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Le « miracle » du Gandhara : quand Bouddha s’est fait homme

Introduction

Les Ve et IVe siècles avant J.-C. furent une période d’effervescence intellectuelle mondiale. C’est l’époque des grands penseurs, tels que Socrate, Platon et Confucius, mais aussi Panini et Bouddha.

Dans le nord de l’Inde, c’est l’âge du Bouddha, après la mort duquel émerge une foi non théiste (Bouddha n’est qu’un homme…), qui se répand bien au-delà de sa région d’origine. Avec entre 500 millions et un milliard de croyants, le bouddhisme constitue aujourd’hui l’une des principales croyances religieuses et philosophiques du monde et sans doute une force potentielle redoutable pour la paix.

Bouddha, bio-express

Lumbini, lieu de naissance de Siddhartha Gautama.

« Le bouddha » (l’éveillé) est le nom donné à un homme appelé Siddhartha Gautama Shakyamuni (le muni ou sage du clan des Shakya). Il aurait atteint l’âge d’environ quatre-vingts an. Craignant l’idolâtrie, il refuse toute représentation de sa personne sous forme d’image.

Les traditions divergent sur les dates exactes de sa vie que la recherche moderne tend à situer de plus en plus tard : vers 623-543 av. J.-C. selon la tradition theravâda, vers 563-483 av. J.-C. selon la majorité des spécialistes du début du XXe siècle, tandis que d’autres le situent aujourd’hui entre 420 et 380 av. J.-C. (sa vie n’aurait pas dépassé les 40 ans).

Bouddha est né à Lumbini (actuel Népal) dans la vallée du Gange

Selon la tradition, Siddhartha Gautama est né à Lumbini (dans l’actuel Népal) en tant que prince de la famille royale de la ville de Kapilavastu, un petit royaume situé dans les contreforts de l’Himalaya, dans l’actuel Népal.

Un astrologue aurait mis en garde le père du garçon, le roi Suddhodana : lorsque l’enfant grandirait, il deviendrait soit un brillant souverain, soit un moine influent, en fonction de sa lecture du monde. Farouchement déterminé à en faire son successeur, le père de Siddhartha ne le laissa donc jamais voir le monde en dehors des murs du palais. Tout en lui offrant tous les plaisirs et distractions possibles, il en fait un prisonnier virtuel jusqu’à l’âge de 29 ans.

Lorsque le jeune homme s’échappe de sa cage dorée, il découvre l’existence de personnes affectées par leur grand âge, la maladie et la mort. Bouleversé par la souffrance des gens ordinaires qu’il rencontre, Siddhartha abandonne les plaisirs éphémères du palais pour rechercher un but plus élevé dans la vie. Il se soumet d’abord à un ascétisme draconien, qu’il abandonne six ans plus tard, estimant qu’il s’agissait d’un exercice futile.

Il s’assoit alors sous un grand figuier pour méditer et y fait l’expérience du nirvana (la bodhi : libération ou, en sanskrit, extinction). On le désigne désormais sous le nom de « Bouddha » (l’éveillé ou l’éclairé).

Les « quatre vérités » et « l’octuple sentier »

Avant d’en esquisser le développement politique, quelques mots sur la philosophie sous-jacente au bouddhisme.

A ses jeunes disciples, Bouddha enseigne la « Voie du milieu », entre les deux extrêmes de la mortification et de la satisfaction des désirs.

Et il énonce les Quatre nobles vérités :

  1. La noble vérité de la souffrance.
  2. La noble vérité de l’origine de la souffrance.
  3. La noble vérité de la cessation de la souffrance.
  4. La noble vérité de la voie menant à la cessation de la souffrance, celle du Noble Chemin octuple.

Ainsi que le feront Augustin et plus encore les Frères de la Vie commune dans le monde chrétien, le bouddhisme insiste sur le fait que notre attachement à l’existence terrestre implique la souffrance.

Chez les chrétiens, c’est ce qui conduirait au « péché », notion inexistante dans le bouddhisme, pour qui l’errance vient de l’ignorance du bon chemin.

Pour Bouddha, il faut combattre, voire éteindre tout sens démesuré du moi (on dirait ego aujourd’hui). Il est possible de mettre fin à notre souffrance en transcendant ce fort sentiment de « moi », afin d’entrer dans une plus grande harmonie avec les choses en général. Les moyens d’y parvenir sont résumés dans le Noble Chemin octuple, parfois représenté par les huit rayons d’une Roue de la Loi (dharmachakra) que Bouddha mettra en marche, la Loi signifiant ici le dharma, un ensemble de préceptes moraux et philosophiques.

Ces huit points du Noble Chemin octuple sont :

  1. la vue juste
  2. la pensée juste
  3. la parole juste
  4. l’action juste
  5. les moyens d’existence justes
  6. l’effort juste
  7. la pleine conscience
  8. la concentration juste

– La vision juste est importante dès le départ, car sans cela, on ne peut pas voir la vérité des quatre nobles vérités.
– La pensée juste en découle naturellement. Le terme « juste » signifie ici « en accord avec les faits », c’est-à-dire avec la façon dont les choses sont (qui peut être différente de la façon dont je voudrais qu’elles soient).
– La pensée juste, la parole juste, l’action juste et les moyens d’existence justes impliquent une retenue morale – s’abstenir de mentir, de voler, de commettre des actes violents et gagner sa vie d’une manière qui ne soit pas préjudiciable aux autres. La retenue morale ne contribue pas seulement à l’harmonie sociale générale, elle nous aide aussi à contrôler et à diminuer le sentiment démesuré du « moi ». Comme un enfant gâté, le « moi » grandit et devient indiscipliné à mesure que nous le laissons agir à sa guise.
– Ensuite, l’effort juste est important parce que le « moi » prospère dans l’oisiveté et le mauvais effort ; certains des plus grands criminels sont les personnes les plus énergiques, donc l’effort doit être approprié à la diminution du « moi » (son ego, dirait-on aujourd’hui). Dans tous les cas, si nous ne sommes pas prêts à faire des efforts, nous ne pouvons pas espérer obtenir quoi que ce soit, ni dans le sens spirituel ni dans la vie. Les deux dernières étapes de la voie, la pleine conscience et la concentration ou absorption, représentent la première étape permettant de nous libérer de la souffrance.

Les ascètes qui avaient écouté le premier discours du Bouddha devinrent le noyau d’un sangha (communauté, mouvement) d’hommes (les femmes devaient entrer plus tard) qui suivaient la voie décrite par le Bouddha dans sa Quatrième noble vérité, celle précisant le Noble Chemin octuple.

Pour rendre le nirvana bouddhiste accessible au citoyen ordinaire, l’imagination bouddhiste a inventé le concept très intéressant de bodhisattva, mot dont le sens varie selon le contexte. Il peut aussi bien désigner l’état dans lequel se trouvait Bouddha lui-même avant son « éveil », qu’un homme ordinaire ayant pris la résolution de devenir un bouddha et ayant reçu d’un bouddha vivant la confirmation ou la prédiction qu’il en serait ainsi.

Dans le bouddhisme theravâda (l’école ancienne), seules quelques personnes choisies peuvent devenir des bodhisattvas, comme Maitreya, présenté comme le « Bouddha à venir ».

Mais dans le bouddhisme mahâyâna (Grand Véhicule), un bodhisattva désigne toute personne qui a généré la bodhicitta, un souhait spontané et un esprit compatissant visant à atteindre l’état de bouddha pour le bien de « tous les êtres sensibles », hommes aussi bien qu’animaux. Etant donné qu’une personne peut, dans une vie future, se réincarner dans un animal, le respect des animaux s’impose.

Réincarnation

Tout en voulant construire sa propre vision sur certains fondements de l’hindouisme, l’une des plus anciennes religions du monde, Siddhartha introduisit néanmoins des changements révolutionnaires aux implications politiques importantes.

Dans la plupart des croyances impliquant la réincarnation (hindouisme, jaïnisme, sikhisme), l’âme humaine est immortelle et ne se disperse pas après la disparition du corps physique. Après la mort, l’âme transmigre simplement (métempsychose) dans un nouveau-né ou un animal pour poursuivre son immortalité. La croyance en la renaissance de l’âme a été exprimée par les penseurs grecs anciens, à commencer par Pythagore, Socrate et Platon.

Le but du bouddhisme est d’apporter un bonheur durable et inconditionnel. Celui de l’hindouisme est de se libérer du cycle de naissance et de renaissance (samsara) pour atteindre, finalement, le moksha, qui en est la libération.

Dans le bouddhisme, le samsara est souvent défini comme le cycle sans fin de la naissance, de la mort et de la renaissance. Il est présenté comme le monde de la souffrance et de l’insatisfaction, l’opposé du nirvana, qui est la seule manière d’être libéré de la souffrance et du cycle de renaissance.

Le bouddhisme et l’hindouisme s’accordent sur le karma, le dharma, le moksha et la réincarnation. Mais ils diffèrent politiquement dans la mesure où le bouddhisme se concentre sur l’effort personnel de chacun et accorde par conséquent une moindre importance aux prêtres et aux rituels formels que l’hindouisme. Enfin, le bouddhisme ne reconnaît pas la notion de caste et prône donc une société plus égalitaire.

Alors que l’hindouisme soutient que l’on ne peut atteindre le nirvana que dans une vie ultérieure, le bouddhisme, plus volontariste et optimiste, soutient qu’une fois qu’on a réalisé que la vie est souffrance, on peut mettre un terme à cette souffrance dans sa vie présente.

Les bouddhistes décrivent leur renaissance comme une bougie vacillante qui vient en allumer une autre, plutôt que comme une âme immortelle ou un « moi » passant d’un corps à un autre, ainsi que le croient les hindous. Pour les bouddhistes, il s’agit d’une renaissance sans « soi », et ils considèrent la réalisation du non-soi ou du vide comme le nirvana (extinction), alors que pour les hindous, l’âme, une fois libérée du cycle des renaissances, ne s’éteint pas, mais s’unit à l’Être suprême et entre dans un éternel état de félicité divine.

Les Aryens et le védisme

L’une des grandes traditions ayant façonné l’hindouisme est la religion védique (védisme), qui s’est épanouie chez les peuples indo-aryens du nord-ouest du sous-continent indien (Pendjab et plaine occidentale du Gange) au cours de la période védique (1500-500 av. J.-C.).

Au cours de cette période, des peuples nomades venus du Caucase et se désignant eux-mêmes comme « Aryens » (« noble », « civilisé » et « honorable ») pénétrèrent en Inde par la frontière nord-ouest.

Le terme « aryen » a une très mauvaise connotation historique, en particulier depuis le XIXe siècle, lorsque plusieurs antisémites virulents, tels qu’Arthur de Gobineau, Richard Wagner et Houston Chamberlain, ont commencé à promouvoir le mythe d’une « race aryenne », soutenant l’idéologie suprémaciste blanche de l’aryanisme qui dépeint la race aryenne comme une « race des seigneurs », les non-aryens étant considérés non seulement comme génétiquement inférieurs (Untermensch, ou sous-homme) mais surtout comme une menace existentielle à exterminer.

Bal Gangadhar Tilak.

D’un point de vue purement scientifique, dans son livre The Arctic Home (1903), le patriote indien Bal Gangadhar Tilak (1856-1920), s’appuyant sur son analyse des observations astronomiques contenues dans les hymnes védiques, émet l’hypothèse selon laquelle le pôle Nord aurait été le lieu de vie originel des Aryens pendant la période préglaciaire, région qu’ils auraient quittée vers 8000 avant J.-C. à cause de changements climatiques, migrant vers les parties septentrionales de l’Europe et de l’Asie. Gandhi disait de Tilak, l’un des pères du mouvement de l’indépendance du pays, qu’il était « l’artisan de l’Inde moderne ».

Les Aryens arrivant du Nord étaient probablement moins barbares qu’on ne l’a suggéré jusqu’à présent. Grâce à leur supériorité militaire et culturelle, ils conquirent toute la plaine du Gange, avant d’étendre leur domination sur les plateaux du Deccan.

Cette conquête a laissé des traces jusqu’à nos jours, puisque les régions occupées par ces envahisseurs parlent des langues indo-européennes issues du sanskrit. (*1)

Panini.

En réalité, la culture védique est profondément enracinée dans la culture eurasienne des steppes Sintashta (2200-1800 avant notre ère) du sud de l’Oural, dans la culture Andronovo d’Asie centrale (2000-900 avant notre ère), qui s’étend du sud de l’Oural au cours supérieur de l’Ienisseï en Sibérie centrale, et enfin dans la Civilisation de la vallée de l’Indus (Harappa) (4000-1500 avant notre ère).

Cette culture védique se fonde sur les fameux Védas (savoirs), quatre textes religieux consignant la liturgie des rituels et des sacrifices et les plus anciennes écritures de l’hindouisme. La partie la plus ancienne du Rig-Veda a été composée oralement dans le nord-ouest de l’Inde (Pendjab) entre 1500 et 1200 av. JC., c’est-à-dire peu après l’effondrement de la Civilisation de la vallée de l’Indus.

Le philologue, grammairien et érudit sanskrit Panini, qu’on croit être un contemporain de Bouddha, est connu pour son traité de grammaire sanskrite en forme de sutra, qui a suscité de nombreux commentaires de la part d’érudits d’autres religions indiennes, notamment bouddhistes.

Les Brahmanes et le système des castes

Un prêtre hindou.

Cependant, avec l’émergence de cette culture aryenne apparut ce que l’on appelle le « brahmanisme », c’est-à-dire la naissance d’une caste toute puissante de grands prêtres.

« De nombreuses études linguistiques et historiques font état de troubles socioculturels résultant de cette migration et de la pénétration de la culture brahmanique dans diverses régions, de l’ouest de l’Asie du Sud vers l’Inde du Nord, l’Inde du Sud et l’Asie du Sud-Est », constate aujourd’hui Gajendran Ayyathurai, un anthropologue indien de l’Université de Göttingen en Allemagne.

Le brahman, littéralement « supérieur », est un membre de la caste sacerdotale la plus élevée (à ne pas confondre avec les adorateurs du dieu hindou Brahma). Bien que le terme apparaisse dans les Védas, les chercheurs modernes tempèrent ce fait et soulignent qu’il « n’existe aucune preuve dans le Rig-Veda d’un système de castes élaboré, très subdivisé et très important ».

Mais avec l’émergence d’une classe dirigeante de brahmanes, devenus banquiers et propriétaires terriens, notamment sous la période Gupta (de 319 à 515 après J.-C.), un redoutable système de castes se met graduellement en place. La classe dirigeante féodale, ainsi que les prêtres, vivant des recettes des sacrifices, mettront l’accent sur des dieux locaux qu’ils intégreront progressivement au brahmanisme afin de séduire les masses. Même parmi les souverains, le choix des divinités indiquait des positions divergentes : une partie de la dynastie Gupta soutenait traditionnellement le dieu Vishnou, tandis qu’une autre soutenait le dieu Shiva.

Ce système déshumanisant des castes fut ensuite amplifié et utilisé à outrance par la Compagnie britannique des Indes orientales, une entreprise et une armée privée à la tête de l’Empire britannique, pour imposer son pouvoir aristocratique et colonial sur les Indes, une politique qui perdure encore aujourd’hui, surtout dans les esprits.

Le système hindou des castes s’articule autour de deux concepts clés permettant de catégoriser les membres de la société : le varṇa et la jati. Le varna (littéralement « couleur ») divise la société en une hiérarchie de quatre grandes classes sociales :

  1. Brahmanes (la classe sacerdotale)
  2. Kshatriyas (guerriers et dirigeants)
  3. Vaishyas (marchands)
  4. Shudras (travailleurs manuels) 

En outre, la jati fait référence à plus de 3000 classifications hiérarchiques, à l’intérieur des quatre varnas, entre les groupes sociaux en fonction de la profession, du statut social, de l’ascendance commune et de la localité…

La justification de cette stratification sociale est intimement liée à la vision hindouiste du karma. Car la naissance de chacun est directement liée au karma, véritable bilan de sa vie précédente. Ainsi, la naissance dans le varna brahmanique est le résultat d’un bon karma

Selon cette théorie, le karma détermine la naissance de l’individu dans une classe, ce qui définit son statut social et religieux, qui fixe à son tour ses devoirs et obligations au regard de ce statut spécifique.

En 2021, une enquête a révélé que trois Indiens sur dix (30 %) s’identifient comme membres des quatre varnas et seulement 4,3 % des Indiens (60,5 millions) comme des brahmanes.

Certains d’entre eux sont prêtres, d’autres exercent des professions telles qu’éducateurs, législateurs, érudits, médecins, écrivains, poètes, propriétaires terriens et politiciens. Au fur et à mesure de l’évolution de ce système de castes, les brahmanes ont acquis une forte influence en Inde et ont exercé une discrimination à l’encontre des autres castes « inférieures ».

Asvaghosa.

L’immense partie restante des Indiens (70 %), y compris parmi les hindous, déclare faire partie des dalits, encore appelés intouchables, des individus considérés, du point de vue du système des castes, comme hors castes et affectés à des fonctions ou métiers jugés impurs. Présents en Inde, mais également dans toute l’Asie du Sud, les dalits sont victimes de fortes discriminations. En Inde, une écrasante majorité de bouddhistes se déclarent dalits.

Dès le Ier siècle, le philosophe bouddhiste, dramaturge, poète, musicien et orateur indien Asvaghosa (v. 80 – v. 150 ap. J.-C.) a élevé la voix pour condamner ce système des castes, avec des arguments empruntés pour certains aux textes les plus vénérés des brahmanes eux-mêmes, et pour d’autres, fondés sur le principe de l’égalité naturelle entre tous les hommes.

Selon Asvaghosa,

Une allégorie bouddhiste rejette clairement et se moque de l’idée même du système de castes:

L’Inde avant le bouddhisme

L’époque du Bouddha est celle de la deuxième urbanisation de l’Inde et d’une grande contestation sociale.

L’essor des shramaṇas, des philosophes ou moines errants ayant rejeté l’autorité des Védas et des brahmanes, était nouveau. Bouddha n’était pas le seul à explorer les moyens d’obtenir la libération (moksha) du cycle éternel des renaissances (saṃsara).

Le constat que les rituels védiques ne menaient pas à une libération éternelle conduisit à la recherche d’autres moyens. Le bouddhisme primitif, le yoga et des courants similaires de l’hindouisme, jaïnisme, ajivika, ajnana et chârvaka, étaient les shramanas les plus importants.

Malgré le succès obtenu en diffusant des idées et des concepts qui allaient bientôt être acceptés par toutes les religions de l’Inde, les écoles orthodoxes de philosophie hindoue (astika) s’opposaient aux écoles de pensée shramaṇiques et réfutèrent leurs doctrines en les qualifiant d’hétérodoxes (nastika), parce qu’elles refusaient d’accepter l’autorité épistémique des Védas.

Pendant plus de quarante ans, le Bouddha sillonna l’Inde à pied pour diffuser son dharma, un ensemble de préceptes et de lois sur le comportement de ses disciples. À sa mort, son corps fut incinéré, comme c’était la coutume en Inde, et ses cendres furent réparties dans plusieurs reliquaires, enterrés dans de grands monticules hémisphériques connus sous le nom de stupas. Alors déjà, sa religion était répandue dans tout le centre de l’Inde et dans de grandes villes indiennes comme Vaishali, Shravasti et Rajagriha.

Les grands conciles bouddhistes

Quatre grands conciles bouddhistes furent organisés, à l’instigation de différents rois qui cherchaient en réalité à briser l’omnipuissante caste des brahmanes.

Le premier eut lieu en 483 avant J.-C., juste après la mort du Bouddha, sous le patronage du roi Ajatasatru (492-460 av. J.-C.) du Royaume du Magadha, le plus grand des seize royaumes de l’Inde ancienne, afin de préserver les enseignements du Bouddha et de parvenir à un consensus sur la manière de les diffuser.

Le deuxième intervint en 383 avant J.-C., soit cent ans après la mort du Bouddha, sous le règne du roi Kalashoka. Des divergences d’interprétation s’installant sur des points de discipline au fur et à mesure que les adeptes s’éloignaient les uns des autres, un schisme menaçait de diviser ceux qui voulaient préserver l’esprit originel et ceux qui défendaient une interprétation plus large.

Le premier groupe, appelé Thera (signifiant « ancien » en pâli), est à l’origine du bouddhisme theravâda, engagé à préserver les enseignements du Bouddha dans l’esprit originel.

L’autre groupe était appelé Mahasanghika (Grande Communauté). Ils interprétaient les enseignements du Bouddha de manière plus libérale et nous ont donné le bouddhisme Mahâyâna.

Les participants au concile tentèrent d’aplanir leurs divergences, sans grande unité mais sans animosité non plus. L’une des principales difficultés venait du fait qu’avant d’être consignés dans des textes, les enseignements du Bouddha n’avaient été transmis qu’oralement pendant trois à quatre siècles. (*2)

L’arrivée des Grecs

L’étendu de la langue (bleu foncé) et de l’influence grecques.

Ainsi que nous l’avons documenté par ailleurs, l’Asie centrale, et l’Afghanistan en particulier, furent le lieu de rencontre entre les civilisations perses, chinoises, grecques et indiennes.

C’est au Gandhara, région à cheval entre le Pakistan et l’Afghanistan, au cœur des Routes de la soie, que le bouddhisme prendra à deux reprises un envol majeur, donnant naissance à un art dit « gréco-bouddhiste », qui parviendra à faire la synthèse entre plusieurs cultures à travers des œuvres d’une beauté incomparable.

Darius le Grand.

Les premiers Grecs commencèrent à s’installer dans la partie nord-ouest du sous-continent indien à l’époque de l’Empire perse achéménide. Après avoir conquis la région, le roi perse Darius le Grand (521 – 486 av. J.-C.) colonisa également une grande partie du monde grec, qui comprenait à l’époque toute la péninsule anatolienne occidentale.

Lorsque des villages grecs se rebellaient sous le joug perse, ils faisaient parfois l’objet d’un nettoyage ethnique et leurs populations étaient déportées à l’autre bout de l’empire.

C’est ainsi que de nombreuses communautés grecques virent le jour dans les régions indiennes les plus reculées de l’empire perse.

Au IVe siècle avant J.-C., Alexandre le Grand (356 – 323 av. J.-C.) vainquit et conquit l’empire perse. En 326 avant J.-C., cet empire comprenait la partie nord-ouest du sous-continent indien jusqu’à la rivière Beas (que les Grecs nommaient l’Hyphase). Alexandre établit des satrapies et fonde plusieurs colonies. Il se tourne vers le sud lorsque ses troupes, conscientes de l’immensité de l’Inde, refusent de pousser plus loin encore vers l’est.

Après sa mort, son empire se délite. De 180 av. J.-C. à environ l’an 10 de notre ère, plus de trente rois hellénistiques se succèdent, souvent en conflit entre eux. Cette époque est connue dans l’histoire sous le nom des « Royaumes indo-grecs ».

L’un d’eux a été fondé lorsque le roi gréco-bactrien Démétrius envahit l’Inde en 180 avant notre ère, créant ainsi une entité faisant sécession avec le puissant royaume gréco-bactrien, la Bactriane (comprenant notamment le nord de l’Afghanistan, une partie de l’Ouzbékistan, etc.).

Pendant les deux siècles de leur règne, ces rois indo-grecs intégrèrent dans une seule culture des langues et des symboles grecs et indiens, comme en témoignent leurs pièces de monnaie, et mêlèrent les anciennes pratiques religieuses grecques, hindoues et bouddhistes, comme le montrent les vestiges archéologiques de leurs villes et les signes de leur soutien au bouddhisme.

L’Empire Maurya

Empire Maurya.

Vers 322 avant J.-C., les Grecs appelés Yona (Ioniens) ou Yavana dans les sources indiennes, participent, avec d’autres populations, au soulèvement de Chandragupta Maurya (né v. -340 et mort v. – 297), le fondateur de l’Empire maurya.

Le règne de Chandragupta ouvre une ère de prospérité économique, de réformes, d’expansion des infrastructures et de tolérance. De nombreuses religions ont ainsi prospéré dans son royaume et dans l’empire de ses descendants. Bouddhisme, jaïnisme et ajivika prennent de l’importance aux côtés des traditions védiques et brahmaniques, tout en respectant les religions minoritaires telles que le zoroastrisme et le panthéon grec.

