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Quinten Matsys et Léonard – L’aube d’une ère du rire et de la créativité

par Karel Vereycken, août 2024.

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Matsys et Léonard, sommaire

Introduction

A. Les enjeux culturels et philosophiques d’un contexte

  1. Blagues cyniques ou dialogue socratique ?
  2. Qu’est-ce que l’humanisme chrétien ?
  3. Pétrarque et le « Triomphe » de la mort
  4. L’ère du bon rire
  5. Sebastian Brant, Jérôme Bosch et la Nef des fous

B. Quinten Matsys

  1. Éléments biographiques
  2. De forgeron à peintre
  3. Duché de Brabant
  4. Formation : Bouts, Memling et Van der Goes
  5. Débuts à Anvers et à l’étranger

C. Œuvres choisies, décryptage et nouvelles interprétations

  1. La Vierge et l’Enfant, « Grâce divine » et « Libre arbitre »
  2. Le retable de Sainte-Anne
  3. Une nouvelle perspective
  4. Coopération avec Patinir et Dürer
  5. Le lien avec Érasme
  6. L’Utopie de Thomas More
  7. Pieter Gillis et le « diptyque de l’amitié »
  8. La connexion Léonard de Vinci (I)

D. L’art érasmien du grotesque

  1. Dans les peintures religieuses
  2. Avares, banquiers, receveurs d’impôt et agents de change, la lutte contre l’usure
  3. La connexion Léonard de Vinci (II)
  4. L’art du grotesque per se
  5. La métaphore du « couple mal assorti ».
  6. « La vieille femme hideuse », la paternité de Léonard
  7. Liefrinck et Cock

E. Conclusion

Bibliographie choisie

Quinten Matsys, gravure de Johannes Wierix, 1572.

En 1500, Anvers2, avec quelque 90 000 habitants, est la plus grande ville (précisons-le) d’Occident. Grand port et cœur battant d’un florissant commerce international qui dépasse alors la vieille Bruges3 des Médicis, Anvers est un aimant qui attire tous les talents de toutes les nations4.

C’est dans ce contexte de brassage culturel que Quinten Matsys croise et collabore avec les plus brillants des grands humanistes chrétiens de son époque, qu’il s’agisse d’érudits militants pour la paix tels qu’Érasme de Rotterdam5, Thomas More6 et Pieter Gillis7, d’imprimeurs novateurs comme Dirk Martens8 d’Alost, de réformateurs exigeants comme Gérard Geldenhouwer9 et Cornelius Grapheus10, de peintres flamands comme Gérard David11 et Joachim Patinir12 ou de peintres-graveurs et illustrateurs étrangers comme Albrecht Dürer13, Lucas van Leyden14 et Hans Holbein le Jeune15.

Malheureusement, aujourd’hui, les grandes maisons d’édition internationales, pour des raisons qui restent à élucider, semblent l’avoir condamné à l’oubli éternel. Ailleurs, son nom n’apparaît que sporadiquement.16 Pire encore, aucune de ses œuvres n’est référencée et seules deux mentions de son nom figurent dans L’art flamand et hollandais, les siècles des Primitifs, œuvre de référence sur cette période.17

La bonne nouvelle est que depuis 2007, le Centre interdisciplinaire pour l’art et la science de Gand,18 en Belgique, prépare un nouveau « catalogue raisonné » de son œuvre. Celui de Larry Silver19 se vend hors de prix. Reste celui d’Andrée de Bosque,20 avec la majorité des images en noir et blanc. En guise de consolation, les lecteurs se contenteront de la thèse de doctorat de Harald Brising21 de 1908, dans une version réimprimée en 2019.

Afin d’honorer et de rendre justice à cet artiste, nous tenterons d’explorer dans cet article certaines questions restées sans réponse jusqu’à présent. Dans quelle mesure l’œuvre d’Érasme a-t-elle directement inspiré Matsys, Patinir et leur cercle ? Que savons-nous des échanges entre ce cercle à Anvers et d’éminents artistes de la Renaissance tels que Léonard de Vinci et Albrecht Dürer ? Quelle influence l’artiste érasmien a-t-il exercée sur ses correspondants étrangers ?

Quinten Matsys. Autrefois, pour de bonnes raisons, ce tableau était appelé Les Hypocrites, et aujourd’hui Les deux moines en prière.(Galleria Arti Doria Pamphilj, Rome).

Nos recherches antérieures sur la Renaissance italienne, la vie d’Érasme25 et l’art de Dürer26 nous ont familiarisés avec l’époque de Matsys et ses défis, un sujet que nous ne pouvons pas redévelopper ici de façon exhaustive, mais qui nous donne quelques bases pour appréhender la valeur extraordinaire de cet artiste.

A. Les enjeux culturels et philosophiques d’un contexte

1. Blagues cyniques ou dialogue socratique ?

« Tussen neus en lepel », proverbe néerlandais signifiant littéralement “entre le nez et la cuillère”, c’est-à-dire “entre une chose et une autre”.

De nombreux spectateurs contemporains, pénalisés par un regard non entraîné et pollués par un wokisme et un pessimisme abusif, passent à côté du sujet. Il leur manque l’intégrité morale et intellectuelle nécessaire pour comprendre les plaisanteries,27 l’ironie et les métaphores qui constituaient l’essence même de la vie culturelle28 des Pays-Bas de l’époque.29

Beaucoup contemplent et commentent la couleur de leurs lunettes en croyant livrer leur vision du monde. Perdus dans leurs préjugés culturels, en regardant un visage peint, ils ne voient pas l’intention ou l’idée que l’artiste a voulu faire apparaître, non pas sur le tableau, mais dans l’esprit du spectateur. Fuyant ce domaine supérieur de la métaphore, ils se ruent sur les détails en enchaînant des interprétations symboliques dont la somme est supposé expliquer le sens de l’œuvre.

Ainsi, devant un visage « grotesque », ils s’obstinent à croire qu’il s’agit d’un portrait plutôt que de rire à pleins poumons ! Du coup, ne voulant pas voir cette dimension « invisible », prenant l’image « à la lettre », pour eux, les « grotesques » d’Érasme, de Matsys et de Léonard, ne sont et ne peuvent être que des « plaisanteries cyniques » témoignant d’un « manque de tolérance » à l’égard des personnes « laides », « malades », « anormales » ou « différentes » !

Répétons-le donc haut et fort : Erasme et ses trois principaux disciples, François Rabelais,30Cervantès31 et William Shakespeare,32 sont les incarnations, quoique rarement reconnues, de l’« humanisme chrétien » et le bon rire, en tant qu’arme politique puissante pour « élever à la dignité d’homme, tous les membres du genre humain ».

2. Qu’est-ce que l’humanisme chrétien ?

L’idée maîtresse du programme éducatif et politique d’Érasme était de promouvoir la docta pietas, la piété savante, ou ce qu’il appelait la « philosophie du Christ ».33 Cette philosophie peut être résumée comme un « mariage » entre les principes humanistes résumés dans La Républiquede Platon34 et la notion agapique de l’homme transmise par les Saintes Écritures et les écrits des premiers Pères de l’Église comme Jérôme35 et Augustin,36 qui considéraient Platoncomme un de leurs précurseurs imparfaits.

En rupture totale avec la soumission à une foi « aveugle » et féodale, qui plaçait le salut de l’homme uniquement dans une existence après la mort, l’humanisme chrétien considère que la nature humaine est bonne. L’origine du mal n’est donc pas l’homme lui-même ou un « diable » extérieur, mais les vices et les afflictions morales que Platonavait déjà largement identifiés des siècles avant qu’elles deviennent chez les Chrétiens les « sept péchés capitaux » qui peuvent être surmontés par les « sept vertus capitales ».37

Jérome Bosch,Les sept péchés capitaux et les quatre dernières choses (la mort, le jugement, le ciel et l’enfer), vers 1500, dessus de table, Prado, Madrid.

Pour rappel, ces péchés capitaux et leur antidotes sont :

  1. L’orgueil (Superbia, hubris) par opposition à l’humilité (Humilitas) ;
  2. L’avarice (Avaricia) par opposition à la charité (Caritas, Agapè) ;
  3. La colère(Ira, rage) opposée à la patience (Patientia) ;
  4. L’envie (Invidia, jalousie) opposée à la bonté (Humanitas) ;
  5. La luxure (Luxuria, fornication) opposée à la chasteté (Castitas) ;
  6. La gourmandise (Gula) opposée à la tempérance (Temperantia) ;
  7. La paresse (Acedia, mélancolie, spleen, paresse morale) opposée à la diligence (Diligentia).

Il est assez révélateur pour notre époque que ces « péchés » (affections qui nous empêchent de faire le bien), et non leurs vertus opposées, aient été tragiquement sacralisés comme les « valeurs » de base garantissant le bon fonctionnement du système financier « néolibéral » actuel et de son ordre mondial « fondé sur les règles » !

« Les vices privés font la vertu publique », arguait Bernard Mandeville en 1705 dans La fable des abeilles. C’est la dynamique des intérêts particuliers qui stimule la prospérité d’une société, estimait ce théoricien néerlandais qui a inspiré Adam Smith et pour qui « la morale » ne fait qu’inviter à la léthargie et provoque le malheur de la cité.

C’est la cupidité et la recherche perpétuelle du plaisir, et non le bien commun, qui ont été proclamées motivations essentielles de l’homme, selon l’école philosophique devenue dominante, celle de l’empirisme britannique proféré par Locke, Hume, Smith et consorts.

De ce fait, la « charité », le « Care » et l’aide « humanitaire » ont été réduits à une activité souvent éphémère de dames de charité, permettant au système criminel actuel de faire accepter au plus grand nombre son existence perpétuelle. Ainsi, et c’est tout à fait regrettable, les « organisations humanitaires », les « fondations charitables » aux mains de grandes familles patriciennes et certaines ONG, dont le travail est souvent essentiel, sont malheureusement devenues des outils de domination.

3. Pétrarque et le « Triomphe de la mort »

Daniel Hopfer, Femmes se regardant dans un miroir, surprises par la Mort et le Diable, 1515.

Le vrai christianisme, comme toutes les grandes religions humanistes, s’efforce sans relâche de secouer ceux qui gaspillent leur vie dans le péché en leur montrant que leur comportement est à la fois dramatique et surtout ridicule à la lumière de l’extrême brièveté de l’existence physique humaine.

Dürer en fait le thème central de ses trois célèbres Meisterstiche(gravures de maître) qui ne peuvent être comprises que comme une seule et même unité : Le chevalier, la mort et le diable (1513) ; Saint Jérôme dans son étude (1514) et Melencolia I (1514).38

Dans chacune de ces gravures figure un sablier, métaphore de l’écoulement inexorable du temps qui passe. En juxtaposant au sablier (le temps) un crâne (la mort ), une bougie qui s’éteint (dernier souffle), une fleur qui flétrie (la vacuité des passions) etc., les artistes arrivent à faire émerger la métaphore de la « vanité ».39

Érasme, qui fait du couple sablier-crâne son emblème, y ajoute sa devise : Concedi Nulli(Signifiant que la mort n’épargnera personne et que tous, riches ou pauvres, mourront un jour). En ce sens, à la Renaissance, l’humanisme chrétien était un mouvement de masse visant à éduquer les gens à « l’immortalité » spirituelle, à la fois contre les superstitions religieuses et contre un retour sournois du paganisme gréco-romain.

Illustration du Triomphe de la renommée sur le Triomphe de la mort dans les I Trionfi de Pétrarque.Bnf, Paris.

Avec cette exigence philosophique, Erasme marche ici directement dans les pas de Pétrarque40et ses I Trionfi(1351-1374)41, un cycle poétique structuré en six triomphes allégoriques qui s’enchaînent les uns aux autres. Par exemple, le Triomphe de l’amour est lui-même surpassé par le Triomphe de la chasteté. À son tour, la Chasteté est vaincue par la Mort ; la Mort est vaincue par la Renommée ; la Renommée est conquise par le Temps ; et même le Temps est finalement vaincu par l’Éternité et enfin par le Triomphe de Dieu sur toutes ces préoccupations terrestres.

Puisque la mort « triomphera » à la fin de notre existence physique éphémère, dans la vision pré-Renaissance, c’est la peur de la mort et la peur de Dieu qui doivent aider l’homme à se concentrer pour apporter quelque chose d’immortel aux générations futures plutôt que de se perdre dans le labyrinthe des plaisirs et des douleurs terrestres que Jérôme Bosch (1450-1516)42 dépeint avec tant d’ironie dans son Jardin des délices terrestres (1503-1515).43

Léonard de Vinci, dont le sentiment théo-philosophique était considéré comme une hérésie44 par bon nombre au Vatican, notait amèrement dans ses carnets que, vu leur comportement, beaucoup d’hommes et de femmes ne méritaient même pas le beau corps que Dieu leur avait offert:

4. L’ère du « bon rire »

Érasme, autoportrait?

Selon les dictionnaires, on rit bien lorsqu’on trouve amusante et drôle une situation qui était au départ contrariante. En bref, le bon rire est la récompense d’un véritable processus créatif lorsque « l’agonie » de l’épuisement des hypothèses lors d’une recherche de solutions se termine par un joyeux Eurêka!

Cela peut être pour des questions scientifiques et purement matérielles, mais aussi dans le processus de développement de l’identité personnelle. La tempête et les nuages ont disparu et la pleine lumière ouvre des horizons et apporte une nouvelle perspective.

Sur son blog Angeles Earth, l’artiste visuelle et historienne d’art Angeles Nieto souligne le lien intime entre humour et créativité :

Traduit avec DeepL.com (version gratuite)

Érasme censuré.

Pour les humanistes chrétiens, grâce à « l’effet miroir » intrinsèquement inhérent au « dialogue socratique » (qui commence par accepter que l’on ne sait pas – appelé docta ignorantia46 par Nicolas de Cues), l’homme peut être libéré de ces afflictions « pécheresses » qui le plombent et lui coupent les ailes.

Son libre arbitre peut être mobilisé pour l’amener à agir conformément à sa vraie (bonne) nature, celle de se consacrer et de trouver son ultime plaisir dans l’accomplissement du bien commun au service d’autrui, aussi bien dans ses relations personnelles que dans ses activités économiques. C’est cet objectif, celui de former et d’ennoblir le caractère de chacun, qui deviendra le but fondamental de l’éducation républicaine. On ne remplit pas les têtes mais on forme des citoyens.

Or, en affirmant que la vie de l’homme est entièrement prédéterminée par Dieu, Lutherniait l’existence du libre arbitre et rendait l’homme totalement irresponsable de ses actes.47 Ce point de vue était à l’opposé de celui d’Érasme, qui avait commencé par demander à l’Église d’éradiquer ses propres abus financiers, tels que les fameuses « indulgences »48, et ceci bien avant que Luther n’entre en scène.

Les humanistes chrétiens se sont fermement engagés à élever nos âmes au plus haut niveau de beauté morale et intellectuelle en nous libérant de notre attachement excessifs aux biens terrestres – non pas en nous infligeant des sentiments de culpabilité et des injonctions morales ou par le commerce lucratif de la peur de l’enfer, mais… par le rire ! Ouf, on respire ! Prenons un peu de recul et tout en nous engageant sérieusement à nous améliorer, rions de nos imperfections. Dieu nous a donné la vie et elle est belle, pourvu qu’on sache comment s’en servir !

L’humaniste français,Jean Jaurès, lecteur d’Érasme disait même que :

Le rire vérace des uns, on s’en doute, ne fait pas le bonheur des autres, car il ruine l’autorité illégitime des puissants et des tyrans. Il s’agit bien de l’arme politique la plus dévastatrice jamais conçue. Par conséquent, pour les forces du mal, le rire vérace, tel qu’il est promu par Érasme et ses disciples, doit être ignoré, calomnié et autant que possible éradiqué et remplacé par la mélancolie, l’obéissance et la soumission à des doctrines et des « narratifs » écrits d’avance par et pour les élites dominantes grâce à une constipation scolastique douloureuse.

Le « début de la fin » de l’occupation espagnole dans les Pays-Bas fût l’interdiction du Landjuweel49. Dès les 13e et 14e siècles, les Landjuwelen étaient des concours de poésie entre les guildes d’archers du duché de Brabant. Aux 15e et 16e siècles, les Rederijkers (Rhétoriciens) organisaient des concours entre chambres sur le même modèle. Chaque concours était organisé autour d’une question philosophique centrale, par exemple « Qu’est-ce qui amène le plus l’homme aux arts ? » ou « Quelle est la meilleure consolation pour un mourant ? ». Les pièces devaient ensuite répondre par une pièce de théâtre, un zinne-spel(où le zinneest la question posée).

Illustration d’une chronique relatant le Landjuweel 1561 à Anvers. Là où la Lumière (Lux) brille, il y a la Paix (Pax), la Charité (Charitas) et la Raison (Ratio). Grâce à la Modération (Prudentia), à la Poésie (Rhetorica) et à l’Ingéniosité (Inventio), la Rage (Ira), l’Orgeuil (Invidia) et la Discorde sont poussés vers le gouffre des Ténègres. Au centre, le taureau (de la guilde de Saint-Luc, guiled des peintres) avec l’épigramme « Unis dans les Arts ».
Podium pour les performances théâtrales du Landjuweel d’Anvers de 1561.

Les autres concours comprenaient des pièces divertissantes et farfelues, des esbattements, des chansons et le blason du rebus. Il s’agissait d’une sorte de blason sur lequel figurait un rébus.

Le Lanjuweel organisé par la Chambre des rhétoriciens De Violieren d’Anvers en août 1561 reste dans l’histoire comme le plus éclatant. Cette chambre était en réalité la branche littéraire de la Guilde de Saint-Luc, c’est-à-dire la guilde des peintres. Quatorze chambres y participèrent et, à l’entrée, défilèrent dans la ville en costume de fête, avec de la musique et des chants, accompagnées par des dizaines de chars. A une époque donnée, le « Char de foin » qu’on voit dans le tableau éponyme de Bosch était probablement l’un de ces chars. La plupart des pièces allégoriques jouées étaient des satires mordantes contre le pape, les moines, les indulgences, les pèlerinages, etc.

Le Landjuweel et l’Ommeganck étaient des fêtes populaires où tout était permis, où le « l’homme de la rue », avec ses satires, ses déguisements et ses chansons moqueuses, pouvait narguer l’oppresseur, le ridiculiser et rendre ainsi, ne serait-ce que pour un très court instant, le joug de l’Espagne un peu plus supportable.

Dès leur parution, ces pièces furent interdites. Ce n’est pas sans raison que le Landjuweel de 1561 fut cité plus tard comme le premier à inciter le monde littéraire en faveur de la Réforme protestante. Comme ces œuvres étaient loin d’être favorables au régime espagnol, le duc d’Albe ordonna leur banissement par l’Index de 1571, et plus tard, le gouvernement néerlandais interdit même les représentations théâtrales des Chambres de rhétorique.

5. Sebastian Brant, Hieronymus Bosch et La nef des fous

Albrecht Dürer, portrait de Sébastian Brant.

La « peinture de genre », qui dépeint des aspects de la vie quotidienne en représentant des gens ordinaires engagés dans des activités ordinaires et quotidiennes, est née avec Quinten Matsys (on devrait plutôt dire avec le paradigme érasmien que nous venons d’identifier), souligne Larry Silver50 en reprenant ce qu’affirmait déjà Georges Marlier51 en 1954.

