Étiquette : obligations

 

La paix de Westphalie, une réorganisation financière mondiale

par Karel Vereycken, Paris, France.

Signature de l’accord de paix, en 1648 à Münster. Tableau de Gerard Van der Borch.

En 1648, après cinq ans de négociations, conduites notamment par le diplomate français Abel Servien sur les instructions du Cardinal Mazarin, était signée la « Paix de Westphalie » mettant fin à la guerre de Trente Ans. Bien avant la charte de l’ONU, 1648 fera de la souveraineté nationale, du respect mutuel et du principe de non-ingérence les fondements du droit international. La République des Pays-Bas et la Confédération helvétique sont reconnues et de nombreux traités bilatéraux de paix mettent fin aux conflits.

Mais ce n’est pas tout. Un lecteur attentif de ces traités de paix découvre que l’engagement de chacune des parties, qui consiste à prendre en considération « l’avantage d’autrui » autant, sinon plus, que le sien, se traduit par des actes concrets jetant les bases d’un nouvel ordre financier et économique international.

L’article 1 énonce le principe philosophique fondamental sur lequel repose la paix :

Qu’il y ait une paix chrétienne et universelle, et une amitié perpétuelle, vraie et sincère, entre [liste des parties renonçant au combat] ; et que cette paix et cette amitié soient observées et promues avec une telle sincérité et un tel zèle, que chaque partie s’efforce de procurer le bénéfice, l’honneur et l’avantage d’autrui ; et qu’ainsi, de tous côtés, ils puissent voir cette paix et cette amitié dans l’Empire romain, et le Royaume de France prospérer, en entretenant un bon et fidèle voisinage.

L’article 2 décrit ensuite le type de « réinitialisation » dont nous avons si urgemment besoin aujourd’hui :

Il y aura d’un côté et de l’autre un oubli, une amnistie ou un pardon perpétuel de tout ce qui a été commis depuis le début de ces troubles, en quelque lieu ou de quelque manière que les hostilités aient été pratiquées, de telle sorte qu’aucun acteur, sous quelque prétexte que ce soit, ne puisse pratiquer aucun acte d’hostilité, entretenir aucune inimitié ou causer aucun trouble ; (…) tout ce qui s’est passé d’un côté et de l’autre, aussi bien avant que pendant la guerre, en paroles, écrits et actions outrageantes, en violences, hostilités, dommages et dépenses, sans aucun respect pour les personnes ou les choses, sera entièrement aboli de telle sorte que tout ce qui pourrait être exigé ou prétendu par l’un et l’autre à ce sujet sera enseveli dans un oubli éternel.

Pendant des décennies, la plupart des belligérants de la guerre de Trente Ans se sont mutuellement infligés des dommages inouïs, essentiellement pour pouvoir rembourser leurs dettes avec le butin de leurs pillages et de leurs conquêtes, afin de satisfaire une minuscule oligarchie financière qui prêtait aussi généreusement aux uns qu’aux autres. C’est cet asservissement par la dette que le traité propose d’« ensevelir dans un oubli éternel ».

Ainsi, avant même de régler les disputes et les revendications territoriales, le traité s’attelle à créer les conditions mettant fin à la ruine financière dans laquelle tous se trouvaient plongés.

Les dettes, intérêts, obligations, rentes et créances financières impayables, insoutenables et illégitimes, explicitement identifiés comme alimentant une dynamique de guerre perpétuelle, sont examinés, triés et réorganisés, le plus souvent par l’annulation des dettes (articles 13 et 35, 37, 38 et 39), par des moratoires ou un rééchelonnement selon des échéanciers précis (article 69).

L’article 40 conclut que ces annulations s’appliqueront « à la réserve toutefois des sommes de deniers, qui durant la guerre ont été fournies de bon cœur et à bonne intention pour d’autres, afin de détourner les plus grands périls et dommages dont ils étoient menacez. » (Impliquant que ces dettes devront être honorées.)

Enfin, regardant vers l’avenir et pour faire en sorte que « le commerce refleurisse », le traité abolit de nombreux péages et octrois « inusités » et « privés », obstacles aux échanges des biens physiques et des savoirs-faire et donc du développement mutuel. (Art. 69).

