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Afghanistan : « Le pays des 1000 cités d’or » et l’histoire d’Aï Khanoum

Parler de la culture d’un pays étranger est toujours une chose difficile, surtout si l’on n’en connaît pas la langue et si l’on n’a pas pu séjourner et voyager dans le pays pendant de longues périodes. Par conséquent, je ne peux que vous offrir mes impressions de l’extérieur et commenter ce que j’ai découvert dans des livres. Vous allez donc m’aider en me corrigeant et en me signalant ce qui a échappé à mon attention.

L’Afghanistan est un pays fascinant. Sa réputation de « tombeau des Empires » a capté mon imagination. Récemment, votre pays s’est émancipé de l’occupation américaine et de l’OTAN. Une poignée de combattants déterminés a mis en déroute un immense empire déjà en train de s’autodétruire. 34 ans plus tôt, le pays avait chassé l’occupant russe, après avoir résisté à l’Empire britannique au cours des trois guerres anglo-afghanes du XIXe siècle (1839-42, 1878-80 et 1919), alors que Londres, engagé dans le « Grand Jeu » (Great Game), tentait d’empêcher la Russie d’accéder aux mers chaudes.

Pour éviter d’être colonisé à la fois par la Russie et la Grande-Bretagne, l’Afghanistan a même courageusement refusé d’avoir des chemins de fer, ce qui explique qu’il n’existe aujourd’hui que 300 km de voies ferrées, une situation bien sûr inacceptable aujourd’hui.

Cette capacité de résistance et ce sentiment de dignité découlent, j’en suis convaincu, du fait que votre pays a su faire siennes les diverses influences qui s’y sont rencontrées. Voilà ce qui est devenu au fil des siècles le socle d’une forte identité afghane, totalement à l’opposé de l’étiquette tribale que les colonisateurs cherchent à lui coller.

J’aborderai uniquement, aujourd’hui, l’influence grecque, qui s’est avérée majeure à partir du moment où Alexandre le Grand traverse le Hindou Kouch, en 329 av. JC.

Dès lors, des dizaines de milliers de colons grecs, appelés Ioniens, s’installent en Asie centrale.

Sous le règne de ses successeurs concurrents, l’immense empire d’Alexandre le Grand se décompose en plusieurs entités et royaumes.

En 256 av. JC, Diodote Ier Soter fonde en Afghanistan le royaume gréco-bactrien, connu sous le nom de « Bactriane », dont le territoire englobe une grande partie de l’Afghanistan, de l’Ouzbékistan, du Tadjikistan et du Turkménistan actuels, ainsi que certaines parties de l’Iran et du Pakistan. L’influence grecque y perdure au moins jusqu’à l’arrivée de l’Islam au VIIIe siècle.

La Bactriane

La Bactriane.

De nombreuses fouilles archéologiques confirment un développement urbain, économique, social et culturel remarquable.

Strabon (64 av. JC – 24 après JC), comme d’autres historiens grecs, qualifiait déjà la Bactriane de « Terre des mille cités », une terre que tous les écrivains, anciens et modernes, louaient pour la douceur de son climat et sa fertilité, car « la Bactriane produit tout, sauf de l’huile d’olive. »

Pour le naturaliste romain Pline l’Ancien (23 – 79 après JC), en Bactriane,

Sa capitale Bactres (aujourd’hui Balkh, proche de Mazâr-e Charîf au nord de l’Afghanistan), « Mère des cités », figure parmi les villes les plus riches de l’Antiquité.

Une des « princesses de Bactriane » provenant du nord de l’Afghanistan (2500 à 1500 av. JC).

C’est là qu’Alexandre le Grand épouse Roxana (« Petite étoile ») et adopte l’habit perse pour pacifier son Empire. C’est également là que naîtra le père du grand médecin et philosophe Ibn Sina (Avicenne), avant de s’installer à Boukhara (Ouzbékistan).

Au fil du temps, la Bactriane sera le creuset de cultures et de civilisations où se mêlent, sur le plan artistique, architectural et religieux, traditions grecques et cultures locales.

Si le grec y est la langue de l’administration, les langues locales y foisonnent. Rien que les noms des villes démontrent la prédominance de la culture hellénique.

Ainsi, Ghazni s’appelle « Alexandrie en Opiana », Bagram « Alexandrie au Caucase », Kandahar « Alexandrie Arachosia », Hérat « Alexandria Ariana », etc., et la liste ne s’arrête pas là.

Ruines de Gonur Depe.

La ville de Gonur Depe (actuellement au Turkménistan, au nord de Mary, l’ancienne Merv), capitale du Royaume de Margiane, est un autre exemple de ce qu’on s’accorde maintenant à appeler la « Culture de l’Oxus »)

Aï Khanoum, la grecque

Si certaines villes ne font que changer de nom, d’autres sont construites ex nihilo. C’est le cas d’Aï Khanoum (« Dame Lune » en ouzbek), cité érigée au confluent du grand fleuve Amou Daria (l’Oxus des Grecs) et de la rivière Kokcha.

En 1961, le roi d’Afghanistan (Mohammed Zahir Shah), voulant marquer son indépendance vis-à-vis des Soviétiques et des Américains, invite la France à participer aux fouilles.

C’est le Département des archéologues français en Afghanistan (DAFA) qui met au jour les vestiges d’un immense palais dans la ville basse, ainsi qu’un grand gymnase, un théâtre pouvant accueillir 6000 spectateurs, un arsenal et deux sanctuaires.

Plan au sol de la cité d’Aï Khanoum.

Entourée de terres agricoles bien irriguées, la ville elle-même était divisée entre une ville basse et une acropole de 60 mètres de haut.

Bien qu’elle n’est pas située sur une route commerciale majeure, Aï Khanoum commande l’accès aux mines du Hindou Koush. De vastes fortifications, continuellement entretenues et améliorées, entourent la ville.

Un monument au cœur de la ville y présente une stèle inscrite en grec avec une longue liste de maximes incarnant les idéaux de la vie grecque. Celles-ci sont copiées de Delphes et se terminent par :

L’architecture du site indique que les colons grecques y vivent en bonne entente avec les populations locales. Elle est très grecque mais intègre en même temps diverses influences artistiques et éléments culturels que les Ioniens ont pu observer au cours de leur voyage du bassin méditerranéen à l’Asie centrale. Par exemple, ils utilisent les styles néo-babylonien et achéménide pour la construction de leurs cours.

Shortugai et la Civilisation de la vallée de l’Indus

La date précise des premières fondations d’Aï Khanoum reste inconnue.

A une jetée de là, Shortugai, avant-poste commercial et minier de la fameuse civilisation de l’Indus (dite « harappéenne ») qui, au IIIe millénaire avant notre ère, était à l’avant-garde sur le plan de l’irrigation et de la maîtrise de l’eau. (voir notre article)

Des scientifiques de l’Institut indien de technologie de Kharagpur et du Service archéologique d’Inde ont publié le 25 mai 2016, dans la revue Nature, les fruits d’une recherche qui permettrait de dater la civilisation harappéenne d’au moins 8000 ans avant JC et non 5500 ans, comme on le croyait jusqu’à présent. Cette découverte majeure signifierait qu’elle serait encore plus ancienne que les civilisations mésopotamienne et égyptienne.

Shortugai est construite avec des briques standardisées typiques de la vallée de l’Indus. Des sceaux de la civilisation de la vallée de l’Indus ont également été trouvés sur d’autres sites archéologiques d’Afghanistan.

Carte de la civilisation de la vallée de l’Indus. Flèche rouge indiquant son avant-poste à Shortugai, à 20 km au nord d’Aï Khanoum.

Pendant plusieurs siècles, Shortugai a fonctionné comme un site minier exceptionnel pour l’extraction de l’étain (un minerai indispensable pour la fabrication du bronze), de l’or et du fameux lapis-lazuli, cette pierre précieuse bleue qui, avec l’or, habille de sa splendeur la tombe du pharaon égyptien Toutankhamon et d’autres tombes religieuses majeures en Mésopotamie (Irak).

Les données archéologiques démontrent que Shortugai commerçait avec ses voisins d’Aï Khanoum et construisit les premiers systèmes d’irrigation de la région, une spécialité de la civilisation de la vallée de l’Indus.

Bien des sites restent inexplorés en Afghanistan, pays où les guerres, les occupations étrangères et les pillages ont perturbé ou rendu impossible les recherches archéologiques.

Voici quelques-unes des découvertes de la DAFA, dont certaines restent exposées au Musée national de Kaboul.



L’auteur visitant le Musée national d’Afghanistan en nov. 2023, admirant le chapiteau corinthien d’une colonne fouillée à Aï Khanoum.

