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Avicenne et Ghiberti, leur rôle dans l’invention de la perspective à la Renaissance

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Tout visiteur du centre historique de Florence pose fatalement, à un moment donné, son regard sur les portes richement décorées du Baptistère, cet édifice roman faisant face à la cathédrale Santa Maria del Fiore, coiffée par Filippo Brunelleschi de sa magnifique coupole.

Dans cet article, Karel Vereycken apporte un éclairage nouveau sur les apports arabes à la science et le rôle crucial de Lorenzo Ghiberti dans l’invention de la perspective à la Renaissance.

Le Baptistère et ses portes.

Le Baptistère, que la plupart des Florentins pensaient être construit sur l’emplacement d’un temple romain dédié à Mars, le dieu tutélaire de l’ancienne Florence, est l’un des plus anciens bâtiments de la ville, construit entre 1059 et 1128 dans le style roman local.

Le poète italien Dante Alighieri et de nombreuses autres personnalités de la Renaissance, dont des membres de la famille Médicis, y furent baptisés.

A la Renaissance, à Florence, les corporations et les guildes se disputaient le premier rôle à coup de réalisations artistiques toutes aussi prestigieuses les unes que les autres.

Alors que l’Arte dei Lana (Corporation des producteurs de laine) finançait les Œuvres (Opera) du Duomo et donc la construction de sa coupole géante, l’Arte dei Mercatanti o di Calimala (Guilde des marchands d’étoffes étrangères) s’occupait du Baptistère et finançait l’embellissement des portes.

Les portes du Paradis

Le bâtiment octogonal possède quatre entrées, dont trois ont acquis une renommée artistique mondiale avec des portes ornées de bas-reliefs en bronze, recouverts entièrement ou en partie d’une fine couche d’or. Trois dates marquent les travaux : 1339, 1401 et 1424.

  • En 1329, sur recommandation du peintre Giotto, la Calimala commande à Andrea Pisano (1290-1348) la décoration de la porte sud (initialement installée à l’est mais déplacée par la suite). Celle-ci se compose de 28 panneaux quadrilobés, un motif en forme de trèfle tiré des vitraux gothiques. 20 panneaux supérieurs représentent des scènes de la vie de saint Jean-Baptiste (le patron de l’édifice). Les 8 panneaux inférieurs représentent les 8 vertus (espérance, foi, charité, humilité, force d’âme, tempérance, justice et prudence), louées par Platon dans sa République et représentées au XVIe siècle par le peintre humaniste flamand et lecteur de Pétrarque, Pierre Bruegel l’Ancien.
Andrea Pisano. Portail en bronze du Baptistère (commencé en 1329),
détail : baptême de Jésus (à gauche) et de ses disciples (à droite).

Autoportrait de Lorenzo Ghiberti sur la porte du Nord (1401-1423)
  • En 1401, après avoir emporté de justesse le concours de sélection face à Brunelleschi, le jeune orfèvre Lorenzo Ghiberti (1378-1455), alors âgé de 23 ans et inexpérimenté, est mandaté par la Calimala pour décorer les vantaux de la porte nord.

    Avec l’aide de son père, il va réaliser son ouvrage en utilisant une technique connue sous le nom de « fonte à la cire perdue », technique qu’il a dû entièrement réinventer car perdue depuis la chute de l’Empire romain. L’une des raisons pour lesquelles Ghiberti a remporté le concours est le simple fait que sa technique était si avancée qu’elle nécessitait 20 % de métal en moins (7 kg par panneau) que celle de ses concurrents, le bronze étant un matériau onéreux, bien plus coûteux que le marbre. Sa technique, appliquée à l’ensemble de la décoration de la porte Nord, par rapport à celle de son concurrent, aurait permis d’économiser environ 100 kg de bronze. Or, en 1401, avec la peste qui harcelait régulièrement Florence, les conditions économiques étaient déclinantes, ce qui fait que la riche Calimala surveillait de près le coût du programme.

    Pendant de l’œuvre de son prédécesseur, les bronzes de la porte nord comprennent eux aussi 28 panneaux, dont 20 représentent la vie du Christ d’après le Nouveau Testament. Les 8 panneaux inférieurs représentent les quatre évangélistes et les Pères de l’Église, saint Ambroise, saint Jérôme, saint Grégoire et saint Augustin.
Thèmes du Nouveau Testament figurés par Ghiberti pour la Porte Nord.
Lorenzo Ghiberti, Porte nord (commencée en 1401), lors d’une récente restauration.
  • En 1424, Ghiberti, alors âgé de 46 ans, se voit confier (exceptionnellement, sans concours préalable) la tâche de réaliser également la porte est. Ce n’est qu’en 1452, à 70 ans, qu’il accroche les derniers panneaux de bronze, la construction ayant duré 27 ans !

    Selon les Vies des artistes de Giorgio Vasari (1511-1574), Michelangelo Buonarroti (1475-1564) les jugera plus tard « si belles qu’elles orneraient l’entrée du Paradis ».
Lorenzo Ghiberti, « Portes du Paradis »
(commencées en 1424, terminées en 1452).

Dessin, sculpture, anatomie, perspective, travail des métaux, architecture, etc., en deux générations, le grand chantier des Portes permit à une myriade d’assistants et d’élèves bien payés d’accéder à une formation hors pair.

Parmi eux, plusieurs artistes exceptionnels tels que Luca della Robbia, Donatello, Michelozzo, Benozzo Gozzoli, Bernardo Cennini, Paolo Uccello, Andrea del Verrocchio et les fils de Ghiberti, Vittore et Tommaso. Au fil du temps, ces portes de bronze pesant trois tonnes et hautes de 5,06 mètres sont devenues une icône de la Renaissance, l’une des œuvres d’art les plus célèbres au monde.

En 1880, le sculpteur français Auguste Rodin s’en inspira pour ses propres Portes de l’Enfer, sur lesquelles il travailla pendant 38 ans.

La révolution

L’autoportrait de Lorenzo Ghiberti, tout comme ses panneaux, fier d’émerger de la surface plane. Buste en bronze de la Porte du Paradis (réalisées entre 1424 et 1452).

Le changement radical de conception de la sculpture en bronze, intervenu entre la Porte du nord et la Porte orientale, est essentiel pour notre discussion ici, car il reflète la façon dont l’artiste et ses mécènes ont voulu partager avec le public leurs nouvelles idées, inventions et découvertes.

Les thèmes du portail nord de 1401 s’inspiraient de scènes du Nouveau Testament, excluant de facto le panneau réalisé par Ghiberti, Le Sacrifice d’Isaac, qui lui avait valu de remporter le concours la même année. Pour compléter l’ensemble, il était donc tout à fait logique que la porte orientale de 1424 reprenne les thèmes de l’Ancien Testament.

A l’origine, c’est l’érudit et ancien chancelier de Florence Leonardo Bruni (1369-1444) qui avait programmé une iconographie assez semblable aux deux portes précédentes. Après des discussions animées, sa proposition fut écartée pour quelque chose de radicalement nouveau. En effet, au lieu de prévoir 28 panneaux, on décida, pour des raisons esthétiques, d’en réduire le nombre à seulement 10 reliefs carrés beaucoup plus grands, entre des bordures contenant des statuettes dans des niches et des médaillons avec des bustes.

Ainsi, chacun des 10 chapitres de l’Ancien Testament contient, pour ainsi dire, plusieurs événements, de sorte que le nombre net de scènes est passé de 20 à 37, et en plus, toutes apparaissent en perspective :

  1. Adam et Eve ;
  2. Caïn et Abel ;
  3. Noé ;
  4. Abraham ;
  5. Isaac, Jacob et Ésaü ;
  6. Joseph ;
  7. Moïse ;
  8. Josué ;
  9. David ;
  10. Salomon et la Reine de Saba.

Le thème général est celui du salut à partir de la tradition patristique latine et grecque. Après les trois premiers panneaux, centrés sur le thème du péché, Ghiberti commence à mettre plus clairement en évidence le rôle du Dieu sauveur et la préfiguration de la venue du Christ. Les panneaux ultérieurs sont plus faciles à comprendre. C’est le cas du panneau Isaac, Jacob et Esaü, où les personnages se fondent dans une perspective de telle sorte que l’œil est guidé vers la scène principale.

La plupart des sources de ces scènes étant écrites en grec ancien, dont la maîtrise n’était pas si courante à l’époque, on pense que Ghiberti aurait eu pour conseiller théologique Ambrogio Traversari (1386-1439), avec qui il était en constante relation. Traversari était un proche de Nicolas de Cues (1401-1464), protecteur de Piero della Francesca (1412-1492) et organisateur actif du Conseil œcuménique de Florence de 1438-39, qui tenta de mettre fin au schisme séparant les Églises d’Orient et d’Occident.

Perspective

Les reliefs en bronze, connus pour leur vive illusion d’espace, sont l’un des événements révolutionnaires qui incarnent la Renaissance. On y voit de façon spectaculaire des figures passer d’une surface plane à toute la plénitude d’une existence en trois dimensions ! Techniquement parlant, on passe du stiacciato (développé à la perfection par Donatello)* à la ronde bosse, en passant par le bas-relief et le haut relief. Ghiberti avait bien conscience de son exploit, comme en témoigne son autoportrait sur la porte, la tête sortant d’une médaille de bronze, regardant avec satisfaction les spectateurs admirant son œuvre. L’artiste souhaitait bien plus qu’une perspective, il cherchait un espace de respiration !

Cette approche nouvelle influencera Léonard de Vinci (1452-1517). Comme le souligne l’historien d’art Daniel Arasse :

c’est en rapport avec la pratique du bas-relief florentin, celui de Ghiberti à la Porte du Paradis (…) que Léonard invente sa manière de peindre. Comme le déclarera bien plus tard le Manuscrit G (folio 23b), ’le champ sur lequel on peint un objet est une chose capitale en peinture. (…) Le but du peintre est de faire que ses figures paraissent se détacher du champ’ — et non pas, pourrait-on ajouter, de fonder son art sur la transparence prétendue de ce même champ. C’est par la science des ombres et des lumières que le peintre peut obtenir un effet de surgissement depuis le champ, un effet de relief, et non par celle de la perspective linéaire.

Le Festin d’Hérode (1423-1427), bas-relief de Donatello, Sienne.

Au début du XVe siècle, plusieurs approches théoriques s’opposent. Vers 1423-1427, Donatello, un jeune collaborateur de Ghiberti réalisa son Festin d’Hérode, un bas relief selon la technique du stiacciato réalisé pour les fonts baptismaux du baptistère de Sienne.

Dans cette œuvre, le sculpteur déploie une perspective harmonieuse à point de fuite centrale. Vers la même époque, le peintre Massacchio (1401-1428) a utilisé une construction semblable dans sa fresque La Trinité.

Comme nous allons le voir, Ghiberti, partant de l’anatomie de l’œil, s’oppose aussi bien dans ses œuvres que dans ses écrits à cette approche abstraite et travaille, dès 1401, sur d’autres modèles géométriques, dites binoculaires. (voir plus bas).

Vers 1407, Brunelleschi a lui aussi mené plusieurs expériences sur cette question, très probablement sur la base d’idées développées par un autre ami de Nicolas de Cues, l’astronome italien Paolo dal Pozzo Toscanelli (1397-1482), dans son traité Della prospettiva, aujourd’hui perdu. Ce que l’on sait, c’est que Brunelleschi cherchait avant tout à démontrer que toute perspective n’est qu’illusion optique.

Diagramme de Léonard de Vinci, dite des trois colonnes (Codex Madrid, II). Alors que les colonnes extérieures sont plus éloignées du spectateur, leurs largeurs, sur le plan qui coupe l’angle visuel, apparaissent plus grandes que celle de la colonne centrale, à l’opposé de la grandeur des angles et l’image qu’on peut obtenir sur une surface curviligne comme la rétine.

En 1435, l’architecte humaniste Leon Baptista Alberti (1406-1472), dans son traité Della Pictura, tentera, sur la base de l’approche de Donatello, de théoriser la représentation d’un espace tridimensionnel harmonieux et unifié sur une surface plane.

Malheureusement, au désespoir de bien des artistes, le traité d’Alberti, entièrement théorique, ne contient aucun diagramme ni illustration…

Sept ans plus tôt, le peintre Massacchio (1401-1428) avait utilisé, du moins en partie, une construction semblable dans sa fresque La Trinité.

Enfin, Léonard, qui avait lu et étudié les écrits de Ghiberti, utilisa ses arguments pour souligner les limites et même démontrer le dysfonctionnement de la construction de la perspective « parfaite » d’Alberti, surtout lorsqu’elle dépasse le cadre d’un angle de 30 degrés.

Dans le Codex Madrid, II, 15 v. de Vinci se rend à l’évidence qu’« en soi, la perspective offerte par une paroi rectiligne est fausse à moins d’être corrigée (…) »

Perspectiva artificialis versus perspectiva naturalis

Condition anatomique de base pour se servir de la perspective d’Alberti.

La perspectiva articifialis d’Alberti n’est autre qu’une abstraction qui se veut nécessaire et utile pour représenter une organisation rationnelle de l’espace. Sans cette abstraction, nous dit-on, il est quasiment impossible de définir avec une précision mathématique les relations entre l’apparition des objets et le recul de leurs différentes proportions sur un écran plat : largeur, hauteur et profondeur.

A partir du moment où une image donnée sur un écran plat a été pensée comme la coupe transversale d’un cône ou d’une pyramide, une méthode a émergé pour ce qui est considéré, à tort, comme une représentation objective de l’espace tridimensionnel réel, alors qu’il ne s’agit que d’une anamorphose, c’est-à-dire un trompe-l’œil ou une illusion optique.

Ce qui est fâcheux, c’est que cette construction fait totalement abstraction de la réalité physique de notre appareil perceptif, en prétendant :

  • que l’homme est un cyclope (avec un seul œil) ;
  • que la vision émane d’un point unique, le sommet de la pyramide visuelle ;
  • que l’œil est immobile ;
  • que l’image, au mieux, est projetée sur un écran plat plutôt que sur une rétine incurvée.

Calomnies et ragots

Pour des raisons qui restent à élucider, le rôle crucial de Ghiberti a été soit ignoré soit minimisé. Par exemple, les Commentarii, un manuscrit en trois volumes où Ghiberti retrace sa vie, son approche artistique et ses recherches sur l’optique et la perspective, n’a jamais été traduit en anglais ni en français. Et l’édition italienne ne date que de 1998.

Au XVIe siècle, Giorgio Vasari, qui fit souvent office d’agent de relations publiques pour le clan des Médicis, et dont l’ouvrage Les Vies des artistes est devenu l’alpha et l’oméga des historiens d’art, signale avec condescendance, mais sans évoquer une once de son contenu, que Ghiberti a écrit « un ouvrage en langue vernaculaire dans lequel il a traité de nombreux sujets différents, mais les a disposés de telle manière que l’on ne peut guère tirer profit de sa lecture ».

Qu’il ait pu exister des tensions entre humanistes, certes. Après tout, ces artisans autodidactes, tels que Ghiberti passionnés de progrès techniques, d’une part, et les héritiers de riches marchands de laine, tel le bibliophile Niccoli d’autre part, venaient de mondes totalement différents. D’après une anecdote racontée par Guarino Veronese, en 1413, Niccoli rencontre un jour Filippo et le salue de manière hautaine en ces termes : « Ô philosophe sans livres », à quoi Filippo lui aurait répliqué en souriant : « Ô livres sans philosophe… »

A cela s’ajoute que comme le stipulait le contrat, Ghiberti a accordé l’œuvre commandée en 1401 avec l’œuvre de Pisano d’inspiration gothique. Du coup, certains en déduisent que Ghiberti n’appartenait pas réellement à la Renaissance. Pour preuve, selon ses détracteurs, « son souci du détail et ses figures aux lignes ondulées et élégantes, ainsi que la variété des plantes et des animaux représentés… »

Les humanistes

Lorenzo Ghiberti, Les Portes du Paradis, histoire de la reine de Saba rendant visite au roi Salomon. On y voit une foule de gens se pressant pour saisir l’union entre les Églises orientale et occidentale,
symbolisée ici par la rencontre entre ces deux personnages royaux.
On pense que cette scène a été créée à la demande d’Ambrogio Traversari, présent dans la foule et instigateur du Conseil œcuménique de Florence de 1438.

Certes, les Commentarii ne sont pas rédigés selon les règles rhétoriques de l’époque. Écrits à la fin de sa vie, ils pourraient même avoir été dictés par l’artiste vieillissant à un clerc mal formé, faisant quantité de fautes d’orthographe.

Cependant, les propos de Ghiberti révèlent un auteur instruit, ayant une connaissance approfondie de nombreux penseurs classiques grecs et arabes. Il n’était pas seulement un brillant artisan, mais bien un « homme de la Renaissance » typique. En dialogue permanent avec Bruni, Traversari et le « chasseur de manuscrits » Niccolo Niccoli, Ghiberti, qui ne savait pas lire le grec mais connaissait bien le latin, était manifestement au courant de cette redécouverte de la science grecque et arabe.

Cette ambition était portée par les membres du Cercle San Spirito fondé par Boccace et Salutati, et dont les invités (parmi lesquels Bruni, Traversari, Cues, Niccoli, Côme de Médicis, etc.) se réuniront par la suite au couvent Santa Maria degli Angeli.

Ghiberti échange d’ailleurs avec Giovanni Aurispa, ce collaborateur de Traversari qui ramena, avant Bessarion, l’ensemble des oeuvres de Platon en Occident.

Amy R. Bloch, dans son étude très documentée Lorenzo Ghiberti’s Gates of Paradise, Humanism, History, and Artistic Philosophy in the Italian Renaissance (2016), note que « Traversari et Niccoli peuvent être liés directement aux origines du projet des Portes et étaient clairement intéressés par les commandes de sculptures prévues pour le Baptistère « .

« Le 21 juin 1424, après que la Calima ait demandé à Bruni son programme pour les portes, Traversari écrit à Niccoli en reconnaissant, en termes seulement généraux, les idées de Niccoli pour les histoires à inclure et en mentionnant, sans désapprobation évidente, que la guilde s’était plutôt tournée vers Bruni pour obtenir des conseils.« 

Palla Strozzi

Ghiberti se lie également d’amitié avec Palla Strozzi (1372-1462), qui, en plus d’être l’homme le plus riche de Florence avec une fortune imposable de 162 925 florins en 1427, comprenant 54 fermes, 30 maisons, une entreprise bancaire au capital de 45 000 florins et des obligations communales, était aussi un homme politique, un écrivain, un philosophe et un philologue.

Tout comme Ambrogio Traversari, Paolo Rossi et Leonardo Bruni, Palla Strozzi a étudié le grec sous la direction de l’érudit byzantin Manuel Chrysoloras, invité à Florence par Salutati pour y enseigner le grec. A noter, le fait que Strozzi prit à sa charge une partie du traitement de Chrysoloras et fit venir de Constantinople et de Grèce les livres nécessaires à l’enseignement nouveau. La relation étroite de Ghiberti avec Palla Strozzi, écrit Bloch, « lui donnait accès à ses manuscrits et, ce qui est tout aussi important, à la connaissance qu’en avait Strozzi. « 

Ce n’était pas tout, car « la relation entre Ghiberti et Palla Strozzi était si étroite que, lorsque Palla se rendit à Venise en 1424 comme l’un des deux ambassadeurs florentins chargés de négocier une alliance avec les Vénitiens, Ghiberti l’accompagna dans sa suite. »

Strozzi était connu comme un véritable humaniste, cherchant toujours à préserver la paix tout en s’opposant fermement au pouvoir oligarchique, tant à Florence qu’à Venise.

En fait, c’est Palla Strozzi, et non Cosimo de’ Medici, qui a été le premier à lancer les plans de la première bibliothèque publique de Florence, et il avait l’intention de faire de la sacristie de Santa Trinita son entrée. Si la bibliothèque de Palla n’a jamais été réalisée en raison du conflit politique dramatique connu sous le nom de Coup des Albizzi qui a conduit Strozzi à son exil en 1434, Cosimo, qui a eu les coudées franches pour régner sur Florence, fera sien le projet de bibliothèque.

Un constat audacieux

Tout d’abord, Lorenzo Ghiberti fait un constat audacieux, pour un chrétien dans un monde chrétien, sur la façon dont l’art de l’Antiquité a été perdu :

La foi chrétienne était victorieuse à l’époque de l’empereur Constantin et du pape Sylvestre. L’idolâtrie a été persécutée de telle sorte que toutes les statues et les images d’une telle noblesse, d’une telle antiquité et d’une telle perfection ont été détruites et brisées en morceaux. Et avec les statues et les images, les écrits théoriques, les commentaires, les dessins et les règles d’enseignement de ces arts nobles et éminents furent détruits.

Formation de l’artiste.

Ghiberti comprenait l’importance de la multidisciplinarité pour la formation de l’artiste.

Selon lui, « la sculpture et la peinture sont des sciences de plusieurs disciplines nourries par des enseignements différents ».

Dans le livre I de ses Commentarii, Ghiberti donne une liste des 10 arts libéraux que le sculpteur et le peintre doivent maîtriser : philosophie, histoire, grammaire, arithmétique, astronomie, géométrie, perspective, théorie du dessin, anatomie et médecine et souligne la nécessité pour un artiste d’assister aux dissections anatomiques.

Comme le souligne Amy Bloch, alors qu’il travaillait sur les Portes, dans le processus intense de visualisation des histoires de la formation du monde par Dieu et de ses habitants vivants, l’engagement de Ghiberti « a stimulé en lui un intérêt pour l’exploration de tous les types de créativité – non seulement celle de Dieu, mais aussi celle de la nature et des humains – et l’a conduit à présenter dans le panneau d’ouverture de la Porte du Paradis (La création d’Adam et Eve) une vision grandiose de l’émergence de la création divine, naturelle et artistique. »

Ghiberti, Portes du Paradis,
création d’Adam, création d’Eve, la tentation et enfin, expulsion du Jardin d’Eden.


L’inclusion de détails évoquant le savoir-faire de Dieu, dit Bloch, « rappelle les images qui comparent Dieu, en tant que créateur du monde, à un architecte, ou, dans son rôle de créateur d’Adam, à un sculpteur ou à un peintre. Cette comparaison, qui dérive finalement de l’architecte-démiurge qui crée le monde dans le Timée de Platon, apparaît couramment dans l’exégèse médiévale juive et chrétienne ».

