constater qu’en 1516, au moment même où Erasme estime être proche d’une victoire, le très vénitien Aléandre indique que « beaucoup ici n’attendent que la venue d’un homme providentiel pour ouvrir la gueule contre Rome ».
Ainsi Luther affiche à la fin de 1517 ses 95 thèses dénonçant la pratique des indulgences sur les portes de la Schlosskirche de Wittenberg. Il est évident que tant d’hypocrisie avait ouvert un boulevard pour le prédicateur et qu’il pouvait gagner une grande popularité en affirmant que le salut ne pouvait que venir de la foi (l’individu en relation directe avec Dieu, sans les sacrements de l’Eglise.) Bizarrement et sans qu’il l’ait souhaité ou suggéré, les thèses furent tout de suite traduites et imprimées en allemand pour atteindre toute l’Allemagne en moins d’un mois, délais extraordinaire pour l’époque.
Ensuite, en 1518, en reprenant le thème de Savonarole, adepte du thomisme, Luther présente à Heidelberg sa doctrine. Tout en attaquant la prédominance d’Aristote sur la théologie il affirme la nature pécheresse de l’homme et l’inexistence de la volonté humaine.
Estimant que l’homme est mauvais par nature, Luther est convaincu de l’imminence de la fin des temps:
Il survient au ciel beaucoup de signes qui annoncent que la fin du monde n’est pas éloignée. (…) Sur Terre, on s’occupe avec ardeur comme si le monde voulait se rajeunir et recommencer. J’espère que Dieu mettra fin à tout ça. Cela peut durer quelques années, mais le monde ne durera pas longtemps.
Le pape Léon X le convoque à comparaître devant son envoyé spécial à Augsbourg, le cardinal Cajetan et l’audience a lieu dans la maison des banquiers de la papauté, les Fugger (!). Luther refuse de reconnaître ses erreurs et, jetant le discrédit sur les demandes d’Erasme, appelle à un Concile général chargé d’abréger les mauvaises pratiques.
Erasme comprend immédiatement le rôle d’agent provocateur du prédicateur, car il se trouve maintenant entre le marteau et l’enclume, entre « Scylla et Charibde ». La radicalité luthérienne servira de prétexte à la répression du courant humaniste et il écrit : « Beau défenseur de la liberté évangélique ! Par sa faute, le joug que nous portons va devenir deux fois plus pesant. Ce qui autrefois n’était dans les écoles qu’une opinion probable devint déjà vérité de foi. Il devient dangereux d’enseigner l’Evangile…Luther agit en désespéré ; ses adversaires l’excitent à plaisir. Mais si nous devons assister à leur victoire, il ne nous restera que d’écrire l’épitaphe du Christ, qui ne ressuscitera plus. »
Charles Quint
Charles V.
Pour tenter de déjouer la logique infernale qui s’est enclenché contre lui, il est désormais obligé d’avancer sur plusieurs fronts à la fois. D’abord il écrit à Luther pour l’inciter à la modération. En même temps, il demande à l’électeur Frédéric de Saxe de ne pas livrer Luther avant qu’il n’ait été jugé par une université. Entre-temps il réédite son Poignard du soldat chrétien, indiquant le vrai défi devant la chrétienté et écrit au pape et aux cardinaux qui veulent encore l’écouter. Il leur demande de ne pas s’engager dans une querelle avec Luther tout en les mettant au pied du mur. La crise provoquée par Luther prouve son analyse : Si l’Eglise de Rome n’adopte pas les mesures de réforme lente et pacifique que lui, Erasme, propose, ils seront coupables d’avoir provoqué un siècle de violence ! Il le répètera dans sa lettre à More en 1527 : « je crains que bientôt cet incendie qui couve n’éclate et ne bouleverse le monde, c’est à cela qu’appellent l’arrogance des moines et la violence des théologiens. » La Rome immortelle entend habilement utiliser Luther contre Erasme. Elle ouvre donc la fausse polémique.
En 1519, Luther, à la recherche de financements, lance son Manifeste à la noblesse d’Allemagne sur la réforme de l’Etat chrétien manipulant le nationalisme naissant et le mécontentement des paysans. Il refuse la distinction entre le clergé et les fidèles, réclamant le droit au libre examen donné à chacun, et dénie au pape le droit de convoquer des Conciles, considérant que c’est une prérogative des princes. En se mariant avec une nonne qui lui donne six enfants, Luther flatte les valeurs de la famille chères au monde paysan. Et pour diriger la famille, pas de hiérarchie, pas d’intermédiaire, juste une Bible. Un livre au lieu d’un homme, prenez ceci et lisez !
En 1520 seront imprimées à Augsbourg, ville des Fugger, en quelques mois, d’août à novembre, les trois oeuvres majeures de Luther, dont Sur la captivité Babylonienne. A la fin de l’année, Luther brûle la bulle papale qui le condamne et au début de 1521, il est excommunié par Léon X. A la demande d’Erasme, qui pourtant n’aime pas Luther, l’électeur de Saxe le fait enlever et le cache en sécurité au château de la Wartburg.
Le duc d’Albe
Le duc d’Albe.
Erasme sait que si Luther tombe, tout son projet de réforme s’effondrera, et le monde s’engouffrera immédiatement dans la guerre. Entre-temps, Erasme réussit à mettre son ami, le modéré Melanchthon, à la tête du camp protestant qui rédige un catéchisme de la réforme et restera toujours ouvert à une réconciliation avec Rome.
Le 8 mai 1521, Charles Quint émet un premier placard qui condamne pour hérésie tout sujet qui osait imprimer ou lire les bibles et livres de Luther. Tout ceux qui violaient l’édit étaient coupables de laesa majestas divina, trahison contre Dieu. (Ce terme est identique à celui que le pape Innocent III employa contre l’hérésie cathare du treizième siècle.) L’établissement, pour la première fois, d’une équivalence entre l’hérésie et la trahison de l’Etat, punissable par la peine de mort, formait une juridiction d’exception totalement étrangère aux Pays-Bas Bourguignons. Les hérétiques étaient donc remis au « bras séculier » car lui seul pouvait disposer de la vie d’un condamné.
N’est-il pas étonnant que la bulle qui interdit les livres de Luther et incite à les brûler trouve son application initiale réservée exclusivement aux Pays-Bas Bourguignons, Etat-nation naissant et patrie d’Erasme, et nullement à la Saxe de Luther ! Charles Quint voulait ménager les princes allemands dont il réclame le soutien dans sa guerre contre François Ier, diront les historiens.
L’application de cette juridiction d’exception trouvera énormément d’opposition de la part des magistrats locaux qui résisteront tellement que Philippe II sera obligé d’envoyer le sanguinaire Duc d’Albe pour appliquer les décisions d’un Bloedraad (« tribunal du sang » ou Conseil des Troubles), ce qui provoquera le soulèvement du pays.
« Je trouve la mort plus douce que la servitude » (lettre d’Erasme à More)
A Louvain, où Erasme réside, Niklaas Baechem van Egmond, un carme bientôt à la tête de l’inquisition affirme à Louvain qu’« aussi longtemps qu’Erasme refuse d’écrire contre Luther, nous le tenons pour un luthérien » et la rumeur est lancée qu’il aurait rédigé les œuvres de Luther.
Tout ceux qui ont hésité à l’attaquer quand ils le croyait protégé par les rois ou le pape, donnent libre cours à leur haine. Les pires seront les faux amis, les jaloux et les seconds couteaux et ceux qu’Erasme appelle, reprenant Platon, « les frelons » (théologiens de tout poil). Il affirme néanmoins que « ni la mort ni la vie ne me détacheront de la communauté de l’Eglise catholique. »
Ses amis ont peur pour sa vie, et lui demandent d’écrire contre Luther… ou de le rejoindre. Rien de plus inquiétant d’être dans la raison et la modération.
Travailler à Louvain dans ce climat lui devient insoutenable et il part pour Bâle en 1522 où il retrouve le groupe d’amis autour de l’imprimerie de Johan Froben (1460-1527). Là, il retravaille les Colloques, certains rédigés initialement avant 1500 à Paris pour enseigner le latin à des enfants de familles aisées. Ayant compris que ses adversaires étaient de toute façon plus préoccupés par leur statut, leur honneur et leur mode de vie, que par une quelconque vérité relative à l’avenir de l’humanité, il les intègre personnellement dans ces petites pièces satiriques.
Que d’humour pour les ennemis de l’humour ! Erasme se fait un malin plaisir de ridiculiser le théologien anglais Edward Lee (1482-1544) et surtout le syndic de la Sorbonne, Béda, et tant d’autres qui ont empoisonné le monde en sabotant le climat de respect et de confiance mutuels qu’il aurait fallu pour accompagner une réforme incontournable. Vincent Dirks, dominicain louvaniste originaire de Haarlem et détracteur farouche d’Erasme se retrouve dans L’Enterrement sous la personne d’un cupide moine mendiant qui extorque d’un mourant des dispositions en faveur de son ordre.
Noël Béda (Bédier, 1470-1537) était le successeur de Jean Standonck de Malines, un pur produit du courant ascétiste des frères de la Vie Commune, au collège de Montaigu à Paris. Ce collège, d’une austérité insupportable, avait accueilli Erasme et Vivès, avant de voir passer Ignace de Loyola (1491-1556) et Jean Calvin (1509-1564) sur ses bancs. Béda fera tout pour impliquer Erasme dans le procès intenté contre le traducteur d’Erasme Louis Berquin (1485-1529), brûlé vif à Paris pour faits de religion. Bien avant l’index du Vatican, la Sorbonne commença à dresser les listes des écrits hérétiques et fera le premier index de cette époque en 1544. Mais déjà en 1526, la faculté condamna comme hérétique plusieurs propositions d’Erasme et plus tard les écrits de Rabelais. Déjà mis à mal par L’Eloge de la Folie, ses adversaires étaient encore plus outrés par les Colloques et ne lui ont jamais pardonné depuis. En 1530, François Ier, d’humeur humaniste, ordonna l’instauration du Collège des lecteurs royaux, présidé par Guillaume Budé en contact avec Erasme, pour court-circuiter ces centres de médisance.
La persécutions des juifs et des moresques d’Espagne en 1492 par Thomas de Torquemada (1420-1498) sous Isabelle la Catholique avait remis le goût du sang à la bouche de l’Inquisition. Cette Inquisition allait bientôt continuer sa sinistre besogne dans le plat pays. Déjà des témoignages ont dû venir aux oreilles d’Erasme, qui s’était attiré toutes les foudres pour sa défense de Johannes Reuchlin (1455-1522), célèbre hébraïsant qui avait protesté contre la destruction des livres hébraïques par les dominicains de Cologne.
Juan Luis Vivès
Buste de Vivès à Bruges.
Son ami Juan Luis Vivès (1492-1540), un juif converti et éducateur passionné qui collaborera avec Thomas More et Erasme à Louvain aurait pu lui raconter ce que nous savons aujourd’hui. En 1524, le père de Vivès est brûlé sur le bûcher en Espagne, accusé par l’Inquisition de pratique judaïque secrète et, quelques années plus tard, les dépouilles de sa mère, pourtant morte depuis 1509, seront déterrées et brûlées pour les mêmes raisons (!).
Paradoxalement, c’est en Espagne que les œuvres d’Erasme ont été le plus traduites et imprimées. Le cardinal de Tolède, Ximénèz de Cisnéros (1436-1517), y fait publier une bible polyglotte par le centre biblique trilingue de l’université d’Alcalá. Jusqu’à la mort d’Erasme, l’Inquisition y fut tellement divisée qu’elle se trouvait dans l’incapacité de le condamner. Mais après la mort de Ximénès, son collaborateur jaloux, Diego Lopez de Zuniga, rejoindra en 1522 le camp des ennemis d’Erasme.
