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Jacob Fugger « le riche », père du fascisme financier

Par Karel Vereycken, septembre 2024.

Corruption et élections

Au « bon » vieux temps de l’Empire romain, tout était tellement plus simple ! Déjà à Athènes, mais à plus grande échelle à Rome, la corruption électorale est une pratique rodée. À la fin de la République romaine, des « lobbies » puissants coordonnent des systèmes de corruption et d’extorsion. On dit même que les emprunts à grande échelle destinés à financer les pots-de-vin ont créé l’instabilité financière qui a conduit à la guerre civile de 49-45 av. JC. Les généraux romains, une fois qu’ils avaient ravagé et pillé une colonie lointaine et transformé en espèces sonnantes et trébuchantes leur butin, achetaient directement les voix des sénateurs, toujours utiles pour élire tel ou tel empereur ou légitimer un tyran après son énième coup d’État. A Rome, les « élections » deviendront une telle farce obscène qu’elles furent éliminées. « Une bénédiction du ciel », se réjouit l’homme d’État Quintus Aurelius Symmachus, heureux que « l’affreux bulletin de vote, la répartition des places au spectacle entre copains, la course vénale, tout cela n’existe plus ! ».

Le « Saint-Empire romain germanique »

Faire revivre un système impérial aussi dégénéré et corrompu n’était donc pas forcément une idée brillante, à part pour les lobbies corrupteurs. Le 25 décembre 800, le pape Léon III a couronné Charlemagne « Empereur romain », faisant revivre le titre en Europe occidentale plus de trois siècles après l’effondrement de l’ancien Empire romain d’Occident en 476.

En 962, Otton Ier est couronné empereur par le pape Jean XII. Il se présente comme le successeur de Charlemagne et inaugure l’existence continue de l’Empire pendant plus de huit siècles…

En théorie, les empereurs étaient considérés comme les « premiers parmi leurs pairs », les monarques catholiques d’Europe. Mais, tout comme le vote du Sénat romain était nécessaire pour « élire » un empereur romain, au Moyen Âge, dans la pratique, un petit groupe de « Princes-électeurs », principalement allemands, s’arroge le privilège d’élire le « Roi des Romains ». Une fois élu à ce titre, ce roi est ensuite couronné « Empereur » par le pape.

Le statut d’Électeur jouit d’un grand prestige et est considéré comme juste inférieur à celui de l’empereur, des rois et des plus grands ducs. Les Électeurs bénéficient de privilèges exclusifs qui ne sont pas partagés avec les autres princes de l’Empire, et ils continuent à porter leur titre d’origine en même temps que celui d’Électeur.

En 1356, la « Bulle d’or », un décret portant un sceau d’or émis par la Diète impériale de Nuremberg et de Metz dirigée par l’empereur de l’époque, Charles IV, fixe les règles et les protocoles du système de pouvoir impérial. Tout en limitant quelque peu leur pouvoir, la Bulle d’or accorde aux Grands Électeurs le « Privilegium de non appellando » (privilège de non-appel), empêchant leurs sujets de faire appel à une juridiction impériale supérieure et transforme leurs tribunaux territoriaux en juridictions de dernier ressort.

Cependant, imposer partout une telle superstructure n’est pas mince affaire. Avec Jacques Cœur, Yolande d’Aragon et Louis XI, la France s’affirme de plus en plus comme un État-nation souverain et anti-impérial.

C’est ainsi que le Saint-Empire romain, par un décret adopté à la Diète de Cologne en 1512, devient le « Saint Empire romain germanique », nom utilisé pour la première fois dans un document de 1474. L’adoption de ce nouveau nom coïncide avec la perte des territoires impériaux en Italie et en Bourgogne au sud et à l’ouest à la fin du XVe siècle, tout en visant à souligner la nouvelle importance des États impériaux allemands dans la direction de l’Empire. Napoléon est supposé avoir déclaré que le terme « Saint-Empire romain germanique » était trois fois erroné. Car il était trop débauché pour être saint, trop allemand pour être romain et trop faible pour être un empire.

Vu l’objet de cet article, nous ne nous étendrons pas sur ce vaste sujet. Il convient néanmoins de noter que la propagande du parti nazi, dès 1923, désignait le « Saint-Empire romain de la nation germanique » comme le « premier » Reich (Reich signifiant empire), l’Empire allemand comme le « deuxième » Reich et ce qui allait devenir l’Allemagne nazie comme le « troisième » Reich.

Adolphe Hitler, fier de l’héritage des Fugger, voulait faire d’Augsbourg la « cité des marchands allemands » et transformer la grande résidence des Fugger en « musée du commerce ». Pour briser le morale du führer, le bâtiment fut sévèrement bombardé en février 1942.

Les Princes électeurs

Au XVIe siècle, le Saint-Empire romain germanique se compose d’une myriade de quelque 1800 entités semi-indépendantes réparties en Europe centrale et en Italie du Nord. En clin d’œil à l’ancienne tradition germanique d’élection des rois, les empereurs médiévaux de ce patchwork tentaculaire de territoires disparates sont élus.

A partir de la Bulle d’or de 1356, l’empereur est élu à Francfort (futur siège de la Banque centrale européenne) par un « collège électoral » composé de sept « Princes-électeurs » (en allemand Kurfürst) :

  • l’archevêque de Mayence, archichancelier d’Allemagne ;
  • l’archevêque de Trêves, archichancelier de Gallia (France) ;
  • l’archevêque de Cologne, archichancelier d’Italie ;
  • le duc de Saxe ;
  • le comte palatin du Rhin ;
  • le margrave de Brandebourg ;
  • le roi de Bohême.

Bien entendu, pour obtenir le vote de ces messieurs, les aspirants formulent des engagements oraux et écrits, et surtout, aussi bien sur que sous la table, offrent des privilèges, du pouvoir, de l’argent et bien d’autres choses encore.

Ainsi, la tâche la plus difficile pour tout candidat en herbe consiste à réunir les fonds nécessaires à l’achat des votes. En conséquence, l’existence et la survie même du Saint-Empire romain germanique est aux mains d’une oligarchie financière de riches familles de banquiers marchands.

Tout comme une poignée de banques géantes contrôlent aujourd’hui les nations occidentales en leur achetant leurs émissions de bons du Trésor indispensables au refinancement des intérêts de leurs dettes, les banquiers du début du XVIe siècle, se constituant en oligopole, s’imposent comme « trop grands pour faire faillite », et par conséquent, « trop grands pour aller en prison ».

Le rôle néfaste des Bardi, Peruzzi et autres banquiers Médicis, qui, en ruinant les agriculteurs européens, avaient plongé l’Europe dans une grande famine invitant la « Peste Noire » à décimer entre 30 et 50 % de la population européenne, est un fait historique bien documenté, notamment par mon ami, l’analyste financier américain Paul Gallagher.