Plusieurs années avant qu’Erasme ne publie son Eloge de la folie (écrit en 1509 et publié à Paris dès 1511)52, le poète humaniste et réformateur social strasbourgeois Sébastien Brant (1558-1921) ouvre le bal du rire socratique avec son Narrenshiff (La Nef des fous, publiée en 1494 à Bâle, Strasbourg, Paris et Anvers)53, une œuvre satirique hilarante illustrée par Holbein le Jeune (1497-1543) et Albrecht Dürer (1471-1528) qui exécute 73 des 105 illustrations de l’édition originale.

La Nef des fous s’imprime, se copie, se diffuse et se vend comme des petits pains dans toute l’Europe. Son auteur n’était pas seulement un simple satiriste, mais un humaniste cultivé dont on retient la traduction de poèmes de Pétrarque.54

Brant était une figure clé et un allié de Johann Froben (1460-1529) et Johann Amerbach (1441-1513) issus de familles d’imprimeurs suisses qui accueillirent plus tard Érasme lorsque, persécuté aux Pays-Bas, il dut s’exiler à Bâle.

Après les saints et les princes, soudainement, ce sont des femmes, des hommes et des enfants ordinaires, des marchands certes encore souvent aisés, qui apparaissent dans les œuvres, non plus comme des « donateurs » assistants comme témoin à une scène biblique, mais pour leur qualités propres d’humains méritoires.

Dürer fait, par exemple, une gravure certes un peu ironique, d’« un cuisinier et sa femme ».55 Si au XVe siècle, la philosophie grecque pénètre en Europe, en ce début du XVIe, c’est le peuple qui fait irruption.

Bien sûr, les temps ont changé et la clientèle des peintres aussi. Les commandes proviennent beaucoup moins d’ordres religieux et de riches cardinaux de Rome et de plus en plus de bourgeois prospères ou de guildes, corporations, confréries et communautés des métiers désirant embellir leurs chapelles et demeures et offrir leurs portraits à leurs amis.

L’expansion du marché anversois, qui a fait de la peinture un produit de luxe pour la classe moyenne, est un phénomène bien documenté, et les recherches ont confirmé l’affirmation de Lodovico Guicciardini56 selon laquelle il y avait au moins 300 ateliers de peintres actifs à Anvers dans les années 1560.

La Nef des fous de Brant marque un véritable tournant, prélude à un nouveau paradigme. Elle marque le début d’un long arc de créativité, de raison et d’éducation par le rire vérace et libérateur, dont l’écho résonnera très fort jusqu’à la mort de Pieter Bruegel l’Aîné en 1569.57

Cet élan ne sera interrompu que lorsque Charles Quint, croyant faire peur, ressuscite, en 1521, l’Inquisition et adopte les « placards », c’est-à-dire des décrets punissant par la mort tout citoyen osant lire, commenter ou discuter de la Bible.

La Nef des fous s’organise en 113 sections, dont chacune, à l’exception d’une courte introduction et de deux pièces finales, traite indépendamment d’une certaine classe de fous, d’imbéciles ou de vicieux. L’idée fondamentale de la nef n’étant rappelée qu’occasionnellement.

Aucune folie du siècle n’est censurée. Le poète s’attaque avec noble zèle aux défauts et aux extravagances de l’homme.

Le livre s’ouvre sur la dénonciation du plus grand fou de tous, celui qui se détourne de l’étude de tous les livres merveilleux qui l’entourent. Il ne veut pas « se casser la tête » et « encombrer » son crâne. « J’ai tout, dit le sot, d’un grand seigneur qui peut payer comptant la fatigue de ceux qui apprennent pour moi ».58

La troisième folie (sur les 113), donc tout près de la première, est la cupidité et l’avarice:

Un triptyque de Jérôme Bosch, en partie perdu, s’inscrit dans cette lignée. Des recherches relativement récentes ont établi que le tableau actuel La Nef des fous (Louvre, Paris) de Bosch, possiblement exécuté avant même60 que Brant n’écrive sa satire, n’est que le volet gauche d’un triptyque dont le panneau droit était La Mort de l’avare (National Gallery, Washington).

Ce qui est intéressant avec ce dernier panneau, c’est qu’il n’y a pas de fatalité ! Même l’avare, jusqu’à son dernier souffle, peut choisir entre lever les yeux vers le Christ ou les abaisser vers le diable ! Que l’homme soit éternellement perfectible et que son sort dépende de sa volonté, était au cœur de la doctrine des Frères de la Vie commune,61 un mouvement laïc de dévotion chrétienne avec lequel Bosch, sans en être membre, avait d’importantes affinités. Cependant, personne ne connaît à ce jour l’image et le nom du panneau central qui a été perdu. Mais ce qui apparaît lorsqu’on referme les deux volets latéraux, c’est l’image d’un colporteur (autrefois appelé à tort Le retour de l’enfant prodigue) fuyant des mauvais lieux.

Ce thème figure également sur les panneaux extérieurs du triptyque de Bosch le Chariot de foin, montrant des rois, des princes et des papes courant après un chariot chargé d’une gigantesque botte de foin (une métaphore de l’argent) et que les diables tirent vers l’Enfer.

Le thème du colporteur qui pérégrine62 était très populaire parmi les Frères de la Vie commune et la Devotio Moderna.63 Pour eux, comme pour Saint Augustin, l’homme est en permanence confronté à un choix existentiel. Il est en permanence à la croisée du chemin (le bivium). Soit il emprunte le chemin rocailleux et difficile qui le mène à une position spirituellement plus élevée et plus proche de Dieu, soit il emprunte la voie de la facilité vers le bas en s’abaissant aux passions et aux affections terrestres.

La beauté de l’homme et de la nature, prévient Augustin et par la suite Denis le Chartreux,64 peut et doit être pleinement appréciée et célébrée sous condition qu’elle soit vécue comme « l’avant-goût de la sagesse divine », et non pas comme un simple plaisir des sens.

Le colporteur que l’on retrouve chez Bosch et Patinir est donc une métaphore de l’humanité qui s’efforce d’avancer sur le bon chemin et dans la bonne direction. Bosch peuplera ses tableaux d’hommes et de femmes ressemblant à des animaux décervelés se précipitant avec grande frénésie sur de petits fruits comme des cerises, des fraises et des baies, métaphores de plaisirs terrestres tellement éphémères qu’ils doivent éternellement renouveler l’expérience pour en tirer le moindre plaisir.

Hans Holbein le Jeune, Illustration de l’Éloge de la folie d’Érasme: Homo Viator, qui va toujours d’un endroit à l’autre.

Le colporteur avance « op een slof en een schoen » (sur une pantoufle et une chaussure), c’est-à-dire qu’il abandonne sa maison et quitte le monde créé du péché (on voit un bordel, des ivrognes, etc.), et tous les biens matériels. Avec son « bâton » (symbole de la foi), il réussit à repousser les « chiens infernaux » (le mal) qui tentent de le retenir. Une enluminure d’un livre de psaumes anglais du XIVe siècle, le Luttrell Psalter, présente exactement la même représentation allégorique.

Ces images métaphoriques ne sont donc pas les fruits d’un « esprit malade » ou d’une imagination exubérante de Bosch, mais un langage courant qu’on retrouve assez souvent dans les marges des livres enluminés.

Le même thème, celui de l’Homo Viator, l’homme qui se détache des biens terrestres, est également récurrent dans l’art et la littérature de cette époque, notamment depuis la traduction néerlandaise du Pèlerinage de la vie et de l’âme humaine, écrit en 1358 par le moine cistercien normand Guillaume de Degulleville (1295-après 1358). Le Christ nous transforme en pèlerins à travers le monde. Unis à Lui nous traversons la Cité terrestre n’ayant comme véritable but que la Cité Céleste. Non plus seulement homo sapiens, mais homo viator, homme en route vers le Ciel.

Si les trois volets qui subsistent du triptyque de Bosch (la Nef des fous, La mort de l’Avare et le Colporteur) semblent de prime abord sans aucun lien, leur cohérence saute aux yeux une fois que le spectateur identifie ce concept primordial.65

Il serait amusant, pour un peintre imaginatif et créatif vivant aujourd’hui, de recréer et de réinventer une image digne du volet perdu de Bosch, le thème étant forcément la chute de l’homme qui n’arrive pas à se détacher des biens terrestres, passant de la Nef des fous à La Mort de l’Avare.

B. Quinten Matsys, éléments biographiques

Connaissant maintenant les enjeux philosophiques et culturels majeurs de l’époque, nous pouvons examiner avec sérénité la vie66 de Matsys et quelques-unes de ses œuvres.

1. De forgeron à peintre

Quinten Matsys, médaille avec auto-portrait.

Selon l’Historiae Lovaniensium de Joannes Molanus (1533-1585), Matsys est né à Louvain entre le 4 avril et le 10 septembre 1466, comme un des quatre enfants de Joost Matsys (mort en 1483) et de Catherine van Kincken.

La plupart des récits de sa vie mêlent à cœur joie des faits et des légendes.67 En réalité, on dispose de très peu d’indices concernant son activité ou son caractère.

A Louvain, Quinten aurait eu des débuts modestes en tant que ferronnier d’art. La légende veut qu’il se soit épris d’une belle fille que courtisait également un peintre. La fille préférant de loin les peintres aux forgerons, Quinten aurait aussi vite abandonné l’enclume pour le pinceau.

An 1604, le chroniqueur Karel Van Mander affirme que Quinten, frappé d’une maladie depuis l’âge de vingt ans, « se trouvait dans l’impossibilité de gagner son pain » en tant que forgeron.

Van Mander rappelle que lors des fêtes du mardi gras,

Karel Vereycken,Anvers. Avec le géant Antigoon menaçant le port.

A Anvers, devant la cathédrale Notre-Dame, au Handschoenmarkt (marché aux gants), on trouve encore la « putkevie » (porte en fer forgé décorée sur un puits) qui aurait été réalisée par Quinten Matsys lui-même et qui représente la légende de Silvius Brabo et Druon Antigoon, respectivement les noms d’un officier romain mythique qui libéra Anvers de l’oppression d’un géant appelé Antigoon qui nuisait au commerce de la ville en bloquant l’entrée de la rivière.

L’inscription sur le puits se lit comme suit : « Dese putkevie werd gesmeed door Quinten Matsijs. De liefde maeckte van den smidt eenen schilder. » (La ferronnerie de ce puits a été forgée par Quinten Matsys. L’amour a fait du forgeron un peintre.)

Les dons documentés et les possessions de Joost Matsys, le père de Quinten, forgeron et horloger de la ville, indiquent que la famille disposait d’un revenu respectable et que le besoin financier n’était pas la raison la plus probable pour laquelle Matsys s’est tourné vers la peinture.

En 1897, Edward van Even69 a écrit, sans présenter la moindre preuve, que Matsys composait également de la musique, écrivait des poèmes et réalisait des gravures.

Quinten Matsys, La Vierge à l’enfant trônant avec quatre anges, 1505, National Gallery, Londres.

Bien qu’il n’existe aucune preuve de la formation de Quinten Metsys avant son inscription en tant que maître libre à la guilde des peintres d’Anvers en 1491, le projet de dessin de son frère Joos Matsys II à Louvain et les activités de leur père suggèrent que le jeune artiste a d’abord appris à dessiner et à transposer ses idées sur le papier auprès de sa famille et qu’ils l’ont exposé pour la première fois aux formes architecturales70 et à leur déploiement créatif.

Ses premières œuvres, en particulier, suggèrent clairement qu’il a reçu une formation de dessinateur d’architecture. Dans sa Vierge à l’enfanttrônant avec quatre anges de 1505 (National Gallery, Londres), les personnages divins sont assis sur un trône doré dont le tracé gothique fait écho à celui de la fenêtre du dessin sur parchemin et à la maquette en calcaire du projet de Saint-Pierre auquel son frère était affecté à peu près à la même époque.

Quinten Matsys, médaille en bronze avec l’effigie d’Erasme.

Ce qui est sûr, c’est que l’artiste a réalisé de magnifiques médaillons en bronze représentant Érasme, sa sœur Catarina et lui-même.

Vers 1492, il épouse Alyt van Tuylt qui lui donne trois enfants : deux fils, Quinten et Pawel, et une fille, Katelijne. Alyt meurt en 1507 et Quinten se remarie un an plus tard.

Avec sa nouvelle épouse Catherina Heyns, il a dix autres enfants, cinq fils et cinq filles. Peu après la mort de leur père, deux de ses fils, Jan (1509-1575) et Cornelis (1510-1556)71 deviennent à leur tour peintres et membres de la Guilde d’Anvers.

Les aveugles guidant les aveugles, gravure au burin de Cornelis Matsys, 1550.

2. Le Duché de Brabant

Leuven, Hôtel de ville et Eglise Saint Pierre (à droite).

Louvain était alors la capitale du Duché de Brabant qui s’étendait de Luttre, au sud de Nivelles, à ‘s Hertogenbosch (Pays-bas actuel). Il comprenait les villes d’Alost, Anvers, Malines, Bruxelles et Louvain, où, en 1425, l’une des premières universités d’Europe vit le jour. Cinq ans plus tard, en 1430, avec les duchés de Basse-Lotharingie et de Limbourg, Philippe le Bon de Bourgogne hérite du Brabant qui fait partie des Pays-Bas bourguignons.72

En 1477, alors que Matsys avait environ 11 ans, le duché de Brabant tomba sous la domination des Habsbourg en tant que partie de la dot de Marie de Bourgogne lors de son mariage avec Maximilien d’Autriche.

L’histoire ultérieure du Brabant fait partie de l’histoire des « dix-sept provinces » des Habsbourg, de plus en plus sous le contrôle de familles de banquiers d’Augsbourg, telles que les Fugger73 et les Welser.

Si l’époque d’Érasme et de Matsys est une période faste de la « Renaissance du Nord », elle marque aussi des efforts toujours plus grands des familles de banquiers pour « acheter » la papauté afin de dominer le monde.

Le partage géopolitique du monde entier (et de ses ressources) entre l’Empire espagnol (dirigé par des banquiers vénitiens) et l’Empire portugais (sous la houlette des banquiers génois), fut scellé par le traité de Tordesillas, une combine entérinée en 1494 au Vatican par le pape Alexandre VI Borgia. Ce traité a ouvert les portes à l’asservissement colonial de nombreux peuples et pays, le tout au nom d’un sentiment très discutable de supériorité culturelle et religieuse.

Suite à des banqueroutes d’État à répétition, les Pays-Bas deviennent alors la cible d’un intense pillage économique et financier, imposé aux populations par l’alliance du sabre et de goupillon. En diabolisant à outrance Luther, de plus en plus déterminé à créer une opposition en dehors de l’Église catholique, le pouvoir en place esquive les questions pressantes formulées par Erasme et Thomas More exigeant des réformes urgentes pour éradiquer les abus et la corruption à l’intérieur de l’Église catholique.

Tout laisse à penser que le refus du Pape Clément VII d’accepter les demandes de divorce d’Henri VIII faisait partie d’une stratégie globale visant à plonger l’ensemble du continent européen dans des « guerres de religion », qui n’ont pris fin qu’avec la paix de Westphalie en 1648.

3. Formation : Bouts, Van der Goes et Memling

Les premiers triptyques peints par Matsys lui valent de nombreux éloges et amènent les historiens à le présenter comme « l’un des derniers primitifs flamands », le quolibet utilisé par Michel-Ange74 pour discréditer intrinsèquement tout art non-italien considéré comme « gothique » (barbare) ou « primitif » par rapport à l’art italien imitant le style antique.

Comme Matsys est né à Louvain, on a pensé qu’il a pu être formé par Aelbrecht Bouts (1452-1549), le fils du peintre dominant de Louvain à l’époque, Dieric Bouts l’Ancien (v. 1415-1475).75

En 1476, un an après la mort de son père, Aelbrecht aurait quitté Louvain afin de compléter sa formation auprès d’un maître en dehors de la ville, très probablement Hugo van der Goes (1440-1482),76 dont l’influence sur Aelbrecht Bouts, mais aussi sur Quinten Matsys, semble plausible. Van der Goes, qui devint en 1474 le doyen de la guilde des peintres de Gand et mourut en 1482 au Cloître Rouge près de Bruxelles, était un fervent fidèle des Frères de la Vie commune et de leurs principes. 77

En tant que jeune assistant d’Aelbrecht Bouts, lui-même en cours de formation chez Van der Goes, Matsys aurait pu découvrir ce qui était alors le berceau de l’humanisme chrétien.

L’œuvre la plus célèbre de Van der Goes est le Triptyque Portinari (Uffizi, Florence), un retable commandé pour l’église Sant’Egidio de l’hôpital Santa Maria Nuova de Florence par Tommaso Portinari, directeur de la succursale brugeoise de la banque Médicis.

Les traits rudes de trois bergers (exprimant chacun un des états d’élévation spirituelle stipulés par les Frères de la Vie commune78) dans la composition de van der Goes ont profondément impressionné les peintres travaillant à Florence.

Matsys est également considéré comme un possible élève de Hans Memling (1430-1494), ce dernier étant un disciple de Van der Weyden79 et un peintre de premier plan à Bruges.

Quinten Matsys, Portrait de Jacob Obrecht, 1496.

Le style de Memling et celui de Matsys sont si proches qu’il est difficile de les distinguer.

Alors que l’historien de l’art flamand Dirk de Vos a qualifié, dans son catalogue de 1994 sur l’oeuvre de Hans Memling, le portrait du musicien et compositeur Jacob Obrecht80 (1496, Kimbell Art Museum, Fort Worth) d’œuvre très tardive de Hans Memling, les experts actuels, parmi lesquels Larry Silver81, ont pu établir en 2018 qu’en réalité, il est beaucoup plus probable que le portrait soit la première œuvre connue de Quinten Matsys.

Obrecht, qui a exercé une influence majeure sur la musique flamande polyphonique et contrapuntique de la Renaissance, avait été nommé maître de chapelle de la cathédrale Notre-Dame d’Anvers en 1492. Vers 1476, Érasme est l’un des enfants de chœur d’Obrecht.

Obrecht se rendit au moins deux fois en Italie, en 1487 à l’invitation du duc Ercole d’Este Ier de Ferrare82 et en 1504. Ercole avait entendu la musique d’Obrecht, dont on sait qu’elle a circulé en Italie entre 1484 et 1487, et avait déclaré qu’il l’appréciait plus que la musique de tous les autres compositeurs contemporains ; il invita donc Obrecht, qui mourut de la peste en Italie.

Dès les années 1460, le professeur d’Érasme à Deventer, le compositeur et organiste Rudolph Agricola,83 s’était rendu en Italie. Après avoir étudié le droit civil à Pavie et suivi les cours de Battista Guarino, il se rendit à Ferrare où il devint un protégé de la cour des Este.

Vers 1499, Léonard réalise un dessin de la fille d’Ercole, Isabella d’Este, qui, selon certains, serait la personne peinte dans la Joconde.

4. Débuts à Anvers et à l’étranger

Matsys est enregistré à Louvain en 1491, mais la même année, il est également admis comme maître peintre à la Guilde de Saint-Luc à Anvers où, à l’âge de vingt-cinq ans, il décide de s’installer. A Anvers, comme nous l’avons déjà dit, il a représenté le maître de chapelle Jacob Obrecht en 1496, sa première œuvre connue, et plusieurs tableaux de dévotion à la Vierge et à l’Enfant.