Relations avec l’Inde

Plaque d’origine indienne trouvé à Aï Khanoum. Coquillage, verre de couleur et feuille d’or, 20,5 cm de diamètre, IIIe – IIe siècles av. JC. À droite : reconstitution de la portion en bas à droite de la plaque. On y voit des soldats montés à cheval, un quadrige avec passagers surmontés d’un parasol, des colonnes, des animaux et des plantes.

Ce qu’on a trouvé à Aï Khanoum, les pièces de monnaie, les objets et les céramiques, notamment d’origine indienne, témoigne qu’il s’agissait d’une importante plaque tournante du commerce avec l’Inde.

En 258 avant notre ère, Ashoka le Grand, souverain de l’empire Maurya (l’État dominant en Inde), fait ériger ce que l’on appelle « l’Edit grec d’Ashoka à Kandahar », une inscription rupestre bilingue, en grec et en araméen. Une autre inscription d’Ashoka était rédigée uniquement en grec.

Le contenu même de ces édits donne également une indication claire du niveau des échanges entre l’Inde et le monde hellénistique. Par exemple, dans son XIIIe édit, Ashoka, faisant preuve d’érudition, énumère avec précision tous les souverains du monde hellénistique de son époque.

Édit d’Ashoka à Kandahar. La partie supérieure est en grec, la partie inférieure en araméen.

Relations avec la Chine

Outre son interaction avec le sous-continent indien, la Bactriane établira des contacts avec une puissance située encore plus à l’est : la Chine.

À la fin du IIe siècle avant JC, Zhang Qian, diplomate et explorateur de la dynastie Han, arrive en Bactriane. Le récit de sa visite, y compris son étonnement d’y trouver des marchandises chinoises sur les marchés (acquises via l’Inde), ainsi que ses voyages dans le reste de l’Asie centrale, sont conservés dans les œuvres de l’historien Sima Qian.

À son retour en Chine, Zhang Qian informe l’empereur de l’existence de civilisations urbaines sophistiquées en Asie centrale : le Dayuan (vallée de la Ferghana), la Bactriane (Afghanistan) et la Partie (nord-est du plateau iranien).

Les découvertes de Zhang Qian incitent l’empereur à envoyer des émissaires chinois en Asie centrale pour y favoriser le commerce avec la Chine. Certains historiens n’hésitent pas à qualifier cette décision de l’Empereur chinois de « naissance de la Route de la soie ».

Déclin et chute

Représentation d’Eucratides Ier, le bâtisseur d’Aï Khanoum, sur une pièce d’or de 20 stères.

Une grande partie des ruines actuelles d’Aï Khanoum datent de l’époque d’Eucratides Ier (172-145 av. JC), qui a considérablement réaménagé la ville et l’a peut-être rebaptisée Eucratideia, d’après son nom.

Il fut assassiné en 145 av. JC. par son fils. Un an plus tard, le royaume s’effondre face à l’invasion des nomades.

Aï Khanoum est pillée une première fois en 145 av. JC par les Sakas, des tribus iraniennes d’origine scythe, suivis quinze ans plus tard par les nomades chinois Yuezhi.

Le « complexe du trésor » d’Aï Khanoum montre des signes de pillage lors de deux assauts, à quinze ans d’intervalle. D’après des témoins oculaires, certaines villes se sont arrangées avec les envahisseurs et organisèrent une coexistence pacifique. Les villes qui ont résisté, comme Aï Khanoum, ont été pillées et incendiées.

L’empire Kouchan

Les nomades chinois Yuezhi se sédentarisent et créent au début du Ier siècle l’Empire kouchan, qui englobe une grande partie de ce qui est aujourd’hui l’Ouzbékistan, l’Afghanistan, le Pakistan et l’Inde du Nord.

Son territoire s’étend de l’Asie centrale et du Gandhara (frontière occidentale actuelle du Pakistan) à Pataliputra, dans la plaine du Gange (Inde d’aujourd’hui). La capitale principale de son empire était située à Purushapura (aujourd’hui Peshawar au Pakistan).

Kanishka le Grand.

C’est sous le règne de Kanishka le Grand (vers 127-150) que l’Empire kouchan deviendra célèbre pour ses réalisations militaires, politiques et spirituelles. Kanishka échange des ambassadeurs avec l’empereur romain Marc Aurèle (161-180) et l’empereur Han de Chine. Il noue des contacts diplomatiques avec la Perse sassanide et le royaume d’Aksoum (Yémen et Arabie saoudite d’aujourd’hui).

Si la dynastie kouchane reprend la tradition gréco-bactrienne, elle se forge peu à peu sa propre identité.

Les artistes kouchans enrichirent la sculpture bouddhique en donnant à Bouddha la forme humaine, innovation qui fut la plus importante de l’époque.

En 127, Kanishka remplace le grec par le bactrien, une langue moyenne iranienne utilisant l’alphabet grec.

Le bouddhisme

Les Kouchans joueront également un rôle majeur dans la transmission du bouddhisme. Le rayonnement de cette religion venue des rives du Gange favorisera celui des Routes de la soie.

Dans le domaine de la religion, les Kouchans, initialement attirés par l’hindouisme, joueront un rôle majeur dans la transmission du bouddhisme mahayana du Gandhara vers la Chine, l’Asie centrale et même le Sri Lanka, favorisant ainsi l’expansion de la route de la soie.

Tous ces facteurs ont inauguré une période de paix relative de 200 ans, connue comme la « Pax Kouchana ».

À partir du milieu du IIIe siècle après JC, l’Empire kouchan, affaibli, commence à se désintégrer. Dans sa partie occidentale, il passe sous le contrôle des Kushanshahs, c’est-à-dire les Indo-Sassanides (perses), progressivement supplantés au nord par les Hephtalites (appelés également les « Huns blancs » ou « Huns iraniens ») venus de la steppe d’Asie centrale.

Le bouddhisme connaît néanmoins une période de grande prospérité, comme l’illustrent les descriptions du moine chinois Xuanzang du VIIe siècle ainsi que la construction des statues géantes de bouddhas dans la vallée de Bamiyan en Afghanistan.

Bouddhas de la vallée de Bamiyan.

L’Islam

Après avoir conquis l’Iran, l’islam pénètre l’Afghanistan par le nord. Il n’y a pas de preuve d’un rejet massif de la nouvelle religion, sauf dans des régions isolées. Cependant, la volonté de rester indépendants des gouverneurs nommés par Damas (Omeyyades) puis par Bagdad (Abassides) se manifeste rapidement. C’est même à partir d’une province couvrant une partie du nord de l’Afghanistan, le Khorasan, que se répand initialement une partie de l’insurrection contre les Omeyyades pour les remplacer par le califat abbasside d’Haroun-al-Rachid, plus humaniste, et la création de Bagdad (voir notre article).

À partir de la fin du Xe siècle, une dynastie d’origine turque, les Ghaznévides, bâtit autour de leur capitale Ghazni (Afghanistan) un vaste sultanat qui s’étend jusqu’en Inde et fonde une communauté musulmane durable.

Architecture gaznavide.

Leur influence culturelle se mesure par la beauté de l’architecture qu’ils nous ont laissée, mais aussi par le patronage qu’ils accordèrent au grand poète épique Ferdowsi (940-1025), à qui l’on doit la grande épopée nationale en langue persane, le Shahnameh : Le livre des rois.

Les Ghaznévides ont été suivis par une nouvelle dynastie, les Ghorides, originaire de la partie centrale de l’Hindou Kouch. C’est à eux que l’on doit l’impressionnant minaret de Jam.

Ce riche patrimoine culturel, qui a jeté les bases de leur identité et qui a donné sa dignité au peuple afghan, a été ignoré, détruit par les guerres successives, pillé et saccagé.

Fortement combattu par les talibans au pouvoir à Kaboul, ISIS, Daech et d’autres groupes terroristes, dont certains encouragés en sous-main par des agences de renseignement occidentales se sont livrés à un pillage à échelle quasi-industrielle du patrimoine culturel afghan. Pour eux, la revente d’objets d’art et d’antiquités est une des principales sources de revenus.

Recommandations

Aujourd’hui, le temps est venu d’un nouveau départ. L’Afghanistan peut changer complètement son image dans le monde, qui a été polluée par des adversaires et des ennemis qui veulent maintenir l’Afghanistan comme une zone de non-développement pour leur propre grand jeu géopolitique.

Ma proposition pour renouveler la contribution de l’Afghanistan à la culture mondiale est simple.

Avec Mes Aynak, qui signifie « petite mine », située à 35 km au sud de Kaboul, l’Afghanistan dispose du deuxième plus grand gisement de cuivre au monde. Alors que la Chine et les autres pays du BRICS ont besoin de ce métal précieux pour leur développement industriel, la mine offrira un revenu substantiel dont l’Afghanistan a un besoin urgent pour reconstruire le pays.