En 1527, le sac de Rome par des lansquenets luthériens et les hidalgo espagnols, ne fait que confirmer ce qu’Erasme avait prévu et il souligne plus que jamais l’urgence de son projet : L’Eglise doit accepter de se réformer et tant que le pape se mêle d’affaires terrestres et de successions impériales, la guerre est au rendez-vous. Il dénonce le messianisme hispano impérial sous lequel est tombé Charles Quint en suivant les conseils des théologiens, et il défend l’idéal du régime constitutionnel des XVII Provinces des Pays-Bas Bourguignons qu’il a vu fonctionner lui-même.
Erasme, fatigué par la barbarie et ce qu’il appelle « la matélogie » (le parler en vain) répète dans l’Hyperaspistes (super bouclier) : « Je n’ai jamais renié l’Eglise catholique. Je sais que dans cette Eglise, que vous appelez papiste, il y a beaucoup qui me déplaisent, mais de pareils j’en vois aussi dans votre Eglise. On supporte plus aisément les défauts auxquels on est habitué. Par conséquent, je supporte cette Eglise jusqu’à ce que j’en aperçoive une qui soit meilleure, et elle est bien obligée de me supporter jusqu’à ce que je devienne meilleur moi-même. Et il ne navigue pas mal celui qui passe à égale distance de deux maux différents. »
En 1530, Erasme écrit à l’un de ses derniers interlocuteurs à Rome, le cardinal de Carpentras Jacques Sadolet (1477-1547), « Quand vous verrez se produire, ce qu’à Dieu ne plaise, des bouleversements terribles dans le monde, funestes non tant pour l’Allemagne que pour l’Eglise, rappelez-vous alors qu’Erasme l’avait prédit. »
Libre interprétation contre libre arbitre
Sous la pression de ses amis qui se polarisent dans les deux camps, Erasme se résout finalement à attaquer le fond de la pensée de Luther (et des frelons), tout en maintenant ses exigences de réforme. Il propose à chaque nouveau pape de former une commission indépendante regroupant des représentants respectés par l’ensemble des parties concernées et les états. Mais Rome continuera son double jeu.
Sollicité par les princes, et en particulier Henry VIII, Erasme écrira, dans les traces d’Augustin et de Valla, une Diatribe sur le libre arbitre, que Leibniz va pousser plus loin dans son Théodicée, et qui sera publiée à Anvers en 1524.
Cette question d’apparence théologique (« par libre arbitre j’entends ici l’action efficace de la volonté humaine qui permet de s’attacher à ce qui le mène au salut éternel ou de s’en détourner »), touche en réalité au fond de la thèse humaniste : sommes-nous capables de faire le choix du bien ou sommes-nous simplement « comme les haches dans les mains du bûcheron ? »
Erasme démontre d’abord à l’aide d’exemples le danger de pousser à l’absurde tout débat théologique, si l’on oublie la charité. « Certains thèses sont nuisibles précisément parce qu’elles sont inadaptées, comme du vin à un fiévreux. (…) Jouer ce genre de pièces devant un public nombreux et disparate, me semble non seulement inutile, mais encore pernicieux. »
Ensuite, il pèse les textes favorables et défavorables au concept du libre arbitre et constate que sans celui-ci la notion de péché perd toute substance. Si l’homme n’est plus responsable de ses actes quand il fait le bien, comment pourrait-on le tenir responsable de ses actes mauvais ?
Une fois clairement énoncé qu’il existe une harmonie entre une grâce coopérante et un libre arbitre coopérant avec Dieu, il est important de définir la proportion de chacun.
Différent de Saint Augustin qu’il juge trop dur, et pour qui le libre arbitre n’existe que grâce à la part divine que Dieu a créé en l’homme, Erasme accorde un rôle réel au libre arbitre des hommes, sans pour autant tomber dans l’hérésie Pélagienne, selon laquelle l’homme est tout et Dieu très peu.
Pour rendre sa pensée lisible, il évoque une métaphore simple, mais tendre, et belle :
« Un père a un enfant encore incapable de marcher, il tombe, le père le relève tandis qu’il fait des effortsn’importe comment pour se remettre debout ; il lui montre un fruit placé en face ; l’enfant se démène pour accourir, mais à cause de la faiblesse de ses membres il aurait vite fait de s’écrouler à nouveau si le père ne lui tendait la main pour le soutenir et ne dirigeait sa marche. Ainsi guidé par son père il parvient au fruit que le père lui met dans la main très volontiers comme récompense de son parcours. L’enfant ne pouvait se relever si son père ne l’avait ramassé ; il n’aurait pas vu le fruit si son père ne le lui avait montré ; il ne pouvait avancer si son père n’avait constamment aidé ses faibles pas ; il ne pouvait atteindre le fruit si son père ne lui avait mis dans la main. Qu’est-ce que l’enfant va revendiquer pour lui dans ce cas ? Et pourtant on ne peut dire qu’il n’ait rien fait. Mais il n’y a pas de quoi se glorifier de ses forces, puisqu’il doit à son père tout ce qu’il est. »
Erasme réussit ici un incroyable tour de force en mettant le doigt sur l’orgueil, un péché capital de surcroît, partagé par Rome et Luther. L’orgueil de celui qui réclame le droit au « libre examen » rejoint l’orgueil des liturgies excessives. Sa défense de la modestie de l’homme face à Dieu, dont Luther prétendait avoir le monopole, déjouait le fanatisme de ce dernier et ramenait beaucoup d’hommes à la sagesse. Au biblisme cruel d’un Luther partisan d’une grâce avare et réservée aux purs (cathares), Erasme oppose la générosité et la miséricorde infinie de Dieu toujours prêt à aimer ceux qui font authentiquement le libre choix de revenir à lui.
Gérard David, Repos pendant la fuite en Egypte (détail).
Faut-il s’étonner de voir apparaître soudainement chez un peintre comme Gérard David, ami de Quinten Metsys à Anvers, des vierges ayant sur leurs genoux des enfants qui tentent d’attraper des fruits ?
Luther livra toute sa science juridico-théologique dans son Du serf arbitre qu’il publie un an après Erasme, en décembre 1525. D’une politesse hypocrite, Luther conteste Erasme et mobilise toute sa science pour fournir les arguments à l’Inquisition pour réprimer notre humaniste. Piqué au vif par ce dernier quand il soulignait le danger consistant à faire d’une question théologique une si grande affaire, Luther proteste qu’Erasme « range l’affaire du libre arbitre au nombre de celles qui sont inutiles et non nécessaires. A sa place, tu énumères à notre intention les choses que tu juges suffisantes pour la piété chrétienne : cela donne une forme telle que pourrait la dessiner n’importe quel juif ou païen qui ignorerait tout à fait le Christ. Car du Christ, tu n’en fais même pas mention d’un iota, comme si tu pensais que la piété chrétienne pouvait exister sans le Christ, pourvu seulement qu’on adore de toute sa force [le Dieu très clément] par nature. Que dirais-je ici, Erasme ? Tout entier, tu dégages l’odeur d’un Lucien, et tu me souffles les vapeurs de la grande ivresse d’Epicure. »
Dans sa conclusion, Luther réaffirme et prouve sa thèse avec des axiomes qu’il annonce d’emblée : « Si en effet nous croyons qu’il est vrai que Dieu connaît et organise à l’avance toutes les choses, il ne peut alors être trompé ni empêché en la prescience et la prédestination qui sont les siennes. Ensuite, rien ne peut se produire, s’il ne le veut lui-même : c’est ce que la raison elle-même est forgée de concéder ; et du même coup, au témoignage de la raison précisément, il ne peut y avoir aucun libre arbitre dans l’homme. (…) Il est tout aussi manifeste, comme il résulte précisément de l’œuvre accomplie et de l’expérience, que l’homme sans grâce ne peut rien vouloir, si ce n’est le mal. Mais en somme : si nous croyons que le Christ à racheté les hommes par son sang, nous sommes forcés de reconnaître que c’est l’homme tout entier qui était perdu ; autrement nous concevrons un Christ, soit superflu, soit rédempteur de la partie la moins valable : ce qui est un blasphème et un sacrilège. »
Le calvinisme et le jansénisme ne seront que des interprétations de plus en plus radicales et « à la lettre » de quelques phrases d’Augustin ou de l’épître aux éphésiens de Paul, quand il déclarait (II, 8) : « C’est par la grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. Ce n’est pas par les œuvres, afin que personne ne se glorifie. »
Le Cicéronien
Voyant venir à grand pas les guerres de religion et l’Inquisition, Erasme double la pression sur ceux qu’il aime pour qu’une réforme progressive, raisonnable et humaniste de l’Eglise et de la société puisse s’organiser. Exaspéré par la décadence des humanistes de cette Italie dans laquelle il avait placé tout son espoir, il publiera en 1528 Le Cicéronien ou du meilleur genre d’éloquence, attaque satirique contre la secte créée par le vénitien Pietro Bembo (1474-1547) et dont faisait partie Jérôme Aléandre.
Cicéron
Cicéron se servait d’un latin magnifique.
Les Cicéroniens étaient le nom générique pour le Bembisme : pour eux, on ne pouvait que s’exprimer en imitant de façon pédante le langage de Cicéron et exclusivement en employant des mots, des bouts de phrases et des phrases de Cicéron ! Le Livre du Courtisan de Baldassare Castiglione (1478-1529), entièrement construit avec des emprunts de Cicéron et de Bembo, où il se moque de Léonard de Vinci, et qui sort des presses de Venise la même année, en est un bel exemple.
Erasme les supporte de moins en moins, car au lieu de se battre pour un projet de réforme et empêcher la guerre, ils passent, dans le meilleur des cas, leur temps à se faire plaisir avec des « belles lettres ». Erasme démasque le but non avoué de cette manœuvre pseudo intellectuelle : ramener le paganisme romain de ceux qui jadis avaient jeté les chrétiens aux lions :
Bouléphore (le donneur de conseil) : Mais alors, l’état présent de notre siècle est-il, à ton avis, en harmonie avec les traits essentiels de l’époque où Cicéron a vécu et a parlé, alors que s’est produit un changement du tout au tout dans la religion, l’empire, les magistratures, la chose publique, les lois, les moeurs, les études, l’apparence physique même des hommes, et tout le reste ?
Nosopon (le malade) : Rien n’est semblable.
Bouléphore : Quelle serait donc l’impudence de celui qui exigerait que nous parlions de toutes choses à la manière de Cicéron ? Qu’il nous rende d’abord la Rome qui existait autrefois, qu’il nous rende le sénat et la curie, les Pères Conscrits, l’ordre équestre, le peuple réparti en tribus et en centuries, qu’il nous rende les collèges des augures et des aruspices, les Grands Pontifes, les flamines et les vestales, les édiles, les préteurs, les tribuns de la plèbe, les consuls, les dictateurs, les Césars, les comices, les lois, les sénatus consultes, les plébiscites, les statues, les triomphes, les ovations, les supplications, les temples et les sanctuaires, les coussins sacrés, les rites religieux, les dieux et les déesses, le Capitole et le feu sacré : qu’il nous rende les provinces, les colonies, les municipes et les alliés de la ville maîtresse du monde. Puisque à tous points de vue la scène des affaires humaines a été totalement bouleversée, qui aujourd’hui pourrait parler de la façon adaptée sans être profondément différent de Cicéron ?
(…) Je dois faire un sermon devant une foule mêlée dans laquelle se trouvent des vierges, des femmes mariées et des veuves ; il faut parler des bienfaits du jeûne, de la pénitence, du fruit de la prière, de l’utilité des aumônes, de la sainteté du mariage, du mépris des choses passagères, du zèle pour les lettres divines ; de quel secours sera ici pour moi l’éloquence de Cicéron qui ne connaissait pas les réalités dont je dois parler et donc ne pouvait employer des mots qui sont nés après lui, nouveaux pour des choses nouvelles. Est-ce qu’il ne sera pas de glace l’orateur qui coudrait à de tels sujets des lambeaux arrachés à Cicéron…
(…) Que fera alors le candidat au style cicéronien ? Se taira-t-il ou bien changera-t-il ainsi les termes reçus chez les chrétiens ?