Ensuite, comme les Liggeren(registres des guildes de peintres) ne rapportent aucune information sur l’activité de Matsys dans les Pays-Bas pendant une période de plusieurs années, il est très tentant d’imaginer que Matsys s’est rendu en Italie84 où il aurait pu rencontrer de grands maîtres (Léonard a vécu à Milan entre 1482 et 1499 et y est retourné en 1506 où il a rencontré son élève Francesco Melzi (1491-1567) qui l’a ensuite accompagné en France) ou à Colmar ou Strasbourg où il aurait pu rencontrer Albrecht Dürer qu’il semble avoir connu longtemps avant que ce dernier ne vienne aux Pays-Bas en 1520.

Pour l’historien d’art belge Dirk de Vos, il s’agit d’une hypothèse très plausible, car

Dürer est envoyé par ses parents à Colmar en Alsace pour être formé à l’art de la gravure par Martin Schongauer(1450-1491) de loin le plus grand graveur de son époque. Mais lorsque Dürer arrive à Colmar à l’été 1492, Schongauer a rendu l’âme. De Colmar, l’artiste se rend à Bâle, où il produit des gravures sur bois pour illustrer des livres et découvre les impressionnantes gravures de Jacob Burgkmair (1473-1531) et de Hans Holbein l’Ancien (1460-1524). Il se rend ensuite à Strasbourg où il rencontre et réalise le portrait de l’érudit poète et écrivain humaniste Sébastien Brant, évoqué précédemment.

C. Œuvres choisies

1.La Vierge à l’Enfant, la grâce divine et le libre arbitre

En 1495, Matsys peint une Vierge à l’Enfant (Bruxelles). Même si l’œuvre reste encore très normative, Matsys enrichit déjà la dévotion avec des scènes moins formelles de la vie quotidienne. L’Enfant, explorant de manière ludique de nouveaux principes physiques, tente maladroitement de tourner les pages d’un livre alors qu’une Vierge très sérieuse est assise dans une niche de style gothique, sans doute choisie pour s’intégrer à l’architecture et au style du lieu qui accueillera le tableau.

Dans une autre Vierge à l’Enfant (Rotterdam) Matsys va plus loin dans cette direction. On y voit une jeune maman bienveillante et heureuse avec un enfant enjoué, ce qui souligne le fait que le Christ était le fils de Dieu, mais aussi celui des Hommes. Sur un présentoir proche du spectateur, on remarque la présence d’une miche de pain et un bol de soupe au lait avec une cuillère, sans doute une scène quotidienne pour la plupart des habitants des Pays-Bas essayant de nourrir leurs enfants à l’époque.

Gérard David, Vierge à l’Enfant avec la soupe au lait, 1520, Bruxel.

Dans sa Vierge à l’Enfant avec la soupe au lait (Bruxelles), peinte en 1520 par l’ami de Matsys, le peintre Gérard David (1460-1523), montre avec une immense tendresse une jeune maman apprenant à son enfant que le dos d’une cuillère n’est pas vraiment l’idéal pour amener la soupe du bol à sa bouche.

De nombreux tableaux sur ce thème, qu’ils soient de Quinten Matsys (Vierge à l’Enfant, Louvre, 1529, Paris) ou de Gérard David (Repos lors de la fuite en Égypte, National Gallery, Washington), montrent un enfant qui tente, avec d’énormes difficultés, de saisir quelques raisins, des cerises ou d’autres fruits.

En 1534, dans sa Diatribe sur le libre arbitre, Érasme utilise également cette métaphore sur l’équilibre fragile à considérer dans la proportion entre les opérations du libre arbitre (qui, seul, séparé d’un but supérieur, peut devenir pure arrogance) et celles de la grâce divine (qui, seule, peut être interprétée comme une forme de prédestination).

Pour rendre accessible au plus grand nombre, un sujet qu’on croirait réservé aux théologiens, Érasme emploie une métaphore très simple, mais d’une tendresse et d’une beauté extrêmes :

Jan Matsys, Vierge à l’Enfant, 1537, Metropolitan, New York.

Bref, le libre arbitre, certes, Erasme le défendra, car il en faut, mais sans prétendre que l’homme peut y arriver tout seul…

2. Retable de Sainte-Anne

A Anvers, l’activité de Matsys connaît une avancée majeure avec les premières commandes publiques importantes de deux grands retables en triptyque :

  • le Triptyque de la Confrérie de Sainte-Anne (1507-1509, Musée de Bruxelles), signé « Quinten Metsys screef dit ». (Quinten Metsys a écrit ceci).;
  • le Triptyque de la Déploration du Christ (1507-1508, Musée d’Anvers), peint pour la chapelle de la guilde des charpentiers à la cathédrale d’Anvers, œuvre largement inspirée de la Déposition de croix de Roger Van der Weyden (Prado, Madrid). Jean-Baptiste et Jean l’Évangéliste, qui apparaissent lorsque le triptyque est fermé, sont les saint patrons de la corporation.
Le « portique » peint sur le panneau (en deux dimensions) semble avoir formé une seule unité avec le cadre tridimensionnel d’origine, aujourd’hui perdu.

Le thème et l’iconographie du Triptyque Saint-Anne ont bien sûr été entièrement dictés au peintre par la confrérie de Sainte-Anne de Louvain qui lui a passé cette commande pour leur chapelle dans l’église Saint-Pierre de la même ville.

Le panneau central dépeint l’histoire de la famille de sainte Anne – la Sainte Parenté – à l’intérieur d’un édifice monumental couronné d’une coupole tronquée et d’arcades qui offrent une large vue sur un paysage montagneux. En cinq scènes, le retable raconte la vie d’Anne, mère de la Vierge, et de son époux Joachim. Les différents membres de la famille de la sainte apparaissent sur le panneau central.

L’événement clé de la vie d’Anne et de son mari Joachim, à savoir qu’ils deviendront les parents de la Vierge Marie alors qu’ils se croyaient incapables d’avoir des enfants, est représenté sur les panneaux gauche et droit du triptyque.

Le baiser chaste

La « conception immaculée » de la Vierge, représentée par l’image d’un « chaste baiser » entre les deux époux devant la Porte d’Or de la muraille de Jérusalem, a été un sujet immensément populaire dans l’histoire de la peinture, de Giotto à Dürer.

Il a donc été rapidement transposé à l’Immaculée conception du Christ lui-même. D’où l’apparition soudaine de tableaux montrant Marie embrassant « chastement » (mais chaleureusement et parfois sur les lèvres) son enfant Jésus.

Le cycle du retable se termine par la mort d’Anne, représentée sur le panneau intérieur droit où elle est entourée de ses enfants et où le Christ donne sa bénédiction.

Malgré l’échelle impressionnante de cette œuvre et son récit conventionnel, Matsys réussit à créer un sentiment de contemplation plus libre et plus intime. Un exemple en est la figure du petit cousin de Jésus dans le coin gauche, qui s’amuse à rassembler de belles enluminures autour de lui et, maintenant pleinement concentré, tente de les lire.

3. Une nouvelle perspective

Dans deux autres occasions,87 j’ai pu documenter qu’aussi bien le peintre flamand Jan Van Eyck88 que le bronzier italien Lorenzo Ghiberti ont pu se familiariser avec « l’optique arabe », en particulier les travaux scientifiques d’Ibn al-Haytham89 (connu sous son nom latin Alhazen).

A la Renaissance, plusieurs « écoles », avec des approches différentes et parfois opposés, ont tenté d’établir la meilleure façon de représenter l’« espace » dans l’art grâce à « la perspective ».

D’abord, dès le début du XVe siècle, une école, profitant des travaux des Franciscains d’Oxford (Roger Bacon, Grosseteste, etc.) sur Alhazen, tente de partir de la physionomie humaine (deux yeux fabriquant une image dans l’esprit du spectateur) et à la place d’un modèle monofocal (cyclopique) invente une perspective avec deux points de fuite centraux (perspective bi-focale).

Cette perspective est bien identifiable dans certaines œuvres de Van Eyck et de Lorenzo Ghiberti ce dernier ayant traduit certains textes d’Alhazen. Ensuite, une autre école, celle associée à Alberti,90 affirme que la « bonne » perspective, purement géométrique et mathématique, fait appel à un « point de fuite central ». Enfin, une troisième école, celle de Jean Fouquet en France et Léonard de Vinci, constatant les limites du modèle albertien, tente une perspective curviligne.

A l’époque moderne, les partisans de Descartes et de Galilée ont absolument voulu démontrer que leur modèle d’un espace vide était né à la Renaissance avec le modèle albertien. Du coup, toute autre démarche ne peut être que tâtonnement et bidouillage de « primitifs » égarés ou ignares.

Une découverte inestimable

Comme nous l’avons l’évoqué précédemment, le Centre interdisciplinaire d’art et de science de Gand (GICAS) en Belgique travaille depuis 2007 à un nouveau « catalogue raisonné » de l’œuvre de Quinten Matsys. Dans ce cadre, en 2010, Jochen Ketels et Maximiliaan Martens91 ont examiné le Retable Sainte Anne de Matsys et l’impressionnant portique italianisant du panneau central.

Rappelons que la partie peinte (en deux dimensions) sur le volet central a été conçue par l’artiste pour se prolonger et s’intégrer harmonieusement dans une vaste construction en bois (en trois dimensions) servant d’encadrement, structure malheureusement perdue mais dont on connaît l’existence grâce à des dessins.

L’infrarouge a également mis en lumière l’existence d’un

Encore plus intéressant,

Albrecht Dürer, reprenant Piero della Francesca.

A cet égard, il est intéressant de noter que l’une des rares personnes, en contact avec Matsys à un moment ou à un autre, à avoir lu et étudié le traité de Piero della Francesca93 sur la perspective n’est autre qu’Albrecht Dürer, dont les Quatre livres sur la proportion humaine (1528) s’appuie sur l’approche révolutionnaire de Piero.

Ce que Dürer appelle la méthode du « transfert » de Piero deviendra par la suite la base de la géométrie projective, notamment à l’Ecole polytechnique sous Monge, la science clé qui a rendu possible la révolution industrielle.

Les chercheurs ont également vérifié l’utilisation par Matsys de la perspective du point de fuite central en employant la méthode du « birapport » (cross-ratio en anglais).

Étonnés, car supposément impossible selon ce qu’ils ont appris dans les meilleures écoles, ils constatent que :

Jusqu’à présent, on tenait pour acquis que la science de la perspective n’avait atteint les Pays-Bas qu’après le voyage de Jan Gossaert à Rome en 1508, alors que Matsys, qui fait preuve d’une connaissance magistrale et étendue de la science de la perspective, a commencé à composer cette œuvre dès 1507.

4. La collaboration de Matsys avec Patinir et Dürer

Antwerpen, Grote Markt avec maisons des guildes de métier.

Albrecht Dürer, portrait de Joachim Patinir.

Une dernière remarque concernant ce tableau, le paysage montagneux derrière les personnages, qui s’apparente déjà aux paysages typiques et inquiétants produits par l’ami de Matsys, Joachim Patinir (1480-1524), un autre géant mal connu de l’histoire de la peinture.

Pourtant l’autorité de Patinir n’était pas des moindres. Felipe de Guevara, ami et conseiller artistique de Charles Quint et de Philippe II, mentionne Patinir dans ses Commentaires sur la peinture(1540) comme l’un des trois plus grands peintres de la région, aux côtés de Rogier van der Weyden et de Jan van Eyck.

Patinir dirigeait un grand atelier avec des assistants à Anvers. Parmi ceux qui subissent la triple influence de Bosch, Matsys et Patinir, on note :

  • Cornelis Matsys (1508-1556), fils de Quinten, qui se mariera avec la fille de Patinir ;
  • Herri met de Bles (1490-1566), actif à Anvers, possible neveu de Patinir ;
  • Lucas Gassel (1485-1568), actif à Bruxelles et à Anvers;
  • Jan Provoost (1465-1529), actif à Bruges et Anvers ;
  • Jan Mostaert (1475-1552), peintre actif à Haarlem ;
  • Frans Mostaert (1528-1560), peintre actif à Anvers ;
  • Jan Wellens de Cock (1460-1521), peintre actif à Anvers ;
  • Matthijs Wellens de Cock (1509-1548), peintre-graveur actif à Anvers ;
  • Jérôme Wellens de Cock (1510-1570), peintre-graveur, qui fonda, avec sa femme, l’entreprise Aux Quatre Vents, probablement le plus grand atelier de gravure au nord des Alpes de l’époque, qui employait Pieter Brueghel l’Aîné.

Cornelis Matsys, L’aveugle guidant l’aveugle (1550). 4,5 x 7,8 cm. Gravure qui a inspiré Pieter Brueghel l’Ancien pour sa propre peinture sur ce thème en 1558.

Il est généralement admis que Matsys a peint les figures de certains paysages de Patinir. D’après l’inventaire de 1574 de l’Escorial, ce fut le cas pour Les tentations de saint Antoine (1520, Prado, Madrid). On est tenté de penser que cette collaboration entre amis a fonctionné dans les deux sens, à savoir que Patinir a réalisé des paysages pour des œuvres de Matsys et à sa demande, une réalité qui met quelque peu à mal le mythe persistant d’une Renaissance présentée comme le berceau de l’individualisme moderne.

Le fait que Matsys et Patinir étaient très proches est confirmé par le fait qu’après la mort prématurée de Patinir, Matsys devient le tuteur de ses deux filles. Il est également intéressant de noter que Gérard David, qui est devenu le principal peintre de Bruges après Memling, est devenu membre de la guilde St. Lucas d’Anvers en 1515 conjointement avec Patinir, ce qui lui a permis d’accéder légalement au marché de l’art anversois, en pleine expansion.

Les historiens de l’art moderne ont tendance à présenter Patinir comme l’« inventeur » de la peinture de paysage, affirmant que pour lui, les sujets religieux n’étaient que des prétextes pour présenter ce qui l’intéressait vraiment, les paysages, tout comme Rubens a peint Adam et Eve uniquement parce qu’il aimait peindre (et vendre) des nus.

C’est plausible pour Rubens, mais assez faux pour Patinir, dont les « beaux » paysages, comme l’a démontré l’historien de l’art Reindert L. Falkenberg,95 n’auraient été qu’une sorte de tromperie sophistiquée du diable. La beauté du monde, création satanique chez Patinir, n’existe que pour tenter les humains et les faire succomber au péché.

Rencontre avec Albrecht Dürer

Henri Leys,Visite de Dürer à Anvers, 1855, Anvers.

Une source unique d’information, c’est le journal96 de Dürer sur sa visite aux Pays-bas.

Pourquoi Dürer est-il venu dans les Pays-Bas ? L’une des explications est qu’après la mort de son principal mécène et donneur d’ordre, l’empereur Maximilien Ier, l’artiste serait venu pour faire confirmer sa pension par Charles Quint.

Dürer arrive à Anvers le 3 août 1520 et visite Bruxelles et Malines où il est reçu par Marguerite d’Autriche (1480-1530), tante de Charles Quint. Chargée d’administrer les Pays-Bas bourguignons tant que Charles est trop jeune, elle prête parfois à Érasme une oreille attentive tout en gardant ses distances.

A Malines, Dürer a certainement visité la belle demeure de Jérôme de Busleyden (1470-1517), le mécène qui permettra à Erasme de démarrer en 1517 le « Collège trilingue ».97

Busleyden était l’ami de l’évêque de Londres, Cuthbert Tunstall (1475-1559), qui le présente à Thomas More (1478-1535).

Lors de son séjour chez Margaret, Dürer a pu admirer un incroyable tableau de sa collection, Le couple Arnolfini (1434) de Jan van Eyck. Marguerite venait d’accorder une pension au peintre vénitien, Jacopo de’ Barbari (1440-1515),98 diplomate et exilé politique à Malines, qui réalisa un portrait de Luca Pacioli (1445-1514), le franciscain qui fit découvrir Euclide à Léonard et écrivit De Divina Proportione (1509) que Léonard illustra.

De’ Barbari est mentionné par plusieurs de ses contemporains, notamment Dürer, Marcantonio Michiel (1584-1552) et Gérard Geldenhauer (1482-1542). En 1504, de’ Barbari a rencontré Dürer à Nuremberg et ils ont discuté du canon des proportions humaines, un sujet central des recherches99 de ce dernier. Un manuscrit non publiée du traité de Dürer révèle que l’Italien n’était pas disposé à partager ses découvertes :

En mars 1510, selon les archives, de’ Barbari est au service de l’archiduchesse Marguerite à Bruxelles et à Malines. En janvier 1511, il tombe malade et rédige un testament. En mars, l’archiduchesse lui accorde une pension à vie en raison de son âge et de sa faiblesse. Il meurt en 1516, laissant à l’archiduchesse une série de 23 planches à graver. Mais lorsque Dürer lui demande de lui fournir certains des écrits de de’ Barbari sur les proportions humaines, elle décline poliment sa demande. Le journal de Dürer révèle qu’il était souvent reçu par ses collègues locaux.101

A Anvers, « je suis allé voir Quinten Matsys dans sa maison », écrit-il dans son journal. Dans la même ville, il esquisse un portrait de Lucas van Leyden (1489-1533)102, et réalise le célèbre portrait du vieillard barbu de 93 ans qui servira de modèle à son Saint Jérôme.

Il rencontre au moins trois fois Érasme dont il fait un portrait respirant une complicité mutuelle. Érasme lui passe commande car il a besoin d’un grand nombre de portraits pour les envoyer à ses correspondants dans toute l’Europe. Comme il l’indique dans son journal, Dürer esquisse plusieurs fois Érasme au fusain lors de ces rencontres. Il en tirera un portrait gravé un peu maladroit, réalisé six ans plus tard.

Hans Schwartz, portrait de Dürer, médaillon en bronze, 1520.

A l’occasion de son deuxième mariage, le 5 mai 1521, Patinir invite Dürer. On ne sait pas quand et comment cette amitié a commencé, ou si elle était simplement de circonstance. Le maître de Nuremberg esquisse le portrait de Patinir et l’appelle « der gute Landschaftsmaler » (le bon peintre de paysages), créant ce mot nouveau pour ce qui devient un nouveau genre.

Lors du mariage, il rencontre Jan Provoost (1465-1529), Jan Gossaert (de Mabuse) (1462-1533) et Bernard van Orley (1491-1542), des peintres en vogue à la cour de Malines.

Mais la Mort et l’Avare (1515, Bruges) de Provoost est clairement d’inspiration erasmienne.

Jan Provoost, La Mort et l’Avare, vers 1515, Groeningenmuseum, Bruges.

Le poète, professeur de latin et philologue Cornelis de Schryver(Grapheus) (1482-1558), collaborateur de l’imprimeur d’Érasme à Louvain et Anvers, Dirk Martens, est une figure qui a pu mettre Dürer en lien avec les peintres d’Anvers, ville dont il est le secrétaire en 1520.

Les imprimeurs et les éditeurs ont joué un rôle clé à la Renaissance, car ils serviront d’intermédiaires entre, d’une part, les intellectuels, les érudits et les savants, et d’autre part, les illustrateurs, les graveurs, les peintres et les artisans. Comme Dürer lui-même, Grapheus était attiré par les idées de la Réforme, dont Luther et Érasme étaient les chefs de file. On sait que Grapheus a acheté à Dürer un exemplaire du De Captivitate (De la captivité babylonienne de l’Église) de Luther, un ouvrage incontournable pour quiconque s’intéressait à l’avenir de la chrétienté.

Comme Érasme et bien d’autres humanistes, Dürer a été l’hôte de Quinten Matsys dans sa fabuleuse maison de la Schuttershofstraat, ornée de décorations italiennes (festons de feuilles, de fleurs ou de fruits) et de grotesques (réseaux décoratifs et symétriques de lignes et de figures).