Le 25 mai 2008, Ibrahim Adel, ministre des Mines, et Shen Heting, directeur général de MCC, l’actionnaire majoritaire du consortium MCC-Jiangxi Copper MJAM, ont signé le contrat minier de Mes Aynak.

Ce contrat décrivait les conditions du premier grand projet minier et du plus important investissement étranger en Afghanistan. Cependant, suite à des incidents de sécurité qui ont créé d’importants problèmes d’insécurité, et sous la pression des puissances étrangères, le projet a été bloqué.

Paradoxalement, cela a donné aux archéologues le temps de mettre au jour sur le site minier une zone de 40 ha d’une valeur culturelle exceptionnelle de classe mondiale, principalement un vaste complexe de monastères bouddhistes, comprenant des stupas (temples), des peintures murales, des sculptures et des centaines d’artefacts archéologiques, etc.

Même si le contrat (fichier pdf) a pu être modifié depuis 2008, on ne peut que constater que le contrat initial contient une série d’aspects potentiellement très intéressants, à la fois pour la Chine mais surtout pour l’Afghanistan lui-même.

  • EXPORTER DU MÉTAL, PAS DU MINERAI
    De même que la Bolivie ne veut pas exporter du lithium (matière première) mais des batteries (produit fini transformé à haute valeur ajoutée), l’Afghanistan ne veut pas exporter du minerai de cuivre mais du cuivre métal. Pour atteindre cet objectif, le contrat prévoit la construction d’une fonderie sur le site.
    Paragraphe IV, 33 : « Afin de respecter son engagement envers le gouvernement de financer, construire et exploiter une fonderie en Afghanistan, la MCC a demandé au gouvernement de lui donner accès à des gisements de phosphates, de calcaire et de quartz qu’elle pourra utiliser dans le cadre du projet Aynak. »
  • ACHATS LOCAUX
    Paragraphe VII, 38 : « MCC s’efforce d’acheter des biens et des services en Afghanistan s’ils sont disponibles. »
  • MAIN-D’ŒUVRE LOCALE
    Paragraphe VIII, 39, a : « MCC emploie du personnel afghan, dans toute la mesure du possible. »
  • APPROVISIONNEMENT EN EAU
    Paragraphe IV, 32 : « MCC s’est engagée auprès du gouvernement à construire des puits d’approvisionnement en eau et des systèmes de canalisation … pour répondre aux besoins en eau douce du projet. La MCC s’est également engagée à réutiliser et à recycler l’eau de traitement dans la mesure du possible. »
  • CENTRALE AU CHARBON
    Paragraphe IV, 31 : « MCC s’est engagée auprès du ministère des Mines à construire … une centrale au charbon d’une capacité de 400 mégawatts pour fournir de l’énergie électrique au projet et à Kaboul. »
  • CHEMIN DE FER
    Paragraphe IV, 30 : « MCC s’est engagée à construire un chemin de fer associé au projet ».
  • LOGEMENT
    Paragraphe IV, 24 : « MCC doit fournir des logements de qualité et en quantité suffisante à ses salariés et à leurs familles immédiates, à un prix de location raisonnable. »
  • SOINS MÉDICAUX
    Paragraphe IV, 25 : « MCC fournira des soins médicaux gratuits à tous ses salariés et à leurs familles… et établira, dotera en personnel et entretiendra des dispensaires, des cliniques et des hôpitaux en nombre suffisant … »
  • ÉCOLES
    Paragraphe IV, 26 : « MCC doit fournir gratuitement un enseignement primaire et secondaire adéquat aux enfants de tous les salariés et résidents de la zone entourant Aynak. »
  • CADRE DE VIE
    Paragraphe IV, 27 : « MCC construira et financera le fonctionnement de centres d’activités récréatives adéquats tels que des gymnases et des terrains de sport. … En outre, il construira un marché/une zone commerciale. »
  • RELIGION
    Paragraphe IV, 28 : « MCC respectera et protégera les convictions religieuses du peuple afghan. »

Le monde serait stupéfait en constatant que l’Afghanistan mobilise ses meilleurs architectes et urbanistes pour construire une nouvelle ville à Mes Aynak qu’il baptisera poétiquement, l’« Aï Khanoum du XXIe siècle ». 

A Kaboul, un archéologue de premier plan qui travaille sur le site depuis une décennie, m’a confié avec une joie non-dissimulée que, suite à d’intenses discussions en octobre dernier entre les autorités afghanes et l’entreprise chinoise, une issue heureuse a été trouvée.

A l’heure actuelle, dit-il, les deux parties ont convenu de préserver, non plus une infime partie du site archéologique (la partie centrale avec les temples bouddhistes), mais l’ensemble des vestiges historiques du site en surface. A en croire mon interlocuteur, la décision est prise que l’ensemble du site sera désormais exclusivement exploité par la technique d’exploitation minière souterraine. N’en déplaise à la presse occidentale, le sauvetage de Mes Aynak révèle au monde le vrai visage du nouveau gouvernement afghan.

Il rendra également pensable, d’ici un certain temps, la reconstruction des bouddhas géants de la vallée de Bamiyan, l’un de 55 mètres et l’autre de 38 mètres, détruits en 2001. Plusieurs experts, lors de colloques récents de l’UNESCO, ont précisé que les difficultés techniques ne sont pas insurmontables, les bouddhas étant fabriqué en stuc. Le soi-disant « danger » que les sculptures soient considérées comme « fausses » n’a aucun sens, tant que l’intention d’atteindre un bien supérieur par leur reconstruction est réelle.

La « Proposition technique pour la revitalisation des statues du Bouddha de Bâmiyân » de 2017, élaborée par le département d’architecture de l’université japonaise Mukogawa Women’s University, mérite d’être examinée. Sans doute pourra-t-on faire mieux, mais elle a le mérite d’exister. Des chercheurs chinois se disent également prêts à donner un coup de main.

Rappelons que le monde compte 620 millions de bouddhistes qui considèrent Bamiyan comme une partie de leur culture et pourraient envisager de venir en Afghanistan pour mieux comprendre leur propre histoire.

Bouddha de feu, Musée national, Kaboul.

Si l’Afghanistan indiquait clairement au monde qu’il a décidé de renforcer ses activités économiques et minières tout en protégeant, notamment grâce à l’aide généreuse de la Chine, le patrimoine culturel mondial sur son sol, il apparaîtra aux yeux de tous ce qu’il est désormais aujourd’hui : une force du bien, de la tolérance et de la paix dans le monde, en cohérence avec sa propre identité et son histoire.

L’Afghanistan apparaîtra comme le « Bouddha de feu » (IIe-IIIe siècle) du Musée national de Kaboul, où l’on voit la réponse donnée par Bouddha à un défi lancé par des hérétiques selon lequel il ne pouvait pas faire de miracles.

Connu sous le nom de « miracles jumeaux », on y voit Bouddha confiant avec des flammes sortant de ses épaules et des cours d’eau de ses pieds ! En altérant ces deux flux, dit la légende, Bouddha a même fait apparaître un arc-en-ciel !

En augmentant sa production d’énergie et en gérant d’une façon plus intelligence ses ressources en eau, l’Afghanistan démontrera, j’en suis convaincu, sa splendide force spirituelle !

Merci à tous et j’ouvre le débat à vos questions.

Merci de partager !

Le défi que nous lance la modernité de la Civilisation de l’Indus

Une découverte archéologique majeure vient d’être effectuée en Israël en 2022 : les premières preuves de l’utilisation de fibres de coton au Proche-Orient et parmi les plus anciennes au monde, datant de près de 7000 ans, ont été découvertes par des archéologues israéliens, américains et allemands, lors d’une fouille archéologique à Tel Tsaf, au sud-est de Beit She’an, dans la vallée du Jourdain en Israël.

Brin de coton, vieux de 7000 ans, trouvé par les chercheurs en Israël.

La plus ancienne preuve dont on disposait jusqu’à présent de la présence de fibres de coton dans la région a été datée de quelques centaines d’années plus tard, de la fin de la période chalcolithique (âge du cuivre) et de l’âge du bronze précoce (il y a environ 5000 à 6500 ans) en provenance du site archéologique de Dhuweila, dans l’est de la Jordanie.

Découvert en 1940, le site de Tel Tsaf nous livre ses secrets. « Tsaf se caractérise par une préservation étonnante des matériaux organiques », a déclaré au Times of Israel le professeur Danny Rosenberg, de l’Institut d’archéologie Zinman, au sein de l’université de Haïfa.

« Tel Tsaf était une sorte de pôle qui concentrait des activités commerciales importantes et qui avait établi des contacts avec de nombreux autres peuples, estime Rosenberg. Il y avait là-bas des capacités de stockage massives pour accueillir les céréales, des capacités énormes, comparées à d’autres sites.« 

Par exemple, c’est là qu’on a découvert les preuves les plus anciennes de l’usage social de la consommation de bière et du stockage rituel de produits alimentaires. Rosenberg et les autres chercheurs ont également mis la main sur des perles en provenance de l’Anatolie contemporaine, de Roumanie, d’Egypte et d’autres secteurs d’Afrique ; des poteries venues d’Irak, de Syrie ou d’Arménie et les tout premiers cuivres et autres métaux trouvés dans le monde.