Nosopon : Pourquoi pas ?
Bouléphore : Eh bien imaginons un exemple. La phrase suivante « Jésus-Christ, Verbe et Fils du Père éternel, selon les prophéties est venu dans le monde et s’étant fait homme, il s’est lui-même livré à la mort, il a racheté son Eglise, a détourné de nous la colère de son Père offensé, nous a réconciliés de Lui, afin que justifié par la grâce de la foi et délivré de la tyrannie, nous sommes introduits dans l’Eglise et, persévérant dans la communion de l’Eglise, nous parvenions après cette vie dans le royaume des cieux », le Cicéronien le formulera ainsi : « Interprète et Fils de Jupiter Très bon et Très grand, Sauveur, Roi, selon les réponses des vaticinateurs, il est descendu de l’Olympe sur terre, et ayant assumé la forme humaine, il se dévoua spontanément aux dieux mânes pour le salut de la république et libéra ainsi son assemblée ou cité ou république et éteignit la foudre de Jupiter Très bon Très grand brandie sur nos têtes, il nous rétablit dans les bonnes grâces de celui-ci, afin que restaurés dans l’innocence par la munificence de la persuasion, et affranchis de la domination du sycophante, nous soyons cooptés dans la cité et persévérant dans la société de la république, quand les destins nous appelleront hors de cette vie, nous détenions le pouvoir souverain dans la compagnie des saints. »
(…) C’est du paganisme, crois-moi, Nosophon, c’est le paganisme qui persuade ces choses à nos oreilles et à nos cœurs : nous ne sommes chrétiens que de titre. Le corps a été immergé dans l’eau sacrée, mais l’âme n’est pas lavée ; le front a reçu le signe de la croix, mais l’âme maudit la croix ; nous professons Jésus avec la bouche, mais nous portons dans le coeur Jupiter Très bon Très grand et Romulus.
En 1530, après que le pape Clément VII eut accepté finalement de couronner Charles Quint empereur, Venise compensera Bembo pour ses loyaux services et le vrai gouvernement de Venise, le Conseil des Dix, en fera l’historiographe officiel de la pseudo République Vénitienne.
Erasme, qui refusa le cardinalat que lui proposa Paul III en 1535, se fera violemment attaquer par un Cicéronien en 1531, Jules César Scaliger (1484-1558). Etienne Dolet (1509-1546), un cicéronien (ex-humaniste) français qui se déchaînera également contre l’humaniste, finira quand même sur le bûcher.
Erasme étant accusé d’attaquer Rome et l’Italie, l’anti-érasmisme y devient une question nationale.
A partir de 1543, les oeuvres d’Erasme seront brûlées par le bourreau à Milan avant de subir l’interdiction totale par l’Index Vaticanus en 1559 où elles resteront jusqu’en 1900.
Cent ans après, la canonisation de saint Thomas More, le 4 novembre 2000, par Jean-Paul II indique heureusement que les choses peuvent changer.
François Rabelais (1494-1553)
François Rabelais. Portrait présumé.
En guise de conclusion voici maintenant un coup d’oeil rapide sur un vrai Erasmien français. Né en 1483 ou 1494, François Rabelais appartient en 1521 au couvent franciscain du Puy-Saint-Martin, près de Fontenay en Vendée. Là, il se lie d’amitié avec Pierre Amy (Lamy), dont Erasme dira qu’il n’avait « jamais vu de mœurs plus pures que les siennes ». Lamy le fait correspondre avec Guillaume Budé (1467-1540), promoteur des lettres grecques en France comme Jacques Lefèvre d’Etaples et le cercle de Meaux qu’anime son élève l’abbé Guillaume Briçonnet (1472-1534).
Toujours avec Lamy, Rabelais fréquente le cénacle humaniste du légiste André Tiraqueau à Fontenay. Rabelais y rencontre le seigneur Geoffroy d’Estissac, prieur et évêque de l’abbaye bénédictine de Maillezais, dont il sera le secrétaire pendant de longues années.
Vers la fin 1523, la Sorbonne (franciscaine), alarmée par la publication d’Erasme sur le texte grec de L’Evangile de Saint Luc, décide d’interdire en France l’étude du grec. Les moines du couvent de Rabelais confisquèrent sans vergogne les livres grecs de Rabelais et de Lamy. Là, Rabelais vit en quelque sorte la même expérience qu’Erasme avec les frères de ’s Hertogenbosch.
Lamy part pour Orléans, passe un moment à Lyon et finit en Suisse. Rabelais quitte le couvent en 1527 et part étudier la médecine à Paris, sous l’habit laïc. Bachelier à Montpellier, il commente les écrits sur la médecine d’Hippocrate et de Galien qu’il traduit du grec au latin en 1531.
Entre 1532 et 1533, on le retrouve médecin à Lyon tout en étant correcteur comme Etienne Dolet chez Sébastien Gryphe (1491-1556), imprimeur d’Erasme. Sous le nom d’Alcofrybas Nasier (anagramme de François Rabelais) il publie en 1532 son premier livre Pantagruel, censuré par la Sorbonne pour obscénité.
Guillaume du Bellay
Guillaume Du Bellay.
Il accompagne Geoffroy d’Estignac à Rome entre 1533 et 1536 et y retourne comme médecin de Guillaume du Bellay (1491-1543), frère du cardinal de Paris, Jean du Bellay. Les du Bellay étaient le pont entre les « politiques » ; français et les réformés modérés d’Allemagne dirigés par l’ami d’Erasme, Philipp Swarzerd (Melanchthon) (1497-1560). Ils seront aussi chargés par le roi de France d’une mission diplomatique délicate : servir d’intermédiaires entre Rome et Henry VIII dans l’affaire de son divorce, c’est à dire la mission même qui coûtera la tête à Thomas More en 1535. Lors de la mort de du Bellay, Charles Quint aurait affirmé que sa plume lui avait causé plus de dégâts que toutes les armées françaises.
Rabelais compte parmi les protégés de Marguerite de Navarre (1492-1549), sœur du roi François Ier, et obtient après la mort de ce dernier une protection du roi Henri II.
Il serait fastidieux d’analyser ici en détail de quelle façon Rabelais incorpore la « science » érasmienne. Le passage sur le torche-cul, satire contre le scolastique « docteur subtil » Duns Scot (1266-1308), ou le dialogue muet entre l’anglais Thaumaste et Panurge, où Rabelais se moque sans scrupules du nominalisme de Guillaume d’Ockham (1290-1349), figurent parmi les exemples emblématiques de cette « philosophie du Christ » qu’il partageait avec les humanistes. Les rebonds de L’Utopie de Thomas More et les Adages et Colloques d’Erasme ont été largement documentés. En tout cas, dans une lettre, Rabelais confesse humblement sa dette envers Erasme : « Ce que je suis, ce que je vaux, c’est à vous seul que je le dois. »
C’est évidemment dans le cadre opérationnel d’un réseau de résistance qu’il faut situer cette lettre de Rabelais à Erasme. Le 30 novembre 1532, Rabelais, prudent, écrit de Lyon en Latin à un certain Bernard Salignac, prête-nom pour Erasme, installé à Bâle. Au nom de l’évêque de Rodez, Georges d’Armagnac, un des diplomates de François Ier, Rabelais lui adresse L’Histoire juive de Flavius Josèphe.
« C’est pourquoi j’ai saisi cette occasion (…) de vous faire connaître (…) quel sentiment de respectueuse affection je vous porte, cher Père savant et bon. Je vous ai nommé « père », je dirais même « mère » (…). En effet les femmes enceintes (…) nourrissent un fœtus qu’elles n’ont jamais vu et le protègent de la nocivité de l’air ambiant ; vous vous êtes donné ce mal, précisément : vous n’aviez jamais vu mon visage, mon nom même n’était pas connu, et vous avez fait mon éducation, vous n’avez pas cessé de me nourrir du lait irréprochable de votre divine science ; ce que je suis, ce que je vaux, c’est à vous seul que je le dois : si je ne le faisais pas savoir, je serais le plus ingrat des hommes du temps présent et à venir. C’est pourquoi je vous salue, et vous salue encore, Père tout plein d’amour, vous qui êtes le père de votre patrie et sa gloire, défenseur des lettres, vous qui écartez le mal, et qui êtes le champion invincible de la vérité. »
Rabelais raconte alors qu’il entretient des « relations très familières » avec Hilaire Bertolphe, un des anciens secrétaires d’Erasme en contact avec Vivès. Bertolphe, un gantois réfugié à Lyon, l’aurait informé de la campagne de dénigrement systématique qu’organisait le prélat du pape Jérôme Aléandre à l’égard de l’humaniste. Les historiens modernes n’ont pas hésité à accuser Erasme d’avoir souffert d’un « syndrome de persécution ».
Erasme voyait à juste titre la « géométrie mentale » d’Aléandre et de Béda dans les écrits de ses détracteurs. Il pensait même que Jules César Scaliger, un averroïste, élève de l’université de Padoue et « Cicéronien » ; piqué au vif par la satire d’Erasme, n’était qu’un simple prête-nom d’Aléandre. L’hypothèse paraît séduisante étant donné que Cicéron lui-même souligne le prétendu bon caractère de l’empereur romain Jules César. Au-delà d’un témoignage d’affection, Rabelais livre à Erasme de précieux renseignements sur Scaliger, lui signalant qu’il s’agit d’un exilé de la famille des Scaliger de Vérone, pratiquant la médecine à Agen, près de Bordeaux. Pour sécuriser le contenu de la lettre, Rabelais emploie le grec, langue que seuls les humanistes maîtrisaient, pour le passage le plus sensible de la lettre. Il renseigne Erasme sur Scaliger : « et par Zeus, il n’a pas bonne réputation ; c’est le diable à coup sûr ; en bref, s’il a quelque science médicale, il est totalement athée, totalement, comme personne ne le fut jamais. » Rabelais, pour soulager la souffrance d’Erasme, rajoute que « ceux qui, à Paris, vous veulent du bien » ont court-circuité la diffusion du livre diffamatoire.
Pendant que les uns affirment qu’Erasme n’a jamais reçu la lettre, les autres disent que le manuscrit transmis fut effectivement publié. Mais ce qu’Erasme écrit à la fin de sa vie résonne comme un écho à la lettre de Rabelais :
« Journellement me parviennent de toutes les régions de l’univers les remerciements de ceux qui m’assurent que mes œuvres, quels que puissent être leurs mérites, les ont animés d’un beau zèle pour la bonne volonté et pour l’étude des lettres sacrées ; et ceux-la qui n’ont jamais vu Erasme, le connaissent et l’aiment pourtant, grâce à ses livres. »
Bierre, Christine, Rabelais et l’art de la Guerre, Nouvelle Solidarité, 2003. Cassirer, Ernst (sous la direction de) The Renaissance philosophy of man ; selected writings of Petrarca, Valla, Ficino, Pico, Pomponazzi, Vivès University of Chicago Press, 1948. Chomarat, Jacques, Erasme, œuvres choisies, Livre de Poche, 1991. Erasme, Robert Laffont, Collection Bouquins, 1992. Erasme de Rotterdam et Thomas More, correspondance, Centre d’études de la Renaissance, Université de Sherbrooke, Canada, 1985. Erasme, Colloques, Imprimerie Nationale Editions, Paris, 1992. Diwald, Hellmut, Luther, Seuil, 1985. Eichler, Anja-Franziska, Albrecht Dürer, Könemann, Cologne, 1999. Epicure et les épicuriens, textes choisis, Presses Universitaire de France, Paris, 1997. Halkin, Léon E., Erasme, Fayard, 1987. Huizinga, Johan, Erasme, Gallimard, 1955. Lépine, François, François Rabelais, papier de recherche non publié, 2003. Luther, Martin, Du serf arbitre, Gallimard, 2001. Margolin, Jean-Claude, Erasme, précepteur de l’Europe, Julliard, 1995. Mirak-Weisbach, Muriel, Thomas Morus, Vorbild der Staatskunst, Ibykus, n°77, 2001. More, Thomas, L’Utopie, GF-Flammarion, 1966. Rabelais, Oeuvres complètes, Seuil, 1973. Renan, Ernest, Averroès et l’averroïsme, Maisonneuve Larose, 2002. Renaudet, Augustin, Erasme et l’Italie, Droz, 1998. Sanders, Richard, Erasmus of Rotterdam and the 500 years was against usury, papier de recherche, non publié. Tracy, James D., Erasmus of the Low Countries, Berkeley University of California Press, 1996. Tracy, James D., Holland under Habsburg Rule, 1506-1566, Berkely, University of California Press, 1990. Vereycken, Karel, Entre Erasme et Venise, qui était Raphaël, papier de recherche non publié, juin 2000.