Le règne d’Ashoka le Grand
(de 268 à 231 av. JC)

Ashoka le Grand.

L’Empire Maurya atteint son apogée sous le règne du petit-fils de Chandragupta, Ashoka le Grand, de 268 à 231 av. J.-C. (parfois écrit Asoka).

Huit ans après sa prise de pouvoir, Ashoka mène une campagne militaire pour conquérir le Kalinga, un vaste royaume côtier du centre-est de l’Inde. Sa victoire lui permet de conquérir un territoire plus vaste que celui de tous ses prédécesseurs. Grâce aux conquêtes d’Ashoka, l’Empire Maurya devient une puissance centralisée couvrant une grande partie du sous-continent indien, s’étendant de l’actuel Afghanistan à l’ouest à l’actuel Bangladesh à l’est, avec sa capitale à Pataliputra (proche de l’actuelle Patna en Inde).

Alors que l’Empire Maurya avait existé dans un certain désordre jusqu’en 185 av. J.-C., Ashoka va transformer le royaume en recourant à une violence extrême qui caractérise le début de son règne. On parle de 100 000 à 300 000 morts, rien que lors de la conquête du Kalinga !

Mais le poids d’un tel carnage plonge le roi dans une grave crise personnelle. Ashoka est gravement choqué par la multitude de vies arrachées par ses armées. L’édit N° 13 d’Ashoka reflète le profond remords ressenti par le roi après avoir observé la destruction de Kalinga :

Ashoka renonce alors aux démonstrations de force militaires et autres formes de violence, y compris la cruauté envers les animaux. Conquis par le bouddhisme, il se consacre alors à répandre sa vision du dharma, une conduite juste et morale. Il va encourager la diffusion du bouddhisme dans toute l’Inde. Selon l’archéologue et érudit français François Foucher, même si les cas de mauvais traitements envers les animaux ne disparurent pas du jour au lendemain, la croyance en la fraternité de tous les êtres vivants est plus florissante en Inde que partout ailleurs.

En 250 avant J.-C., Ashoka convoque le troisième concile bouddhique. Les sources theravâda mentionnent qu’en plus de régler les différends intérieurs, la principale fonction du concile était de planifier l’envoi de missionnaires bouddhistes dans différents pays afin d’y répandre la doctrine.

Missions bouddhistes envoyées par Ashoka.

Ces missionnaires allèrent jusqu’aux royaumes hellénistiques de l’ouest, en commençant par la Bactriane voisine. Des missionnaires furent également envoyés en Inde du sud, au Sri Lanka et en Asie du Sud-Est (peut-être en Birmanie).

La forte implication de ces missions dans l’éclosion du bouddhisme en Asie à l’époque d’Ashoka est solidement étayée par des preuves archéologiques. Le bouddhisme ne s’est pas répandu par pur hasard, mais dans le cadre d’une opération politique créative, stimulante et bien planifiée, tout au long des Routes de la soie.

Le Mahavamsa ou Grande chronique (XII, 1er paragraphe), relatant l’histoire des rois cinghalais et tamouls de Ceylan (aujourd’hui Sri Lanka), donne la liste des missionnaires bouddhistes envoyés par le Concile et Ashoka :

  • Le vieux Majjhantika prit la tête de la mission au Cachemire et au Gandhara (aujourd’hui le nord-ouest du Pakistan et l’Afghanistan) ;
  • L’aîné Mahadeva dirigea la mission dans le sud-ouest de l’Inde (Mysore, Karnataka) ;
  • Rakkhita, celle du sud-est de l’Inde (Tamil Nadu) ;
  • Le vieux Yona (Ionien, Grec) Dharmaraksita partit vers Aparantaka (« frontière occidentale », comprenant le nord du Gujarat, le Kathiawar, le Kachch et le Sindh, toutes des parties de l’Inde à l’époque) ;
  • L’aîné Mahadharmaraksita dirigea la mission de Maharattha (région péninsulaire occidentale de l’Inde) ;
  • Maharakkhita (Maharaksita Thera) fut envoyé au pays des Yona (Ioniens), probablement la Bactriane et peut-être le royaume séleucide ;
  • Majjhima Thera conduisit la mission dans la région d’Himavant (nord du Népal, contreforts de l’Himalaya) ;
  • Sona Thera et Uttara Thera, celles de Suvannabhumi (quelque part en Asie du Sud-Est, peut-être au Myanmar ou en Thaïlande) ;
  • Enfin, Mahinda, fils aîné d’Ashoka et donc le Prince de son royaume, accompagné de ses disciples Utthiya, Ittiya, Sambala et Bhaddasala, se rendit à Lankadipa (Sri Lanka).

Certaines de ces missions furent couronnées de succès, permettant d’implanter le bouddhisme en Afghanistan, au Gandhara et au Sri Lanka, par exemple.

Le bouddhisme gandharien, le gréco-bouddhisme et le bouddhisme cinghalais ont puissamment inspiré le développement du bouddhisme dans le reste de l’Asie, notamment en Chine, et ceci pendant des générations.

Si les missions dans les royaumes hellénistiques méditerranéens semblent avoir été moins fructueuses, il est possible que des communautés bouddhistes se soient établies pendant une période limitée dans l’Alexandrie égyptienne, ce qui pourrait être à l’origine de la secte dite des Therapeutae, mentionnée dans certaines sources anciennes comme Philon d’Alexandrie (v. 20 av. J.-C. – 50 apr. J.-C.).

Le courant juif des Esséniens et les Thérapeutes d’Alexandrie seraient des communautés fondées sur le modèle du monachisme bouddhique. « C’est l’Inde qui serait, selon nous, au départ de ce vaste courant monastique qui brilla d’un vif éclat durant environ trois siècles dans le judaïsme même », affirme l’historien français André Dupont-Sommer, et cette influence aurait même contribué, selon lui, à l’émergence du christianisme.

Edits d’Ashoka

Un pilier proche du stupa d’Ananda, à Vaisali en Inde.
Un pilier d’Ashoka.

Ashoka transmettait ses messages par le biais d’édits gravés sur des piliers et des rochers en divers lieux du royaume, proches des stupas, sur des lieux de pèlerinage et le long de routes commerciales très fréquentées.

Une trentaine d’entre eux ont été conservés. Ils sont souvent rédigés non pas en sanskrit, mais en grec (la langue du royaume gréco-bactrien voisin et des communautés grecques du royaume d’Ashoka), en araméen (langue officielle de l’ancien empire achéménide) ou en divers dialectes du prâkrit (une langue indo-aryenne moyenne), y compris le gândhârî ancien, langue parlée au Gandhara. (*3)

Ces édits utilisaient la langue pertinente pour la région. Par exemple, en Bactriane, ou les Grecs dominaient, on trouve près de l’actuelle Kandahar un édit rédigé uniquement en grec et en araméen.

Contenu des édits

Pilier d’Ashoka.

Certains d’entre eux reflètent l’adhésion profonde d’Ashoka aux préceptes du bouddhisme et ses relations étroites avec le Sangha, l’ordre monastique bouddhiste. Il utilise également le terme spécifiquement bouddhiste de dharma pour désigner les qualités du cœur qui sous-tendent l’action morale.

Dans son édit mineur sur rocher N° 1, le roi se déclare « adepte laïc de l’enseignement du Bouddha depuis plus de deux ans et demi », mais avoue que jusqu’ici, il n’a « pas fait grand progrès ». « Depuis un peu plus d’un an, je me suis rapproché de l’Ordre », ajoute-t-il.

Dans l’édit mineur sur rocher N° 3 de Calcutta-Bairat, il affirme : « Tout ce qui a été dit par le Bouddha a été bien dit », décrivant les enseignements du Bouddha comme le véritable dharma.

Ashoka a reconnu les liens étroits entre l’individu, la société, le roi et l’État. Son dharma peut être compris comme la moralité, la bonté ou la vertu, et l’impératif de le poursuivre lui a donné le sens du devoir. Les inscriptions expliquent que le dharma intègre la maîtrise de soi, la pureté de la pensée, la libéralité, la gratitude, la dévotion ferme, la véracité, la protection de la parole et la modération dans les dépenses et les possessions.

Le dharma a également un aspect social. Il comprend l’obéissance aux parents, le respect des aînés, la courtoisie et la libéralité envers les adorateurs de Brahma, la courtoisie envers les esclaves et les serviteurs, et la libéralité envers les amis, les connaissances et les parents.

La non-violence, qui consiste à s’abstenir de blesser ou de tuer tout être vivant, était un aspect important du dharma d’Ashoka. Ne tuer aucun être vivant est décrit comme faisant partie du bien (Édit mineur sur rocher N° 11), de même que la douceur à leur égard (Édit mineur sur rocher N° 9). L’accent mis sur la non-violence s’accompagne de l’incitation à une attitude positive d’attention, de douceur et de compassion.

Ashoka adopte et préconise une politique fondée sur le respect et la tolérance des autres religions. L’un de ses édits préconise :

Loin d’être sectaire, Ashoka, s’appuyant sur la conviction que toutes les religions partagent une essence commune et positive, encourage la tolérance et la compréhension des autres religions :

Et il précise :

Ashoka avait l’idée d’un empire politique et d’un empire moral, le second englobant le premier. Sa conception de sa circonscription s’étendait au-delà de ses sujets politiques pour inclure tous les êtres vivants, humains et animaux, vivant à l’intérieur comme à l’extérieur de son domaine politique. Ses inscriptions expriment sa conception paternelle de la royauté et décrivent ses mesures d’aide sociale, notamment la fourniture de traitements médicaux, la plantation d’herbes, d’arbres et de racines pour les hommes et les animaux, et le creusement de puits le long des routes (Edit majeur sur rocher N°2). Les efforts du roi pour propager son dharma ne se limitaient pas à son propre domaine politique, mais s’étendaient aux royaumes des autres souverains.

Le Dharmachakra, la « Roue du Dharma » ou « Roue de la Loi », est un symbole représentant la doctrine bouddhiste.

L’empereur est devenu un sage. Il dirige un gouvernement centralisé depuis Pataliputra, capitale de l’Empire Maurya. Son administration perçoit des impôts et il demande à ses inspecteurs de lui rendre des comptes. L’agriculture se développe grâce à des canaux d’irrigation. Il fait construire des routes de qualité pour relier les points stratégiques et les centres politiques, exigeant, des siècles avant notre grand Sully en France, qu’elles soient bordées d’arbres d’ombrage, de puits et d’auberges.

Si l’existence même d’Ashoka en tant que personnage historique a été quasiment oubliée, depuis le déchiffrement de sources écrites en brahmi au XIXe siècle, il est désormais considéré comme l’un des plus grands empereurs indiens. La roue bouddhiste d’Ashoka figure d’ailleurs sur le drapeau indien.

Comme nous l’avons déjà dit, Ashoka et ses descendants ont utilisé leur pouvoir pour construire des monastères et répandre l’influence bouddhiste en Afghanistan, dans de vastes régions de l’Asie centrale, au Sri Lanka et, au-delà, en Thaïlande, Birmanie, Indonésie, puis en Chine, en Corée et au Japon.

Des statues en bronze de son époque ont été déterrées dans les jungles d’Annam, de Bornéo et des Célèbes. La culture bouddhiste s’est implantée dans l’ensemble de l’Asie du Sud-Est, même si chaque région a su conserver une partie de sa personnalité et de son caractère propres.

L’Empire Kouchan
(du Ier siècle av. JC au IIIe siècle)

L’Empire Kouchan.

L’Empire Maurya, qui régnait sur la Bactriane et d’autres anciennes satrapies grecques, s’effondra en 185 avant J.-C., à peine cinq décennies après la mort d’Ashoka, accusé d’avoir trop dépensé pour les temples et les missions bouddhistes. Les mafias brahmaniques, qui avaient abhorré son règne, revinrent immédiatement au pouvoir.

Mais la période est turbulente. Au premier siècle avant J.C., les Kouchans, l’une des cinq branches de la confédération nomade chinoise Yuezhi, émigrent du nord-ouest de la Chine (Xinjiang et Gansu) et s’emparent, après les nomades iraniens Saka, de l’ancienne Bactriane.

Ils forment l’Empire kouchan dans les territoires de la Bactriane. Cet empire s’étend assez vite à une grande partie de ce qui est aujourd’hui l’Ouzbékistan, l’Afghanistan, le Pakistan et le nord de l’Inde, au moins jusqu’à Saketa et Sarnath, près de la ville de Varanasi (Bénarès).

Bénarès (Varanasi).

Le fondateur de la dynastie kouchane, Kujula Kadphisès, qui suit les idées culturelles et l’iconographie grecques après la tradition gréco-bactrienne, est un adepte de la secte shivaïte de l’hindouisme. Deux rois kouchans ultérieurs, Vima Kadphisès et Vasudeva II, furent également des mécènes de l’hindouisme et du bouddhisme. La patrie de leur empire se trouvait en Bactriane, où le grec était initialement la langue administrative, avant d’être remplacé par le bactrien écrit en caractères grecs jusqu’au VIIIe siècle, lorsque l’islam le remplace par l’arabe.

Kanishka le Grand.

Les Kouchans devinrent également de grands mécènes du bouddhisme, en particulier l’empereur Kanishka le Grand (78-144 après J.-C.), qui joua un rôle important dans sa diffusion, via les Routes de la soie, vers l’Asie centrale et la Chine, inaugurant une période de paix relative de 200 ans, parfois décrite comme la « Pax Kouchana ».

Il semble également que dès ses débuts, le bouddhisme ait prospéré dans la classe des marchands, à qui la naissance interdisait l’accès aux ordres religieux de l’Inde et de l’Himalaya. La pensée et l’art bouddhistes se développèrent grâce aux routes commerciales entre l’Inde, l’Himalaya, l’Asie centrale, la Chine, la Perse, l’Asie du Sud-Est et l’Occident. Les voyageurs recherchaient la protection des images bouddhistes et faisaient des offrandes aux sanctuaires le long de la route, ramassant des objets et des sanctuaires portables pour leur usage personnel.

Le terme quatrième concile bouddhiste désigne deux évènements différents selon les écoles theravâda et mahâyâna.

1) La tradition theravâda : afin d’éviter que ne se perde l’enseignement du Bouddha, qui se serait jusqu’alors transmis oralement, cinq cents moines menés par le Vénérable Maharakkhita se réunirent à Tambapanni (Sri Lanka), sous le patronage du roi Vattagamani (r. 103 – 77 av. J.-C.) afin de coucher par écrit sur des feuilles de palme le Canon pâli. (*4)

Le travail, qui aurait duré trois ans, se serait déroulé dans la grotte Aloka lena, près de l’actuel Matale.

2) Selon la tradition mahâyâna, c’est 400 ans après l’extinction du Bouddha que cinq cents moines sarvastivadin se réunirent en 72 après J.-C. au Cachemire pour compiler et clarifier leurs doctrines sous la direction de Vasumitra et sous le patronage personnel de l’empereur Kanishka. Ils auraient ainsi produit le Mahavibhasa (Grande exégèse) en sanskrit.

Selon plusieurs sources, le moine bouddhiste indien Asvaghosa, considéré comme le premier dramaturge classique sanskrit et dont nous avons évoqué plus haut les attaques contre le système des castes, était le conseiller spirituel du roi Kanishka dans les dernières années de sa vie.

Parmi les plus anciens manuscrits bouddhiques trouvés au Gandhara, un des vingt-sept rouleaux d’écorce de bouleau acquis par la British Library en 1994 et datant du Ier siècle.

A noter que les plus anciens manuscrits bouddhiques découverts à ce jour, tels que les vingt-sept rouleaux d’écorce de bouleau acquis par la British Library en 1994 et datant du Ier siècle, ont été trouvés, non pas en Inde, mais enterrés dans les anciens monastères du Gandhara, la région centrale de l’empire maurya et kouchan, qui comprend les vallées de Peshawar et de Swat (Pakistan) et s’étend vers l’ouest jusqu’à la vallée de Kaboul en Afghanistan et vers le nord jusqu’à la chaîne du Karakoram

Ainsi, après le grand élan donné par le roi Ashoka le Grand, la culture du Gandhara connaîtra un second souffle sous le règne du roi kouchan Kanishka Ier.

Les villes de Begram, Taxila, Purushapura (aujourd’hui Peshawar) et Surkh Kotal atteignent alors des sommets de développement et de prospérité.

Le miracle de Gandhara

C’est peu dire que le Gandhara, surtout à l’époque kouchane, fut au cœur d’une véritable renaissance de la civilisation, avec une incroyable concentration de productions artistiques et une inventivité sans pareil. Si l’art bouddhiste était principalement centré sur les temples et les monastères, les objets de dévotion personnelle étaient très courants.

Grâce à l’art du Gandhara, le bouddhisme se mua en une grande force de beauté, d’harmonie et de paix, conquérant le monde.

Il favorisa alors une création artistique qui élève la pensée et la moralité en faisant appel à des paradoxes métaphoriques.

Les médiums et supports qui prévalent sont la peinture sur soie, les fresques, les livres illustrés et gravures, la broderie et autres arts du tissu, la sculpture (bois, métal, ivoire, pierre, jade) et l’architecture. Quelques exemples :

A. La poésie

Diffusion du bouddhisme dans le monde.

Pour la plupart des Occidentaux, le bouddhisme est une émanation typique de la culture asiatique, généralement associée à l’Inde, au Tibet, au Népal, mais aussi à la Chine et à l’Indonésie.

Peu de gens savent que les plus anciens manuscrits bouddhistes connus à ce jour (Ier siècle de notre ère) ont été découverts, non pas en Asie, mais en Asie centrale, dans d’anciens monastères bouddhistes du Gandhara.

A l’origine, avant leur transcription en sanskrit (pendant longtemps la langue des élites), ils étaient écrits en gândhârî, une langue indo-aryenne du groupe prâkrit, transcrit avec l’alphabet kharosthi (une ancienne écriture indo-iranienne). Le gândhârî était la lingua franca de la pensée bouddhiste à ses débuts. Preuve en est, les manuscrits bouddhistes écrits en gândhârî qui ont voyagé jusqu’en Chine orientale pour se retrouver dans les inscriptions de Luoyang et d’Anyang.

Grottes de Longmen à Lyoyang en Chine.

Afin de préserver leurs écrits, les bouddhistes étaient à l’avant-garde de l’adoption des technologies chinoises liées à la fabrication de livres, notamment le papier et la xylographie. Cette technique d’impression consiste à reproduire le texte à imprimer sur une feuille de papier transparente qui est retournée et gravée sur une planche de bois tendre. L’encrage des parties saillantes permet ensuite des tirages multiples. C’est ce qui explique que le premier livre entièrement imprimé est le Sutra du diamant bouddhique (vers 868) réalisé par ce procédé

Le Khaggavisana Sutta, littéralement « la corne du rhinocéros », est une expression authentique de la poésie religieuse bouddhiste originale. Connu sous le nom de Sutra du rhinocéros, cette œuvre poétique fait partie du recueil pâli de textes courts Kuddhhaka Nikava, la cinquième partie du Sutta Pitaka, écrit au Ier siècle de notre ère.

Parce que la tradition accorde au rhinocéros asiatique une vie solitaire dans la forêt, l’animal n’aime pas les troupeaux, ce sutra (enseignement) porte le titre approprié d’essai « sur la valeur de la vie solitaire et errante ». L’allégorie du rhinocéros permet de communiquer aux dévots un sens aigu de la souveraineté individuelle que requièrent les engagements moraux prescrits par le Bouddha pour mettre fin à la souffrance en se déconnectant des plaisirs et des douleurs terrestres.

Extrait :

Refuser la violence à l’égard de tous les êtres,
ne jamais faire de mal à un seul d’entre eux,
aider avec compassion et un cœur aimant ;
erre seul comme un rhinocéros.

Celui qui tient compagnie nourrit l’affection
et de l’affection naît la souffrance.
Réalisant le danger qui découle de l’affection,
erre seul comme un rhinocéros.

En sympathisant avec les amis et les compagnons,
l’esprit se fixe sur eux et perd son chemin.
Percevoir ce danger, c’est la familiarité,
erre seul comme un rhinocéros.

Les préoccupations que l’on a pour ses fils et ses femmes
sont comme une pensée et un bambou enchevêtré.
Reste démêlé comme un jeune bambou,
erre seul comme un rhinocéros.

Comme un cerf qui erre librement dans la forêt,
va où il veut en broutant,
un homme sage, qui chérit sa liberté,
erre seul comme le rhinocéros.

Laissez derrière vous vos fils, vos femmes et votre argent,
tous vos biens, vos parents et vos amis.
Abandonnez tous vos désirs, quels qu’ils soient,
erre seul comme le rhinocéros. (…)

B. La littérature

Deux autres chefs-d’œuvre tirés du même recueil sont d’une part les célèbres Jataka (Récits des vies antérieures du Bouddha), et d’autre part, le Milindapanha (Les questions du roi Milinda).

Les Jataka, qui mettent en scène de nombreux animaux, montrent comment, avant la dernière incarnation humaine au cours de laquelle il atteignit le nirvana, le Bouddha lui-même s’était réincarné d’innombrables fois en animal (en diverses sortes de poissons, en crabe, coq, pivert, perdrix, francolin, caille, oie, pigeon, corbeau, zèbre, buffle, plusieurs fois en singe ou en éléphant, en antilope, cerf et cheval).

Et puisque c’est Bouddha qui est incarné dans cet animal, celui-ci a soudainement des propos d’une grande sagesse.

Mais en d’autres occasions, ce sont des personnages qui sont des animaux alors que notre Bodhisattva apparaît sous forme humaine. Ces contes sont souvent pimentés d’un humour piquant. On sait d’ailleurs qu’elles ont inspiré La Fontaine, qui a dû les entendre du docteur François Bernier, qui les avait lui-même apprises alors qu’il était médecin en Inde pendant huit ans.

Les questions du roi Milinda est un compte-rendu imagé, véritable dialogue platonicien entre le roi grec de Bactriane, Milinda (le Grec, Ménandre), qui régnait au Pendjab, et le sage bouddhiste Bhante Nagasena. Leur dialogue animé, dramatique et spirituel, éloquent et inspiré, explore les divers problèmes de la pensée et de la pratique bouddhistes du point de vue d’un intellectuel grec perspicace, à la fois perplexe et fasciné par la religion étrangement rationnelle qu’il découvre sur le sous-continent indien.

Par le biais de paradoxes, Nagasena amène le « rationaliste » grec à s’élever jusqu’à la dimension spirituelle, au-delà de la logique et de la simple rationalité. Car le nirvana, tout comme l’espace, n’a « pas de cause » formelle et, bien qu’il peut se produire, « ne peut pas être causé ». Mince, comment faire alors pour y aboutir ?

Et à l’un de ses disciples qui un jour lui posa la question de savoir si l’univers était fini ou infini, éternel ou non, si l’âme était distincte du corps, ce que devenait l’homme après la mort, le Bouddha répondit par une parabole :

C. Urbanisme

Ruines de Taxila.

Taxila ou Takshashila (aujourd’hui au Pendjab), l’un des grands centres urbains et, pendant un certain temps, la capitale du Gandhara, fut fondée vers 1000 avant J.-C. sur les ruines d’une cité datant de la période Harappa et située sur la rive orientale de l’Indus, point de jonction entre le sous-continent indien et l’Asie centrale.

Certaines ruines de Taxila datent de l’époque de l’empire perse achéménide, suivi successivement par l’Empire Maurya, le royaume indo-grec, les Indo-Scythes et l’empire kouchan.

D’après certains témoignages, l’université de l’ancienne Taxila (des siècles avant l’université bouddhiste résidentielle de Nalanda fondée en 427 après J.-C.) peut être considérée comme l’un des premiers centres d’enseignement d’Asie du Sud. Dès 800 av. J.-C., la ville fonctionnait en grande partie comme une université, offrant des études supérieures. Avant d’y être admis, les étudiants devaient avoir terminé ailleurs leurs études primaires et secondaires. L’âge minimum requis était de seize ans. Non seulement les Indiens, mais aussi les étudiants de contrées voisines comme la Chine, la Grèce et l’Arabie affluaient dans cette ville d’apprentissage.