« L’arbre à laine » et « Routes du coton »

Les Routes du coton. Carte des échanges économiques de l’Indus avec le reste du monde.

Le coton, on y reviendra, venait probablement de la région de l’Indus – le Pakistan moderne – le seul endroit au monde ayant commencé à en pratiquer la culture à cette époque avant qu’elle n’apparaisse en Afrique des milliers d’années plus tard.

« Ce qui est intéressant dans cette preuve précoce d’un lien avec une région aussi lointaine, c’est qu’elle provient de fibres – des morceaux microscopiques de fils anciens. Nous supposons que ces fibres de coton, trouvées avec des fibres de laine et des fibres végétales, sont arrivées sur le site en tant que partie de tissus ou de vêtements, c’est-à-dire de textiles anciens », précise Rosenberg.

Le coton ne servait pas qu’à l’habillement :

« A l’ère préhistorique, les textiles étaient impliqués dans de nombreux domaines de l’existence, pas seulement dans les vêtements mais aussi dans la chasse, la pêche, etc. C’est beaucoup plus important que de se dire seulement que ce que nous avons trouvé, ce sont des morceaux de vêtements qui étaient portés par les habitants du coin. Cette découverte nous en dit long sur les pratiques économiques de la région », estime l’archéologue.

Dans la mesure où le coton n’a jamais été cultivé à Tel Tsaf, en trouver à cet endroit fut une surprise pour les chercheurs, qui estimèrent que cette présence dénotait l’importance de la ville en tant que pôle commercial mondial au cœur de ce qu’on pourrait appeler les « Routes du coton » de cette époque.

La culture du coton pose un défi considérable. D’abord, elle requiert un climat modéré ou tropical et des quantités d’eau faramineuses. Fabriquer un tee-shirt et une paire de jeans (représentant environ 1 kg de coton) ne nécessite pas moins de 20 000 litres d’eau ! Quelle civilisation pouvait s’offrir une telle performance au début du VIIe millénaire avant J.-C. ?

La civilisation de la vallée de l’Indus

En jaune, répartition géographique des sites de peuplement de la Civilisation de l’Indus, un fleuve de 3120 km alimenté par la neige de l’Himalaya (en blanc).

Le terme de « Civilisation de la vallée de l’Indus » désigne un ensemble culturel et politique qui s’épanouit dans la région nord du sous-continent indien entre environ 8000 et 1900 avant J.-C., s’étendant du Baloutchistan (Pakistan), à l’ouest, à l’Uttar Pradesh (Inde), à l’est, et du nord-est de l’Afghanistan, au nord, au Gujarat (Inde), au sud.

Faute de monuments permettant d’étayer cette hypothèse, on ne parle pas de royaume ou d’empire de l’Indus. Son nom moderne dérive simplement de son emplacement dans la vallée de l’Indus, mais cette culture est aussi communément appelée la « civilisation Indus-Saraswati » ou encore « civilisation harappéenne ». Ces désignations proviennent d’une part de la rivière Saraswati, mentionnée dans les sources védiques, qui coulait à côté de l’Indus et qui aurait disparu, et de la ville de Harappa (Pendjab, Pakistan), une cité antique découverte dès 1829, mais laissée inexplorée par les Britanniques jusqu’en 1921.

L’apparition d’une grande civilisation urbaine dans la vallée de l’Indus, qui atteint sa maturité vers 2500-2400 avant J.-C., a longtemps été considérée comme un phénomène soudain et mystérieux. Cependant, un ensemble de découvertes permet de retracer, de 7000 à 2500 avant J.-C., une suite de transformations et d’innovations dont les effets cumulatifs, stimulés par l’élargissement du réseau des échanges à partir de 3000 avant J.-C., créent les conditions favorables au développement d’une civilisation urbaine.

Mehrgarh, lumière du monde !

Vue des ruines de la ville de Mehrgahr (7e millénaire avant JC) au Balouchistan pakistanais.
En haut, à droite, un entrepôt pour céréales.

Depuis la préhistoire, la région de l’Indus est pionnière et riche en découvertes. A titre d’exemple, bien qu’il s’agisse d’un cas à part, le village agricole de Mehrgarh (Baloutchistan, Pakistan), qui date du néolithique (n’utilisant que la pierre comme outil) mais peut être considérée comme la culture et la ville clé ayant fait passer l’humanité, dès le VIIIe millénaire avant J.-C., de la pierre à l’âge du bronze.

Le site est situé sur la route principale entre ce qui est aujourd’hui l’Afghanistan et la vallée de l’Indus : cette route faisait aussi sans doute partie d’une connexion commerciale établie assez tôt entre le Proche-Orient et le sous-continent indien.

Les fouilles menées à Mes Aynak (Afghanistan), où les archéologues commencent à peine à découvrir, sous le niveau bouddhique, les vestiges d’un site de l’âge du bronze vieux de 5000 ans, dont une ancienne fonderie de cuivre, apporteront sans doute un nouvel éclairage sur ces relations.

Sur la base de découvertes archéologiques bien documentées, il a été établi que la culture « pré-harappéenne » de Mehrgarh représente plusieurs percées historiques pour l’ensemble de l’humanité :

  • des traces d’agriculture (blé et orge) et d’élevage (bovins, moutons et chèvres), parmi les plus anciennes en Asie du Sud ;
  • les premières brasseries (à partir de blé et d’orge) ;
  • les plus anciens lacs de retenue au service d’une agriculture irriguée et de la prévention contre les inondations ;
  • les plus anciennes traces de culture du coton (VIe millénaire avant J.-C.) ;
  • le plus ancien bijou en bronze fabriqué avec la technique de fonte à la cire perdue, dite « amulette de Mehrgarh » (VIe millénaire avant J.-C.) ;
  • les plus anciens forets à archet (en jaspe vert) permettant de percer des trous dans le lapis-lazuli et la cornaline ;
    –les toutes premières pratiques réussies de la dentisterie (!) (IXe millénaire avant J.-C.), comme en témoignent les dents percées de certains des squelettes découverts sur le site. L’analyse des dents montre que les dentistes préhistoriques soignaient les maux de dents avec des forets fabriqués à partir de lames de silex. Le travail était si élaboré que même les dentistes modernes sont surpris de l’efficacité avec laquelle leurs prédécesseurs éliminaient les tissus dentaires en décomposition. Parmi les vestiges, un total de onze couronnes percées a été découvert, dont un exemple témoigne d’une procédure complexe impliquant le retrait de l’émail dentaire suivi de la sculpture de la paroi de la cavité ! Aucun des individus présentant des dents percées ne semble provenir d’une tombe ou d’un sanctuaire particulier, ce qui indique que les soins bucco-dentaires qu’ils recevaient étaient accessibles à tous.
Les habitants de Mehrgarh semblaient avoir développé une compréhension de la chirurgie et de la dentisterie, comme en témoignent les dents percées (en bas) de certains des squelettes trouvés sur le site. L’analyse des dents montre que les dentistes préhistoriques s’efforçaient de soigner les maux de dents avec des forets fabriqués à partir de têtes en silex. Le travail a été si élaboré que même les dentistes modernes sont surpris de l’efficacité avec laquelle les « dentistes » de Mehrgarh ont éliminé le tissu dentaire en décomposition. Parmi les restes, un total de onze couronnes forées ont été trouvées, avec un exemple montrant la preuve d’une procédure complexe impliquant l’élimination de l’émail des dents suivie de la sculpture de la paroi de la cavité. Quatre des dents montrent des signes de carie associés au trou percé. Aucun des individus aux dents percées ne semble provenir d’une tombe ou d’un sanctuaire spécial, ce qui indique que les soins de santé bucco-dentaire qu’ils recevaient étaient accessibles à tous.

Densément peuplée

A l’origine, cette civilisation s’est érigée autour des méandres poissonneux de l’Indus, ce fleuve long de près de 3200 kilomètres qui s’écoule des montagnes de l’Himalaya vers la mer d’Arabie. A l’image des populations d’autres grandes vallées fluviales, cette société a été séduite par la fertilité des terres et la possibilité d’utiliser l’Indus comme voie de transport. Cette civilisation, dont la prospérité repose en grande partie sur l’exploitation de plus en plus systématique des riches limons de l’Indus, se répand sur un immense territoire englobant toute sa vallée et une partie du Gujarat indien.

A la vaste zone de distribution de la civilisation de l’Indus, il faut ajouter quelques « colonies » harappéennes comme Sutkagan Dor, près de Gwadar sur les bords de la mer d’Oman, à la frontière irano-pakistanaise, et la ville Shortugai (mines de lapus lazuli), proche du fleuve Amou Darya, à la frontière afghano-tadjik, à près de 1200 kilomètres de Mohenjo-daro.