Nicaise de Keyser, la rencontre Dürer-Matsys (sous le regard de Thomas More et d’Érasme), Anvers.

Une représentation idéalisée de la rencontre Dürer-Matsys (sous le regard de Thomas More et d’Érasme) figure dans un tableau de Nicaise de Keyser (1813-1887) conservé au Musée royal des arts d’Anvers. Une autre scène, un dessin de Godfried Guffens (1823-1901) datant de 1889, montre l’échevin anversois Gérard van de Werve recevant Albrecht Dürer qui lui est présenté par Quinten Matsys.

Lorsque Charles Quint revint d’Espagne et visita Anvers, Grapheus écrivit un panégyrique pour saluer son retour. Mais en 1522, il est arrêté pour hérésie, emmené à Bruxelles pour y être interrogé et emprisonné. Il perd alors son poste de secrétaire. En 1523, il est libéré et retourne à Anvers, où il devient professeur de latin. En 1540, il redevient secrétaire de la ville d’Anvers. La propre sœur de Quentin Matsys, Catherine, et son mari ont été condamnés à mort à Louvain en 1543 pour ce qui était devenu le délit capital de lecture de la Bible depuis 1521 : il a été décapité, elle aurait été enterrée vivante sur la place devant l’église.

A cause de leurs convictions religieuses, les enfants de Matsys quittent Anvers et partent en exil en 1544. Cornelis finira ses jours à l’étranger.

5. Le lien avec Erasme

En 1499, Thomas More et Érasme se rencontrent à Londres. Leur rencontre initiale s’est transformée en une amitié à vie, puisqu’ils ont continué à correspondre régulièrement. A cette époque, ils ont collaboré à la traduction en latin et à l’impression de certaines œuvres du satiriste assyrien Lucien de Samosate (vers 125-180 après J.-C.), surnommé à tort « le Cynique ».

Érasme a traduit le texte satirique de Lucien, Sur ceux qui sont aux gages des grands,103 et l’a fait envoyer à son ami Jean Desmarais, professeur de latin à l’Université de Louvain et chanoine à l’église Saint-Pierre de cette ville.

Lucien, dans son texte, attaque l’état d’esprit des érudits qui vendent leur âme, leur esprit et leur corps au pouvoir dominant. Il en cite, fier de lui, disant :

Dans un véritable manifeste contre la servitude volontaire, anticipant celui de La Boétie, Lucien, qui pardonne d’abord ceux qui se soumettent par pure nécessité alimentaire, s’en prend à leur fantasme pervers comme cause de leur capitulation :

C’est en 1515 à Anvers, lorsque Thomas More est envoyé en mission diplomatique par le roi Henri VIII pour régler d’importants litiges commerciaux internationaux à Bruges, qu’Erasme lui présente son ami Pieter Gillis (1486-1533) (latinisé en Petrus Ægidius), compagnon humaniste et secrétaire de la ville d’Anvers. Gillis, qui avait débuté à dix-sept ans comme correcteur d’épreuves dans l’imprimerie de Dirk Martens à Louvain et Anvers, connaît Érasme depuis 1504. L’humaniste lui conseille de poursuivre ses études et ils restent en contact. L’imprimeur Martens a édité à Louvain plusieurs livres d’humanistes, notamment ceux de Denis le Chartreux (1401-1471) et De inventione dialectica (1515) de Rudolphus Agricola, le manuel d’enseignement supérieur le plus largement acheté et utilisé dans les écoles et les universités de toute l’Europe.

Tout comme More et Érasme, Gilles était un admirateur et disciple d’Agricola, une figure emblématique de l’école des Frères de la Vie commune de Deventer. Grand pédagogue, musicien, facteur d’orgues d’églises, poète en latin et en langue vernaculaire, diplomate, boxeur et, vers la fin de sa vie, érudit en hébreu, Agicola, l’enseignant préféré d’Erasme, était la source d’inspiration de toute une génération. La maison de Gillis à Anvers était également un lieu de rencontre important pour les humanistes, les diplomates et les artistes de renommée internationale.

Quinten Matsys y est également un invité de marque. Enfin, c’est Gillis qui recommande à la cour d’Angleterre le peintre Hans Holbein le Jeune, le jeune prodige qui avait illustré l’Éloge de la folie d’Érasme. Du coup il sera reçu outre-manche par Thomas More avec grand enthousiasme. Son frère Ambrosius Holbein (1494-1519) illustrera plus tard l’Utopie de More.

6. L’Utopie de Thomas More

Pages de l’Utopie, avec l’alphabet des utopiens inventé en réalité par Pieter Gillis.

Gillis partage avec More et Érasme une grande sensibilité à la justice, ainsi qu’une sensibilité typiquement humaniste vouée à la recherche de sources de sagesse plus fiables. Il est avant tout connu comme un personnage apparaissant dans les premières pages de l’Utopie, lorsque Thomas More le présente comme un modèle de civilité et un humaniste à la fois plaisant et sérieux :

Porte d’entrée baroque de Den Spieghel, Anvers.

L’oeuvre la plus célèbre de Thomas More est bien sûr l’Utopie, composée en deux volumes.

Il s’agit de la description d’une île fictive qui n’était pas gouvernée par une oligarchie comme la plupart des États et empires occidentaux, mais qui était gouvernée sur la base des idées du bien et du juste que Platon a formulées dans son dialogue, La République.

Alors que l’Éloge de la folie d’Érasme appelait à une réforme de l’Église, l’Utopie de More (écrit en partie par Erasme), une autre satire de la corruption, de l’avidité, de la cupidité et des échecs qu’ils voyaient autour d’eux, appelait à une réforme de l’État et de l’économie.

L’idée du livre est venue à Thomas More alors qu’il séjournait dans la résidence anversoise de Gillis, Den Spieghel, en 1515.

Le premier volume, commence par une correspondance entre More et d’autres personnes, dont Pieter Gillis. De retour en Angleterre en 1516, l’humaniste anglais rédige l’essentiel de l’ouvrage.

Entre décembre 1516 et novembre 1518, quatre éditions de l’Utopie furent composées par Erasme et Thomas More et paraîssent en décembre 1516 chez l’éditeur Dirk Martens à Louvain. Avec le texte, une carte gravée sur bois de l’île d’Utopie, des vers de Gillis et l’« alphabet utopique » que ce dernier invente pour l’occasion, des vers de Geldenhouwer, historien et réformateur lui aussi éduqué par les Frères de la Vie commune de Deventer, des vers de Grapheus ainsi que l’épître de Thomas More dédicaçant l’ouvrage à Gillis. Plusieurs années après la mort de More et d’Érasme, en 1541, Grapheus, avec Pieter Gillis, publia son Enchiridio Principis Ac Magistratus Christiani.

7. Pieter Gillis et le « Diptyque de l’amitié »

Quinten Matsys, double portrait d’Erasme et Pieter Gillis.

Outre les triptyques et les peintures religieuses, Matsys excellait dans les portraits. L’une des plus belles oeuvres de Matsys est le double portrait d’Érasme et de son ami Gillis, peint en 1517.106

Ce diptyque de l’amitié devait servir de visite « virtuelle » à leur ami anglais Thomas More à Londres et ils ont demandé à Quinten Matsys de réaliser les deux tableaux, car il était le meilleur peintre de la place. Le portrait d’Érasme fut le premier à être achevé. Celui de Gillis était constamment retardé parce qu’il tombait malade entre les séances de pose. Les deux hommes, dans leur correspondance, avaient parlé de ce double portrait à Thomas More, ce qui n’était peut-être pas une bonne idée, car More les interrogeait constamment sur l’état d’avancement des oeuvres et devenait très impatient de recevoir ce cadeau. Les deux oeuvres furent finalement achevées et envoyées à More alors qu’il se trouvait à Calais. Bien qu’ils soient représentés sur des panneaux distincts, les deux hommes érudits et cultivés sont présentés dans un espace d’étude continu. Si l’on regarde les deux tableaux côte à côte, on constate que Matsys a astucieusement maintenu la bibliothèque derrière les deux personnages, ce qui donne l’impression que les deux hommes représentés dans les deux panneaux distincts occupent la même pièce et se font face.

Érasme est occupé à écrire et Pieter Gillis montre les Antibarbari, un livre qu’Erasme préparait pour publication, tandis qu’il tient une lettre de More dans sa main gauche. La présentation d’Erasme dans son étude fait écho aux représentations de Saint Jérôme qui, avec sa traduction de la Bible, est un exemple pour tous les humanistes et dont Erasme venait de publier l’oeuvre. Il est intéressant de regarder les livres sur les étagères à l’arrière-plan.

  • Sur l’étagère supérieure du tableau d’Érasme se trouve un livre portant l’inscription Novum Testamentum Graece, la première édition du Nouveau Testament en grec publiée par Érasme en 1516.
  • L’étagère inférieure contient un tas de trois livres.
    –Le livre du bas porte l’inscription Jérôme, qui fait référence aux éditions de l’humaniste des oeuvres de ce Père de l’Eglise ;
    –le livre du milieu porte l’inscription Lucien, en référence à la collaboration entre Érasme et Thomas More dans la traduction des Dialogues de Lucien.
    –L’inscription sur le livre au sommet des trois est le mot Hor, qui se lisait à l’origine Mor. La première lettre a probablement été modifiée lors d’une restauration ancienne, car outre le fait que Morsoit les premières lettres du nom de famille de Thomas More, elles font certainement référence aux essais satiriques écrits par Érasme alors qu’il séjournait chez Thomas More à Londres en 1509 et intitulés Encomium Moriae (Éloge de la folie).

Nous voyons Érasme en train d’écrire un livre. Cette représentation a fait l’objet d’une attention particulière, car les mots que l’on voit sur le papier sont une paraphrase de l’Épître aux Romains de saint Paul, l’écriture étant une reproduction soignée de celle d’Érasme, et la plume de roseau qu’il tient est connue pour être le moyen d’écriture favori d’Érasme.

En y regardant de plus près, dans l’ombre, on distingue une bourse dans les plis de la cape d’Érasme. Il se peut qu’Érasme ait voulu que l’artiste l’inclue pour illustrer sa générosité. Erasmus et Gillis ont tenu à informer Thomas More qu’ils avaient partagé le coût du tableau parce qu’ils voulaient qu’il s’agisse d’un cadeau de tous les deux.

Thomas More a fait part de sa grande satisfaction à propos de ces portraits dans de nombreuses lettres, les peintures étant exécutées « avec une si grande virtuosité que tous les peintres de l’Antiquité pâlissent en comparaison », tout en avouant une fois un peu après qu’il aurait préféré son image taillée dans la pierre (dans une incarnation qu’il estimait moins périssable).

8. Le lien avec Léonard de Vinci (I)

Plusieurs tableaux indiquent de façon incontestable que Matsys et son entourage avaient des connaissances approfondies et s’inspiraient en partie des peintures et dessins de Léonard de Vinci, sans nécessairement saisir pleinement l’intention scientifique et philosophique de l’auteur. C’est clairement le cas de la Vierge à l’Enfant du musée de Poznan (1513, Pologne), qui présente littéralement, devant un paysage de montagne de style Patinir, la pose gracieuse et aimante de Marie tenant le Christ dans ses bras, ce dernier embrassant l’agneau, presqu’une une copie de Sainte Anne et la Vierge de Léonard de Vinci, une oeuvre qu’il commence en 1503 et qu’il apporte à Amboise en France en 1517. Comme nous l’avons déjà dit, on ne sait pas comment cette image a pu atteindre le maître, qu’il s’agisse d’estampes, de dessins ou de contacts plus personnels.

Quinten Matsys, Triptyque de la Déploration du Christ, Bruxelles.

Un deuxième exemple se trouve dans le Triptyque de la Déploration du Christ (1508-1511).

La scène centrale du triptyque ouvert, qui rappelle La descente de croix de Rogier van der Weyden (1435, Museo del Prado, Madrid), est soutenue par le paysage. Le drame religieux est étudié en détail et mis en scène de manière harmonieuse. En même temps, Matsys respecte la grande importance des croyants pour la narration et la description. Si la scène est propice à la réflexion et à la prière, Matsys déploie également la science du contraste. Si certains personnages plus rustres, notamment les têtes orientales, ont pu être inspirés par des visages de marins et de marchands qu’il a pu croiser dans le port, les traits de ceux qui sont frappés par la douleur et le chagrin sont plein de grâce.

Détail de la Déploration.

Dans le panneau du milieu, nous ne voyons pas la souffrance, mais la lamentation après la souffrance. Il dépeint le moment où Joseph d’Arimathie107 vient demander à la Vierge la permission d’enterrer le corps du Christ. Derrière l’action centrale se trouve la colline du Golgotha, avec ses quelques arbres, la croix et les voleurs crucifiés.

Le panneau de gauche montre Salomé présentant la tête de Jean-Baptiste à Hérode le Grand,108 roi de Judée, Etat client de Rome.

Le panneau de droite est une scène d’une extraordinaire cruauté, représentant saint Jean, dont le corps est plongé dans un chaudron d’huile bouillante. Le saint, nu jusqu’à la taille, semble presque angélique, comme s’il ne souffrait pas. Autour de lui, une foule de visages sadiques, de vilains rustres aux vêtements criards. La seule exception à cette règle est la figure d’un jeune Flamand, peut-être une représentation du peintre lui-même, qui observe la scène du haut d’un arbre.

Quant aux visages des personnages qui entourent Saint Jean Baptise, tout comme ceux qui chauffent le chaudron, ils proviennent directement du dessin de Léonard de Vinci intitulé Les cinq têtes grotesques (vers 1494, Chateau de Windsor, Angleterre). L’ironie et l’humour flamands ont fait bon accueil à ceux de Léonard !

Léonard de Vinci,Cinq têtes grotesques, Windsor Castle, Londres.

Chez Léonard, les visages semblent même éclater dans un rire hilarant, en se regardant les uns les autres et en regardant la figure couronnée au centre. Les feuilles de cette couronne ne sont pas celles des lauriers qui célèbrent les poètes et les héros, mais celles… d’un chêne.

A cette époque, le pape anti-humaniste et belliciste qui triomphait à Rome était Jules II,109 que Rabelais a mis en enfer en train de vendre des petits pâtés. Jules était membre d’une puissante famille de la noblesse italienne, la maison Della Rovere, littéralement « du chêne »…

C. La science erasmienne du grotesque

1. Dans la peinture religieuse

L’utilisation de têtes grotesques, exprimant les basses passions qui submergent et dominent les personnes malveillantes, était une pratique courante dans les peintures religieuses pour donner vie et contraste dans les oeuvres. En 1505, Dürer se rend à Venise et dans la ville universitaire de Bologne pour s’initier à la perspective. Il se rend ensuite plus au sud, à Florence, où il découvre les oeuvres de Léonard de Vinci et du jeune Raphaël, puis à Rome.

Albrecht Dürer, Le Christ parmi les docteurs, Madrid.

Le Christ parmi les docteurs (1506, Collection Thyssen Bornemisza, Madrid), a été peint à Rome en cinq jours et reflète l’influence éventuelle des grotesques de Léonard.

Dürer était de retour à Venise au début de l’année 1507 avant de retourner à Nuremberg la même année. Le Christ portant la croixde Jérôme Bosch (après 1510, Gand) est un autre exemple célèbre. La tête du Christ est entourée d’un groupe dynamique de « tronies » ou visages grotesques.

Bosch s’est-il inspiré de Léonard et de Matsys, ou est-ce l’inverse ? Si la composition peut sembler chaotique à première vue, sa structure est en réalité très rigide et formelle. La tête du Christ est placée précisément à l’intersection de deux diagonales. La poutre de la croix forme une diagonale, avec la figure de Simon de Cyrène aidant à porter la croix en haut à gauche, et avec le « mauvais » meurtrier en bas à droite.

L’autre diagonale relie l’empreinte du visage du Christ sur le suaire de Véronique, en bas à gauche, au voleur pénitent, en haut à droite.

Quinten Matsys,Ecce Homo (1526, Venise).

Il est attaqué par un charlatan diabolique ou un pharisien et un moine diabolique, allusion évidente de Bosch au fanatisme religieux de son époque.

Les têtes grotesques rappellent les masques souvent utilisés dans les jeux de la passion ainsi que les caricatures de Léonard de Vinci.

En revanche, le visage du Christ, modelé avec douceur, est serein. Il est le Christ souffrant, abandonné de tous et qui triomphera de tous les maux du monde. Cette représentation s’inscrit parfaitement dans les idées de la Devotio Moderna.110

Quinten Matsys, dans son Ecce Homo’s (1526, Venise, Italie), se base clairement sur la tradition de Bosch.

2. Les avares, les banquiers, les receveurs d’impôts et les agents de change, la lutte contre l’usure

Quinten Matsys,Le contrat de vente, 1515, Berlin. Une bonne « affaire “ entre banquiers, avocats, théologiens et malfaiteurs d’un côté, et un fou de l’autre, peut-être un contrat pour une indulgence ?

La dénonciation satirique par Matsys de l’usure et de la cupidité est directement liée à la critique religieuse, philosophique, sociale et politique d’Érasme et de More.

Marlier, dans une description magistrale, met en lumière comment les usuriers et les spéculateurs sont devenus à Anvers les acteurs dominants de la vie économique de l’époque, une situation qui n’est pas sans rappeler la situation mondiale actuelle :

Quinten Matsys, Les usuriers(et leurs victimes), 1520, Galleria Doria Pamphilj, Rome.

Manillas.

A cela ajoutez le fait que les Fugger et les Welser112 s’cinvestissent massivement dans le commerce d’esclaves en provenance d’Afrique.

Les Fugger utilisent leurs mines d’Europe de l’Est et d’Allemagne pour produire des manillas (bracelets), des objets d’échange en métal qui sont entrés dans l’histoire comme « monnaie de traite » en raison de leur utilisation sur les côtes de l’Afrique de l’Ouest.

Les Welser, qui se concentrent sur les épices et le commerce de textile, ont tenté de leur coté d’établir une colonie dans ce qui est aujourd’hui le Venezuela(Nom espagnol dérivé de l’italien Venezziola, « petite Venise », devenue Welserland) et ont expédié plus de 1 000 Africains réduits en esclavage vers l’Amérique.

Pendant ce temps, dans les maisons des citoyens prospères d’Augsbourg, des esclaves indiens étaient forcés de travailler pour leurs « maîtres ».

Carl Ludwig Friedrich Becker, Jakob Fugger brûle les reconnaissances de dette de Charles Quint, 1866.

D’après le site officiel de la famille Fugger, l’histoire selon laquelle Anton Fugger aurait jeté les reconnaissances de dettes de ce dernier dans le feu en 1530, sous les yeux de Charles Quint, afin de renoncer généreusement au remboursement de crédits, est une pure fiction.

Mais il a accordé au nouvel empereur une petite réduction de dette (haircut). En échange, Charles Quint renonce à son projet de « loi impériale sur les monopoles », qui aurait considérablement réduit le champ d’action des banques et des maisons de commerce du Saint Empire romain germanique.

Selon Richard Ehrenberg, chercheur sur les Fugger, l’histoire concernant Anton n’est apparue qu’à la fin du XVIIe siècle, sans doute pour attester de sa loyauté envers l’empereur.

Thomas More et Érasme ont dénoncé cette montée brutale des abus financiers prédateurs et criminels dans l’Utopie.