Philon d’Alexandrie a écrit que l’homme a été modelé « comme par un potier » et Ambroise a métaphoriquement appelé Dieu un « artisan (artifex) et un peintre (pictor) ».

Par conséquent, si l’homme est « l’image vivant du créateur » comme le dit Augustin et le modèle de « l’homo faber – homme producteur de choses », alors, soulignait l’humaniste Coluccio Salutati, « l’organisation des affaires humaines doit avoir une similitude avec celle des affaires divines ».

Ghiberti portait une attention particulière au fonctionnement de la vision :

Moi, ô très excellent lecteur, je n’ai pas eu à obéir à l’argent, mais je me suis donné à l’étude de l’art, que depuis mon enfance j’ai toujours poursuivie avec beaucoup de zèle et de dévouement. Afin de maîtriser les principes de base, j’ai cherché à étudier la manière dont la nature fonctionne dans l’art ; et afin de pouvoir l’approcher, comment les images viennent à l’œil, comment fonctionne le pouvoir de la vision, comment viennent les [images] visuelles, et de quelle manière la théorie de la sculpture et de la peinture doit être établie.

Ainsi, tout chercheur honnête, qui a épluché les Carnets de Léonard après avoir lu les Commentarii de Ghiberti, se rend immédiatement à l’évidence que bien des observations de Léonard, dont le caractère génial est incontestable, font écho aux problématiques soulevées par Ghiberti, notamment en ce qui concerne la nature de la lumière et l’optique en général. L’état d’esprit créatif de Léonard était en partie le fruit de cette continuité, comme conséquence heureuse de la vision stimulante du monde de Ghiberti.

La composition de l’œil

Au Moyen-Âge, trois génies font autorité en matière de science médicale : Galien, Avicenne et Hippocrate.

Dans son Commentario 3, 6, qui traite de l’optique, de la vision et de la perspective, s’opposant à ceux pour qui la vision ne peut être expliquée que par une abstraction purement mathématique, Ghiberti écrit que « pour qu’aucun doute ne subsiste dans les choses qui suivent, il est nécessaire de considérer la constitution de l’œil, car sans cela, on ne peut rien savoir sur comment fonctionne la vision ». Selon lui, ceux qui écrivent sur la perspective ne tiennent aucun compte de « la composition de l’œil », sous prétexte que trop d’auteurs se contredisent.

Alhazen, Avicenne et Constantine

Il regrette aussi que, bien que des « philosophes de la nature » tels que Thalès, Démocrite, Anaxagore ou Xénophane, aient examiné le sujet avec d’autres s’intéressant à la santé humaine, tels qu’Hippocrate, Galien et Avicenne, trop de choses restent confuses et incomprises.

C’est pourquoi, dit Ghiberti, « parler de cette matière est obscur et incompris si l’on n’a pas recours aux lois de la nature, car elles démontrent cette question de manière plus complète et plus abondante ».

Par conséquent, poursuit Ghiberti,

Il est nécessaire d’affirmer quelque chose qui ne se trouve pas inclus dans le modèle perspectif, car il est trop difficile de certifier ces choses et j’essaie de les clarifier. Mais pour ne pas traiter de façon superflue les principes qui fondent toutes, je traiterai de la composition de l’œil particulièrement selon les opinions de trois auteurs, Avicenne (Ibn Sina), dans ses livres, Alhazen (Ibn al Haytham) dans le premier de sa perspective (Optique)’, et Constantin (nom latin du savant et médecin arabe Qusta ibn Luqa) dans le ‘Premier livre sur l’œil’ ; car ces auteurs suffisent et traitent avec plus de certitude des choses qui nous intéressent.

Arrêtons-nous un instant sur ce passage qui nous dit tant de choses. Voici Ghiberti, un, ou plutôt « le » personnage central, fondateur de la Renaissance italienne et européenne et de son grand apport en termes de perspective, qui affirme que pour avoir une idée du fonctionnement de la vision, il faut étudier trois scientifiques arabes : Ibn Sina, Ibn al Haytham et Qusta ibn Luqa ! L’eurocentrisme culturel pourrait peut-être expliquer pourquoi les écrits de Ghiberti ont été ignorés et restent quasiment au placard.

Ibn al-Haytham (Alhazen) a apporté d’importantes contributions à l’ophtalmologie. Dans son Traité d’optique (1021, en arabe Kitab al-Manazir (كِتَابُ المَنَاظِر ), en latin De Aspectibus ou Opticae Thesaurus: Alhazeni Arabis), il a amélioré les conceptions antérieures des processus impliqués dans la vision et la perception visuelle. Au cours de ses travaux sur la camera oscura (chambre noire), il fut également le premier à imaginer que la rétine (une surface incurvée), et non plus la pupille (un point), pouvait être impliquée dans le processus de formation des images. Avicenne, dans le Canon de la médecine (vers 1025), décrit la vue et utilise le mot rétine (du latin rete qui signifie réseau) pour désigner l’organe de la vision. Plus tard, dans son Colliget (encyclopédie médicale), Averroès (1126-1198) est le premier à attribuer à la rétine les propriétés d’un photorécepteur.

Si les écrits d’Avicenne sur l’anatomie et la science médicale avaient été traduits et circulaient en Europe dès le XIIIe siècle, le traité d’optique d’Alhazen, que Ghiberti cite abondamment, venait d’être traduit en italien sous le titre De li Aspecti.

Vitellion : analyse de la formation de l’image visuel dans l’esprit humain grâce à une vision binoculaire.

Il est désormais reconnu qu’Andrea del Verrocchio, dont l’élève le plus célèbre fut Léonard de Vinci (1452-1517), était lui-même un élève de Ghiberti. Contrairement à ce dernier, qui maîtrisait le latin, ni Verrocchio ni Léonard ne maîtrisaient de langue étrangère. Ainsi, c’est en étudiant les Commentarii de Ghiberti que Léonard eut accès à la traduction en italien de citations originales de l’architecte romain Vitruve et aux apports de scientifiques arabes tels qu’Avicenne, Alhazen ou Averroès, de scientifiques européens ayant étudié l’optique arabe, notamment les franciscains d’Oxford, Roger Bacon, John Pecham, ainsi que le moine polonais travaillant à Padoue, Erazmus Ciolek Witelo (Vitellion, 1230-1275).

Comme le souligne le Pr Domnique Raynaud, Vitellion introduit le principe de la vision binoculaire par des considérations géométriques.

Il donne une figure où l’on voit les deux yeux (a, b) recevant des images différentes provenant d’un même plan. Or, chaque œil, lorsqu’il observe par exemple le segment gf, le voit avec un angle différent, puisque l’œil a est plus proche que l’œil b du segment observé (l’angle de grf n’est pas le même que l’angle gtf). Il faut donc qu’à un moment donné ces images soient réunies en une seule. Où se produit cette jonction ?

Vitellion répond :

Les deux formes, qui pénètrent en deux points homologues de la surface des deux yeux, parviennent au même point de la concavité du nerf commun, et se superposent en ce point
pour ne faire plus qu’une.

La fusion des images est donc un produit de l’activité mentale et nerveuse interne.

Le grand astronome Johannes Kepler (1571-1630) utilisera les découvertes d’Alhazen repris par Witelo pour développer sa propre contribution à l’optique et à la perspective.

Ce qui est en apparence, une construction perspective « erronée », dite en « arrête de poisson » (à gauche), est en réalité la mise en œuvre d’une perspective binoculaire, basée sur les découvertes scientifiques arabes.
Jan van Eyck, Le chanoine Van der Paele, tableau au Groeningemuseum, Bruges. Ce qui apparaît à première vue comme une « perspective en arête de poisson » (à gauche) (dixit Panofsky), s’explique par une méthode perspectiviste « binoculaire » inspirée des savants naturalistes arabes.

« Bien que jusqu’à présent l’image [visuelle] ait été [comprise comme] une construction de la raison », observe Kepler dans le cinquième chapitre de son ouvrage Ad Vitellionem Paralipomena (1604), « désormais, les représentations des objets doivent être considérées comme des peintures qui sont effectivement projetées sur du papier ou sur un autre écran. »

Kepler fut le premier à constater que notre rétine capte l’image sous forme renversée, avant que notre cerveau ne la remette à l’endroit.

A partir de là, Ghiberti, Uccello, de même que le peintre flamand Jan Van Eyck (1390-1441), en contact avec les Italiens, construiront, comme alternative à la perspective abstraite, des formes de perspective « binoculaire », tandis que Léonard et Jean Fouquet, le peintre de la cour de Louis XI, tenteront de développer des représentations de l’espace curviligne et sphérique.

En Chine, sous l’influence éventuelle des percées de la science optique arabe, des formes de perspective non-linéaire, intégrant la mobilité de l’œil, feront également leur apparition sous la dynastie Song.

La lumière, une autre dimension

Ghiberti ajoutera une autre dimension à la perspective : la lumière. L’un des apports majeurs d’Alhazen est l’affirmation, dans son Livre sur l’optique, que les objets opaques frappés par la lumière deviennent eux-mêmes des corps lumineux et peuvent rayonner une lumière secondaire, une théorie que Léonard exploitera dans ses tableaux, y compris dans ses portraits.

Déjà Ghiberti, dans la façon dont il traite le sujet d’Isaac, Jacob et Ésaü, nous donne une démonstration étonnante de la façon dont on peut exploiter ce principe physique théorisé par Alhazen.

La lumière réfléchie par le panneau de bronze diffère fortement selon l’angle d’incidence des rayons lumineux qui arrivent. Arrivant soit du côté gauche, soit du côté droit, dans les deux cas, le relief en bronze de Ghiberti a été modelé de telle façon qu’il renforce magnifiquement l’effet de profondeur de la scène !

Conclusion

Les historiens d’art, en particulier les néo-kantiens comme Erwin Panofsky ou Hans Belting, qui affirment que ces peintres étaient des primitifs parce qu’ils appliquaient « le mauvais modèle » de perspective, s’avèrent en réalité incapables de concevoir que ces artistes qu’ils méprisent exploraient un domaine nettement supérieur à la pure abstraction mathématique promue par les grands prêtres de la science post-Leibniz, pour qui le dogme Newton-Galilée-Descartes sera l’évangile ultime.

Bien des sujets devront être exposés plus amplement que le résumé que j’en ai fait ici. En attendant, disons simplement que la meilleure façon d’honorer notre dette envers les contributions scientifiques arabes et les artistes de la Renaissance, serait de donner au monde entier, qui aurait dû en profiter bien plus tôt, la récompense d’un avenir meilleur bénéfique pour tous.

Il n’est pas trop tôt pour ouvrir toutes grandes les « Portes du Paradis ».

Regarder toutes les œuvres de Ghiberti sur la GALERIE D’ART WEB

Biographie sommaire

  • Raynaud, Dominique, L’hypothèse d’Oxford, essai sur les origines de la perspective, PUF, 1998, Paris ;
  • Raynaud, Dominique, Ibn al-Haytham on binocular vision : a precursor of physiological optics, Arabic Sciences and Philosophy, Cambridge University Press, 2003, 13, pp. 79-99 ;
  • Raynaud, Dominique, Perspective curviligne et vision binoculaire. Sciences et techniques en perspective, Université de Nantes, Equipe de recherche : Sciences, Techniques, et Sociétés, 1998, 2 (1), pp.3-23 ;
  • Kepler, Johannes, Paralipomènes à Vitellion, 1604, Vrin, 1980, Paris;
  • Arasse, Daniel, Léonard de Vinci, Hazan, 2011;
  • Butterfield, Andrew, Verrocchio, Sculptor and painter of Renaissance Florence, National Gallery, Princeton University Press, 2020 ;
  • Pope-Hennessy, John, Donatello, Abbeville Press, 1993 ;
  • Borso, Franco et Stefano, Uccello, Hazan, Paris, 2004 ;
  • Amy R. Bloch, Lorenzo Ghiberti’s Gates of Paradise; Humanism, History and Artistic Philosophy in the Italian Renaissance, Cambridge University Press, 2016, New York;
  • Krautheimer, Richard et Trude, Lorenzo Ghiberti, Princeton University Press, New Jersey, 1990 ;
  • Walker, Paul Robert, The Feud That Sparked the Renaissance, How Brunelleschi and Ghiberti changed the World, HarperCollins, 2002 ;
  • Dubourg-Glatigny, Pascal, Les Commentaires de Lorenzo Ghiberti dans la culture florentine du Quattrocento, Histoire de l’Art, N° 23, 1993, Varia, pp. 15-26 ;
  • Avery, Charles, La Sculpture florentine de la Renaissance, Livre de poche, 1996, Paris ;
  • Roshi Rashed, Geometric Optics, in Histoire des sciences arabes, sous la direction de Roshi Rashed, Vol. 2, Mathématiques et physique, Seuil, Paris, 1997. ;
  • Belting, Hans, Florence & Bagdad, art de la Renaissance et science arabe, Harvard University Press, 2011 ;
  • Vereycken, Karel, entretien avec le Quotidien du peuple : La « Joconde » de Léonard de Vinci en résonance avec la peinture traditionnelle chinoise ;
  • Vereycken, Karel, Uccello, Donatello, Verrocchio et l’art du commandement militaire, 2022 ;
  • Vereycken, Karel, L’invention de la perspective, Fusion, 1995 ;
  • Vereycken, Karel, Van Eyck, un peintre flamand dans l’optique arabe, 1998 ;
  • Martens, Maximiliaan, La révolution optique de Jan van Eyck, dans Van Eyck, Une révolution optique, Hannibal – MSK Gent, 2020.
  • Vereycken Karel, Mutazilisme et astronomie arabe, deux étoiles brillantes dans notre firmament, 2021.

[1] Le relief aplati, relief écrasé ou stiacciato (de l’italien schiacciato, « écrasé »), est un terme qui désigne une technique sculpturale située entre le relief méplat et le bas-relief, permettant de réaliser sur une surface plane un relief de très faible épaisseur obéissant aux règles de la représentation en perspective. L’impression de profondeur par effet d’optique (plusieurs plans perspectifs) est donnée par une façon de sculpter graduellement en « relief écrasé », quelquefois sur une épaisseur de seulement quelques millimètres, du premier plan jusqu’à un point de fuite souvent central. Cette technique a été utilisée surtout aux XVe et XVIe siècles et Donatello en fut le principal initiateur.

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Avicenna and Ghiberti’s role in the invention of perspective during the Renaissance

By Karel Vereycken, Paris, France.

Same article in FR, même article en FR.

No visitor to Florence can miss the gilded bronze reliefs decorating the Porta del Paradiso (Gates of Paradise), the main gate of the Baptistery of Florence right in front of the Cathedral of Santa Maria del Fiore surmounted by Filippo Brunelleschi’s splendid cupola.

In this article, Karel Vereycken sheds new light on the contribution of Arab science and Ghiberti’s crucial role in giving birth to the Renaissance.

Florentine Baptistery with its bronze doors. On the right, the eastern gates, on the left, the southern ones.

Historical context

The Baptistery, erected on what most Florentines thought to be the site of a Roman temple dedicated to the Roman God of Mars, is one of the oldest buildings in the city, constructed between 1059 and 1128 in the Florentine Romanesque style. The Italian poet Dante Alighieri and many other notable Renaissance figures, including members of the Medici family, were baptized in this baptistery.

During the Renaissance, in Florence, corporations and guilds competed for the leading role in design and construction of great projects with illustrious artistic creations.

While the Arte dei Lana (corporation of wool producers) financed the Works (Opera) of the Duomo and the construction of its cupola, the Arte dei Mercantoni di Calimala (the guild of merchants dealing in buying foreign cloth for finishing and export), took care of the Baptistery and financed the embellishment of its doors.

The Gates of Paradise

The Baptistry, an octagonal building, has four entrances (East, West, North and South) of which only three (South, North and East) have sets of artistically important bronze doors with relief sculptures. Three dates are key : 1329, 1401 and 1424.

  • In 1329, the Calimala Guild, on Giotto‘s recommendation, ordered Andrea Pisano (1290-1348) to decorate a first set of doors (initialy installed as the East doors, i.e. seen when one leaves the Cathedral, but today South). These consist of 28 quatrefoil (clover-shaped) panels, with the 20 top panels depicting scenes from the life of St. John the Baptist (the patron of the edifice). The 8 lower panels depict the eight virtues of hope, faith, charity, humility, fortitude, temperance, justice, and prudence, praised by Plato in his Republic and represented during the XVIth century by the Flemish humanist painter and reader of Petrarch, Peter Brueghel the Elder. Construction took 8 years, from 1330 till 1338.
Andrea Pisano, South Gate of the Baptistery (started in 1329), details. Right: baptism of Jesus. Left : Baptism of the multitude.
  • In 1401, after having narrowly won the competition with Brunelleschi, the 23 year old and inexperienced young goldsmith Lorenzo Ghiberti (1378-1455), is commissioned by the Calima Guild to decorate the doors which are today the North Gate. Ghiberti cast the bronze high reliefs using a method known as lost-wax casting, a technique that he had to reinvent entirely since it was lost since the fall of the Roman Empire. One of the reasons Ghiberti won the contest, was that his technique was so advanced that it required 20 % less (7 kg per panel) bronze than that of his competitors, bronze being a dense material far more costly than marble. His technique, applied to the entire decoration of the North Gate, as compared to his competitors, would save some estimated 100 kg of bronze. And since in 1401, with the plague regularly hitting Florence, economic conditions were poor, even the wealthy Calimala took into account the total costs of the program.

    The bronze doors are comprised of 28 panels, with 20 panels depicting the life of Christ from the New Testament. The 8 lower panels show the four Evangelists and the Church Fathers Saint Ambrose, Saint Jerome, Saint Gregory, and Saint Augustine. The construction took 24 years.
Ghiberti’s North Gate
Lorenzo Ghiberti, North gate (started in 1401) during recent restoration.
  • In 1424, Ghiberti, at age 46, was given—unusually, with no competition—the task of also creating the East Gate. Only in 1452 did Ghiberti, then seventy-four years old, install the last bronze panels, since construction lasted this time 27 years! According to Giorgio Vasari (1511-1574), Michelangelo Buonarroti (1475-1564) later judged them « so beautiful they would grace the entrance to Paradise ».
Lorenzo Ghiberti, « Gates of Paradise » (started in 1424, finished in 1452)

Over two generations, a bevy of well paid assistants and pupils were trained by Ghiberti, including exceptional artists, such as Luca della Robbia, Donatello, Michelozzo, Benozzo Gozzoli, Bernardo Cennini, Paolo Uccello, Andrea del Verrocchio and Ghiberti’s sons, Vittore and Tommaso. And over time, the seventeen-foot-tall, three-ton bronze doors became an icon of the Renaissance, one of the most famous works of art in the world.

In 1880, the French sculptor Auguste Rodin was inspired by it for his own Gates of Hell on which he worked for 38 year

Revolution

Lorenzo Ghiberti’s self-portrait, like his panels, proud to emerge out of a flat surface. Bronze bust of the Gates of Paradise.

Of utmost interest for our discussion here is the dramatic shift in conception and design of the bronze relief sculptures that occurred between the North and the East Gates, because it reflects how bot the artist as well as his patrons used the occasion to share with the broader public their newest ideas, inventions and exciting discoveries.

The themes of the North Gate of 1401 were inspired by scenes from the New Testament, except for the panel made by Ghiberti, « The Sacrifice of Isaac », which had won him the selection competition the same year. To complete the ensemble, it was therefore only logical that the East Gate of 1424 would take up the themes of the Old Testament.

Originally, it was the scholar and former chancellor of Florence Leonardo Bruni (1369-1444) who planned an iconography quite similar to the two previous doors. But, after heated discussions, his proposal was rejected for something radically new. Instead of realizing 28 panels, it was decided, for aesthetic reasons, to reduce the number of panels to only 10 much larger square reliefs, between borders containing statuettes in niches and medallions with busts.

Order of the panels.

Hence, since each of the 10 chapters of the Old Testament contains several events, the total number of scenes illustrated, within the 10 panels has risen to 37 and all appear in perspective :

  1. Adam and Eve (The Creation of Man)
  2. Cain and Abel (Jalousie is the origin of Sin)
  3. Noah (God’s punishment)
  4. Abraham and Isaac (God is just)
  5. Jacob and Esau
  6. Joseph
  7. Moses
  8. Joshua
  9. David (Good commandor)
  10. Solomon and the Queen of Sheba

The general theme is that of salvation based on Latin and Greek patristic tradition. Very shocking for the time, Ghiberti places in the center of the first panel the creation of Eve, that of Adam appearing at the bottom left.

After the first three panels, focusing on the theme of sin, Ghiberti began to highlight more clearly the role of God the Savior and the foreshadowing of Christ’s coming. Subsequent panels are easier to understand. One example is the panel with Isaac, Jacob and Esau where the figures are merged with the surrounding landscape so that the eye is led toward the main scene represented in the top right.

Many of the sources for these scenes were written in ancient Greek, and since knowledge of Greek at that time was not so common, it appears that Ghiberti’s “theological advisor” was Ambrogio Traversari (1386-1439), with whom he had many exchanges.

Traversari was a close friend of Nicolas of Cusa (1401-1464), a protector of Piero della Francesca (1412-1492) and a key organizer of the Ecumenical Council of Florence of 1438-1439, which attempted to put an end to the schism separating the Church of the East from that of the West.

Perspective

The bronze reliefs, known for their vivid illusion of deep space in relief, are one of the revolutionary events that epitomize the Renaissance. In the foreground are figures in high relief, which gradually become less protruding thereby exploiting the full illusionistic potential of the stiacciato technique later brought to its high point by Donatello. Using this form of “inbetweenness”, they integrate in one single image, what appears both as a painting, a low relief as well as a high relief. Or maybe one has to look at it another way: these are flat images traveling gradually from a surface into the full three dimensions of life, just as Ghiberti, in one of the first self-portraits of art history, reaches his head out of a bronze medal to look down on the viewers. The artist desired much more than perspective, he wanted breathing space!

This new approach will influence Leonardo Da Vinci (1452-1517). As art historian Daniel Arasse points out :

(…) It was in connection with the practice of Florentine bas-relief, that of Ghiberti at the Gate of Paradise (…) that Leonardo invented his way of painting. As Manuscript G (folio 23b) would much later state, ‘the field on which an object is painted is a capital thing in painting. (…) The painter’s aim is to make his figures appear to stand out from the field’ – and not, one might add, to base his art on the alleged transparency of that same field. It is by the science of shadow and light that the painter can obtain an effect of emergence from the field, an effect of relief, and not by that of the linear perspective.