A son apogée, cette civilisation était deux fois plus vaste que l’ancien empire d’Egypte. Avec une superficie de 2,5 millions de kilomètres carrés, c’était alors la civilisation la plus étendue au monde : elle regroupait 5 millions de personnes, soit 10 % de la population mondiale de l’époque, bien plus que Sumer (0,8 à 1,5 million de personnes) ou que l’Egypte antique (2 à 3 millions).

A ce jour, ce sont plus de 2000 sites répartis entre l’Inde, le Pakistan et l’Afghanistan actuels qui ont été découverts, dont moins de 10 % de la surface totale a été fouillée. Sur le sous-continent indien, les principaux centres de cette civilisation sont Harappa et Mohenjo-daro au Pakistan et Lothal, Dholavira et Kalibangan en Inde. Outre les relations commerciales avec la Mésopotamie et l’Iran, les cités-états harappéens entretenaient également des relations commerciales actives avec les peuples d’Asie centrale.

Agriculture, artisanat et industries

L’ère d’influence de la civilisation de la vallée de l’Indus, à l’ouest de l’Inde.

Agriculture, élevage, industrie, commerce et échanges constituaient la principale source de revenus.

L’agriculture était la principale activité des habitants de la vallée de l’Indus. Ils cultivaient l’orge et le blé à grande échelle mais aussi d’autres produits tels que légumineuses, coton, céréales, sésame, dattes, moutarde, melons, pois, etc. Il n’y a pas de preuve réelle de la culture du riz, mais quelques grains en ont été trouvés à Rangpur et à Lothal.

Dans le village de Mehrgarh et les villes d’Harappa et de Mohenjo-daro, on trouve des vestiges de grands greniers à grains, ce qui suggère que leur production était supérieure aux besoins de leurs habitants et qu’ils faisaient des stocks en prévision de mauvaises récoltes.

L’élevage était une autre occupation majeure. Les sceaux suggèrent qu’ils domestiquaient les vaches, buffles, chèvres, moutons, cochons, etc., mais aussi les chameaux et les ânes, qui servaient de bêtes de somme. Des os de chameaux ont été retrouvés en grand nombre sur de nombreux sites, mais on ne trouve aucune trace de ces animaux sur les sceaux. Lors de la fouille de Surkotado au Gujarat (Inde), la mâchoire d’un cheval a été trouvée. Des figurines en terre cuite représentant un cheval ont été trouvées à Nausharo et à Lothal.

Taureau.

Les habitants de la vallée de l’Indus étaient très habiles. Ils fabriquaient, à l’aide de tours de potier, des céramiques, des récipients en métal, des outils et des armes, tissaient et filaient, teignaient et pratiquaient d’autres métiers. Les tisserands portaient des vêtements en coton et en laine. Ils connaissaient le cuir, mais il n’y a aucune trace de la production de soie.

A l’origine, les habitants de cette civilisation appartenaient à l’âge du bronze et utilisaient des outils en pierre, mais ils vont rapidement exceller dans la fabrication et la transformation de l’or, de l’argent, du cuivre, du plomb et du bronze, notamment pour des ornements artistiques d’une grande finesse.

Poteries de Meshgahr (3e millénaire av. JC).

Des artisans fabriquaient des bijoux à Mohenjo-daro, à Chanho-daro et à Lothal, utilisant l’ivoire et diverses pierres précieuses comme la cornaline, le lapis-lazuli, l’agate et le jaspe. Le travail des coquillages était également une industrie prospère. Les artisans des colonies côtières en faisaient des boutons de chemise, des pendentifs, des anneaux, des bracelets, des perles, etc.

Pour le transport, on utilisait la charrette à bœufs, mais également les voies fluviales le long de l’Indus et de ses affluents.

Les professions artisanales nécessitaient diverses matières premières. Pour fabriquer des briques et des céramiques, l’argile était disponible localement, mais pour le métal, ils devaient l’acquérir à l’étranger.

Le commerce était axé sur l’importation de matières premières destinées aux ateliers des cités harappéennes, notamment des minéraux d’Iran et d’Afghanistan, du plomb et du cuivre d’autres régions de l’Inde, du jade de Chine et du bois de cèdre descendant les rivières de l’Himalaya et du Cachemire. Les autres marchandises échangées comprenaient des pots en terre cuite, de l’or, de l’argent, des métaux, des perles, des silex pour la fabrication d’outils, des coquillages, des perles et des pierres précieuses de couleur, comme le lapis-lazuli et la turquoise.

L’un des moyens par lesquels les historiens connaissent le réseau commercial maritime opérant entre les civilisations harappéennes et mésopotamiennes est la découverte de sceaux et de bijoux sur des sites archéologiques dans les régions de la Mésopotamie, qui comprend la majeure partie de l’Irak, du Koweït et de certaines parties de la Syrie actuels.

Carte des relations commerciales de la région de l’Indus.

Le commerce maritime à longue distance sur des étendues d’eau telles que la mer d’Oman, la mer Rouge et le golfe Persique est peut-être devenu possible grâce au développement de bateaux à planches, équipés chacun d’un mât central unique supportant une voile en joncs ou en tissu.

Les historiens ont également fait des déductions sur les réseaux d’échange en se basant sur les similitudes entre les artefacts des différentes civilisations. Entre 4300 et 3200 avant notre ère, les céramiques de la région de la civilisation de la vallée de l’Indus présentent des similitudes avec le sud du Turkménistan et le nord de l’Iran. Au cours de la période harappéenne précoce – entre 3200 et 2600 avant J.-C. – on observe des similitudes culturelles dans la poterie, les sceaux, les figurines et les ornements qui témoignent du commerce caravanier avec l’Asie centrale et le plateau iranien.

Les merveilles de Mohenjo-daro

Plan de la ville de Mojendo-daro (vers le 3e millénaire avant JC) et représentations artistique (à gauche) et numérique (à droite) de la vie de la cité. Les toits des immeubles permettaient d’accueillir les habitants en cas d’inondations.

Parfois surnommée la « Manhattan de l’âge du bronze » pour le tracé quadrillé du plan de la ville, la cité de Mohenjo-daro (Sind, Pakistan) est restée enfouie sous des mètres de sédiments alluviaux jusqu’à sa découverte au début des années 1920.

Quelques inventions importantes de la culture harapéenne : la brique en terre cuite permettant de construire des puits (à gauche) ou des plateformes pour moudre les céréales (à droite). Au centre, une balance et des poids de pesage, essentiel aux échanges. En bas, vue d’artiste du bassin et des dépôts du port de Lathal connu pour ses chantiers navales.

Véritable métropole faite de briques cuites, elle s’étend sur plus de 200 hectares. Strictement quadrillée, coupée en deux par un boulevard de dix mètres de large, sillonnée du nord au sud par une douzaine d’artères tracées au cordeau et traversée d’est en ouest par des rues pavées, Mohenjo-daro représente, de par son cadre urbain parfaitement réfléchi, la cité modèle de la civilisation de l’Indus. Elle aurait pu accueillir jusqu’à quarante mille personnes !

Maîtres en ingénierie hydraulique, les Harappéens pratiquaient l’agriculture irriguée dans les corridors fluviaux qu’ils exploitaient. Ils possédaient à la fois le chadouf (appareil à bascule servant à puiser l’eau d’un puits) et le moulin à vent. Dans leurs cités, les quartiers d’habitation et les zones manufacturières étaient séparés les uns des autres.

Les habitants, qui occupent des logements d’un, deux et parfois trois étages, semblent avoir été principalement des artisans, des agriculteurs et des marchands. Ils avaient développé la roue, les charrettes tirées par le bétail, des bateaux à fond plat suffisamment larges pour transporter les marchandises, et peut-être aussi la voile. Dans le domaine de l’agriculture, ils avaient compris les techniques d’irrigation et construit des canaux, ils utilisaient divers outils agricoles et avaient délimité différentes zones pour le pâturage et les cultures.

Les sceaux et l’écriture harappéenne

Sceaux utilisés pour le commerce dans la civilisation de la vallée de l’Indus. Vue le nombre impressionnant d’unicornes, on pense que l’animal symbolise un clan ou une famille
et que le texte donne des détails annexes.

Parmi les milliers d’artefacts découverts sur les différents sites, on trouve de petits sceaux en stéatite d’un peu plus d’un pouce (3 cm) de diamètre, utilisés pour signer des contrats, autoriser des ventes de terres et authentifier le point d’origine, l’expédition et la réception de marchandises lors d’échanges de longue distance.