Herri Met de Bles (vers 1500-1560), Paysage avec saint Jérôme, Musée provincial, Namur.
Jusqu’au 14 janvier2013 au Palais des Beaux Arts de Lille, on pourra admirer l’exposition internationale intitulée « Fables du paysage flamand au XVIe siècle » réunissant une centaine d’œuvres de maîtres flamands, prêtées par plus d’une quarantaine de musées européens.
Si Jérôme Bosch et Pieter Bruegel l’ancien ne sont pas des noms inconnus en France, le grand public découvrira, en se familiarisant avec les œuvres de Joachim Patinir, Herri Met de Bles, Cornelis Metsys, Abel Grimmer, Jan Mandijn, Gilles Mostaert ou Kerstiaen de Keuninck, le vaste environnement intellectuel, spirituel et culturel dont Jérôme Bosch et Pieter Bruegel l’ancien n’ont été que les artistes les plus accomplis.
Les spectateurs s’arrêteront devant ces tableaux, fascinés, essayant de décrypter ces images qui nous paraissent « fantastiques » car elles sont le fruit d’une culture et d’un imaginaire chrétien, presque disparus aujourd’hui. Qu’avons-nous à faire aujourd’hui, bon Dieu, de ces histoires de paradis et d’enfer, ou des tentations de saints dans les déserts ?
Et pourtant, quelle puissance évocatrice ont chez nous ces métaphores picturales monstrueuses, ces scènes de Paradis où mandragores et lézards viennent hanter les images de la beauté terrestre, ces jardins des délices où l’homme finit par crouler sous les objets de son désir, ces enfers où les flammes de ce qu’il a trop aimé le consument de leur feu éternel. A croire que si les histoires de la Bible sont désuètes, tel n’est pas le cas du message universel véhiculé par ces artistes quant aux valeurs qui déterminent le chemin de notre vie, qui nous renvoie, lui, à notre propre image, dans une société où tout est devenu objet de consommation.
Ainsi, ces paysages flamands, dont une certaine critique prétend que les références à la religion seraient purement symboliques, les artistes n’ayant plus d’autre intérêt que la représentation réaliste de la nature, sont, au contraire, des œuvres où la tension entre éléments philosophico-religieux et nature est conçue pour provoquer une réflexion profonde sur le bien et le mal, sur la vie contemplative et la vie active, sur la nature de l’homme et de l’univers.
Saluons le fait que les organisateurs de l’exposition n’ont pas hésité à aborder le fond philosophique et religieux de ces œuvres. Alain Tapié, conservateur en chef du patrimoine au Palais des Beaux-Arts de Lille, a rendu justice à Erasme de Rotterdam, ce « peintre malgré lui », en constatant à quel point l’esprit d’une de ses œuvres, celle où il se prépare à la mort en examinant le chemin de sa vie, « ressemble au sentiment du paysage flamand au XVIe siècle, dans sa dynamique comme dans son contenu ».
Richard Falkenburg avait déjà souligné l’omniprésence, dans ces paysages flamands, de la métaphore du sermon du Christ sur la montagne, sur « la large porte qui est le chemin aisé conduisant à la perdition, et la porte étroite, le chemin difficile qui conduit au salut éternel ».
Enfin, Michel Weemans, professeur à l’Ecole nationale supérieure d’art de Bourges et l’un des commissaires de l’exposition, voit aussi un lien entre l’iconographie de cette époque et le langage imagé des penseurs de la Dévotion moderne, mouvement de réforme spirituel aux Pays-Bas qui est à l’origine de la Renaissance en Europe du Nord. Et notamment, les apports de l’un des fondateurs de ce courant, Gerard Zerbold de Zutphfen, dans son traité Des ascensions spirituelles, où il compare le cheminement de l’âme humaine à l’ascension d’une montagne vers la porte ouvrant la voie au salut. Une invitation à la réflexion sur ce que doit être la mission de l’homme dans ce temps de crise qui appelle à une nouvelle Renaissance.
Le Saint-Jean de Jérôme Bosch frappé d’acedia ?
On peut regretter que personne n’ait jamais tenté d’expliquer du point de vue de l’hypothèse supérieure ce que représente l’influence de la Dévotion moderne, le magnifique tableau de Jérôme Bosch qui honore l’exposition de Lille.
Bien que le tableau ci-dessus soit intitulé Saint Jean Baptiste en méditation (Madrid), une comparaison avec le Saint Jean peint par Hans Memling dans le Diptyque de saint Jean et sainte Véronique de la Pinacothèque de Munich (cliquez sur l’image pour l’agrandir), nous permet de croire qu’il s’agit en réalité d’un Saint Jean l’évangéliste pointant sans conviction en direction d’un agneau. Si ce dernier est généralement l’attribut de Saint Jean-Baptiste, ici il incarne le sacrifice qu’on attend de toute personne souhaitant vivre à l’image du Christ.
Chez Bosch (ci-dessous), on se demande si le Saint voit ou a envie de voir l’agneau. Jean semble plutôt sous l’effet soporifique d’une plante qu’on identifie comme la mandragore, symbole des plaisirs terrestres. Ainsi, il paraît gravement affecté d’une maladie qui ravageait l’univers monastique de l’époque du peintre : l’acedia, ce sentiment de lassitude qui anéantissait la volonté des individus, les rendant inaptes à tout véritable amour pour Dieu, le travail et l’humanité.
L’acédie, qui figure explicitement parmi les sept péchés capitaux chez Bosch, fut glorifiée ultérieurement comme une vertu par les Romantiques et rebaptisée spleen ou Mélancolie.
Or, pour la Dévotion moderne dont Bosch était proche, travail pour la société et méditation personnelle alternaient et formaient le tout cohérent d’une « Vie Commune ». Car contrairement à notre vision contemporaine imprégnée d’orientalisme, la méditation n’était ni passivité ni retrait du monde, mais « rumination » active, travail de mémoire et de remise en question.
D’ailleurs, dans ses tableaux, Bosch ne cherche jamais à « représenter » le mal ou le bien de façon formelle mais préfère, dans un dialogue socratique, nous lancer une image à la rétine nous obligeant à ruminer nos consciences, en bref à bannir en nous l’oisiveté et le désespoir.
Joachim Patinir, Paysage avec Saint Jérôme, National Gallery, Londres.
En novembre 2008, un colloque fut organisé au Centre d’études supérieures sur la Renaissance de Tours sur le thème de « La contemplation dans la peinture flamande (XIVe-XVIe siècle) ». Voici la transcription de la contribution de Karel Vereycken, représentant de l’Institut Schiller, sur Joachim Patinir, un peintre belge peu connu mais essentiel pour l’histoire de l’art.
Joachim Patinir (1485-1524), dessin fait par Albrecht Dürer, venu assister au mariage de Patinir à Anvers en 1520.
On estime généralement que dans la peinture flamande, le concept « moderne » de paysage n’est apparu qu’avec l’œuvre de Joachim Patinir (1485-1524), un peintre originaire de Dinant travaillant à Anvers au début du XVIe siècle.
Pour l’historien d’art viennois Ludwig von Baldass (1887-1963), qui écrit au début du XXe siècle, l’œuvre de Patinir, présentée comme nettement en avance sur son temps, serait annonciatrice du paysage comme überschauweltlandschaft, traduisible comme « paysage panoramique du monde », véritable représentation cosmique et totalisante de l’univers visible.
Ce qui caractérise l’œuvre de Patinir, affirment les partisans de cette analyse, c’est l’ampleur considérable des paysages qu’elle offre à la contemplation du spectateur.
Cette ampleur présente un double caractère : l’espace figuré est immense (du fait d’un point de vue panoramique situé très haut, presque « céleste »), en même temps qu’il englobe, sans souci de vraisemblance géographique, le plus grand nombre possible de phénomènes différents et de spécimens représentatifs, typiques de ce que la terre peut offrir comme curiosités, parfois même des motifs imaginaires, oniriques, irréels, fantastiques : champs, bois, montagnes anthropomorphes, villages et cités, déserts et forêts, arc-en-ciel et tempête, marécages et fleuves, rivières et volcans.
Le Rocher Bayart sur la Meuse, près de Dinant, Belgique.
On peut par exemple penser y retrouver « la roche Bayart », qui borde la Meuse non loin de la ville de Dinant dont Patinir était originaire.
A part cette perspective panoramique, Patinir fait appel à la perspective aérienne — théorisée à l’époque par Léonard de Vinci — grâce à un découpage de l’espace en trois plans couleur : brun-ocre pour le premier, vert pour le plan moyen, bleu pour le lointain.
Cependant, le peintre conserve la visibilité de la totalité des détails avec une méticulosité, une minutie et une préciosité digne des maîtres flamands du XVe, qui, en tendant vers un infini quantitatif (consistant à tout montrer), cherchaient à se rapprocher d’un infini qualitatif (permettant de tout voir).
Pour leur part, les auteurs de la thèse du weltlandschaft, après avoir comblé Patinir d’éloges, n’hésitent pas à fortement relativiser sa contribution en disant :
« Pour que le paysage en peinture devienne autre chose qu’un entassement virtuose mais compulsif de motifs, et plus précisément, la saisie quasi-documentaire d’un infime fragment de la réalité contingente, il faudra attendre le XVIIe siècle et la pleine maturité de la peinture hollandaise… »
Et c’est là que l’on identifie très bien le piège de cette démarche qui consiste à faire croire que l’avènement du paysage, en tant que genre autonome, sa soi-disant « laïcisation », n’est que le résultat de l’émancipation d’une matrice mentale médiévale et religieuse, considérée comme forcément rétrograde, pour laquelle le paysage se réduisait à une pure émanation ou incarnation de la puissance divine.
Patinir, le premier, aurait donc fait preuve d’une conception purement esthétique « moderne », et ces paysages « réalistes », marqueraient le passage d’un paradigme culturel religieux — donc obscurantiste — vers un paradigme moderne, c’est-à-dire dépourvu de sens… ce qu’on lui reprochera par la suite.
C’est bien ce regard-là qu’ont pu porter les esprits romantiques et fantastiques du XVIIe et XVIIIe siècle sur les artistes du XVe et XVIe siècle. Von Baldass fut certainement influencé par les écrits d’un Goethe qui, sans doute dans un moment d’enthousiasme pour le paganisme grec, analysant la place de plus en plus réduite accordée aux personnages religieux dans les tableaux flamands du XVIe, en déduit que ce n’était plus le sujet religieux qui faisait fonction de sujet, mais le paysage.
Autant que Rubens aurait prétexté peindre Adam et Eve chassés du Paradis pour pouvoir peindre des nus, Patinir n’aurait fait que saisir le prétexte d’un passage biblique pour pouvoir se livrer à sa véritable passion, le paysage.
Un petit détour par Bosch
Un regard nouveau sur l’œuvre de Patinir démontre sans conteste l’erreur de cette analyse.
Pour aboutir à une lecture plus juste, je vous propose ici un petit détour par Jérôme Bosch, dont l’esprit était très vivant parmi le cercle des amis d’Erasme à Anvers (Gérard David, Quentin Massys, Jan Wellens Cock, Albrecht Dürer, etc.), dont Patinir faisait partie.