Donatello

Herod’s Banquet, bas relief of Donatello, Sienna.

At the beginning of the 15th century, several theoretical approaches existed and eventuall contradicted each other. Around 1423-1427, the talentful sculptor Donatello, a young collaborator of Ghiberti, created his Herod’s Banquet, a bas-relief in the stiacciato technique for the baptismal font of the Siena Baptistery.

In this work, the sculptor deploys a harmonious perspective with a single central vanishing point. Around the same time, in Florence, the painter Massacchio (1401-1428) used a similar construction in his fresco The Trinity.

As we will see, Ghiberti, starting from the anatomy of the eye, opposed such an abstract approach in his works as well as in his writings and explored, as early as 1401, other geometrical models, called « binocular ». (see below).

Then, as far as our knowledge reaches, in 1407, Brunelleschi had conducted several experiments on this question, most likely based on the ideas presented by another friend of Cusa, the Italian astronomer Paolo dal Pozzo Toscanelli (1397-1482), in the latter’s now lost treaty Della Prospettiva. What we do know is that Brunelleschi sought above all to demonstrate that all perspective is an optical illusion.

Finally, it was in 1435, that the humanist architect Leon Baptista Alberti (1406-1472), in his treatise Della Pictura, attempted, on the basis of Donatello’s approach, to theorize single vanishing point perspective as a representation of a harmonious and unified three-dimensional space on a flat surface. Noteworthy but frustrating for us today is the fact that Alberti’s treatise doesn’t contain any illustrations.

In the Codex Madrid II, Leonardo demonstrated the limits and principled dysfunctionality of Alberti’s perspective.

However, Leonardo, who read and studied Ghiberti’s writings on, would use the latter’s arguments to indicate the limits and even demonstrate the dysfunctionality of Alberti’s “perfect” perspective construction especially when one goes beyond a 30 degres angle.

In the Codex Madrid, II, 15 v. da Vinci realizes that « as such, the perspective offered by a rectilinear wall is false unless it is corrected (…) ».

Perspectiva artificialis versus perspectiva naturalis

The minimum anatomical precondition to use Alberti’s abstract perspective model.

Alberti’s “perspectiva artificialis” is nothing but an abstraction, necessary and useful to represent a rational organization of space. Without this abstraction, it is fairly impossible to define with mathematical precision the relationships between the appearance of objects and the receding of their various proportions on a flat screen: width, height and depth.

From the moment that a given image on a flat screen was thought about as the intersection of a plane cutting a cone or pyramid, a method emerged for what was mistakenly considered as an “objective” representation of “real” three dimensional space, though it is nothing but an “anamorphosis”, i.e. a tromp-l’oeil or visual illusion.

What has to be underscored, is that this construction does away with the physical reality of human existence since it is based on an abstract construct pretending:

  • that man is a single eyed cyclops;
  • that vision emanates from one single point, the apex of the visual pyramid;
  • that the eye is immobile;
  • that the image is projected on a flat screen rather than on a curved retina.

Slanders and gossip

The crucial role of Ghiberti, an artist which “Ghiberti expert” Richard Krautheimer mistakenly presents as a follower of Alberti’s perspectiva artificialis, has been either ignored or downplayed.

Ghiberti’s unique manuscript, the three volumes of the Commentarii, which include his autobiography and which established him as the first modern historian of the fine arts, is not even fully translated into English or French and was only published in Italian in 1998.

Today, because of his attention to minute detail and figures « sculpted » with wavy and elegant lines, as well as the variety of plants and animals depicted, Ghiberti is generally presented as “Gothic-minded”, and therefore “not really” a Renaissance artist!

Giorgio Vasari, often acting as the paid PR man of the Medici clan, slanders Ghiberti by saying he wrote « a work in the vernacular in which he treated many different topics but arranged them in such a fashion that little can be gained from reading it. »

Admittedly, tension among humanists, was not uncommon. Self-educated craftsmen, such as Ghiberti and Brunelleschi on the one side, and heirs of wealthy wool merchants, such as Niccoli on the other side, came from entirely different worlds. For example, according to a story told by Guarino Veronese in 1413, Niccoli greeted Filippo Brunelleschi haughtily: « O philosopher without books, » to which Filippo replied with his legendary irony: « O books without philosopher ».

For sure, the Commentarii, are not written according to the rhetorical rules of those days. Written at the end of Ghiberti’s life, they may have simply been dictated to a poorly trained clerk who made dozens of spelling errors.

The humanists

Lorenzo Ghiberti, Gates of Paradise, the story of the Queen of Sheba visiting King Solomon. There is a lively crowd of people jostling to catch a glimpse casual of the symbolic bonding of Eastern and Western churches, via the meeting of Solomon and the Queen. It is believed that this scene represents the meeting on July 9, 1439 on the steps of Il Duomo in Florence, and was created at the demand of Ambrogio Traversari, the driving force behind the Ecumenical Council if Florence.

The Commentarii does reveal a highly educated author and a thinker having profound knowledge of many classical Greek and Arab thinkers. Ghiberti was not just some brilliant handcraft artisan but a typical “Renaissance man”.

In dialogue with Bruni, Traversari and the “manuscript hunter” Niccolo Niccoli, Ghiberti, who couldn’t read Greek but definitely knew Latin, was clearly familiar with the rediscovery of Greek and Arab science, a task undertaken by Boccaccio’s and Salutati’s “San Spirito Circle” whose guests (including Bruni, Traversari, Cusa, Niccoli, Cosimo di Medici, etc.) later would convene every week at the Santa Maria degli Angeli convent. Ghiberti exchanges moreover with Giovanni Aurispa, a collaborator of Traversari who brought back from Byzantium, years before Bessarion, the whole of Plato’s works to the West.

Amy R. Bloch, in her well researched study Lorenzo Ghiberti’s Gates of Paradise, Humanism, History, and Artistic Philosophy in the Italian Renaissance (2016), writes that « Traverari and Niccoli can be tied directly to the origins of the project for the Gates and were clearly interested in sculptural commissions being planned for the Baptistery. On June 21, 1424, after the Calima requested from Bruni his program for the doors, Traversari wrote to Niccoli acknowledging, in only general terms, Niccoli’s ideas for the stories to be included and mentioning, without evident disapproval, that the guild had instead turned to Bruni for advice. »

Palla Strozzi

Ghiberti’s patron, sometimes advisor, and close associate was Palla Strozzi (1372-1462), who, besides being the the richest man in Florence with a gross taxable assets of 162,925 florins in 1427, including 54 farms, 30 houses, a banking firm with a capital of 45,000 florins, and communal bonds, was also a politician, a writer, a philosopher and a philologist whose library contained close to 370 volumes in 1462.

Just as Traversari and Bruni, Strozzi learned Latin and studied Greek under the direction of the Byzantine scholar Manuel Chrysoloras, invited to Florence by Salutati.

Ghiberti’s close relationship with Strozzi, writes Bloch, « gave him access to his manuscripts and, as importantly, to Strozzi’s knowledge of them. »

But there was more. « The relationship between Ghiberti and Palla Strozzi was so close that, when Palla went to Venice in 1424 as one of two Florentine ambassadors charged with negociating an alliance with the Venetians, Ghiberti accompanied him in his retinue. »

Strozzi was known as a real humanist, always looking to preserve peace while strongly opposing oligarchical rule, both in Florence as in Venice.

In fact it was Palla Strozzi, not Cosimo de’ Medici, who first set in motion plans for the first public library in Florence, and he intended for the sacristy of Santa Trinita to serve as its entryway. While Palla’s library was never realized due to the dramatic political conflict knows as the Albizzi Coup that led to his exile in 1434, Cosimo who got a free hand to rule over Florence, would make the library project his own.

A bold statement

Ghiberti begins the Commentarii with a bold and daring statement for a Christian man in a Christian world, about how the art of antiquity came to be lost:

The Christian faith was victorious in the time of Emperor Constantine and Pope Sylvester. Idolatry was persecuted to such an extent that all the statues and pictures of such nobility, antiquity an perfection were destroyed and broken in to pieces. And with the statues and pictures, the theoretical writings, the commentaries, the drawing and the rules for teaching such eminent and noble arts were destroyed.

Ghiberti understood the importance of multidisciplinarity for artists. According to him, “sculpture and painting are sciences of several disciplines nourished by different teachings”.

In book I of his Commentarii, Ghiberti gives a list of the 10 liberal arts that the sculptor and the painter should master : philosophy, history, grammar, arithmic, astronomy, geometry, perspective, theory of drawing, anatomy and medecine and underlines that the necessity for an artist to assist at anatomical dissections.

As Amy Bloch underscores, while working on the Gates, in the intense process of visualizing the stories of God’s formation of the world and its living inhabitants, Ghiberti’s engagement « stimulated in him an interest in exploring all types of creativity — not only that of God, but also that of nature and of humans — and led him to present in the opening panel of the Gates of Paradise (The creation of Adam and Eve) a grand vision of the emergence of divine, natural, and artistic creation. »

Lorenzo Ghiberti, Gates of Paradise, Adam and Eve (The Creation of Man).

The inclusion of details evoking God’s craftmanship, says Bloch, « recalls similes that liken God, as the maker of the world, to an architect, or, in his role as creator of Adam, to a sculptor or painter. Teh comparison, which ultimately derives from the architect-demiurge who creates the world in Plato’s Timaeus, appears commonly in medieval Jewish and Christian exegesis. »

Philo of Alexandria wrote that man was modeled « as by a potter » and Ambrose metaphorically called God a « craftsman (artifex) and a painter (pictor) ». Consequently, if man is « the image of God » as says Augustine and the model of the « homo faber – man producer of things », then, according to Salutati, « human affairs have a similarity to divine ones ».

The power of vision and the composition of the Eye

Concerning vision, Ghiberti writes:

I, O most excellent reader, did not have to obey to money, but gave myself to the study of art, which since my childhood I have always pursued with great zeal and devotion. In order to master the basic principles I have sought to investigate the way nature functions in art; and in order that I might be able to approach her, how images come to the eye, how the power of vision functions, how visual [images] come, and in what way the theory of sculpture and painting should be established.

Now, any serious scholar, having worked through Leonardo’s Notebooks, who then reads Ghiberti’s I Commentarii, immediately realizes that most of Da Vinci’s writings were basically comments and contributions about things said or answers to issues raised by Ghiberti, especially respecting the nature of light and optics in general. Leonardo’s creative mindset was a direct outgrowth of Ghiberti’s challenging world outlook.

In the Middle Ages, three geniuses were the sources of medical science: Galen, Avicenna and Hippocrates.

In Commentario 3, 6, which deals with optics, vision and perspective, Ghiberti, opposing those for whom vision can only be explained by a purely mathematical abstraction, writes that “In order that no doubt remains in the things that follow, it is necessary to consider the composition of the eye, because without this one cannot know anything about the way of seeing.” He then says, that those who write about perspective don’t take into account “the eye’s composition”, under the pretext that many authors would disagree.

Ghiberti regrets that despite the fact that many “natural philosophers” such as Thales, Democritus, Anaxagoras and Xenophanes have examined the subject along with others devoted to human health such as “Hippocrates, Galen and Avicenna”, there is still so much confusion.

Indeed, he says, “speaking about this matter is obscure and not understood, if one does not have recourse to the laws of nature, because more fully and more copiously they demonstrate this matter.”


Avicenna, Alhazen and Constantine

Therefore, says Ghiberti:

it is necessary to affirm some things that are not included in the perspective model, because it is very difficult to ascertain these things but I will try to clarify them. In order not to deal superficially with the principles that underlie all of this, I will deal with the composition of the eye according to the writings of three authors, Avicenna (Ibn Sina), in his books, Alhazen (Ibn al Haytham) in his first volume on perspective (Optics), and Constantine (the Latin name of the Arab scholar and physician Qusta ibn Luqa) in his ‘First book on the Eye’; for these authors suffice and deal with much certainty in these subjects that are of interest to us.

This is quite a statement! Here we have “the” leading, founding figure of the Italian and European Renaissance with its great contribution of perspective, saying that to get any idea about how vision functions, one has to study three Arab scientists: Ibn Sina, Ibn al Haytham and Qusta ibn Luqa ! Cultural Eurocentrism might be one reason why Ghiberti’s writings were kept in the dark.

Ibn al-Haytham (Alhazen) made important contributions to opthalmology and improved upon earlier conceptions of the processes involved in vision and visual perception in his Treatise on Optics (1021), which is known in Europe as the Opticae Thesaurus. Following his work on the camera oscura (darkroom) he was also the first to imagine that the retina (a curved surface), and not the pupil (a point) could be involved in the process of image formation.

Avicenna, in the Canon of Medicine (ca. 1025), describes sight and uses the word retina (from the Latin word rete meaning network) to designate the organ of vision.

Later, in his Colliget (medical encyclopedia), Ibn Rushd (Averroes, 1126-1198) was the first to attribute to the retina the properties of a photoreceptor.

Avicenna’s writings on anatomy and medical science were translated and circulating in Europe since the XIIIth century, Alhazen’s treatise on optics, which Ghiberti quotes extensively, had just been translated into Italian under the title De li Aspecti.

It is now recognized that Andrea del Verrocchio, whose best known pupil was Leonardo da Vinci (1452-1517) was himself one of Ghiberti’s pupils. Unlike Ghiberti, who mastered Latin, neither Verrocchio nor Leonardo mastered a foreign language.

What is known is that while studying Ghiberti’s Commentarii, Leonardo had access in Italian to a series of original quotations from the Roman architect Vitruvius and from Arab scientists such as Avicenna, Alhazen, Averroes and from those European scientists who studied Arab optics, notably the Oxford Fransciscans Roger Bacon (1214-1294), John Pecham (1230-1292) and the Polish monk working in Padua, Erazmus Ciolek Witelo (1230-1275), known by his Latin name Vitellion.

Vitellion’s diagram of binocular vision

As stressed by Professor Dominque Raynaud, Vitellion introduces the principle of binocular vision for geometric considerations.

He gives a figure where we see the two eyes (a, b) receiving the images of points located at equal distance from the hd axis.

He explains that the images received by the eyes are different, since, taken from the same side, the angle grf (in red) is larger than the angle gtf (in blue). It is necessary that these two images are united at a certain point in one image (Diagram).

Where does this junction occur? Witelo says: « The two forms, which penetrate in two homologous points of the surface of the two eyes, arrive at the same point of the concavity of the common nerve, and are superimposed in this point to become one ».

The fusion of the images is thus a product of the internal mental and nervous activity.

The great astronomer Johannes Kepler (1571-1630) will use Alhazen’s and Witelo’s discoveries to develop his own contribution to optics and perspective. “Although up to now the [visual] image has been [understood as] a construct of reason,” Kepler observes in the fifth chapter of his Ad Vitellionem Paralipomena (1604), “henceforth the representations of objects should be considered as paintings that are actually projected on paper or some other screen.” Kepler was the first to observe that our retina captures an image in an inverted form before our brain turns it right side up.

Out of this Ghiberti, Uccello and also the Flemish painter Jan Van Eyck, in contact with the Italians, will construct as an alternative to one cyclopic single eye perspective revolutionary forms of “binocular” perspective while Leonardo and Louis XI’ court painter Jean Fouquet will attempt to develop curvilinear and spherical space representations.

What « appears » as a construction « error » of a central vanishing point perspective, is in realty a « binocular » perspective construction.
Jan van Eyck, The Canon Van der Paele, Groeningemuseum, Bruges. What appears at first glance to be a « fishbone perspective » (left) (dixit Panofsky), is explained by a binocular perspectivist method inspired by Arabic natural scientists.

In China, eventually influenced by Arab optical science breakthrough’s, forms of non-linear perspective, that integrate the mobility of the eye, will also make their appearance during the Song Dynasty.

Light

Ghiberti will add another dimension to perspective: light. One major contribution of Alhazen was his affirmation, in his Book of Optics, that opaque objects struck with light become luminous bodies themselves and can radiate secondary light, a theory that Leonardo will exploit in his paintings, including in his portraits.

Already Ghiberti, in the way he treats the subject of Isaac, Jacob and Esau (Figure), gives us an astonishing demonstration of how one can exploit that physical principle theorized by Alhazen. The light reflected by the bronze panel, will strongly differ according to the angle of incidence of the arriving rays of light. Arriving either from the left of from the right side, in both cases, the Ghiberti’s bronze relief has been modeled in such a way that it magnificently strengthens the overall depth effect !

While the experts, especially the neo-Kantians such as Erwin Panofsky or Hans Belting, say that these artists were “primitives” because applying the “wrong” perspective model, they can’t grasp the fact that they were in reality exploring a far “higher domain” than the mere pure mathematical abstraction promoted by the Newton-Galileo cult that became the modern priesthood ruling over “science”.

Much more about all of this can and should be said. Today, the best way to pay off the European debt to “Arab” scientific contributions, is to reward not just the Arab world but all future generations with a better future by opening to them the “Gates of Paradise”.

See all of Ghiberti’s works at the WEB GALLERY OF ART

Short Biography

  • Arasse, Daniel, Léonard de Vinci, Hazan, 2011;
  • Avery, Charles, La sculpture florentine de la Renaissance, Livre de poche, 1996, Paris;
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  • Vereycken, Karel, Van Eyck, un peintre flamand dans l’optique arabe, 1998.
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  • Walker, Paul Robert, The Feud That Sparked the Renaissance, How Brunelleschi and Ghiberti changed the World, HarperCollins, 2002.
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La révolution du grec ancien, Platon et la Renaissance

Enseignement à l’Université de Bologne (Italie) avant 1400. Sans livres scolaires,
les élèves ont bien du mal à se concentrer.

Par Karel Vereycken,
peintre-graveur, zoographe, passionné d’histoire.
cet article en PDF

Des amis m’ont interrogé sur les conditions ayant conduit à la découverte de la philosophie grecque, en particulier les idées de Platon, et le rôle qu’a pu jouer la découverte du grec ancien pendant la Renaissance européenne.

On entend parfois dire que c’est à l’occasion des grands conciles œcuméniques de Ferrare et de Florence (1439) qu’en apportant avec lui les manuscrits grecs de Byzance, le cardinal Nicolas de Cues (Cusanus), avec ses amis Pléthon et Bessarion, aurait permis à l’Europe occidentale d’accéder aux trésors de la philosophie grecque, notamment en redécouvrant Platon dont les œuvres étaient perdues depuis des siècles.

C’est l’introduction par Nicolas de Cues de la vision positive de l’homme qui aurait suscité en partie la Renaissance. Comme preuve, le fait qu’après le Concile de Florence, les Médicis auraient été les premiers à financer la traduction de l’œuvre complète de Platon, une percée qui aurait permis à la Renaissance de devenir ce qu’elle est devenue.

Si tout ceci n’est pas entièrement faux, permettez-moi d’y apporter quelques précisions.

La Renaissance fut-elle le fruit du Concile de Florence ?

Coluccio Salutati, chancelier de Florence.

Pas vraiment. C’est le programme de renouveau des études grecques et hébraïques, lancé par Coluccio Salutati (1332-1406), futur chancelier de Florence, qui marqua le début du processus.

L’idée lui vient de Pétrarque et de Boccace. Avec Dante Alighieri (1265-1321), c’est sans doute le poète italien Pétrarque (1304-1374) qui incarne le mieux l’idéal qui animait les humanistes de la Renaissance.

Toute sa vie, il tenta de « retrouver le très riche enseignement des auteurs classiques dans toutes les disciplines et, à partir de cette somme de connaissances le plus souvent dispersées et oubliées, de relancer et de poursuivre la recherche que ces auteurs avaient engagée ». *

Après avoir suivi ses parents à Avignon, Pétrarque fit ses études à Carpentras où il apprit la grammaire, puis à Montpellier, la rhétorique, et enfin à Bologne, où il passa sept ans à l’école de jurisconsultes.

Cependant, au lieu d’étudier le droit qui ouvrait sur une belle carrière, Pétrarque, en secret, lira tous les classiques alors connus, notamment Cicéron et Virgile, malgré le fait que son père ait brûlé ses livres à l’occasion.

Barlaam de Seminara

L’évêque basilien Barlaam de Seminara, portant un sac d’épaule,
traverse une rivière. Haguenau, 1469. Encre et lavis sur papier.
Pétrarque

Sous le pontificat de Benoît XII, Pétrarque tenta d’acquérir les rudiments de la langue grecque grâce à un savant moine de l’ordre de Saint-Basile, Barlaam de Seminara (1290-1348), dit Barlaam le Calabrais, venu en 1339 à Avignon en tant qu’ambassadeur d’Andronic III Paléologue afin de tenter, en vain, de mettre un terme au schisme entre les Églises orthodoxe et catholique.

Philosophe, théologien et mathématicien, Barlaam, tout en ayant une connaissance limitée du grec et du latin, fut un des premiers à souhaiter que l’étude de la langue et de la philosophie grecques renaisse en Europe.

Dans son Traité sur sa propre ignorance et celle de beaucoup d’autres (1367), Pétrarque se déclara fier de ses manuscrits grecs – et de sa bibliothèque en général – et évoqua avec admiration Barlaam :

J’ai chez moi seize œuvres de Platon. Je ne sais pas si mes amis en ont jamais entendu nommer les titres […]. Et ce n’est là qu’une petite partie de l’œuvre de Platon, car j’en ai vu, de mes yeux, un grand nombre, en particulier chez le calabrais Barlaam, modèle moderne de sagesse grecque qui commença à m’enseigner le grec alors que j’ignorais encore le latin et qui l’aurait peut-être fait avec succès si la mort ne me l’eût ravi et n’eût fait obstacle à mes honnêtes projets, comme de coutume.

En 1350, c’est-à-dire deux ans après le décès de Barlaam, Pétrarque rencontra Boccace (1313-1375). Ce dernier, comme Pétrarque, se prit d’un vif amour pour le grec. Dans sa jeunesse, à Naples, il avait lui aussi rencontré Barlaam et appris quelques mots de grec, recopiant avec une émouvante maladresse des alphabets, des vers, y joignant la traduction latine et des indications de prononciation.

Le calabrais Léonce Pilate,
traducteur d’Euripide, d’Aristote et d’Homère.

Pour se remettre au grec, Boccace fit alors venir de Thessalonique un disciple de Barlaam, Léonce Pilate (mort en 1366), un personnage austère, laid et de fort mauvais caractère. Mais ce Calabrais lui expliqua l’Iliade et l’Odyssée d’Homère et lui traduisit seize dialogues de Platon. Comment se fâcher avec lui ?