Fucker Advenit

Augsbourg, 1497.

Nous nous intéresserons ici aux activités de deux familles de banquiers allemands qui dominent le monde au début du XVIe siècle : les Fugger et les Welser d’Augsbourg (Bavière).

Contrairement aux Welser, une vieille famille patricienne dont nous parlerons à la fin, l’histoire de la réussite des Fugger commence en 1367, lorsque qu’un simple artisan, le « maître tisserand » Hans Fugger (1348-1409), quitte son village de Graben pour s’installer dans la « ville impériale libre » d’Augsbourg, à quatre heures de marche. Le registre des impôts d’Augsbourg indique « Fucker Advenit » (Fugger est arrivé). En 1385, Hans est élu à la direction de la guilde des tisserands, ce qui lui permet de siéger au Grand Conseil de la ville.

Augsbourg, comme les autres villes libres et impériales, n’est soumise à l’autorité d’aucun prince, mais seulement à celle de l’empereur. La ville est représentée à la Diète impériale, contrôle son propre commerce et ne permet que peu d’interférences extérieures.

Dans l’Allemagne de la Renaissance, peu de villes ont égalé l’énergie et l’effervescence d’Augsbourg. Les marchés débordent de tout, des œufs d’autruche aux crânes de saints. Les dames apportent des faucons à l’église. Des éleveurs hongrois conduisent du bétail dans les rues. Si l’empereur vient en ville, les chevaliers joutent sur les places. Si un meurtrier est arrêté le matin, il est pendu l’après-midi pour être vu de tous. La bière coule dans les bains publics aussi librement que dans les tavernes. La ville ne se contente pas d’autoriser la prostitution, elle entretient les maisons closes.

Marchands allemands, vers 1520.

Au départ, le profil commercial des Fugger est fort traditionnel : on achète des tissus fabriqués par des tisserands locaux et on les vend lors de foires à Francfort, à Cologne et, au-delà des Alpes, à Venise.

Pour un tisserand comme Hans Fugger, c’était le « bon moment » pour venir à Augsbourg. Une innovation passionnante s’installe dans toute l’Europe : la futaine, un nouveau type de tissu qui tire peut-être son nom de la ville égyptienne de Fustat, près du Caire, qui fabriquait ce matériau avant que sa production ne s’étende à l’Italie, à l’Allemagne du Sud et à la France.

La futaine médiévale était un tissu robuste type toile ou sergé avec une trame de coton et une chaîne de lin, de soie ou de chanvre et dont l’un des côtés a subi un léger lainage. Plus légère que la laine, elle deviendra très demandée, notamment pour une nouvelle invention : les sous-vêtements. Alors que le lin et le chanvre pouvaient être cultivés presque partout, à la fin du Moyen Âge, le coton provient de la région méditerranéenne, de Syrie, d’Égypte, d’Anatolie et de Chypre, et entre en Europe par Venise.

De Jacob l’Ancien à « Fugger Brothers »

À Augsbourg, Hans a deux enfants : Jacob, connu sous le nom de « Jacob l’Ancien » (1398-1469) et Andreas Fugger (1394-1457). Les deux fils ont des stratégies d’investissement différentes et opposées. Alors qu’Andreas fait faillite, Jacob l’Ancien développe prudemment ses activités.

Après le décès de Jacob l’Ancien en 1469, son fils aîné Ulrich Fugger (1441-1510), avec l’aide de son frère cadet Georg Fugger (1453-1506), prend la direction de l’entreprise jusqu’à sa mort.

Petit à petit, les profits sont investis dans des activités nettement plus rentables : pierres précieuses, orfèvrerie, bijoux et reliques religieuses telles que les os des martyrs et les fragments de croix ; épices (sucre, sel, poivre, safran, cannelle, alun) ; plantes et herbes médicinales et surtout métaux et mines (or, argent, cuivre, étain, plomb, mercure) qui, comme collatéral, permettront l’expansion des émissions monétaires, tout en fournissant les matières premières stratégiques pour l’armement.

Les Fugger nouent alors d’étroites relations personnelles et professionnelles avec l’aristocratie. Ils se marient avec les familles les plus puissantes d’Europe – en particulier les Thurzo d’Autriche. Leurs activités s’étendent à toute l’Europe centrale et septentrionale, à l’Italie et à l’Espagne, avec des succursales à Nuremberg, Leipzig, Hambourg, Lübeck, Francfort, Mayence et Cologne, à Cracovie, Danzig, Breslau et Budapest, à Venise, Milan, Rome et Naples, à Anvers et Amsterdam, à Madrid, Séville et Lisbonne.

Jacob Fugger « le Riche »

En 1473, le plus jeune des trois frères, Jacob Fugger (ultérieurement connu comme « le Riche ») (1459-1525), âgé de 14 ans et destiné à l’origine à une carrière ecclésiastique, est envoyé à Venise, à l’époque « la ville la plus commerçante du monde. Il y est formé au commerce et à la comptabilité. Jeune, Jacob rappelle qu’il s’y est trouvé dormant « à côté de ses compatriotes sur un plancher couvert de paille dans le grenier ».

Jacob retourne à Augsbourg en 1486 avec une immense admiration pour Venise au point qu’il aimait se faire appeler « Jacobo » et ne lâche jamais son béret d’or vénitien. Plus tard, avec un certain sens de l’ironie, il appelle la comptabilité apprise à Venise « l’art de l’enrichissement ».

L’humaniste Érasme de Rotterdam semble avoir voulu lui répondre dans son Colloque « L’ami du mensonge et l’ami de la vérité ».

L’importance de l’information

A Venise, Jacob a assimilé les méthodes vénitiennes (de l’Empire romain) pour réussir :

  • organiser un service de renseignement privé ;
  • imposer un monopole sur les produits stratégiques ;
  • alternance entre la corruption intelligente et le chantage ;
  • pousser le monde au bord de la faillite pour se rendre indispensable.

Jacob Fugger reconnaît l’importance de l’information. Pour réussir, il doit être informé de ce qui se passe dans les ports maritimes et les centres de commerce. Désireux d’obtenir tous les avantages possibles en affaires, Fugger met en place un système de courrier privé destiné à lui transmettre exclusivement les nouvelles, telles que les « décès et les résultats des batailles », afin qu’il les ait avant tout le monde, surtout avant l’empereur.

Jacob Fugger finance tout projet, personne ou opération, correspondant à son objectif à long terme. Mais toujours à des conditions sévères fixées par lui et toujours pour s’imposer aux autres. Le principe en vigueur était le « do ut des », en d’autres termes, « je donne, je peux recevoir ».