Bosch, contrairement aux clichés toujours en vogue de nos jours, est avant tout un esprit pieux et moralisateur. S’il montre le vice, ce n’est pas tant pour en faire l’éloge mais pour nous faire prendre conscience à quel point ce vice nous attire. Fidèle aux traditions augustiniennes de la Devotio Moderna, promues par les Frères de la Vie commune (un mouvement de renouveau spirituel dont il était proche), Bosch estime que l’attachement de l’homme aux choses terrestres le conduit au péché. Voilà le sujet central de toute son oeuvre, dont on ne peut pénétrer l’esprit qu’à la lecture de L’imitation du Christ, écrit, selon toute probabilité, par l’âme fondatrice de la Devotio Moderna, Geert Groote (1340-1384), ou son disciple, Thomas à Kempis (1379-1471) à qui cette œuvre est généralement attribuée.
Dans cet écrit, le plus lu de l’histoire de l’homme après la Bible, on peut lire :
« Vanités des vanités, tout n’est que vanité, hors aimer Dieu et le servir seul. La souveraine sagesse est de tendre au royaume du ciel par le mépris du monde. Vanité donc, d’amasser des richesses périssables et d’espérer en elles. Vanités, d’aspirer aux honneurs et de s’élever à ce qu’il y a de plus haut. Vanité, de suivre les désirs de la chair et de rechercher ce dont il faudra bientôt être rigoureusement puni. Vanité, de souhaiter une longue vie et de ne pas se soucier de bien vivre. Vanité, de ne penser qu’à la vie présente et de ne pas prévoir ce qui la suivra. Vanité, de s’attacher à ce qui passe si vite et de ne pas se hâter vers la joie qui ne finit point. Rappelez-vous souvent cette parole du sage : l’œil n’est pas rassasié de ce qu’il voit, ni l’oreille remplie de ce qu’elle entend. Appliquez-vous donc à détacher votre cœur de l’amour des choses visibles, pour le porter tout entier vers les invisibles, car ceux qui suivent l’attrait de leurs sens souillent leur âme et perdent la grâce de Dieu. »
Bosch traite ce sujet avec beaucoup de compassion et un humour hors pair dans son tableau le Char de foin (Musée du Prado, Madrid)
Jérôme Bosch, le retable du Char de foin, panneau central, référence à la vanité des richesses terrestres. Musée du Prado, Madrid.
L’allégorie de la paille existe déjà dans l’Ancien Testament. On lit dans Isaïe, 40,6 :
« Toute chair est de l’herbe, et tout son éclat comme la fleur des champs ; l’herbe sèche, la fleur se flétrit quand le souffle de Yahvé passe dessus. Oui, le peuple est de l’herbe. L’herbe sèche, la fleur se flétrit, mais la parole de notre Dieu se réalise à jamais ».
Elle sera reprise dans le Nouveau Testament par l’apôtre Pierre (1, 24) : « Car Toute chair est comme l’herbe, Et toute sa gloire comme la fleur de l’herbe. L’herbe sèche, et la fleur tombe ». C’est d’ailleurs ce passage que Brahms utilise dans le deuxième mouvement de son Requiem allemand.
Sur le triptyque de Bosch, on voit donc un char de foin, allégorie de la vanité des richesses terrestres, tiré par d’étranges créatures qui s’avancent vers l’enfer. Le duc de Bourgogne, l’empereur d’Allemagne, et même le pape en personne (c’est l’époque de Jules II…) suivent de près ce char, tandis qu’une bonne douzaine de personnages se battent à mort pour attraper un brin de paille. C’est un peu comme l’immense bulle des titres spéculatifs qui conduit notre époque vers une grande dépression…
On s’imagine très bien les banquiers qui ont saboté le sommet du G20 pour faire perdurer leur système si profitable à très court terme. Mais cette corruption ne touche pas que les grands de ce monde. A l’avant-plan du tableau, un abbé se fait remplir des sacs entiers de foin, un faux dentiste et aussi des tziganes trompent les gens pour un peu de paille.
Le colporteur et l’homo viator
Le triptyque fermé résume le même topos sous forme d’un colporteur (et non l’enfant prodigue). Ce colporteur, éternel homo viator, est une allégorie de l’Homme qui se bat pour rester sur le bon chemin et tient à ne pas quitter sa voie.
Dans une autre version du même sujet peint par Bosch (Musée Boijmans Beuningen, Rotterdam), le colporteur avance op een slof en een schoen (sur une pantoufle et une chaussure), c’est-à-dire qu’il choisit la précarité, quittant le monde visible du péché (nous voyons un bordel et des ivrognes) et abandonnant ses possessions matérielles.
Jérôme Bosch. Ici le colporteur n’est qu’une métaphore du chemin choisi par l’âme qui se détache sans cesse des tentations terrestres. Avec son bâton (la foi), le croyant repousse le pêché (le chien) qui vient lui mordre les mollets.
Avec son bâton (symbole de la foi), il réussit à repousser les chiens infernaux (symbole des tentations), qui tentent de le retenir. Une fois de plus, il ne s’agit point de manifestations de l’imagination exubérante de Bosch, mais d’un langage métaphorique partagé à l’époque. On trouve d’ailleurs cette représentation en marge du fameux Luttrell Psalter, un psautier anglais du XIVe siècle.
Luttrell Psaltar, colporteur avec bâton et chien infernal, British Library, Londres.
Ce thème de l’homo viator, l’homme qui se détache des biens terrestres, est par ailleurs récurrent dans l’art et la littérature de cette époque, en particulier depuis la traduction en néerlandais du Pèlerinage de la vie et de l’âme humaine, écrit en 1358 par le moine cistercien normand Guillaume de Degulleville (1295-après 1358). Une miniature de cette œuvre nous montre une âme sur son chemin, habillée en colporteur.
Miniature extraite du Pèlerinage de la vie et l’âme humaine de Guillaume Degulleville.
Néanmoins, si au XIVe siècle cette exigence spirituelle a pu dicter un rigorisme quelquefois excessif, le rire libérateur de l’humanisme naissant (Brant, Erasme, Rabelais, etc.) apportera des couleurs plus gaies et plus libres à la culture flamande du Brabant (Bosch, Matsys, Bruegel), bien qu’étouffées ensuite par les dictats du Concile de Trente. L’attachement de l’homme aux biens terrestres devient alors sujet à rire. Publié à Bâle en 1494, La Nef des Fous de Sébastien Brant, véritable inventaire de toutes les folies qui peuvent conduire l’homme vers sa perte, marquera toute une génération qui retrouve créativité et optimisme grâce au rire libérateur d’un Erasme et de son disciple, l’humaniste chrétien François Rabelais.
En tout cas, pour Bosch, Patinir et la Devotio Moderna, la contemplation est à l’opposé même du pessimisme et de la passivité scolastique. Pour eux, le rire est l’antidote idéal pour éradiquer le désespoir, l’acedia (la lassitude) et la mélancolie. La contemplation y prend donc une nouvelle dimension. Chaque fidèle est incité à vivre son engagement chrétien, par l’expérience personnelle et l’imitation individuelle du Christ. Il doit cesser de rejeter sa propre responsabilité sur les grandes figures de la Bible et de l’Histoire sainte. L’homme ne peut plus s’en remettre à l’intercession de la Vierge, des apôtres et des saints. Il doit, tout en suivant les exemples, prêter un contenu personnel à l’idéal de la vie chrétienne. Porté à l’action, chaque individu, à titre individuel et pleinement conscient de sa nature de pêcheur, est constamment amené à faire le choix du bien au détriment du mal. Voilà quelques éléments sur l’arrière-plan culturel nous permettant d’approcher différemment les paysages de Patinir.
Charon traversant le Styx
Le tableau de Patinir intitulé Charon traversant le Styx (Musée du Prado, Madrid) qui combine traditions antique et chrétienne, nous servira ici de « pierre de Rosette ». Inspiré par le sixième livre de l’Enéide, où l’écrivain romain Virgile décrit la catabase, ou la descente aux enfers, ou encore l’Inferno de Dante (3, ligne 78) repris de Virgile, Patinir place une barque au centre de l’œuvre.
Joachim Patinir, Charon traversant le Styx, Musée du Prado, Madrid.
Le grand personnage debout dans cette barque est Charon, le nocher des Enfers, généralement présenté sous les traits d’un vieillard morose et sinistre. Sa tâche consiste à faire traverser le fleuve Styx, aux âmes des défunts qui ont reçu une sépulture. En paiement, Charon prend une pièce de monnaie placée dans la bouche des cadavres. Le passager de la barque est donc une âme humaine. Bien que la scène ait lieu après la mort physique de la personne, l’âme, et ça peut surprendre, est taraudée par le choix entre le Paradis et l’Enfer. Car si depuis le Concile de Trente, on estime qu’une mauvaise vie envoie irrémédiablement l’homme en enfer dès l’instant de sa mort, la foie chrétienne continue, y compris aujourd’hui, à distinguer le jugement dernier de ce qu’on appelle le « jugement particulier ». Selon cette conception, parfois contestée au sein des confessions, au moment de la mort, bien que notre sort final soit fixé (Hébreux 9,27), toutes les conséquences de ce Jugement particulier ne seront pas tirées avant le Jugement général, qui aura lieu lors du retour du Christ, à la fin des temps. Ainsi, le « Jugement particulier » qui est supposé suivre immédiatement notre mort, concerne notre dernier acte de liberté, préparé par tout ce que fut notre vie. Nous aider à contempler cet instant ultime semble donc l’objectif premier du tableau de Patinir, en y mêlant d’autres métaphores.
Cependant, un regard attentif sur la partie inférieure du tableau, nous fait découvrir une contradiction, absente du poème de Virgile. Si l’enfer est à droite (on y voit Cerbère, le chien à trois têtes qui garde la porte de l’enfer), la porte d’entrée en semble facile d’accès et des arbres splendides y parsèment de belles pelouses. A gauche, se trouve le Paradis. Un ange tente d’ailleurs d’attirer l’attention de l’âme dans la barque, mais celle-ci semble beaucoup plus attirée par un enfer d’apparence si accueillante. De plus, le chemin peu éclairé qui mène au paradis semble périlleux par la présence de rochers, de marais et autres obstacles dangereux. Une fois de plus, ce sont nos sens qui risquent de nous conduire à faire un choix littéralement infernal.
Le sujet du tableau est donc clairement celui du bivium, le choix binaire qui se pose à la croisée des chemins et offre au spectateur pèlerin le choix entre la voie du vice et celle du salut.
Sébastien Brant, La Nef des fous, illustration de Hercule à la croisée des chemins.
Ce thème est très répandu à l’époque. On le retrouve dans la Nef des Fous de Sébastien Brant, sous la forme d’Hercule à la croisée des chemins. Dans cette illustration, à gauche, en haut d’une colline, une femme nue représente le vice et l’oisiveté. Derrière elle, la mort nous sourit.
A droite, plantée au sommet d’une colline plus élevée, au bout d’un chemin rocailleux, attend la vertu symbolisée par le travail. Rappelons également que l’Evangile (Matthieu 7:13-14) évoque clairement le choix auquel nous serons confrontés : « Entrez par la porte étroite. Car large est la porte, spacieux est le chemin qui mènent à la perdition, et il y en a beaucoup qui entrent par là. Mais étroite est la porte, resserré le chemin qui mène à la vie, et il y en a peu qui les trouvent ».
Le paysage comme objet de contemplation
L’historien d’art Reindert Leonard Falkenburg, dans sa thèse doctorale de 1985, fut le premier à constater que Patinir s’amuse à transposer ce langage métaphorique à l’ensemble de son paysage. Bien que l’image de rochers infranchissables, comme métaphore de la vertu à laquelle on aboutit en choisissant le chemin difficile, ne soit pas une nouveauté, Patinir exploite cette idée avec une virtuosité sans précédent. On découvre ainsi que le thème de l’homme qui se détourne courageusement de la tentation d’un monde qui piège notre sensorium, est le thème théo-philosophique sous-jacent de presque tous les paysages de Patinir. Ainsi, son œuvre trouve sa raison d’être en tant qu’objet de contemplation, où l’homme se mesure à l’infini.