Sans refuser l’essor du capitalisme entrepreneurial moderne, Érasme condamne sans façons les abus d’un capitalisme financier totalement débridé :

Les fonctionnaires, plaide-t-il dans son Éducation d’un prince chrétien (1516), écrit pour éclairer le jeune Charles Quint qui ne l’a jamais lu, doivent être recrutés sur la base de leur compétence et de leur mérite, et non en raison de leur nom glorieux ou de leur statut social. Pour Érasme, (s’exprimant de façon satirique par la bouche de la Folie) :

Quinten Matsys, Collecteurs d’impôts, fin des années 1520.

On peut, comme l’affirme Silver, sur la base de ce qui est écrit dans les registres représentés dans cette oeuvre et du fait que la collecte des impôts était confiée à des particuliers, réattribuer au tableau de Matsys, désigné jusqu’à récemment comme Les usuriers, la description plus « factuellement exacte » de Les receveurs d’impôts.

Cependant, force est de constater que cela ne change rien au fait que le sujet de cette oeuvre semble correspondre à ce que dénonce un vieux proverbe de l’époque :

Alors que le clerc municipal, à gauche, semble « raisonnable », puisque son visage n’est pas « grotesque », l’homme assis derrière, celui qui a extorqué l’impôt au peuple en s’engraissant au passage, dans une étrange rotation de son bras protégeant une bourse en cuir, montre la face grotesque et laide de la cupidité, justifiée par ce qu’il a déclaré et qui a été consigné dans les registres officiels.

La complaisance entre les deux hommes, l’un faisant le mal, l’autre fermant les yeux devant des pratiques innommables, est la véritable laideur de l’histoire. Les agents de change ou changeurs de monnaie, admet Silver, ont souvent joué le même rôle que les banquiers, citant l’historien de l’économie Raymond de Roover.

De plus, la quatrième canaille non représentée, le meunier (cible des peintures de Bosch et de Brueghel), était souvent fustigée parce que le prix des céréales devenait un point sensible à répétition dans les époques de fluctuation des prix des matières premières, comme c’était le cas à cette période.

Étant donné que le pillage financier prévalait après les années 1520, de telles dénonciations satiriques de la cupidité financière ne pouvaient que devenir très populaires. Le sujet est repris presque immédiatement par le fils du peintre, Jan Matsys (1510-1575), copié presque à l’identique par Marinus van Reymerswaele (1490-1546) et par Jan Sanders van Hemessen (1500-1566).

Le Banquier et sa femme

Quinten Matsys, Le banquier et sa femme, 1514, Louvre, Paris.

Lorenzo Lotto,Jacob Fugger, 1505.

Dans une version plus « civilisée » de cette métaphore, sur le même thème, on trouve le célèbre Banquier (changeur ou prêteur) et sa femme de Matsys (1514, Louvre, Paris).115

Dans un chapitre de son livre Les primitifs flamands intitulé Les héritiers des fondateurs, l’historien d’art Erwin Panofsky116 considère cette oeuvre comme une « reconstruction » d’une« oeuvre perdue de Jan van Eyck (un ‘tableau avec des figures à mi-corps, représentant un patron faisant ses comptes avec son employé’), que Marcantonio Michiel prétend avoir vue à la Casa Lampugnano de Milan ».

Soulignons de nouveau qu’il ne s’agit pas ici d’un double portrait d’un banquier et sa femme, mais d’un seule métaphore.

Tandis que le banquier (dans le même geste que Jacob Fugger sur le tableau de Lorenzo Lotto) vérifie si le poids du métal des pièces correspond bien à leur valeur nominale, sa femme, qui tourne les pages d’un livre d’heures, jette un regard triste sur les activités cupides de son mari visiblement malheureux.

En 1963, Georges Marlier écrivait :

Le banquier a, en plus de la balance qu’il utilise, fixé une paire de balances au mur derrière lui. Pour les humanistes chrétiens, le poids de la richesse matérielle est à l’opposé de celui de la richesse spirituelle. Dans le Jugement dernier de Van der Weyden à Beaune, le peintre montre ironiquement un ange pesant les âmes ressuscitées, envoyant les plus lourdes d’entre elles… en enfer.

D’autres supposent que la femme du banquier n’est pas complètement insensible à toutes les pièces de monnaie sur la table, mais que l’attention de ses yeux se porte davantage sur les mains de son mari que sur les objets posés sur la table. Piété ou plaisir de la richesse ? Un fruit sur l’étagère (pomme ou orange), juste au-dessus de son mari, pourrait être une référence au fruit défendu mais la bougie éteinte sur l’étagère derrière elle rappelle la brièveté des plaisirs terrestres.

Marinus van Reymerswaele, Le banquier et sa femme.

Lorsque Marinus van Reymerswaele reprend ce thème (ci-dessus), la tentation de la femme pour l’argent sur la table semble encore plus grande.

Miroir bombé

Quinten Matsys, Le banquier et sa femme, détail du miroir bombé, Louvre, Paris.

On peut supposer que le miroir convexe (bombé),118 posé au premier plans sur la table du couple, opère comme une « mise en abîme » (une « pièce dans la pièce » ou « un tableau dans le tableau »). On y voit un homme (le banquier ?), lisant lui-même un livre (religieux ?).

Le miroir ne montre pas nécessairement un espace réel existant mais peut très bien représenter une séquence temporelle imaginaire en dehors de l’espace-temps de la scène principale. Il peut montrer le banquier dans sa vie future, libéré de la cupidité, lisant un livre religieux avec une grande ferveur.

Si l’utilisation d’images de miroirs convexes (dont les lois optiques ont été décrites par des scientifiques arabes comme Alhazen et étudiées par des franciscains d’Oxford119 comme Roger Bacon) rappelle à la fois le tableau représentant le couple Arnolfini de Van Eyck (1434, National Gallery, Londres)120 et celui de Petrus Christus (1410-1475)Orfèvre dans son atelier ou Saint Eligius121 (1449, Metropolitan Museum of Art, New York), la peinture de Matsys, qui cherche à rendre hommage au grand Van Eyck, est une création très réussie en son genre.

La bonne nouvelle est que, jusqu’à présent, l’hypothèse la plus généralement retenue quant à la signification de cette peinture est qu’il s’agit d’une œuvre religieuse et moralisante, sur le thème de la vanité des biens terrestres en opposition aux valeurs chrétiennes intemporelles, et d’une dénonciation de l’avarice en tant que péché capital.

Sur le plan du contenu, le tableau pourrait également être lié à un thème courant à l’époque, à savoir La vocation de saint Matthieu.122

Le passage ci-dessus est probablement autobiographique en ce sens qu’il décrit l’appel de Matthieu à suivre Jésus en tant qu’apôtre. Comme nous le savons, saint Matthieu a répondu positivement à l’appel de Jésus et est devenu l’un des douze apôtres.

Selon l’Évangile, le nom de Matthieu était à l’origine Lévi, un collecteur d’impôts au service d’Hérode et donc peu populaire. Les Romains obligeaient le peuple juif à payer des impôts. Les collecteurs d’impôts étaient connus pour tromper le peuple en demandant plus que ce qui était exigé et en empochant la différence. Bien sûr, une fois que Lévi a accepté l’appel à suivre Jésus, il a été gracié et a reçu le nom de Matthieu, qui signifie « don de Yahvé ».

Ce thème ne pouvait évidemment que plaire à Érasme, puisqu’il n’insiste pas sur la punition, mais sur la transformation positive pour le mieux.

Marinus van Reymerswaele, La vocation de Saint Matthieu, 1530, Madrid.
Jan van Hemessen, La vocation de Saint Matthieu, 1536, Munich.

Tant Marinus van Reymerswaele (en 1530) que Jan van Hemessen (en 1536), qui ont copié Matsys après sa mort et s’en sont inspirés, ont repris le sujet dans La vocation de Saint-Matthieu. Dans le tableau de Van Hemessen, on voit également, comme dans l’œuvre de Matsys, la femme du collecteur d’impôts qui se tient devant, elle aussi la main sur un livre ouvert.

3. Le lien avec Da Vinci (II)

Léonard de Vinci, Cinq visages grotesques, Windsor.
Quinten Matsys, détail du Triptique de la Déploration, Bruxelles.

Pour résumer, jusqu’ici, trois éléments de l’oeuvre de Matsys nous ont permis d’établir ses liens approfondis avec l’Italie et Léonard.

  1. Sa bonne connaissance de la perspective, en particulier de celle de Piero della Francesca, comme le démontre la voûte en marbre de style italien apparaissant dans le Triptyque de Saint Anne (Anvers);123
  2. Sa reprise des têtes grotesques de Léonard, dans les sadiques à l’oeuvre dans le même Triptyque de Saint-Anne (Anvers)
  3. Sa reprise de la pose de la Vierge de la Sainte Anne, la Vierge et l’Enfant Jésus jouant avec un agneau de Léonard (Louvre, Parijs), dans sa Vierge et l’enfant (Poznan, Pologne).

Comment cette influence a pu s’établir reste entièrement à élucider. Plusieurs hypothèses, qui peuvent d’ailleurs se compléter, sont permises :

  1. Il a pu échanger avec d’autres artistes qui eux avaient effectué de tels voyages et avaient pu établir des contacts en Italie. La question de savoir si Dürer, qui avait ses propres contacts en Italie, aurait servi d’intermédiaire est une autre hypothèse à explorer. Certains dessins anatomiques de Dürer auraient été réalisés d’après Léonard. Jacopo de’ Barbari avait réalisé un portrait de Luca Pacioli, le frère franciscain qui avait aidé Léonard à lire Euclide en grec. Dürer avait rencontré Barbari à Nuremberg, mais, comme nous l’avons vu plus haut, leurs relations se sont dégradées.
  2. Assez jeune, il s’est rendu, soit en Italie (Milan, Venise, etc.) où il a pu établir, soit un contact direct avec Léonard, soit avec un ou plusieurs de ses élèves. Pour Philippe d’Aarschot, Matsys, «sans jamais avoir mis un pied en Italie, subit l’influence de Léonard de Vinci. Sa Marie-Madeleine (musée d’Anvers) n’est-elle pas une réplique à la Joconde?»124
  3. Holbein le jeune, dit-on, a également été influencé par Léonard comme le suggèrent certains de ses compositions.125
  4. Matsys a pu voir des gravures réalisées et diffusées par des artistes italiens et du Nord. Si les dessins et manuscrits originaux ont été copiés et vendus par Melzi, l’élève de Léonard, après la mort de son maître à Amboise en 1519, l’influence de Léonard sur Matsys apparaît dès 1507.
Albrecht Dürer, étude anatomique d’après Léonard, carnets de Dresden.

L’oeuvre de Léonard intéressait toute l’Europe. Par exemple, une réplique grandeur nature de la fresque de la Cène de Léonardest achetée en 1545 par l’abbaye des Norbertins de Tongerlo. Andrea Solario (1460-1524), élève de Léonard de Vinci, aurait créé l’oeuvre avec d’autres artistes. Selon des recherches récentes, il semble que Léonard ait peint lui-même certaines parties de cette réplique.

Réplique grandeur nature de la fresque de la Cène de Léonard de Vinci, réalisée avant la mort du maître, appartenant à l’abbaye de Tongerlo en Belgique depuis 1545.

Le professeur Jean-Pierre Isbouts126 et une équipe de scientifiques de l’institut de recherche IMEC ont examiné la toile à l’aide de caméras multispectrales, qui permettent de reconstituer les différentes couches d’une peinture et de distinguer les restaurations de l’original. Selon les chercheurs, un personnage attire particulièrement l’attention. Jean, l’apôtre à la gauche de Jésus, est peint avec la technique spéciale du « sfumato ». Il s’agit de la même technique que celle utilisée pour peindre la Joconde, et que seul Léonard maîtrisait, affirme Isbouts.

Joos van Cleve, la Cène, 1520-1525).

De même, Joos Van Cleve, dans la partie inférieure de sa Déploration(1520-1525), reprend la composition de la Cènede Léonard, ce qui montre bien que l’image était connue de la plupart des peintres du Nord.

Enfin, comme le souligne Silver, l’une des cinq têtes grotesques de Léonard, inversée par rapport à l’original, réapparaît pour le vieillard dans le Couple mal assorti de Matsys, plus tard ! Le fait qu’elle apparaît en image miroir s’expliquerait si Matsys l’a vue en gravure. En imprimant sa plaque, l’image gravée apparaît en effet en négatif par rapport à l’original.

Mais aussi une étude de Léonard de Vinci d’une tête (non grotesque) d’apôtre pour la Cène, présente des caractéristiques proches de celles utilisées par Matsys.

Léonard, étude pour un apôtre.

4. L’art du grotesqueper se

Portrait probable du jeune Léonard, étude de Verrocchio pour son David.

Le travail de Léonard de Vinci sur les « têtes grotesques » date au moins du début de la période milanaise (années 1490), lorsqu’il a commencé à chercher un modèle pour peindre « Judas » dans la fresque de la Cène (1495-1498).

Léonard se serait inspiré de vraies personnes de Milan et des environs pour créer les personnages du tableau. Lorsque le tableau est presque terminé, Léonard n’a toujours pas de modèle pour Judas. On dit qu’il a traîné dans les prisons et avec les criminels milanais pour trouver un visage et une expression appropriés pour Judas, le quatrième personnage en partant de la gauche et l’apôtre qui a fini par trahir Jésus.

Léonard conseillait aux artistes d’avoir toujours un carnet de notes pour dessiner les gens « se disputant, riant ou se battant ». Il prenait note des visages bizarres sur la piazza. Dans une note où il explique comment dessiner des inconnus, il ajoute,

Lorsque le prieur du couvent se plaint à Ludovic Sforza de la « paresse » de Léonard qui erre dans les rues à la recherche d’un criminel pour représenter Judas, Léonard répond que s’il ne trouve personne d’autre, le prieur sera un modèle idéal… Pendant l’exécution du tableau, l’ami de Léonard, le mathématicien franciscain Luca Pacioli, est dans les parages et en contact avec le maître.

Pour ce dernier, toujours désireux d’explorer et de capter la dynamique des contrastes de la nature, l’exploration de la laideur n’est pas seulement un jeu, mais inhérente au rôle de l’artiste : « Si le peintre souhaite voir des beautés qui l’enchanteraient », écrit-il dans son carnet,

Léonard et d’autres humanistes s’interrogeaient sur la relation entre la beauté intérieure (la vertu) et la beauté extérieure, physique. Au dos du portrait de Genivra de’ Benci (Washington DC), on peut voir une bannière avec le texte latin Virtutem forma decorat (La beauté orne la vertu). Et donc, à l’inverse, ils se sont demandés comment la laideur de quelqu’un pouvait être l’expression de son vice.

La chercheuse italienne Sara Taglialagamba note que le grotesque, ce qui est anormal ou « hors norme », n’est pas conçu par Léonard « pour s’opposer à la beauté », mais comme un contraste, comme « l’opposé de l’équilibre et de l’harmonie ».127

Les difformités qui caractérisent les figures de Léonard touchent aussi bien les hommes que les femmes, sont présentes chez les jeunes et les vieux (bien qu’elles se concentrent surtout sur ces derniers), n’épargnent aucune partie du corps et sont souvent combinées pour donner aux sujets des apparences encore plus bestiales.

Géométrie des proportions humaines

Albrecht Dürer, page des Quatre Livres sur la proportion de l’Homme.

De son côté, Dürer, aujourd’hui accusé de « profilage racial », a pris très au sérieux l’étude du canon des proportions humaines, considérées, notamment avec la découverte du livre De Architectura de Vitruve, comme offrant la clé des bonnes proportions pour aussi bien la peinture que l’architecture et l’urbanisme.

Dürer a mesuré de façon systématique toutes les parties du corps humain afin d’établir des relations harmoniques entre elles. Les variations des proportions des visages et des corps, conclut-il, obéissent aux variations générées par des projections géométriques. Elles ne changent pas en termes d’harmonie mais apparaîtront différentes, voire grotesques, lorsqu’elles seront projetées sous un angle particulier.

Léonard et Dürer, et plus tard Holbein le Jeune dans son tableau Les Ambassadeurs (1533, National Gallery, Londres), sont passés maîtres dans la science des « anamorphoses », c’est-à-dire des projections géométriques à partir d’angles tangents qui rendent une image difficilement reconnaissable pour le spectateur qui regarde directement la surface plane, alors que l’image peut être comprise lorsqu’elle est regardée sous cet angle surprenant.

Léonard, anamorphose.

Le fait que des maîtres produisant de belles formes agréables comme Léonard ou Matsys se lancent soudainement dans des caricatures délirantes peut sembler troublant, alors qu’il ne devrait pas en être ainsi.

Toute caricature est basée sur une pensée métaphorique, comme tout grand art.

L’art de la Renaissance est souvent considéré comme ordonné et rassurant, mais les grotesques ne font que perpétuer l’art des gargouilles des bâtisseurs de cathédrales et les « monstres » en marge de tant de manuscrits enluminés que Bosch invitait à mettre en avant, anticipent ceux de François Rabelais, de Francesco Goya et de James Ensor.

Ses têtes sont tellement déformées et hors des normes habituelles qu’elles sont qualifiées de « grotesques ». Elles peuvent nous faire frémir et faire grincer des dents, mais également nous faire sourire lorsque nous acceptons, à contrecoeur et retenant notre irritation, de regarder de haut nos propres imperfections ou celles de nos bien-aimés que nous préférons ne pas voir. Soyons honnêtes. Nous sommes si loin des images que nous voyons dans les magazines et sur les écrans et que nous prenons pour la réalité.

Dans l’Eloge de la Folie d’Érasme, le narrateur (la Folie personnifiée) identifie d’abord, parmi de nombreux autres accomplissements, son propre rôle de premier plan dans la réalisation de choses qui, avec la logique, la raison, la sagesse formelle et l’intellect purs, échoueraient, comme les actes ridicules requis pour parvenir à la reproduction humaine.

Attention, avertit la Folie, si tout le monde était sage et dépourvu de folie, le monde serait bientôt dépeuplé !

5. La métaphore du « Couple mal assorti »

Quinten Matsys, Le couple mal assorti, Washington.

Si Erasme dénonce avec une ironie mordante la corruption et la folie des rois, des papes, des ducs et des princes, il expose également avec une ironie sans concession la corruption qui touche l’homme de la rue, par exemple les hommes plus âgés qui abandonnent leur épouse pour se mettre en ménage avec des femmes plus jeunes, « une chose si répandue, regrette la Folie, qu’elle est presque un sujet de louange ». La folie, avec une ironie satirique, se félicite de l’excellent travail qu’elle accomplit en offrant quelques gros grains aux seniors aussi bien homme que femme :

La formation de couples inégaux dans l’histoire littéraire remonte à l’Antiquité, lorsque Plaute, poète comique romain du IIIe siècle avant J.-C., déconseillait aux hommes âgés de faire la cour à des femmes plus jeunes. Erasme ne fait que reprendre un thème de la littérature satirique, notamment La Nef des fous, qui dans son 52e chapitre, combinant l’envie et la cupidité, aborde le thème du « mariage pour l’argent ».

Outre l’Eloge de la folie, Érasme consacre en 1529, dans des dialogues qu’il écrivait pour enseigner le latin aux enfants, un Colloque intitulé Le mariage qui n’en est pas un, ou l’union mal assortie.130 (Extrait, voir encadré)

Ce thème érasmien des « amants mal assortis » est devenu très populaire. Selon l’historien de l’art Max J. Friedlander,132 Matsys a été le premier à propager ce thème dans les Pays-Bas. Matsys dépeint ce thème en montrant un homme plus âgé qui s’éprend d’une femme plus jeune et plus belle. Il la regarde avec adoration, sans s’apercevoir qu’elle lui vole sa bourse. En réalité, la laideur grotesque de l’homme, aveuglé par son désir pour la jeune femme, correspond à la laideur de son âme. Celle-ci, aveuglée par sa cupidité, apparaît superficiellement comme une « gentille » fille, mais abuse en réalité de l’imbécile naïf.