En échange de tout prêt, des garanties et des hypothèques étaient exigées : des productions de métaux, des concessions minières, des entrées financières des États, des privilèges commerciaux et sociaux, des exemptions fiscales et douanières et de hautes fonctions pour les proches de Fugger dans la vie des Etats. Et avec la hausse des sommes avancées, la hausse des contreparties exigées par Fugger.

Sébastian Löscher, La richesse et le pouvoir payant tribut à Jacob Fugger, 1525, Augsbourg.

Si le capitalisme « moderne » est la dictature de monopoles privés au détriment d’une libre concurrence non-faussé, c’est sûr qu’il en est le fondateur.

La chose la plus importante qu’il ait apprise à Venise ? Être toujours prêt à sacrifier des gains financiers à court terme et même à offrir des profits financiers à ses victimes pour démontrer sa solvabilité et assurer son contrôle politique à long terme. En l’absence de banques nationales ou de banques publiques, les papes, les princes, les ducs et les empereurs dépendent fortement, voire entièrement, d’un oligopole de banquiers privés.

Lorsqu’un empereur autrichien, dont il est le banquier, envisage de lever un impôt universel, Fugger sabote le projet car cela réduisait sa dépendance des banquiers !

Un ambassadeur vénitien, découvrant que Jacob avait appris son métier à Venise, confesse:

Anvers et Venise

L’Europe (à l’envers), vue par Fugger avec Venise dans le nord et Anvers dans le Sud. Augsbourg au centre du monde.

Les trois Fugger sont bien conscients du rôle clé de Venise et d’Anvers pour le commerce du cuivre, Augsbourg se trouvant, avec Nuremberg, au beau milieu du corridor commercial les reliant. (voir carte)

Anvers

L’année 1503 marque le début des activités portugaises de la maison Fugger à Anvers et, en 1508, les Portugais font d’Anvers la maison de base du commerce colonial.

Bourse de commerce d’Anvers.

En 1515, Anvers se dote de la première bourse de commerce d’Europe qui servira de modèle pour Londres (1571) et Amsterdam (1611).

On y négocie le cuivre, le poivre et les dettes. L’achat d’une cargaison de poivre se réglait pour les ¾ en or, pour ¼ en cuivre. Venise d’abord, Portugal et Espagne par la suite, dépendent de Fugger pour l’argent (métal) et le cuivre.

Venise

La firme exporte du cuivre et de l’argent du Tyrol vers Venise, et importe par Venise des produits de luxe, des textiles fins, du coton et, surtout, des épices indiennes et orientales. Après de grands efforts, c’est le 30 novembre 1489 que le Conseil d’État de Venise confirme aux Fugger la possession permanente de leur chambre au Fondaco dei Tedeschi (Maison des Allemands), l’entrepôt des marchands allemands de poivre sur le Grand Canal, pour l’entretien et la décoration duquel Fugger a dépensé des sommes importantes.

Fondaco dei Tedeschi, (Maison des Allemands) à Venise, vue de l’extérieur.

Au début du XVIe siècle, les marchands de Nuremberg partagent avec ceux d’Augsbourg, le monopole de ce qui constitue le plus important comptoir commercial germanique. Au cours des repas pris en commun que le règlement leur impose, ils président alors officiellement la table réunissant leurs confrères de Cologne, de Bâle, de Strasbourg, de Francfort et de Lübeck.

Des familles de commerçants bien connues font du commerce dans la Fondaco dei Tedeschi dont les Imhoff, Koler, Kreß, Mendel et Paumgartner de Nuremberg, et les Fugger et Höchstetter de Augsbourg. Les marchands importent principalement des épices de Venise : safran, poivre, gingembre, muscade, clous de girofle, cannelle et sucre.

Fondaco dei Tedeschi, Venise. Vue sur la cour intérieure.

La bourse de Nuremberg sert de lien commercial entre l’Italie et d’autres centres économiques européens. Des aliments connus et appréciés dans la région méditerranéenne, tels que l’huile d’olive, les amandes, les figues, les citrons et les oranges, les confitures et des vins trouvent leur chemin de la mer Adriatique à Nuremberg.

A cela s’ajoutent d’autres produits de valeur tels que les coraux, les perles, les pierres précieuses, les produits de la verrerie de Murano et de l’industrie textile, comme les tissus de soie, draps de coton et de damas, velours, brocart, fil d’or, camelot et bocassin. Du papier et des livres complètent la liste.

Au cours des années suivantes, la firme « Ulrich Fugger et frères » traite des lettres de change vénitiennes avec la société Blum de Francfort et les sources mentionnent fréquemment la succursale de la société sur le Rialto comme un débouché pour le cuivre et l’argent, un centre pour l’achat de produits de luxe et une station de compensation pour les transferts à la curie romaine.

Le basculement du monde

Engagements des Fugger dans le commerce international des métaux: argent (gris foncé); cuivre (rouge); plomb (bleu) et mercure (vert olive).

En 1498, six ans après le voyage de Christophe Colomb vers l’Amérique, Vasco de Gama (1460-1524) fut le premier Européen à trouver la route de l’Inde en contournant l’Afrique. Il put ainsi fonder Calicut, le premier comptoir portugais en Inde. L’ouverture de la route maritime vers les Indes orientales par les Portugais prive alors les routes commerciales de la Méditerranée, et donc de l’Allemagne du Sud, d’une grande partie de leur importance. Géographiquement, c’est l’Espagne, le Portugal et les Pays-Bas qui prennent l’avantage.

Jacob Fugger, toujours au courant de tout avant tout le monde, décide alors de relocaliser son marché colonial de Venise vers Lisbonne et Anvers. Il profite de l’occasion pour ouvrir de nouveaux marchés tels que l’Angleterre, sans pour autant délaisser ses marchés tels que l’Italie. Il participe au commerce des épices et ouvre une factorerie à Lisbonne en 1503.

Il reçoit l’autorisation de faire transiter par Lisbonne le poivre, d’autres épices et des produits de luxe tels que les perles et les pierres précieuses.

Avec d’autres maisons de commerce d’Allemagne et d’Italie, Fugger contribue à une flotte de 22 navires portugais dirigée par le portugais Francisco de Almeida (1450-1510), qui se rend en Inde en 1505 et en revient en 1506. Bien qu’un tiers des marchandises importées doive être cédé au roi du Portugal, l’opération reste rentable. Obnubilé par les gains énormes de l’expédition, le roi du Portugal, pour pleinement pouvoir en profiter, fait du commerce des épices un monopole royal excluant toute participation étrangère. Cependant, les Portugais restent dépendant du cuivre livré par Fugger, un produit d’exportation essentiel pour le commerce avec l’Inde.