Retournons à notre Paysage avec Saint Jérôme de Patinir (National Gallery, Londres). On y découvre la « porte étroite » conduisant à un chemin difficile qui nous porte vers un premier plateau. Ce n’est pas la montagne la plus élevée. La plus haute, telle une tour de Babylone, est symbole d’orgueil. Regardons ensuite Le repos sur le chemin d’Egypte (Musée du Prado, Madrid). Au bord du chemin, Marie est assise et devant elle, par terre, sont disposés le bâton du colporteur et son panier typique.
Joachim Patinir, Le repos de la Sainte famille, Musée du Prado, Madrid.
Pour conclure, on pourrait dire que, poussé par sa ferveur spirituelle et humaniste, en peignant des rochers de plus en plus infranchissables — traduisant l’immense vertu de ceux qui décident de les escalader — Patinir élabore non pas des paysages « réalistes », mais des « paysages spirituels », dictés par l’immense besoin de raconter le cheminement spirituel de l’âme.
Loin d’être de simples objets esthétiques, ses paysages spirituels servent la contemplation. Comme image en miroir, à moitié ironique, ils permettent, à ceux qui le désirent, de préparer les choix auxquels leur âme sera confrontée pendant, et après le pèlerinage de la vie.
Bibliographie sommaire :
R.L. Falkenburg, Joachim Patinir, Het landschap als beeld van de levenspelgrimage, Nijmegen, 1985.
Maurice Pons et André Barret, Patinir ou l’harmonie du monde, Robert Laffont, 1980.
Eric de Bruyn, De vergeten beeldentaal van Jheronimus Bosch, Adr. Heinen, s’Hertogenbosch, 2001.
Dirk Bax, HieronymusBosch, his picture-writing deciphered, A.A. Balkema, Capetown, 1979.
Georgette Epinay-Burgard, GérardGroote, fondateur de la Dévotion Moderne, Brepols, 1998.
La vue d’un objet terrible nous transporte d’enthousiasme, parce que nous sommes capables de vouloir ce que les instincts rejettent avec horreur, et de rejeter ce qu’ils désirent. (Friedrich Schiller)
Introduction
Parfois, j’entends des amis exclamer l’horreur qu’ils éprouvent devant une scène lamentable appartenant à la vie politique actuelle : « C’était du Bosch ! » s’exclament-ils.
Cette réaction reflète le fait que, dans le meilleur des cas, l’histoire n’a retenu qu’une image très superficielle du peintre Jheronimus Anthoniszoon van Aken, dit Jérôme Bosch (1450-1516), un quasi-contemporain de Léonard de Vinci (1452-1519).
L’histoire le dépeint généralement comme un « inventeur très noble et admirable de choses fantastiques et bizarres », pour reprendre la formulation de Guicciardini, un aristocrate italien en visite au Pays-Bas en 1567.
Figure 1 : Tu ne t’échapperas pas ! Eau-forte de Francesco Goya.
D’une façon similaire, mais plus près de nous dans le temps, aussi bien le peintre républicain militant Francesco Goya que le patriote Américain Edgar Allan Poe ont été à tort désignés comme des adeptes d’un art que l’on désigne comme « fantastique ».
Le bon François Rabelais nous rappelle que déjà Alcibiade, dans Le Banquet de Platon, avait remarqué qu’une apparence hideuse peut cacher un contenu bien différent, quand il dit de Socrate, « estre semblable ès Silènes. Silènes estoient jadis petites boites, telle que voyons de présent ès bouticques des apothecaires, pinctes au-dessus de figures joyeuses et frivoles, comme des harpies, satyres, oysans bridez, lièvres cornuz, canes bastées, boucqs volans, cerfs limonniers et aultres telles pinctures contrefaites à plaisir pour exciter le monde à rire (quel fut Silène, maistre du bon Bacchus) ; mais au-dedans on réservoit les fines drogues comme baulme, ambre gris, amomon, musc, zivette, pierreries et aultres choses précieuses. »
Il en va ainsi pour les peintures de Bosch, dont il faut briser l’os pour pouvoir en tirer « la substantifique moelle ». Mais honnêtement , n’êtes vous pas déjà un peu familiarisé avec ces monstres bizarres et fantastiques ?
Après tout, il suffit d’entreprendre un effort intellectuel rigoureux pour subir l’assaut soudain et violent de grands et petits désirs qui vous troublent au point de parfois réussir à complètement vous détourner de vos nobles entreprises et résolutions.
Fig. 2. Le sommeil de la raison engendre des monstres Francesco Goya, 1797, Les caprices, Planche 43.
Hélas, peu sont ceux armés pour mettre en accord leurs paroles et leurs actes. Dans une de ses eaux-fortes, No te escaperas (Tu n’échapperas pas)(Fig. 1), le peintre espagnol Francesco Goya amène le spectateur à réfléchir sur le même sujet. L’âme humaine (sa créativité) s’avère être assez souvent prisonnière de son corps.
De façon similaire à Bosch, et comme un psychologue compassionné, Goya nous dit : Le sommeil de la raison engendre des monstres (Fig. 2).
Ne nous endormons donc pas !
Déjà, l’une des choses qui peut tenir notre raison éveillée est le rire sain et l’ironie de soi, et l’avis aux lecteurs que Rabelais met au début du Gargantua vaut sans doute aussi pour les tableaux de Bosch :
Amis lecteurs qui ce livre lisez, Despouillez-vous de toute affection, Et, le lisant, ne vous scandalisez : Il ne contient mal ne infection Vray est qu’ici peu de perfection Vous apprendrez, sinon en cas de rire ; Aultre argument ne peut mon cœur élire, Voyant le dueil qui vous mine et consomme. Mieux est de ris que de larmes escripre, Pour ce que rire est le propre de l’homme. ».
Mais au-delà de ce rire libérateur, nous allons tenter de démontrer que la démarche de Bosch apparente à ce domaine que Friedrich Schiller appelle « le Sublime ».
Schiller et le Sublime
Fig. 3 : Le poète de la liberté Friedrich Schiller.
Friedrich Schiller (1759-1805) (Fig. 3) est un poète révolutionnaire qui inspire beaucoup de républicains de son époque. Il prend conscience que pour créer une véritable république, il ne suffit pas de prendre le pouvoir et d’écrire une belle constitution.
Il faut faire naître une révolution dans le cœur des hommes et pour cela Schiller élabore une culture esthétique capable de transformer et d’élever la nature humaine pour faire des hommes libres.
Ainsi, pour lui, le chef-d’œuvre de l’art est l’avènement de la liberté politique, une liberté qui doit naître à l’intérieur de chacun.
Dans une polémique contre Kant, et à partir d’un débat amorcé par Lessing et Mendelssohn, Schiller défend l’idée qu’il existe quatre catégories distinctes grâce auxquelles un objet peut acquérir une dimension esthétique : « l’Agréable », « le Bon », « le Beau » et « le Sublime ».
Il en dit :
l’Agréable est indigne d’être le socle de l’Art. Puisque l’Agréable ne plait que par sa matière, il ne peut satisfaire que les sens.
Le Bon, au contraire, plaît à la raison grâce à l’idée. Mais en faisant abstraction de la sensibilité humaine, le Bon ne peut qu’inspirer, au mieux, l’estime.
Le Beau seul, avec le Sublime, appartient entièrement à l’Art. Grâce à notre intuition et par l’intermédiaire des sens, nous sommes capables de contempler sa forme qui plait à notre raison et est agréable à nos sens.
Cependant, avec ces trois définitions Schiller reste sur sa faim et cherche donc quelque chose d’encore plus élevé qu’il appelle das erhebene [le sublime]. Il dit :
Mais avons-nous épuisé la classification des attributs esthétiques ? Non, il y a des objets qui sont à la fois laids, révoltants et effrayants pour la sensibilité, qui ne satisfont point l’entendement, et sont indifférents au jugement moral, et ces objets ne laissent pas de plaire, oui de plaire à un tel point, que volontiers nous sacrifions le plaisir des sens et celui de l’entendement pour nous procurer la jouissance de ces objets. »
Il choisit ensuite un exemple pour démontrer l’énorme gouffre qui sépare l’Agréable du Sublime :
Il n’y a rien de plus attrayant dans la nature qu’un beau paysage éclairé par la pourpre du soir. La riche variété des objets, le moelleux des contours, ces jeux de lumière qui renouvellent à l’infini les aspects, cette vapeur légère qui enveloppe les objets lointains : tout concours à charmer nos sens. Joignez-y pour accroître notre plaisir le doux murmure d’une cascade, le chant des rossignols, une musique agréable.
On se laisse aller à une douce sensation de repos, et, tandis que nos sens touchés par l’harmonie des couleurs, des formes et des sons, éprouvent au plus haut degré l’agréable, l’esprit est réjoui par le cours facile et ingénieux des idées, le cœur par les sentiments qui débordent en lui comme un torrent. »
Un paysage joli et paisible comme nous le voyons Figure 4 permet d’illustrer son propos.
Fig. 4 : George Loring Brown, peinture, Paysage de montagne, 1846.
Soudain un orage s’élève, qui assombrit le ciel et tout le paysage, qui domine ou fait taire tous les autres bruits, et qui nous enlève subitement tous nos plaisirs.
Des nuages noirs cernent l’horizon ; le tonnerre tombe avec un bruit assourdissant, l’éclair succède à l’éclair : la vue et l’ouïe sont affectées de la façon la plus révoltante. L’éclair ne brille que pour nous rendre plus visibles les horreurs de la nuit : nous voyons tomber la foudre, que dis-je, nous commençons à craindre qu’elle tombe sur nous. Eh bien, cela ne nous empêche pas de croire que nous avons plus gagné que perdu à l’échange. »
Mais ce sentiment qu’il découvre dépasse en même temps le bon et le beau :
Pourtant le spectacle que nous offre alors la nature est en soi plutôt funeste que bon ; il est plutôt laid que beau, car l’obscurité nous dérobant toutes les images que produit la lumière, ne peut être en soi une chose plaisante ; et ces ébranlements soudains que le tonnerre imprime à la masse de l’air, ces lueurs subites quand l’éclair déchire la nue, tout cela est contraire à une des conditions essentielles du beau, qui ne comporte rien d’abrupt, rien de violent. »
Fig. 5 : Johannes Vermeer, peinture, Orage sur Delft, 1660.
Le tableau du peintre hollandais Johannes Vermeer, Orage sur Delft, laisse entrevoir la menace d’un orage au point d’éclater. (Fig. 5)
Ainsi, pour Schiller, ce sublime est « un état pénible, qui dans son paroxysme, se manifeste par une sorte de frisson ; et un état joyeux, qui peut aller jusqu’au ravissement », mais ce sublime « nous ouvre une issue pour franchir les bornes du monde sensible, où le sentiment du beau voudrait bien nous retenir à tout jamais emprisonnés ».
Et il dit :
En présence de la beauté, la raison et la sensibilité se trouvent en harmonie, et ce n’est qu’à cause de cette harmonie que le beau a de l’attrait pour nous. Par conséquent, la beauté seule ne saurait jamais nous apprendre que notre destinée est d’agir comme de pures intelligences, et que notre destinée est que nous sommes capables de nous montrer tels.
En présence du sublime, au contraire, la raison et la sensibilité ne sont point en harmonie, et c’est précisément cette contradiction entre l’une et l’autre qui fait le charme du sublime, son irrésistible action sur nos âmes. Ici, l’homme physique et l’homme moral se séparent de la façon la plus tranchée ; car c’est justement en présence des objets qui font seulement sentir au premier combien sa nature est bornée, que l’autre fait l’expérience de sa force : ce qui abaisse l’un jusqu’à terre est précisément ce qui relève l’autre jusqu’à l’infini. »
On peut aisément identifier cette opposition extrême entre la raison et la sensibilité, dans le tableau de Jérôme Bosch, Le portement de Croix de Gent (fig. 6).