Chanakya.

Vers 321 avant J.-C., c’est le grand philosophe, enseignant et économiste du Gandhara, Chanakya (375 à 283 av. J.-C.) qui aida le premier empereur maurya, Chandragupta, à accéder au pouvoir.

Sous la tutelle de Chanakya, Chandragupta avait reçu une éducation complète à Taxila, englobant les différents arts de l’époque, y compris l’art de la guerre, pendant sept à huit ans.

En 303 avant J.-C., Taxila tomba entre leurs mains et sous Ashoka le Grand, le petit-fils de Chandragupta, la ville devint un grand centre de l’enseignement et de l’art bouddhiste.

Chanakya, dont les écrits n’ont été redécouverts qu’au début du XXe siècle et qui fut le principal conseiller des deux empereurs Chandragupta et de son fils Bindusara, est considéré comme ayant joué un rôle majeur dans l’établissement de l’Empire Maurya.

Également connu sous les noms de Kauṭilya et Vishnugupta, Chanakya est l’auteur de l’Arthashastra, un traité politique sanskrit sur l’art de gouverner, la science politique, la politique économique et la stratégie militaire. L’Arthashastra aborde également la question d’une éthique collective assurant la cohésion de la société.

Il conseille au roi de lancer de grands projets de travaux publics dans les régions dévastées par la famine, les épidémies et autres catastrophes naturelles, ou par la guerre, tels que la création de voies d’irrigation et la construction de forts autour des principaux centres de production et villes stratégiques, et d’exonérer d’impôts les personnes touchées par ces catastrophes.

Au IIe siècle avant notre ère, Taxila fut annexée par le royaume indo-grec de Bactriane qui y érigea une nouvelle capitale nommée Sirkap, où des temples bouddhistes côtoyaient des temples hindous et grecs, signe de tolérance religieuse et de syncrétisme. Sirkap fut construite selon le plan quadrillé hippodamien (*5) caractéristique des villes grecques

Elle s’organise autour d’une avenue principale et de quinze rues perpendiculaires, couvrant une surface d’environ 1200 mètres sur 400, avec un mur d’enceinte de 5 à 7 mètres de large et de 4,8 kilomètres de long.

Après sa construction par les Grecs, la ville fut reconstruite lors des incursions des Indo-Scythes, puis par les Indo-Parthiens, après un tremblement de terre en l’an 30 de notre ère.

Certaines parties de la ville, notamment le stupa (reliquaire) bouddhiste de l’aigle bicéphale et le temple du dieu Soleil, furent construites par Gondophares, le premier roi du royaume indo-parthien. Enfin, des inscriptions datant de l’an 76 de notre ère démontrent que la ville était déjà passée sous la domination des Kouchans. Le souverain kouchan Kanishka érigera Sirsukh, à environ 1,5 km au nord-est de l’ancienne Taxila.

Des sutras bouddhistes de la région du Gandhara sont étudiés en Chine dès 147 de notre ère, lorsque le moine kouchan Lokakṣema (né en 147) commença à traduire en chinois certains des premiers sutras bouddhistes. Les plus anciennes de ces traductions montrent qu’elles ont été faites à partir de la langue

D. Architecture, l’invention des stupas

Le stupa de Sanchi.

A l’origine, les édifices religieux sous forme de stupa (reliquaire) ont été érigés en Inde comme monuments commémoratifs associés à la conservation des reliques sacrées du Bouddha.

Construits en forme de dôme, ils sont entourés d’une balustrade qui sert de rampe pour la circumambulation rituelle. On accède à la zone sacrée par des portes situées aux quatre points cardinaux. Les stupas se situent souvent à proximité de sites funéraires préhistoriques beaucoup plus anciens, associés notamment à la Civilisation de la vallée de l’Indus.

Site de Garnal Sarhi, Gandhara, Pakistan.

Des grilles et des portails en pierre, recouverts de sculptures, leur ont été ajoutés. Les thèmes favoris sont les événements de la vie historique du Bouddha, ainsi que de ses vies antérieures, au nombre de 550, décrites avec beaucoup d’ironie dans les Jatakas. (Voir B)

Les bas-reliefs des stupas sont comme des bandes dessinées qui nous racontent la vie quotidienne et religieuse du Gandhara : amphores, coupes à vin (kantaros), bacchanales, instruments de musique, vêtements grecs ou indiens, ornements, coiffures arrangées à la grecque, artisans, leurs outils, etc.

Sur un vase trouvé à l’intérieur d’un stupa, on trouve l’inscription d’un Grec, Théodore, gouverneur civil d’une province au Ier siècle avant J.-C., expliquant en alphabet kharosthi comment les reliques ont été déposées dans le stupa.

On pense que de nombreux stupas datent de l’époque d’Ashoka, comme celui de Sanchi (Inde centrale) ou de Kesariya (Inde de l’Est), où il a également érigé des piliers avec ses édits, et peut-être ceux de Bharhut (Inde centrale), Amaravati (sud-est de l’Inde) ou Dharmarajika (Taxila) dans le Gandhara (Pakistan).

Selon la tradition bouddhiste, l’empereur Ashoka aurait récupéré les reliques du Bouddha dans des stupas plus anciens et en aurait fait ériger 84 000 pour répartir l’ensemble de ces reliques sur tout le territoire indien.

Marchant dans les pas d’Ashoka, Kanishka ordonna la construction à Purushapura (Peshawar) du grand stupa de 400 pieds qui figure parmi les plus hauts édifices du monde antique.

Stupa de Kesanya.

Les archéologues qui en ont redécouvert la base en 1908-1909 ont estimé que ce stupa avait un diamètre de 87 mètres. Selon les rapports de pèlerins chinois tels que Xuanzang, il faisait environ 200 mètres de haut et était recouvert de pierres précieuses. Sous les Kouchans également, d’immenses statues du Bouddha furent érigées dans les monastères ou sculptées à flanc de colline.

E. Sculpture

PERIODE ANICONIQUE

Il est important de rappeler que dans les premiers temps, Bouddha n’était jamais représenté sous forme humaine.

Représentations aniconiques de Bouddha.

Pendant plus de quatre siècles, sa présence est simplement suggérée par des éléments symboliques tel qu’une empreinte de pieds, une fleur de lotus (indiquant la pureté de sa naissance), une roue à huit rayons (symbolisant la dharma), un trône vide, un espace inoccupé sous un parasol, un cheval sans cavalier ou encore le figuier sous lequel il a atteint le nirvana.

–FIN DE L’ANICONISME

Ce qui a conduit les bouddhistes à renoncer aux représentations aniconiques reste un vaste mystère. Un tel développement est assez unique dans l’histoire des religions. Imaginons soudainement les musulmans promouvant des statues du prophète Mohammed !

Les explications avancées jusqu’ici nous laissent sur la faim.

Pour les uns, les bouddhistes auraient voulu séduire une clientèle grecque, mais aussi bien les populations grecques que le bouddhisme était au Gandhara bien avant la révolution iconographique en question.

Pour les autres, les pratiquants, en l’absence de Bouddha lui-même, auraient cherché désespérément un centre d’intérêt visuel, soit une statue, une peinture ou mêmes quelques cheveux… Ces représentations symboliques, on l’a vu, répondaient à cette demande.

Bouddha, rapporte-t-on, aurait refusé qu’il soit représenté d’aucune façon, craignant de voir prospérer l’idolâtrie.

Avec le temps, le bouddhisme va évoluer. Au Gandhara, c’est le bouddhisme mahâyâna (Grand Véhicule) qui s’épanouit. Pour ce courant, l’objectif ne se limite plus à atteindre le nirvana à titre personnel mais de libérer toute l’humanité de la souffrance.

Si pour le bouddhisme theravâda, Siddhartha Gautama n’était qu’un homme éclairé donnant l’exemple, pour le bouddhisme mahâyâna, il s’agit indubitablement, avec Bouddha, d’une tentative (réussie) de personnifier le dharma (la force spirituelle omniprésente, le principe ultime et suprême de la vie) dans la conception du premier de tous les bouddhas. Une sorte de Jésus, un dieu devenu homme pour ainsi dire…

Comme plus tard Jésus dans le christianisme à partir du Ve siècle, Bouddha pouvait dès lors être représenté sous une forme humaine.

Certains bouddhas du Gandhara représentent également des états d’âme spécifiques, tels que la sagesse, la tendresse et la compassion.

Contrairement à de nombreux artistes chrétiens chez nous, qui, conformément à la doxa, ont représenté le Christ souffrant sur la Croix (événement fondamental de la foi chrétienne), les artistes du Gandhara présentent Bouddha comme un être totalement détaché de la douleur humaine, regardant avec compassion l’humanité tout entière.

Le but étant d’éliminer la souffrance chez tous les hommes, la compassion n’est pas une notion passive chez les bouddhistes. Ce n’est pas seulement de l’empathie, mais plutôt un altruisme empathique qui s’efforce activement de libérer les autres de la souffrance, un acte de bienveillance empreinte à la fois de sagesse et d’amour.

DIFFERENCES DE FORME, DIFFERENCE DE CONTENU

Avant de discuter de leurs différences, pour faire simple, distinguons ici, parmi tant d’autres, quatre types de représentations de bouddha:

  1. L’école dite « greco-bouddhique » de Gandhara produite dans la région qui va de Hadda (Afghanistan) à Taxila (Pundjab) en passant par Peshawar (Pakistan);
  2. L’école dite « indo-bouddhique » de Mathura;
  3. L’école d’Andra Pradesh, au sud de l’Inde;
  4. L’école de la période Gupta (3e au 5e siècle).

1. Greco-Bouddhique au Gandhara

Le terme « greco-bouddhique », renvoie à la thèse de l’archéologue Alfred Foucher (1865-1952) soutenue à la Sorbonne en 1905 sur l’art du Gandhara.

Comme l’écrivait André Malraux (1901-1976) dans les « Voix du silence », en 1951, l’art gréco-bouddhique est cette rencontre entre hellénisme et bouddhisme. Au lieu de dire que l’art venu de Grèce s’était métamorphosé en art bouddhique comme le disait Malraux, je pense plutot qu’au Gandhara, c’est l’art bouddhique qui s’est approprié le meilleur de l’esthétique indienne, grecque et des steppes.

Cependant, Foucher avait raison d’insister, contre ses amis anglais, qu’il s’agit bien d’une influence hellénique et non pas romaine. De leur coté, avec l’Inde s’émancipant de l’Empire britannique, les savants indiens ont tenté de valider la thèse d’une création autochtone de l’image de Buddha, opposant au style du Gandhara, que Foucher voulait gréco-bouddhique, le style de Mathura, dans la région de Delhi, lui aussi englobé dans l’empire des Kouchans, et vu par certains comme contemporain, même s’il est beaucoup moins prolixe que l’art du Gandhara.

L’art du Gandhara prit véritablement son essor à l’époque kouchane, et plus particulièrement sous le règne du roi Kanishka.

Des milliers d’images furent produites et répandues dans tous les coins de la région, depuis les bouddhas portatifs jusqu’aux statues monumentales des lieux de culte sacrés.

Au Gandhara, pour figurer Bouddha, on représente d’une façon très réaliste une belle personne, souvent un jeune homme, voire une femme. La charge spirituelle est telle que le genre n’est plus essentiel. On ne sait pas s’il s’agit de beaux portraits pris sur le vif, ou de purs fruits de l’imagination des artistes.

Bouddha y est souvent montré en posture méditative afin d’évoquer le moment où il atteint le nirvana.

Couronné d’une auréole, le visage grave ou souriant, les yeux mi-clos, il irradie la lumière. Plein de sérénité, il incarne le détachement, la concentration, la sagesse et la bienveillance.

Ses cheveux en chignon (l’ushnisha) au sommet du crâne indiquent qu’il est doué d’une connaissance supramondaine. Le point noire entre les deux yeux symbolise le troisième œil, celui de l’éveil.

Dans certaines sculptures, cette cavité contient une perle de cristal, symbole de lumière irradiante. Les lobes d’oreilles sont allongés et servent à accueillir les lourds bijoux que portait autrefois le jeune prince Siddhartha, durant sa jeunesse princière.

Le positionnement des mains, comme dans le reste de l’art indien, répond à des codes. Il peut s’agir de « l’abhayamudra », le geste qui rassure, la paume de la main tournée vers l’extérieur ; de la « varamudra », qui symbolise le don, la main pendante et ouverte avec le bras à demi plié, ou encore de la « vitarkamudra », qui symbolise l’argumentation, la main levée à hauteur de la poitrine, à demi fermée, paume en avant, l’index recourbé vers le pouce.

Au Gandhara, Bouddha est vêtu d’un manteau monastique qui lui couvre les deux épaules. L’étoffe n’est ni taillée, ni cousue, mais simplement drapée à la grecque autour du corps. Les plis à peine stylisés suivent les volumes naturels.

Le roi Kanitscha encouragea à la fois l’école d’art gréco-bouddhique du Gandhara (à Taxila, Peshawar et Hadda) et l’école indo-bouddhique (à Mathura, plus proche de l’Inde).

2. Ecole de Mathura

A Mathura, les artistes ont produit un Bouddha très différent. Son corps est dilaté par le souffle sacré (prana) et sa robe monastique est drapée à l’indienne de manière à laisser l’épaule droite dénudée.

On pense que les artistes, pour plaire à un public local, se sont inspirés des statues de yaksha, des esprits de la nature.

Dans les mythologies hindoue, jaïne et bouddhiste, le yakṣha a une double personnalité.

D’un côté, ce peut être une fée de nature inoffensive, associée aux forêts et aux montagnes ; mais il existe une version beaucoup plus sombre du yakṣa, qui est une sorte d’ogre, de fantôme ou de démon anthropophage qui harcèle et dévore les voyageurs.

3. Ecole d’Andrah Pradesh

Un troisième type de bouddha influent s’est développé dans l’Andhra Pradesh, au sud de l’Inde, où des représentations aux proportions imposantes, au visage grave, sans sourire, sont vêtues de robes qui laissent également apparaître l’épaule droite.

Ces sites méridionaux ont servi d’inspiration artistique à la terre bouddhiste du Sri Lanka, à la pointe sud de l’Inde, et les moines sri-lankais s’y rendaient régulièrement. Un certain nombre de statues de ce style se sont également répandues dans toute l’Asie du Sud-Est.

4. Ecole Gupta

La période Gupta, du IVe au VIe siècle de notre ère, dans le nord de l’Inde, souvent qualifiée d’âge d’or, est supposée avoir synthétisé les deux courants. En réalité, en cherchant une image idéale, elle a sombré dans le maniérisme. Les bouddhas gupta ont les cheveux disposés en petites boucles individuelles et leur tunique arbore un réseau de cordelettes suggérant les plis des draperies (comme à Mathura).

Avec leurs yeux baissés et leur aura spirituelle, les bouddhas gupta deviendront le modèle des futures générations d’artistes, que ce soit dans l’Inde post-Gupta et Pala ou au Népal, en Thaïlande et en Indonésie.

Des statues métalliques gupta du Bouddha, emportées par les pèlerins, ont également été disséminées le long de la Route de la soie jusqu’en Chine.

Mais les Bouddhas du Gandhara sont uniques et vraiment à part. Ce sont de véritables individualités échappant à toute codification et aux normes. Ils ont été fabriqués par des artistes habités d’une spiritualité élevée, explorant de nouvelles frontières de la beauté, du mouvement et de la liberté, et non produisant des objets pour satisfaire un marché émergent.

Aujourd’hui, Pakistanais, Indiens, Afghans et Européens aiment à se quereller. Tous prétendent avoir été les principaux parrains et auteurs du « miracle de Gandhara », mais peu se demandent comment il s’est produit.

Dès le Ier siècle avant J.-C., les artistes locaux délaissent les matériaux périssables avec lesquels ils travaillaient, comme la brique, le bois, le chaume et le bambou, pour adopter la pierre. Le nouveau matériau utilisé était principalement une pierre de schiste allant du gris clair au gris foncé (dans la vallée de la rivière Kaboul et la région de Peshawar). Les périodes ultérieures se caractérisent par l’utilisation du stuc et de l’argile (spécialité de Hadda).

Les techniques utilisées pour les sculptures et les pièces de monnaie du Gandhara sont très proches de celles de la Grèce. Ont-elles été créées par des sculpteurs grecs itinérants ou par des artistes locaux qu’ils ont formés ? Rien n’a été prouvé, mais est-ce vraiment important ?

Lorsque l’Asie rencontre la Grèce

Examinons maintenant des expressions artistiques attestant la belle rencontre entre la culture hellénique et les cultures indiennes et locales.

A. Pièces de monnaie kouchanes


Tout en soutenant toutes les religions qu’il jugeait dignes, Kanishka ne cachait pas sa préférence pour le bouddhisme.

Une pièce d’or datant de 120 après J.-C. montre le roi vêtu d’un lourd manteau kouchan et de longues bottes, des flammes sortant de ses épaules, un étendard dans la main gauche et faisant un sacrifice sur un autel, avec cette légende en caractères grecs : « Roi des rois, Kanishka le Kouchan. » Le revers de la même pièce représente un bouddha debout, en costume grec, faisant de la main droite le geste « ne craignez rien » (abhaya mudra) et tenant un pli de sa robe dans la main gauche. La légende en caractères grecs se lit désormais ΒΟΔΔΟ (Boddo), pour Bouddha.

B. Reliquaire bimaran

Reliquaire Bimaran.

Un véritable thème classique du répertoire de tout artiste de l’époque consiste à montrer Bouddha entouré, accueilli et protégé des divinités d’autres croyances et de religions plus anciennes. La plus ancienne représentation de ce type connue à ce jour figure sur un reliquaire trouvé dans le stupa de Bimaran, au nord-ouest du Gandhara.

Sur cette petite urne en or, généralement datée de 50-60 après J.-C., figure, à l’intérieur de niches voûtées d’architecture gréco-romaine, une représentation hellénistique du Bouddha (coiffure, contrapposto, himation d’élite, etc.), entourée des divinités indiennes Brahma et Sakra.

Tout comme Ashoka, Kanishka, presque laïque, entendait régner, non pas contre mais avec, et surtout au-dessus de toutes les religions. Ainsi, à l’occasion, les divinités grecques, représentées sur les pièces de monnaie (Zeus, Apollon, Héraclès, Athéna, etc.), côtoient les divinités du védisme, du zoroastrisme et du bouddhisme.

Autre exemple, à Ellora, au centre de l’Inde, la grotte et le temple taillés dans le roc où se côtoient les représentants des trois religions (bouddhisme, hindouisme et jaïnisme).

C. Triade de Hadda

La « triade de Hadda ».
Tête de bouddha, monastère de Tapa Shotor, Hadda.

Un autre exemple exquis de cet art gandharien est un groupe sculptural connu sous le nom de Triade de Hadda, excavé à Tapa Shotor, un grand monastère sarvastivadin près de Hadda en Afghanistan, datant du IIe siècle après J.-C.

Pour donner une idée de son activité, ce sont quelque 23 000 sculptures gréco-bouddhiques, en argile et en plâtre, qui ont été mises au jour rien qu’à Hadda, entre les années 1930 et 1970.

Le site, fortement endommagé lors des dernières guerres, possédait de belles statues, notamment un bouddha assis, vêtu d’une chlamyde grecque (manteau blanc), les cheveux bouclés, accompagné d’Héraclès et de Tyché (déesse grecque de la fortune et de la prospérité), vêtue d’un chiton (robe à la grecque) et tenant une corne d’abondance.

Seule adaptation aux traditions locales de l’iconographie grecque, Héraclès tient en main, non plus son habituelle massue, mais la foudre de Vajrapani (du sanskrit vajra, signifiant « foudre », et pani « en main »), l’une des trois premières divinités protectrices entourant le Bouddha.

C’est un bodhisattva. Il apparaît dès le IIe siècle dans l’iconographie mahāyāna comme doué d’une grande force et comme protecteur du Bouddha. Dans l’art gréco-bouddhique il ressemble à Héraclès ou Zeus, tenant en main une courte massue en forme de vajra, un foudre stylisé. On l’identifie au protecteur, « puissant comme un éléphant », qui aurait veillé sur Bouddha à sa naissance.

Une autre statue rappelle le portrait d’Alexandre le Grand.

Une statue rappelle le portrait d’Alexandre le Grand.

De cet ensemble sculptural, il ne reste malheureusement que des photographies.

Selon l’archéologue afghan Zemaryalai Tarzi, le monastère de Tapa Shotor, avec ses sculptures en argile datées du IIe siècle de notre ère, représente le « chaînon manquant » entre l’art hellénistique de Bactriane et les sculptures en stuc plus tardives trouvées à Hadda, généralement datées du IIIe-IVe siècle de notre ère.

Traditionnellement, l’afflux d’artistes, maître de l’art hellénistique, a été attribué à la migration des populations grecques des villes gréco-bactriennes d’Aî-Khanoum et de Takht-I-Sangin (Nord de l’Afghanistan).

Génie aux fleurs, Hadda.

Tarzi suggère que les populations grecques se sont établies dans les plaines de Jalalabad, qui comprennent Hadda, autour de la ville hellénistique de Dionysopolis, et qu’elles sont à l’origine des créations bouddhistes de Tapa Shotor, au IIe siècle de notre ère.

Les colons grecs restés au Gandhara (les Yavanas) après le départ d’Alexandre, soit par choix, soit en tant que populations condamnées à l’exil par Athènes, ont grandement embelli les expressions artistiques de leur nouvelle spiritualité.

Offrant fraîcheur, poésie et un sens du mouvement spectaculairement moderne, les premiers artistes bouddhistes du Gandhara, saisissant des instants de « mouvement-changement » permettant à l’esprit humain d’appréhender un saut vers la perfection, sont une contribution inestimable à la culture de l’humanité tout entière. N’est-il pas temps de reconnaître ce magnifique travail ?

D. Prendre la terre à témoin

Parmi les autres types productions artistiques de Gandhara, ce magnifique bas-relief, aujourd’hui conservée au musée de Cleveland, illustre la lutte du Bouddha pour atteindre le nirvana.

L’arbre (replanté à plusieurs reprises) de la Bodhi, à Bodhgaya en Inde.

Au centre de la composition se trouve l’arbre de la Bodhi, sous lequel le Bouddha atteignit l’illumination. Ce figuier sacré est vénéré depuis des temps ancestraux par les villageois locaux, car il passe pour être la résidence d’une divinité de la nature. L’autel lui-même est recouvert de kusha, herbe utilisée pour des offrandes sacrificielles.

Il y a environ 2500 ans, après être resté en méditation pendant 49 jours, assis sous cet arbre, le Bouddha est défié par des démons cauchemardesques qui remettent en cause l’authenticité de son illumination.

Leur chef Mara (littéralement, la mort), qui se tient à droite dans une posture arrogante, entouré de ses filles, fait tout pour empêcher Bouddha d’atteindre le nirvana (l’éveil).

Il le menace et encourage ses propres filles à le séduire. Innocemment, il lui demande s’il est sûr de pouvoir trouver quelqu’un pour témoigner qu’il a véritablement atteint le nirvana. En réponse à ce défi, le Bouddha touche alors la terre et la prend à témoin.

Selon la mythologie, la jeune déesse de la Terre surgit alors du sol et commença à essorer les eaux déferlant de ses cheveux pour noyer Mara. Sur la sculpture, on peut la voir, toute petite, au pied de l’autel, agenouillée devant Bouddha en signe de révérence. Elle a également pris forme humaine en sortant de terre. Les anciennes religions interviennent ici pour défendre et protéger la nouvelle, celle de Bouddha.

Semblant, eux aussi, regretter les anciens dieux et déesses de leur panthéon, les Indiens convertis au bouddhisme les ajoutent au-dessus de la tête de Bouddha ou à côté, comme, par exemple, le dieu védique Indra.

E. Tous bodhisattva ?

Trois Bodhisattvas de Gandhara.

Enfin, pour conlure cette section sur la sculpture, deux mots sur le bodhisattva, figure très intéressante sortie de l’imaginaire bouddhiste pour rendre la spiritualité bouddhiste accessible au citoyen ordinaire.