Boccace le garda trois ans dans sa maison et fit créer pour lui, chose totalement nouvelle, une chaire de grec à Florence. Mais Pilate ne maîtrisait pas vraiment cette langue. Bien que se faisant passer pour un Grec de souche, l’homme n’avait qu’une maigre connaissance du grec ancien et ses traductions ne dépassèrent jamais le niveau du mot-à-mot. Quant aux leçons qu’il donna à Pétrarque, elles étaient si brutales qu’il l’en dégoûta pour toujours.

Ce qui ne l’empêchera pas, sur les instances de Boccace, de traduire l’Iliade et l’Odyssée d’Homère en latin à partir d’un manuscrit grec envoyé à Pétrarque par Nicolaos Sigeros, l’ambassadeur de Byzance à Avignon.

L’histoire étant ce qu’elle est, c’est grâce à cette traduction très imparfaite que l’Europe redécouvrit une des grandes œuvres fondatrices de sa culture !

Et sur ce terreau fragile s’élèvera une flamme qui va révolutionner le monde.

Ne fut-ce pas moi, écrit Boccace dans sa Généalogie des Dieux, qui eus la gloire et l’honneur de me servir le premier de vers grecs parmi les Toscans ? Ne fut-ce pas moi qui amenai par mes prières, Pilate à s’établir à Florence et qui l’y logeait ? J’ai fait venir à mes frais des exemplaires d’Homère et d’autres auteurs grecs alors qu’il n’en existait pas en Toscane. Je fus le premier des Italiens à qui fut expliqué, en particulier, Homère, et je le fis ensuite expliquer en public.

La chasse aux manuscrits

Le traité de Boccace, Des femmes célèbres. Il s’agit, dans la littérature européenne, de la première œuvre ne présentant que des biographies de femmes.

Ce qui importe, c’est qu’au cours de ces rencontres, Pétrarque créa un réseau culturel couvrant toute l’Europe, qui se prolongea jusqu’en Orient.

Il demanda alors à ses relations et amis, qui partageait son idéal humaniste, de l’aider à retrouver dans leur pays ou leur province, les textes latins des anciens que pouvaient posséder les bibliothèques des abbayes, des particuliers ou des villes. Au cours de ses propres voyages il retrouva plusieurs textes majeurs tombés dans l’oubli.

C’est à Liège (Belgique) qu’il découvrit le Pro Archia et à Vérone, Ad Atticum, Ad Quintum et Ad Brutum, tous de Cicéron. Lors d’un séjour à Paris, il mit la main sur les poèmes élégiaques de Properce, puis, en 1350, sur une œuvre du Quintilien. Dans un souci constant de restituer le texte le plus authentique, il soumet ces manuscrits à un minutieux travail philologique et leur apporte des corrections par rapprochements avec d’autres manuscrits. C’est ainsi qu’il recomposa la première et la quatrième décade de l’Histoire Romaine de Tite-Live à partir de fragments et qu’il restaura certains textes de Virgile.

Ces manuscrits, qu’il conserva dans sa propre bibliothèque, en sortirent par la suite sous forme de copies et devinrent ainsi accessibles au plus grand nombre. Tout en reconnaissant que « la vraie foie » manquait aux païens, Pétrarque estimait que lorsqu’on parle vertu, le vieux et le nouveau monde ne firent pas en lutte.

Le « Circolo di Santo Spirito »

Le couvent augustinien Santo Spirito de Florence.

A partir des années 1360, Boccace réunira un premier groupe d’humanistes connu sous le nom de « Circolo di Santo Spirito » (Cercle du Saint Esprit), emprunté au couvent augustinien florentin datant du XIIIe siècle.

Forme embryonnaire d’une université, son Studium Generale (reconnu en 1284) était alors au cœur d’un vaste centre intellectuel comprenant des écoles, des hospices et des réfectoires pour les indigents.

Avant son décès en 1375, Boccace, qui avait récupéré une partie de la bibliothèque de Pétrarque, léguera au couvent l’ensemble de cette précieuse collection de livres et manuscrits anciens.**

Ensuite, dans les années 1380 et au début des années 1390, un deuxième cercle d’humanistes s’y réunit quotidiennement dans la cellule du moine augustinien Luigi Marsili (1342-1394). Ce dernier, qui avait étudié la philosophie et la théologie aux universités de Paris et de Padoue, où il était déjà entré en contact avec Pétrarque en 1370, se lia rapidement d’amitié avec Boccace.

En fréquentant à partir de 1375 le Cercle du Saint Esprit, le futur chancelier de Florence Coluccio Salutati (1332-1406) s’éprit à son tour d’un amour infini pour les études grecques.

En invitant à Florence le savant grec Manuel Chrysoloras (1355-1415) pour y enseigner le grec ancien, c’est Salutati qui donnera l’impulsion décisive conduisant à la fin du schisme entre l’Orient et l’Occident et donc à l’unification des Églises, consacrée lors du Concile de Florence de 1439.

Un siècle avant Salutati, le philosophe et scientifique anglais Roger Bacon (1214-1294), un moine franciscain résidant à Oxford, auteur d’une de l’une des premières grammaires grecques, appela déjà de ses vœux une telle « révolution linguistique ».

Comme le précise Dean P. Lockwood dans son article Roger Bacon’s Vision of the Study of Greek (1919) :

« De toute évidence, le grec ancien était la clé de voûte du grand entrepôt des connaissances antiques, l’hébreu et l’arabe étant les deux autres. En outre, nous ne devons pas oublier qu’à l’époque de Bacon, la supériorité des anciens était un fait incontestable. Le monde moderne a surpassé les Grecs et les Romains dans d’innombrables domaines ; les penseurs médiévaux se rapprochaient encore du standard hellénique.« Trois choses étaient claires pour Roger Bacon : la nécessité de maîtriser la langue grecque, l’ignorance qu’on avait de cette langue à son époque et aussi, l’occasion réelle de pouvoir l’acquérir. On peut dire la même chose de l’hébreu, mais Bacon faisait passer, à juste titre, le grec en premier. Le programme de Bacon était simple :
1. Rechercher les Grecs byzantins natifs résidant en Europe, de préférence des grammairiens. Ils sont très peu nombreux, bien sûr, mais on peut les trouver dans les monastères grecs du sud de l’Italie.
2. A partir de ceux-ci et de toute autre source disponible, retrouver des livres en grec ancien. Si l’on réalisait ce programme, Bacon prophétisa avec confiance que les résultats ne se feraient pas attendre ».

Leonardo Bruni

Leonardo Bruni (manuscrit du XVe siècle).

Manuel Chrysoloras arriva à Florence à l’hiver 1397, un événement qui apparaîtra comme une nouvelle grande opportunité selon l’un de ses élèves les plus célèbres, le savant humaniste Leonardo Bruni (1369-1444). Celui-ci occupera le poste de chancelier de Florence lors du Concile qu s’y déroula. Bruni disait qu’il y avait beaucoup de professeurs de droit, mais que personne n’avait étudié le grec ancien en Italie du Nord depuis 700 ans.

En faisant venir Chrysoloras à Florence, Salutati permit à un groupe de jeunes, dont Bruni et Vergerio, la lecture d’Aristote et de Platon en grec original.

Aristote (la Logique) contre Platon (la Dialectique),
bas-relief de Luca della Robbia.

Jusque-là, en Europe, les chrétiens connaissaient les noms de Pythagore, Socrate et Platon par leurs lectures des pères de l’Eglise : Origène, Saint-Jérôme et Saint Augustin. Ce dernier, dans sa Cité de Dieu, n’hésite pas à affirmer que les « platoniciens », c’est-à-dire Platon et ceux qui ont assimilé son enseignement (Plato et qui eum bene intellexerunt), étaient supérieurs à tous les autres philosophes païens.

Comme nous l’avons démontré ailleurs, notamment dans notre étude sur Raphaël et l’École d’Athènes, c’est en grande partie la démarche philosophique optimiste et prométhéenne de Platon, pour qui la connaissance provient avant tout de la capacité d’hypothèse et non pas du simple témoignage des sens, comme le prétend Aristote, qui fournit la sève permettant à l’arbre de la Renaissance d’offrir à l’humanité tant de fruits merveilleux.

Le témoignage suivant, de l’imprimeur français Etienne Dolet, mort sur le bûcher à Paris en 1546, révèle bien que pour les humanistes, il s’agissait d’un projet civilisationnel décidé à faire reculer la barbarie en élevant l’homme « au-dessus de l’animal par son âme ».

Le cercle d’Ambrogio Traversari

Buste d’Ambrogio Traversari au couvent Sainte-Marie-des-Anges.

L’élève le plus célèbre de Chrysoloras fut Ambrogio Traversari (1386-1439) qui devint général de l’ordre des Camaldules. Aujourd’hui honoré comme un saint par son ordre, Traversari fut l’un des premiers à conceptualiser le type « d’humanisme chrétien » que promouvront le Cusain et plus tard Erasme de Rotterdam (qui forgea le concept de « Saint-Socrate » en unissant Platon aux Saintes Ecritures et aux Pères de l’Eglise), ainsi que celui qui se considérait comme son disciple, le bouillonnant François Rabelais.

Traversari, l’un des principaux organisateurs du Concile de Florence, fut également le protecteur personnel du grand peintre de la Renaissance Piero della Francesca et l’architecte du Dôme Filippo Brunelleschi.

Le couvent florentin Sainte-Marie-des-Anges.

Selon Vespasiano de Bisticci, l’historien de la cour d’Urbino, Traversari animait des séances de travail hebdomadaires sur Platon et la philosophie grecque au couvent florentin Sainte-Marie-des-Anges avec la fine fleur de l’humanisme européen dans le domaine des lettres, de la théologie, de la science, de la politique, de l’aménagement des villes et des territoires, de l’éducation et des beaux-arts. Parmi eux :

  • Le cardinal-philosophe allemand Nicolas de Cues ;
  • Paolo dal Pozzo Toscanelli, le célèbre médecin et cartographe, lui aussi ami et protecteur de Piero della Francesca et de Léonard de Vinci ;
  • L’érudit collectionneur de manuscrits Niccolò Niccoli, conseiller de Côme l’ancien, héritier de l’empire industriel et financier des Médicis. Considéré à l’époque comme l’homme le plus riche d’Occident, il fut l’un des mécènes du sculpteur Donatello ;
  • Aeneas Sylvius Piccolomini, le futur pape humaniste Pie II ;
  • Le secrétaire apostolique du pape Innocent VII puis de ses trois successeurs, Leonardo Bruni, élève de Chrysoloras. Il succèdera à Coluccio Salutati à la chancellerie de Florence (1410-1411 et 1427-1444).
  • L’homme d’Etat italien Carlo Marsuppini, passionné de l’Antiquité grecque et successeur de Bruni, à sa mort en 1444, au poste de chancelier de la République de Florence.
  • Le philosophe, antiquaire et écrivain Poggio Bracciolini. Après avoir conseillé pas moins de neuf papes (!), il est nommé chancelier de la République de Florence suite à la mort de Marsuppini en 1453 ;
  • L’homme politique et ambassadeur Gianozzi Manetti. Amoureux du grec ancien et de l’hébreu, son cercle comprend Francesco Filelfo, Palla Strozzi et Lorenzo Valla. Valla ;

Manuel Chrysoloras à Florence

L’érudit grec Manuel Chrysoloras,
dessin de Paolo Uccello.

Chrysoloras ne resta que quelques années à Florence, de 1397 à 1400. Tout comme à Bologne, Venise et Rome, il y enseigna les rudiments du grec ancien. Parmi les nombreux jeunes qui profiteront de ses cours, plusieurs de ses élèves comptèrent parmi les figures les plus marquantes du renouveau des études grecques dans l’Italie de la Renaissance.

Outre Leonardo Bruni et Ambrogio Traversari, on compte parmi eux Guarino da Verona et le banquier florentin Palla Strozzi (1372-1462), par la suite l’ami et protecteur du sculpteur et traducteur Lorenzo Ghiberti). A noter, le fait que Strozzi prit à sa charge une partie du traitement de Chrysoloras et fit venir de Constantinople et de Grèce les livres nécessaires à l’enseignement nouveau.

Chrysoloras se rendit à Rome à l’invitation de Bruni, à l’époque secrétaire du pape Grégoire XII. En 1408, le savant grec fut envoyé à Paris par l’empereur Manuel II Paléologue (1350-1425) pour une importante mission. En 1413, choisi pour y représenter l’Église d’Orient, il se rendit également en Allemagne pour une ambassade auprès de l’empereur Sigismond, dont l’objet est de décider du lieu du Concile sur l’union des églises, qui se tiendra à Constance en 1415.

Chrysoloras a traduit en latin les œuvres d’Homère et La République de Platon. Son Erotemata (Questions-réponses), qui fut la première grammaire grecque de base employée en Europe occidentale, circula d’abord sous forme de manuscrit avant d’être publiée en 1484.

Réimprimée à de multiples reprises, elle connut un succès considérable non seulement auprès de ses élèves à Florence, mais également auprès des humanistes les plus éminents de l’époque, dont Thomas Linacre à Oxford et Erasme lorsqu’il résida à Cambridge. Son texte devint le manuel de base des élèves du fameux « Collège Trilingue » créé en 1515 par Erasme à Louvain en Belgique.

Un cercle d’étude à la Renaissance.

Traversari rencontra Chrysoloras à l’occasion des deux séjours qu’il fit à Florence pendant l’été 1413, puis en janvier-février 1414, et le vieux lettré byzantin fut impressionné par la culture bilingue du jeune moine. Il lui adressera une longue lettre philosophique en grec sur le thème de l’amitié. Ambrogio lui-même exprima dans ses lettres la plus grande considération pour Chrysoloras et son émotion pour la bienveillance qu’il lui avait témoigna.

Notons également que le riche érudit humaniste Niccolò Niccoli, grand collectionneur de livres, ouvrit sa bibliothèque à Traversari et le mit en relation avec les cercles érudits de Florence (notamment Leonardo Bruni, et aussi Côme de Médicis dont il était le conseiller), de Rome et de Venise.

En 1423, le pape Martin V envoie deux lettres, l’une au prieur du couvent Sainte-Marie-des-Anges, le Père Matteo, l’autre à Traversari lui-même, exprimant son soutien au grand développement des études patristiques dans cet établissement, et tout particulièrement au travail de traduction des Pères grecs mené par Traversari.

Le pape avait en vue les négociations qu’il allait mener avec l’Église grecque : début 1423, son légat Antoine de Massa rapporta de Constantinople plusieurs manuscrits grecs qu’il confia à Traversari pour traduction : notamment l’Adversus Græcos de Manuel Calécas, et pour les classiques les Vies et doctrines des philosophes illustres de Diogène Laërce, qui ne sera longtemps diffusé que dans la traduction latine de Traversari.

C’est suite à ce travail que Traversari manifesta son intérêt à voir résolu le schisme entre les Eglises latine et grecque. Fin 1423, Niccolò Niccoli procura à Traversari un vieux volume contenant tout le corpus des anciens canons ecclésiastiques. Le savant moine exprima dans sa correspondance avec l’humaniste son enthousiasme de pouvoir se plonger dans la vie de l’Église chrétienne antique alors unie. Sur sa lancée il traduira en grec une longue lettre du pape Grégoire le Grand aux prélats d’Orient.

Bessarion et Pléthon furent-ils les premiers à introduire l’ensemble de l’œuvre de Platon en Europe ?

Giovanni Aurispa, traducteur de Platon.

Pas vraiment. Si Jean Bessarion (1403-1472) apporta effectivement en 1437 sa propre collection des « œuvres complètes de Platon » à Florence, elles avaient déjà été introduites plus tôt en Italie, notamment en 1423 par le Sicilien Giovanni Aurispa (1376-1459), le précepteur de Lorenzo Valla (un autre collaborateur du Cusain, avec lequel il dénonça la fraude de la « Donation de Constantin » et dont les travaux influenceront fortement Erasme). 

En 1421, Aurispa, travaillant avec Traversari, fut envoyé par le pape Martin V afin de servir de traducteur au marquis Gianfrancesco Gonzaga, en mission diplomatique auprès de l’empereur byzantin Manuel II Paléologue. Sur place, Aurispa gagna la faveur du fils et successeur de l’empereur, Jean VIII Paléologue (1392-1448), qui fit de lui son secrétaire. Deux ans plus tard, Aurispa accompagnera l’empereur byzantin dans une mission à la cour d’Europe.

Jean VIII Paléologue, ici représenté comme le roi Balthazar,
fresque de Benozzo Gozzoli.

Le 15 décembre 1423, 16 ans avant le Concile de Florence de 1439, Aurispa arriva à Venise avec la plus grande et la plus belle collection de textes grecs à pénétrer en Occident ; donc avant ceux apportés par Bessarion.

En réponse à une lettre de Traversari, il précisa avoir ramené 238 manuscrits. Ceux-ci contenaient toutes les œuvres de Platon, dont la plupart jusqu’alors n’étaient connues que très partiellement ou pas du tout en Occident, à quelques exceptions près. Par exemple, en Sicile, dès 1160, Henri Aristippe de Calabre (1105-1162) avait traduit en latin le Phèdre et le Ménon, deux dialogues de Platon.

Le virus du néo-platonisme

Les authentiques platoniciens (tels que Pétrarque, Traversari, Nicolas de Cues ou Erasme), s’opposèrent avec force aux « néo-platoniciens » (tels que Plotin, Proclus, Jamblique, le Ficin et autres Pic de la Mirandole) dont l’influence suscitera ce que l’on peut et doit appeler une « contre-Renaissance ».

Quelques siècles plus tard, le philosophe humaniste Leibniz mettra lui aussi fortement en garde contre les « néo-platoniciens » et exigera que l’on étudie Platon dans ses écrits originaux plutôt qu’à travers ses commentateurs, aussi brillants soient-ils :

« Non ex Plotino aut Marsilio Ficino, qui mira semper et mystica affectantes diceren tanti uiri doctrinam corrupere. » Il faut étudier Platon, dit-il, « mais non pas Plotin ou le Ficin, qui, en s’efforçant toujours de parler merveilleusement et mystiquement, corrompent la doctrine d’un si grand homme. »

Examinons maintenant, dans ce contexte, la figure de Pléthon, qui estimait que Platon et Aristote pouvaient jouer chacun leur propre rôle.

George Gemistos Pléthon,
fresque de Benozzo Gozzoli.

George Gemistos « Pléthon » (1355-1452), fut un disciple du neo-platonicien radical Michael Psellos (1018-1080).

Vers 1410, Gemistos ouvrit son académie « néo-platonicienne » à Mistra (près du site de l’ancienne Sparte) et ajouta « Pléthon » à son nom pour ressembler à Platon. A part Platon, il admirait aussi Pythagore et les « Oracles chaldéens », qu’il attribua à Zoroastre.

Alors que la plupart des écrits de Pléthon, soupçonné d’hérésie, furent brûlés, une partie de son œuvre finira entre les mains de son ancien élève, le cardinal Jean Bessarion. Ce dernier, avant de mourir, légua sa vaste collection de manuscrits et de livres à la bibliothèque Saint-Marc de Venise (ville où résidaient plus de 4000 Grecs). Parmi ces livres et manuscrits se trouvait le Résumé des Doctrines de Zoroastre et de Platon. Ce texte, un mélange de croyances polythéistes et d’éléments néo-platoniciens, était un résumé que Pléthon avait écrit en partant de l’œuvre de Platon, Les Lois.

Jean Bessarion, ce véritable humaniste qui participa au Concile de Ferrare (1437) et de Florence (1439), en tant que représentant des Grecs et a signa le décret de l’Union, il s’en tint au principe :

« J’honore et respecte Aristote, j’aime Platon » (colo et veneror Aristotelem, amo Platonem).

Pour lui, la pensée platonicienne ne serait acceptable pour le monde latin (Occident) que lorsqu’elle obtiendrait le même droit que la pensée aristotélicienne en apparaissant comme une interprétation irénique de l’aristotélisme, sans être en contradiction avec le christianisme.

Les Médicis financèrent-ils un programme intensif pour traduire les œuvres de Platon ?

Côme de Médicis.

En 1397, le banquier et industriel Giovannni « di Bicci » de’ Medici (1360-1429) fonda la Banque des Médicis. Giovanni possédait deux manufactures de laine à Florence et fut membre de deux guildes : l’Arte della Lana et l’Arte del Cambio. En 1402, il fut l’un des juges du jury qui sélectionna le projet du sculpteur Lorenzo Ghiberti pour les magnifiques bas-reliefs en bronze des portes du Baptistère de Florence.

En 1418, Giovanni di Bicci, souhaitant doter les Medicis de leur propre église familiale, confia à Filippo Brunelleschi, futur réalisateur du Duomo, la fameuse coupole de la cathédrale de Santa Maria del Fioro, le Duomo, le soin de transformer radicalement l’église basilique de San Lorenzo et chargea Donatello de réaliser les sculptures.

Politiquement, la puissante famille des Médicis, actifs dans la finance et l’industrie textile, n’accéda au pouvoir qu’en 1434, trois ans avant le Concile de Florence alors que la Renaissance battait déjà son plein.

Certes, le fils et héritier de Giovanni di Bicci, Cosimo (Côme) di Medici (1389-1464), connu comme l’homme le plus riche de son siècle, fut si enthousiasmé par les paroles de Pléthon qu’il acquit une bibliothèque complète de manuscrits grecs. Il lui acheta également un ensemble de 24 dialogues de Platon, ainsi qu’un exemplaire du Corpus Hermeticum d’Hermès Trismégiste l’Égyptien (entre 100 et 300 après JC.), trouvé en Macédoine par un moine italien, Leonardo de Pistoia.

Cosimo songea à faire traduire du grec ancien au latin la totalité des œuvres de Platon. Cependant, comme nous l’avons déjà dit, Leonardo Bruni (1369-1444), chancelier de la république florentine de 1427 à 1444, avait déjà traduit bien avant une grande partie des œuvres de Platon du grec ancien vers le latin.

Cosimo choisit comme traducteur Marsilio Ficino (1433-1499), le fils de son médecin personnel, âgé seulement de cinq ans au moment du Concile de Florence en 1439. Ayant de sérieux doutes sur les capacités du Ficin lorsque ce dernier lui offre en 1456 sa première traduction, Les institutions platoniques, Cosimo lui demanda de ne pas publier cet ouvrage et d’apprendre d’abord la langue grecque… que le Ficin apprit auprès du savant byzantin Jean Argyropoulos (1395 -1487), un élève aristotélicien de Bessarion.