Fugger, ruses et astuces

1. Renfloue-moi, chérie

En 1494, les frères Fugger fondent une entreprise commerciale avec un capital de 54 385 florins, somme qui sera doublée deux ans plus tard lorsque Jacob persuade, en 1496, le cardinal Melchior von Meckau (1440-1509), prince-évêque de Brixen (aujourd’hui Bressanone dans le Tyrol italien), de rejoindre l’entreprise en tant qu’« associé silencieux » dans le cadre de l’expansion des activités minières en Haute-Hongrie. Dans le plus grand secret et à l’insu de son chapitre ecclésiastique, le prince-évêque place 150 000 florins dans la société Fugger en échange d’un dividende annuel de 5 %. Si de telles « transactions discrètes » étaient tout à fait habituelles chez les Médicis, profiter de taux d’intérêts reste un péché pour l’Eglise.

Lorsque le prince-évêque meurt à Rome en 1509, cet investissement est découvert. Le pape, l’évêché de Brixen et la famille de Meckau, qui revendiquent tous l’héritage, exigent alors le remboursement immédiat de la somme, ce qui aurait entraîné l’insolvabilité de Jacob Fugger.

C’est cette situation qui incite l’empereur Maximilien Ier à intervenir et à aider son banquier. Fugger lui trouve la formule. À condition d’aider le pape Jules II dans une petite guerre contre la République de Venise, le monarque des Habsbourg est reconnu comme l’héritier légitime du cardinal Melchior von Meckau. L’héritage peut désormais être réglé par l’amortissement des dettes en cours. Fugger doit également livrer des bijoux en guise de dédommagement au pape. En échange de son soutien, Maximilien Ier exige toutefois un appui financier soutenu pour ses campagnes militaires et politiques en cours. Une façon de dire aux Fugger : « Je vous sauve aujourd’hui mais je compte sur vous pour me sauver demain… ».

2. Achète-moi un pape et le Vatican, chérie

Pape Jules II.

En 1503, Jacob Fugger donne 4000 ducats (5600 florins) pour graisser la patte des cardinaux afin de faire élire « le pape guerrier » Jules II, ennemi des humanistes.

Une fois élu, pour sa protection, Jules II réclame 200 mercenaires suisses. En septembre 1505, le premier contingent de gardes suisses se met en route pour Rome. À pied et dans les rigueurs de l’hiver, ils marchent vers le sud, franchissent le col du Saint-Gothard et reçoivent leur solde du banquier… Jacob Fugger.

Jules II montre sa gratitude en confiant à Fugger la frappe de la monnaie papale. Entre 1508 et 1524, les Fugger occupent à Rome l’hôtel des monnaies, la Zecca, et fabriquent 66 types de pièces pour quatre papes différents.

3. Les affaires d’abord, chérie

En 1509, Venise est attaquée par les armées de la Ligue de Cambrai, une alliance de puissantes forces européennes qui décide de briser le monopole de Venise sur le commerce européen.

Le conflit désorganise les échanges terrestres et maritimes des Fugger. Les prêts accordés par les Fugger à Maximilien (membre de la Ligue de Cambrai) sont garantis par le cuivre du Tyrol exporté via Venise… Les Fuggers se rangent du côté de Venise sans se brouiller avec un Maximilien bien content.

4. Achète-moi un tueur à gages, chérie

Fugger a des rivaux qui le détestent. Parmi eux, les frères Gossembrot. Sigmund Gossembrot est le maire d’Augsbourg. Son frère et associé en affaires George, est le secrétaire au trésor de Maximilien. Ils souhaitent que les revenus des mines soient investis dans l’économie réelle et conseillent à l’empereur de rompre avec les Fugger. Les deux frères moururent en 1502 après avoir mangé du boudin noir. Le grand historien des Fugger, Gotried von Pölnitz, qui a passé plus de temps que quiconque dans les archives, s’est demandé si les Fugger avaient ordonné cet assassinat. Disons qu’une absence de preuve n’est pas une preuve d’absence.

5. Ta belle mine est mienne, chérie

Mine de cuivre au XVIe siècle.

La période comprise entre 1480 et 1560 a été le siècle de la révolution métallurgique. L’or, l’argent et le cuivre peuvent désormais être séparés de manière économique. La demande de mercure nécessaire au processus augmente rapidement.

Jacob, conscient des gains financiers potentiels qu’il offre, passa du commerce des textiles à celui des épices, puis à l’exploitation minière. Il se rend donc à Innsbruck, dans l’actuelle Autriche, où les mines appartiennent à Sigismond, archiduc d’Autriche (1427-1496), membre de la famille Habsbourg et cousin de l’empereur Frédéric.

Sigismond d’Autriche.

La bonne nouvelle pour Jacob Fugger, c’est que Sigismond est très dépensier. Non pas pour ses sujets mais pour se divertir. Lors d’une fête somptueuse on voit sortir un nain d’un gâteau pour lutter contre un géant. Résultat, Sigismond est constamment obligé de s’endetter. Lorsque l’argent manque, Sigismond vend la production de sa mine d’argent à des prix cassés à un groupe de banquiers. Par exemple à la famille de banquiers génois Antonio de Cavallis.

Pour entrer dans le jeu, Fugger prête à l’archiduc 3000 florins et reçoit 1000 livres d’argent métal à 8 florins la livre, qu’il revend plus tard à 12. Une somme dérisoire comparée à celles prêtées par d’autres, mais ouvrant ses relations avec Sigismond et surtout avec la dynastie naissante des Habsbourg.

En 1487, après une escarmouche militaire avec Venise, plus puissante, pour le contrôle des mines d’argent du Tyrol, l’irresponsabilité financière de Sigismond le rend persona non grata auprès des grands banquiers. Désespéré, il se tourne alors vers Fugger. Ce dernier mobilise la fortune familiale pour réunir l’argent que réclame le monarque. Une situation idéale pour le banquier. Bien entendu, il s’agit d’un prêt garanti et assorti de conditions très strictes. Sigismond ne peut pas le rembourser avec de l’argent métal de ses mines et il doit céder à Fugger le contrôle de son trésor public. Si Sigismond le rembourse, Fugger repart avec une fortune. Mais, compte tenu des antécédents de Sigismond, la chance qu’il rembourse est nulle. Ignorant les conditions du prêt, la plupart des autres banquiers sont convaincus que Fugger fera faillite. Et en effet, Sigismond a fait défaut, exactement comme Fugger… l’avait prévu. Cependant, comme stipule le contrat, Fugger s’empare de « la mère de toutes les mines d’argent », celle du Tyrol. En avançant un peu d’argent comptant, il met la main sur une mine d’argent.

6. Achète mes « obligations Fugger », chérie

Palais Fugger d’Augsbourg, cour intérieure.