Il peut s’agir soit d’une représentation de Bouddha en personnage princier orné de bijoux, avant son renoncement à la vie de palais, soit d’un humain ordinaire, déjà conscient qu’il est sur la voie de l’illumination et qu’il est devenu un outil au service du bien.

Animé d’altruisme et obéissant les disciplines destinées aux bodhisattvas, il doit aider par compassion d’abord les autres êtres sensibles à s’éveiller, y compris en retardant sa propre libération !

Les bodhisattvas se distinguent par de grandes qualités spirituelles telles que les « quatre demeures divines » que sont:

Avalokiteshvara, bodhisattva de la compassion.

ainsi que les diverses perfections (paramitas), qui comprennent la prajnaparamita (« connaissance transcendante » ou « perfection de la sagesse ») et les moyens habiles (upaya).

Des bodhisattvas spirituellement avancés tels qu’Avalokiteshvara (ci-dessus), Maitreya et Manjushri, largement vénérés dans le monde bouddhiste mahâyâna, sont censés posséder un grand pouvoir, qu’ils utilisent pour aider tous les êtres vivants.

Pour certains courants bouddhistes, seul Maitreya mérite le titre de « Bouddha du futur ». Dans l’art on le représente à la fois comme un bouddha vêtu d’une robe monastique et comme un bodhisattva princier avant l’illumination.

Un magnifique bodhisattva de Gandhara peut être admiré au Dallas Museum of Art (ci-dessous).

Cette sculpture en terre cuite représente un « Bodhisattva pensant » de la région de Hadda en Afghanistan, une production typique du Gandhara.

Avec très peu d’éléments visuels, l’artiste réussit un travail gigantesque. Les piliers de sa large chaise sont des lions au regard un peu fou, représentation allégorique de ces passions qui nous font souffrir et qui sont maintenues sous un sage contrôle par l’effort hautement réflexif du Bodhisattva héroïque au centre de l’œuvre.

Le bouddhisme aujourd’hui, l’exemple de Nehru

Nehru et sa fille Indira, reçus par le Président John F. Kennedy.

Paradoxalement, le bouddhisme, en tant que religion, a presque cessé d’exister dans son propre berceau, l’Inde, depuis le XIIe siècle de notre ère.

Bel exemple de la lutte incessante des meilleurs esprits indiens pour l’émancipation, en 1956, près d’un demi-million « d’intouchables » se sont convertis au bouddhisme sous l’impulsion du dirigeant politique à la tête du comité chargé de rédiger la Constitution de l’Inde, le réformateur social B. R. Ambedkar (1891-1956), et du Premier ministre indien et chef du Parti du Congrès Jawaharlal Nehru (1889-1964), lui-même issu d’une famille de brahmanes.

En juin de la même année, le Courrier de l’UNESCO consacrait son édition à « 25 siècles d’art et de culture bouddhistes ».

En Inde, les deux hommes d’État ont orchestré une année de célébration en l’honneur de « 2500 ans de bouddhisme », non pas pour ressusciter une ancienne religion en soi, mais pour s’approprier le statut de berceau de cette vieille religion et renvoyer au monde une image de champion de la non-violence et du pacifisme.

Bouddha offert par Nehru à JFK en 1961.

Quelques années plus tard, lors de sa visite d’État à la Maison Blanche, le 9 novembre 1961, le Premier ministre indien Nehru offrit une sculpture bouddhiste au président John F. Kennedy

Comme beaucoup d’hindous, Mahatma Gandhi vénérait Bouddha. Pour lui, le bouddhisme n’était qu’une « autre forme d’hindouisme » et sa critique venait donc « de l’intérieur de l’hindouisme ».

Un point de vue que ne partageait pas le Premier ministre indien Jawaharlal Nehru. Profondément troublé par certaines caractéristiques intrinsèques à l’hindouisme, telles que le ritualisme et les castes, Nehru ne pouvait pas placer le bouddhisme, qui abhorrait ces institutions, dans la même rubrique…

Nehru fut fortement influencé par le bouddhisme. C’est ainsi qu’il appela sa fille (la future Première ministre Indira Gandhi) Indira Priyadarshini, du nom de « Priyadarshi » adopté par le grand empereur Ashoka, après être devenu un prince bouddhiste de la paix !

Par ailleurs, Nehru contribua à faire de l’Ashoka Chakra (la Roue bouddhiste intégrée au drapeau national) le symbole de l’Inde. Chaque fois qu’il se rendait au Sri Lanka, il visitait la statue du Bouddha à Anuradhapura.

Le dirigeant indien, qui ne cessait d’exhorter les Indiens superstitieux et ritualistes à cultiver un « tempérament scientifique » et à faire entrer l’Inde dans l’ère de l’âge atomique, était naturellement attiré par le rationalisme prôné par le Bouddha.

Et d’ajouter :

L’influence du Bouddha s’est manifestée dans la politique étrangère de Nehru. Cette politique était motivée par un désir de paix, d’harmonie internationale et de respect mutuel. Elle visait à résoudre les conflits par des méthodes pacifiques. Le 28 novembre 1956, Nehru déclare :

Visiblement inspirés par les préceptes bouddhistes, les concepts de non-alignement et le Traité de Panchsheel de Nehru, communément appelé « Traité des cinq principes de coexistence pacifique », ont été formellement énoncés pour la première fois dans l’Accord sur le commerce et les relations entre le Tibet chinois et l’Inde, signé le 29 avril 1954.

Cet accord stipulait, dans son préambule, que les deux gouvernements,

Le 29 novembre 1952, lors de la Conférence culturelle bouddhiste internationale à Sanchi, où Kanitscha avait entamé la construction du plus haut stupa de l’Antiquité, Nehru précisait :

Le 3 octobre 1960, Nehru s’adressait à l’Assemblée générale des Nations unies :

Nehru a fait de son mieux pour appliquer les enseignements du Bouddha dans la gestion des affaires intérieures de l’Inde. Sa conviction que le changement social ne peut être obtenu que par le consensus social le plus large découle de l’influence du Bouddha, d’Ashoka et de Gandhi.

Dans son discours du 15 août 1956 à l’occasion de la fête de l’indépendance, Nehru fixe les défis à relever :

Science et religion, Albert Einstein et Bouddha

Pour conclure, je vous invite à méditer quelques citations d’Albert Einstein discutant les rapports entre la science et la religion où il évoque l’importance de Bouddha :

NOTES :

*1. Les langues indo-aryennes. Il existe plus de 200 langues indo-aryennes connues, parlées par environ 1 milliard de personnes. Leurs formes modernes descendent des langues indo-aryennes anciennes, telles que le sanskrit védique primitif, en passant par les langues indo-aryennes moyennes (ou prakrits). Les langues indo-aryennes les plus importantes en termes de premiers locuteurs sont l’hindi-ourdou (c. 330 millions), le bengali (242 millions), le pendjabi (environ 120 millions), le marathi (112 millions), le gujarati (60 millions), le rajasthani (58 millions), le bhojpuri (51 millions), l’odia (35 millions), le maithili (environ 34 millions), le sindhi (25 millions), le népali (16 millions), l’assamais (15 millions), le chhattisgarhi (18 millions), le cinghalais (17 millions) et le romani (environ 3,5 millions). Le sud de l’Inde compte des langues dravidiennes (telugu, tamil, kannada et malayalam). En Europe, les principales langues indo-européennes sont l’anglais, le français, le portugais, le russe, le néerlandais et l’espagnol.

*2. Discords. Dès le IIIe siècle avant J.-C., pas moins de dix-huit écoles bouddhistes distinctes sont à l’œuvre en Inde, mais toutes se reconnaissent mutuellement comme des adeptes de la philosophie du Bouddha. Enfin, le bouddhisme du Véhicule du Diamant, dit Vajrayâna, dont les textes et les rituels complexes ont été élaborés dans les universités du nord-est de l’Inde vers le VIIe et VIIIe siècles.

*3. Le prâkrit est un terme qui désigne une langue indo-aryenne dérivée du sanskrit classique. Le mot lui-même a une définition assez souple, car il a parfois le sens de « originel, naturel, sans artifices, normal, ordinaire, usuel, ou encore, local », contrastant ainsi avec la forme littéraire et religieuse du sanskrit ; mais parfois, on peut aussi comprendre prâkrit comme signifiant « dérivé d’une langue originelle », c’est-à-dire dérivé du sanskrit. On peut donc dire que le prâkrit, comme toute langue vulgaire et vernaculaire de l’Inde, est issu du sanskrit. En fait, on peut comparer les prâkrits au latin vulgaire, tandis que le sanskrit serait le latin classique. L’usage le plus ancien que l’on connaisse du prâkrit est formé par l’ensemble d’inscriptions de l’empereur indien Ashoka (IIIe siècle av. J.-C.). L’un des prâkrits les plus célèbres est le pâli, qui a accédé au statut de langue littéraire et intellectuelle en devenant celle des textes du bouddhisme theravâda.

*4. Le pâli est une langue indo-européenne de la famille indo-aryenne. C’est un prâkrit moyen indien proche du sanskrit et remontant vraisemblablement au IIIe siècle av. J.-C. Le pâḷi est utilisé comme langue liturgique bouddhiste au Sri Lanka, en Birmanie, au Laos, en Thaïlande et au Cambodge. Son statut de langue liturgique l’a rendu, à l’instar du sanskrit, figé et normalisé.

*5. Hippodamos de Milet (né en 498 av. J.-C. et mort en 408 av. J.-C.) est un géomètre et ingénieur du Ve siècle av. J.-C., qui fut aussi architecte urbaniste, physicien, mathématicien, météorologiste et philosophe pythagoricien. La tradition a retenu de lui ses grands travaux de planification urbaine. Bien que ces travaux se caractérisent par l’utilisation systématique du plan en damier, il n’en est pas l’inventeur, de très anciennes colonies grecques nous fournissant déjà des exemples de cette structure urbaine.

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Afghanistan: Qosh Tepa canal and prospects of Aral Sea basin water management

Let’s start with current events. In August 2021, faced with the Taliban takeover, the United States hastily withdrew from Afghanistan, one of the world’s poorest countries, whose population has doubled in 20 years to 39.5 million.

While the UN acknowledged that the country was facing « the worst humanitarian crisis » in the post-war era, overnight all international aid, which represented more than half of the Afghan budget, was suspended. At the same time, $9.5 billion of the country’s central bank assets, held in accounts at the US Federal Reserve and a number of European banks, were frozen.

Qosh Tepa canal

Despite these dramatic conditions, the Afghan government, via its state construction group, the National Development Company (NDC), committed $684 million to a major river infrastructure project, the Qosh Tepa Canal, which had been suspended since the Soviet invasion.

In less than a week, over 7,000 drivers flocked from the four corners of the country to work day and night on the first section of the canal, the first phase of which was completed in record time.

Politically, the canal project is a clear expression of the re-birth of an inclusive Afghanistan, as the region is mainly inhabited by Turkmen and Tajik populations, whereas the government is exclusively in the hands of the Pashtuns. The latter represent 57% rather than 37% of the country.

According to the FAO, 62.5% of the Abu Darya’s water comes from Tajikistan, 27.5% from Afghanistan (22 million m3), 6.3% from Uzbekistan, 1.9% from Kyrgyzstan and 1.9% from Turkmenistan.

The river irrigates 469,000 ha of farmland in Tajikistan, 2,000,000 ha in Turkmenistan and 2,321,000 ha in Uzbekistan.

So it’s only natural that Afghanistan should harness some of the river’s waters (10 million m³ out of a total of 61.5 to 80 million m³ per year) to irrigate its territory and boost its ailing agricultural production

By harnessing part of the waters of the Amu Daria river, the new 285 km-long canal will eventually irrigate 550,000 ha of arid land in ancient Bactria to the north, the « Land of a 1000 Cities » and« The Land of Oases » whose incomparable fertility was already praised by the 1st-century Greek historian Strabo.

In October 2023, the first 108 km section was impounded.

Agricultural production has been kick-started to consolidate the riverbanks, and 250,000 jobs are being created.

While opium poppy cultivation has been virtually eradicated in the Helmhand, the aim is to double the country’s wheat production and to become a grain net exporter.

Today, whatever one may think of the regime, the Afghans, who for 40 years have been self-destructing in proxy wars in the service of the Soviets and Americans, have decided to take their destiny into their own hands. Putting an end to the systemic corruption that has enriched an international oligarchy, they are determined to build their country and give their children a future, notably by making water available for irrigation, for health and for the inhabitants.

How did the world react?

On November 7, in The Guardian, Daanish Mustafa, a professor of « critical geography », explains that Pakistan must rid itself of the colonial spirit of water.

In his view, the floods that hit Pakistan in 2010 and 2022 demonstrate that « colonial » river and canal development is a recipe for disaster. It’s time, he concludes, to « decolonize » our imaginations on the subject of water by abandoning all our vanitous desires to manage water.

On November 9, the Khaama Press News agency reported:

Two days earlier, on November 7, Cédric Gras, Le Figaro‘s correspondent in Tashkent, published an article entitled:
« En Afghanistan, les Talibans creusent le canal de la discorde » (« In Afghanistan, the Taliban are digging the canal of discord »):

Obviously, the aim is to create scare. But if the accusation is hasty, it touches on a fundamental issue that deserves explanation.

Endoreic basin

Aral Sea Basin.

The Amu Daria, the 2539 km long river that the Greeks called the Oxus, and its brother, the 2212 km long Syr Daria, feed, or rather used to feed, the Aral Sea, which straddles the border between Uzbekistan and Kazakhstan. The water of both rivers were increasingly redirected by soviet experts to irrigate mainly cotton cultivation causing the Aral Sea to disappear.

I won’t go into detail here on the history of the ecological disaster that everyone has heard about but I am ready to answer your questions on that later;

Central Asia which of course should include Afghanistan.

The « Aral Sea Basin » essentially covers five Central Asian « stan » countries. To the North, these are Kazakhstan, followed by Kyrgyzstan, Tajikistan, Uzbekistan and Turkmenistan.
In fact, Afghanistan, whose border with the latter three countries is formed by sections of the Amu Darya, is geologically and geographically part of the « Aral Sea Basin ».

This is a so-called « endoreic basin ». (endo = inside; rhein = carried).

18 % of the world’s emerged surface is endoreic.

In Europe, we see falling rain and snowmelt flowing into rivers that discharge it into the sea. Not so in Central Asia. Rainwater, or water from melting snow, flows down mountain ranges. They eventually form rivers that either disappear under the sands, or form « inland seas » having no connection whatever to a larger sea and no outlet to the oceans. 18% of the world’s emerged surface is endoreic.

Among the best-known endoreic basins are the Dead Sea in Israel and Lake Chad in Africa.

Endoreic regions in Central Asia.

In Asia, there are plenty of them. Just think of the Tarim Basin, the world’s largest endoreic river basin in Qinjiang, covering over 400,000 km². Then there’s the vast Caspian Sea, the Balkhach and Alakoll lakes in Kazakhstan, the Yssyk Kul in Kyrgyzstan and, as we’ve just said, the Aral Sea.

The very nature of an endoreic basin strongly reinforces the fear that water is a scarce limited source. That realty can either bolster the conviction that problems cannot but be solved true cooperation and discussion, or push countries to go to war one against the other. Democraphic growth, economic progress and climate/meteorogical chaos can worsen that perception and make water issues appear as a « time-bomb ».

The early Soviet planners started with a strict quota system laid down in 1987 by Protocol 566 of the Scientific and Technical Council of the Soviet Ministry of Water Resources. The system fixed quotas for all countries, both in percentage and in BCM (Billions of Cubic Meters).

That simple quota system looks 100 % functional on paper. However, nations are not abstractions.

First, this system created quite rigid procedures and even would forbid some upstream countries to invest in their own agriculture since they had to deliver the water to their neighbors.

Second, conflict arose about dissymetric seasonal use of the water. The use of the water was completely different between « Upstream countries » such as Kyrgyzstan and Tajikistan and « Downstream countries » such as Uzbekistan and Turkmenistan.

Seasonal use of water is dissymmetric between « Upstream » and « Downstream » countries.

Upstream countries could accept releasing their water resources in autumn and winter since the release of the water provides them up to 90 % of their electricity via hydrodams.

Downstream countries however don’t need the water at that time but in spring and summer when their farmland needs to be irrigated.

However, in Central Asia, their seems to exist some sort of « geological justice » since downstream countries lacking water (Kazakhstan, Uzbekhistan and Turkmenistan) have vast hydrocarbon energy reserves such as coal, oil and gaz.

Therefore, not always stupid, Soviet planners, which realized that a simple quota system was insufficient to prevent conflict, created a compensation mechanism. Downstream nations, in exchange for water, would supply parts of their oil and gas to upstream nations to compensate the loss of potential energy that water represents.

However imperfect that mechanism, for want of a better one, it remained in place after the collapse of the Soviet Union in 1991.

It can be said that by appealing to an external factor of a given problem, in this case to bring energy in the equation to solve the water problem, soviet planners conceived in a rudimentary form what became known as the « Water, Energy, Food Nexus ». One cannot deal with theses factors as separate factors. They have to be conceived as part of a single, dynamic Monad.

Today, we should avoid the geopolitical trap. If we consider the water resources to be shared between the states of Central Asia and Afghanistan to be « limited », or even « declining » due to meteorological phenomena such as El Nino, we might hastily and geopolitically conclude that, with the construction of the Qosh Tepa canal, which will tap water from the Amu Daria, the « water time bomb » cannot but explode.

Solutions

So we need to be creative. We don’t have all the solutions but some ideas about where to find them:

  1. In Central Asia, especially in Turkmenistan but also Uzbekistan, huge quantities of water from the Abu Daria water basin are wasted. In 2021, Chinese researchers, looking at Central Asia’s potential in terms of food production, estimated that with improvements in irrigation, better seeds and other « agricultural technology », 56 % of the water can be saved farming the same crops, meaning that today, about half of the water is simply wasted.
  2. The lack of investment into new water infrastructure and maintenance cannot but lead to the kind of disasters the world has seen in Libya or Pakistan where, predictably, systems collapsed for lack of mere maintenance;
  3. Uncontrolled and controlled flooding are very primitive and inefficient forms of irrigation and should be outphased and replaced by modern irrigation techniques;
  4. Therefore, a water emergency should be declared and a vast international effort should assist all the countries of the Abu Daria basin, including Afghanistan, to modernize and improve the efficiency of their water infrastructure, be it lakes, canals, rivers and irrigation systems.
  5. Such and effort can best organized within the framework of the « One Belt, One Road » initiative and the Shanghai Cooperation Organization. BRICS countries such as China, Russia and India could help Afghanistan with data from their satellites and space programs.
  6. By improving the efficiency of water use, notably through targeted irrigation using « drip irrigation » as seen in the case of the Tarim basin in Xinjiang, it is possible to reduce the total amount of water used to obtain an even higher yield of agriculture production, while considerably increasing the availability of the water to be shared among neighbors. The know how and experience of African, South American, Israeli and Chinese agronomists, specialized in food production in arid countries, can play a key role.
  7. In the near future, Pumped Hydro Energy Storage (PHES), which means storing water in high altitude reservoirs for a later use, can massively increase the independance and autonomy of countries such as Afghanistan and others. Having sufficient water at hand at any time means also having the water security required to operate mining activities and handle thermal and nuclear electricity production units. PHES infrastructure would be greatly efficient on both sides of the Abu Daria and jointly operated among friendly nations.

Over the past 1,200 years, nations bordering waterways have concluded 3,600 treaties on the sharing of river usufructs, whether for fishing, river transport or the sharing of water for domestic, agricultural and industrial uses.

Afghanistan’s Qosh Tepa canal project is a laudable and legitimate initiative. But it is true that by breaking the status quo, it obliges a new dialogue among nations allowing each and all of them to rise to a higher level, a willing to live together increasingly the opposite to the dominant paradigm in the Anglosphere and its european followers.

It’s up to all of us to make sure it works out fine.

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Afghanistan : « Le pays des 1000 cités d’or » et l’histoire d’Aï Khanoum

Parler de la culture d’un pays étranger est toujours une chose difficile, surtout si l’on n’en connaît pas la langue et si l’on n’a pas pu séjourner et voyager dans le pays pendant de longues périodes. Par conséquent, je ne peux que vous offrir mes impressions de l’extérieur et commenter ce que j’ai découvert dans des livres. Vous allez donc m’aider en me corrigeant et en me signalant ce qui a échappé à mon attention.

L’Afghanistan est un pays fascinant. Sa réputation de « tombeau des Empires » a capté mon imagination. Récemment, votre pays s’est émancipé de l’occupation américaine et de l’OTAN. Une poignée de combattants déterminés a mis en déroute un immense empire déjà en train de s’autodétruire. 34 ans plus tôt, le pays avait chassé l’occupant russe, après avoir résisté à l’Empire britannique au cours des trois guerres anglo-afghanes du XIXe siècle (1839-42, 1878-80 et 1919), alors que Londres, engagé dans le « Grand Jeu » (Great Game), tentait d’empêcher la Russie d’accéder aux mers chaudes.

Pour éviter d’être colonisé à la fois par la Russie et la Grande-Bretagne, l’Afghanistan a même courageusement refusé d’avoir des chemins de fer, ce qui explique qu’il n’existe aujourd’hui que 300 km de voies ferrées, une situation bien sûr inacceptable aujourd’hui.

Cette capacité de résistance et ce sentiment de dignité découlent, j’en suis convaincu, du fait que votre pays a su faire siennes les diverses influences qui s’y sont rencontrées. Voilà ce qui est devenu au fil des siècles le socle d’une forte identité afghane, totalement à l’opposé de l’étiquette tribale que les colonisateurs cherchent à lui coller.

J’aborderai uniquement, aujourd’hui, l’influence grecque, qui s’est avérée majeure à partir du moment où Alexandre le Grand traverse le Hindou Kouch, en 329 av. JC.

Dès lors, des dizaines de milliers de colons grecs, appelés Ioniens, s’installent en Asie centrale.

Sous le règne de ses successeurs concurrents, l’immense empire d’Alexandre le Grand se décompose en plusieurs entités et royaumes.

En 256 av. JC, Diodote Ier Soter fonde en Afghanistan le royaume gréco-bactrien, connu sous le nom de « Bactriane », dont le territoire englobe une grande partie de l’Afghanistan, de l’Ouzbékistan, du Tadjikistan et du Turkménistan actuels, ainsi que certaines parties de l’Iran et du Pakistan. L’influence grecque y perdure au moins jusqu’à l’arrivée de l’Islam au VIIIe siècle.

La Bactriane

La Bactriane.

De nombreuses fouilles archéologiques confirment un développement urbain, économique, social et culturel remarquable.

Strabon (64 av. JC – 24 après JC), comme d’autres historiens grecs, qualifiait déjà la Bactriane de « Terre des mille cités », une terre que tous les écrivains, anciens et modernes, louaient pour la douceur de son climat et sa fertilité, car « la Bactriane produit tout, sauf de l’huile d’olive. »

Pour le naturaliste romain Pline l’Ancien (23 – 79 après JC), en Bactriane,

Sa capitale Bactres (aujourd’hui Balkh, proche de Mazâr-e Charîf au nord de l’Afghanistan), « Mère des cités », figure parmi les villes les plus riches de l’Antiquité.

Une des « princesses de Bactriane » provenant du nord de l’Afghanistan (2500 à 1500 av. JC).

C’est là qu’Alexandre le Grand épouse Roxana (« Petite étoile ») et adopte l’habit perse pour pacifier son Empire. C’est également là que naîtra le père du grand médecin et philosophe Ibn Sina (Avicenne), avant de s’installer à Boukhara (Ouzbékistan).

Au fil du temps, la Bactriane sera le creuset de cultures et de civilisations où se mêlent, sur le plan artistique, architectural et religieux, traditions grecques et cultures locales.

Si le grec y est la langue de l’administration, les langues locales y foisonnent. Rien que les noms des villes démontrent la prédominance de la culture hellénique.

Ainsi, Ghazni s’appelle « Alexandrie en Opiana », Bagram « Alexandrie au Caucase », Kandahar « Alexandrie Arachosia », Hérat « Alexandria Ariana », etc., et la liste ne s’arrête pas là.

Ruines de Gonur Depe.