Dans le texte :

  • Art. 13 : « Le Seigneur Électeur de Bavière renoncera entièrement pour lui, ses héritiers et successeurs à la dette de treize millions, et à toute prétention sur la haute Autriche, et incontinent après la publication de la paix donnera à sa Majesté Impériale les actes obtenus sur cela pour être cassez et annullez. »
  • Art. 35 : « La pension annuelle que le bas Marquisat avoit accoutumé de payer au haut Marquisat, soit en vertu du présent Traité entièrement supprimée, abolie et annullée, sans que doresnavant on puisse prétendre ou exiger pour ce sujet aucune chose, ni pour le passé, ni pour l’avenir. »
  • Art. 37 : « Que les contracts, échanges, transactions, obligations, et promesses illicitement extorquez par force ou par menaces des États ou des sujets, (…) comme aussi les actions rachetées et cédées soient abolies et annullées ; en sorte qu’il ne sera permis à personne d’intenter aucun procès ou actions pour ce sujet. »
  • Art. 38 : « Que si les débiteurs ont extorqué des créanciers par force ou par crainte les actes de leurs obligations, tous ces actes seront restituez, les actions sur ce demeurant en leur entier. »
  • Art. 39 : « Que si l’une ou l’autre des parties qui sont en guerre, ont extorqué par violence, en haine des créanciers, des dettes causées pour achat, pour vente, pour revenus annuels, ou pour quelqu’autre cause que ce soit, il ne sera décerné aucune exécution contre les débiteurs qui allégueront, et s’offriront de prouver qu’on leur aura véritablement fait violence, et qu’ils ont payé réellement et de fait, si non après que ces exceptions auront été décidées en pleine connoissance de cause. Que le procès qui sera sur ce commencé, sera fini dans l’espace de deux ans à compter dez la publication de la paix, faute de quoi il sera imposé perpétuel silence aux débiteurs contumax. »
  • Art. 40 : « Mais les procès qui ont été jusques-ici intentés contre eux de cette sorte ; ensemble les transactions, et les promesses faites pour la restitution future des créanciers, seront abolies et annullez ; à la réserve toutefois des sommes de deniers, qui durant la guerre ont été fournies de bon cœur et à bonne intention pour d’autres, afin de détourner les plus grands périls et dommages dont ils étoient menacez. »
  • Art. 68 : « Quant à la recherche d’un moyen équitable et convenable, par lequel la poursuite des actions contre les débiteurs ruinez par les calamitez de la guerre, ou chargez d’un trop grand amas d’intérêts, puisse être terminée avec modération, pour obvier à de plus grans inconveniens qui en pourroient naître, et qui seroient nuisibles à la tranquillité publique, Sa Majesté Imperiale aura soin (…) »
  • Art. 69 : « Et d’autant qu’il importe au public que la paix étant faite, le commerce refleurisse de toutes parts on est convenu à cette fin que les tributs, et péages, comme aussi les abus de la bulle Brabantine et les représailles et arrêts qui s’en seront ensuivis, avec les certifications étrangères, les exactions, les détentions, de même les frais excessifs des postes, et toutes autres charges, et empêchemens inusitez du commerce et de la navigation qui ont été nouvellement introduits à son préjudice et contre l’utilité publique çà et là dans l’Empire, à l’occasion de la guerre, par une authorité privée, contre tous droits et privilèges, sans le consentement de l’Empereur et des Électeurs de l’Empire, seront tout-à-fait ôtez ; en sorte que l’ancienne sûreté, la jurisdiction et l’usage tels qu’ils ont été longtemps avant ces guerres, y soient rétablis et inviolablement conservez aux Provinces, aux ports et aux rivières. »

Source des citations (texte du traité de Paix) :
https://mjp.univ-perp.fr/traites/1648westphalie.htm

Merci de partager !

The 1648 Peace of Westphalia, a worldwide financial reorganization

Cet article en PDF

Signing of the Peace of Westphalia, in Münster 1648, painting by Gerard Ter Borch.


In 1648, after five years of negotiations, led by the French diplomat Abel Servien on the instructions of Cardinal Mazarin, the “Peace of Westphalia” was signed, putting an end to the Thirty Years’ War (1618-1648). Long before the UN Charter, 1648 made national sovereignty, mutual respect and the principle of non-interference the foundations of international law.

The Republic of the Netherlands and the Helvetian Confederation were recognized and numerous bilateral peace treaties put an end to many conflicts.



But that is not all. A careful reader of these treaties discovers that the commitment of all parties to take into account “the advantage of others” as much, if not more, than their own, is translated into concrete acts laying the foundations of a new international financial and economic order.

Article 1 states the fundamental philosophical principle upon which peace rests:



“That there shall be a Christian and Universal Peace, and a perpetual, true, and sincere Amity, between [list of parties renouncing combat]; That this Peace and Amity be observ’d and cultivated with such a Sincerity and Zeal, that each Party shall endeavour to procure the Benefit, Honour and Advantage of the other; that thus on all sides they may see this Peace and Friendship in the Roman Empire, and the Kingdom of France flourish, by entertaining a good and faithful Neighbourhood.”

Article 2 goes on to describe the kind of « Global Reset » so urgently needed today:

“That there shall be on the one side and the other a perpetual Oblivion, Amnesty, or Pardon of all that has been committed since the beginning of these Troubles, in what place, or what manner soever the Hostilitys have been practis’d, in such a manner, that no body, under any pretext whatsoever, shall practice any Acts of Hostility, entertain any Enmity, or cause any Trouble to each other; (…) all that has pass’d on the one side, and the other, as well before as during the War, in Words, Writings, and Outrageous Actions, in Violences, Hostilitys, Damages and Expences, without any respect to Persons or Things, shall be entirely abolish’d in such a manner that all that might be demanded of, or pretended to, by each other on that behalf, shall be bury’d in eternal Oblivion.”