Les contacts commerciaux entre les populations de l’Indus et de Sumer sont bien documentés. De nombreux sceaux de la vallée de l’Indus ont été découverts en Mésopotamie. Sur chaque sceau, un petit texte en harappéen, une langue qui reste à déchiffrer.

Si 4200 textes nous sont parvenus, 60 % d’entre eux sont des sceaux ou des mini-tablettes de pierre ou de cuivre, gravées, et elles ne comportent en moyenne… que cinq signes ! Le texte le plus long comporte 26 signes. Les textes sont toujours accompagnés de l’image d’un animal, souvent une licorne ou un buffle majestueux. Ils étaient destinés à marquer des marchandises en indiquant probablement le nom du propriétaire ou du destinataire et une quantité ou une année. Tenter de décrypter la langue de l’Indus, c’est un peu comme si l’on essayait d’apprendre le français uniquement à partir des étiquettes du rayon alimentation d’un supermarché !

L’invention des sanitaires

Les premières toilettes rinçables reliés à des égouts dignes de ce nom sont apparues au 5e millénaire avant JC dans les villes de Morenjo-Daro et Harappa avant d’apparaître à Knossos en Crête.

Outre cette attention toute particulière qu’ils portaient à l’urbanisme, les membres de la civilisation de l’Indus semblent également avoir été des pionniers de l’hygiène moderne. Certaines villes, notamment Mohenjo-daro, étaient équipées de petits conteneurs (poubelles) dans lesquels les habitants pouvaient déposer leurs ordures ménagères.

Anticipant nos systèmes de « tout à l’égout » imaginés au XVIe siècle par Léonard de Vinci pour le projet dont François Ier voulait doter la nouvelle capitale française, Romorantin, de nombreuses villes disposaient d’approvisionnement public en eau et d’un système ingénieux d’assainissement.

A Mohenjo-daro, Harappa, Lothal ou encore Rakhigari, notamment, les maisons individuelles ou blocs de maisons s’approvisionnaient en eau à partir de puits. Cette eau de qualité servait tout autant à l’alimentation et l’hygiène personnelle (bains, toilettes) qu’aux activités économiques des habitants.

Les villes harappéennes se caractérisent par la présence d’égouts et de bains et latrines personnelles. En haut, à gauche, une salle de bain au premier plan, avec WC séparé. L’eau était pompé en hauteur afin que son écoulement puisse alimenter les sanitaires. A droite, restes d’égouts sous les rues pavées et ailleurs.

A titre d’exemple, le système d’assainissement de la ville portuaire de Lothal (aujourd’hui en Inde), où de nombreuses habitations disposaient d’une salle de bain et de latrines privées en brique. Les eaux usées étaient évacuées par un réseau communal d’égouts aboutissant soit vers un canal du port, soit dans une fosse de trempage hors des murs de la ville, soit dans des urnes enterrées, équipées d’un trou permettant l’évacuation des liquides, régulièrement vidées et nettoyées.

Douche avec canalisations d’évacuation, à Lothal.

Les fouilles réalisées sur le site de Mohenjo-daro ont également révélé l’existence de pas moins de 700 puits en brique, de maisons équipées de salles de bains et de latrines individuelles et collectives. Les toilettes y étaient un élément essentiel. Cependant, les premiers archéologues ont identifié la plupart de ces installations comme des urnes funéraires post-crémation ou de simples puisards. De nombreux bâtiments de la ville comportaient deux étages ou plus. L’eau ruisselant du toit et des salles de bain des étages supérieurs était acheminée par des tuyaux en terre cuite fermés ou des goulottes ouvertes qui se vidaient, le cas échéant via les toilettes, dans les égouts couverts sous la rue.

Affirmation confirmée par une étude scientifique de 2016, intitulée « L’évolution des toilettes dans le monde à travers les millénaires », qui rapporte que

« les premières toilettes à chasse d’eau multiple reliées à un système d’égouts sophistiqué qui ont été identifiées jusqu’à présent, se trouvaient dans les villes antiques de Harappa et Mohenjo-daro dans la vallée de l’Indus, datant du milieu du IIIe millénaire av. J.-C. Presque chaque unité d’habitation à Harappa, Mohenjo-daro et Lothal était équipée d’un espace bain-toilette privé, avec des drains pour évacuer les eaux sales dans un plus grand drain qui se déversait dans le système d’égouts et de drainage.« 

Jusqu’à présent, c’est à la civilisation minoenne (Crète) et à la Chine que l’on attribue la première utilisation de canalisations souterraines en argile pour l’assainissement et l’approvisionnement en eau. La capitale crétoise de Knossos possédait un système bien conçu pour acheminer l’eau propre, évacuer les eaux usées, et éviter les débordements en cas de fortes pluies.

On y a retrouvé également l’une des premières utilisations de toilettes à chasse d’eau, datant du XVIIIe siècle av. JC. La civilisation minoenne possédait des égouts en pierre qui étaient périodiquement nettoyés à l’eau claire. Dans l’Antiquité, la Crète était un grand fournisseur de minerai de cuivre pour le monde entier et avait de vastes connexions commerciales internationales.

Croyances religieuses et culturelles

Au cœur de la ville de Morenjo-Daro, le Grand bain. A gauche, le site aujourd’hui. En haut, une vue d’artiste du site.

Des rituels de fertilité furent sans doute observés afin de favoriser une pleine récolte ainsi que pour les grossesses des femmes, comme en témoignent un certain nombre de figurines, d’amulettes et de statuettes de forme féminine.

L’intitulé de la fameuse statue du « Roi-prêtre », retrouvée à Mohenjo-daro, est trompeur, car aucun indice factuel ne permet de démontrer qu’il s’agisse d’un roi ou d’un prêtre.

On pense que le peuple, à l’instar des Dravidiens que certains croient être à l’origine de la civilisation de l’Indus, vénérait une « déesse mère » et, éventuellement, un compagnon masculin représenté sous la forme d’une figure cornue en compagnie d’animaux sauvages. Statue dit du Roi-Prêtre, trouvé sur le site de Mohenjo-daru au début des années 1920.

Le « grand bain » de Mohenjo-daro aurait été utilisé pour des rites de purification liés à la croyance religieuse, mais il pourrait tout aussi bien s’agir d’une piscine publique. Nos connaissances des croyances religieuses de cette culture restent dans le domaine de simples hypothèses.

L’intitulé de la fameuse statue du « Roi-prêtre », retrouvée à Mohenjo-daro, est trompeur, car aucun indice factuel ne permet de démontrer qu’il s’agisse d’un roi ou d’un prêtre. Il pourrait tout autant s’agir de l’effigie d’un simple marchand de coton…

A part la poterie, des armes rudimentaires (pointes de lance, haches, flèches, etc.) et certains outils agricoles et industriels, deux types d’artefacts retrouvés nous livrent quelques rares indices culturels sur la société harappéenne.

Jeune femme nue et parée. Statuette de cuivre fragmentaire. H : 14 cm. Vallée de l’Indus. Trouvée en 1926 dans une maison de Mohenjo-Daro. 2500-1500 av. J.-C. National Museum New Delhi.

D’abord, des figurines, qu’on tente d’interpréter comme des objets de dévotion, semblent n’être que de simples jouets.

Pour d’autres objets, il s’agit clairement de jouets, notamment des animaux montés sur des petits chariots à roulettes (bœufs, buffles, éléphants, chèvres et même une simple poule), fabriqués en bronze ou en terre cuite.

Jouets pour petits et grands ?

Révélant un haut niveau de sensibilité et de conscience, une série de masques avec des visages humains, dont certains, pourvus de deux petits trous pour attacher les ficelles, semblent inspirés des masques de Mongolie.

Il s’agit clairement de masques ayant servi (à des enfants et/ou des adultes) lors de représentations comiques ou tragiques, nous rappelant ceux qui nous sont parvenus de la Grèce classique.

Masques de la civilisation de la vallée de l’Indus. Le masque central se ficèle au visage grâce aux deux petits trous, comme le font les masques de Mongolie.

Plus ancien que Sumer et l’Egypte ?

Les fouilles archéologiques de la civilisation de la vallée de l’Indus ont donc démarré bien tardivement, et l’on pense aujourd’hui que nombre des réalisations et des « premières » attribuées à l’Egypte (- 3150 av. JC) et à la Mésopotamie (- 4500 av. JC) pourraient en fait appartenir aux habitants de la civilisation de la vallée de l’Indus.

En mai 2016, le rapport rédigé par une équipe de chercheurs de l’IIT Kharagpur, de l’Institut d’archéologie, du Deccan College de Pune, du Physical Research Laboratory et de l’Archaeological survey of India (ASI), publié dans la revue Nature, a fait voler en éclats un certain nombre de faits considérés comme des certitudes inébranlables.

Jusque-là, on datait les 900 ans de la phase de « maturité » de la civilisation de l’Indus comme allant de -2800 à -1900 av. J.-C. Or, l’étude indienne indique que cette civilisation était beaucoup plus ancienne qu’on ne le pensait : elle a au moins 8000 ans !