La ville de Gonur Depe (actuellement au Turkménistan, au nord de Mary, l’ancienne Merv), capitale du Royaume de Margiane, est un autre exemple de ce qu’on s’accorde maintenant à appeler la « Culture de l’Oxus »)

Aï Khanoum, la grecque

Si certaines villes ne font que changer de nom, d’autres sont construites ex nihilo. C’est le cas d’Aï Khanoum (« Dame Lune » en ouzbek), cité érigée au confluent du grand fleuve Amou Daria (l’Oxus des Grecs) et de la rivière Kokcha.

En 1961, le roi d’Afghanistan (Mohammed Zahir Shah), voulant marquer son indépendance vis-à-vis des Soviétiques et des Américains, invite la France à participer aux fouilles.

C’est le Département des archéologues français en Afghanistan (DAFA) qui met au jour les vestiges d’un immense palais dans la ville basse, ainsi qu’un grand gymnase, un théâtre pouvant accueillir 6000 spectateurs, un arsenal et deux sanctuaires.

Plan au sol de la cité d’Aï Khanoum.

Entourée de terres agricoles bien irriguées, la ville elle-même était divisée entre une ville basse et une acropole de 60 mètres de haut.

Bien qu’elle n’est pas située sur une route commerciale majeure, Aï Khanoum commande l’accès aux mines du Hindou Koush. De vastes fortifications, continuellement entretenues et améliorées, entourent la ville.

Un monument au cœur de la ville y présente une stèle inscrite en grec avec une longue liste de maximes incarnant les idéaux de la vie grecque. Celles-ci sont copiées de Delphes et se terminent par :

L’architecture du site indique que les colons grecques y vivent en bonne entente avec les populations locales. Elle est très grecque mais intègre en même temps diverses influences artistiques et éléments culturels que les Ioniens ont pu observer au cours de leur voyage du bassin méditerranéen à l’Asie centrale. Par exemple, ils utilisent les styles néo-babylonien et achéménide pour la construction de leurs cours.

Shortugai et la Civilisation de la vallée de l’Indus

La date précise des premières fondations d’Aï Khanoum reste inconnue.

A une jetée de là, Shortugai, avant-poste commercial et minier de la fameuse civilisation de l’Indus (dite « harappéenne ») qui, au IIIe millénaire avant notre ère, était à l’avant-garde sur le plan de l’irrigation et de la maîtrise de l’eau. (voir notre article)

Des scientifiques de l’Institut indien de technologie de Kharagpur et du Service archéologique d’Inde ont publié le 25 mai 2016, dans la revue Nature, les fruits d’une recherche qui permettrait de dater la civilisation harappéenne d’au moins 8000 ans avant JC et non 5500 ans, comme on le croyait jusqu’à présent. Cette découverte majeure signifierait qu’elle serait encore plus ancienne que les civilisations mésopotamienne et égyptienne.

Shortugai est construite avec des briques standardisées typiques de la vallée de l’Indus. Des sceaux de la civilisation de la vallée de l’Indus ont également été trouvés sur d’autres sites archéologiques d’Afghanistan.

Carte de la civilisation de la vallée de l’Indus. Flèche rouge indiquant son avant-poste à Shortugai, à 20 km au nord d’Aï Khanoum.

Pendant plusieurs siècles, Shortugai a fonctionné comme un site minier exceptionnel pour l’extraction de l’étain (un minerai indispensable pour la fabrication du bronze), de l’or et du fameux lapis-lazuli, cette pierre précieuse bleue qui, avec l’or, habille de sa splendeur la tombe du pharaon égyptien Toutankhamon et d’autres tombes religieuses majeures en Mésopotamie (Irak).

Les données archéologiques démontrent que Shortugai commerçait avec ses voisins d’Aï Khanoum et construisit les premiers systèmes d’irrigation de la région, une spécialité de la civilisation de la vallée de l’Indus.

Bien des sites restent inexplorés en Afghanistan, pays où les guerres, les occupations étrangères et les pillages ont perturbé ou rendu impossible les recherches archéologiques.

Voici quelques-unes des découvertes de la DAFA, dont certaines restent exposées au Musée national de Kaboul.



L’auteur visitant le Musée national d’Afghanistan en nov. 2023, admirant le chapiteau corinthien d’une colonne fouillée à Aï Khanoum.

Relations avec l’Inde

Plaque d’origine indienne trouvé à Aï Khanoum. Coquillage, verre de couleur et feuille d’or, 20,5 cm de diamètre, IIIe – IIe siècles av. JC. À droite : reconstitution de la portion en bas à droite de la plaque. On y voit des soldats montés à cheval, un quadrige avec passagers surmontés d’un parasol, des colonnes, des animaux et des plantes.

Ce qu’on a trouvé à Aï Khanoum, les pièces de monnaie, les objets et les céramiques, notamment d’origine indienne, témoigne qu’il s’agissait d’une importante plaque tournante du commerce avec l’Inde.

En 258 avant notre ère, Ashoka le Grand, souverain de l’empire Maurya (l’État dominant en Inde), fait ériger ce que l’on appelle « l’Edit grec d’Ashoka à Kandahar », une inscription rupestre bilingue, en grec et en araméen. Une autre inscription d’Ashoka était rédigée uniquement en grec.

Le contenu même de ces édits donne également une indication claire du niveau des échanges entre l’Inde et le monde hellénistique. Par exemple, dans son XIIIe édit, Ashoka, faisant preuve d’érudition, énumère avec précision tous les souverains du monde hellénistique de son époque.

Édit d’Ashoka à Kandahar. La partie supérieure est en grec, la partie inférieure en araméen.

Relations avec la Chine

Outre son interaction avec le sous-continent indien, la Bactriane établira des contacts avec une puissance située encore plus à l’est : la Chine.

À la fin du IIe siècle avant JC, Zhang Qian, diplomate et explorateur de la dynastie Han, arrive en Bactriane. Le récit de sa visite, y compris son étonnement d’y trouver des marchandises chinoises sur les marchés (acquises via l’Inde), ainsi que ses voyages dans le reste de l’Asie centrale, sont conservés dans les œuvres de l’historien Sima Qian.

À son retour en Chine, Zhang Qian informe l’empereur de l’existence de civilisations urbaines sophistiquées en Asie centrale : le Dayuan (vallée de la Ferghana), la Bactriane (Afghanistan) et la Partie (nord-est du plateau iranien).

Les découvertes de Zhang Qian incitent l’empereur à envoyer des émissaires chinois en Asie centrale pour y favoriser le commerce avec la Chine. Certains historiens n’hésitent pas à qualifier cette décision de l’Empereur chinois de « naissance de la Route de la soie ».

Déclin et chute

Représentation d’Eucratides Ier, le bâtisseur d’Aï Khanoum, sur une pièce d’or de 20 stères.

Une grande partie des ruines actuelles d’Aï Khanoum datent de l’époque d’Eucratides Ier (172-145 av. JC), qui a considérablement réaménagé la ville et l’a peut-être rebaptisée Eucratideia, d’après son nom.

Il fut assassiné en 145 av. JC. par son fils. Un an plus tard, le royaume s’effondre face à l’invasion des nomades.

Aï Khanoum est pillée une première fois en 145 av. JC par les Sakas, des tribus iraniennes d’origine scythe, suivis quinze ans plus tard par les nomades chinois Yuezhi.

Le « complexe du trésor » d’Aï Khanoum montre des signes de pillage lors de deux assauts, à quinze ans d’intervalle. D’après des témoins oculaires, certaines villes se sont arrangées avec les envahisseurs et organisèrent une coexistence pacifique. Les villes qui ont résisté, comme Aï Khanoum, ont été pillées et incendiées.

L’empire Kouchan

Les nomades chinois Yuezhi se sédentarisent et créent au début du Ier siècle l’Empire kouchan, qui englobe une grande partie de ce qui est aujourd’hui l’Ouzbékistan, l’Afghanistan, le Pakistan et l’Inde du Nord.

Son territoire s’étend de l’Asie centrale et du Gandhara (frontière occidentale actuelle du Pakistan) à Pataliputra, dans la plaine du Gange (Inde d’aujourd’hui). La capitale principale de son empire était située à Purushapura (aujourd’hui Peshawar au Pakistan).

Kanishka le Grand.

C’est sous le règne de Kanishka le Grand (vers 127-150) que l’Empire kouchan deviendra célèbre pour ses réalisations militaires, politiques et spirituelles. Kanishka échange des ambassadeurs avec l’empereur romain Marc Aurèle (161-180) et l’empereur Han de Chine. Il noue des contacts diplomatiques avec la Perse sassanide et le royaume d’Aksoum (Yémen et Arabie saoudite d’aujourd’hui).

Si la dynastie kouchane reprend la tradition gréco-bactrienne, elle se forge peu à peu sa propre identité.

Les artistes kouchans enrichirent la sculpture bouddhique en donnant à Bouddha la forme humaine, innovation qui fut la plus importante de l’époque.

En 127, Kanishka remplace le grec par le bactrien, une langue moyenne iranienne utilisant l’alphabet grec.

Le bouddhisme

Les Kouchans joueront également un rôle majeur dans la transmission du bouddhisme. Le rayonnement de cette religion venue des rives du Gange favorisera celui des Routes de la soie.

Dans le domaine de la religion, les Kouchans, initialement attirés par l’hindouisme, joueront un rôle majeur dans la transmission du bouddhisme mahayana du Gandhara vers la Chine, l’Asie centrale et même le Sri Lanka, favorisant ainsi l’expansion de la route de la soie.

Tous ces facteurs ont inauguré une période de paix relative de 200 ans, connue comme la « Pax Kouchana ».

À partir du milieu du IIIe siècle après JC, l’Empire kouchan, affaibli, commence à se désintégrer. Dans sa partie occidentale, il passe sous le contrôle des Kushanshahs, c’est-à-dire les Indo-Sassanides (perses), progressivement supplantés au nord par les Hephtalites (appelés également les « Huns blancs » ou « Huns iraniens ») venus de la steppe d’Asie centrale.

Le bouddhisme connaît néanmoins une période de grande prospérité, comme l’illustrent les descriptions du moine chinois Xuanzang du VIIe siècle ainsi que la construction des statues géantes de bouddhas dans la vallée de Bamiyan en Afghanistan.

Bouddhas de la vallée de Bamiyan.

L’Islam

Après avoir conquis l’Iran, l’islam pénètre l’Afghanistan par le nord. Il n’y a pas de preuve d’un rejet massif de la nouvelle religion, sauf dans des régions isolées. Cependant, la volonté de rester indépendants des gouverneurs nommés par Damas (Omeyyades) puis par Bagdad (Abassides) se manifeste rapidement. C’est même à partir d’une province couvrant une partie du nord de l’Afghanistan, le Khorasan, que se répand initialement une partie de l’insurrection contre les Omeyyades pour les remplacer par le califat abbasside d’Haroun-al-Rachid, plus humaniste, et la création de Bagdad (voir notre article).

À partir de la fin du Xe siècle, une dynastie d’origine turque, les Ghaznévides, bâtit autour de leur capitale Ghazni (Afghanistan) un vaste sultanat qui s’étend jusqu’en Inde et fonde une communauté musulmane durable.

Architecture gaznavide.

Leur influence culturelle se mesure par la beauté de l’architecture qu’ils nous ont laissée, mais aussi par le patronage qu’ils accordèrent au grand poète épique Ferdowsi (940-1025), à qui l’on doit la grande épopée nationale en langue persane, le Shahnameh : Le livre des rois.

Les Ghaznévides ont été suivis par une nouvelle dynastie, les Ghorides, originaire de la partie centrale de l’Hindou Kouch. C’est à eux que l’on doit l’impressionnant minaret de Jam.

Ce riche patrimoine culturel, qui a jeté les bases de leur identité et qui a donné sa dignité au peuple afghan, a été ignoré, détruit par les guerres successives, pillé et saccagé.

Fortement combattu par les talibans au pouvoir à Kaboul, ISIS, Daech et d’autres groupes terroristes, dont certains encouragés en sous-main par des agences de renseignement occidentales se sont livrés à un pillage à échelle quasi-industrielle du patrimoine culturel afghan. Pour eux, la revente d’objets d’art et d’antiquités est une des principales sources de revenus.

Recommandations

Aujourd’hui, le temps est venu d’un nouveau départ. L’Afghanistan peut changer complètement son image dans le monde, qui a été polluée par des adversaires et des ennemis qui veulent maintenir l’Afghanistan comme une zone de non-développement pour leur propre grand jeu géopolitique.

Ma proposition pour renouveler la contribution de l’Afghanistan à la culture mondiale est simple.

Avec Mes Aynak, qui signifie « petite mine », située à 35 km au sud de Kaboul, l’Afghanistan dispose du deuxième plus grand gisement de cuivre au monde. Alors que la Chine et les autres pays du BRICS ont besoin de ce métal précieux pour leur développement industriel, la mine offrira un revenu substantiel dont l’Afghanistan a un besoin urgent pour reconstruire le pays.

Le 25 mai 2008, Ibrahim Adel, ministre des Mines, et Shen Heting, directeur général de MCC, l’actionnaire majoritaire du consortium MCC-Jiangxi Copper MJAM, ont signé le contrat minier de Mes Aynak.

Ce contrat décrivait les conditions du premier grand projet minier et du plus important investissement étranger en Afghanistan. Cependant, suite à des incidents de sécurité qui ont créé d’importants problèmes d’insécurité, et sous la pression des puissances étrangères, le projet a été bloqué.

Paradoxalement, cela a donné aux archéologues le temps de mettre au jour sur le site minier une zone de 40 ha d’une valeur culturelle exceptionnelle de classe mondiale, principalement un vaste complexe de monastères bouddhistes, comprenant des stupas (temples), des peintures murales, des sculptures et des centaines d’artefacts archéologiques, etc.

Même si le contrat (fichier pdf) a pu être modifié depuis 2008, on ne peut que constater que le contrat initial contient une série d’aspects potentiellement très intéressants, à la fois pour la Chine mais surtout pour l’Afghanistan lui-même.

  • EXPORTER DU MÉTAL, PAS DU MINERAI
    De même que la Bolivie ne veut pas exporter du lithium (matière première) mais des batteries (produit fini transformé à haute valeur ajoutée), l’Afghanistan ne veut pas exporter du minerai de cuivre mais du cuivre métal. Pour atteindre cet objectif, le contrat prévoit la construction d’une fonderie sur le site.
    Paragraphe IV, 33 : « Afin de respecter son engagement envers le gouvernement de financer, construire et exploiter une fonderie en Afghanistan, la MCC a demandé au gouvernement de lui donner accès à des gisements de phosphates, de calcaire et de quartz qu’elle pourra utiliser dans le cadre du projet Aynak. »
  • ACHATS LOCAUX
    Paragraphe VII, 38 : « MCC s’efforce d’acheter des biens et des services en Afghanistan s’ils sont disponibles. »
  • MAIN-D’ŒUVRE LOCALE
    Paragraphe VIII, 39, a : « MCC emploie du personnel afghan, dans toute la mesure du possible. »
  • APPROVISIONNEMENT EN EAU
    Paragraphe IV, 32 : « MCC s’est engagée auprès du gouvernement à construire des puits d’approvisionnement en eau et des systèmes de canalisation … pour répondre aux besoins en eau douce du projet. La MCC s’est également engagée à réutiliser et à recycler l’eau de traitement dans la mesure du possible. »
  • CENTRALE AU CHARBON
    Paragraphe IV, 31 : « MCC s’est engagée auprès du ministère des Mines à construire … une centrale au charbon d’une capacité de 400 mégawatts pour fournir de l’énergie électrique au projet et à Kaboul. »
  • CHEMIN DE FER
    Paragraphe IV, 30 : « MCC s’est engagée à construire un chemin de fer associé au projet ».
  • LOGEMENT
    Paragraphe IV, 24 : « MCC doit fournir des logements de qualité et en quantité suffisante à ses salariés et à leurs familles immédiates, à un prix de location raisonnable. »
  • SOINS MÉDICAUX
    Paragraphe IV, 25 : « MCC fournira des soins médicaux gratuits à tous ses salariés et à leurs familles… et établira, dotera en personnel et entretiendra des dispensaires, des cliniques et des hôpitaux en nombre suffisant … »
  • ÉCOLES
    Paragraphe IV, 26 : « MCC doit fournir gratuitement un enseignement primaire et secondaire adéquat aux enfants de tous les salariés et résidents de la zone entourant Aynak. »
  • CADRE DE VIE
    Paragraphe IV, 27 : « MCC construira et financera le fonctionnement de centres d’activités récréatives adéquats tels que des gymnases et des terrains de sport. … En outre, il construira un marché/une zone commerciale. »
  • RELIGION
    Paragraphe IV, 28 : « MCC respectera et protégera les convictions religieuses du peuple afghan. »

Le monde serait stupéfait en constatant que l’Afghanistan mobilise ses meilleurs architectes et urbanistes pour construire une nouvelle ville à Mes Aynak qu’il baptisera poétiquement, l’« Aï Khanoum du XXIe siècle ». 

A Kaboul, un archéologue de premier plan qui travaille sur le site depuis une décennie, m’a confié avec une joie non-dissimulée que, suite à d’intenses discussions en octobre dernier entre les autorités afghanes et l’entreprise chinoise, une issue heureuse a été trouvée.

A l’heure actuelle, dit-il, les deux parties ont convenu de préserver, non plus une infime partie du site archéologique (la partie centrale avec les temples bouddhistes), mais l’ensemble des vestiges historiques du site en surface. A en croire mon interlocuteur, la décision est prise que l’ensemble du site sera désormais exclusivement exploité par la technique d’exploitation minière souterraine. N’en déplaise à la presse occidentale, le sauvetage de Mes Aynak révèle au monde le vrai visage du nouveau gouvernement afghan.

Il rendra également pensable, d’ici un certain temps, la reconstruction des bouddhas géants de la vallée de Bamiyan, l’un de 55 mètres et l’autre de 38 mètres, détruits en 2001. Plusieurs experts, lors de colloques récents de l’UNESCO, ont précisé que les difficultés techniques ne sont pas insurmontables, les bouddhas étant fabriqué en stuc. Le soi-disant « danger » que les sculptures soient considérées comme « fausses » n’a aucun sens, tant que l’intention d’atteindre un bien supérieur par leur reconstruction est réelle.

La « Proposition technique pour la revitalisation des statues du Bouddha de Bâmiyân » de 2017, élaborée par le département d’architecture de l’université japonaise Mukogawa Women’s University, mérite d’être examinée. Sans doute pourra-t-on faire mieux, mais elle a le mérite d’exister. Des chercheurs chinois se disent également prêts à donner un coup de main.

Rappelons que le monde compte 620 millions de bouddhistes qui considèrent Bamiyan comme une partie de leur culture et pourraient envisager de venir en Afghanistan pour mieux comprendre leur propre histoire.

Bouddha de feu, Musée national, Kaboul.

Si l’Afghanistan indiquait clairement au monde qu’il a décidé de renforcer ses activités économiques et minières tout en protégeant, notamment grâce à l’aide généreuse de la Chine, le patrimoine culturel mondial sur son sol, il apparaîtra aux yeux de tous ce qu’il est désormais aujourd’hui : une force du bien, de la tolérance et de la paix dans le monde, en cohérence avec sa propre identité et son histoire.

L’Afghanistan apparaîtra comme le « Bouddha de feu » (IIe-IIIe siècle) du Musée national de Kaboul, où l’on voit la réponse donnée par Bouddha à un défi lancé par des hérétiques selon lequel il ne pouvait pas faire de miracles.

Connu sous le nom de « miracles jumeaux », on y voit Bouddha confiant avec des flammes sortant de ses épaules et des cours d’eau de ses pieds ! En altérant ces deux flux, dit la légende, Bouddha a même fait apparaître un arc-en-ciel !

En augmentant sa production d’énergie et en gérant d’une façon plus intelligence ses ressources en eau, l’Afghanistan démontrera, j’en suis convaincu, sa splendide force spirituelle !

Merci à tous et j’ouvre le débat à vos questions.

Merci de partager !

Le défi que nous lance la modernité de la Civilisation de l’Indus

Une découverte archéologique majeure vient d’être effectuée en Israël en 2022 : les premières preuves de l’utilisation de fibres de coton au Proche-Orient et parmi les plus anciennes au monde, datant de près de 7000 ans, ont été découvertes par des archéologues israéliens, américains et allemands, lors d’une fouille archéologique à Tel Tsaf, au sud-est de Beit She’an, dans la vallée du Jourdain en Israël.

Brin de coton, vieux de 7000 ans, trouvé par les chercheurs en Israël.

La plus ancienne preuve dont on disposait jusqu’à présent de la présence de fibres de coton dans la région a été datée de quelques centaines d’années plus tard, de la fin de la période chalcolithique (âge du cuivre) et de l’âge du bronze précoce (il y a environ 5000 à 6500 ans) en provenance du site archéologique de Dhuweila, dans l’est de la Jordanie.

Découvert en 1940, le site de Tel Tsaf nous livre ses secrets. « Tsaf se caractérise par une préservation étonnante des matériaux organiques », a déclaré au Times of Israel le professeur Danny Rosenberg, de l’Institut d’archéologie Zinman, au sein de l’université de Haïfa.

« Tel Tsaf était une sorte de pôle qui concentrait des activités commerciales importantes et qui avait établi des contacts avec de nombreux autres peuples, estime Rosenberg. Il y avait là-bas des capacités de stockage massives pour accueillir les céréales, des capacités énormes, comparées à d’autres sites.« 

Par exemple, c’est là qu’on a découvert les preuves les plus anciennes de l’usage social de la consommation de bière et du stockage rituel de produits alimentaires. Rosenberg et les autres chercheurs ont également mis la main sur des perles en provenance de l’Anatolie contemporaine, de Roumanie, d’Egypte et d’autres secteurs d’Afrique ; des poteries venues d’Irak, de Syrie ou d’Arménie et les tout premiers cuivres et autres métaux trouvés dans le monde.

« L’arbre à laine » et « Routes du coton »

Les Routes du coton. Carte des échanges économiques de l’Indus avec le reste du monde.

Le coton, on y reviendra, venait probablement de la région de l’Indus – le Pakistan moderne – le seul endroit au monde ayant commencé à en pratiquer la culture à cette époque avant qu’elle n’apparaisse en Afrique des milliers d’années plus tard.

« Ce qui est intéressant dans cette preuve précoce d’un lien avec une région aussi lointaine, c’est qu’elle provient de fibres – des morceaux microscopiques de fils anciens. Nous supposons que ces fibres de coton, trouvées avec des fibres de laine et des fibres végétales, sont arrivées sur le site en tant que partie de tissus ou de vêtements, c’est-à-dire de textiles anciens », précise Rosenberg.

Le coton ne servait pas qu’à l’habillement :

« A l’ère préhistorique, les textiles étaient impliqués dans de nombreux domaines de l’existence, pas seulement dans les vêtements mais aussi dans la chasse, la pêche, etc. C’est beaucoup plus important que de se dire seulement que ce que nous avons trouvé, ce sont des morceaux de vêtements qui étaient portés par les habitants du coin. Cette découverte nous en dit long sur les pratiques économiques de la région », estime l’archéologue.

Dans la mesure où le coton n’a jamais été cultivé à Tel Tsaf, en trouver à cet endroit fut une surprise pour les chercheurs, qui estimèrent que cette présence dénotait l’importance de la ville en tant que pôle commercial mondial au cœur de ce qu’on pourrait appeler les « Routes du coton » de cette époque.

La culture du coton pose un défi considérable. D’abord, elle requiert un climat modéré ou tropical et des quantités d’eau faramineuses. Fabriquer un tee-shirt et une paire de jeans (représentant environ 1 kg de coton) ne nécessite pas moins de 20 000 litres d’eau ! Quelle civilisation pouvait s’offrir une telle performance au début du VIIe millénaire avant J.-C. ?

La civilisation de la vallée de l’Indus

En jaune, répartition géographique des sites de peuplement de la Civilisation de l’Indus, un fleuve de 3120 km alimenté par la neige de l’Himalaya (en blanc).