Avancé en âge et gagné par la corruption, Cosimo lui donna finalement le poste. Il lui alloue une bourse annuelle, les manuscrits nécessaires et une villa à Careggi, un quartier de Florence, où le Ficin fonda son « Académie platonicienne » avec une poignée d’adeptes, parmi lesquels Angelo Poliziano (1454-94), Jean Pic de la Mirandole (1463-1494) et Cristoforo Landino (1424-1498).

Marsilio Ficino (à gauche) avec ses disciples.

L’Académie du Ficin, reprenant (comme il le dit lui-même) l’ancienne tradition néo-platonicienne de Plotin et de Porphyre organisait chaque année, le 7 novembre, un banquet cérémonial « négligé depuis mille deux cents ans ». Cette date correspondait, selon lui, à la fois à l’anniversaire de Platon et de sa mort.

Après le dîner, les participants lisaient le Symposium de Platon, puis chacun d’entre eux commentait l’un des discours de l’œuvre. Il s’agissait de démonstrations sans véritable dialogue et dépourvus de l’essence de toute vraie dialectique socratique : l’ironie.

En outre, il est à noter que la plupart des réunions de l’Académie du Ficin avaient lieu en présence de l’ambassadeur de Venise à Florence, en particulier le puissant oligarque Bernardo Bembo (1433-1519), père du cardinal « poète » Pietro Bembo, plus tard conseiller spécial du pape guerrier, le génois Jules II.

C’est cette alliance formée par la famille des Médicis, de plus en plus dégénérée, des Vénitiens et des néo-platoniciens qui permit de consolider une emprise oligarchique sur l’Église catholique romaine.

Les Médicis eurent peu de considération pour Léonard de Vinci dont ils jugeaient trop lente l’exécution de ses œuvres et ses fresques défaillantes techniquement. Déçu de n’obtenir aucune commande de la part du pape, Léonard se rendit en France où le roi François Ier l’attendait.

Giorgio Vasari, peintre médiocre, fut l’homme orchestre des Médicis. Dans sa Vies des peintres, il répandit le mythe que la Renaissance fut le bébé quasi-exclusif des ses employeurs.

Soulignons également qu’avant de traduire les œuvres de Platon, et à la demande expresse de Cosimo, le Ficin traduira d’abord (en 1462) les Hymnes orphiques, les Dictons de Zoroastre et le Corpus Hermeticum d’Hermès Trismégiste.

Ce n’est qu’en 1469 (trente ans après le Concile de Florence) que le Ficin achèvera ses traductions de Platon après une dépression nerveuse en 1468, décrite par ses contemporains comme une crise de « profonde mélancolie ».

En 1470, sous le titre plagié de Proclus, le Ficin écrivit sa Théologie platonicienne de l’immortalité des âmes. Bien que complètement gagné au néo-platonisme ésotérique, il devint prêtre en 1473 et écrira son Livre de la religion chrétienne sans renoncer à sa vision païenne néo-platonicienne, puisqu’il entreprit alors toute une nouvelle série de traductions des néo-platoniciens d’Alexandrie : les cinquante-quatre livres des Ennéades de Plotin ainsi que les œuvres de Porphyre et de Proclus.

Le Ficin, dans ses « Cinq questions concernant l’esprit », s’attaqua explicitement à la conception prométhéenne de l’homme :

Rien n’est plus déraisonnable que l’homme qui, par la raison, est le plus parfait de tous les animaux, non, de toutes les choses du ciel, le plus parfait, dis-je, par rapport à cette perfection formelle qui nous est donnée dès le commencement, que l’homme, également par la raison, devrait être le moins parfait de tous par rapport à cette perfection finale pour laquelle la première perfection est donnée. Cela semble être celui du plus malheureux Prométhée. Instruit par la sagesse divine de Pallas, il a pris possession du feu céleste, c’est-à-dire de la raison. C’est à cause de cette possession, sur le plus haut sommet de la montagne, c’est-à-dire à la place la plus élevée de la contemplation, qu’il est à juste titre jugé le plus misérable de tous, car il est rendu misérable par le rongement continuel du plus vorace des vautours, c’est-à-dire par le tourment de l’enquête… 

(…) Que disent les philosophes de ces choses ? Certainement que les Mages, disciples de Zoroastre et d’Ostanès, affirment quelque chose de similaire. Ils disent que, à cause d’une certaine vieille maladie de l’esprit humain, tout ce qui est très malsain et difficile nous arrive…

L’Académie néo-platonicienne florentine, soutenue par le flamboyant Lorenzo de Médicis (1449-1492) dit « Laurent le Magnifique », ne fut jamais à l’origine d’une quelconque Renaissance. Bien au contraire, elle servira d’opération « delphique » : défendre Platon pour mieux le détruire ; le louer en des termes tels qu’il en devienne discrédité.

Et surtout détruire l’influence de Platon en opposant la religion à la science, à un moment où Nicolas de Cues et ses partisans réussirent à fertiliser l’une avec la semence de l’autre. N’est-il pas étrange que le nom du Cusain n’apparaisse pas une seule fois dans les œuvres du Ficin ou de Pic de la Mirandole, si érudits ?

Infecté par ce néo-platonisme ésotérique, Thomaso Inghirami (1470-1516), le bibliothécaire en chef du pape Jules II, n’accomplira rien d’autre que cela en dictant au peintre Raphaël le contenu des Stanze (chambres) au Vatican quelques décennies plus tard.

La « mélancolie » néo-platonicienne, que l’ami d’Erasme, le peintre-graveur Albrecht Dürer, prendra comme thème de sa célèbre gravure, deviendra la matrice philosophique des romantiques, des symbolistes et de l’école dite moderne.

Quant à la révolution que susciteront les études grecques dans les sciences, j’ai eu l’occasion d’expliquer la question dans mon texte « 1512-2012 : De la cosmographie aux cosmonautes, Gérard Mercator et Gemma Frisius ».

Humanistes et traducteurs

Pour conclure, voici une courte liste de traducteurs (il en manque certainement) et des langues étrangères qu’ils maîtrisaient.

Remercions-les pour tout ce qu’ils nous ont apporté. Sans eux, l’homme n’aurait certainement pas pu poser le pied sur la Lune !

  • Cicéron, 106-43 av. JC. : italien, latin et grec ;
  • Philon d’Alexandrie, vers 20 av. JC- 45 apr. JC : hébreu, grec ;
  • Origène, v. 185-v. 253 après JC. : grec, latin ;
  • Saint Jérôme (de Stridon), 342-420 : italien, latin et grec ;
  • Boèce, 477-524 : italien, latin et grec ;
  • Bède le Vénérable, 672-735 : anglais, latin, grec et hébreu ;
  • Charlemagne, 742-814, parlait couramment le latin et connaissait le grec, l’hébreu, le syriaque et l’esclavon (l’ancien serbo-croate) ;
  • Jean Scot Erigène, 800-876 : irlandais, grec, arabe et hébreu ;
  • Hunayn ibn Ishaq, 809-873 : arabe, syriaque, persan et grec ;
  • Thabit ibn Qurra, 826-901 : syriaque, arabe et grec ;
  • Al-Fârâbi, 872-950 : farsi, sogdien et grec ;
  • Al-Biruni, 973-1048, chorasmien, farsi, arabe, syriaque, sanskrit, hindi, hébreu et grec ;
  • Héloïse, 1092-1141 : français, latin, grec et hébreu ;
  • Hugues de Saint Victor, 1096-1141 : français, latin, grec ;
  • Constantin l’Africain, XIe siècle. : arabe, latin, grec et italien ;
  • Jean Sarrazin, XIIe siècle : latin et grec ;
  • Henri Aristippe, 1105-1162 : italien, latin et grec ;
  • Gérard de Crémone, 1114-1187 : Italien, latin et arabe ;
  • Robert Grosseteste, 1168-1253 : anglais, latin et grec;
  • Michael Scot, 1175-1232 : écossais, latin, grec, hébreu et arabe;
  • Moïse de Bergame, XIIe siècle : italien, latin et grec ;
  • Burgundio de Pise, XIIe siècle : italien, latin et grec ;
  • Jacques de Venise, mort après 1147 : italien, latin et grec ;
  • Roger Bacon, 1214-1294 : anglais, latin, grec, hébreu, arabe et chaldéen ;
  • Guillaume de Moerbeke, 1215-1286 : flamand, latin et grec ;
  • Raymond Lulle, 1232-1315 : catalan, latin et arabe ;
  • Dante Alighieri, 1265-1321 : italien et latin
  • Léonce Pilate, (?-1366) : italien, latin et grec ;
  • Francesco Pétrarque, 1304-1374 : Italien, latin et notions de grec ;
  • Giovanni Boccaccio (Bocace), 1313-1375 : italien, latin et notions de grec ;
  • Coluccio Salutati, 1331-1406 : italien et latin ;
  • Geert Groote, 1340-1384 : néerlandais, latin, grec et hébreu ;
  • Florens Radewijns, 1350-1400 : néerlandais et latin ;
  • Manuel Chrysoloras, 1355-1415 : grec, latin et italien ;
  • Jacopo d’Angelo, 1360-1410, italien, latin, grec ;
  • Georgius Gemistus Pléthon, 1360-1452 : grec ;
  • Pier Paolo Vergerio (l’Ancien), 1370-1445 : italien, latin et grec ;
  • Leonardo Bruni, 1370-1441 : italien, latin, grec, hébreu et arabe ;
  • Guarino Guarini (de Vérone), 1370-1460 : italien, latin et grec ;
  • Palla di Onorio Strozzi, 1372-1462 : italien, latin et grec ;
  • Giovanni Aurispa, 1376-1459 : italien, latin et grec ;
  • Vittorino da Feltre, 1378-1446 : italien, latin et grec ;
  • Poggio Bracciolini, 1380-1459 : italien, latin et grec ;
  • Ambrogio Traversari, 1386-1439 : italien, latin et grec ;
  • Gianozzo Manetti, 1396-1459 : italien, latin, grec et hébreu ;
  • Jean Argyropoulos, 1395-1487 : grec, italien et latin ;
  • Georges de Trébizonde, 1396-1472 : grec, latin et italien ;
  • Tommaso Parentucelli (pape Nicolas V), 1397-1494 : italien et latin ;
  • Francesco Filelfo, 1398-1481 : Italien, latin et grec ;
  • Carlo Marsuppini, 1399-1453 : italien, latin et grec ;
  • Théodore de Gaza, 1400-1478 : grec et latin ;
  • Jean Bessarion, 1403-1472 : grec, latin et italien ;
  • Lorenzo Valla, 1407-1457 : italien, latin et grec ;
  • Nicolas de Cues, 1401-1464 : allemand, latin, grec et hébreu ;
  • John Wessel Gansfoort, 1419-1489 : néerlandais, latin, grec et hébreu ;
  • Georg von Peuerbach, 1423-1461 : allemand, latin et grec ;
  • Démétrios Chalcondyle, 1423-1511 : grec et latin ;
  • Marcilio Ficino, 1433-1499 : italien, latin et grec ;
  • Constantin Lascaris, 1434-1501 : grec, latin, italien ;
  • Regiomontanus, 1436-1476 : allemand, latin et grec ;
  • Alexander Hegius, 1440-1498 : néerlandais, latin et grec ;
  • Rudolf Agricola, 1444-1485 : néerlandais, latin, grec et hébreu ;
  • Janus Lascaris, 1445-1535 : grec et latin ;
  • William Grocyn, 1446-1519, anglais, latin et grec ;
  • Angelo Poliziano, 1454-1494 : italien, latin et grec ;
  • Johannes Reuchlin, 1455-1522 : allemand, latin, grec et hébreu ;
  • Thomas Linacre, 1460-1524 : anglais, latin et grec ;
  • Erasme de Rotterdam, 1467-1536 : néerlandais, français, latin et grec ;
  • Guillaume Budé, 1467-1540 : français, latin et grec ;
  • William Latimer, 1467-1545 : anglais, latin et grec ;
  • Willibald Pirckhimer, 1470-1530 : allemand, latin et grec ;
  • Marcus Musurus, 1470-1517, italien, latin et grec ;
  • Thomas More, 1478-1535 : anglais, latin et grec ;
  • Pietro Bembo, 1470-1547 : italien, latin et grec ;
  • Jérôme Aléandre, 1480-1542, italien, latin et grec;
  • François Rabelais, 1483-1553 : français, latin et grec ;
  • Germain de Brie, 1490-1538 : français, latin et grec;
  • Juan Luis Vivès, 1492-1540 : espagnol, latin, grec et hébreu.

* * * * *

NOTES :
*A. Artus et M. Maynègre, La Fontaine de Pétrarque, n° spécial consacré au 700e anniversaire de la naissance de François Pétrarque, Avignon, 2004.
**Dans son testament du 28 août 1374, Boccace avait prédisposé qu’à sa mort (advenue le 21 décembre 1375), une partie de sa riche bibliothèque (l’essentiel des textes latins et grecs, à l’exclusion donc des œuvres en langue vernaculaire) aille en héritage au frère augustin Martino da Signa et que celui-ci, à sa propre mort (survenue en 1387), la lègue intégralement à son institution d’appartenance, le couvent de Santo Spirito à Florence.

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The Greek language project, Plato and the Renaissance

By Karel Vereycken

Some friends asked me to elaborate on the following:

It is sometimes said that the introduction of Plato in the context of the Councils of Ferrara and Florence (1439) “triggered the explosion of the Italian Renaissance”.

And of the great humanist, the German Cardinal-philosopher Cusanus, it is said that he “brought to Florence Bessarion and Plethon, who were both Greek scholars of Plato and brought the entire works of Plato which had been lost in Europe for centuries”.

At the same time, goes the narrative, “the Medicis financed a crash program to translate the works of Plato. This excitement made the Italian Renaissance what it became”.

While Plato’s ideas and the renewal of greek studies did play a major role in triggering the European Renaissance, the preceding affirmations, as we shall document here, require some refinement.

Was the Italian Renaissance “triggered” by the Council of Florence?

The chancellor of Florence, Coluccio Salutati.

Not really. It was rather –40 years earlier–, the “Greek language revival project” project of Coluccio Salutati (1332-1406), who would become the chancellor of Florence and invite the Greek scholar Manuel Chrysoloras (1355-1415) to his city, that “triggered” a revival of Greek and Hebrew studies, which in return lead to the unification of the churches at the Council of Florence (1439).

The idea had regained interest from Petrarch and Boccaccio, which Salutati admired. Along with Dante Alighieri (1265-1321), it is undoubtedly the Italian poet Petrarch (1304-1374) who best embodies the ideals guiding the humanists of the Renaissance.

All his life, it is said, Petrarch tried to

« rediscover the very rich teaching of classical authors in all disciplines and, starting from this sum of knowledge, most often scattered and forgotten, to revive and pursue the research that these authors had begun. »

After following his parents to Avignon, Petrarch studied in Carpentras where he learned grammar, then in Montpellier, rhetoric, and finally in Bologna, where he spent seven years at the school of jurisconsults.

However, instead of studying law, which in those days paved the way to a brilliant career, Petrarch secretly read all the classics hitherto known, including Cicero and Virgil, despite the fact that his father occasionally burned his books.

Petrarch and Barlaam of Samara

Barlaam of Seminara crossing a river. XVth century manuscript.
Petrarch

Under the pontificate of Benedict XII, Petrarch tried to learn Greek language with the help of a learned monk of the Order of St. Basil, Barlaam of Seminara (1290-1348), known as Barlaam the Calabrian, who came to Avignon in 1339 as ambassador of Andronic III Paleologus in an unsuccessful attempt to put an end to the schism between the Orthodox and Catholic Churches.

A philosopher, theologian and mathematician, Barlaam, while having limited knowledge of Greek and Latin, was one of the first to wish that the study of the Greek language and philosophy be reborn in Europe.

In his Treatise On my own ignorance and that of many others (1367), Petrarch declared himself proud of his Greek manuscripts – and of his library in general – and expressed his deep admiration for Barlaam:

« I have at home sixteen works of Plato. I don’t know if my friends have ever heard the titles […]. And this is only a small part of Plato’s work, for I have seen, with my own eyes, a large number of them, especially in possession of the Calabrian Barlaam, a modern model of Greek wisdom who began to teach me Greek while I was still ignorant of Latin, and who might have done so successfully if death had not taken him away from me and hindered my honest plans, as usual.« 

In 1350, two years after Barlaam’s death, Petrarch met the son of a banker, Giovanni Boccaccio (1313-1375). The latter, like Petrarch, fell in love with the Greek culture and language. In his youth, in Naples, he too had met Barlaam and learned a few words of Greek, meticulously copying alphabets and verses, adding the Latin translation and pronunciation indications.

Boccaccio and Leontius Pilatus

Leontius Pilatus

To increase his mastery of Greek, Boccaccio then called from Thessaloniki a disciple of Barlaam, Leontius Pilatus (died in 1366), an austere, ugly and very bad-tempered character. But this Calabrian lectured him on Homer’s Iliad and Odyssey and translated sixteen of Plato’s dialogues. How could one get angry with him?

Boccaccio offered him shelter and food for three years in his home and had a chair of Greek created for him in Florence, the first time ever!

Unfortunately, Pilatus did not really master this language. Although posing as a native Greek, the man had poor knowledge of ancient Greek and his translations never got beyond the level of word-for-word. As for the lessons he gave Petrarch, they were so brutal that he disgusted him forever.

This did not prevent Pilatus, at the insistence of Boccaccio, from translating Homer’s Iliad and Odyssey into Latin from a Greek manuscript sent to Petrarch by Nicolaos Sigeros, the Byzantine ambassador to Avignon.

Hence, history being what it is, it was thanks to this highly imperfect translation that Europe rediscovered one of the great founding works of its culture!

Boccaccio’s book on famous women.

And on this fragile ground will rise a flame that will revolutionize the world.

« Was it not I, » writes Boccaccio in his Genealogy of the Gods, « who had the glory and honor of employing the first Greek verses among the Tuscans? Was it not I who, through my prayers, led Pilatus to settle in Florence and who housed him there? I brought at my own expense copies of Homer and other Greek authors when none existed in Tuscany. I was the first of the Italians to whom Homer, in particular, was explained, and then I had him explained in public.« 

The hunt for manuscripts

What is important is that during these encounters Petrarch created a cultural network covering the whole of Europe, a network reaching into the East.

He then asked his relations and friends, who shared his humanist ideals, to help him find in their respective country or province, the Latin texts of the ancients that the libraries of abbeys, individuals or cities might possess. In the course of his own travels, he found several major texts that had fallen into oblivion.

It is in Liege (Belgium) that he discovered the Pro Archia and in Verona, Ad Atticum, Ad Quintum and Ad Brutum, all by Cicero. During a stay in Paris, he got his hands on the elegiac poems of Propertius, then, in 1350, on a work by Quintilian. In a constant concern to restore the most authentic text, he subjected these manuscripts to meticulous philological work and made corrections by comparing them with other manuscripts. This is how he reconstructed the first and fourth decades of the Roman History of Titus Livius from fragments and restored some of Virgil’s texts.

These manuscripts, which he kept in his own library, later came out in the form of copies and thus became accessible to the greatest number of people. While acknowledging that the pagans lacked the « true faith, » Petrarch believed that when one speaks of virtue, the old and new worlds are not at war.


The « Circolo di Santo Spirito »

Florence: the Augustinian Convent Santo Spirito.

From the 1360s onwards, Boccaccio gathered a first group of humanists known as the « Circolo di Santo Spirito » (Circle of the Holy Spirit), whose name was borrowed from the 13th century Florentine Augustinian convent.

An embryonic form of a university, its Studium Generale (1284) was then at the heart of a vast intellectual center including schools, hospices and refectories for the needy.

Before his death in 1375, Boccaccio, who had recovered part of Petrarch’s library, bequeathed to the convent his entire collection of precious ancient books and manuscripts.

Then, in the 1380s and early 1390s, a second circle of humanists met daily in the cell of the Augustinian monk Luigi Marsili (1342-1394). The latter, who had studied philosophy and theology at the universities of Paris and Padua, where he already established contact with Petrarch in 1370, became friends with Boccaccio. Hence, by attending the Cercle Santo Spirito from 1375 onwards, Coluccio Salutati in turn fell in love with Greek studies.

By inviting the Greek scholar Manuel Chrysoloras (1355-1415) to Florence to teach Ancient Greek, it was Salutati who gave the decisive impulse leading to the end of the schism between East and West and thus to the unification of the Churches, consecrated at the Council of Florence in 1439.

Roger Bacon

A century before Salutati, the English philosopher and scientist Roger Bacon (1214-1294), a Franciscan monk residing in Oxford, author of one of the first Greek grammars, already called for such a « linguistic revolution ».

As wrote Dean P. Lockwood in Roger Bacon’s Vision of the Study of Greek (1919):

« Obviously, Greek was the master-key to the great storehouse of ancient knowledge, Hebrew and Arabic to lesser chambers. Furthermore, we must not forget that in Bacon’s day the superiority of the ancients was an indisputable fact. The modern world has outstripped the Greek and the Romans in countless ways; the medieval thinkers were still climbing toward the Hellenic standard.

« Three things were clear to Roger Bacon: the need of Greek, the contemporary ignorance of Greek, and the feasibility of acquiring Greek. The same may be said of Hebrew, but Bacon rightly put Greek first. Bacon’s program was simple:

« 1. Seek out the native Byzantine Greeks resident in Europe, preferably grammarians. The latter were very few, of course, but might be found in the Greek monasteries of Southern Italy.

« 2. From these and from any other available sources let Greek books be sought. If this program were to be carried out, Bacon confidently prophetized that results would not be long in forthcoming.« 


Leonardo Bruni

Leonardo Bruni.

Manuel Chrysoloras, arrived in winter 1397, an event remembered by one of his most famous pupils, the humanist scholar Leonardo Bruni (1369-1444) and later chancellor of Florence at the time of the Council of Florence, as a great new opportunity: there were many teachers of law, but no one had studied Greek in northern Italy for 700 years.

Thanks to Chrysoloras, Bruni and Pier Paolo Vergerio the Elder were able to read Aristotle and especially Plato in the original Greek version.

Aristotle (Logic) versus Plato (Dialectics).