Le fonctionnement de la banque Fugger est « moderne » : Fugger prête à l’Empereur (ou à un autre client) et refinance le prêt sur le marché (à des taux d’intérêt plus bas) en vendant des « obligations Fugger » à d’autres investisseurs. Les obligations Fugger étaient des investissements très recherchés car les Fugger sont considérés comme « débiteurs sûrs ». Ainsi, les Fugger ont utilisé leur solvabilité supérieure sur le marché pour garantir le financement de leurs clients dont la solidité n’était pas aussi bien notée. Tant que l’Empereur et les autres clients honorent leurs engagements, les Fugger font un profit sur la différence d’intérêt entre les prêts accordés à taux élevé et l’argent levé à taux bas. Moderne, non ?

7. Achète-moi un empereur, chérie

Maximilien d’Autriche.

Sigismond est bientôt éclipsé par le fils de l’Empereur Frédéric III, Maximilien d’Autriche (1459-1519), qui s’est arrangé pour prendre le pouvoir si Sigismond ne rembourse pas l’argent qu’il lui devait. (Fugger aurait pu prêter à Sigismond l’argent nécessaire pour le maintenir au pouvoir, mais il préfère que Maximilien occupe ce poste).

Maximilien est élu « Roi des Romains » en 1486 et régne en tant qu’empereur du Saint-Empire romain germanique de 1508 jusqu’à sa mort en 1519. Jacob Fugger a soutenu Maximilien Ier de Habsbourg lors de son accession au trône en versant 800 000 florins pour soudoyer les grands Électeurs. Cette fois, Fugger, en tant que caution, ne réclame pas de l’argent, mais des terres. C’est ainsi qu’il acquiert les comtés de Kirchberg et de Weissenhorn auprès de Maximilien Ier en 1507. En 1514, l’empereur le nomme comte.

Sans surprise, les conquêtes militaires de Maximilien coïncident avec les projets d’expansion minière de Jacob. Fugger achète de précieuses terres avec les bénéfices qu’il tire des mines d’argent obtenues de Sigismond et finance ensuite l’armée de Maximilien pour reprendre Vienne en 1490. L’empereur s’empare également de la Hongrie, une région riche en cuivre.

Albrecht Dürer, Le grand canon (détail), gravure sur acier, 1518.

Une « ceinture du cuivre » s’étend tout le long des Carpates comprenant la Slovaquie, la Hongrie et la Roumanie. Fugger modernise les mines du pays grâce à l’introduction de l’énergie hydraulique et de galeries.

L’objectif de Jacob est d’établir un monopole sur le cuivre, matière première stratégique. Avec l’étain, le cuivre entre dans la fabrication du bronze, métal stratégique pour la production de l’armement.

Fugger ouvre des fonderies à Hohenkirchen et dans une usine fortifiée située à Villach, en Carinthie, la Fuggerau (aujourd’hui en Autriche), qui est en même temps un arsenal où l’on fond des canons, où l’on fabrique des mousquets et des arquebuses.

8. Vend des indulgences, chérie

Trafic des indulgences: à gauche, un commis des Fugger, au centre le prédicateur dominicain Tetzel et à droite, à cheval, l’archevêque de Mayence Albrecht de Brandebourg.

En 1514, le poste d’archevêque de Mayence se libère. Comme nous l’avons vu, il s’agit du poste le plus puissant d’Allemagne, à l’exception de celui de l’Empereur. De tels postes requièrent des rétributions. Albrecht de Brandebourg (1490-1545), dont la famille, les Hohenzollern, régnait sur une grande partie du pays, voulait le poste. Albrecht est déjà un homme puissant : il occupe plusieurs autres fonctions ecclésiastiques. Mais même lui n’a pas les moyens de payer des honoraires aussi élevés. Il emprunte donc la somme nécessaire aux Fugger, moyennant un intérêt, que la convention de l’époque qualifie d’honoraire pour « peine, danger et dépense ».

Le pape Léon X, après avoir dilapidé le trésor papal pour son couronnement et organisé des fêtes où des prostituées s’occupaient des cardinaux, demande 34 000 florins pour accorder le titre à Albrecht – ce qui équivaut à peu près à 4,8 millions de dollars d’aujourd’hui – et Fugger dépose l’argent directement sur le compte personnel du pape.

Reste maintenant à rembourser les Fugger. Albrecht a un plan. Il obtient du pape Léon X le droit d’administrer les « indulgences du jubilé » récemment annoncées. Les indulgences étaient des contrats vendus par l’Église pour pardonner les péchés, permettant aux croyants d’acheter leur sortie du purgatoire et leur entrée au paradis.

Mais pour « tondre les moutons », comme pour toute bonne escroquerie, il fallait une « couverture » ou un « narratif ». Le motif à invoquer, concocté par Jules II, était crédible : il affirmait que la basilique Saint-Pierre avait besoin d’une rénovation urgente et coûteuse.

Johann Tetzel avec sa caisse.

Chargé de la vente, un « colporteur d’indulgences », le dominicain Johann Tetzel, « portait des bibles, des croix et une grande boîte en bois avec […] une image de Satan sur le dessus », et disait aux fidèles que ses indulgences « annulaient tous les péchés ». Il propose même un « barème progressif », les riches payant 25 florins et les travailleurs ordinaires un seul. Tetzel aurait dit : « lorsque l’argent s’entrechoque dans la boîte, l’âme saute du purgatoire ».

Sur le terrain, dans chaque église, des commis des Fugger assistent directement à la collecte de l’argent dont la moitié allait au pape et l’autre à Fugger. Fugger obtient du même coup le monopole des transferts de l’argent obtenu par la vente des indulgences entre l’Allemagne et Rome.

Si l’archevêque est à la merci des Fugger, le pape Léon X l’est tout autant, car, pour rembourser sa dette, il collecte de l’argent par des « simonies », c’est-à-dire qu’il vend de hautes fonctions ecclésiastiques aux princes. Entre 1495 et 1520, 88 des 110 évêques d’Allemagne, de Hongrie, de Pologne et de Scandinavie ont été nommés par Rome en échange de transferts d’argent centralisés par Fugger. C’est comme cela que Fugger devient « le banquier de Dieu, le principal financier de Rome ».

9. Achète-moi Luther, chérie

Depuis le IIIe siècle, l’Église catholique affirme que Dieu peut se montrer indulgent et accorder une rémission totale ou partielle de la peine encourue suite au pardon d’un péché. Cependant, l’indulgence obtenue en contrepartie d’un acte de piété (pèlerinage, prière, mortification, don), notamment dans le but de raccourcir le passage par le purgatoire d’un défunt, au cours du temps s’est transformée en un commerce lucratif. Urbain II s’en servira pour recruter des croyants à la première croisade.