Pour déterminer l’âge de cette civilisation, les chercheurs ont daté des poteries grâce à une technique appelée « luminescence optiquement stimulée » (OSL), et ont découvert qu’elles avaient près de -6000 ans, soit les plus anciennes poteries connues à ce jour. D’autres artefacts ont été datés jusqu’à -8000 ans. Les résultats proviennent d’un site majeur fouillé à Bhirrana, dans l’Haryana, qui montre la préservation de tous les niveaux culturels de cette ancienne civilisation, de la phase pré-harappéenne Hakra à l’époque harappéenne mature, en passant par la phase harappéenne précoce. Bhirrana faisait partie d’une forte concentration de sites le long de la mythique rivière védique Saraswati, aujourd’hui asséchée, une extension de la rivière Ghaggar dans le désert du Thar.

Les villes submergées du golfe de Khambhat

Un des relevé sonar du NIOT indien indiquant la présence de structures sous l’eau.

Ces nouvelles datations convergent avec la découverte, en janvier 2002, de ruines de villes submergées au large de la côte de l’Etat de Gujarat, au nord-ouest de l’Inde.

Ce sont les océanographes du National Institute of Ocean Technology (NIOT) de Madras qui font cette découverte. L’équipe parcourait la mer boueuse à 30 km au large de l’Etat du Gujarat, dans le golfe de Khambhat (ex-Cambay), afin de mesurer les niveaux de pollution marine. Par mesure de routine, ils enregistrèrent des images acoustiques du fond de l’océan.

Ce n’est que plusieurs mois plus tard, en analysant les données, que l’équipe se rend compte qu’elle a, sans le savoir, recueilli des images des ruines d’une immense cité, engloutie à 40 mètres sous le niveau de la mer. Et, fin janvier 2002, après avoir passé des semaines à draguer le site et remonté plus de 2000 objets, l’équipe du NIOT était en mesure de faire d’extraordinaires révélations.

Les ruines s’étendent sur 9 km le long des rives d’un ancien fleuve, et l’on peut distinguer les vestiges d’un barrage. La ville engloutie partage des similarités frappantes avec les sites de la civilisation de l’Indus. L’un des édifices, de la taille d’une piscine olympique, aux marches effondrées, rappelle le Grand Bain de Mohenjo-daro. Un autre monument rectangulaire de 200 m de long sur 45 m de large est aussi vaste que l’acropole découverte à Harappa. L’équipe du NIOT a également entrevu un autre édifice, sorte de grenier à blé, fait de briques de boue, d’une longueur de 183 m. A proximité de ces installations monumentales, on aperçoit des rangées de constructions rectangulaires qui s’apparentent aux fondations de maisons en ruine, un système de drainage, et même des routes. Lors d’une autre visite sur le site, l’équipe a remonté des outils en pierre polie, des ornements et des figurines, des débris de poteries, des pierres semi-précieuses, de l’ivoire et les restes fossilisés d’une colonne vertébrale, d’une mâchoire et d’une dent humaine. Mais l’équipe n’était pas au bout de ses surprises.

Elle envoya les échantillons d’un rondin de bois fossilisé à deux grands laboratoires indiens spécialisés dans les méthodes de datation : le Birbal Sbahni Institute of Paleobotany (BSIP), à Lucknow, et le National Geophysical Research Institute (NGRI), à Hyderabad. Le BSIP l’a daté de 5500 av. J.-C., alors que, pour le NGRI, l’échantillon est bien plus ancien et remonte probablement à 7500 av. J.-C.

Cette datation ferait de Khambhat le site le plus ancien découvert en Inde. Cette découverte pourrait marquer la fin de la théorie selon laquelle l’urbanisation se propage de l’Asie, depuis l’ouest, vers l’Indus. Cette datation suscita d’intenses controverses. L’archéologue G. Possehl signale qu’il n’y a aucune raison de croire que ce morceau de bois fossilisé appartient aux ruines de l’ancienne cité. Etant donné les forts courants marins de la région, il pourrait provenir d’ailleurs. Reconnaissant le bien-fondé de ces critiques, l’équipe de NIOT a assuré que d’autres objets seraient soumis aux méthodes de datation. Il s’agit aussi de comprendre comment cette cité a été engloutie et comment elle s’est retrouvée à 30 km de la côte. Harsh Gupta, géologue, pense que c’est un gigantesque tremblement de terre qui en a causé la destruction. On se trouve dans une zone à fort risque sismique, et le tremblement de terre de 2001 à Bhuj a montré la vulnérabilité de la région à ces phénomènes. Toutefois, la priorité est d’établir définitivement l’âge de la cité engloutie, et si ces recherches dans le passé de Khambhat sont approfondies, cette découverte peut se révéler la plus excitante de ce siècle.

Berceau historique du textile

La civilisation de la vallée de l’Indus, avec Mehrgahr et Harappa, les plus anciens traces de la production du coton dans l’histoire de l’homme.

Dans son livre Empire of Cotton, A Global History (2015), Sven Beckert retrace en profondeur le développement de ce que les anciens, intrigués par sa ressemblance avec le toucher de la laine, appelaient « arbre à laine ». Si cette plante pousse dans des climats tempérés et tropicaux, elle a besoin d’une abondante humidité pour prospérer pleinement, ce qui en circonscrit la culture aux vallées fluviales naturellement, puis artificiellement irriguées.

D’après l’auteur,
« Les agriculteurs de la vallée de l’Indus furent les premiers à filer et tisser le coton. En 1929, des archéologues ont retrouvé des fragments de textiles en coton à Mohenjo-daro, dans l’actuel Pakistan, datant de 3250 à 2750 avant notre ère. Les graines de coton trouvées à Mehrgarh, non loin de là, ont été datées de 5000 avant notre ère. Les références littéraires témoignent également de l’ancienneté de l’industrie du coton dans le sous-continent. Les écritures védiques, composées entre 1500 et 1200 avant notre ère, font allusion au filage et au tissage du coton. »

Historiquement, les premiers fragments de coton ont été découverts à Mohenjo-daro, dans la région pakistanaise du Sind, lors d’une expédition dirigée par Sir John Marshall, directeur général de l’Archaeological Survey of India de 1902 à 1928. Dans son livre sur Mohenjo-daro et la civilisation de l’Indus, Sir Marshall raconte que des fragments de tissu avaient été enroulés autour d’un pot à parfum en argent et d’une salière.

Gouvernement sans chef ?

Vue des ruines de la ville de Mohenjo-Daro, équipée de bains privés et publics, d’égouts et de toilettes rinçables. Elle aurait pu accueillir jusqu’à 40000 habitants. Sur le plateau de la citadelle, des moines bouddhistes ont cru pertinent, plusieurs siècles après le déclin de la ville, de construire un de leurs temples (stupa).

Reste que l’organisation politique des cités de l’Indus échappe aux experts. Car contrairement aux civilisations mésopotamiennes et égyptiennes, les recherches réalisées sur les sites de la vallée de l’Indus n’ont mis au jour aucun temple ou palais d’envergure. Aucune preuve non plus de l’existence d’une armée permanente… De quoi s’interroger sur la présence ou non d’un pouvoir politique. Panique chez les archéologues et géopoliticiens britanniques, toujours enclins à projeter sur le reste du monde leur propre idéologie coloniale de castes aristocratiques.

En réalité, chaque ville semble avoir eu son propre gouverneur, ou un conseil citoyen se coordonnant avec d’autres centres urbains, tous adhérant à un certain nombre de principes communs considérés comme mutuellement bénéfiques.

Cette « coïncidence des opposés », celle de la grande diversité avec la plus parfaite similitude, intrigue l’expert John Keay :

« Ce qui a étonné tous ces pionniers, et qui reste la caractéristique distinctive des plusieurs centaines de sites harappéens aujourd’hui connus, est leur apparente similitude : ‘Notre impression dominante est celle d’une uniformité culturelle, à la fois tout au long des plusieurs siècles durant lesquels la civilisation harappéenne a prospéré, et sur la vaste zone qu’elle occupait.’ Les briques omniprésentes, par exemple, ont toutes des dimensions standardisées, de même que les cubes de pierre utilisés par les Harappéens pour mesurer le poids sont également standardisés et basés sur le système modulaire. La largeur des routes est conforme à un module similaire ; ainsi, les rues sont généralement deux fois plus larges que les voies latérales, tandis que les artères principales sont deux fois ou une fois et demie plus larges que les rues. La plupart des rues fouillées jusqu’à présent sont droites et vont du nord au sud ou d’est en ouest. Les plans de la ville se conforment donc à un quadrillage régulier et semblent avoir conservé cette disposition à travers plusieurs phases de construction.« 

Vue l’existence d’un système de poids et de mesures unifié, vue la similitude de l’organisation urbaine ainsi que la standardisation de la taille des briques en terres cuites pour des centaines de villes, il est donc tout simplement impossible que le chacun pour soi ait régné en maître.