Fig. 6 : Jérôme Bosch, peinture, Le portement de croix, Musée des beaux arts, Gent.
Le contraste puissant entre le doux visage du Christ et la folie horrible de ceux qui l’amènent au Golgotha fait ressortir le caractère sublime du Christ, capable de résister à ce que nous appellerions aujourd’hui « l’opinion publique » ou « ce que disent les média ».
La série de Têtes grotesques de Léonard de Vinci indique des recherches dans la même direction. Il n’est d’ailleurs pas exclu que Jérôme Bosch fit un ou plusieurs voyages en Italie.
Comment alors, diriez-vous, et où ce peintre Flamand a-t-il trouvé à la fin du quinzième siècle une approximation d’idées aussi modernes que celles du sublime que Schiller exposa seulement à la fin du dix-huitième siècle ?
La Dévotion moderne
Fig. 7 : Panorama de la ville de ‘s Hertogenbosch
Le siècle de Bosch est avant tout caractérisé par une soif inégalée de savoir et de découvertes : on y apprenait à domestiquer les secrets de la nature, on scrutait intellectuellement mais aussi physiquement les confins lointains de la terre, et grâce à l’imprimerie un nombre croissant d’individus accéda aux savoirs de civilisations oubliées, pourtant fondatrices de l’européenne.
Au nord des Alpes, un des puissants vecteurs de cet élan étaient les Frères et Sœurs de Vie Commune, un ordre enseignant séculier international qui se concentrait sur l’éducation par la traduction et la diffusion des meilleurs savoirs.
Initialement en conflit avec une église en proie à la corruption terrestre, ils seront à l’origine d’un courant chrétien révolutionnaire : la Dévotion moderne qui sera une pépinière extraordinaire de l’humanisme montant exemplifié par le philosophe scientifique et cardinal, Nicolas de Cues, le cartographe Mercator, ou le prince des humanistes, Erasme de Rotterdam. Pourquoi révolutionnaire ? Parce qu’à l’opposé de la vision rigoriste et scholastique pour qui l’homme est essentiellement « mauvais » et uniquement sujet à correction par un code de conduite morale extérieure, la Dévotion Moderne partait de la conviction optimiste qu’on pouvait consolider une autorité intérieure dans tout un chacun, permettant à l’homme de mettre en accord son libre arbitre avec la volonté du créateur visant à accroître le bien sur terre.
Canaux de ‘s Hertogenbosch.
Jos Koldeweij, un des commissaires de l’exposition consacrée à Bosch à Rotterdam en 2002, ne dit rien d’autre quand il écrit :
Ce mouvement réformateur incitait fermement chaque fidèle à vivre sa propre interprétation du christianisme, par l’expérience personnelle et l’imitation individuelle du Christ. Il fallait cesser de rejeter sa propre responsabilité sur les grandes figures de la Bible et de l’histoire Sainte. L’homme ne pouvait plus s’en remettre à l’intercession de la Vierge, des apôtres et des saints. Il devait, tout en suivant les exemples, prêter un contenu personnel à l’idéal de la vie chrétienne. Chaque individu, à titre individuel et pleinement conscient de sa nature de pêcheur, avait constamment le choix entre le bien et le mal ».
Fig. 8 : La maison de la Confrérie Notre-Dame
Jérôme Bosch, peintre établi et assez fortuné, était en contact permanent avec ces cercles d’érudits humanistes qui avaient choisi sa ville ‘s Hertogenbosch (Fig. 7) comme un des épicentres de leur mouvement. Comme membre de la Confrérie Notre Dame (Fig. 8), il était proche d’un des dirigeants les plus importants des Frères de la Vie Commune, Simon van Couderberch, premier recteur de l’Ecole Latine de ‘s Hertogenbosch.
Elever la culture populaire
Une meilleure compréhension de l’histoire de la culture drolatique néerlandaise nous permet finalement d’abolir ce mur de cinq cents ans qui nous a séparé du langage culturel très imagé de Bosch.
Balayons donc ce fatras d’interprétations simplistes et symbolistes que nous servent régulièrement des auteurs freudiens, jungiens et autres surréalistes, car la grande lisibilité des œuvres de Bosch pour ses contemporains est désormais amplement démontrée.
Tout d’abord, en dehors de l’éducation des élites, il faut souligner que les Frères de la Vie Commune, se sont démenés pour le développement de belles langues nationales, dont le néerlandais, capables « d’élever à la dignité d’homme tous les membres de l’espèce humaine » comme le formulera Lazare Carnot plus tard.
Cette langue, tout comme le Français, date de l’époque de Charlemagne et va prospérer dans un peuple qui non seulement découvre le monde, mais se découvre lui-même en découvrant.
La pierre angulaire de l’approche Bosschienne sera précisément de « vulgariser » (traduire en vulgate), de rendre accessible à la culture populaire de son époque le christianisme révolutionnaire des élites de la Dévotion moderne en employant des images « provocantes » et le rire socratique. Comme son unique véritable héritier Pierre Bruegel l’aîné, Jérôme Bosch est non seulement le produit, mais une des sources de cette culture exubérante et drolatique.
Des nouvelles recherches, présentées notamment lors de l’exposition de Rotterdam en 2002 ont permis de montrer des dizaines d’exemples qui témoignent d’un environnement culturel préexistant extrêmement riche, comme ce bracelet-rébus des musiciens de la ville de ‘s Hertogenbosch, la ville natale de Bosch (Fig. 9).
Fig. 9 : Frans Vueechs, rébus Bracelet des musiciens.
Il s’agit de Bois-le-duc, c’est-à-dire d’une ville construite au centre du bois où le duc venait chasser. Mais le rébus se lit ainsi : D’abord un S suivi d’un cœur (hert qui veut aussi dire cerf), suivi de deux yeux (ogen) suivie des lettres Bossche. Ce qui donne ‘s Hert-ogen-bossche.
Un des dessins bizarres de Bosch montre un champ couvert avec des yeux et des arbres ornés d’immenses oreilles (Fig. 10).
Figure 10 : Jérôme Bosch, dessin, Le champs a des yeux, la forêt a des oreilles…
Le tronc mort d’un arbre, dans lequel se loge un cerf semble faire référence au même rébus sur le nom de la ville ‘s Hertogenbosch.
Le texte manuscrit en Latin qu’on peut lire en haut de la page Miserrimi quippe est ingenii semper uti inventis et nunquam inveniendis (c’est un esprit pauvre qui travaille avec les inventions des autres, et est incapable d’en faire lui-même) nous indique que Bosch était familier avec ce concept qu’on retrouve presque à l’identique dans le Traité de la Peinture de Léonard de Vinci, mais ne nous fournit toujours pas les clefs pour déchiffrer l’image.
Fig. 10 bis : Anonyme, gravure sur bois de 1546 sur le même sujet.
Une gravure sur bois de 1546 (Fig. 10 bis), d’un anonyme, représente un dicton populaire qui dit « Dat velt heft ogen/dat Wolt heft oren/ Ick wil sien/swijghen ende hooren » (Le champ a des yeux, le bois a des oreilles. Je veux voir, me taire et entendre.)
C’était comme un avertissement : attention il y a de drôles de choses qui se passent dans notre ville, il faut faire très attention !
Le fait que les images employées dans cette métaphore sont identiques à celles de Bosch nous prouve une fois de plus que Bosch n’était pas un marginal délirant et train de caresser ses hallucinations.
Il faut avouer que sans connaître le dicton, les yeux dans les champs et les oreilles aux arbres ne peuvent que nous paraître totalement surréaliste.
Sortir des marges des manuscrits
A gauche Fig. 12, girafe du manuscrit « Voyage en Égypte » de Cyriaque d’Ancône; A droite Fig. 11, Jérôme Bosch, détail de la girafe dans le panneau de gauche du « Jardin des délices terrestres » (Prado, Madrid);
Autre exemple très convaincant présent à l’exposition de Rotterdam : plusieurs dizaines de minuscules images sous forme d’épinglettes en fer, des pin’s parmi lesquels une bonne quarantaine montrent des similitudes avec l’iconographie des tableaux de Bosch.
Il y a les pin’s que ramenaient les pèlerins de leurs voyages, mais aussi de simples épinglettes que les gens portaient pour s’amuser ou intriguer, avec des rébus ou simplement des formes drôles, comme un poulet rôti, un chien ou un simple pantalon sur le fil de séchage. Ou cet homme-cornemuse ou une moule, blagues sexuelles.
D’autres images proviennent des manuscrits de l’époque. Par exemple cette magnifique girafe figurant dans le panneau gauche du Jardin des délices (Fig. 11) qu’on trouve telle qu’elle dans le Voyage en Egypte de Cyriaque d’Ancône (Fig. 12), écrit à la fin quinzième siècle.
Parsemée d’énigmes visuelles, de dictons, de proverbes, de contrepèteries, de cryptogrammes, de jeux de mots, de rébus et de métaphores, cette culture pêchait par ses superstitions, ses préjugés et ses grossièretés.
En l’élevant dans un processus de dialogue, Bosch réussit à évacuer ce vulgaire sans étouffer le vivant et le naturel.
Thomas a Kempis et le char de foin
Mais pour bien comprendre toute la dimension de Bosch, on ne peut pas faire l’économie d’une rencontre avec l’œuvre d’un des fondateurs de la Dévotion Moderne, Thomas a Kempis (1379-1471). On attribue à cet auteur L’imitation du Christ, un petit livre qu’on estime être le plus lu au monde, après la Bible.
Face à une église gangrenée par une corruption touchant tous les échelons de sa hiérarchie, et aussi en tant que bon augustinien, a Kempis y développe l’argument que la source principale du péché découle de l’attachement de l’homme au domaine terrestre, en particulier par les sens. (Evidemment, quand Schiller pose cette même problématique en discutant du Sublime, il le fait en termes philosophiques et non en termes théologiques). Voilà le sujet central de tout l’œuvre de Bosch. Le peintre traitera toujours ce sujet avec beaucoup de compassion et un humour hors pair, comme dans le tableau le Char de foin (Fig. 13).
Fig. 13 : Jérôme Bosch, « Le char de foin » une allusion à la vanité des richesses terrestres.
On y voit un char de foin, allégorie de la vanité des richesses terrestres, tiré par d’étranges créatures qui s’avancent vers l’enfer. Le duc de Bourgogne, l’empereur d’Allemagne, et même le pape en personne (c’est l’époque de Jules II…) suivent le char de près, tandis qu’une bonne douzaine de sujets se bat jusqu’à la mort pour attraper un brin de paille. A l’avant-plan, un abbé se fait remplir des sacs entiers avec du foin, un faux dentiste et aussi des tsiganes trompent les gens pour un peu de paille. Une nonne offre même une poignée de foin à un musicien en attrapant une saucisse accrochée à une ficelle (sollicitant une faveur sexuelle). On sait aujourd’hui que lors des fêtes populaires dans la région, comme on peut le voir dans une gravure de Frans Hogenberg de l’Ommeganck d’Anvers de 1563, des vrais chars de foin sortaient dans la rue, surmontées d’acteurs déguisés. Bien qu’on estime que peu de personnes aient pu admirer ce tableau, il est certain qu’à travers cette représentation folklorique un grand nombre a pu ainsi accéder à la métaphore.
L’allégorie de la paille se trouve déjà directement dans la bible (Isaïe, 40,6) :
Toute chair est de l’herbe, et tout son éclat comme la fleur des champs ; l’herbe sèche, la fleur se flétrit quand le souffle de Yahvé passe dessus. Oui, le peuple est de l’herbe. L’herbe sèche, la fleur se flétrit, mais la parole de notre Dieu se réalise à jamais. »
Aujourd’hui on pourrait dire que le char de foin d’aujourd’hui est la bulle spéculative de plus de 400.000 milliards de dollars, suivie par beaucoup et tirée par des homme-bêtes qui tiennent le monde en haleine ! Thomas a Kempis écrit dans l’Imitation de Jésus Christ :
« Vanités des vanités, tout n’est que vanité, hors aimer Dieu et le servir seul. La souveraine sagesse est de tendre au royaume du ciel par le mépris du monde.