Au XVIe siècle, c’est ce trafic des indulgences qui créera de graves troubles et un tumulte au sein de l’Église. Pratique qualifiée par Erasme de superstition dans son Éloge de la folie, la dénonciation du commerce des indulgences est le sujet même des quatre-vingt-quinze arguments de Luther, dont la thèse conduira l’Église à la division et à la Réforme protestante.

Refusant de se rendre à Rome pour répondre aux accusations d’hérésie et de mise en cause de l’autorité du Pape, Luther accepte de se présenter en 1518 à Augsbourg au légat du pape, le cardinal Cajetan. Ce dernier exhorta Luther à se rétracter ou à revenir sur ses déclarations (« revoca ! »).

Luther au palais Fugger d’Augsbourg, devant le cardinal Cajetan.

Alors que Luther avait dénoncé nommément Fugger pour son rôle central dans l’escroquerie des indulgences, il accepta d’être interrogé dans le bureau central de la banque qui organisait le crime qu’il dénonce !

Luther semble avoir été conscient que, accusations verbales à part, les Fugger allaient le protéger et le promouvoir afin de discréditer à un appel à la réforme beaucoup plus raisonnable émanant d’Érasme et de ses disciples à l’intérieur de l’Eglise. Alors qu’il aurait pu être arrêté et brûlé sur le bûcher comme certains le demandaient, Luther est venu, a refusé pendant trois jours de revenir sur ses déclarations et est reparti indemne.

10. Achète-moi de la pauvreté, chérie

Au XVIe siècle, les prix augmentent de façon constante dans toute l’Europe occidentale. A la fin du siècle, ils sont trois à quatre fois plus élevés qu’au début. Récemment, les historiens se sont montrés insatisfaits des explications monétaires de la hausse des prix au XVIe siècle. Ils se sont rendus compte que les prix dans de nombreux pays ont commencé à augmenter avant que la majeure partie de l’or et de l’argent du Nouveau Monde n’arrive en Espagne, et a fortiori ne la quitte, et que les flux monétaires qui leur sont associés n’ont que peu de rapport avec des mouvements de prix, y compris en Espagne.

En réalité, à la fin du XVe et au début du XVIe siècle, la population européenne a recommencé à croître, après la longue période de contraction amorcée par la peste noire de 1348. L’accroissement de la population a entraîné une augmentation de la demande de nourriture, de boissons, de vêtements bon marché, d’abris, de bois de chauffage, etc. Les agriculteurs ont du mal à augmenter leur production : les prix des denrées alimentaires, la valeur des terres, les coûts industriels, tout augmente. Ces pressions sont aujourd’hui considérées comme une cause sous-jacente importante de cette inflation, même si peu de gens nieraient qu’elle a été exacerbée à certains moments par les gouvernements qui manipulent la monnaie, empruntent massivement et mènent des guerres.

« L’ère des Fuggers » est une ère où l’argent est investi dans l’argent et la spéculation financière. L’économie réelle est pillée par les impôts et les guerres. La dynamique créée par l’effondrement du niveau de vie, les impôts et l’inflation des prix pour la plupart des gens et la révélation publique de la corruption de l’Église et de l’aristocratie ouvrent la voie à des émeutes dans de nombreuses villes, à la Guerre des paysans, à une insurrection des tisserands, des artisans et même des mineurs. La « Révolte des Pays-Bas » et des siècles de guerres « religieuses » sanglantes ne prendront fin qu’avec l’« enterrement » de l’Empire par la paix de Westphalie en 1648.

11. Achète-moi des logements sociaux, chérie

Alors qu’il appauvrit des centaines de milliers de personnes par sa rapacité financière, Jacob Fugger offre une centaine de logements sociaux aux indigents qui veulent travailler et prier pour sa famille.

L’initiative de Jacob Fugger, en 1516, de construire la Fuggerei, un projet de logement sociaux pour une centaine de familles de travailleurs à Augsbourg, plutôt unique dans son genre pour l’époque, s’avère trop peu et arrive trop tard. La Fuggerei a survécu en tant que monument en l’honneur des Fugger. Le loyer n’a pas changé, il est toujours d’un gulden rhénan par an (équivalent à 0,88 euros). Mais les locataires doivent prier trois fois par jour pour les Fugger et exercer un emploi à temps partiel. Les conditions pour y vivre restent les mêmes qu’il y a 500 ans : il faut avoir vécu au moins deux ans à Augsbourg, être de confession catholique et indigent sans dettes. Un précurseur des mesures Harz-4? Chaque jour, les cinq portes ferment à 22 heures.

12. Achète-moi des taux dignes d’intérêt, chérie

« Tu ne percevras pas d’intérêts ». En 1215, le pape Innocent III a explicitement confirmé l’interdiction de l’intérêt et de l’usure décrétée par la Bible. La phrase de Luc 6:35, « Prêtez et n’attendez rien en retour », est interprétée par l’Église comme une interdiction pure et simple de l’usure, définie comme la demande d’un quelconque intérêt. Même les comptes d’épargne étaient considérés comme un péché. Ce n’était pas le scénario idéal de Jacob Fugger.

Pour changer cette situation, Fugger embauche un théologien renommé, Johannes Eck (1494-1554) d’Ingolstadt, pour plaider sa cause. Fugger mène une véritable campagne de relations publiques, notamment en organisant des débats sur la question entre orateurs de son choix, et écrit une lettre passionnée au pape Léon X.

Au service des Fugger, le pape Léon X, tableau de Raphaël.

En conséquence, Léon X publie un décret proclamant que la perception d’intérêts n’est de l’usure que si le prêt était consenti « sans travail, coût ou risque » – ce qui n’a jamais été le cas pour aucun prêt.

Plus d’un millénaire après Aristote, le pape Léon X a constaté que le risque et le travail liés à la protection du capital faisaient du prêt d’argent une chose vivante. Tant qu’un prêt implique un travail, un coût ou un risque, il est en règle. Le tour est joué. Fugger persuade l’Église d’autoriser un taux d’intérêt de 5 % – et il réussit assez bien : la perception d’intérêts n’est pas autorisée, mais elle n’est pas punie non plus.

Ainsi, grâce à Léon X, Fugger peut désormais attirer des dépôts en offrant à ses clients un rendement de 5 %. Au niveau des prêts, selon le rapport du Conseil du Tyrol, alors que les autres banquiers prêtaient à un taux de 10 % à Maximilien, le taux appliqué par Fugger, justifié par « le risque » dépassait les 50 % !

Quinten Matsys, Les usuriers, 1520, Galleria Doria Pamphilj, Rome.