Berceau de la démocratie ?

En 1993, dans un article intitulé « La civilisation de la vallée de l’Indus, berceau de la démocratie ? », publié dans le Courrier de l’Unesco, l’archéologue et muséologue pakistanais de renommée internationale, Syed A. Naqv, qui s’est battu pour la préservation du site de Mohenjo-daro, tentait de répondre à la question.

« Dans toutes les civilisations hautement développées du passé – la Mésopotamie, la vallée du Nil, l’Anatolie, la Chine – on peut sentir l’influence omniprésente de l’autorité impériale, qui assure le patronage des arts et oriente le développement de la société. Un examen attentif du rôle d’une telle autorité dans cette civilisation, qui a fleuri il y a quelque 5 000 ans et couvrait presque deux fois la superficie des civilisations de la Mésopotamie et du Nil réunies, semble démentir la présence d’un régime autoritaire. La civilisation de l’Indus avait un mode de vie bien discipliné, des contrôles civiques et un système d’organisation qui ne pouvaient qu’être issus du type de ’gouvernement par le peuple’ exercé dans une cité-État grecque quelque 2 000 ans plus tard. La Grèce a-t-elle donné naissance à la démocratie ou s’est-elle contentée de suivre une pratique développée antérieurement ?« 

Bien qu’il n’existe aucune grande structure agissant comme centre d’autorité,

« les découvertes effectuées suggèrent que la réglementation s’appliquait sur un territoire d’environ 1600 km du nord au sud et de plus de 800 km du sud au sud-est. Le principal argument en faveur de cette thèse est l’existence de normes et de standards bien établis qui auraient nécessité le consensus du peuple s’ils n’avaient pas été imposés par un régime autoritaire. Il est impossible d’ignorer les preuves fournies par la planification parfaite de la grande ville de Mohenjo-daro et l’utilisation dans sa construction de briques de taille standard de 27,94 cm de long, 13,96 cm de large et 5,71 cm d’épaisseur.« 

Dans les deux grandes villes de Mohenjo-daro et de Harappa, distantes d’environ 600 km, « le quadrillage du tracé des rues mis au jour par les fouilles archéologiques montre qu’une grande attention a été accordée à la sécurité des habitants et suggère l’existence d’un système de contrôle civique très développé et bien monolithique ».

Il en va de même pour le système d’égouts très perfectionné et l’existence

« d’une série presque complète de poids en pierre hautement polis, de forme cubique, semi-cubique, cylindrique et sphérique, dont très peu seraient défectueux, ce qui prouve une fois de plus que les autorités civiles maintiennent des normes commerciales cohérentes.
Il n’est pas possible de conclure à l’existence d’une telle conception philosophique de la démocratie tant que l’on n’aura pas déchiffré l’écriture harappéenne et fourni des preuves écrites à ce sujet. Mais les signes sont là, et des recherches plus poussées dans cette direction pourraient bien établir que le ‘gouvernement par le peuple’ est né dans la vallée de l’Indus », conclut l’auteur.

Enfin, ce peuple agricole, qui connaissait l’usage des lances et des flèches, n’ayant par ailleurs laissé aucune trace d’une quelconque activité militaire (peu d’armes ni de fortifications à but exclusivement défensif retrouvées), de nombreux avis s’accordent à dire que cette société pourrait avoir connu la plus longue période de paix de l’histoire de l’humanité.

Déclin et chute

Le mythe d’Atlantide reste bien vivace.

Dans deux de ses livres, le Timée et le Critias, le philosophe grec Platon raconte l’histoire « certainement vraie, bien qu’étrange » d’un peuple maritime à la puissance incomparable : les Atlantes, dont il décrit la civilisation et la capitale avec force détails.

Partis 10 000 ans avant notre ère d’une île située au-delà des colonnes d’Hercule, les Atlantes auraient fini par dominer l’ensemble de l’Afrique et de l’Europe de l’Ouest. Dans un passage qui n’est pas sans rappeler le type d’organisation politique qui a pu exister à Mohenjo-daro, Critias précise qu’Atlantide était alors habitée

« par les différentes classes d’hommes qui s’occupent des métiers et de l’agriculture. Les guerriers, séparés dès le commencement par des hommes divins, habitaient à part, possédant tout ce qui était nécessaire à leur existence et à celle de leurs enfants. Parmi eux, il n’y avait pas de fortunes particulières ; tous les biens étaient en commun : ils n’exigeaient rien des autres citoyens au-delà de ce qu’il leur fallait pour vivre, et remplissaient en retour toutes les obligations que notre entretien d’hier attribuait aux défenseurs de la patrie tels que nous les concevons.« 

S’exprimant sans doute sous forme métaphorique, Platon affirme qu’initialement vertueuse, la civilisation atlante aurait sombré dans la démesure, l’arrogance et la corruption au point d’être châtiée par Poséidon lui-même pour s’être lancée dans une guerre de trop, cette fois contre Athènes. Et « en l’espace d’un seul jour et d’une nuit terribles (…), l’île Atlantide s’abîma dans la mer et disparut ».

Au niveau historique, le déclin soudain de la civilisation de l’Indus, vers -1900 ans avant J.-C., reste un mystère.

Certains historiens soulignent des aspects de la civilisation minoenne (Crète) présentant d’étonnantes similitudes avec la civilisation de la vallée de l’Indus, notamment la gestion de l’eau et les premiers systèmes d’égouts à Knossos la capitale, les techniques de fonte de bronze à la cire perdue et les combats de taureaux qui font la gloire de Crète.

Quelques traces d’incendies et de destructions, ainsi qu’une quarantaine de squelettes blessés à l’arme blanche et retrouvés sans sépulture à Mohenjo-daro ont d’abord laissé supposer une invasion par des peuples d’Aryens venus de l’Asie centrale ou du plateau iranien. « Cette théorie est aujourd’hui abandonnée. Nous n’avons en effet retrouvé aucune trace effective de massacres ou de violences sur les sites de la vallée de l’Indus, ni de mobilier qui pourrait être associé à de telles populations », précise Aurore Didier, chargée de recherche au CNRS et directrice de la mission de l’Indus.

Autre hypothèse, l’incapacité à renforcer sa résilience face à un chaos climatique.

Les carottages réalisés dans le nord-ouest de l’Inde ont montré que le climat s’y est passablement altéré environ 2000 ans avant notre ère.

On rapporte que ce fut aussi le cas en Mésopotamie. « Il s’est rapproché de celui, sec et aride, que connaissent ces régions aujourd’hui, ce qui a perturbé les cultures et, de facto, le commerce des civilisations de l’Indus. Le bouleversement socio-économique qui s’ensuivit peut avoir mené au déclin de ces sociétés. Cette hypothèse est la plus communément admise à ce jour », indique l’archéologue.

Les habitants auraient quitté leurs vallées devenues infertiles pour migrer vers les plaines du Gange.

« Cela s’est accompagné d’un changement dans les stratégies de subsistance. La civilisation de l’Indus s’est progressivement convertie dans des cultures céréalières estivales basées sur le riz et le millet, deux denrées plus à même de supporter ces nouvelles conditions climatiques et nécessitant, pour le riz, le développement d’une agriculture irriguée, suggère Aurore Didier. Elle a également tissé des liens avec de nouveaux partenaires commerciaux. « 

Pas de quoi, donc, parler d’« effondrement » d’une société au sens des « collapsologues ». Il s’agit plutôt d’une adaptation graduelle à l’évolution de l’environnement, s’étant étalée sur plusieurs siècles.

Au fur et à mesure que se poursuivent les fouilles des sites de la civilisation de la vallée de l’Indus, de nouvelles informations contribueront sans aucun doute à une meilleure compréhension de son histoire et de son développement. En tout cas, toute connaissance supplémentaire de cet héritage civilisationnel commun pourra à l’avenir servir de fondement à une coopération fraternelle entre le Pakistan, l’Inde et l’Afghanistan.

En attendant, au lieu de vouloir se calquer sur les modèles barbares de l’Empire mongol, de l’Empire romain ou encore de l’Empire britannique, les « élites » du monde transatlantique feraient mieux de s’inspirer de cette magnifique civilisation qui semble avoir prospéré pendant 5000 ans sans guerres et massacres perpétuels, mais simplement grâce à une bonne entente, au niveau national entre citoyens, et à des coopérations mutuellement bénéfiques avec de nombreux partenaires lointains.

La modernité de la civilisation de la vallée de l’Indus, capable d’offrir à chacun de la nourriture, un abri, de l’eau et des installations sanitaires, nous montre, à nous tous qui vivons dans le présent, à quel point nous sommes devenus arriérés.

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