Le terme de « Civilisation de la vallée de l’Indus » désigne un ensemble culturel et politique qui s’épanouit dans la région nord du sous-continent indien entre environ 8000 et 1900 avant J.-C., s’étendant du Baloutchistan (Pakistan), à l’ouest, à l’Uttar Pradesh (Inde), à l’est, et du nord-est de l’Afghanistan, au nord, au Gujarat (Inde), au sud.

Faute de monuments permettant d’étayer cette hypothèse, on ne parle pas de royaume ou d’empire de l’Indus. Son nom moderne dérive simplement de son emplacement dans la vallée de l’Indus, mais cette culture est aussi communément appelée la « civilisation Indus-Saraswati » ou encore « civilisation harappéenne ». Ces désignations proviennent d’une part de la rivière Saraswati, mentionnée dans les sources védiques, qui coulait à côté de l’Indus et qui aurait disparu, et de la ville de Harappa (Pendjab, Pakistan), une cité antique découverte dès 1829, mais laissée inexplorée par les Britanniques jusqu’en 1921.

L’apparition d’une grande civilisation urbaine dans la vallée de l’Indus, qui atteint sa maturité vers 2500-2400 avant J.-C., a longtemps été considérée comme un phénomène soudain et mystérieux. Cependant, un ensemble de découvertes permet de retracer, de 7000 à 2500 avant J.-C., une suite de transformations et d’innovations dont les effets cumulatifs, stimulés par l’élargissement du réseau des échanges à partir de 3000 avant J.-C., créent les conditions favorables au développement d’une civilisation urbaine.

Mehrgarh, lumière du monde !

Vue des ruines de la ville de Mehrgahr (7e millénaire avant JC) au Balouchistan pakistanais.
En haut, à droite, un entrepôt pour céréales.

Depuis la préhistoire, la région de l’Indus est pionnière et riche en découvertes. A titre d’exemple, bien qu’il s’agisse d’un cas à part, le village agricole de Mehrgarh (Baloutchistan, Pakistan), qui date du néolithique (n’utilisant que la pierre comme outil) mais peut être considérée comme la culture et la ville clé ayant fait passer l’humanité, dès le VIIIe millénaire avant J.-C., de la pierre à l’âge du bronze.

Le site est situé sur la route principale entre ce qui est aujourd’hui l’Afghanistan et la vallée de l’Indus : cette route faisait aussi sans doute partie d’une connexion commerciale établie assez tôt entre le Proche-Orient et le sous-continent indien.

Les fouilles menées à Mes Aynak (Afghanistan), où les archéologues commencent à peine à découvrir, sous le niveau bouddhique, les vestiges d’un site de l’âge du bronze vieux de 5000 ans, dont une ancienne fonderie de cuivre, apporteront sans doute un nouvel éclairage sur ces relations.

Sur la base de découvertes archéologiques bien documentées, il a été établi que la culture « pré-harappéenne » de Mehrgarh représente plusieurs percées historiques pour l’ensemble de l’humanité :

  • des traces d’agriculture (blé et orge) et d’élevage (bovins, moutons et chèvres), parmi les plus anciennes en Asie du Sud ;
  • les premières brasseries (à partir de blé et d’orge) ;
  • les plus anciens lacs de retenue au service d’une agriculture irriguée et de la prévention contre les inondations ;
  • les plus anciennes traces de culture du coton (VIe millénaire avant J.-C.) ;
  • le plus ancien bijou en bronze fabriqué avec la technique de fonte à la cire perdue, dite « amulette de Mehrgarh » (VIe millénaire avant J.-C.) ;
  • les plus anciens forets à archet (en jaspe vert) permettant de percer des trous dans le lapis-lazuli et la cornaline ;
    –les toutes premières pratiques réussies de la dentisterie (!) (IXe millénaire avant J.-C.), comme en témoignent les dents percées de certains des squelettes découverts sur le site. L’analyse des dents montre que les dentistes préhistoriques soignaient les maux de dents avec des forets fabriqués à partir de lames de silex. Le travail était si élaboré que même les dentistes modernes sont surpris de l’efficacité avec laquelle leurs prédécesseurs éliminaient les tissus dentaires en décomposition. Parmi les vestiges, un total de onze couronnes percées a été découvert, dont un exemple témoigne d’une procédure complexe impliquant le retrait de l’émail dentaire suivi de la sculpture de la paroi de la cavité ! Aucun des individus présentant des dents percées ne semble provenir d’une tombe ou d’un sanctuaire particulier, ce qui indique que les soins bucco-dentaires qu’ils recevaient étaient accessibles à tous.
Les habitants de Mehrgarh semblaient avoir développé une compréhension de la chirurgie et de la dentisterie, comme en témoignent les dents percées (en bas) de certains des squelettes trouvés sur le site. L’analyse des dents montre que les dentistes préhistoriques s’efforçaient de soigner les maux de dents avec des forets fabriqués à partir de têtes en silex. Le travail a été si élaboré que même les dentistes modernes sont surpris de l’efficacité avec laquelle les « dentistes » de Mehrgarh ont éliminé le tissu dentaire en décomposition. Parmi les restes, un total de onze couronnes forées ont été trouvées, avec un exemple montrant la preuve d’une procédure complexe impliquant l’élimination de l’émail des dents suivie de la sculpture de la paroi de la cavité. Quatre des dents montrent des signes de carie associés au trou percé. Aucun des individus aux dents percées ne semble provenir d’une tombe ou d’un sanctuaire spécial, ce qui indique que les soins de santé bucco-dentaire qu’ils recevaient étaient accessibles à tous.

Densément peuplée

A l’origine, cette civilisation s’est érigée autour des méandres poissonneux de l’Indus, ce fleuve long de près de 3200 kilomètres qui s’écoule des montagnes de l’Himalaya vers la mer d’Arabie. A l’image des populations d’autres grandes vallées fluviales, cette société a été séduite par la fertilité des terres et la possibilité d’utiliser l’Indus comme voie de transport. Cette civilisation, dont la prospérité repose en grande partie sur l’exploitation de plus en plus systématique des riches limons de l’Indus, se répand sur un immense territoire englobant toute sa vallée et une partie du Gujarat indien.

A la vaste zone de distribution de la civilisation de l’Indus, il faut ajouter quelques « colonies » harappéennes comme Sutkagan Dor, près de Gwadar sur les bords de la mer d’Oman, à la frontière irano-pakistanaise, et la ville Shortugai (mines de lapus lazuli), proche du fleuve Amou Darya, à la frontière afghano-tadjik, à près de 1200 kilomètres de Mohenjo-daro.

A son apogée, cette civilisation était deux fois plus vaste que l’ancien empire d’Egypte. Avec une superficie de 2,5 millions de kilomètres carrés, c’était alors la civilisation la plus étendue au monde : elle regroupait 5 millions de personnes, soit 10 % de la population mondiale de l’époque, bien plus que Sumer (0,8 à 1,5 million de personnes) ou que l’Egypte antique (2 à 3 millions).

A ce jour, ce sont plus de 2000 sites répartis entre l’Inde, le Pakistan et l’Afghanistan actuels qui ont été découverts, dont moins de 10 % de la surface totale a été fouillée. Sur le sous-continent indien, les principaux centres de cette civilisation sont Harappa et Mohenjo-daro au Pakistan et Lothal, Dholavira et Kalibangan en Inde. Outre les relations commerciales avec la Mésopotamie et l’Iran, les cités-états harappéens entretenaient également des relations commerciales actives avec les peuples d’Asie centrale.

Agriculture, artisanat et industries

L’ère d’influence de la civilisation de la vallée de l’Indus, à l’ouest de l’Inde.

Agriculture, élevage, industrie, commerce et échanges constituaient la principale source de revenus.

L’agriculture était la principale activité des habitants de la vallée de l’Indus. Ils cultivaient l’orge et le blé à grande échelle mais aussi d’autres produits tels que légumineuses, coton, céréales, sésame, dattes, moutarde, melons, pois, etc. Il n’y a pas de preuve réelle de la culture du riz, mais quelques grains en ont été trouvés à Rangpur et à Lothal.

Dans le village de Mehrgarh et les villes d’Harappa et de Mohenjo-daro, on trouve des vestiges de grands greniers à grains, ce qui suggère que leur production était supérieure aux besoins de leurs habitants et qu’ils faisaient des stocks en prévision de mauvaises récoltes.

L’élevage était une autre occupation majeure. Les sceaux suggèrent qu’ils domestiquaient les vaches, buffles, chèvres, moutons, cochons, etc., mais aussi les chameaux et les ânes, qui servaient de bêtes de somme. Des os de chameaux ont été retrouvés en grand nombre sur de nombreux sites, mais on ne trouve aucune trace de ces animaux sur les sceaux. Lors de la fouille de Surkotado au Gujarat (Inde), la mâchoire d’un cheval a été trouvée. Des figurines en terre cuite représentant un cheval ont été trouvées à Nausharo et à Lothal.

Taureau.

Les habitants de la vallée de l’Indus étaient très habiles. Ils fabriquaient, à l’aide de tours de potier, des céramiques, des récipients en métal, des outils et des armes, tissaient et filaient, teignaient et pratiquaient d’autres métiers. Les tisserands portaient des vêtements en coton et en laine. Ils connaissaient le cuir, mais il n’y a aucune trace de la production de soie.

A l’origine, les habitants de cette civilisation appartenaient à l’âge du bronze et utilisaient des outils en pierre, mais ils vont rapidement exceller dans la fabrication et la transformation de l’or, de l’argent, du cuivre, du plomb et du bronze, notamment pour des ornements artistiques d’une grande finesse.

Poteries de Meshgahr (3e millénaire av. JC).

Des artisans fabriquaient des bijoux à Mohenjo-daro, à Chanho-daro et à Lothal, utilisant l’ivoire et diverses pierres précieuses comme la cornaline, le lapis-lazuli, l’agate et le jaspe. Le travail des coquillages était également une industrie prospère. Les artisans des colonies côtières en faisaient des boutons de chemise, des pendentifs, des anneaux, des bracelets, des perles, etc.

Pour le transport, on utilisait la charrette à bœufs, mais également les voies fluviales le long de l’Indus et de ses affluents.

Les professions artisanales nécessitaient diverses matières premières. Pour fabriquer des briques et des céramiques, l’argile était disponible localement, mais pour le métal, ils devaient l’acquérir à l’étranger.

Le commerce était axé sur l’importation de matières premières destinées aux ateliers des cités harappéennes, notamment des minéraux d’Iran et d’Afghanistan, du plomb et du cuivre d’autres régions de l’Inde, du jade de Chine et du bois de cèdre descendant les rivières de l’Himalaya et du Cachemire. Les autres marchandises échangées comprenaient des pots en terre cuite, de l’or, de l’argent, des métaux, des perles, des silex pour la fabrication d’outils, des coquillages, des perles et des pierres précieuses de couleur, comme le lapis-lazuli et la turquoise.

L’un des moyens par lesquels les historiens connaissent le réseau commercial maritime opérant entre les civilisations harappéennes et mésopotamiennes est la découverte de sceaux et de bijoux sur des sites archéologiques dans les régions de la Mésopotamie, qui comprend la majeure partie de l’Irak, du Koweït et de certaines parties de la Syrie actuels.

Carte des relations commerciales de la région de l’Indus.

Le commerce maritime à longue distance sur des étendues d’eau telles que la mer d’Oman, la mer Rouge et le golfe Persique est peut-être devenu possible grâce au développement de bateaux à planches, équipés chacun d’un mât central unique supportant une voile en joncs ou en tissu.

Les historiens ont également fait des déductions sur les réseaux d’échange en se basant sur les similitudes entre les artefacts des différentes civilisations. Entre 4300 et 3200 avant notre ère, les céramiques de la région de la civilisation de la vallée de l’Indus présentent des similitudes avec le sud du Turkménistan et le nord de l’Iran. Au cours de la période harappéenne précoce – entre 3200 et 2600 avant J.-C. – on observe des similitudes culturelles dans la poterie, les sceaux, les figurines et les ornements qui témoignent du commerce caravanier avec l’Asie centrale et le plateau iranien.

Les merveilles de Mohenjo-daro

Plan de la ville de Mojendo-daro (vers le 3e millénaire avant JC) et représentations artistique (à gauche) et numérique (à droite) de la vie de la cité. Les toits des immeubles permettaient d’accueillir les habitants en cas d’inondations.

Parfois surnommée la « Manhattan de l’âge du bronze » pour le tracé quadrillé du plan de la ville, la cité de Mohenjo-daro (Sind, Pakistan) est restée enfouie sous des mètres de sédiments alluviaux jusqu’à sa découverte au début des années 1920.

Quelques inventions importantes de la culture harapéenne : la brique en terre cuite permettant de construire des puits (à gauche) ou des plateformes pour moudre les céréales (à droite). Au centre, une balance et des poids de pesage, essentiel aux échanges. En bas, vue d’artiste du bassin et des dépôts du port de Lathal connu pour ses chantiers navales.

Véritable métropole faite de briques cuites, elle s’étend sur plus de 200 hectares. Strictement quadrillée, coupée en deux par un boulevard de dix mètres de large, sillonnée du nord au sud par une douzaine d’artères tracées au cordeau et traversée d’est en ouest par des rues pavées, Mohenjo-daro représente, de par son cadre urbain parfaitement réfléchi, la cité modèle de la civilisation de l’Indus. Elle aurait pu accueillir jusqu’à quarante mille personnes !

Maîtres en ingénierie hydraulique, les Harappéens pratiquaient l’agriculture irriguée dans les corridors fluviaux qu’ils exploitaient. Ils possédaient à la fois le chadouf (appareil à bascule servant à puiser l’eau d’un puits) et le moulin à vent. Dans leurs cités, les quartiers d’habitation et les zones manufacturières étaient séparés les uns des autres.

Les habitants, qui occupent des logements d’un, deux et parfois trois étages, semblent avoir été principalement des artisans, des agriculteurs et des marchands. Ils avaient développé la roue, les charrettes tirées par le bétail, des bateaux à fond plat suffisamment larges pour transporter les marchandises, et peut-être aussi la voile. Dans le domaine de l’agriculture, ils avaient compris les techniques d’irrigation et construit des canaux, ils utilisaient divers outils agricoles et avaient délimité différentes zones pour le pâturage et les cultures.

Les sceaux et l’écriture harappéenne

Sceaux utilisés pour le commerce dans la civilisation de la vallée de l’Indus. Vue le nombre impressionnant d’unicornes, on pense que l’animal symbolise un clan ou une famille
et que le texte donne des détails annexes.

Parmi les milliers d’artefacts découverts sur les différents sites, on trouve de petits sceaux en stéatite d’un peu plus d’un pouce (3 cm) de diamètre, utilisés pour signer des contrats, autoriser des ventes de terres et authentifier le point d’origine, l’expédition et la réception de marchandises lors d’échanges de longue distance.

Les contacts commerciaux entre les populations de l’Indus et de Sumer sont bien documentés. De nombreux sceaux de la vallée de l’Indus ont été découverts en Mésopotamie. Sur chaque sceau, un petit texte en harappéen, une langue qui reste à déchiffrer.

Si 4200 textes nous sont parvenus, 60 % d’entre eux sont des sceaux ou des mini-tablettes de pierre ou de cuivre, gravées, et elles ne comportent en moyenne… que cinq signes ! Le texte le plus long comporte 26 signes. Les textes sont toujours accompagnés de l’image d’un animal, souvent une licorne ou un buffle majestueux. Ils étaient destinés à marquer des marchandises en indiquant probablement le nom du propriétaire ou du destinataire et une quantité ou une année. Tenter de décrypter la langue de l’Indus, c’est un peu comme si l’on essayait d’apprendre le français uniquement à partir des étiquettes du rayon alimentation d’un supermarché !

L’invention des sanitaires

Les premières toilettes rinçables reliés à des égouts dignes de ce nom sont apparues au 5e millénaire avant JC dans les villes de Morenjo-Daro et Harappa avant d’apparaître à Knossos en Crête.

Outre cette attention toute particulière qu’ils portaient à l’urbanisme, les membres de la civilisation de l’Indus semblent également avoir été des pionniers de l’hygiène moderne. Certaines villes, notamment Mohenjo-daro, étaient équipées de petits conteneurs (poubelles) dans lesquels les habitants pouvaient déposer leurs ordures ménagères.

Anticipant nos systèmes de « tout à l’égout » imaginés au XVIe siècle par Léonard de Vinci pour le projet dont François Ier voulait doter la nouvelle capitale française, Romorantin, de nombreuses villes disposaient d’approvisionnement public en eau et d’un système ingénieux d’assainissement.

A Mohenjo-daro, Harappa, Lothal ou encore Rakhigari, notamment, les maisons individuelles ou blocs de maisons s’approvisionnaient en eau à partir de puits. Cette eau de qualité servait tout autant à l’alimentation et l’hygiène personnelle (bains, toilettes) qu’aux activités économiques des habitants.

Les villes harappéennes se caractérisent par la présence d’égouts et de bains et latrines personnelles. En haut, à gauche, une salle de bain au premier plan, avec WC séparé. L’eau était pompé en hauteur afin que son écoulement puisse alimenter les sanitaires. A droite, restes d’égouts sous les rues pavées et ailleurs.

A titre d’exemple, le système d’assainissement de la ville portuaire de Lothal (aujourd’hui en Inde), où de nombreuses habitations disposaient d’une salle de bain et de latrines privées en brique. Les eaux usées étaient évacuées par un réseau communal d’égouts aboutissant soit vers un canal du port, soit dans une fosse de trempage hors des murs de la ville, soit dans des urnes enterrées, équipées d’un trou permettant l’évacuation des liquides, régulièrement vidées et nettoyées.

Douche avec canalisations d’évacuation, à Lothal.

Les fouilles réalisées sur le site de Mohenjo-daro ont également révélé l’existence de pas moins de 700 puits en brique, de maisons équipées de salles de bains et de latrines individuelles et collectives. Les toilettes y étaient un élément essentiel. Cependant, les premiers archéologues ont identifié la plupart de ces installations comme des urnes funéraires post-crémation ou de simples puisards. De nombreux bâtiments de la ville comportaient deux étages ou plus. L’eau ruisselant du toit et des salles de bain des étages supérieurs était acheminée par des tuyaux en terre cuite fermés ou des goulottes ouvertes qui se vidaient, le cas échéant via les toilettes, dans les égouts couverts sous la rue.

Affirmation confirmée par une étude scientifique de 2016, intitulée « L’évolution des toilettes dans le monde à travers les millénaires », qui rapporte que

« les premières toilettes à chasse d’eau multiple reliées à un système d’égouts sophistiqué qui ont été identifiées jusqu’à présent, se trouvaient dans les villes antiques de Harappa et Mohenjo-daro dans la vallée de l’Indus, datant du milieu du IIIe millénaire av. J.-C. Presque chaque unité d’habitation à Harappa, Mohenjo-daro et Lothal était équipée d’un espace bain-toilette privé, avec des drains pour évacuer les eaux sales dans un plus grand drain qui se déversait dans le système d’égouts et de drainage.« 

Jusqu’à présent, c’est à la civilisation minoenne (Crète) et à la Chine que l’on attribue la première utilisation de canalisations souterraines en argile pour l’assainissement et l’approvisionnement en eau. La capitale crétoise de Knossos possédait un système bien conçu pour acheminer l’eau propre, évacuer les eaux usées, et éviter les débordements en cas de fortes pluies.

On y a retrouvé également l’une des premières utilisations de toilettes à chasse d’eau, datant du XVIIIe siècle av. JC. La civilisation minoenne possédait des égouts en pierre qui étaient périodiquement nettoyés à l’eau claire. Dans l’Antiquité, la Crète était un grand fournisseur de minerai de cuivre pour le monde entier et avait de vastes connexions commerciales internationales.

Croyances religieuses et culturelles

Au cœur de la ville de Morenjo-Daro, le Grand bain. A gauche, le site aujourd’hui. En haut, une vue d’artiste du site.

Des rituels de fertilité furent sans doute observés afin de favoriser une pleine récolte ainsi que pour les grossesses des femmes, comme en témoignent un certain nombre de figurines, d’amulettes et de statuettes de forme féminine.

L’intitulé de la fameuse statue du « Roi-prêtre », retrouvée à Mohenjo-daro, est trompeur, car aucun indice factuel ne permet de démontrer qu’il s’agisse d’un roi ou d’un prêtre.

On pense que le peuple, à l’instar des Dravidiens que certains croient être à l’origine de la civilisation de l’Indus, vénérait une « déesse mère » et, éventuellement, un compagnon masculin représenté sous la forme d’une figure cornue en compagnie d’animaux sauvages. Statue dit du Roi-Prêtre, trouvé sur le site de Mohenjo-daru au début des années 1920.

Le « grand bain » de Mohenjo-daro aurait été utilisé pour des rites de purification liés à la croyance religieuse, mais il pourrait tout aussi bien s’agir d’une piscine publique. Nos connaissances des croyances religieuses de cette culture restent dans le domaine de simples hypothèses.

L’intitulé de la fameuse statue du « Roi-prêtre », retrouvée à Mohenjo-daro, est trompeur, car aucun indice factuel ne permet de démontrer qu’il s’agisse d’un roi ou d’un prêtre. Il pourrait tout autant s’agir de l’effigie d’un simple marchand de coton…

A part la poterie, des armes rudimentaires (pointes de lance, haches, flèches, etc.) et certains outils agricoles et industriels, deux types d’artefacts retrouvés nous livrent quelques rares indices culturels sur la société harappéenne.

Jeune femme nue et parée. Statuette de cuivre fragmentaire. H : 14 cm. Vallée de l’Indus. Trouvée en 1926 dans une maison de Mohenjo-Daro. 2500-1500 av. J.-C. National Museum New Delhi.

D’abord, des figurines, qu’on tente d’interpréter comme des objets de dévotion, semblent n’être que de simples jouets.

Pour d’autres objets, il s’agit clairement de jouets, notamment des animaux montés sur des petits chariots à roulettes (bœufs, buffles, éléphants, chèvres et même une simple poule), fabriqués en bronze ou en terre cuite.

Jouets pour petits et grands ?

Révélant un haut niveau de sensibilité et de conscience, une série de masques avec des visages humains, dont certains, pourvus de deux petits trous pour attacher les ficelles, semblent inspirés des masques de Mongolie.

Il s’agit clairement de masques ayant servi (à des enfants et/ou des adultes) lors de représentations comiques ou tragiques, nous rappelant ceux qui nous sont parvenus de la Grèce classique.

Masques de la civilisation de la vallée de l’Indus. Le masque central se ficèle au visage grâce aux deux petits trous, comme le font les masques de Mongolie.

Plus ancien que Sumer et l’Egypte ?

Les fouilles archéologiques de la civilisation de la vallée de l’Indus ont donc démarré bien tardivement, et l’on pense aujourd’hui que nombre des réalisations et des « premières » attribuées à l’Egypte (- 3150 av. JC) et à la Mésopotamie (- 4500 av. JC) pourraient en fait appartenir aux habitants de la civilisation de la vallée de l’Indus.

En mai 2016, le rapport rédigé par une équipe de chercheurs de l’IIT Kharagpur, de l’Institut d’archéologie, du Deccan College de Pune, du Physical Research Laboratory et de l’Archaeological survey of India (ASI), publié dans la revue Nature, a fait voler en éclats un certain nombre de faits considérés comme des certitudes inébranlables.

Jusque-là, on datait les 900 ans de la phase de « maturité » de la civilisation de l’Indus comme allant de -2800 à -1900 av. J.-C. Or, l’étude indienne indique que cette civilisation était beaucoup plus ancienne qu’on ne le pensait : elle a au moins 8000 ans !

Pour déterminer l’âge de cette civilisation, les chercheurs ont daté des poteries grâce à une technique appelée « luminescence optiquement stimulée » (OSL), et ont découvert qu’elles avaient près de -6000 ans, soit les plus anciennes poteries connues à ce jour. D’autres artefacts ont été datés jusqu’à -8000 ans. Les résultats proviennent d’un site majeur fouillé à Bhirrana, dans l’Haryana, qui montre la préservation de tous les niveaux culturels de cette ancienne civilisation, de la phase pré-harappéenne Hakra à l’époque harappéenne mature, en passant par la phase harappéenne précoce. Bhirrana faisait partie d’une forte concentration de sites le long de la mythique rivière védique Saraswati, aujourd’hui asséchée, une extension de la rivière Ghaggar dans le désert du Thar.