Charles Quint, dans les années 1520, a dû emprunter à 18 % et même à 49 % entre 1553 et 1556. Entre-temps, les biens de Fugger, qui s’élèvent en 1511 à 196 791 florins, passent en 1527, deux ans après la mort de Jacob, à 2 021 202 florins, soit un bénéfice total de 1 824 411 florins, ou 927 % d’augmentation, ce qui représente, en moyenne, une augmentation annuelle de 54,5 %. Tout cela est aujourd’hui présenté, non pas comme de l’usure, mais comme une « grande avancée » anticipant les pratiques modernes de gestion de fortunes et d’actifs…

Fugger « a brisé les reins de la Ligue hanséatique » et « a sorti le commerce de son sommeil médiéval en persuadant le pape de lever l’interdiction de prêter de l’argent. Il a contribué à sauver la libre entreprise d’une mort prématurée en finançant l’armée qui a remporté la guerre des paysans allemands, le premier grand affrontement entre le capitalisme et le communisme », souligne Greg Steinmetz, historien et ancien correspondant du Wall Street Journal.

Venise, le plus ancien ghetto juif d’Europe

13. Achète-moi un Empire austro-hongrois, chérie

Lorsque la Turquie envahit la Hongrie en 1514, Fugger s’inquiète vivement de la valeur de ses mines de cuivre hongroises, ses propriétés les plus rentables. Après l’échec des efforts diplomatiques, Fugger lance un ultimatum à Maximilien : soit il conclut un accord avec la Hongrie, soit Fugger renonce à d’autres prêts. La menace fonctionne.

Fidèle à la devise qui prétend expliquer l’origine de la prospérité de la famille de Habsbourg. « Bella gerant alii, tu, felix Austria, nube » (les autres font la guerre; toi, heureuse Autriche, tu fais des mariages), Maximilien négocie une alliance matrimoniale qui laisse la Hongrie aux mains des Habsbourg, ce qui conduit à redessiner la carte de l’Europe en créant la gigantesque poudrière politique connue sous le nom d’Empire austro-hongrois. Fugger avait besoin que les Habsbourg s’emparent de la Hongrie pour protéger ses possessions.

14. Achète-moi un deuxième empereur, chérie

Charles Quint, élu empereur avec l’argent des Fugger. Il les remboursera avec le sang et les larmes de ses sujets.

Lorsque Maximilien Ier, empereur du Saint-Empire romain germanique, meurt en 1519, il doit à Jacob Fugger environ 350 000 florins. Pour éviter un défaut de paiement sur cet investissement, Fugger a réuni un cartel de banquiers afin de réunir tout l’argent de la corruption permettant au petit-fils de Maximilien, Charles Quint, d’acheter le trône.

Si un autre candidat avait été élu empereur, comme le roi de France François qui a soudainement tenté d’entrer en scène, et aurait certainement été réticent à payer les dettes de Maximilien à Fugger, ce dernier aurait sombré dans la faillite.

Cette situation rappelle le modus operandi de JP Morgan, après le krach bancaire américain de 1897 et la panique bancaire de 1907. Le « Napoléon de Wall Street », craignant la renaissance d’une véritable banque nationale dans la tradition d’Alexander Hamilton, réunit d’abord les fonds nécessaires pour renflouer ses concurrents défaillants, puis crée, en 1913, le système de la Réserve fédérale, un syndicat privé de banquiers chargé d’empêcher le gouvernement de s’immiscer dans leurs affaires lucratives.

Ainsi, Jacob Fugger, en liaison directe avec Marguerite d’Autriche, qui a adhéré au projet en raison de ses craintes pour la paix en Europe, a rassemblé de manière totalement centralisée l’argent pour chaque Électeur, profitant de l’occasion pour renforcer de manière spectaculaire ses positions monopolistiques, en particulier sur ses concurrents tels que les Welser et le port d’Anvers, en pleine expansion.

Selon l’historien français Jules Michelet (1798-1874), Jacob Fugger posa énergiquement trois conditions :

Hans Holbein le Jeune, L’Homme riche, 1526. Lors de son décès, la mort lui pique ses sous ! Fugger « le Rich » meurt en 1525.

Comme nous l’avons déjà dit, les gens pensent à tort que Jacob « le Riche » était « très riche ». Bien sûr qu’il l’était : aujourd’hui, il est considéré comme l’une des personnes les plus riches de l’Histoire, avec une fortune de plus de 400 milliards de dollars (actuels), soit environ 2 % du PIB total de l’Europe à l’époque, plus de deux fois la fortune de Bill Gates.

Nous ne saurons jamais si cela est vrai ou non et quelle était sa richesse réelle. Mais si l’on examine le capital propre déclaré par les frères Fugger aux autorités fiscales d’Augsbourg, on s’aperçoit qu’il éclipse de loin les sommes colossales prêtées.

Selon l’historien Mark Häberlein, Jacob a anticipé les astuces modernes d’évasion fiscale en concluant un accord avec les autorités fiscales d’Augsbourg en 1516. En échange d’une somme forfaitaire annuelle, la véritable richesse de la famille… n’est pas divulguée. L’une des raisons en est bien sûr que, tout comme BlackRock aujourd’hui, Fugger était un « gestionnaire de fortune », promettant un retour sur investissement de 5 % tout en empochant lui-même 14,5 %… Les cardinaux et autres fortunes investissaient secrètement dans Fugger pour ses rendements juteux.

On peut donc dire que Fugger était très riche… de dettes. Et tout comme le FMI et une poignée de banques géantes aujourd’hui, en renflouant leurs clients avec de l’argent fictif, les Fugger ne faisaient rien d’autre que de se renflouer eux-mêmes et d’augmenter leur capacité à continuer de le faire. Pas de réforme structurelle sur la table, seulement une crise de liquidité ? Cela me rappelle quelque chose !

Le choix unanime de Charles Quint par les Électeurs a nécessité des pots-de-vin exorbitants, d’un montant de 851 585 florins, pour faciliter les choses. Jacob Fugger a versé 543 385 florins, soit environ les deux tiers de la somme, les Welser et quelques banquiers génois ont avancé le reste.

Il faudrait un gros livre ou un documentaire pour détailler l’ampleur des pots-de-vin payés pour l’élection impériale de Charles Quint.

Voici un extrait d’un compte rendu détaillé :

Albert de Brandebourg. Pas assez de doigts aux mains pour exhiber ses bagues.
Hermann V de Wied.
Joachim Ier Nestor.

15. Achète-moi un monde sans régulation bancaire, chérie

En 1523, sous la pression d’une opinion publique de plus en plus remontée contre les maisons de commerce d’Augsbourg, au premier rang celles des Fugger, le bras fiscal du Conseil impérial de régence les met en accusation. Certains évoquent même l’idée de limiter le capital commercial des entreprises individuelles à 50 000 florins et le nombre de leurs succursales à trois. La mort pour Fugger.