De dehors, le spectateur s’aperçoit rapidement que l’argent qu’elle vole au vieux fou va directement dans les mains du bouffon qui se tient derrière elle et dont le visage exprime à la fois la luxure et la cupidité. La morale de la fin, c’est que tout le gain ne va ni à lui ni à elle, mais à la folie elle-même (Le Bouffon) !

Une situation qui n’est pas sans rappeler le tableau de Bosch de 1502, L’escamoteur (1475, St Germain-en-Laye). Le tableau de Matsys pose la question de la « corruption mutuelle assurée », où, comme en géopolitique, les deux parties pensent gagner aux dépens de l’autre dans un jeu à somme nulle mais en réalité chacune d’elles finissent par perdre. De ce point de vue, la leçon « moralisatrice » va bien au-delà de la simple tricherie entre partenaires.

Comme nous l’avons déjà dit, ce qui était considéré jusqu’à présent comme des « péchés » (la luxure et la cupidité) par l’Église, devient avec les humanistes chrétiens un sujet de rire, le tableau offrant un « miroir » permettant aux spectateurs de réfléchir sur eux-mêmes et d’améliorer leur propre caractère. Dans le folklore de la Saxe et ensuite des Flandres, Tyl Uylenspieghel est une grande figure. Uyl signifiant la chouette (sagesse), spieghel signifiant miroir.

Albrecht Dürer, Le couple mal assorti, 1495, Metropolitan, New York.

Jacopo de’ Barbari, Vieillard et jeune femme, 1503.

Le thème du couple mal assorti apparaît déjà dans une gravure sur cuivre de Dürer datant de 1495, où une jeune fille ouvre sa main pour siphonner de l’argent de la bourse du vieux vers la sienne.

En 1503, Jacopo de’ Barbari reprend le sujet avec Vieillard et jeune femme (Philadelphie).

Cranach l’Ancien,133 qui s’est rendu à Anvers en 1508 et a été visiblement inspiré par les grotesques de Matsys, a commencé à produire en série des peintures sur ce thème (y compris l’utilisation des grotesques de Léonard retravaillés par Matsys !), répondant clairement à la demande croissante de l’Allemagne protestante, une production continuée par son fils Cranach le Jeune.134

Cranach l’ancien, Couple mal assorti.

Cranach peindra ses propres variations sur le thème, le réduisant souvent à la seule « luxure », laissant de côté la « cupidité » et donc l’accaparement de l’argent. Bien entendu, plus l’homme est laid et âgé, et plus la femme est belle et jeune, plus le contraste qui en résulte crée un impact émotionnel mettant en valeur le caractère choquant de l’événement. Cranach s’amuse à inverser les rôles et à montrer une vieille femme riche accompagnée de sa servante, attirant un séduisant jeune homme…

Jan Matsys, Couple mal assorti.

Le fils de Quinten Matsys, Jan Matsys, nous a laissé une interprétation intéressante du thème, en y ajoutant une dimension sociale, celle des familles pauvres se servant de leurs filles comme appât pour piéger des messieurs riches et plus âgés dont la richesse et l’argent permettront à la famille de se nourrir, un thème également repris par Goya.

Dans l’une des versions de Cranach, l’homme riche a déjà devant lui une miche de pain sur la table, véritable symbole du chantage alimentaire. Mais ce qui frappe dans la version de Jan, c’est la mère, debout derrière le vieil homme fou, qui fixe de son regard le pain et les fruits sur la table. Si l’avidité et la luxure restent réelles, Jan dramatise un contexte donné dont on ne peut pas simplement se moquer.

Parmi les nombreux autres artistes qui ont peint ce thème, citons Hans Baldung Grien (1485-1545), Christian Richter (1587-1667) et Wolfgang Krodel l’Ancien (1500-1561). Aucun d’entre eux n’a réussi à reproduire au complet la métaphore de Matsys, le plus fidèle à l’esprit d’Érasme, celui de la folie qui gagne la partie, une situation vraiment risible ! Le triomphe de la folie ! Ici aussi, pour le visage du vieux fou, comme nous l’avons déjà mentionné, Matsys se fonde sur les esquisses de têtes grotesques de Léonard.

6. « La vieille femme hideuse », la paternité de Léonard

Cela nous permet maintenant de présenter la peinture peut-être la plus scandaleuse jamais réalisée, appelée alternativement la « Vieille femme hideuse » ou « La Duchesse laide ».

Des océans d’encre ont été jetés sur le papier pour spéculer sur son identité, sa « maladie » (la maladie de Paget dit un médecin), son « genre », la plupart du temps pour orienter le regard du spectateur vers une interprétation littérale, « basée sur des faits », plutôt que d’apprécier et de découvrir l’hilarante métaphore que l’artiste peint, non pas sur le panneau, mais dans l’esprit du spectateur.

Le tableau doit être analysé et compris avec son pendant – un tableau d’accompagnement – qui représente un vieil homme dont elle sollicite l’attention. De manière surprenante, en première approche, on peut dire que Matsys, bien avant Cranach, inverse ici les rôles habituels des genres, puisque ce que nous voyons n’est pas un vieil homme essayant de séduire la jeune fille, mais une vieille femme essayant d’attirer un vieil homme riche.

Tout d’abord, il y a la vieille dame, dont l’état physique est la décrépitude ultime, qui tente désespérément de séduire un vieil homme riche. Immédiatement, comme le Vieil homme et le jeune garçon (1490, Louvre, Paris) de Domenico Ghirlandaio, l’apparence extérieure de la personne incite le public à s’interroger sur la relation entre la beauté intérieure et la beauté extérieure.

Une fois encore, l’influence littéraire évidente est l’Eloge de la folie (1511), qui fait la satire des femmes qui « jouent encore aux coquettes », « ne peuvent s’arracher à leur miroir » et « n’hésitent pas à exhiber leurs repoussants seins flétris ».136

Les vêtements de la femme sont riches. Elle est habillée pour impressionner, y compris avec un couvre-chef bulbeux qui rehausse ses traits inhabituels. Défiant la modestie attendue des femmes âgées à la Renaissance, elle porte un corsage serré, découvert et étroitement lacé qui met en valeur son décolleté ridé.

Jan van Eyck, Portrait de sa femme Margaret, 1439, National Gallery, Londres.

Ses cheveux sont dissimulés dans les cornes d’un bonnet en forme de coeur, sur lequel elle a posé un voile blanc, fixé par une grande broche ornée de pierreries.

Quelle que soit la qualité de sa tenue, à l’époque où ce panneau a été peint, au début du XVIe siècle, ses vêtements devaient être dépassés de plusieurs décennies, rappelant ceux du portrait que Van Eyck avait fait de sa femme Margaretun siècle plus tôt, et suscitant le rire plutôt que l’admiration.

Cette coiffe était devenue un symbole iconographique de la vanité féminine, ses cornes étant comparées à celles du diable ou, au mieux, à celles qui indiquent qu’elle a été fait cocue par ses amants (cornuto). Elle semble se vendre pour son apparence, car elle offre une fleur, souvent symbole de la sexualité dans l’art de la Renaissance.

C’est dans le destin tragique de la rose coupée que la fuite du temps, et avec elle la déchéance physique, trouve son illustration la plus inquiétante. Fraîche ou fragile, la rose, tout en appelant au plaisir immédiat, semble protester contre la mort qui la guette.

Margarete Maultasch.

Pour identifier la femme, plusieurs noms sont avancés. Au XVIIe siècle, le tableau a été confondu avec le portrait de Margarete Maultasch (1318-1369) qui, séparée de son premier mari Jean Henri de Luxembourg, s’est remariée avec Louis 1er, margrave de Brandebourg, après mille et un rebondissements qui ont abouti à l’excommunication du couple par Clément VI.

Une histoire compliquée dans une époque troublée, qui a valu à Margarete le surnom de « gueule-sac » (grande gueule), ou « prostituée » en dialecte bavarois. Le problème est que l’on connaît d’autres portraits de Margarete, sur lesquels elle apparaît sous son meilleur jour… Qualifiée de « femme la plus laide de l’histoire », elle a reçu le surnom de « Duchesse laide ».

A l’époque victorienne, cette image (ou l’une de ses nombreuses versions) a inspiré à John Tenniel la représentation de la duchesse dans ses illustrations des Aventures d’Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll (1865). Cela a permis d’ancrer le surnom et de faire de ce personnage une icône pour des générations de lecteurs.

Deuxièmement, le vieil homme, dont la robe bordée de fourrure et les bagues en or, sans être aussi manifestement archaïques ou absurdes que le costume de la femme, suggèrent néanmoins une richesse ostentatoire, et son profil distinctif fait écho au profil familier du principal marchand-banquier d’Europe au XVe siècle, feu Cosimo de’ Medici de Florence. Ce dernier, après avoir joué un rôle clé en tant que mécène des arts et soutien au Conseil oecuménique de Florence, semblait avoir perdu aussi bien sa raison que sa dignité.

Il convient de noter qu’en 1513, année de la réalisation du tableau, le pape guerrier Jules II, grand ennemi d’Érasme, rend l’âme et que Giovanni di Lorenzo de’ Medici devient le nouveau pape sous le nom de Léon X.

Jacob Fugger.

La figure du vieillard évoque également les portraits perdus du début du XVe siècle du duc Philippe le Hardi de Bourgogne.

Maintenant, si l’on y regarde à deux fois et que l’on oublie les seins de la femme, on s’aperçoit que son visage est celui… d’un homme affreux.

Il pourrait s’agir d’une figure politique ou d’un théologien détestés de l’époque, se vendant l’un à l’autre dans un élan de cupidité et de luxure.

Peut-être que la vieille prostituée laide est une référence au banquier Jacob le Riche, l’éternel banquier du Vatican ? Acceptons pour l’instant le fait qu’on ne sait pas.

L’artiste bohémien Wenceslaus Hollar (1607-1677) a vu le double portrait de Matsys et en a fait une gravure en 1645, en y ajoutant le titre « Roi et reine de Tunis, inventé par Léonard de Vinci, exécuté par Hollar ».

La « paternité » de Léonard de cette oeuvre fut donc un secret de polichinelle.

Pendant les périodes de carnaval, où les gens étaient autorisés à s’affranchir des règles de la société pendant quelques jours, du moins dans les Pays-Bas et dans la région du Rhin du Nord, les gens s’amusaient beaucoup en changeant les rôles. Les paysans pauvres pouvaient se déguiser en riches marchands, les laïcs en ecclésiastiques, les voleurs en policiers, les hommes en femmes et ainsi de suite.

Léonard de Vinci, croquis, National Gallery, Washington.

Le concept original de cette métaphore vient clairement de Léonard, qui a fait un minuscule croquis d’une femme laide, éventuellement une prostituée, remarquablement avec le bonnet à cornes et une petite fleur plantée entre ses seins, exactement les mêmes attributs, métaphores et symboles employés plus tard par Matsys dans son œuvre !

Francesco Melzi ? Copie d’après Léonard, Université de Harvard.

Melzi, l’élève de Léonard, et d’autres élèves ou disciples, comme ils l’ont fait pour de nombreuses autres esquisses de Léonard, semblent avoir copié le travail de Léonard et, amusés, ont contre-posé la vieille en chaleur avec un riche marchand florentin avide. Melzi a-t-il partagé ou vendu ses esquisses à d’autres ?

Francesco Melzi ? d’après Léonard, Université de Harvard.
Léonard de Vinci, croquis, Musée des Offices, Florence.

Diverses versions amusantes du thème sont disséminées dans le monde entier et figurent dans des collections privées et publiques.

Une autre esquisse, réalisée par Léonard lui-même ou par ses disciples, montre un homme grotesque et sauvage, dont les cheveux se dressent sur la tête, accompagné d’une série de savants à l’allure grotesque, dont l’un ressemble à Dante !

Francesco Melzi, sept caricatures, 1515, Galerie dell’Academia, Venise.

Léonard, bien sûr, qui signait toujours ses écrits par les mots « homme sans lettres »(omo sanza lettere)137, n’était qu’un simple artisan et n’a jamais été pris au sérieux par ces érudits que Lucien dénonçait pour s’être vendus à l’establishment.

Tous ces éléments montrent que ce que faisait Matsys n’avait rien de « bizarre » ou d’« extravagant », mais qu’il partageait une « culture » de visages grotesques dont les variations pouvaient être utilisées pour enrichir les jeux de mots métaphoriques de la culture humaniste.

Mais bien sûr, ce qui a rendu l’impact de cette oeuvre si dévastateur, c’est le fait que ce qui n’était pour Léonard que de rapides esquisses dans un carnet, est devenu chez Matsys des représentations grandeur nature, d’un hyperréalisme effrayant !

Dans la collection Windsor de la Reine, il existe un dessin à la craie rouge de la femme presque exactement telle qu’elle apparaît dans l’oeuvre de Matsys.

Melzi ou Léonard ? d’après Quinten Matsys, Windsor, Londres.

Jusqu’à très récemment, les historiens étaient convaincus que Quentin Matsys avait « copié »138 ce dessin attribué à Léonard et l’avait agrandi pour réaliser sa peinture à l’huile.

Cependant, des recherches récentes suggèrent que cela ne s’est pas passé ainsi !

En réalité, Melzi, ou Léonard lui-même, a pu réaliser le dessin à la craie rouge à partir de la peinture de Matsys, que ce soit à partir d’une vue directe ou des reproductions. Un Italien copiant un peintre flamand, vous imaginez ?

L’experte Susan Foister, directrice adjointe et conservatrice de la peinture ancienne néerlandaise, allemande et britannique à la National Gallery de Londres, qui était également en 2008 la commissaire de l’exposition Renaissance Faces : Van Eyck to Titian, a déclaré à l’époque au Guardian:

Foister a précisé qu’ils avaient découvert que Matsys apportait des modifications au fur et à mesure, ce qui suggère qu’il créait l’image tout seul plutôt que de copier un modèle. De plus, dans les deux copies de Léonard, les formes du corps et des vêtements sont trop simplifiées et l’oeil gauche de la femme n’est pas dans son orbite.

« On a toujours supposé qu’un artiste moins connu d’Europe du Nord aurait copié Léonard et on n’a pas vraiment pensé que cela aurait pu être l’inverse », a résumé Foister.

Elle a ajouté que les deux artistes étaient connus pour s’intéresser à la laideur et qu’ils ont échangé des dessins « mais le mérite de cette œuvre magistrale revient à Matsys ».

7. Liefrinck et Cock

Hans Liefrinck, gravure sur cuivre, date inconnue.

Les légendes et épigrammes des gravures de Liefrinck et de Cock, poursuit Muylle, « fournissent également une aide précieuse pour formuler une interprétation. Il s’agit là d’un corpus d’œuvres représentatif, ce qui est bienvenu. »

Hans Liefrinck, gravure sur cuivre. L’épigramme dit : « Sordida, deformis sic est coniuncta marito Foemina, quo quaerat quisque sibi similem » . (La femme laide est aussi difforme que son mari. Cela montre que tout le monde recherche sa ressemblance).

Dans le cartouche de la deuxième légende de Liefrinck, on lit quelque chose que Léonard n’était pas loin de penser : Deformes, bone spectator, ne despice vultus. Sic natura homines sic variare solet. (Cher spectateur, ne méprisez pas ces visages déformés. C’est ainsi que la nature fait habituellement en sorte que les hommes diffèrent les uns des autres).


Hieronymus Cock (c. 1510-1570) reprend également l’imagerie grotesque du « Couple inapproprié » (Amour inégal). On estime que la planche de Cock est la copie d’une oeuvre du graveur italien Agostino Veniziano (1490-1550). L’épigramme de Veniziano est typique de l’« humour » vénitien. On passe du grotesque au burlesque : « Chi non ci vol veder si cavi gli occhi » (Celui qui ne veut pas nous voir, arrache-lui les yeux.). Ce n’est pas évident quelle version a été réalisée en premier. Les deux artistes abandonnent le thème original, mais le fou qui triomphe derrière est un héritage de Matsys et d’Erasme.

Ce qui est clair, c’est que l’épigramme au bas de la gravure de Cock est beaucoup plus dans l’esprit humaniste : « Al ben ick leelyck, ick ben sier plesant, Wilt ghij wel doen houet u aen mijnen kant. »(Même si je suis moche, je suis très amusant, Si tu veux te porter bien, tiens toi de mon côté). Les légendes des gravures de Liefrinck et de Cock s’accordent donc bien plus avec l’humanisme d’Érasme et la vision de De Vinci.

E. Conclusion

La conclusion s’écrit (presque) d’elle-même. Les « sept péchés capitaux » que Thomas More et Érasme conseillaient d’endiguer il y a cinq siècles sont devenus les « valeurs » axiomatiques du système « occidental » d’aujourd’hui ! Pourtant, elles sont à l’opposé même des valeurs humaines universelles que partagent une vaste majorité de l’humanité, que ce soit du point de vue philosophique, religieux, agnostique, progressiste ou conservateur.

La « liberté » a été découplée de la « nécessité », les « droits individuels » des « devoirs collectifs. » Tout va. La luxure, l’envie, l’avidité, la paresse, la gloutonnerie, la gourmandise, la colère, la violence, la cruauté, etc. sont présentées quotidiennement sous un jour positif à la télévision et sur internet, y compris pour les enfants en bas âge. Tout cela est permis et même promu, tant que cela ne remet en cause les privilèges exubérants des pouvoirs dominants.

Erasme se retournerait dans sa tombe s’il savait qu’en 2025 son nom est principalement associé à une bourse offerte par l’UE aux élèves désireux d’étudier dans d’autres Etats membres de l’UE. Comme l’a suggéré un professeur belge, ces bourses devraient inclure une période de formation obligatoire à la pensée d’Erasme et en particulier à ses concepts avancés d’empathie et de construction de la paix.142

Cependant, la « raison » seule ne suffit pas. Sans l’humour, la Renaissance, avec son extra-ordinaire explosion de découvertes et d’inventions dans les domaines de la science, de l’art et de la société, n’aurait jamais eu lieu. L’humour est un catalyseur de créativité. Comme le disent certains scientifiques chinois contemporains : « Un Ha-ha [rire] efficace aide les gens à A-Ha [découverte] ».143

L’humour lui-même est un acte créatif. Comme l’humour, la créativité suscite la surprise en brisant certains cadres. Dans les deux cas, il s’agit d’établir des liens non évidents entre des éléments incongrus. Et qu’est-ce qu’une blague, si ce n’est une combinaison d’idées différentes et/ou contrastées qui créent une ironie, un décalage, une désobéissance aux attentes conventionnelles. L’humour permet de prendre conscience de l’incongruité entre deux éléments. Et la capacité de passer d’un élément à l’autre est un processus cognitif identifié comme favorisant la créativité. En d’autres termes, l’humour modifie notre façon de penser et facilite un mode de pensée inattendu, comme l’« expérience de pensée » (gedankenexperiment) qui a poussé Einstein à s’imaginer « chevauchant un faisceau » de lumière.

En développant notre sens de l’humour, nous développons une nouvelle capacité à comprendre les problèmes sous des angles différents, et ce type de pensée conduit à une plus grande créativité. Aborder les problèmes de manière linéaire et traditionnelle permet de trouver des solutions conventionnelles, voire triviales.