Until then, in Europe, Christians knew the names of Pythagoras, Socrates and Plato by their reading of the church fathers Origen, St. Jerome and St. Augustine.

The latter, in his City of God, did not hesitate to affirm that the « Platonists », that is Plato and those who assimilated his teaching (Plato et qui eum bene intellexerunt), were superior to all other pagan philosophers.

As we have demonstrated elsewhere, in particular in our study on Raphael and the School of Athens, it is to a large extent Plato’s optimistic and Promethean philosophical approach, for whom knowledge comes above all from the capacity for hypothesis and not from the mere testimony of the senses as Aristotle claims, that clearly provided the sap that allowed the Renaissance tree to offer humanity so many wonderful fruits.

Traversari’s humanist circle

Bust of d’Ambrogio Traversari.

The most famous pupil of Chrysoloras was Ambrogio Traversari (1386-1439), who became general of the Camaldolese order. Today honored as a saint by his order, Traversari was one of the first to conceptualize the type of “Christian Humanism” that would be promoted by Nicolaus of Cusa (Cusanus) and later Erasmus of Rotterdam (who framed the concept of “Saint-Socrates”) and the latter’s admirer Rabelais, uniting Plato with the Holy Scriptures, and the fathers of the Church.

Traversari, a key organizer of the Council of Florence, was also the personal protector of the great Renaissance painter Piero della Francesca and of the architect of the Dome Filippo Brunelleschi.

Traversari’s circle of humanists, which included Cusanus and Toscanelli, regularly met at the Florentine Santa Maria degli Angeli convent.

According to Vespasiano de Bisticci, the court historian of the Court of Urbino, Traversari had weekly working sessions on Plato and Greek philosophy at the Santa Maria degli Angeli convent with the crème de la crème of European humanism in the fields of literature, theology, science, politics, architecture, infrastructure, urban planning, education and the fine arts. Among those :

  • The German cardinal-philosopher Nicholas of Cusa (Cusanus);
  • Paolo dal Pozzo Toscanelli, the great physician and cartographer, also friend and protector of Piero della Francesca and Leonardo da Vinci.
  • The erudite manuscript collector Niccolò Niccoli, adviser to Cosimo the Elder, heir to the Medici’s industrial and financial empire. Considered at the time to be the richest man in the West, Cosimo was one of the patrons of the sculptor Donatello;
  • Aeneas Sylvius Piccolomini, the future humanist pope Pius II;
  • Leonardo Bruni, the apostolic secretary of Pope Innocent VII and his three successors. He succeeded Coluccio Salutati at the chancellery of Florence (1410-1411 and 1427-1444).
  • The Italian statesman Carlo Marsuppini, passionate about Greek Antiquity, and successor of Bruni as Chancellor of the Republic of Florence after the latter’s death in 1444.
  • The philosopher, antiquarian and writer Poggio Bracciolini. After having advised no less than nine popes (!), he was appointed Chancellor of the Republic of Florence following the death of Marsuppini in 1453;
  • The politician and ambassador Gianozzi Manetti. In love with ancient Greek and Hebrew, his circle includes the éducator Francesco Filelfo, the banker Palla Strozzi and the founder of the Vatican library Lorenzo Valla ;

Chrysoloras in Florence

The Greek scholar Manuel Chrysoloras

Chrysoloras remained only a few years in Florence, from 1397 to 1400, teaching Greek, starting with the rudiments. He moved on to teach in Bologna and later in Venice and Rome. Though he taught widely, a handful of his chosen students remained a close-knit group, among the first humanists of the Renaissance. As said before, among his pupils one could count some of the foremost figures of the revival of Greek studies in Renaissance Italy.

Aside from Bruni and Ambrogio Traversari, they included Guarino da Verona and the Florentine banker Palla Strozzi (1372-1462), later the friend and protector of the sculptor and translator Lorenzo Ghiberti. It is worth noting that Strozzi paid part of Chrysoloras’ salary and had the books necessary for the new teaching brought from Constantinople and Greece.

Chrysoloras went to Rome on the invitation of Bruni, who was then secretary to Pope Gregory XII. In 1408, he was sent to Paris on an important mission from the emperor Manuel II Palaeologus (1350-1425). In 1413, he went to Germany on an embassy to the emperor Sigismund, the object of which was to decide on the site for the church council that assembled at Constance in 1415. Chrysoloras was on his way there, having been chosen to represent the Greek Church, when he died that year.

Chrysoloras translated the works of Homer and Plato’s Republic from Greek into Latin. His Erotemata (Questions-answers), which was the first basic Greek grammar in use in Western Europe, circulated initially as a manuscript before being published in 1484.

Widely reprinted, it enjoyed considerable success not only among his pupils in Florence, but also among later leading humanists, being immediately studied by Thomas Linacre at Oxford and by Erasmus when he resided at Cambridge. It’s text became the basic manual used by pupils of the Three Language College set up by Erasmus in Leuven (Belgium) in 1515.

Study during the Renaissance

Traversari meets Chrysoloras during his two stays in Florence in the summer of 1413 and in January-February 1414, and the old Byzantine scholar is impressed by the bilingual culture of the young monk; he sends him a long philosophical letter in Greek on the theme of friendship. Ambrogio himself expresses in his letters the highest consideration for Chrysoloras, and emotion for the benevolence he showed him.

It should also be noted that the rich humanist scholar Niccolò Niccoli, a great collector of books, opened his library to Traversari and put him in constant contact with the scholarly circles of Florence (notably Leonardo Bruni, and also Cosimo de Medici, of whom he was advisor), but also of Rome and Venice.

In 1423, Pope Martin V sent two letters, one to the prior of the Convent of Santa Maria degli Angeli, Father Matteo, and the other to Traversari himself, expressing his support for the great development of patristic studies in this establishment, and especially for the work of translation of the Greek Fathers carried out by Traversari.

The Pope had in mind the negotiations he was conducting at the time with the Greek Church: at the beginning of 1423, his legate Antonio de Massa returned from Constantinople and brought back with him several Greek manuscripts which were to be entrusted to Traversari for translation: notably the Adversus Græcos by Manuel Calécas, and for the classics the Lives and Doctrines of the Illustrious Philosophers by Diogenes Laërtius, a text which circulated for a long time only in Traversari’s Latin translation.

It was following these undertakings that Traversari expressed his great interest in seeing the schism between the Latin and Greek Churches resolved. At the end of 1423, Niccolò Niccoli provides Traversari with an old volume containing the entire corpus of the ancient ecclesiastical canons, and the learned monk expresses in his correspondence with the humanist his enthusiasm for being able to immerse himself in the life of the then united ancient Christian Church, and in the process, he translates into Greek a long letter from Pope Gregory the Great to the prelates of the East.

Arrival of Plato’s mind

Were Bessarion and Plethon the first to bring the entire works of Plato to Europe?

Not really. While John Bessarion did indeed bring his own collection of the “complete works of Plato” in 1437 to Florence, they had already been brought to Italy earlier, most notably in 1423 by the Sicilian Giovanni Aurispa (1376-1459), who was the teacher of Lorenzo Valla (another collaborator with whom Cusanus exposed the fraud of the “Donation of Constantine” and a major source of inspiration of Erasmus).

In 1421 Aurispa was sent by Pope Martin V to act as the translator for the Marquis Gianfrancesco Gonzaga on a diplomatic mission to the Byzantine emperor, Manuel II Palaiologos.

The Byzantine Emperor John VIII Paleologus, here portrayed as King Balthasar.

After their arrival, he gained the favor of the emperor’s son and successor, John VIII Paleologus (1392-1448), who took him on as his own secretary. Two years later, he accompanied his Byzantine employer on a mission to the courts of Europe.

Giovanni Aurispa, the first Italian, in coordination with Traversari, to bring the complete works of Plato to the West.

On 15 December 1423, 16 years prior to the Council of Florence of 1439, Aurispa arrived in Venice with the largest and finest collection of Greek texts to reach the west prior to those brought by Bessarion. In reply to a letter from Traversari, he says that he brought back 238 manuscripts.

These contained all of Plato’s works, most of them hitherto unknown in the West.

Plato’s works so far were only known very partially. In Sicily, Henry Aristippus of Calabria (1105-1162) had translated into Latin Plato’s Phaedo and Meno dialogues as early as 1160.

Evil neo-Platonist

Platonists (such as Petrarch, Traversari, Cusanus or Erasmus), have nothing to do and even violently opposed “Neo-platonist” (such as Plotinus, Proclus, Iamblicus, Marsilio Ficino and Pico della Mirandola) whose influence would create what could and should be called a “counter-Renaissance”.

Already Leibniz strongly warned against the “neo-Platonists” and demanded Plato be studied in his original writings rather than through his commentators, however brilliant they might be:

“non ex Plotino aut Marsilio Ficino, qui mira semper et mystica affectantes diceren tanti uiri doctrinam corrupere.”

[In English: Plato should be studied, but “Not from Plotinus nor Marsilio Ficino, who, by always striving to speak wonderfully and mystically, corrupt the doctrine of so great a man. »]

George Gemisthos « Plethon »

George Gemistos « Plethon » in the mural painting of Benozzo Gozzoli.

Now, let us enter Plethon, who thought Plato and Aristotle could each one play their own role. George Gemistos « Plethon » (1355-1452), was a follower of the radical “neo-Platonist” Michael Psellos (1018-1080). Around 1410 Gemistos created a “neo-Platonic” academy in Mistra (near the site of ancient Sparta) and added “Plethon” to his name to make it resemble to « Plato ». He was also an admirer of Pythagoras, Plato, and the “Chaldean Oracles”, which he ascribed to Zoroaster.

Gemistos came for the first time to Florence when he was fifteen years old and became an authority in Mistra. So at the time of the Council, the Emperor, John VIII Paleologus, knew they were going to face some of the finest minds in the Roman Church on their own soil; he therefore wanted the best minds available in support of the Byzantine cause to accompany him. Consequently, the Emperor appointed George Gemistos as part of the delegation. Despite the fact that he was a secular philosopher — a rare creature at this time in the West — Gemistos was renowned both for his wisdom and his moral rectitude. Among the clerical lights in the delegation were John Bessarion, Metropolitan of Nicaea, and Mark Eugenikos, Metropolitan of Ephesus. Both had been students of Gemistos in their youth. Another non-clerical member of the delegation was George Scholarios: both a future adversary of Gemistos and a future Patriarch of Constantinople as Gennadios II. Initially, Gemistos was opposed to the unity of the western and eastern churches.

Not assisting at every theological debate during the Council of Florence of 1439, he went in town to give lectures to intellectuals and nobles on the essence of Plato and Neo-platonic philosophy. Plethon also brought with him the text of the “Chaldean Oracles” attributed to Zoroaster.

While most of Plethon’s writing were burned, since he was suspected of heresy, a large number of Plethon’s autograph manuscripts ended up in the hands of his former student Cardinal Bessarion. On Bessarion’s death, he willed his personal library to the library of San Marco in Venice (where over 4000 Greeks resided). Among these books and manuscripts was Plethon’s Summary of the Doctrines of Zoroaster and Plato. This Summary was a summary of the Book of Laws, which Plethon wrote inspired by Plato’s laws. The Summary is a mixture of polytheistic beliefs with neo-Platonist elements.

While John Bessarion (1403-1472), a real humanist, took part in the Council in Ferrara (1437) and Florence (1439), and as the representative of the Greek, signed the decree of the Florentine Union, he held nevertheless to the principle: “I honor and respect Aristotle, I love Plato” (colo et veneror Aristotelem, amo Platonem). For him Platonic thought would have the right of citizenship equal to Aristotelian thought in the Latin world only when it appeared in an irenic interpretation to Aristotelianism and as not in contradiction with Christianity, since only such an interpretation of Platonism could succeed at that time.


Cosimo di Medici and Ficino

Giovanni di Bicci de Medici

Did the Medicis finance a crash program to translate the works of Plato?

In 1397, Giovannni « di Bicci » de’ Medici (1360-1429) set up the Medici Bank. Giovanni owned two wool factories in Florence and was a member of two guilds: the Arte della Lana and the Arte del Cambio.

In 1402, he was one of the judges on the jury that selected Lorenzo Ghiberti’s design for the bronzes for the doors of the Baptistery of Florence.

In 1418, Giovanni di Bicci, wishing to endow his family with their own church, entrusted Filippo Brunelleschi, future architect of the famous dome of the Cathedral of Santa Maria del Fioro, the Duomo, with the task of radically transforming the basilica church of San Lorenzo and ordered Donatello to execute the sculptures.

Politically, the Medici family did not come to power until 1434, three years before the Council of Florence and at a time when the Renaissance was already in full swing.

Cosimo di Medici, the elder

Admittedly, Giovanni’s son and inheritor of his financial empire, Cosimo di Medici (1389-1464), known as the richest man of his epoch, became so inspired by Plethon that he acquired a complete library of Greek manuscripts. He bought a copy of the Platonic Corpus (24 dialogues) from Plethon, and a copy of the Corpus Hermeticum of Hermes Trismegistus, acquired in Macedonia by an Italian monk, Lionardo of Pistoia. Cosimo also decided to initiate a project to translate from the Greek into Latin, the totality of Plato’s works.

However, as said before, Leonardo Bruni (1369-1444), who after having been papal secretary became chancellor of the Florentine republic from 1427 till 1444, had already translated close to all of Plato’s works from Greek into Latin.

It should be underlined that the translator chosen by Cosimo was Marsilio Ficino (1433-99), the son of his personal physician and only five years old at the time of the Council of Florence in 1439. Cosimo had some severe doubts concerning Ficino’s capacities as translator. When the latter offers in 1456 his first translation, The Platonic Institutions, Cosimo asks him kindly not to publish this work and to learn first the Greek language… which Ficino learns then from Byzantine scholar John Argyropoulos (1415-1487), an Aristotelian pupil of Bessarion who rejected the Council of Florence’s epistemological revolution.

But seeing his age advancing and despite his unfortunate descent into corruption, Cosimo finally gave him the post. He allocates him an annual stipend, the required manuscripts and a villa at Careggi, close to Florence, where Ficino would set up his “Platonic Academy” with a handful of followers, among which Angelo Poliziano (1454-94), Giovanni Pico della Mirandola (1463-1494) and Cristoforo Landino (1424-1498).

The evil « neo-Platonic » Marsilio Ficino (left) with some followers of his fake Platonic Academy: Cristoforo Landino, Angelo Poliziano and Demetrios Chalkondyles.

Ficino’s “Academy”, taking up the ancient neo-platonic tradition of Plotinus and Porphyry (as Ficino states himself) would organize each year a ceremonial banquet “neglected since one thousand two hundred years” on November 7, thought to be simultaneously the birthday of Plato and the day of his death.

After the dinner, the attendants would read Plato’s Symposium and then each of them would comment on one of the speeches. The comments are demonstrations, without any real dialogue and void of the essence of real platonic thinking: irony. On top of that it is remarkable that most gatherings of Ficino’s academy were attended by the ambassador of Venice in Florence, notably the powerful oligarch Bernardo Bembo (1433-1519), father of “poet” cardinal Pietro Bembo, later special advisor to the evil Genovese “Warrior Pope” Julius II.

It was this alliance of the increasingly more degenerated Medici family, the Venetian Empire’s maritime slave trade and the anti-Platonic neo-Platonists that gained dominant influence over the Curia of the Roman Catholic Church. The Medici’s clearly disliked Da Vinci (who never got an order from the Vatican and subsequently left Italy), and through their propaganda man Vasari made the world belief that the Renaissance was exclusively their baby.

But before translating Plato, and at the specific demand of Cosimo, Ficino translated first (in 1462) the Orphic Hymns, the Sayings of Zoroaster, and the Corpus Hermeticum of Hermes Trismegistus the Egyptian (between 100 and 300 after BC).

It will be only in 1469 that Ficino will finish his translations of Plato after a nervous breakdown in 1468, described by his contemporaries as a crisis of “profound melancholy”.

In 1470, and with a title plagiarized from Proclus, Ficino wrote his “Platonic Theology or on the immortality of the Soul.” While completely taken in by esoteric neo-Platonism, he became a priest in 1473 and wrote “The Christian Religion” without changing his neo-platonic pagan outlook, producing an entire new series of translations of the neo-Platonists of Alexandria: he translated the fifty-four books of Plotinus “Enneads”, Porphyry and Proclus.

Ficino, in his “Five Questions Concerning the Mind” explicitly attacks the Promethean conception of man:

« Nothing indeed can be imagined more unreasonable than that man, who through reason is the most perfect of all animals, nay, of all things underheaven, most perfect, I say, with regard to that formal perfection that is bestowed upon us from the beginning, that man, also through reason, should be the least perfect of all with regard to that final perfection for the sake of which the first perfection is given. This seems to be that of the most unfortunate Prometheus. Instructed by the divine wisdom of Pallas, he gained possession of the heavenly fire, that is, reason. Because of this very possession, on the highest peak of the mountain, that is, at the very height of contemplation, he is rightly judged most miserable of all, for he is made wretched by the continual gnawing of the most ravenous of vultures, that is, by the torment of inquiry…” (…) “What do the philosophers say to these things? Certainly, the Magi, followers of Zoroaster and Hostanes, assert something similar. They say that, because of a certain old disease of the human mind, everything that is very unhealthy and difficult befalls us…« 

The Florentine Neo-Platonic Academy, backed by the libido-driven Lorenzo de Medici (1449-1492) “The Magnificent”, will serve as a “Delphic” operation: defend Plato to better destroy him; praise him in such terms that he becomes discredited. And especially destroying Plato’s influence by opposing religion to science, at a point where Cusanus and his followers are succeeding to do exactly the opposite. Isn’t it bizarre that Cusa’s name doesn’t appear a single time in the works of Ficino or Pico della Mirandola, so overfed with all-encompassing knowledge?

Lorenzo did protect artists such as Sandro Botticelli, whose Birth of Venus exemplifies Lorenzo’s neo-platonic symbolism.

Infected with this evil neo-Platonism, Thomaso Inghirami (1470-1516), the chief librarian of pope Julius II, will accomplish nothing but this when dictating to the painter Raphaël the content of the Stanza in the Vatican some decades later.

Neo-platonic “melancholy”, which Albrecht Dürer went after in his famous engraving, will become the matrix for the romantics, the destructive virus affecting the symbolists and the so-called modern school. As for the revolution that Greek studies will bring about in the sciences, I refer you to our article on this website: 1512-2012: From Cosmography to Cosmonauts, Gerard Mercator and Gemma Frisius.

To conclude, here is a short list of translators, and I certainly forgot some of them, and their mastery of foreign languages. Even if some of them can’t be called « humanists », let’s thank them for everything they allowed us to discover. I’m profoundly convinced that without them, man would certainly not have set foot on the Moon!

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Index, Études Renaissance

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L’oeuf sans ombre
de Piero della Francesca

ENGLISH VERSION: the egg without a shadow PdlF
Une partie de ce texte a été publié dans Fusion N°105


Par Karel Vereycken, 1999.

Ce qui nous préoccupe ici n’est pas d’écrire un n-ième commentaire académique sur telle ou telle période glorieuse du passé. Si le monde actuel sortira de la plus grave crise des temps modernes, ce n’est que parce que chacun d’entre nous se plongera dans une docte ignorance, cette humilité personnelle devant le savoir et l’absolu qui nous prédispose à accroître nos capacités d’aimer et d’agir.

La clef pour réussir une nouvelle Renaissance

Ce qui nous préoccupe ici n’est pas d’écrire un nième commentaire académique sur telle ou telle période glorieuse du passé. Si le monde actuel sortira de la plus grave crise des temps modernes, ce n’est que parce que chacun d’entre nous se plongera dans une docte ignorance, cette humilité personnelle devant le savoir et l’absolu qui nous prédispose à accroître nos capacités d’aimer et d’agir.

Pour cela, comme l’a souligné depuis fort longtemps Helga Zepp-LaRouche, les idées philosophiques et l’action politique de Nicolas de Cuse (1401-1464) sont incontournables, car sa démarche est la clef pour la formation des génies de demain.

Tout révolutionnaire qui se prend au sérieux se doit d’étudier ses idées et comment elles ont révolutionné le monde. Que cette démarche ait été hautement fructueuse, en témoignent les génies que l’histoire nous a fournis. Luca Pacioli, Léonard de Vinci, Johannes Kepler, Wilhelm Leibniz et Georg Cantor, presque tous ont explicitement reconnu leur dette intellectuelle envers Nicolas de Cuse, et j’aimerais que demain chacun d’entre vous et de vos enfants puisse en faire autant.

Si nous avons choisi ici Piero della Francesca, c’est d’abord parce qu’il a pris part à la « conspiration » politique de Cuse et ses amis. Mais c’est surtout parce que c’est lui qui a traduit la démarche du Cusain dans une méthode compositionnelle picturale. Avec l’œuvre de Piero della Francesca, et Léonard s’engouffrera sur le chemin ouvert par lui, la peinture accédera à une dimension philosophique jamais atteinte auparavant. Sa vie et son oeuvre jettent un coup de projecteur inattendu qui éclaire toute une époque qu’on nous a soigneusement dissimulé et font de lui le peintre de la Renaissance par excellence.

Renaissance et pseudo-Renaissance

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Fig. 1. Michel-Ange, David (1501-1504) et fig. 2. Donatello, Marie-Madeleine (1453-1455)

Avant d’entrer en matière, je voudrais vous soumettre un petit « test des a priori  ». Si je vous montre deux statues de la Renaissance, l’une, le David de Michel-Ange (Fig. 1), l’autre, la dernière oeuvre de Donatello, la Marie-Madeleine (Fig. 2) et si maintenant je vous demande qu’elle est la statue qui représente pour vous « la Renaissance », je suis quasiment sûr que la plupart d’entre vous choisiront celle de Michel-Ange.

Pourquoi ? D’abord, et j’ai le plaisir de vous taquiner un peu, j’affirme que la plupart d’entre vous regardent le monde avec ce que Nicolas de Cuse appelle les yeux de chair, ce premier jugement immédiat qui possède, à tort, la bonne réputation de ne pas vous tromper. Après tout, elle a l’air affreuse cette Madeleine car elle est dans un état de déchéance physique terminale. Le jeune David, lui est jeune et beau, c’est un vainqueur. Mais si vous désirez connaître ce qu’il se passe dans l’esprit de quelqu’un, quelle partie du corps allez-vous regardez de près ? Les pieds ? Le David incarne la volonté triomphante de l’homme sur la fatalité de la nature. Il ne dissimule rien et affirme son état. Il a vaincu l’ennemi extérieur. Mais son regard ? Marie-Madeleine, elle aussi a gagné une bataille, car elle est une prostituée repentie. Elle a vaincue son ennemi intérieur. Elle incarne l’idéal d’auto-perfectionnement de l’individu typique de la vraie Renaissance. Avez-vous déjà osé regarder son regard ?