Les villes submergées du golfe de Khambhat

Un des relevé sonar du NIOT indien indiquant la présence de structures sous l’eau.

Ces nouvelles datations convergent avec la découverte, en janvier 2002, de ruines de villes submergées au large de la côte de l’Etat de Gujarat, au nord-ouest de l’Inde.

Ce sont les océanographes du National Institute of Ocean Technology (NIOT) de Madras qui font cette découverte. L’équipe parcourait la mer boueuse à 30 km au large de l’Etat du Gujarat, dans le golfe de Khambhat (ex-Cambay), afin de mesurer les niveaux de pollution marine. Par mesure de routine, ils enregistrèrent des images acoustiques du fond de l’océan.

Ce n’est que plusieurs mois plus tard, en analysant les données, que l’équipe se rend compte qu’elle a, sans le savoir, recueilli des images des ruines d’une immense cité, engloutie à 40 mètres sous le niveau de la mer. Et, fin janvier 2002, après avoir passé des semaines à draguer le site et remonté plus de 2000 objets, l’équipe du NIOT était en mesure de faire d’extraordinaires révélations.

Les ruines s’étendent sur 9 km le long des rives d’un ancien fleuve, et l’on peut distinguer les vestiges d’un barrage. La ville engloutie partage des similarités frappantes avec les sites de la civilisation de l’Indus. L’un des édifices, de la taille d’une piscine olympique, aux marches effondrées, rappelle le Grand Bain de Mohenjo-daro. Un autre monument rectangulaire de 200 m de long sur 45 m de large est aussi vaste que l’acropole découverte à Harappa. L’équipe du NIOT a également entrevu un autre édifice, sorte de grenier à blé, fait de briques de boue, d’une longueur de 183 m. A proximité de ces installations monumentales, on aperçoit des rangées de constructions rectangulaires qui s’apparentent aux fondations de maisons en ruine, un système de drainage, et même des routes. Lors d’une autre visite sur le site, l’équipe a remonté des outils en pierre polie, des ornements et des figurines, des débris de poteries, des pierres semi-précieuses, de l’ivoire et les restes fossilisés d’une colonne vertébrale, d’une mâchoire et d’une dent humaine. Mais l’équipe n’était pas au bout de ses surprises.

Elle envoya les échantillons d’un rondin de bois fossilisé à deux grands laboratoires indiens spécialisés dans les méthodes de datation : le Birbal Sbahni Institute of Paleobotany (BSIP), à Lucknow, et le National Geophysical Research Institute (NGRI), à Hyderabad. Le BSIP l’a daté de 5500 av. J.-C., alors que, pour le NGRI, l’échantillon est bien plus ancien et remonte probablement à 7500 av. J.-C.

Cette datation ferait de Khambhat le site le plus ancien découvert en Inde. Cette découverte pourrait marquer la fin de la théorie selon laquelle l’urbanisation se propage de l’Asie, depuis l’ouest, vers l’Indus. Cette datation suscita d’intenses controverses. L’archéologue G. Possehl signale qu’il n’y a aucune raison de croire que ce morceau de bois fossilisé appartient aux ruines de l’ancienne cité. Etant donné les forts courants marins de la région, il pourrait provenir d’ailleurs. Reconnaissant le bien-fondé de ces critiques, l’équipe de NIOT a assuré que d’autres objets seraient soumis aux méthodes de datation. Il s’agit aussi de comprendre comment cette cité a été engloutie et comment elle s’est retrouvée à 30 km de la côte. Harsh Gupta, géologue, pense que c’est un gigantesque tremblement de terre qui en a causé la destruction. On se trouve dans une zone à fort risque sismique, et le tremblement de terre de 2001 à Bhuj a montré la vulnérabilité de la région à ces phénomènes. Toutefois, la priorité est d’établir définitivement l’âge de la cité engloutie, et si ces recherches dans le passé de Khambhat sont approfondies, cette découverte peut se révéler la plus excitante de ce siècle.

Berceau historique du textile

La civilisation de la vallée de l’Indus, avec Mehrgahr et Harappa, les plus anciens traces de la production du coton dans l’histoire de l’homme.

Dans son livre Empire of Cotton, A Global History (2015), Sven Beckert retrace en profondeur le développement de ce que les anciens, intrigués par sa ressemblance avec le toucher de la laine, appelaient « arbre à laine ». Si cette plante pousse dans des climats tempérés et tropicaux, elle a besoin d’une abondante humidité pour prospérer pleinement, ce qui en circonscrit la culture aux vallées fluviales naturellement, puis artificiellement irriguées.

D’après l’auteur,
« Les agriculteurs de la vallée de l’Indus furent les premiers à filer et tisser le coton. En 1929, des archéologues ont retrouvé des fragments de textiles en coton à Mohenjo-daro, dans l’actuel Pakistan, datant de 3250 à 2750 avant notre ère. Les graines de coton trouvées à Mehrgarh, non loin de là, ont été datées de 5000 avant notre ère. Les références littéraires témoignent également de l’ancienneté de l’industrie du coton dans le sous-continent. Les écritures védiques, composées entre 1500 et 1200 avant notre ère, font allusion au filage et au tissage du coton. »

Historiquement, les premiers fragments de coton ont été découverts à Mohenjo-daro, dans la région pakistanaise du Sind, lors d’une expédition dirigée par Sir John Marshall, directeur général de l’Archaeological Survey of India de 1902 à 1928. Dans son livre sur Mohenjo-daro et la civilisation de l’Indus, Sir Marshall raconte que des fragments de tissu avaient été enroulés autour d’un pot à parfum en argent et d’une salière.

Gouvernement sans chef ?

Vue des ruines de la ville de Mohenjo-Daro, équipée de bains privés et publics, d’égouts et de toilettes rinçables. Elle aurait pu accueillir jusqu’à 40000 habitants. Sur le plateau de la citadelle, des moines bouddhistes ont cru pertinent, plusieurs siècles après le déclin de la ville, de construire un de leurs temples (stupa).

Reste que l’organisation politique des cités de l’Indus échappe aux experts. Car contrairement aux civilisations mésopotamiennes et égyptiennes, les recherches réalisées sur les sites de la vallée de l’Indus n’ont mis au jour aucun temple ou palais d’envergure. Aucune preuve non plus de l’existence d’une armée permanente… De quoi s’interroger sur la présence ou non d’un pouvoir politique. Panique chez les archéologues et géopoliticiens britanniques, toujours enclins à projeter sur le reste du monde leur propre idéologie coloniale de castes aristocratiques.

En réalité, chaque ville semble avoir eu son propre gouverneur, ou un conseil citoyen se coordonnant avec d’autres centres urbains, tous adhérant à un certain nombre de principes communs considérés comme mutuellement bénéfiques.

Cette « coïncidence des opposés », celle de la grande diversité avec la plus parfaite similitude, intrigue l’expert John Keay :

« Ce qui a étonné tous ces pionniers, et qui reste la caractéristique distinctive des plusieurs centaines de sites harappéens aujourd’hui connus, est leur apparente similitude : ‘Notre impression dominante est celle d’une uniformité culturelle, à la fois tout au long des plusieurs siècles durant lesquels la civilisation harappéenne a prospéré, et sur la vaste zone qu’elle occupait.’ Les briques omniprésentes, par exemple, ont toutes des dimensions standardisées, de même que les cubes de pierre utilisés par les Harappéens pour mesurer le poids sont également standardisés et basés sur le système modulaire. La largeur des routes est conforme à un module similaire ; ainsi, les rues sont généralement deux fois plus larges que les voies latérales, tandis que les artères principales sont deux fois ou une fois et demie plus larges que les rues. La plupart des rues fouillées jusqu’à présent sont droites et vont du nord au sud ou d’est en ouest. Les plans de la ville se conforment donc à un quadrillage régulier et semblent avoir conservé cette disposition à travers plusieurs phases de construction.« 

Vue l’existence d’un système de poids et de mesures unifié, vue la similitude de l’organisation urbaine ainsi que la standardisation de la taille des briques en terres cuites pour des centaines de villes, il est donc tout simplement impossible que le chacun pour soi ait régné en maître.

Berceau de la démocratie ?

En 1993, dans un article intitulé « La civilisation de la vallée de l’Indus, berceau de la démocratie ? », publié dans le Courrier de l’Unesco, l’archéologue et muséologue pakistanais de renommée internationale, Syed A. Naqv, qui s’est battu pour la préservation du site de Mohenjo-daro, tentait de répondre à la question.

« Dans toutes les civilisations hautement développées du passé – la Mésopotamie, la vallée du Nil, l’Anatolie, la Chine – on peut sentir l’influence omniprésente de l’autorité impériale, qui assure le patronage des arts et oriente le développement de la société. Un examen attentif du rôle d’une telle autorité dans cette civilisation, qui a fleuri il y a quelque 5 000 ans et couvrait presque deux fois la superficie des civilisations de la Mésopotamie et du Nil réunies, semble démentir la présence d’un régime autoritaire. La civilisation de l’Indus avait un mode de vie bien discipliné, des contrôles civiques et un système d’organisation qui ne pouvaient qu’être issus du type de ’gouvernement par le peuple’ exercé dans une cité-État grecque quelque 2 000 ans plus tard. La Grèce a-t-elle donné naissance à la démocratie ou s’est-elle contentée de suivre une pratique développée antérieurement ?« 

Bien qu’il n’existe aucune grande structure agissant comme centre d’autorité,

« les découvertes effectuées suggèrent que la réglementation s’appliquait sur un territoire d’environ 1600 km du nord au sud et de plus de 800 km du sud au sud-est. Le principal argument en faveur de cette thèse est l’existence de normes et de standards bien établis qui auraient nécessité le consensus du peuple s’ils n’avaient pas été imposés par un régime autoritaire. Il est impossible d’ignorer les preuves fournies par la planification parfaite de la grande ville de Mohenjo-daro et l’utilisation dans sa construction de briques de taille standard de 27,94 cm de long, 13,96 cm de large et 5,71 cm d’épaisseur.« 

Dans les deux grandes villes de Mohenjo-daro et de Harappa, distantes d’environ 600 km, « le quadrillage du tracé des rues mis au jour par les fouilles archéologiques montre qu’une grande attention a été accordée à la sécurité des habitants et suggère l’existence d’un système de contrôle civique très développé et bien monolithique ».

Il en va de même pour le système d’égouts très perfectionné et l’existence

« d’une série presque complète de poids en pierre hautement polis, de forme cubique, semi-cubique, cylindrique et sphérique, dont très peu seraient défectueux, ce qui prouve une fois de plus que les autorités civiles maintiennent des normes commerciales cohérentes.
Il n’est pas possible de conclure à l’existence d’une telle conception philosophique de la démocratie tant que l’on n’aura pas déchiffré l’écriture harappéenne et fourni des preuves écrites à ce sujet. Mais les signes sont là, et des recherches plus poussées dans cette direction pourraient bien établir que le ‘gouvernement par le peuple’ est né dans la vallée de l’Indus », conclut l’auteur.

Enfin, ce peuple agricole, qui connaissait l’usage des lances et des flèches, n’ayant par ailleurs laissé aucune trace d’une quelconque activité militaire (peu d’armes ni de fortifications à but exclusivement défensif retrouvées), de nombreux avis s’accordent à dire que cette société pourrait avoir connu la plus longue période de paix de l’histoire de l’humanité.

Déclin et chute

Le mythe d’Atlantide reste bien vivace.

Dans deux de ses livres, le Timée et le Critias, le philosophe grec Platon raconte l’histoire « certainement vraie, bien qu’étrange » d’un peuple maritime à la puissance incomparable : les Atlantes, dont il décrit la civilisation et la capitale avec force détails.

Partis 10 000 ans avant notre ère d’une île située au-delà des colonnes d’Hercule, les Atlantes auraient fini par dominer l’ensemble de l’Afrique et de l’Europe de l’Ouest. Dans un passage qui n’est pas sans rappeler le type d’organisation politique qui a pu exister à Mohenjo-daro, Critias précise qu’Atlantide était alors habitée

« par les différentes classes d’hommes qui s’occupent des métiers et de l’agriculture. Les guerriers, séparés dès le commencement par des hommes divins, habitaient à part, possédant tout ce qui était nécessaire à leur existence et à celle de leurs enfants. Parmi eux, il n’y avait pas de fortunes particulières ; tous les biens étaient en commun : ils n’exigeaient rien des autres citoyens au-delà de ce qu’il leur fallait pour vivre, et remplissaient en retour toutes les obligations que notre entretien d’hier attribuait aux défenseurs de la patrie tels que nous les concevons.« 

S’exprimant sans doute sous forme métaphorique, Platon affirme qu’initialement vertueuse, la civilisation atlante aurait sombré dans la démesure, l’arrogance et la corruption au point d’être châtiée par Poséidon lui-même pour s’être lancée dans une guerre de trop, cette fois contre Athènes. Et « en l’espace d’un seul jour et d’une nuit terribles (…), l’île Atlantide s’abîma dans la mer et disparut ».

Au niveau historique, le déclin soudain de la civilisation de l’Indus, vers -1900 ans avant J.-C., reste un mystère.

Certains historiens soulignent des aspects de la civilisation minoenne (Crète) présentant d’étonnantes similitudes avec la civilisation de la vallée de l’Indus, notamment la gestion de l’eau et les premiers systèmes d’égouts à Knossos la capitale, les techniques de fonte de bronze à la cire perdue et les combats de taureaux qui font la gloire de Crète.

Quelques traces d’incendies et de destructions, ainsi qu’une quarantaine de squelettes blessés à l’arme blanche et retrouvés sans sépulture à Mohenjo-daro ont d’abord laissé supposer une invasion par des peuples d’Aryens venus de l’Asie centrale ou du plateau iranien. « Cette théorie est aujourd’hui abandonnée. Nous n’avons en effet retrouvé aucune trace effective de massacres ou de violences sur les sites de la vallée de l’Indus, ni de mobilier qui pourrait être associé à de telles populations », précise Aurore Didier, chargée de recherche au CNRS et directrice de la mission de l’Indus.

Autre hypothèse, l’incapacité à renforcer sa résilience face à un chaos climatique.

Les carottages réalisés dans le nord-ouest de l’Inde ont montré que le climat s’y est passablement altéré environ 2000 ans avant notre ère.

On rapporte que ce fut aussi le cas en Mésopotamie. « Il s’est rapproché de celui, sec et aride, que connaissent ces régions aujourd’hui, ce qui a perturbé les cultures et, de facto, le commerce des civilisations de l’Indus. Le bouleversement socio-économique qui s’ensuivit peut avoir mené au déclin de ces sociétés. Cette hypothèse est la plus communément admise à ce jour », indique l’archéologue.

Les habitants auraient quitté leurs vallées devenues infertiles pour migrer vers les plaines du Gange.

« Cela s’est accompagné d’un changement dans les stratégies de subsistance. La civilisation de l’Indus s’est progressivement convertie dans des cultures céréalières estivales basées sur le riz et le millet, deux denrées plus à même de supporter ces nouvelles conditions climatiques et nécessitant, pour le riz, le développement d’une agriculture irriguée, suggère Aurore Didier. Elle a également tissé des liens avec de nouveaux partenaires commerciaux. « 

Pas de quoi, donc, parler d’« effondrement » d’une société au sens des « collapsologues ». Il s’agit plutôt d’une adaptation graduelle à l’évolution de l’environnement, s’étant étalée sur plusieurs siècles.

Au fur et à mesure que se poursuivent les fouilles des sites de la civilisation de la vallée de l’Indus, de nouvelles informations contribueront sans aucun doute à une meilleure compréhension de son histoire et de son développement. En tout cas, toute connaissance supplémentaire de cet héritage civilisationnel commun pourra à l’avenir servir de fondement à une coopération fraternelle entre le Pakistan, l’Inde et l’Afghanistan.

En attendant, au lieu de vouloir se calquer sur les modèles barbares de l’Empire mongol, de l’Empire romain ou encore de l’Empire britannique, les « élites » du monde transatlantique feraient mieux de s’inspirer de cette magnifique civilisation qui semble avoir prospéré pendant 5000 ans sans guerres et massacres perpétuels, mais simplement grâce à une bonne entente, au niveau national entre citoyens, et à des coopérations mutuellement bénéfiques avec de nombreux partenaires lointains.

La modernité de la civilisation de la vallée de l’Indus, capable d’offrir à chacun de la nourriture, un abri, de l’eau et des installations sanitaires, nous montre, à nous tous qui vivons dans le présent, à quel point nous sommes devenus arriérés.

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The challenging modernity of the Indus Valley Civilization

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Toys for children, Indus Valley Civilization.

Karel Vereycken, Paris, France, January 2023

A major archaeological discovery has just been made in Israel in 2022: the first evidence of the use of cotton fibers in the Near East and among the oldest in the world, dating back nearly 7,000 years, was discovered by Israeli, American and German archaeologists during an archaeological excavation at Tel Tsaf, southeast of Beit She'an, in the Jordan Valley of Israel. 
Microscopic remains of cotton discovered in Tel Tsaf, using micro-remains analysis. (Courtesy University of Haifa)

So far, the earliest available evidence of cotton fibers in the area was dated to a few hundred years later, to the late Chalcolithic (Copper Age) and Early Bronze Age (about 5,000 to 6,500 BCE) from the archaeological site of Dhuweila in eastern Jordan.

Discovered in 1940, the site of Tel Tsaf reveals its secrets. « Tsaf is characterized by an amazing preservation of organic materials, » said Professor Danny Rosenberg of the Zinman Institute of Archaeology at the University of Haifa. « Tel Tsaf was a kind of pole that concentrated important commercial activities and had established contacts with many other peoples, » Rosenberg believes. « There was massive storage capacity there to accommodate grain, enormous capacity if you compare it to other sites.

For example, the earliest evidence of the social use of beer drinking and ritual food storage has been found there. Rosenberg and the other researchers also found beads from contemporary Anatolia, Romania, Egypt and other parts of Africa; pottery from Iraq, Syria and Armenia; and the earliest copper and other metals found in the world.

“Wool Tree” and “Cotton Roads”

Trade relations of the Indus Valley Civilization.

The cotton found in Israel, probably came from the Indus region—modern Pakistan/India—which was the only place in the world that had begun to domesticate cotton at that time before its cultivation appeared in Africa thousands of years later.

« What’s interesting about this early evidence of a link to such a distant region is that it comes from fibers – microscopic pieces of ancient yarn. We assume that these cotton fibers, found along with wool fibers and plant fibers, arrived at the site as part of fabrics or clothing, i.e., ancient textiles, » Rosenberg says.

In addition, cotton was not only used for clothing: « In the prehistoric era, textiles were involved in many areas of life, not only in clothing but also in hunting, fishing … This is much more important than just saying that what we found are pieces of clothing that were worn by the inhabitants of the area. This discovery tells us a lot about the economic practices of the area, » says Rosenberg.

Since cotton had never been grown in Tel Tsaf, it was a surprise for the researchers to find it, and they felt that its presence underscored the city’s importance as a global trading hub at the heart of what could be called, the « Cotton Roads » of those days.

Growing cotton poses major challenges: a moderate to tropical climate and vast amounts of water. Just to produce a single T-shirt and a pair of jeans (representing about 1 kg of cotton), no less than 20,000 liters of water are required! Which civilization can afford such a performance at the beginning of the 7th millennium BC?


The Indus Valley civilization (IVC)

In yellow: settlements, colonies and outposts of the IVC. In white, the Himalayan snow which feeds the Indus Valley water flow.

The term « Indus Valley Civilization » (IVC) refers to a vast cultural and political entity that flourished in the northern region of the Indian subcontinent between about 8000 and about 1900 BCE., a region that stretched from Baluchistan (Pakistan) in the west to Uttar Pradesh (India) in the east and from northeastern Afghanistan in the north to Gujarat (India) in the south.

In the absence of both literary sources and remnants of palaces and temples to confirm it, one cannot qualify this entity as a “Kingdom” or an “Empire”. Its modern name (IVC) derives simply from its location in the Indus Valley, but also goes under the name of the « Indus-Sarasvati civilization » or « Harappan civilization ». These last designations come from the river Sarasvati, mentioned in the Vedic sources, which flowed next to the Indus and which would have disappeared, and from the ancient city of Harappa (Punjab, Pakistan), discovered by the British in 1829, but deliberately left unexplored.

The rise of a great urban civilization in the Indus Valley, which reached its maturity around 2500-2400 BCE, was long considered a sudden and mysterious phenomenon. Today, a series of discoveries allows us to follow, from 7000 to 2500 BCE, a series of transformations and innovations whose cumulative effects, stimulated by the enlargement of the network of exchanges from 3000 BCE onwards, created the conditions for the development of an incredibly modern and prosperous urban civilization.


Enter Mehrgarh, the light of the world!

Remnants of Mehrgarh (Balochistan, Pakistan). Houses and food storage facilities.



Since prehistoric times, the Indus region has been pioneering and rich in discoveries. As an example, for the Guinness Book of Records, although a case apart, the farming village of Mehrgarh (Baluchistan, Pakistan) which dates from the Neolithic (using only stones as tools) but can be considered as the key culture and city that lead humanity, as early as in the 8th millennia BCE, from the Stone Age into the Age of Copper.

The site is located on the principal route between what is now Afghanistan and the Indus Valley: this route was also undoubtedly part of a trading connection established quite early between the Near East and the Indian subcontinent.

Excavations in Mes Aynak (Afghanistan), where archaeologists are only beginning to find remnants of a 5,000-year-old Bronze Age site beneath the Buddhist level, including an ancient copper smelter, will undoubtedly shed new light on these relationships.

On the basis of a variety of well-documented archaeological finds, it has been established that “pre-Harrapan” Mehrgarh, made several historical breakthroughs for the benefit of humanity as a whole.

Mehrgarh gave the world:

  • among the oldest traces of agriculture (wheat and barley) and breeding (cattle, sheep and goats) in South Asia ;
  • the first breweries (with wheat and barley);
  • the oldest reservoirs for irrigated agriculture and flood prevention;
  • the oldest traces of cotton culture (6th millennium BCE);
  • the oldest jewel, called the « Mehrgarh amulet » (6th millennium BCE), produced with the « lost wax » bronze casting technique ;
  • the oldest bow drills (in green jasper) allowing to drill holes in lapis lazuli and carnelian;
  • the very first traces of successfull dentistry practices (!) (9th millennium BCE); The inhabitants of Mehrgarh appeared to have developed an understanding of surgery and dentistry, as evidenced by the drilled teeth of some of the skeletons found at the site. Analysis of the teeth shows that prehistoric dentists worked to treat toothaches with drills made from flint heads. The work was so elaborate that even modern dentists are surprised at the efficiency with which the Mehrgarh « dentists » removed decaying tooth tissue. Among the remains, a total of eleven drilled crowns were found, with one example showing evidence of a complex procedure involving the removal of tooth enamel followed by carving of the cavity wall. Four of the teeth show evidence of decay associated with the drilled hole. None of the individuals with drilled teeth appear to have come from a special tomb or shrine, indicating that the oral health care they received was available to all.
Dentistry practices were common in 9000 BCE in Mehrgarh.



Densely populated

Originally, the IVC was built around the fishy meanders of the Indus, a river nearly 3200 kilometers long that flows from the Himalayan mountains towards the Arabian Sea. Like the populations of other great river valleys, this society was seduced by the fertility of the land as well as by the possibility of using the Indus as a transportation route.

The IVC, whose prosperity rests largely on the increasingly systematic exploitation of the rich silt of the Indus, spread over an immense territory encompassing the entire Indus Valley and part of Indian Gujarat. It is necessary to add to the vast zone of distribution of the Indus civilization some Harappan « colonies » or outposts like Sutkagan Dor (Ballochistan, Pakistan), close to Gwadar on the edges of the sea of Oman, at the Iranian-Pakistani border, and the lapus lazuli mining town of Shortugai, close to Amu Darya river, at the Afghan-Tajik border, at nearly 1,200 kilometers of Mohenjo-daro, by far the largest IVC urban concentration.

Four famous river basin based civilizations.