Or, comme le suggère Albert Einstein : « Pour stimuler la créativité, il faut développer un penchant enfantin pour le jeu ». Et l’« instinct de jeu » de l’homme, comme le souligne Friedrich Schiller dans ses Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme (1795), en tant que première rencontre avec une absence de contraintes, sert un projet plus large de progrès humain, dans lequel la liberté nécessaire aux hommes pour se gouverner de manière adéquate s’exerce par le biais de l’interaction des facultés qui se manifestent au cours de l’expérience esthétique. En somme, le développement, aussi bien de l’« instinct de jeu » que de l’humour sont essentiels à la créativité et à l’art, y compris « l’art de gouverner. »

En somme, pour qu’une nouvelle renaissance devienne réalité, il faut libérer nos concitoyens de l’« Angst » (la peur). Ignorant des dangers réels comme la guerre nucléaire, ils vivent dans la crainte de menaces qu’on leur a fait imaginer.

Pour ceux qui, comme nous, aspirent à la paix par le développement de chaque individu et de chaque Etat, il est temps de prendre très, très, très au sérieux la vision d’Érasme, de Rabelais, de Léonard et de Matsys sur le « bon rire », vérace et libérateur.

Jan Matsys, vers 1530, Fondation Phoebus, Anvers.

Je termine par une peinture du fils de Quinten Matsys, Jan, qui présente le rébus visuel suivant :

Solution:
1) Le « D » est abréviation de « le » ;
2) Le globe signifie « monde » ;
3) Le pied, en flamand « voet » est proche du mot « voedt », c’est-à-dire « nourrit » ;
4) La vièle (violon d’époque), en flamand s’écrit en flamand vedel, dont le sens est proche de « vele », c’est-à-dire « nombreux ».
5) En dessous… les deux sots.

La phrase se lit donc: « Le monde nourrit de nombreux sots ».

Et vous, spectateur, vous en êtes un, nous lancent les fous. Eux le savent et nous conseillent de n’en parler à personne ! Mondeken Toe ! (Fermons la bouche !)