Giorgio Vasari, l’homme des Médicis

Celui qui a le plus laissé sa marque sur l’histoire de l’art de la Renaissance, et donc influencé votre jugement dans le sens que nous avons indiqué plus haut, est sans aucun doute le peintre historien, « l’homme des Médicis » et élève de Michel-Ange, Giorgio Vasari (1511-1574).

Autour de 1543, un proche du pape Paul III lui « suggère » d’écrire les biographies des grands artistes italiens. Vasari, avec l’aide de toute une équipe de petites mains, écrira les 4000 pages des Vies des peintres, véritable compilation de tous les écrits épars existant à l’époque, une oeuvre qui va imprimer sa marque sur la façon dont la postérité appréhendera l’art de la Renaissance.

Il n’est donc pas inutile, sans trop pousser la caricature, de schématiser la vision « vasarienne ». La collection des biographies est repartie en trois parties. La première, « l’enfance », regroupe les « primitifs » : Cimabue, Giotto, Duccio, etc. Ceux-là avaient la qualité du sentiment religieux mais la peinture n’était pas encore une science. La deuxième partie, « la jeunesse », relate les vies des figures de transition  : Ghiberti, Masaccio, Uccello, Piero della Francesca, Ghirlandajo, Alberti etc. Ceux-ci, écrit Vasari dans la préface de la troisième section n’avaient rien compris du grand art car : « Tous ces artisans ont mis tous leurs efforts pour à réaliser l’impossible dans l’art, et spécialement dans leurs désagréables raccourcis et perspectives, qui sont tout aussi difficiles à exécuter que déplaisantes à regarder ».

Seuls les artistes qui figurent dans la troisième partie représentent « la maturité », « la » Renaissance. La norme de leur art s’ouvre avec Léonard, passe par Raphaël et culmine avec Michel-Ange, dont l’œuvre est d’une telle perfection qu’après lui, l’art ne peut que décliner. Il n’est évidemment qu’une pure coïncidence qu’à cette époque Michel-Ange achève les tombeaux des Médicis dans leur caveau familial de l’église San Lorenzo à Florence !

Bien que la première édition des Vies fît de Léonard, non pas un représentant de l’humanité mais une réflexion du divin à l’origine de l’art italien, ce rôle sera donné à Michel-Ange dans les éditions ultérieures. Selon Giorgio Vasari, cette « parfetta maniera » est portée à son apogée par les élèves de Michel-Ange et ceux de Raphaël à Florence et à Venise : Vasari lui-même, Rosso Fiorentino, Giulio Romano, Domenico Beccafumi, Giorgione, Titien, etc.

Notre thèse ici sera, au contraire, de montrer que ce sont précisément les « figures de transition » qui sont les véritables acteurs de la Renaissance et qui sont quasiment tous reliés à des réseaux internationaux dont celui de Nicolas de Cuse est l’épicentre. Ainsi, si l’on désire réellement « périodiser » l’histoire, la Renaissance s’achève avec Léonard et son départ pour la France lors de l’hiver 1516.

A l’exception du grand humaniste Côme l’ancien, la famille des Médicis a très vite sombré dans les vanités du pouvoir terrestre. L’Académie pseudo-platonicienne de Laurent le Magnifique, qu’animaient le Ficin et Pic de la Mirandole a discrédité le courant platonicien chrétien pour le tirer vers l’hermétisme et le cabalisme. N’est-il pas étonnant que Pic de la Mirandole, pourtant confit d’omniscience, réussisse à ne jamais mentionner Nicolas de Cuse que tout le monde étudie à cette époque ? Le Ficin, qui baptise son œuvre principale Théologie Platonicienne (titre plagié sur l’œuvre majeure de Proclus que Cuse étudia) ne le mentionne qu’une seule fois et encore avec une orthographe douteuse. Son académie était tellement « platonicienne » qu’elle n’épargnait aucun effort pour faire croire au monde qu’on pouvait réconcilier les thèses immorales d’Aristote avec l’humanisme de Platon.

Le Livre du Courtisan de Baldasser Castiglione, véritable manuel de l’aristocrate gentleman-guerrier, se fera l’écho de ce pseudo-platonisme au service du pape Jules II avide d’ériger « une nouvelle Rome ». Jules II ordonna d’ailleurs la mise à terre des fresques de Piero della Francesca au Vatican pour marquer sa volonté d’effacer les acquis de Renaissance. Petit à petit, l’oligarchie vénitienne et génoise, devenue propriétaire et principal bailleur de fonds de la papauté reprendra en main l’iconographie officielle pour imposer un art théâtral et aseptisé. On passera de la belle manière au maniérisme, du baroque au rococo dans ce qu’on appelle le  stylish style .

L’esthétique, dépossédée de son âme, c’est-à-dire d’idée, deviendra une vulgaire codification des formes.

Trois conciles pour unir le monde chrétien

Toute tentative de compréhension de l’œuvre de Piero della Francesca nécessite d’approfondir l’enjeu majeur de son siècle : l’unification du monde chrétien.

Evidemment, quand on imagine aujourd’hui une situation où plusieurs papes se disputent la direction de l’Eglise, on est tenté de sourire parce qu’on n’en mesure pas les conséquences sur l’ensemble de la société à cette époque. C’était une situation de quasi-guerre civile ou chaque ville, chaque communauté, chaque pays et chaque université était divisée à l’intérieur.

L’Université de Paris par exemple a entamé son déclin au grand profit d’Oxford parce que la bataille y rageait et qu’on excluait ceux qui ne pensaient pas d’un coté ou de l’autre. En plus chacun voulait collecter les contributions financières nécessaires au fonctionnement de sa chapelle. Cette division intérieure du monde chrétien du quinzième siècle était et restera pendant longtemps une menace pour la survie même du monde occidental.

Jérôme Bosch, « La nef des fous ».

La nef des fous de Jérôme Bosch illustre parfaitement cette préoccupation. Un bateau ivre flotte à la dérive. Pendant que des représentants d’ordres religieux se chamaillent pour un bout de gras suspendu à une corde, comme on le fait pour faire plaisir aux oiseaux en hiver, le gouvernail est délaissé. Dans la hauteur du mât, profitant de l’inattention de ceux qui sont engloutis dans leurs escarmouches médiocres, un larron chipe le poulet. Le fou du roi, au chômage technique à cause des concurrents qui occupent la scène, attend la fin des combats. Et finalement c’est le drapeau turc qui flotte sur le bateau.

La menace d’une invasion de l’empire turque n’était pas un fantasme entretenu par les nostalgiques des croisades mais un danger bien réel. Opérant un véritable racket de protection, les Vénitiens jouaient en permanence un double jeu « géopolitique ». Louant des bateaux au prix fort à ceux qui partaient en croisade, ils fournissaient en même temps les canons aux turcs pour prendre Constantinople en 1453, tout en demandant aux chrétiens d’Orient de payer pour être protégés…par Venise !

Le récit qu’a livré l’ami de Cuse, le cardinal grec Bessarion, des exactions turques lors de la chute de Constantinople inspira Nicolas de Cuse pour La Paix de la foi (1453) et plus tard, dans les traces de Raymond Lulle, il se penchera en détail sur le Coran afin d’esquisser pour Pie II une politique de concorde avec le monde de l’islam.

Pour commencer il fallait donc déjà organiser l’union de l’église d’Occident. Depuis 1378 deux papes coexistaient, dont un se trouvait à Rome, l’autre à Avignon et à partir de 1409 un troisième apparaîtra à Pise !

C’est le Concile de Constance (1414-1418) qui mettra fin au « Grand Schisme » avec l’élection du Pape Martin V.

Fig. 3. Jan et Hubert van Eyck, L’agneau Mystique (1434).

Le retable de Gent de Hubert et Jan Van Eyck, L’agneau Mystique (1432) (Fig. 3) glorifie le projet de l’Union universelle et en particulier la victoire du Concile de Constance : toute la terre et ses créatures sont unies autour de Jésus et son sacrifice pour l’homme ; les prophètes, les ermites, les chevaliers chrétiens, les « Justes juges » ainsi que toutes les composantes de l’église d’Orient et d’Occident.

Jan van Eyck, qui lui-même se livrait à une activité diplomatique internationale intense entre l’Italie et les Flandres, peint dans un des panneaux de droite les trois protagonistes de la fin du schisme de l’Occident, Martin V, de profil à l’avant-plan, Alexandre V, l’anti-pape Pisan au milieu, et, derrière lui Grégoire XII qui a laissé la place à Martin V.

Plus tard commençait la bataille pour l’union entre les églises d’Occident et d’Orient. D’abord au Concile de Bâle (1431-1437) où Cuse se trouve à l’age de 30 ans. Partisan de l’autorité du Concile comme autorité au-dessus du pape il défendra sa position dans la Concordance Catholique.

Cuse, ainsi que l’homme qui l’engagea dans la bataille pour l’union et qui fut probablement le premier protecteur de Piero della Francesca, le cardinal Ambrogio Traversari (1386-1438), abandonneront ce choix et prendront parti pour le nouveau pape Eugène IV, lui-même très acquis à l’Union.

Le Concile de Bâle a sombré quand il était devenu une chambre d’enregistrement et de plaintes où le bas clergé venait se disputer de ses préoccupations terrestres. Pour sortir de cette impasse, Traversari, Cuse et le cardinal Nicolas Alberghati (1375-1443), dont Van Eyck a fait un magnifique portrait, seront la force agissante qu’Eugène IV mobilisera pour organiser le Concile de Ferrare/Florence (1438-1439) qu’Alberghati présidera.

Arrêter la guerre de cent ans

Une des pré-conditions pour réussir Ferrare/Florence était la réconciliation entre Armagnacs et Bourguignons et l’arrêt de la guerre de cent ans qui ravageait la France. Le Concile de Bâle et Eugène IV enverront en France Alberghati, Tommaso Parentucelli, ami intime et bibliothécaire de Côme de Medici’s l’ancien, qui deviendra le pape Nicolas V, et l’érudit Aeneas Sylvius Piccolomini, le futur pape humaniste Pie II.

En 1435 leur démarche diplomatique se concrétisera avec la paix d’Arras qui est célébrée dans un autre tableau qu’a peint Jan van Eyck : Le chancelier Rolin et la vierge (Fig. 4).

van eyck rolin

Fig. 4. Jan van Eyck, La vierge au chancelier Rolin (après 1438).

Pour Nicolas Rolin, véritable premier ministre de Philippe le Bon et grand organisateur de cette paix, cette réussite couronna sa carrière. Sur ce tableau on voit, derrière les personnages, un pont où grouillent des dizaines de personnes à pied et à cheval dans des échanges fructueux. Orient et Occident n’y sont plus coupés par la rivière du désaccord. Historiquement, on pense que ce pont est celui de Montereau, c’est-à-dire l’endroit précis où le père de Philippe le Bon, Jean sans Peur, fût assassiné en 1419 comme vengeance pour avoir fait assassiner en 1407 Louis d’Orléans. Rolin a eu le génie d’inclure dans le traité d’Arras une mention qui ordonne le placement d’une croix commémorative sur ce pont pour aboutir à une paix juste fondée sur le pardon.

L’arrêt de la guerre de cent ans, permet à toutes les délégations de se retrouver à Ferrare. Cependant, pour échapper à la peste, le Concile de Ferrare doit rapidement déménager à Florence pour y réaliser autour de la notion du Filioque, l’union doctrinale entre Grecs et Latins mettant fin au schisme de 1055.

Précisons que Nicolas de Cuse, bien que versé dans la pensée allemande n’en est pas le représentant, mais le continuateur d’une pensée universelle qu’il a distillé de toute une filiation de penseurs platoniciens, de Proclus, de Plotin, d’Augustin, de Saint Denys l’Aréopagite, de Raymond Lulle, d’Albert le Grand et maître Eckhart, de Jan van Ruusbroec et d’Heymeric van de Velde (de Campo).

Comme nous l’avons vu, cette Renaissance s’est faite entre italiens, flamands, français et allemands, avec des amis grecs, turcs, hongrois, balkaniques, espagnols, portugais et d’autres. De pair avec cette volonté politique d’unification spirituelle se dessinait une volonté d’aboutir à une concorde dans le domaine temporel. D’abord en créant la paix à l’intérieur de véritables états-nations, comme ce fut le dessein de Jeanne d’Arc, Jacques Coeur et de Louis XI. Ensuite en créant une concorde entre ces différents états-nations respectant la multiplicité dans l’unicité. On pourrait dire qu’il s’agissait de la naissance de l’Europe moderne.

Art et éducation universelle

La clef de voûte de cette politique était une volonté d’éducation universelle rendue accessible à l’ensemble des hommes devenus citoyens. Ainsi de 1417 et 1464, outre le mécénat d’un Côme de Medici ou d’un Nicolas Rolin, quatre papes humanistes donneront un élan fantastique à l’art de la Renaissance. De 1417 à 1431, Martin V (Oddo Colonna) ; de 1431 à 1447, Eugène IV (Gabriel Condulmer) ; de 1447 à 1455, Nicolas V (Tommaso Parentucelli), et après une petite rupture de 1455 à 1458 avec Calixte III (Alfonso Borgia), de nouveau avec le pape humaniste Pie II (Enea Silvio Piccolomini) de 1458 à 1464 (année de la mort de Nicolas de Cuse). Ils engagèrent des peintres et des sculpteurs pour sortir le monde du pessimisme de la scolastique médiévale.

Rêvons un instant qu’on se balade à Rome pendant le Jubilé de 1450, où tous les humanistes de l’époque se sont donnés rendez-vous. Piero della Francesca y discute philosophie et mathématiques avec Nicolas de Cuse qui rédige son brouillon pour écrire Le profane  ; Fra Angelico montre ses fresques de Saint-Jean de Latran à l’ami flamand de Cuse, le peintre Roger van der Weyden et celui-ci est comblé par des commandes de Lionel d’Este, le mécène de Pisanello ; Le Filarete y discute un projet de ville idéale avec l’enlumineur français Jean Fouquet qui avait fait peu d’années auparavant le portrait d’Eugène IV et Paolo Toscanelli montre ses cartes au financier humaniste Jacques Coeur, dont Piero della Francesca avait fait le portrait !

Les papes humanistes bâtirent des bibliothèques et rassemblèrent les textes les plus précieux. Cuse se passionna pour l’industrie naissante de l’imprimerie. Pensez un moment qu’avant Martin V, le Vatican ne possédait que quelques centaines de livres !

La vie de Piero della Francesca

Vers 1417, Piero della Francesca naquit à Borgo San Sepulcro (aujourd’hui Sansepulcro), à une centaine de kilomètres à l’ouest de Florence entre Arezzo et Urbino. Fils de cordonnier il se passionna pour les mathématiques dès l’age de 15 ans tout en travaillant le dessin. Bien qu’on possède les preuves qu’il travailla en 1439 avec Domenico Veneziano à la réalisation de fresques du chœur de l’église Sant’Egidio à Florence, c’est surtout les deux peintres préférés de Côme de Medici, Fra Angélico et Benozzo Gozzoli et la peinture flamande qui influenceront son style.

En 1442, il compte parmi les conseillers municipaux de Sansepolcro. Ambroggio Traversari, général de l’ordre des Camaldules, un ordre érémite fondé par Saint Romuald au onzième siècle, que nous avons vu à l’œuvre avec Cuse était l’abbé de Sansepolcro et son protecteur. Piero sera d’ailleurs enterré dans l’église des Camaldules à Sansepulcro en 1492.

Ambrogio Traversari était un humaniste exemplaire. Il joue un rôle décisif dans le plus grand projet qui marque le début de la Renaissance : Les portes du Paradis du Baptistère de Florence. Ces immenses chantiers permettront au jeune Ghiberti de former pendant quarante ans plus d’une centaine de sculpteurs, de fondeurs, de dessinateurs et de peintres.

Selon l’historien de la cour d’Urbino, Vespasiano de Bisticci, Traversari réunissait dans son couvent de S. Maria degli Angeli près de Florence le cœur du réseau humaniste : Nicolas de Cuse, Niccolo Niccoli, qui possédait une immense bibliothèque de manuscrits platoniciens, Gianozzi Manetti, orateur de la première Oration sur la dignité de l’homme, Aeneas Piccolomini, le futur pape Pie II et Paolo dal Pozzo Toscanelli, le médecin-cartographe, futur ami de Léonard de Vinci, que Piero aurait également fréquenté.

Fig. 5. Piero della Francesca, Le baptême du Christ (1440-1460).

Il n’est donc point étonnant que la bataille pour l’Union de la Chrétienté apparaisse à plusieurs reprises dans les œuvres de Piero. Dans Le Baptême du Christ (Fig. 5), au centre du tableau, le Christ est baptisé par St-Jean Baptiste. A gauche un ange, qui regarde la scène du baptême, semble bénir discrètement deux figures de jeunes adolescents avec lesquels il fraternise. L’un est drapé suivant la mode grecque avec une couronne de fleurs, l’autre est habillé à l’italienne et porte une couronne de lauriers. Ces figures symbolisent l’Union des églises. Sur le côté droit du tableau, la représentation des dignitaires de l’église d’Orient se manifeste, ce qui confirme cette hypothèse. Entre eux et le Christ baptisé, on voit un homme qui retire sa chemise pour suivre l’exemple du Christ, image typique de la philosophie de la Dévotion Moderne qui préconisait une vie en « Imitation du Christ. »

Au service de Frédéric de Montefeltre

Piero della Francesca se met ensuite au service du duc Frédéric de Montefeltre à Urbino. Celui-ci avait été éduqué à Mantoue comme militaire à la Casa Giocosa dirigé par Vittorino da Feltre, un des premiers enseignants des cours princières à ouvrir son école à des élèves pauvres imposant déjà la mixité des classes (exigeant dans chaque groupe d’élèves au moins une fille). Le programme d’enseignement fait figure de précurseur du curriculum classique de Humboldt. En plus du latin et du grec les élèves apprenaient la littérature contemporaine dans leur langue maternelle, les mathématiques, la musique, l’art et la gymnastique.

En 1465, le pape Paul II le nomma gonfaloniero ou capitaine des armées pontificales et en 1467 il se trouva nommé à la tête d’une ligue d’états alarmée par l’impérialisme agressif de Venise. Les Commentaires de Pie II, sont remplis d’attaques contre l’attitude vénitienne : « ils étaient en faveur d’une guerre contre les Turcs avec leurs lèvres et la condamnaient dans leurs cœurs ».

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Fig. 6. Palais d’Urbino, quinzième siècle.

En alliance avec les papes humanistes, Montefeltre fera d’Urbino une pépinière de talents. Son palais à Urbino (Fig. 6), construit par Luciano Laurana, employait plus de cinq cent personnes et était décoré de marqueteries (les fameuses intarsia) et de trompe-l’œil. La musique y jouait un grand rôle et son palais abritait une riche collection d’instruments de musique représentative de l’époque. Des savants flamands et italiens s’y croisaient pour échanger des procédés technologiques et industriels. On y trouvait par exemple Francesco di Giorgio dont les études d’ingénieur seront reprises et continuées par Léonard de Vinci.

En peinture, Frédéric « ne trouvant pas de maîtres à son goût en Italie capables de colorer à l’huile, dépêcha ses envoyés jusqu’en Flandre pour y trouver un maître solennel et le faire venir à Urbino, où il fit exécuter de nombreuses et admirables peintures de sa main. » Ainsi il fera venir le peintre flamand Joos van Wassenhove (Juste de Gand) et le peintre espagnol Pedro Berruguete pour peindre les portraits de vingt-huit personnalités d’importance historique mondiale, parmi lesquelles Homère et Saint-Augustin. Avec l’aide de Vespasiano da Bisticci, il composera une des plus grandes bibliothèques de l’époque dont les oeuvres sont aujourd’hui incorporées à celle du Vatican.

En dehors du double portrait que Piero a fait de lui et de sa femme Battista Sforza, où il peint le duc de profil parce que celui-ci avait perdu un oeil dans une bataille, il apparaît aussi agenouillé dans le retable Pala Montefeltre (Fig. 7).

Fig. 7. Piero della Francesca, Pala Montefeltre (1469-1474)

Ce tableau, bien que très italien, a été fortement inspiré par la peinture flamande à l’époque, en particulier le tableau de Van Eyck La Vierge au chanoine van der Paele. Déjà la disposition en sacra converzatione [conversation sacrée], qui consiste à montrer un dialogue entre des personnages appartenant au domaine céleste et terrestre dans un lieu unique, sera partagée par les artistes italiens et les flamands de cette époque.

Le soin de plus en plus grand que Piero porte au sens du détail est typiquement flamand car la peinture y baignait dans une théophanie pré-cusaine. La ressemblance entre le Saint-Georges de Van Eyck et la façon dont apparaît le duc Montefeltre est frappante. L’objet le plus intéressant de ce tableau est évidemment l’œuf suspendu à une ficelle. Les uns y voient le symbole de l’Immaculée Conception, les autres y voient le symbole des quatre éléments du monde. Mais cela nous amène aux thèses philosophiques de Cuse.

Cuse à l’origine d’une perspective non-linéaire

Quelques observateurs avertis ont remarqué avec consternation un phénomène jugé illégitime dans les oeuvres de Piero della Francesca. Comment se fait-il que ce génie de la perspective, comme le prouve son traité De prospectiva pingendi de 1472, produit finalement des oeuvres avec assez peu d’effet de profondeur. Dans son traité Piero mobilise dans un cas précis pas moins de trois cents points de repère pour dessiner le socle d’une colonnade. Mais tous ces efforts n’aboutissent pas à nous donner le vertige. On est même frappé par une certaine platitude. Ce n’est qu’en imaginant le plan au sol, que finalement nous nous rendons compte de la profondeur représentée.

Des travaux récents ont ouvert une piste très intéressante en établissant une parenté d’idées entre la démarche de Piero della Francesca et la philosophie de Cuse. Dans Le Tableau ou La vision de Dieu (1453) qu’il envoyait aux moines de la Tegernsee, Cuse condense son oeuvre fondamental La Docte Ignorance (1440).