— Vanité donc, d’amasser des richesses périssables et d’espérer en elles. Vanités, d’aspirer aux honneurs et de s’élever à ce qu’il y a de plus haut.
— Vanité, de suivre les désirs de la chair et de rechercher ce dont il faudra bientôt être rigoureusement puni.
— Vanité, de souhaiter une longue vie et de ne pas se soucier de bien vivre.
— Vanité, de ne penser qu’à la vie présente et de ne pas prévoir ce qui la suivra.
— Vanité, de s’attacher à se qui se passe si vite et de ne pas se hâter vers la joie qui ne finit point.
Rappelez-vous souvent cette parole du sage : l’œil n’est pas rassasié de ce qu’il voit, ni l’oreille remplie de ce qu’elle entend.
Appliquez-vous donc à détacher votre cœur de l’amour des choses visibles, pour le porter tout entier vers les invisibles, car ceux qui suivent l’attrait de leurs sens souillent leur âme et perdent la grâce de Dieu. »
Le colporteur
Fig. 14 : Jérôme Bosch. Ici le colporteur n’est qu’une métaphore du chemin choisi par l’âme qui se détache sans cesse des tentations terrestres. Avec son bâton (la foi), le croyant repousse le pêché (le chien) qui vient lui mordre les mollets.
Le Colporteur(Fig. 14) (appelé à tort le Retour de l’enfant prodigue) qu’on trouve sur les panneaux extérieurs du char de foin ne trouve une explication qu’à la lumière de cette approche philosophique.
La thèse doctorale remarquable du professeur Eric de Bruyn prouve d’une façon convaincante que le colporteur est une allégorie de l’Homme qui se bat pour rester sur le bon chemin et tient à ne pas quitter sa voie. Il avance op een slof en een schoen (sur une pantoufle et une chaussure) c’est-à-dire, qu’il devient volontairement sans domicile fixe, quittant le monde visible du péché (nous voyons un bordel et des ivrognes) et abandonnant ses possessions matérielles.
Avec son bâton (la foi) il réussi à repousser les chiens infernaux, qui tentent de le retenir. Une fois de plus, il ne s’agit point de manifestations de l’imagination exubérante de Bosch, mais d’un langage partagé à l’époque. On trouve cette représentation allégorique en marge du fameux Luttrell Psalter, un psautier anglais du quatorzième siècle (Fig. 15).
Figure 15 : Luttrell Psaltar, colporteur avec bâton et chien infernal, British Library, Londres.
Derrière le colporteur, l’on voit un arbre avec une chouette sur des branches effeuillées, autre clef pour comprendre l’œuvre de Bosch. A son époque, le hibou ou la chouette, étaient utilisés par les oiseleurs comme appât pour attirer d’autres oiseaux qui s’engluaient dans la colle repartie sur les branches alentour, comme dans le dessin de la Figure 10. Fort différent du symbole de la sagesse dans la Grèce classique (Athéna), l’image est ici est une allégorie du vice qui attire l’homme et le prend en otage.
Confronté a l’agonie de cette bataille intérieure pour devenir meilleur, le spectateur, a l’imitation du Christ doit choisir entre le bien et le mal et obligé d’accorder son libre arbitre avec le dessein du créateur.
Le jardin des délices terrestres
Comme nous l’avons déjà souligné, pour Bosch comme pour Augustin, le mal, le péché n’est pas réductible à tel ou tel comportement particulier, mais il est la conséquence de l’attachement aux biens terrestres, y compris de ceux… qui servent le bien !
Fig. 16 : Dans son jardin des délices terrestres, Bosch se moque de ceux qui se livrent à la recherche effrénée des plaisirs terrestres dont il compare l’effet éphémère à celui que puissent éprouver les animaux pour des petits fruits (fraises, groseilles, mûres, etc.)
En ce sens, pour Bosch comme pour Dante Alighieri, le péché suprême devient l’attachement à un paradis terrestre, sujet que Bosch a traité à plusieurs reprises.
En 1494, l’humaniste strasbourgeois Sébastian Brant, dans la Nef des Fous, thème repris par Bosch dans un autre tableau, ne dit-il pas : « Fuis les plaisirs du monde que rechercha jadis le roi Sardanapale qui pensait devoir vivre au jardin des délices en pleine volupté dans la joyeuseté ».
Dans son tableau le Jardin des délices (Fig. 16), probablement le plus connu et de loin le plus polémique, il part d’une iconographie assez habituelle du jardin d’Eden.
Fig. 17 : Le volet de gauche figure Dieu scellant un mariage juste entre Adam et Eve devant la création comprenant le bien et le mal.
Mais si l’on regarde de plus près, on remarque tout de suite qu’il y a déjà quelque chose de pas bizarre, puisqu’autour de la fontaine de la vie grouille une foultitude de monstres mi-homme mi-animal, des créatures comme on en trouve dans les marges enluminés des manuscrits flamands du début du quinzième siècle.
Aujourd’hui, les chercheurs pensent aujourd’hui que le titre d’origine était Sicut erat in diebus Noe (Comme aux jours de Noé). La citation est empruntée à Mathieu 24 :37-39 :
« Comme aux jours de Noé, ainsi sera l’avènement du Fils de l’homme. En ces jours qui précédèrent le déluge, on mangeait et on buvait, on prenait femme et mari… et les gens ne se doutèrent de rien jusqu’à l’arrivée du déluge, qui les emporta tous. Tel sera aussi l’avènement du Fils de l’homme ».
Fig. 18 : La frénésie de la recherche du plaisir immédiat.
Puisque péché et corruption étaient monnaie courante à la fin du quinzième siècle, Léonard de Vinci, Albrecht Dürer et bien d’autres humanistes n’excluaient pas l’avènement d’un nouveau déluge en l’an 1500, et l’on peut penser que Bosch l’a conçu à cette occasion. Le volet de gauche figure Dieu scellant un mariage juste entre Adam et Eve devant la création comprenant le bien et le mal. Dans les arbres : des mûres, des groseilles et des cerises (Fig. 17).
Tandis que le panneau de droite représente l’enfer en tant que tel, tout le panneau central se décline comme une série de variations sur ce thème comment en est-on arrivé là ? Le péché y est représenté par l’allégorie très riche du petit fruit rouge : fraises, cerises et autres framboises, qu’hommes et femmes tentent d’attraper comme des animaux dans une incomparable frénésie (Fig. 18-19).
Fig. 19 : Scène digne de Woodstock : le plaisir facile pour tous !
Un homme ramène sa fraise et la montre à sa dame… (Fig. 20) Une fois le bref plaisir consommé, les fruits et fleurs des champs se dessèchent et tombent en poussière. Puisque le paradis terrestre est l’enfer de l’immédiateté, le tableau ne comporte ni enfants ni vieillards. Chaque figure, prise individuellement, est d’un ridicule hilarant, mais il devient clair pour le spectateur qu’un monde dominé par ses êtres serait un enfer effroyable !
Remarquez une fois de plus l’omniprésence du hibou qui se niche d’emblée dans la fontaine de la vie et qu’on retrouve dansant comme un quasi-sorcier à l’extrême droite du panneau central, c’est-à-dire juste avant le passage en enfer (Fig. 21).
Fig. 20 : Alors qu’à droite on se gave de fruits rouges, l’homme à gauche exhibe fièrement sa fraise.
Qu’il puisse s’agir du moment précédant le déluge est également suggéré par un dessin préparatoire, où l’on voit un bordel (le vice) dans un œuf coincé en hauteur par un tronc d’arbres qui flotte sur un plan d’eau…
Quand on voit l’omniprésence des d’instruments de musique dans les enfers de Bosch, on se demande d’où vient tant d’acharnement ? Un petit commentaire d’Erasme de Rotterdam, intitulé Moeurs musicales modernes, permet de resituer cette polémique dans son contexte historique :
« Aujourd’hui, dans certains pays, c’est une coutume de publier tous les ans des chansons nouvelles, que les jeunes filles apprennent par cœur. Le sujet de ces chansons est à peu près de la sorte : Un mari trompé par sa femme, Ou une jeune fille préservée en pure perte par ses parents, Ou encore une coucherie clandestine avec un amant. Et ces actions sont rapportées d’une façon telle qu’elles paraissent avoir été accomplies honnêtement, et l’on applaudit à l’heureuse scélératesse. A des sujets empoisonnés viennent s’ajouter des paroles d’une telle obscénité par les moyens des métaphores et d’allégories que la honte en personne ne pourrait s’exprimer plus honteusement. Et ce commerce nourrit un grand nombre de gens, surtout dans les Flandres. »
Fig. 21 : En Flandres le hibou, capable de voir la nuit et donc de s’emparer des hommes, est un symbole du mal.
Bosch montre le caractère dégradant, non de « la » musique, mais de certaines musiques qui font perdre la tête aux gens, conçues pour ramener l’homme à ses instincts et lui aliéner sa liberté.
Fou ou Sublime ?
Historiquement, une alliance tacite entre apolloniens néo-classiques, partisans d’un beau aseptisé et pétrifié, et dionysiaques romantiques adeptes d’un fantastique irrationnel qu’ils ont substitué au Sublime, se sont entendus pour jeter le discrédit sur Bosch. D’abord accusé d’être membre d’une secte exhibitionniste adamite (regroupant bien sûr des membres du clergé…), l’aile radicale des Frères et Sœurs de l’Esprit Libre, qui croyait à un retour au paradis terrestre expurgé du péché originel, il fut ensuite présenté comme un hérétique cathare, un alchimiste initié, un toxicomane renifleur d’huile de pavot, un Rose-croix, un schizophrène voire une personnalité névrosée obsédée, d’une sexualité débridée.
Cette thèse, explicitement formulée par Fraenger, fut largement popularisé après la Deuxième Guerre mondiale comme support à l’offensive synthétique de la contre-culture du rock/drogue/sexe.
Face au Sublime de Bosch, beaucoup s’interrogent timidement et se demandent : Mais alors, où est le positif, où sont le bien et le beau ? Une fois de plus, tout comme pour Francesco Goya au dix-neuvième siècle dans les Caprices, Bosch cherche à troubler notre sensorium avec des images dont le seul but est de faire apparaître dans nos esprits, plutôt que sur sa toile, un type de beauté supérieure qui sera éternellement caché à nos sens, mais enfin accessible à notre âme. Schiller dit même que :
C’est aussi l’incompréhensible, ce qui échappe à l’entendement et ce qui le trouble, qui peut servir à nous donner une idée de l’infini supra-sensible, dès que cet élément va jusqu’à la grandeur, et s’annonce à nous comme l’ouvrage de la nature : il aide alors notre âme à se représenter l’idéal, et lui imprime un noble essor. Qui n’aime mieux l’éloquent désordre d’un paysage naturel que l’insipide régularité d’un jardin français ? »
Alors, faut-il faire la guerre au beau ? Prenez cette dernière citation de Schiller comme une réponse :
Le beau a droit à notre reconnaissance, mais son bienfait ne va pas au-delà de l’homme. Le sublime s’adresse dans l’homme au pur esprit ; et puis qu’enfin c’est notre destination, malgré toutes les barrières que nous oppose la nature sensible, de nous diriger selon le code des purs esprits, il faut que le sublime se joigne au beau pour faire de l’éducation esthétique un tout complet, pour que le cœur humain et sa faculté de sentir s’entendent aussi loin que va notre destination, et, par conséquent, par delà des limites du monde sensible. »
L’auteur du livre que nous présentons ici, Michael Gibson, était critique d’art à l’International Herald Tribune et a écrit plusieurs monographies de peintres dont une sur Bruegel (Nouvelles Editions françaises, Paris 1980).
En septembre 1999, Michael Gibson nous a reçu chez lui pour nous accorder un entretien qui résume son point de vue original.