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  1. L’orthographe du nom de l’artiste diffère au fil du temps et selon les cultures linguistiques. En français, il s’appelle Quentin Metsys, en anglais Quinten Massys et en néerlandais Quinten (Kwinten) Matsijs. À Grobbendonk, il s’appelle Matsys. Le « ij » n’existant pas à la fin du XVe siècle, l’auteur a choisi pour ce texte « Quinten Matsys », identique à l’orthographe utilisée par Harald Brising en 1908 et par Matsys lui-même pour signer son tableau de 1514, Le banquier et sa femme, Louvre. ↩︎
  2. Anvers, Twaalf eeuwen geschiedenis en cultuur , Karel Van Isacker et Raymond van Uytven, Mercatorfonds, Anvers, 1986. ↩︎
  3. Brugge, duizend jaar kunst , Valentin Vermeersch, Mercatorfonds, Anvers, 1981. ↩︎
  4. L’âge d’or d’Anvers , Léon Voet, Fonds Mercator, Anvers, 1976. ↩︎
  5. Complainte de la Paix, dans Erasme, guerre et Paix , citations choisies annotées par Jean-Claude Margolin, Bibliothèque sociale, Aubier Montaigne, 1973, Paris. ↩︎
  6. Jean Anouilh, Thomas More ou l’Homme libre, Editions de la Table ronde, Paris, 1987. ↩︎
  7. Pieter Gillis (1486-1533), connu sous le nom latinisé de Petrus Ægidius, est un humaniste, juriste, correcteur et éditeur travailland chez Dirk Martens. Ami d’Erasme, il apparaît dans l’Utopie de Thomas More. Il recommande le peintre Holbein le jeune à Thomas More et sera secrétaire (maire) de la ville d’Anvers. ↩︎
  8. Dirk Martens (1446-1534) d’Alost est un humanistse érudit, éditeur et imprimeur de livres en Flandres installé à Louvain et Anvers. Il a publié la première lettre de Christophe Colomb relatant son voyage et une cinquantaine d’oeuvres d’Erasme ainsi que la première édition de l’Utopie de Thomas More. Pour permettre aux étudiants de l’Université de Louvain d’accéder facilement au savoir, Martens a imprimé de nombreux classiques en format de poche. Voir, Dirk Martens, l’imprimeur d’Erasme qui diffusa le livre de poche, Karel Vereycken, Artkarel, 2019. ↩︎
  9. Gerard Geldenhouer (1482-1442), connu également sous le nom de Gerhardus Noviomagus est un humaniste et satiriste d’inspiration érasmienne. Tout comme Érasme, il fut formé à la célèbre école latine créée par les Frères de la Vie Commune à Deventer. À Louvain, il écrivit ses premières publications, parmi lesquelles un recueil de Satires dans la lignée de l’ Éloge de la Folie d’ Érasme. Il supervisa l’impression de plusieurs œuvres d’Érasme et de Thomas More. Ultérieurement, Geldenhouer joindra la réforme protestante, plus précisément le courant modér de Philipp Mélanchthon à Magdebourg. ↩︎
  10. L’historien néerlandais Cornélus de Schryver (1482-1558), mieux connu comme Cornelius Grapheaus, fut un humaniste, poète, philologue et professeur de latin. Originaire de Nijmegen, il s’installe à Anvers. Jeune, il se rend en Italie. Ami d’Erasme, de Gillis et de Geldenhouer, il contribue six vers élégiaques à l’édition de l’Utopiede Thomas More publié par Dirk Martens. Il sera plusieurs fois secrétaire (maire) de la Ville d’Anvers. ↩︎
  11. À la mort de Hans Memling en 1494, Gérard David (1460-1523) devient le peintre le plus important de Bruges. Il devient doyen de la guilde en 1501. Malgré son succès à Bruges, il s’inscrit conjointement avec Patinir comme maître à Anvers, ce qui lui permet de vendre ses œuvres également sur le marché de l’art en plein essor de cette ville. Voir Gerard David, Hans J. Van Miegroet, Fonds Mercator, Anvers, 1989. ↩︎
  12. Le peintre anversois Joachim Patinir(1483-1524) fut un ami très proche de Quinten Matsys. Voir Patinir ou l’harmonie du monde, Maurice Pons and André Barret, Robert Laffont, Paris, 1980. ↩︎
  13. Le peintre-graveur et géomètre nurembergeois Albrecht Dürer (1471-1528) a vécu onze mois à Anvers : du 2 août 1520 au 2 juillet 1521. Son journal de voyage nous informe sur les personnes qu’il a rencontrées à Anvers, parmi lesquelles les célèbres artistes Quinten Matsys, Bernard van Orley et Lucas van Leyden. Son retour à Nuremberg coïncide avec l’annonce des « placards » (décrets) de Charles Quint, interdisant aux catholiques de lire la Bible. Comme les revenus de Dürer provenaient en grande partie de l’illustration de la Bible, les perspectives de vivre de cette profession devenaient proches de zéro. ↩︎
  14. En 1510, Lucas van Leyden (1489-1533), né à Leyde et influencé par Dürer, réalise deux chefs-d’œuvre de la gravure, La Laitière et Ecce Homo, ce dernier étant très admiré par Rembrandt. Lukas rencontre Dürer à Anvers en 1521 et profite à nouveau de son influence, comme en témoigne la série de la Passion de la même année. Lucas a peut-être amélioré ses compétences en gravure avec l’aide de Dürer, car il a réalisé quelques eaux-fortes après leur rencontre. ↩︎
  15. Holbein le Jeune (1497-1543) est un peintre bâlois. Adolescent, on lui demande, et il réussit avec grand succès, d’annoter de dessins une copie de l’Éloge de la folie d’ Érasme. Ils se rencontrent en personne, lorsque Érasme part en exil à Bâle. Holbein réalise plusieurs portraits à l’huile de l’humaniste et vint à Anvers pour rencontrer Pieter Gillis et ensuite rejoindre Thomas More en Angleterre. ↩︎
  16. On reproche au style des maniéristes anversois de manquer de caractère et d’expression individuelle. On le dit « maniéré », et, pire, caractérisé par une élégance artificielle. Voir Les Primitifs flamands et leur temps, pp. 621-622-623-624, Editions Renaissance du Livre, 1994. ↩︎
  17. L’art flamand et hollandais, Le siècle des primitifs (1380-1520), Christian Heck, Citadelles & Mazenod, Paris. ↩︎
  18. Le groupe de recherche Gent Interdisciplinary Centre for Art and Science (GICAS) est une collaboration entre des membres des Facultés des Lettres et de Philosophie (Histoire de l’art, Archéologie, Histoire), des Sciences (Chimie analytique) et d’Architecture et d’Ingénierie (Traitement d’images). La recherche se concentre sur les aspects matériels des œuvres d’art, avec un accent particulier sur la peinture des Pays-Bas (XVe-XVIIe siècles). Le Centre applique à la fois l’imagerie comme technique de traitement d’images, ainsi que l’analyse matérielle en relation avec les questions d’histoire de l’art et les applications en conservation et restauration. ↩︎
  19. Les peintures de Quinten Massys avec catalogue raisonné , Larry Silver, Allanheld & Schram, 1984. ↩︎
  20. Quentin Metsys , Andrée de Bosque, Arcade Press, Bruxelles, 1975. ↩︎
  21. Quinten Matsys ; essai sur l’origine de l’italianisme dans l’art des Pays-Bas , Brising, Harald, 1908, Leopold Classic Library, réimpression 2015. ↩︎
  22. Martin Luther King, dans un sermon, nous rappelle que dans la Grèce antique, on distinguait trois formes différentes d’amour : éros, pour l’amour charnelle, philiapour l’amitié (fraternelle et filiale) et agapè, traduit en latin par caritaspour un amour désintéresé pour autrui. L’agapèchoisit de considérer l’autre comme il est dit dans 1 Corinthiens 13 : toujours prêt à penser le meilleur de l’autre, prêt à pardonner, prêt à chercher le meilleur pour l’autre.
    ↩︎
  23. Erasme et la peinture flamande de son temps, Georges Marlier, Editions van Maerlant, Damme, 1954. ↩︎
  24. Georges Marlier, op. cit. p. 163. ↩︎
  25. Comment la folie d’Érasme a sauvé notre civilisation, Karel Vereycken, page web, archives de l’Institut Schiller, Washington, 2005. ↩︎
  26. Le combat d’Albrecht Dürer contre la mélancolie néo-platonicienne, Karel Vereycken, page Solidarité & Progrès, 2007. ↩︎
  27. De Eeuw van de Zotheid, over de nar als maatschappelijke houvast in de vroegmoderne tijd , Herman Pleij, Uitgeverij Bert Bakker, Amsterdam, 2007. ↩︎
  28. Le bas Moyen Âge et le temps de la Rhétorique, Hanna Stouten, Jaap Goedegebuure et Frits Van Oostrom, dans Histoire de la littérature néerlandaise, Fayard, 1999. ↩︎
  29. De vergeten beeldentaal van Jheronimus Bosch, Dr Eric de Bruyn, Heinen, ‘s-Hertogenbosch, 2001; Bosch, son écriture picturale déchiffrée, Dirk Bax, AABalkema, Rotterdam, 1978. ↩︎
  30. L’écrivain et humaniste chrétien français François Rabelais(1483-1553), dans sa lettre à Salignac (en réalité Érasme), l’appelle son « père » et même sa « mère » et se compare affectueusement à une sorte de bébé qui aurait grandi dans son ventre, Rabelais, Oeuvres complètes , p. 947, Editions du Seuil, 1973. ↩︎
  31. Le génie littéraire espagnol Miguel de Cervantès(1546-1616) a été formé par son maître d’école Juan Lopez de Hoyos (1511-1583), un fervent disciple d’Érasme de Rotterdam, dont il a insufflé l’esprit à son disciple le plus aimé. ↩︎
  32. Il a été démontré de manière convaincante que le dramaturge et poète anglais William Shakespeare(1564-1616) a écrit, ou du moins a largement contribué à la pièce de théâtre de 1595 Sir Thomas More, le « frère jumeau » d’Érasme dans l’esprit et l’action. ↩︎
  33. Érasme des Pays-Bas, James D. Tracy, p. 104. Érasme commença à parler de « la philosophie du Christ» dans ses œuvres vers 1515. Déjà dans Julius Exclusus (Le pape Jules II exclu du ciel, 1514) il introduit l’idée lorsque saint Pierre oppose la simplicité divine de l’enseignement du Christ à l’arrogance mondaine du pape « guerrier » Jules II. « Ce genre de philosophie » s’exprimait « plus dans les émotions [affectibus] que dans les syllogismes », il s’agissait « d’inspiration plus que d’apprentissage, de transformation plus que de raisonnement ».↩︎
  34. Sur l’humanisme de Platon : Bierre, Christine, Platon contre Aristote, la République contre l’oligarchie . Page Web de Solidarité & Progrès, 2004. ↩︎
  35. Entre 339 et 397 après J.-C., le père de l’Église Jérôme de Stridon a étudié et écrit, en utilisant de nombreux ouvrages d’histoire et de philosophie de sa propre bibliothèque. Jérôme a continué à utiliser son érudition classique au service du christianisme et la discipline intellectuelle impliquée a été valorisée tant qu’elle pouvait servir l’objectif chrétien – et sans mettre en danger la nouvelle Société chrétienne. ↩︎
  36. L’épistémologie de saint Augustin d’Hippone était clairement platonicienne. Pour lui, malgré le fait que Dieu soit extérieur aux humains, les esprits humains ont conscience de lui en raison de son action directe sur eux (exprimée en termes de rayonnement de sa lumière sur l’esprit, ou parfois d’enseignement) et non en raison d’un raisonnement ou d’un apprentissage à partir d’une simple expérience sensorielle empirique. ↩︎
  37. Parmi les plus grands succès de Pieter Brueghel l’Ancien figurent Les Sept péchés capitaux et Les Vertus, deux séries de dessins, gravées et imprimées par ses amis et collaborateurs travaillant à l’imprimerie In de Vier Winden de Jérôme Cock à Anvers, dans un langage visuel adopté de son inspirateur, le peintre Jérôme Bosch. ↩︎
  38. La vie et l’art d’Albrecht Dürer, Erwin Panofsky, Princeton University Press, 1971. ↩︎
  39. Vanitas (du latin « vanité », signifiant dans ce contexte inutilité ou futilité) est un genre de memento mori ou trope symbolique rappelant l’inévitabilité de la mort, symbolisant la fugacité de la vie, la futilité du plaisir et donc la vanité d’une existence définie par la quête permanente du plaisir terrestre. ↩︎
  40. Sur le combat de Pétrarque et de Boccace pour l’introduction du grec classique en Europe : La révolution du grec ancien, Platon et la Renaissance, Karel Vereycken, Artkarel, 2021. ↩︎
  41. On ne peut sous-estimer l’immense popularité, et donc l’importance historique, de ces cycles, notamment en France. Aux Pays-Bas, les imaginaires de Pieter Brueghel l’Ancien pour son tableau Le Triomphe de la Mort , souvent mal compris, sont presque directement tirés du cycle poétique de Pétrarque. Des traductions en anglais existent comme The Triumphs of Petrarch, ‎Francis Petrarch (Francesco Petrarca), Legare Street Press, 2022. ↩︎
  42. Avec Jérôme Bosch sur les traces du Sublime, Karel Vereycken, Page web des archives, Schiller Institute, Washington. ↩︎
  43. Bosch, le jardin des délices, Reindert Falkenburg, Hazan, Paris, 2015. ↩︎
  44. Dans son œuvre principale, Il Cortegiano (Le Courtisan), Livre XXXIX, Baldassar Castiglione (1478-1519) se moque de Léonard de Vinci, regrettant « qu’un des premiers peintres du monde méprise l’art dans lequel il est unique et ait commencé à apprendre la philosophie, dans laquelle il a forgé des conceptions et des chimères si étranges qu’il n’a jamais pu les peindre dans son œuvre » . ↩︎
  45. Cahiers de Léonard de Vinci , Richter, 1888, XIX Maximes philosophiques. Morale. Polémiques et spéculations , N° 1178, Éditions Dover, Vol. II., 1970. ↩︎
  46. De Docta Ignorantia (De la Docte Ignorance), Nicolas de Cues, 1440. Le cusain était un disciple de Socrate qui, selon Platon, disait « Je sais que je ne sais rien » (Platon, Apologie, 22d). ↩︎
  47. Avec son De Servo Arbitrio (La volonté asservie), Martin Luther répond largement en 1525 à la diatribe sive collation (Du libre arbitre) d’Érasme publiée un an plus tôt, en 1524. ↩︎
  48. Le 31 octobre 1517, Luther écrit à son évêque, Albert de Brandebourg, pour protester contre la vente des indulgences. Il joint à sa lettre une copie de sa Dispute sur la force et l’efficacité des indulgences, connue sous le nom des 95 Thèses. Érasme, entre autres, avait déjà largement dénoncé cette escroquerie, notamment dans son Éloge de la folie de 1509. ↩︎
  49. Les Flamands de France, Louis de Baecker, Messager des sciences historiques et archives des arts de Belgique, p. 181, Gand, Vanderhaeghen, 1850. ↩︎
  50. Massys et l’argent : les collecteurs d’impôts redécouverts, Larry Silver, JHNA, Volume 7, numéro 2 (été 2015), Silver écrit : « Pourtant, l’influence du tableau de Massys dans l’histoire de la peinture de genre – le sujet a été repris presque immédiatementpar le fils du peintre Jan Massys, par Marinus van Reymerswaele et par Jan van Hemessen – est reconnue depuis un certain temps. » ↩︎
  51. Ibid, note N° 23. ↩︎
  52. Écrite en quelques jours dans la résidence de Thomas More à Bucklersbury près de Londres, l’œuvre exprime le choc profond qu’éprouve Érasme en découvrant l’état pitoyable dans lequel il a trouvé « son » Église et « son » Italie, lorsqu’il est venu à Rome en 1506. Pour Érasme, à l’opposé des scolastiques, l’émotion ne doit pas être ignorée ou supprimée, mais élevée et éduquée, un thème développé plus tard par Friedrich Schiller dans ses Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme (1795). La Stultitia (le nom latin de la Folie) est la personnification de la Folie qui oscille en permanence entre folie apparente=sagesse réelle et sagesse apparente=folie réelle, s’exprime et revendique fermement sa paternité et sa paternité de tout. De la folie « douce » des faibles, des femmes et des enfants, des hommes qui par le péché ont abandonné la raison, Érasme passe à mobiliser toute son ironie et son esprit pour fustiger la folie criminelle « dure » des puissants, des « sophistes de la folie », des marchands, des banquiers, des princes, des rois, des papes, des théologiens et des moines. ↩︎
  53. La Nef des Fous , Sébastien Brant, Editions Seghers et Nuée Bleue, réimpression, 1979, Strasbourg. ↩︎
  54. Sebastian Brant, Forschungsbeiträge zu seinem Leben, zum Narrenschiff und zum übrigen Werk , Thomas Wilhelmi, Schwabe Verlag, p. 34, 2002, Bâle. ↩︎
  55. Dürer a réalisé cette gravure pour illustrer un recueil populaire intitulé Le Livre du chevalier de la tour, un manuel de bonne conduite pour les jeunes filles. Selon l’histoire, la femme du cuisinier aurait mangé une anguille destinée à un invité spécial, mais plutôt que de l’avouer à son mari, elle aurait menti. Une pie aurait révélé le secret de la femme à son mari, et aurait été punie en se faisant arracher les plumes par l’épouse vengeresse. Le cuisinier, représenté avec tous les attributs de son métier : couteau, poêle et cuillère, écoute l’oiseau avec une expression de surprise grandissante sur le visage, tandis que sa femme tourne son regard sur le côté dans une anticipation qui frise la résolution. ↩︎
  56. Le fait que l’écrivain et marchand italien Lodovico Guicciardini (1521-1589) ait vécu la majeure partie de sa vie à Anvers, même si c’est après 1542, fait de lui une source précieuse d’informations. ↩︎
  57. Pour Bruegel, son monde est vaste, entretien de l’auteur avec Michael Gibson, spécialiste de Bruegel et critique d’art à l’International Herald Tribune, Fidelio , Vol. 8, N° 4, Hiver 1998. ↩︎
  58. Sebastian Brant, op. cit., p. 23. ↩︎
  59. Sebastian Brant, op. cit., p. 27. ↩︎
  60. L’étude dendrochronologique a daté le bois de 1491, et il est tentant de voir le tableau comme une réponse au Nef des fous de Brant ou même aux illustrations de la première édition de 1493. Une autre source possible de l’allégorie du navire est le Pèlerinage de l’âme, oeuvre du cistercien Guillaume de Deguileville du XIVe siècle, imprimé en néerlandais en 1486. ↩︎
  61. Voir Moderne Devotie et Broeders en van het Gemene Leven, bakermat van het Humanisme , présentation de Karel Vereycken, 2011, Artkarel.com. ↩︎
  62. Ce thème, celui d’un détachement constant de l’univers des choses créées, puissamment développé par Joachim Patinir, Herri met de Bles et d’autres, est le thème central du Pèlerinage de l’Homme (L’Âme), Guillaume De Deguileville, XIVe siècle. ↩︎
  63. De Moderne Devotie, Spiritualiteit en cultuur vanaf de late Middeleeuwen, ouvrage collectif, WBooks, Zwolle, 2018. ↩︎
  64. C’est la vision de Denis le Chartreux (1401-1471), qui a écrit un traité d’esthétique théologique sous le titre De Venustate Mundi et Pulchritudine Dei (De l’attrait du monde et de la beauté de Dieu). ↩︎
  65. Il faut ici saluer le travail pionnier du Pr. Eric de Bruyn dans son remarquable livre De vergeten beeldentaal van Jheronimus Bosch, Heinen, ‘s-Hertogenbosch, 2001, où il a démontré de manière concluante que le sujet du verso du tableau de Bosch « Le chariot à foin » n’était pas le « Retour du fils prodigue », comme on l’a pensé pendant des années, mais bien « Le colporteur ».↩︎
  66. Pour un récit détaillé de la jeunesse de Matsys, voir Quinten Metsys, Andrée de Bosque, p. 33, Arcade Press, Bruxelles, 1975. ↩︎
  67. La légende commence avec Dominicus Lampsonius (1536-1599) qui inclut, dans ses Effigies de quelques peintres célèbres de Basse-Allemagne, publiées en 1572 par la veuve de Hieronymus Cock à Anvers, un portrait gravé de Matsys réalisé par Wierix, accompagné d’un poème sur la façon dont la petite amie de Matsys préférait le pinceau silencieux au bruit lourd des coups de marteau d’un forgeron. L’histoire est reprise en 1604 par Karel van Mander dans son Schilder-Boeck et plus tard par Alexander van Fornenberg (1621-1663) dans sa présentation enthousiaste de Matsys, Den Antwerpschen Protheus, souvent Cyclopshen Apelles ; c’est-à-dire ; Het Leven, ende Konst-rijcke Daden, des Uyt-nemenden, ende Hoogh-beroemden, M. Quinten Matsys : Van Grof-Smidt, in Fyn-Schilder verandert, Anvers, publié par Hendrick van Soest, 1658. ↩︎
  68. Le Livre des peintres , Karel Van Mander, 1604. ↩︎
  69. Quinten Metsys, Edward van Even, dans Het Belfort, Jaargang 12, 1897, Digitale Bibliotheek voor de Nederlands letteren, page Web. ↩︎
  70. Dessins d’architecture des Pays-Bas : XVe-XVIe siècles , Oliver Kik, CODART eZine, no. 8, automne 2016. ↩︎
  71. Pour en savoir plus : Cornelis Matsys 1510/11-1556/57 : Grafisch werk, Jan Van der Stock, Tentoonstellingscatalogus. ↩︎
  72. Les Pays-bas bourguignons , Walter Prevenier et Wim Blockmans, Fonds Mercator et Albin Michel, 1983. ↩︎
  73. Pour un compte rendu détaillé, voir The Age of the Fuggers, Franz Herre, Presse-Druck- und Verlag-GmbH Augsburg, 1985. ↩︎
  74. En 1548, Francisco de Hollanda(1517-1585) a enregistré dans son De Pinture Antigua (1548) une conversation entre Vittoria Colonna et le célèbre peintre Michel-Ange au cours de laquelle ils discutaient de l’art du Nord. Michel-Ange exprimait ainsi son point de vue sur la peinture flamande : « En général, Madame, la peinture flamande plaira mieux au dévot que n’importe quelle peinture d’Italie, qui ne lui fera jamais verser une larme, tandis que celle de Flandre lui en fera verser beaucoup ; et cela non pas à cause de la vigueur et de la bonté de la peinture, mais à cause de la bonté de la personne dévote. En Flandre, on peint en vue de la précision extérieure ou de choses qui peuvent vous réjouir et dont on ne peut pas dire du mal, comme par exemple les saints et les prophètes. On peint des objets et des maçonneries, l’herbe verte des champs, les ombres des arbres, des rivières et des ponts, qu’on appelle des paysages, avec beaucoup de figures d’un côté et beaucoup de figures de l’autre. » Et tout cela, bien que cela plaise à certains, se fait sans choix habile d’audace et, finalement, sans substance ni vigueur. »↩︎
  75. Sur cet artiste : voir Thierry Bouts, Catheline Périer D’Ieteren, Fonds Mercator, Bruxelles, 2005. ↩︎
  76. Sur cet artiste : voir Hugo van der Goes, Elisabeth Dhanens, Mercatorfonds, Anvers, 1998. Aussi Hugo van der Goes et la Devotio Moderna, Karel Vereycken, Artkarel.com. ↩︎
  77. Voir Schilderkunst in de Bourgondische Nederlanden, Berhard Ridderbos, Davidsfonds, Louvain, 2014. ↩︎
  78. Les trois degrés de la vision selon Ruysbroeck l’Admirable et les Bergers du triptyque Portinari de Hugo van der Goes , Delphine Rabier dans Études en Spiritualité , N° 27, pp. 163-179, 2017. Dans son deuxième ouvrage bruxellois, Die geestelike brulocht (Le Mariage Spirituel — vers 1335/40), Ruusbroec explique que la vie spirituelle passe par trois étapes au cours desquelles l’amour de Dieu s’approfondit à chaque fois : la vie de travail, la vie intérieure et la vie de réflexion sur Dieu. Ruusbroec souligne que le mystique qui a atteint le stade le plus élevé n’abandonne jamais les deux précédents, mais les pratique à partir de l’union avec Dieu. C’est ce que Ruusbroec appelle la vie « commune ».
    ↩︎
  79. Sur cet artiste : voir Rogier van der Weyden, Dirk De Vos, Mercatorfonds, Anvers, 1999. ↩︎
  80. Sur les compositions musicales de Jacob Obrecht (1457-1505), voir Musique flamande, Robert Wangermée, Arcade, Bruxelles, 1968. ↩︎
  81. Le musicien de Metsys : une œuvre de jeunesse récemment reconnue, Larry Silver, Journal of Historians of Netherlandish Art (JHNA), volume 10, numéro 2, été 2018. ↩︎
  82. De la Renaissance à Ferrare : Une Renaissance Singulière – La Cour Des Este À Ferrare – Bentini Jadranka, Quo Vadis, 2003. ↩︎
  83. L’école latine des Frères de la Vie Commune de Deventer fut dirigée à l’époque d’Érasme par Alexandre Hégius (1433-1498), élève du célèbre Rodolphe Agricola (Huisman) (1442-1485), disciple de Cues et fervent défenseur de la Renaissance italienne et de la littérature classique. Érasme le qualifia d’« intellect divin ». À 24 ans, Agricola fit un tour d’Italie pour donner des concerts d’orgue et rencontra Ercole d’Este I (1431-1505), souverain de la cour de Ferrare. À l’université de Pavie, il découvrit également les horreurs de la scolastique aristotélicienne. Lorsqu’il enseignait à Deventer, Agricola commençait son cours en disant : « Ne vous fiez à rien de ce que vous avez appris jusqu’à ce jour. Rejetez tout ! Partez du point de vue qu’il faut tout désapprendre, sauf ce que vous pouvez redécouvrir en vous basant sur votre propre autorité ou sur des décrets d’auteurs supérieurs. »↩︎
  84. L’hypothèse d’un voyage de Quentin Matsys en Italie a notamment été suggérée par l’auteur italien Limentani Virdis, qui attribue même au peintre la paternité d’une fresque de l’oratoire milanais de l’abbaye Santa Maria di Rovegnano. ↩︎
  85. L’Art flamand, p. 261, Dirk de Vos, Fonds Mercator, 1985. ↩︎
  86. Discours sur le libre arbitre, Érasme, Bloomsbury Revelations, 2013. ↩︎
  87. Van Eyck, peintre flamand utilisant l’optique arabe, Karel Vereycken, conférence sur le thème « La perspective dans la peinture religieuse flamande du XVe siècle » à l’Université Paris Sorbonne du 26 au 28 avril 2006; Le rôle d’Avicenne et de Ghiberti dans l’invention de la perspective à la Renaissance , Karel Vereycken, Artkarel, 2022. ↩︎
  88. Van Eyck, une révolution optique, Maximiliaan Martens, Till-Holger Borchert, Jan Dumolyn, Johan De Smet et Frederica Van Dam, Hannibal, MSK Gent, 2020. ↩︎
  89. Ibn al-Haytham sur la vision binoculaire : un précurseur de l’optique physiologique, Sciences et philosophie arabes, pp. 79-99, Raynaud, Dominique, Cambridge University Press, 2003. ↩︎
  90. Léon Battista Alberti (1404-1472)publie en 1435 son De Pictura . Bien que l’ouvrage développe d’importants concepts géométriques utilisés dans la représentation en perspective, il manque de toute forme d’illustration ou d’image et ne s’intéresse pas à la formation des images dans l’esprit des spectateurs. Léonard a pris le temps de démontrer les limites du système albertien et a présenté quelques alternatives. ↩︎
  91. Fondements de la Renaissance, architecture et traités dans le retable de Sainte-Anne de Quentin Matsys (1509), Jochen Ketels et Maximiliaan Martens, European Architectural Historians Network, EAHN : Enquête et écriture de l’histoire de l’architecture : sujets, méthodologies et frontières. p.1072-1083. ↩︎
  92. Ibid, note N° 90. ↩︎
  93. De prospectiva pingendi ( De la perspective de la peinture ), écrit par Piero della Francesca (1415-1492) est le premier traité de la Renaissance en italien consacré au sujet de la perspective. Voir L’Œuf sans ombre de Piero della Francesca , Karel Vereycken, Fidelio , Vol. 9, N° 1, printemps 2000, Schiller Institute, Washington. ↩︎
  94. Ibid, note N° 90. ↩︎
  95. Joachim Patinir, Het landschap als beeld van de levenspelgrimage, Reindert L. Falkenburg, Nimègue, 1985. ↩︎
  96. Plus d’informations à ce sujet dans Albrecht Dürer, Anja-Franziska Eichler, Könemann, 1999, Cologne, p. 112. ↩︎
  97. A ce sujet, voir Le Collège des Trois langues de Louvain (1517-1797), Pr. Jan Papy, Editions Peeters, Louvain, 2018. ↩︎
  98. Jacopo de’ Barbari et l’art du Nord du début du XVIe siècle, Jay A. Levenson, Université de New York, 1978. ↩︎
  99. Quatre livres sur les proportions humaines, Albrecht Dürer, 1528. Il convient de noter, pour notre sujet ici, que l’artiste, dans le troisième livre, donne des principes par lesquels les proportions des figures peuvent être modifiées, y compris la simulation mathématique de miroirs convexes et concaves. ↩︎
  100. Citation de Gravures italiennes de la National Gallery of Art, Jay A. Levenson, Konrad Oberhuber, Jacquelyn L. Sheehan, National Gallery of Art, 1971. ↩︎
  101. Albrecht Dürer, Journal de son voyage aux Pays-Bas, 1520-1521. Accompagné du carnet de croquis à la pointe d’argent et des peintures et dessins réalisés pendant son voyage, New York Graphic Society, Greenwich, 1996. ↩︎
  102. Ibid, Note N° 14. ↩︎
  103. Sur ceux qui sont aux gages des grands, Lucien de Samosate, traduit par Eugène Talbot, Hachette, Paris, 1866. ↩︎
  104. Ibid, Note N° 102. ↩︎
  105. Ibid, Note N° 102. ↩︎
  106. Erasme parmi nous, p. 72-73, Léon E. Halkin, Fayard, Paris, 1987. ↩︎
  107. Joseph d’Arimathie est un personnage biblique qui a assumé la responsabilité de l’enterrement de Jésus après sa crucifixion. ↩︎
  108. Hérode le Grand (vers 72 – vers 4 av. J.-C.) était un « roi client » (satrape) juif romain du royaume de Judée. Il est connu pour ses projets de construction colossaux, notamment la reconstruction du Second Temple de Jérusalem. ↩︎
  109. Sur le rôle de Jules II dans la reconstruction de Rome, voir Ceque l’humanité peut apprendre de l’école d’Athènes de Raphaël, Karel Vereycken, Artkarel.com, 2022. ↩︎
  110. Ibid, note N° 82. ↩︎
  111. Marlier, op. cit, p. 252. ↩︎
  112. Sur le rôle des Fugger et des Welser dans l’esclavage financier et physique au XVIe siècle, voir Jacob le Riche, père du fascisme financier, Karel Vereycken, Artkarel, 2024. ↩︎
  113. Georges Marlier, Op. cit. ↩︎
  114. Geoerges Marlier, Op. cit. p. 270. ↩︎
  115. Pour une analyse détaillée : Le prêteur et sa femme de Quinten Metsys , Emmanuelle Revel, Collection Arrêt sur œuvre, Service culturel, Action éducative, Louvre, Paris, 1995. ↩︎
  116. Les primitifs flamands, Erwin Panofsky, Harvard University Press, 1971, traduit de l’anglais par Dominique Le Bourg, Hazan, collection « 35/37 », Paris, 1992, pp. 280-282. ↩︎
  117. Le siècle de Bruegel. La Peinture en Belgique qu XVIe siècle , catalogue d’exposition 27 septembre – 24 novembre 1963, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles, notice dirigée par Georges Marlier. ↩︎
  118. Pour une analyse approfondie, voir les points de vue opposés : d’un côté, la nature diabolique des miroirs, dans Histoire du miroir , Sabine Melchior-Bonnet, Imago, Paris, 1994, et sur leur rôle de médiateur du divin, De Visione Dei , de Nicolas de Cues, 1453. ↩︎
  119. L’hypothèse d’Oxford , Dominique Raynaud, Presses Universitaires de France, Paris, 1988. ↩︎
  120. Jan van Eyck, peintre flamand utilisant l’optique arabe , conférence de Karel Vereycken en 2006 à l’Université de la Sorbonne, Artkarel, France. ↩︎
  121. Pour une analyse complète : Petrus Christus , Maryan W. Ainsworth et Maximiliaan PJ Martens, p. 96. ↩︎
  122. Iconographie de l’art chrétien, Louis Réau, Presses Universitaires de France, 1958, tome III, Iconographie des saints , pp. ↩︎
  123. Ibid, note 90. ↩︎
  124. Philippe d’Aarschot, dans Gids voor de Kunst in België, p. 105, Spectrum, 1965. ↩︎
  125. Les Lais de Corinthe de Holbein, 1526, témoignent de l’influence de Léonard de Vinci. Pierre Vays, professeur honoraire d’histoire de l’art à la Faculté de Genève, souligne également la « touche léonardesque de certaines de ses compositions », dans Holbein le Jeune , sur https://www.clio.fr . ↩︎
  126. Léonard de Vinci a probablement peint une partie de la réplique belge de « La Cène », Maïthé Chini , The Brussels Times, 2 mai 2019. ↩︎
  127. Dans Les grotesques et mouvements de l’âme, Léonard de Vinci conçu par Wenceslaus Hollar à la Fondation Pedretti, Federico Giannini, Finstre Sull’Arte, 26 mars 2019. ↩︎
  128. Les dix livres de l’architecture, Vitruve. ↩︎
  129. Erasme, Eloge de la folie, Chap. XXXI. ↩︎
  130. Erasme, Colloques, traduit par Etienne Wolff, Editions Imprimerie nationale, 1992. ↩︎
  131. Erasme, Colloques, Vol. II, traduit par Etienne Wolff, Editions Imprimerie nationale, 1992. ↩︎
  132. Peinture néerlandaise ancienne, tome 7, Quentin Massys , Max J. Friedländer, Editions de la Connaissance, Bruxelles, 1971. ↩︎
  133. Cranach der Ältere und die Niederlande , Till-Holger Borchert, dans Die Welt von Lucas Cranach , éditions G. Messling, 2010. ↩︎
  134. Les couples mal assortis – Lucas Cranach, Perceval, eve-adam.over-blog.com , 2016 ↩︎
  135. La duchesse laide de Quinten Massys, Une analyse , Katie Shaffer, Academia.edu, 2015. ↩︎
  136. Citation dans La représentation des femmes dans l’art de la fin du Moyen Âge et de la Renaissance , Christa Grössinger, Manchester University Press, 1997. p. 136. ↩︎
  137. Léonard de Vinci, Daniel Arasse , p. 36, Hazan, Paris, 1997. ↩︎
  138. L’Encyclopédie Larousse note que « L’influence de Léonard apparaît dans une Vierge à l’Enfant (musée de Poznań), inspirée de la Vierge et sainte Anne, et se lit également dans la facture de la Vierge Rattier (1529, Louvre) ou de la Madeleine (musée d’Anvers). Elle a peut-être inspiré la tendance caricaturale du Vieillard (1514, Paris, musée Jacquemart-André), de la Femme laide (copie à Londres, N. G.) et peut-être même manifestée des scènes de genre comme le Vieux galant (Washington, N. G.) ou l’Usurier (Rome, Gal. Doria-Pamphili). »↩︎
  139. Résolu : le mystère de la vilaine duchesse – et le lien avec Da Vinci, Mark Brown, The Guardian , 11 octobre 2008. ↩︎
  140. Ibid. note N° 138. ↩︎
  141. Groteske koppen van Quinten Metsijs, Hieronymus Cock en Hans Liefrinck naar Leonardo da Vinci, Jan Muylle, De Zeventiende Eeuw, 10e Année, 1994. ↩︎
  142. Ibid. note N° 5. ↩︎
  143. Creativity and Humor, Chapter 4 – Why Humor Enhances Creativity From Theoretical Explanations to an Empirical Humor Training Program: Effective “Ha-Ha” Helps People to “A-Ha”, Ching-Hui Chen, Hsueh-Chih Chen, Anne M. Roberts, pages 83-108, Explorations in Creativity Research, 2019. ↩︎
  144. De Eeuw van de Zotheid, over de nar als maatschappelijke houvast in de vroegmoderne tijd, Herman Pleij, p. 11, Uitgeverij Bert Bakker, Amsterdam. ↩︎

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