For decades, most of the belligerents in the Thirty Years’ War inflicted terrible damage on each other, mainly in order to pay off their debts with the spoils of their plunder and conquests, essentially to satisfy a tiny financial oligarchy that lent as generously to one as to another. It is precisely this “enslavement by debt” that the treaty proposes to “bury in eternal oblivion”.

Hence, even before settling disputes and territorial claims, the treaty sets out to create the conditions that will put an end to the financial ruin into which all were descending.

As in the case of other rare “Debt Jubilee”, unpayable, unsustainable and illegitimate debts, interests, bonds, annuities and financial claims, explicitly identified as fueling a dynamic of perpetual war, were examined, sorted out and reorganized, most often through the cancellation of debts (articles 13 and 35, 37, 38 and 39), through moratoria or debt rescheduling according to specific timetables (article 69).

Article 40 concludes that debt cancellations will apply in most cases, “and yet the Sums of Money, which during the War have been exacted bona fide, and with a good intent, by way of Contributions, to prevent greater Evils by the Contributors, are not comprehended herein. » (Implying that these debts would have to be honored.)

Finally, looking to the future, for Commerce to be “reestablished”, the treaty abolished many tolls and customs established by “private” authorities for they were obstacles to the exchange of physical goods and know-how and hence to mutual development. (Art. 69 and 70).

In the text:

Art. 13:
Reciprocally, the Elector of Bavaria renounces entirely for himself and his Heirs and Successors the Debt of Thirteen Millions, as also all his Pretensions in Upper Austria; and shall deliver to his Imperial Majesty immediately after the Publication of the Peace, all Acts and Arrests obtain’d for that end, in order to be made void and null.”

Art. 35:
That the Annual Pension of the Lower Marquisate, payable to the Upper Marquisate, according to former Custom, shall by virtue of the present Treaty be intirely taken away and annihilated; and that for the future nothing shall be pretended or demanded on that account, either for the time past or to come.”

Art. 37:
That the Contracts, Exchanges, Transactions, Obligations, Treatys, made by Constraint or Threats, and extorted illegally from States or Subjects (…) shall be so annull’d and abolish’d, that no more Enquiry shall be made after them.”

Art. 38:
That if Debtors have by force got some Bonds from their Creditors, the same shall be restor’d, but not with prejudice to their Rights.”

Art. 39:
“That the Debts either by Purchase, Sale, Revenues, or by what other name they may be call’d, if they have been violently extorted by one of the Partys in War, and if the Debtors alledge and offer to prove there has been a real Payment, they shall be no more prosecuted, before these Exceptions be first adjusted. That the Debtors shall be oblig’d to produce their Exceptions within the term of two years after the Publication of the Peace, upon pain of being afterwards condemn’d to perpetual Silence.”

Art. 40:
“That Processes which have been hitherto enter’d on this Account, together with the Transactions and Promises made for the Restitution of Debts, shall be look’d upon as void; and yet the Sums of Money, which during the War have been exacted bona fide, and with a good intent, by way of Contributions, to prevent greater Evils by the Contributors, are not comprehended herein.”

Art. 68:
“As for the finding out of equitable and expedient means, whereby the Prosecution of Actions against Debtors, ruin’d by the Calamitys of the War, or charg’d with too great Interests, and whereby these Matters may be terminated with moderation, to obviate greater inconveniences which might arise, and to provide for the publick Tranquillity; His Imperial Majesty shall take care to hearken as well to the Advices of his Privy Council, as of the Imperial Chamber, and the States which are to be assembled, to the end that certain firm and invariable Constitutions may be made about this Matter (…)”.

Art. 69 :
“And since it much concerns the Publick, that upon the Conclusion of the Peace, Commerce be re-establish’d, for that end it has been agreed, that the Tolls, Customs, as also the Abuses of the Bull of Brabant, and the Reprisals and Arrests, which proceeded from thence, together with foreign Certifications, Exactions, Detensions; Item, The immoderate Expences and Charges of Posts, and other Obstacles to Commerce and Navigation introduc’d to its Prejudice, contrary to the Publick Benefit here and there, in the Empire on occasion of the War, and of late by a private Authority against its Rights and Privileges, without the Emperor’s and Princes of the Empire’s consent, shall be fully remov’d; and the antient Security, Jurisdiction and Custom, such as have been long before these Wars in use, shall be re-establish’d and inviolably maintain’d in the Provinces, Ports and Rivers. ”

Full texte of the quotes and the Treaty

Click on this link

https://avalon.law.yale.edu/17th_century/westphal.asp

Merci de partager !