Comme point de départ pour sa spéculation théo-philosophique il prend un auto-portrait de son ami, le peintre flamand Roger van der Weyden. Cet autoportrait, comme des multiples faces du Christ qui ont été peintes au quinzième siècle, opère par une « illusion optique » l’effet d’un regard qui fixe le spectateur, même si celui-ci n’est pas en face du retable. Dans son sermon, Cuse recommande aux moines de se mettre en demi-cercle autour du tableau et de marcher sur le segment de la courbe. Vous voyez, dit-il, Dieu vous regarde personnellement et vous suit partout et il vous regarde même quand vous vous détournez de lui. Mais, tout en ayant une relation personnelle avec chacun, il regarde tout le monde en même temps.

A partir de ce paradoxe du un et du multiple, il développe notre incapacité d’accéder directement à l’absolu qui est au-delà du visible immédiat :

« Mais ce n’est pas avec les yeux de chair qui regardent ce tableau, que je vois la vérité invisible de ta face qui se signifie ici dans une ombre réduite, c’est avec les yeux de la pensée et de l’intelligence. Car ta vraie face est détachée de toute réduction. Elle ne relève ni de la quantité, ni de la qualité, ni du temps, ni du lieu. Elle est la forme absolu, la face de toutes les faces » (Chap. VI).

En approfondissant, deux concepts viendront étoffer cette pensée. D’abord Dieu enveloppe la raison de toutes choses (chap. I). Il est l’éternité qui embrasse la succession des instants (chap. XI), la cause qui enveloppe l’effet. Le monde visible est donc le développement [ex-plicatio] de cette puissance invisible d’enveloppement [com-plicatio], le développement en acte des possibles (chap. XXV).

Ensuite Cuse veut nous amener au point où l’absolu puisse se révéler à nous. Pour cela, il utilise dans ce sermon un cheminement « mystique » classique qui lui permet d’attaquer la scolastique aristotélicienne. Il s’agit de constater toutes les limites d’une « raison raisonnante », car comme à l’image d’un polygone inscrit dans un cercle dont la multiplication des angles ne permettra jamais à faire coïncider le polygone avec le cercle, notre raisonnement ne pourra jamais saisir la totalité de l’absolu.

Fort de cette « docte ignorance », ce savoir socratique « qu’on sait qu’on ne sait pas », Cuse évoque la métaphore du « mur du Paradis ». C’est le mur de la « coïncidence des contraires » et ce n’est qu’au-delà que la révélation est possible :

« O Dieu très admirable ! Tu ne relèves ni du nombre singulier ni du nombre pluriel mais, au-dessus de toute pluralité et de toute singularité, tu es uni-trinitaire et tri-unitaire. Je vois donc que dans le mur du Paradis où tu es, mon Dieu, la pluralité coïncide avec la singularité et que tu habites bien plus loin au-delà… »

« De là, la distinction qui existe dans le mur de la coïncidence – où le distinct et l’indistinct coïncident-devance toute altérité et diversité intelligibles. Car ce mur s’arrête à la puissance de toute intelligence, quoique l’œil étende son regard au-delà, dans le Paradis. Ce qu’il voit, il ne peut ni le dire, ni le comprendre. Car son amour est un trésor secret et caché qui même découvert demeure caché. Il se trouve dans le mur de la coïncidence du caché et du manifeste… » (Chap. XVII, p. 69-73)

Cependant, à l’opposé des « théologies négatives », médiévales ou orientales qui conduisent souvent au renoncement du monde actif, pour Cuse, ce franchissement du Mur permet à l’homme d’accéder au « Paradis » pendant cette vie. Cette coïncidence des contraires n’est donc pas le résultat d’une quête rationnelle, mais le fruit d’une révélation. En allant vers Dieu, celui-ci se révèle. (Note *1). Un commentaire sur son adversaire, le scolastique de Heidelberg Johann Wenck illustre bien sa pensée :

« Or, aujourd’hui, c’est la secte aristotélicienne qui prévaut, et elle tient pour hérésie la coïncidence des opposés dont l’admission permet seule l’ascension vers la théologie mystique. A ceux qui ont été nourris dans cette secte, cette voie paraît absolument insipide et contraire à leur propos. C’est pourquoi ils la rejettent au loin et ce serait un vrai miracle, une véritable conversion religieuse, si, rejetant Aristote, ils progressaient vers les sommets ».

La Flagellation

Alors comment cela se traduit en peinture ? Tout d’abord au lieu de traiter « l’espace » dans son développement visible [ex-plicatio], on tente de le représenter dans son enveloppement invisible [com-plicatio].

Fig. 8. Piero della Francesca, La Flagellation (vers 1470).

Le tableau de Piero, La Flagellation (Fig. 8), en est un bon exemple. Le thème de l’union des églises d’Orient et d’Occident et de la nécessité d’une expédition militaire pour protéger les chrétiens d’Orient s’y retrouve. Sur le cadre original figurait d’ailleurs le texte  Convenerunt in unum  [Ils se mirent d’accord et s’allièrent]. Ce texte enferme une double signification pour le tableau.

A gauche on voit ceux qui s’allièrent pour mettre à mort le Christ, juste avant le début de la flagellation avec Jean VIII Paléologue, identifié grâce à une médaille de Pisanello en Ponce Pilate, et Mohammed II vu de dos.

A droite, il y a ceux qui devraient s’allier pour intervenir : on y voit le cardinal grec Bessarion face à un dignitaire latin, probablement le commanditaire du cycle de fresques que Piero exécuta à Arezzo, Giovanni Bacci, qui était proche du réseau humaniste. Entre eux deux, un genre d’ange sans ailes semble imposer son exigence pour que le dialogue se concrétise.

Piero, féru de mathématiques, n’a pas raté l’occasion pour nous livrer une démonstration de son talent.

D’abord, le tableau possède comme hauteur un braccio ou brasse (58,6 cm), la mesure la plus utilisée à l’époque en Toscane. Sa largeur (81,5 cm) est obtenue en rabattant la diagonale (nombre irrationnel) du carré formé par la hauteur et forme ainsi un rectangle harmonique.

Fig. 9. Plan au sol de La Flagellation.

Ensuite, comme dans certaines oeuvres de Fra Angelico, dans la Flagellation le spectateur se trouve d’une façon quasiment perpendiculaire devant une série de colonnes qu’il peut à peine identifier. Quand on compare le plan au sol (Fig. 9) avec ce qu’on voit sur le tableau, on constate effectivement un sens harmonique de l’espace, mais l’effet spatial s’opère plus par suggestion que par déploiement.

On peut utilement identifier cette position de vue à ce qu’on appelle en géométrie le « point de vue stable » ou « générique » en opposition avec « le point de vue instable » ou « non-générique. » (Fig. 10). Ce point de vu instable fait coïncider le point de vue du spectateur avec celui de l’absolu comme le suggère Cuse dans La vision de Dieu.

Fig. 10. Point de vue « générique » ou stable et le point de vue « non-générique » ou instable (exemple du cube devenant hexagone).

Pour démontrer ce phénomène j’ai imaginé une petite expérience. Si je place devant une source lumineuse un cube que j’ai construit avec des baguettes de bois, j’obtiens sur un écran des ombres qui vont varier en fonction de la rotation du cube devant cette source. Quand je tourne le cube sur un angle, j’obtiens d’une façon très démonstrative comme ombre du cube un hexagone ! Ainsi la projection d’un objet en position spatiale « maximale » coïncide avec l’espace « minimale » de la surface hexagonale ! Ce point de vue est la position où tous les déploiements sont possibles, et à partir de laquelle toutes les formes peuvent être générées. Il est en même temps le point de vue du mur des coïncidences des contraires, puisque surface et volume y coïncident !

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Fig. 11. Piero della Francesca, L’Annonciation (1460/70).

Ce procédé compositionnel apparaît peut-être encore plus brillamment dans l’Annonciation (Fig. 11) qui figure dans le fronton du Polyptyque de saint Antoine. Un effet de quasi-inversion de l’espace s’y opère par la coïncidence des opposés. Piero savait qu’il fallait réserver la perspective classique pour le domaine du « mesurable », mais que pour exprimer « l’incommensurable » et ouvrir les yeux de l’intellect, il fallait planifier un effet non-linéaire mais légitime. Dans l’Annonciation, il intensifie cet effet en plaçant une plaque de marbre au fond du couloir qui annule quasiment l’effet de perspective qu’il vient de créer avec virtuosité avec les colonnades du couloir. Cette plaque de marbre est peut-être la représentation du mur de la coïncidence des contraires ? S’agit-il des portes du Paradis, c’est-à-dire l’ouverture vers la révélation ?

Fig. 12. Piero della Francesca, La Résurrection du Christ (1455-1465).

Une autre démonstration du génie compositionnel de Piero se dévoile dans la Résurrection (Fig. 12) qui se trouve à l’hôtel de ville de Sansepolcro (sainte sépulture). Le Christ nous y étonne parce que bien que les spectateurs se trouvent en bas, et la perspective des soldats le prouve, nous avons l’impression bizarre d’être en haut au même temps.

Piero, en reprenant l’iconographie de La Résurrection d’Andrea del Castagno, modifie trois choses : d’abord il montre d’un côté des arbres morts et de l’autre des arbres fleuris, pour signifier symboliquement l’effet de la résurrection. Ensuite, en mettant le bord du tombeau, qui devient quasiment un autel d’église, à la hauteur de la ligne de vision du spectateur, le spectateur se retrouve, comme devant l’hexagone, sur un point de vision « non-générique ». Toute l’ambiguïté éclate quand nous réalisons que, bien que nous nous soyons positionnés en dessous du Christ, son visage nous apparaît de face. Cette anomalie n’est pas « une erreur », mais un paradoxe délibéré indispensable pour nous éveiller à la métaphore. Ainsi d’un monde linéaire et mortifié, toute la dimension métaphysique s’exprime d’une façon très simple grâce à cette façon de composer.

La compréhension de cette méthode qui fait appel à des paradoxes géométriques, nous permet de mieux comprendre la démarche de Piero et l’oeuf du Pala Montefeltre, se trouve ainsi démystifié. Le fait que l’œuf y soit éclairé ainsi que le bord de l’abside en forme de coquillage de Saint-Jacques nous fait visuellement croire que l’œuf est suspendu au-dessus de la Vierge, réalité formellement exclue, puisqu’une voûte à caissons sépare les personnages du fond de l’abside. Positionné sur le croisement des diagonales du carré qu’on peut inscrire dans la partie supérieure du tableau, l’œuf de Piero fera coïncider le premier plan avec le dernier, et l’absence d’une ombre projetée de l’œuf est là pour renforcer cet effet.

Notons aussi dans ce tableau la présence discrète du meilleur élève de Piero della Francesca, Luca Pacioli di Borgo (1445-1510) (à droite derrière le duc Montefeltre). Bien que Vasari accuse à deux reprises ce moine franciscain d’avoir plagié vilainement l’œuvre mathématique de Piero della Francesca, nous avons de bonnes raisons pour croire qu’une bonne entente dominait leur relations.

Luca Pacioli, le transmetteur

Fig. 13. Jacopo de’ Barbari, Portrait de Luca Pacioli (1495).

Elève de Piero, Luca Pacioli (Fig. 13) évoluait d’abord à la cour d’Urbino où il enseignait les mathématiques au fils de Frédéric de Montefeltre, Guidobaldi. Ensuite il rencontrera Léonard de Vinci à la cour de Milan où Léonard fera pour lui les dessins des polyèdres réguliers et irréguliers qui illustrent son De divina proportione (1509). Léonard fréquentait régulièrement Pacioli qu’on considère aujourd’hui comme une influence majeure sur le peintre. Leurs échanges d’idées se poursuivront quand Léonard s’installe à Florence où Pacioli viendra enseigner Euclide. Ainsi les écrits de Pierro della Francesca ont été transmis à Léonard, en particulier son Trattato dell’abaco qui traite d’arithmétique, d’algèbre et de stéréométrie et le Libellus de quinque corporibus regularibus que Pacioli fera imprimer sans trop de changements dans son traité de la Divina proportione.

S’il n’est pas sûr qu’Albrecht Dürer (1471-1528) ait pu rencontrer Piero della Francesca (qui décède en 1492), il est établi qu’il a reçu son initiation à la perspective auprès de Luca Pacioli durant son séjour à Bologne. On voit d’ailleurs dans son traité, Instruction dans l’Art de Mesurer, comment il retravaille des pans entiers du traité de Piero.

Léonard, héritier de Cuse

Depuis le livre d’Ernst Cassirer de 1927, l’influence de Cuse sur Léonard a été constatée, mais on ne sait pas si cette influence s’est effectuée par Luca Pacioli. Ce qui est sûr, c’est que le meilleur ami de Cuse, car ils se sont connus pendant leurs études communes à Padoue, était Paolo dal Pozzo Toscanelli, médecin, perspectiviste, géographe en son temps. Il deviendra l’aide et l’ami de Léonard !

L’historien d’art Daniel Arasse a résumé, à partir de nouvelles recherches sur les manuscrits de Madrid, ce qu’on pense savoir sur la culture du maître et il a rétablit la véracité des découvertes d’Ernst Cassirer entre-temps mis en doute par Eugenio Garin (Note *2).

« …il est très probable que Léonard a connu au moins deux textes du Cusain : le De transmutationibus geometricis et le De ludo globi. Au début des années 1500, les manuscrits Forster I et Madrid II, ainsi que des nombreuses pages du Codex Atlanticus multiplient en effet les études sur les transformations des corps solides et celles des surfaces courbes en surfaces rectilignes, et Léonard aboutit à un projet de traité De ludo geometrico. De même, le Manuscrit E (1513-1514) contient des dessins (fol. 34 et 35) qui illustrent le ‘jeu du globe’ qui avait exercé lesspéculations du philosophe allemand ; or, il ne s’agissait pas d’enfantillage puisque le mouvement spiralé d’un corps sphérique invitait àpenser,sur un cas précis et complexe, la question du mouvement imprimé à un corps pesant, question centrale de la physique aristotélicienne qui mettait en jeu au quinzième siècle la notion d’impetus par rapport à laquelle Léonard a proposé sa propre définition de forza, au coeur de sa conception de la nature » (Note *3)

Une autre parenté d’idées entre Léonard et Cuse existe sur la question de la profanité. Le statut d’ uomo sanze lettere , que Léonard revendique fièrement dans le Codex Atlanticus ressemble fortement au profane que Cuse imagine dans le dialogue de De Idiota [le profane] (1450). Un simple artisan qui taille des cuillers dans du bois, y devient le maître à penser d’un orateur et d’un « philosophe ». Comme chez Erasme plus tard dans L’éloge de la Folie, Léonard critique le savoir livresque au nom de la capacité souveraine de chaque être humain à penser par lui-même en soumettant ses hypothèses à l’expérience dans la nature.

L’influence de Piero della Francesca dans l’oeuvre de Léonard

Fig. 14. Léonard de Vinci, La Vierge aux Rochers (1483-1486).

Ceci donne une nouvelle cohérence à deux œuvres de la période milanaise, c’est-à-dire précisément l’époque où le peintre est en dialogue avec Pacioli.

D’abord regardons La Vierge aux Rochers (Fig. 14). Rappelons-nous d’abord que Léonard affirmait que le but de la peinture était de « rendre visible l’invisible. » Ce que nous avons évoqué sur la notion de enveloppement-développement dans la pensée de Cuse permet de saisir cette expression à sa juste valeur.

Les dimensions de l’oeuvre sont bien générées par la « divine proportion » (section d’or) c’est-à-dire celles d’un rectangle d’or, obtenue en abattant la diagonale de la moitié d’un carré sur coté.

Dans La Vierge au Rochers, on remarque souvent que la Vierge semble vouloir empêcher que l’enfant Jésus tombe dans un précipice qui s’ouvre devant ses pieds, impression qui découle de l’emploi du point de vue instable. Cet effet est amplifié par l’organisation de la lumière, contribution originale de Léonard précurseur de Rembrandt. L’épaisse pénombre de la grotte rappelle un passage de Cuse du chapitre VI du Le tableau ou la vision de Dieu  :

« De même, alors qu’il cherche à voir la lumière du soleil, soit la face du soleil, notre oeil la regarde d’abord voilée, dans les étoiles, dans les couleurs et dans tout ce qui participe de sa lumière. Mais quand il s’efforce de la voir sans voile, il dépasse toute lumière visible, car toute lumière est plus faible que celle qu’il cherche. Mais comme il cherche à voir la lumière qu’il ne peut voir, il sait que tant qu’il voit quelque chose, ce ne sera pas ce qu’il cherche et qu’il lui faut donc dépasser toute lumière visible. Il doit ainsi dépasser toute lumière : il lui est alors nécessaire d’entrer là où il n’y a pas de lumière visible. Et je dirais qu’il n’y a pour l’œil que ténèbres. Et dès qu’il est dans les ténèbres, dans l’obscurité, il sait qu’il a atteint la face du soleil ».

Donc la seule façon de représenter la lumière invisible, c’est par les ténèbres ! Est-ce que ce n’est pas pour cela que Léonard a choisi une grotte ? La lumière qui éclaire les figures est la lumière du visible, mais celle qui vient du fond de la grotte est d’une qualité radicalement différente. Ne représentera-t-elle pas la lumière invisible ?

Ainsi Léonard de Vinci n’est pas un génie divin envoyé par les cieux. De l’œuf sans ombre, métaphore de la coïncidence du matériel et de l’immatériel, que nous livre Piero della Francesca, est sorti l’explosion de la créativité humaine guidée par un amour universel. Léonard est pour ainsi dire le bébé-éprouvette du grand laboratoire de la Renaissance, un autodidacte humble et géant, à l’image du profane de Nicolas de Cuse, où le théologien rencontre l’artisan. Car pour Cuse l’acte d’amour pour Dieu ne peut se faire hors de la connaissance au service de l’action. Donc, loin de voir science et action créatrice comme ce qui éloigne l’homme de la foi, c’est précisément leur accroissement qui rapproche l’homme de l’absolu. Dans l’esprit de la coïncidence des contraires, c’est la spéculation la plus métaphysique qui portera le plus de fruits en terme de découvertes dans le domaine terrestre (Note *4). Cuse, précurseur de Leibniz et de LaRouche, définit ainsi une transcendance participative, une théo-philosophie génératrice de découvertes scientifiques, véritable science de l’économie.

Il y a fort longtemps, un représentant de l’église orthodoxe de l’Ile de Capri confiait à l’auteur : « la plus grande erreur de l’humanité a été la Renaissance. On a voulu remplacer Dieu par la raison humaine et ainsi l’homme court à sa perte. Mais l’échec de ce règne de la raison ramènera l’homme vers la foi authentique »

Malraux disait que le vingt-et-unième siècle « sera spirituel ou ne sera pas. » Nous le pensons profondément, mais notre combat définira s’il s’agira d’une nouvelle Renaissance ou d’un nouvel âge des ténèbres.


Notes :

*1. Ce thème apparaît déjà sous une forme intuitive chez le « mystique » flamand Jan van Ruusbroec (1293-1381), notamment dans son livre Les Noces Spirituelles. La définition que donna Ruusbroec de la vie commune, dans son écrit La pierre brillante servira par la suite à son élève Geert Grote pour créer les  Frères et Soeurs de la Vie Commune . Partant d’Hadewich d’Anvers et le mouvement des béguins ils deviendront l’ordre augustinien de la Congrégation de Windesheim au Pays Bas. Cet ordre laïc sera très actif dans la traduction, l’enluminure et l’impression des manuscrits. De ses rangs sortiront notamment Thomas à Kempis, auteur de l’Imitation du Christ, le « prince des humanistes » Erasme de Rotterdam et des scientifiques comme le géomètre Gemma Frisius et son élève, le cartographe Gérard Mercator. Jérôme Bosch sera proche de cette mouvance. Nicolas de Cuse sera formé par les Frères à Deventer (il y fondera en 1450, la « bursa cusana », une bourse destinée à aider les étudiants pauvres) et il retrouvera un de ses précepteurs, Heymeric van de Velde (de Campo) à Cologne en 1425. Celui-ci l’initiera à Raymond Lulle, à Denis l’Aréopagite et Albert le Grand. Van de Velde sera un des représentants au Concile de Bâle et acceptera l’offre des humanistes de Flandres de diriger la nouvelle l’Université de Louvain. Nicolas de Cuse déclina cette offre, parce qu’il se savait un rôle politique plus grand.

*2. Eugenio Garin écrit en 1953 que « la spéculation cusaine, mûrie à travers la rencontre du néo-platonisme et de la théologie allemande, n’a rigoureusement rien à voir avec la science de Léonard » qui aurait été de toute façon incapable de lire et de comprendre le latin complexe de Cuse ! Ce mépris des « lettrés » pour le « peuple », propre à l’ordre féodal, se retrouve bizarrement dans un article de Serge July dans Libération en 1995. Celui-ci y affirmait qu’il était impossible que les maires ruraux de France puissent comprendre le message « complexe » du candidat présidentiel Jacques Cheminade, et que cela constituait donc « la preuve » que celui-ci avait acheté leur soutien !

*3. Daniel Arasse, Léonard de Vinci, p. 69, Editions Hazan, 1997, Hazan.

*4. Par exemple : Nicolas de Cuse, à partir de sa compréhension du caractère absolu de Dieu postule que toute chose crée est nécessairement imparfaite. Ainsi il conclut que la terre ne peut être une sphère parfaite. Si elle n’est qu’une sphéroïde, son centre parfait n’est pas parfaitement au centre. Bien au-delà de la révolution copernicienne qui remplaçait la terre par le soleil comme centre de l’univers, et corrigeant en cela la vision scolastique aristotélicienne, Cuse écrit : « Le centre du monde n’est pas plus à l’intérieur de la terre qu’à l’extérieur, et la terre n’a pas de centre, ni aucune sphère non plus. Car le centre est un point équidistant de la circonférence. Or il est impossible qu’il existe une sphère ni un cercle parfaitement vrais ; il est donc évident qu’il ne peut y avoir de centre tel qu’on puisse le concevoir un plus vrai et un plus précis. Hors de Dieu on ne saurait découvrir dans le domaine du divers aucune équidistance précise, car Dieu seul est l’Egalité infinie. Le vrai centre du monde, c’est donc Dieu infiniment saint, car il est le centre de la terre et de toutes les sphères et de tout ce qui existe au monde, il est en même temps de toutes choses la circonférence infinie » (De la docte ignorance, Chap. XI)

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