At its peak, this civilization was twice as large as the Old Kingdom of Egypt. With an area of 2.5 million square kilometers, it was at the time the largest civilization in the world: it included 5 million people, or 10 % of the world population at the time, much more than less older civilizations as Sumer (0.8 to 1.5 million people) or ancient Egypt (2 to 3 million).

To date, about 2,000 sites have been discovered in India, Pakistan and Afghanistan. Because of various wars and conflicts, only 10 % of the territory of these sites has been excavated and scientifically investigated. On the Indian subcontinent, the main centers of this civilization are Harappa (estimated 23,500 inhabitants) and Mohenjo-daro (est. 40,000 inhabitants) in Pakistan and Lothal, Dholavira and Kalibangan in India. In addition to trade relations with Mesopotamia and Iran, the Harappan city-states also maintained active trade relations with the peoples of Central Asia.

Agriculture, crafts and industry

IVC and India.

Agriculture, animal husbandry, industry, trade and commerce were the main source of income.

Agriculture was the main occupation of the people of the Indus Valley. They cultivated barley and wheat on a large scale (and made beer) but also other crops such as legumes, cotton, cereals, sesame, dates, mustard, melons, peas, etc.

There is no real evidence of rice, but a few grains of rice have been found in Rangpur and Lothal.

In the towns of Mehrgarh, Harappa, and Mohenjo-daro, there are remains of large granaries, suggesting that they produced more than they needed and physically stocked cereals and other food products in case of crop failure.

Bull from IVC

Animal husbandry was another major occupation. Seals suggest that they domesticated cows, buffalos, goats, sheep, pigs, etc. Camels and bullocks were also domesticated and used as beasts of burden. Camel bones have been found in large numbers at many sites, but there is no trace of them on the seals. During the excavation of Surkotado in Gujarat, India, the jawbone of a horse was found. Terracotta figurines representing a horse were found in Nausharo and Lothal.

The inhabitants of the Indus Valley were very skillful. They made ceramics, metal vessels, tools and weapons, weaved and spun, dyed and practiced other crafts with potter’s wheels. The weavers wore clothes made of cotton and wool. They knew leather, but there is no record of silk production.

Ceramics from Mehrgarh (3000 BCE).

The inhabitants of this civilization originally came from the Bronze Age and used stone tools, but they soon excelled in the manufacture and processing of gold, silver, copper, lead and bronze, especially for artistic ornaments of great finesse.

Artisans made jewelry in Mohenjo-daro, Chanho-daro and Lothal. They used ivory and various precious stones such as carnelian, lapis lazulite, agate and jasper to make them. Shell work was also a thriving industry. Craftsmen in the coastal colonies used shells to make buttons for shirts, pendants, rings, bracelets, beads, etc.

To supply the production of these craft professions, they needed to import various raw materials. To produce bricks and ceramics, clay was available locally, but for metal they had to acquire it from abroad. Trade focused on importing raw materials to be used in Harappan city workshops, including minerals from Iran and Afghanistan, lead and copper from other parts of India, jade from China, and cedar wood floated down rivers from the Himalayas and Kashmir. Other trade goods included terracotta pots, gold, silver, metals, beads, flints for making tools, seashells, pearls, and colored gemstones, such as lapis lazuli and turquoise.

Ox carts were used to transport goods from one place to another. They also constructed barges used on the waterways along the Indus and its tributaries for transportation.

One of the ways historians know about the maritime trade network operating between the Harappan and Mesopotamian civilizations is the discovery of Harappan seals and jewelry at archaeological sites in regions of Mesopotamia, which includes most of modern-day Iraq, Kuwait, and parts of Syria. Long-distance sea trade over bodies of water—such as the Arabian Sea, Red Sea and the Persian Gulf—may have become feasible with the development of plank watercraft that were each equipped with a single central mast supporting a sail of woven rushes or cloth.

Land and maritime trade relations.

Historians have also made inferences about networks of exchange based on similarities between artifacts across civilizations.

Between 4300 and 3200 BCE, ceramics from the Indus Valley Civilization area show similarities with southern Turkmenistan and northern Iran. During the Early Harappan period—about 3200 to 2600 BCE—there are cultural similarities in pottery, seals, figurines, and ornaments that document caravan trade with Central Asia and the Iranian plateau.

The wonders of Mohenjo-daro

Sometimes referred to as the « Manhattan of the Bronze Age » for the grid pattern of the city plan, Mohenjo-daro (Sind, Pakistan) remained buried under meters of alluvial sediment until 1922.

A real metropolis made of baked bricks, it covers more than 200 hectares. Strictly squared, cut in two by a street of ten meters wide, divided from north to south by a dozen arteries drawn with the cord, and crossed from east to west by paved streets, Mohenjo-daro represents, by its strictly reflected urban framework, the model city of the Indus civilization. It could have accommodated up to 40,000 people!

The stunning contribuions of the Indus Valley Civilization to humankind.
Major breakthroughs of the IVC: production of standardized bricks, tower water wells (left), circular grinding place (mill) for cereals (right), unified system of measurement (center), shipbuilding and sailing (below).

The Harappans were masters of hydraulic engineering, a “riparian” people working in river corridors practicing irrigated agriculture. They mastered both the shaduf (an irrigation tool used to draw water from a well), and windmills.

In the Harappan cities, the domestic and manufacturing areas were separated from each other.

The inhabitants, living in one-, two-, and sometimes three-story dwellings, seem to have been mainly artisans, farmers, and merchants. The people had developed the wheel, cattle-drawn carts, flat-bottomed boats large enough to carry goods, and perhaps also sailing. In the field of agriculture, they had understood and used irrigation techniques and canals, various agricultural implements, and had established different areas for livestock grazing and cultivation.

Seals and harrapan script

Seals with trade-marks.

Among the thousands of artifacts found at the various sites are small soapstone seals just over one inch (3 cm) in diameter, used to sign contracts, authorize land sales, and authenticate the point of origin, shipment, and receipt of goods in long-distance trade. On each seal is a small text in Harappan, a language yet to be deciphered.

Among the thousands of artifacts found at the various sites are small soapstone seals just over one inch (3 cm) in diameter, used to sign contracts, authorize land sales, and authenticate the point of origin, shipment, and receipt of goods in long-distance trade.

Commercial contacts between the Indus and Sumer populations are well documented. Numerous seals from the Indus Valley have been discovered in Mesopotamia. On each seal, a small text in Harappean, a language that remains to be deciphered.

If 4,200 texts reached us, 60 % of them are seals or mini-tablets of stone or copper, engraved, and they comprise on average… only five signs! The longest text has 26 signs. The texts are always accompanied by the image of an animal, often a unicorn or a majestic buffalo. They were intended to mark goods, probably indicating the name of the owner or the recipient and a quantity or a year. Trying to decipher the Indus language is a bit like trying to learn French only from the labels on the food shelf of a supermarket!

The invention of sanitation

Several cities such as Mohenjo-daro or Harappa had individual « flush toilets ».

In addition to this particular attention that they paid to urban planning, the members of the Indus civilization also seem to have been pioneers of modern hygiene. Some cities, notably Mohenjo-daro, were equipped with small containers (dustbins) in which the inhabitants could deposit their household waste.

Anticipating our « all to the sewer » systems imagined in the 16th century by Leonardo da Vinci for the project envisaged by François I for the new French capital Romarantin, many cities had already public water supply and an ingenious sanitation system.

In many cities, including Mohenjo-daro, Harappa, Lothal and Rakhigari, individual houses or groups of houses were supplied with water from wells. This quality fresh water was used as much for food and personal hygiene (baths, toilets) as for the economic activities of the inhabitants.

Remnants of a bathing room and evacuation system in Lothal.

As an example, the sanitation system of the port city of Lothal (Gujarat, India) where many houses had a bathroom and private brick latrines. The wastewater was evacuated through a communal sewer system that led either to a canal in the port, or to a soaking pit outside the city walls, or to buried urns equipped with a hole allowing the evacuation of liquids, which were regularly emptied and cleaned.

Water from wells was brought to the highest level of the city. From there, it could flow to households, to bathrooms. Once used, the water flow would be evacuated via underground pipes and sewer systems and be conducted outside the city.

Excavations at the Mohenjo-daro site have also revealed the existence of no less than 700 brick water wells, houses equipped with bathrooms and individual and collective latrines. Toilets were an essential element. However, early archaeologists erroneously identified most toilets as post-cremation burial urns or simple cesspools. Many buildings in the city were two or more stories high. Water from the roof and bathrooms of the upper floors was channeled through closed clay pipes or open troughs that emptied, if necessary via the toilets, into the covered sewers underneath the paved street.

This extraordinary achievement is confirmed by a 2016 scientific study, entitled « The Evolution of Toilets Around the World Across the Millennia, » which reports that,

The earliest multi-flush toilets connected to a sophisticated sewage system that have been identified so far were found in the ancient cities of Harappa and Mohenjo-Daro in the Indus Valley, dating from the middle of the third millennium BC. Nearly every dwelling unit in Harappa, Mohenjo-Daro, and Lothal was equipped with a private bath-toilet area with drains to carry dirty water into a larger drain that emptied into the sewer and drainage system.

https://www.mdpi.com/2071-1050/8/8/779/htm

Till now, it are the Minoan (Crete) civilization and China that have been credited for the first use of underground clay pipes for sanitation and water supply. In the Cretan capital Knossos, there was a well-organized water system to bring in clean water, to evacuate wastewater and to provide storm sewers for overflow in case of heavy rains.

In Knossos existed also one of the earliest uses of flush toilets, dating back to the 18th century BCE. The Minoan civilization had stone sewers that were periodically cleaned with clean water. Crete, of course, was a large provider of Copper ore for the entire world in Antiquity and had vast international trade connections.

Religious and cultural worldview

« Great Bath » in Mohenjo-daro, swimming pool or religious temple? In medaillon: artist view.

In the IVC, fertility rituals were probably observed in order to promote a full harvest as well as for women’s pregnancies, as evidenced by a number of figurines, amulets and statuettes with female form.

« King-Priest » found at Mohenjo-daro (4500 BCE).

It is thought that the people, like the Dravidians who some believe were the origin of the Indus Civilization, worshiped a “mother goddess” and possibly a male companion represented as a horned figure in the company of wild animals.

The « Great Bath » at Mohenjo-daro would have been used for purification rites related to religious belief, but it could just as easily have been a public pool for recreation. Our knowledge of the religious beliefs of this culture remains in the realm of mere hypothesis.

The title of the famous statue of the « Priest-King » found at Mohenjo-daro is misleading, as there is no evidence that it is a king or a priest, and it may be a simple cotton trader…

Apart from pottery, certain types of elementary weapons (spearheads, axes, arrows, etc.) and certain tools for practical purposes, two types of artifacts give us cultural clues about Harappean society.

Dancing girl, bronze, Delhi.

First, some figurines, which we try to interpret as devotional objects, seem to be simple toys. For others, they are clearly toys, notably animals (oxen, buffaloes, elephants, goats and even a simple hen), made of bronze or terracotta, mounted on small carts with wheels.

Toys.

Second, among other objects expressing a high level of sensitivity and consciousness, a series of masks, some of which seem inspired by Mongolian masks.

These masks are clearly intended to serve comic or tragic representations and remind us of the ancient masks that have come down to us from classical Greece.

Masks of IVC.

Older than Sumer and Egypt?

Archaeological excavations of the IVC got off to a late start, and it is now believed that some of the achievements and « firsts » attributed to Egypt ( – 3150 BC) and Mesopotamia ( – 4500 BC) may in fact belong to the inhabitants of the Indus Valley civilization.

In May 2016, the report published by a team of researchers from IIT Kharagpur, Institute of Archaeology, Deccan College Pune, Physical Research Laboratory and Archaeological survey of India (ASI), published by the journal Nature, shattered a number of “facts” that were considered unshakeable certainties.

https://www.nature.com/articles/srep26555

Until now, the 900 years of the « mature » phase of the IVC was dated as ranging from 2800 to 1900 BCE. However, the aforementioned Indian study indicates that this civilization was much older than previously thought – it is at least 8,000 years old!

To determine the age of this civilization, researchers dated pottery using a technique called optically stimulated luminescence (OSL) – and found it to be nearly 6,000 years old, the oldest pottery known to date.

Other artifacts have been dated to 8,000 years ago. The results come from a major site excavated at Bhirrana (Haryana, India) that shows the preservation of all cultural levels of this ancient civilization, from the pre-Harappan phase through the Early Harappan to the Mature Harappan period. Bhirrana was part of a high concentration of sites along the mythical Vedic river « Saraswati », now dried up, an extension of the Harki-Ghaggar River in the Thar Desert.

The submerged cities of the Gulf of Khambhat

These new dates converge with the discovery, in January 2002, of ruins of submerged cities in the Gulf of Khambhat (formerly Cambay), off the coast of the state of Gujarat in northwest India.

It is the oceanographers of the National Institute of Ocean Technology (NIOT) of Madras who made this discovery. The team was surveying the muddy sea 30 km off the coast of the state of Gujarat, in the Gulf of Khambhat, to measure the levels of marine pollution. As a routine measure, they recorded acoustic images of the ocean floor.

One of NIOT’s sonar scans of underwater constructions.

It was only several months later, while analyzing the data, that the team realized that they had, without knowing it, obtained images of the ruins of a huge city, sunken 40 meters below sea level. And, at the end of January 2002, after having spent weeks to dredge the site and to bring up more than 2 000 objects, the team of the NIOT was able to make extraordinary revelations.

The ruins stretch for 9 km along the banks of an ancient river, and the remains of a dam can be distinguished. The sunken city shares striking similarities with the sites of the Indus civilization. One of the buildings, the size of an Olympic swimming pool, with collapsed steps, recalls the Great Bath of Mohenjo-daro. Another rectangular monument, 200 m long and 45 m wide, is as large as the acropolis discovered at Harappa. The team of NIOT also glimpsed another building, a kind of granary, made of mud bricks, 183 m long. Near these monumental installations, rows of rectangular buildings that resemble the foundations of ruined houses can be seen, and even a drainage system and roads. On another visit to the site, the team recovered polished stone tools, ornaments and figurines, pottery debris, semi-precious stones, ivory and the fossilized remains of a human spine, jaw and tooth. But the team was not at the end of its surprises.

It sent samples of a fossilized log to two major Indian laboratories specializing in dating methods: the Birbal Sbahni Institute of Paleobotany (BSIP) in Lucknow and the National Geophysical Research Institute (NGRI) in Hyderabad. The BSIP dated it to 5500 BCE, while the NGRI dated the sample much earlier, probably to 7500 BCE.

This dating would make Khambhat the oldest site discovered in India. According to some, this discovery could mark the end of the theory according to which urbanization spreads from Asia from the west towards the Indus. This dating caused intense controversy. Archaeologist G. Possehl points out that there is no reason to believe that the fossilized piece of wood belongs to the ruins of the ancient city, given the strong sea currents in the region, it could have come from elsewhere. NIOT’s team acknowledged the validity of these criticisms and assured that other objects would be subjected to dating methods. It is also a question of understanding how this city was sunk and how it ended up 30 km from the coast.

Harsh Gupta, geologist, thinks that it is a gigantic earthquake which caused the destruction of the city. We are in a high seismic risk area, and the 2001 Bhuj earthquake showed the vulnerability of the region to such phenomena. However, the priority is to definitively establish the age of the sunken city and prove it to be the most exciting discovery of this century.

Historical cradle of textiles

In his book Empire of Cotton, A Global History (2015) Sven Beckert traces in depth the development of what the ancients, intrigued by its resemblance to the feel of wool, called the « wool tree. » While this plant grows in both temperate and tropical climates, it needs an abundance of moisture to thrive fully, which consigns its cultivation to naturally and then artificially irrigated river valleys.

According to the author, « The farmers of the Indus Valley were the first to spin and weave cotton. In 1929, archaeologists found fragments of cotton textiles at Mohenjo-Daro, in present-day Pakistan, dating from 3250 to 2750 BCE. Cotton seeds found in nearby Mehrgarh have been dated to 5000 BCE. Literary references also attest to the antiquity of the cotton industry in the subcontinent. The Vedic scriptures, composed between 1500 and 1200 BCE., allude to the spinning and weaving of cotton…”

Historically, the discovery of the first cotton fragments was made at Mohenjo-daro during an expedition led by Sir John Marshall, Director General of the Archaeological Survey of India from 1902 to 1928. In his book on Mohenjo-daro and the Indus Civilization, Sir Marshall relates that fragments of cloth were wrapped around a silver perfume pot and a salt shaker.

Early forms of Self-government?

Remnants of Mohenjo-daro. Note: the buddhist temple (stupa) on top of the « citadel » is much more recent than the foundation of the city itself.

The fact remains that the political organization of the Indus cities escapes the experts. Because contrary to the Mesopotamian and Egyptian civilizations, the researches realized on the sites of the valley of the Indus did not bring to light any temple or palace of scale. There is no proof either of the existence of a permanent army…

Of what to wonder about the presence or not of a political power. Panic among British archaeologists and geopoliticians always inclined to project their own colonial ideology of aristocratic castes on the rest of the world.

In reality, each city seems to have had its own governor, or citizen council coordinating with other urban areas, all adhering to a number of common principles considered mutually beneficial.

This “Coincidence of Opposites”, of great diversity with perfect similarity, intrigues expert John Keay:

What amazed all those pioneers, and what remains the distinguishing characteristic of the several hundred Harappan sites now known, is their apparent similarity: ‘Our overriding impression is of cultural uniformity, both throughout the several centuries during which Harappan civilization flourished, and over the vast area it occupied.’ The ubiquitous bricks, for example, all have standardized dimensions, just as the stone cubes used by the Harappans to measure weight are also standardized and based on the modular system. The width of roads conforms to a similar module; thus, streets are generally twice as wide as side streets, while main arteries are two or one and a half times as wide as streets. Most of the streets excavated so far are straight and run north to south or east to west. The city plans thus conform to a regular grid pattern and seem to have retained this arrangement through several phases of construction.

Hence, given the existence of a unified system of weights and measures; given the similarity of urban organization as well as the standardization of the size of terracotta bricks for hundreds of cities, it is therefore simply impossible that the every man for himself reigned supreme.

Cradle of democracy?

In 1993, in an article entitled « The Indus Valley Civilization, Cradle of Democracy? », published by the UNESCO Courier, the internationally renowned Pakistani archaeologist and museologist, Syed A. Naqv, who has been fighting for the preservation of the Mohenjo-daro site, attempted to answer the question.

In all the highly developed civilizations of the past – Mesopotamia, the Nile Valley, Anatolia, China – the pervasive influence of an imperial authority can be felt, providing patronage for the arts and directing the evolution of society. A close examination of such an imperial authority over this civilization, which flourished some 5,000 years ago and covered almost twice the area of the civilizations of Mesopotamia and the Nile combined seems to belie the presence of an authoritarian regime, the Indus civilization had a well-disciplined way of life, civic controls and organizational system which could only have stemmed from the kind of “rule by the people” that was exercised in some Greek city-State some 2,000 years later. Did Greece give birth to democracy, or did Greece simply follow a practice developed earlier?

Although there are no large structures acting as centers of authority,

the discoveries made so far suggest that the rule of law extended over an area measuring roughly 1,600 kilometers from the north to the south and more that 800 kilometers from east to west. The main argument in support of this thesis is the existence of well-established norms and standards which would have required the consensus of the people if they had not been imposed by an authoritarian regime. It is impossible to ignore the evidence furnished by the perfect planning of the great city of Mohenjo-daro and the use in its construction of standard-sized bricks 27.94 cm long, 13.96 cm wide and 5.71 cm thick.

In the two large cities of Mohenjo-daro and Harappa, about 600 km distant,

the grid pattern of the street layout uncovered by the archaeological excavations shows that great attention was paid to the security of the inhabitants and suggests the existence of a highly developed and well-monolithic system of civic control.

The same is true of the highly sophisticated sewage system and the existence of

a virtually complete series of highly polished stone weights. Their shapes are cubical, half-cubical, cylindrical and spherical, and very few of them are reported to be defective. They provide yet another proof of a civic authority maintaining consistent commercial standards.

It is not possible to conclude that such « a philosophical conception of democracy exists until the Harappan script is deciphered and written evidence is provided. But the signs are there, and further research in this direction may well establish that ‘government by the people’ originated in the Indus Valley, » the author concludes.

Finally, since this agricultural people, who knew the use of the spears and the arrows but didn’t leave any trace of a major military activity – few weapons nor fortifications with exclusively defensive purpose have been found – , many observers agree to say that this society could have known the longest period of peace of the history of the humanity.

Decay and fall

In two of his books, the Timaeus and the Critias, the Greek philosopher Plato tells the story « certainly true, although strange » of a maritime people with incomparable power: the Atlantes whose civilization and capital he describes in great detail.

Starting 10,000 years before our era from an island located beyond the columns of Hercules, the Atlanteans would have ended up dominating the whole of Africa and Western Europe.

In a passage which is not without recalling the type of political organization which could exist in Mohenjo-daro, Critias specifies that Atlantis was then inhabited « by the various classes of men who deal with the trades and agriculture. The warriors, separated from the beginning by divine men, lived separately, possessing all that was necessary for their existence and that of their children. Among them, there were no particular fortunes; all goods were in common: they demanded from the other citizens nothing beyond what they needed to live, and fulfilled in return all the obligations that our talk of yesterday attributed to the defenders of the fatherland as we conceive them. »

Perhaps speaking metaphorically, Plato states that initially virtuous, the Atlantis civilization would have sunk into excess, arrogance and corruption to the point of being chastised by Poseidon himself for having embarked on one war too many, this time against Athens. And « in the time lapse of a single terrible day and night (…) the island of Atlantis sank into the sea and disappeared ».

At the historical level, the sudden decline of the Indus civilization around 1900 BC remains a mystery. Historians point to aspects of Minoan civilization (Crete) showing astonishing similarities with the IVC, especially watermanagement and early sewer systems in Knossos, lost wax broze casting techniques and bull fighting.

A few traces of fire and destruction, as well as forty skeletons wounded with knives and found without burial at Morenjo-daro, first suggested an invasion by Aryan peoples from Central Asia or the Iranian plateau. « This theory has now been abandoned. We have indeed found no effective trace of massacres or violence on the sites of the Indus Valley, or furniture that could be associated with such populations, » says Aurore Didier, researcher at the CNRS and director of the Indus mission.

Another hypothesis, an inability to strengthen its resilience to climatic chaos. « The samples taken in the northwest of India have shown that the climate there has changed significantly about 2000 years before our era. It is reported that this was also the case in Mesopotamia. « It became more like the dry and arid climate of today, which disrupted the cultivation and, in fact, the trade of the Indus civilizations. The ensuing socio-economic upheaval may have led to the decline of these societies. This hypothesis is the most commonly accepted to date, » says the archaeologist.

The inhabitants would have left their valleys become infertile to migrate to the plains of the Ganges. « This was accompanied by a change in livelihood strategies. The Indus civilization gradually converted to summer cereal crops based on rice and millet, two commodities more able to withstand these new climatic conditions and requiring, for rice, the development of irrigated agriculture, » says Aurore Didier. « It has also forged links with new trading partners.”

So there is no reason to talk about the « collapse » of a society in the sense of collapsologists. It is rather a gradual adaptation to the evolution of the environment, spread over several centuries.

As the excavations of the sites of the Indus Valley civilization continue, new information will undoubtedly contribute to a better understanding of its history and development. Any additional knowledge of this common civilizational legacy will serve in the future as a basis for fraternal cooperation between Pakistan, India and Afghanistan and others.

In the meantime, instead of trying to copy the barbaric « models » of the Mongolian Empire, the Roman Empire or the British Empire, the « elites » of the transatlantic world would do better to draw inspiration from a magnificent civilization that seems to have prospered for 5,000 years without perpetual wars and massacres, but simply thanks to a good mutual understanding, at the national level, between citizens, and thanks to mutually beneficial cooperation with the overriding majority of its distant partners.

The Indus Valley Civilization’s modernity, capable of offering food, shelter, water and sanitation to all, in a mirror image, shows all of us living in the present, how backwards we became.


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Vieillard oriental

Vieillard oriental, Karel Vereycken, eauforte sur zinc, 6e état, janvier 2018.

6e état, décembre 2017.

 

4e état

 

oriental

3e état.

 

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