Conscient qu’une telle réglementation le ruinerait, Jacob Fugger, pris de panique, écrit le 24 avril 1523 un court message à l’empereur Charles Quint, rappelant à sa Majesté sa dépendance à l’égard de la bonne santé des comptes bancaires de Fugger :

16. Achète-moi l’Espagne, chérie

Bien sûr, Charles Quint n’a pas un kopeck pour rembourser le prêt géant de Fugger qui l’avait fait élire ! Petit à petit, Fugger fait valider son droit de poursuivre l’exploitation des métaux – argent et cuivre – dans le Tyrol pour faire fructifier l’argent. Mais il en obtint davantage, d’abord en Espagne même et, tout à fait logiquement, dans les territoires nouvellement conquis par l’Espagne en Amérique.

17. Achète-moi l’Amérique, chérie

Tout d’abord, pour rembourser sa dette, Charles propose l’usufruit des principaux territoires des ordres de chevalerie espagnols, appelés Maestrazgos, pour lesquels les Fugger paient 135 000 ducats par an. Entre 1528 et 1537, le Maestrazgos est administré par les Welser d’Augsbourg et un groupe de marchands dirigé par le chef espagnol du service postal Maffeo de Taxis et le banquier génois Giovanni Battista Grimaldi. Mais après 1537, les Fugger reprennent le flambeau. Le contrat de bail est très intéressant pour deux raisons : d’une part, il permet aux preneurs à bail d’exporter les excédents de céréales de ces domaines et, d’autre part, il inclut les mines de mercure d’Alamadén, un élément crucial à la fois pour la production de verre à miroir, le traitement de l’or et les applications médicales.

Comme les Fugger dépendent des livraisons d’or et d’argent en provenance d’Amérique pour recouvrer leurs prêts à la couronne espagnole, il semblait logique qu’ils se tournent également vers le Nouveau Monde.

18. Achète-moi le Venezuela, chérie

Plaque commémorative sur la résidence des Welser à Augsbourg: « Ici résidait entre 1511 et 1519, Bartolomé Welser qui a dirigé les premières colonisations allemandes en Amérique du Sud.

Bartholomé Welser.

Passons maintenant aux Welser. L’histoire des Welser remonte au XIIIe siècle, lorsque ses membres occupaient des postes officiels dans la ville d’Augsbourg. Plus tard, la famille s’est fait connaître en tant que patriciens et marchands de premier plan. Au XVe siècle, alors que les frères Bartolomé et Lucas Welser pratiquent un vaste commerce avec le Levant et d’autres pays, ils ont des succursales dans les principaux centres commerciaux du sud de l’Allemagne et de l’Italie, ainsi qu’à Anvers, Londres et Lisbonne. Aux XVe et XVIe siècles, des branches de la famille s’installent à Nuremberg et en Autriche.

En récompense de leur contribution financière à son élection en 1519, le roi Charles Quint, incapable de rembourser, accorde aux Welser des privilèges dans la traite des esclaves africains et la conquête des Amériques.

La famille Welser se voit donc offrir la possibilité de participer à la conquête des Amériques au début et au milieu du XVe siècle. Comme le stipule le contrat de Madrid (1528), également connu sous le nom de « contrats Welser », les marchands se sont vus garantir le privilège de mener des « entradas » (expéditions) pour conquérir et exploiter de grandes parties des territoires qui appartiennent aujourd’hui au Venezuela et à la Colombie. Les commerçants allemands cultivent des fantasmes de richesses fabuleuses, alimentés par la découverte de trésors d’or : on dit que les Welser ont créé le mythe de l’El Dorado (la cité de l’or).

Récit allemand (1509) sur les expéditions portugaises.

Les Welser commencent leurs activités en ouvrant un bureau sur l’île portugaise de Madère et en acquérant une plantation de sucre aux îles Canaries.

Ils se sont ensuite étendus à Saint-Domingue, l’actuelle Haïti. La main-mise des Welser sur la traite des esclaves dans les Caraïbes a commencé en 1523, cinq ans avant le contrat de Madrid, puisqu’ils avaient commencé leur propre production de sucre sur l’île.

Les Welser explorant le Venezuela.



Le contrat de Madrid comprend le droit d’exploiter une grande partie du territoire de l’actuel Venezuela (en espagnol « Petite Venise »), un pays qu’ils appelaient eux-mêmes « Welserland ». Ils obtiennent également le droit d’expédier 4 000 esclaves africains pour travailler dans les plantations de sucre. Alors que l’Espagne accorde des capitaux, des chevaux et des armes aux conquistadors espagnols, les Welsers ne leur prêtent qu’au prix fort et les obligent à acheter, exclusivement auprès d’eux, les moyens de faire tourner leurs activités. Des Allemands pauvres se rendent au Venezuela et s’endettent rapidement, ce qui exacerbe leur rapacité et aggrave la façon dont ils traitent les esclaves. De 1528 à 1556, sept entradas (expéditions) conduisent au pillage et à l’exploitation des cultures locales.

La situation devient si grave qu’en 1546, l’Espagne révoque le contrat, notamment parce qu’elle sait que les Welser servent également des clients luthériens en Allemagne. Le fils de Bartholomeus Welser, Bartholomeus VI Welser et Philipp von Hutten sont arrêtés et décapités à El Tocuyo par le gouverneur espagnol local Juan de Carvajal en 1546. Enfin, l’abdication de Charles Quint en 1556 met un terme à la tentative des Welser de rétablir par la loi leur concession.

19. Achète-moi le Pérou et le Chili, chérie

Contrairement à la famille Welser, la participation de Jacob Fugger au commerce colonial reste prudente et conservatrice, et la seule autre opération de ce type dans laquelle il investit est une expédition commerciale ratée de 1525 vers les Moluques, menée par l’Espagnol Garcia de Loaisa (1490-1526). Pour l’Espagne, l’idée était d’accéder à l’Indonésie en passant par l’Amérique, ce qui aurait permis d’échapper au contrôle portugais. Cela n’ira pas plus loin parce que Jacob le Riche meurt en décembre de la même année et son neveu Anton Fugger prend la direction de l’entreprise.

Cependant, la fête continue. Les relations des Fugger avec la Couronne espagnole atteignent leur apogée en 1530 avec le prêt de 1,5 million de ducats des Fugger pour l’élection de Ferdinand comme « roi romain ». C’est dans ce contexte que l’agent des Fugger, Veit Hörl, obtient en garantie de l’Espagne le droit de conquérir et de coloniser la région côtière occidentale de l’Amérique du Sud, de Chincha au Pérou jusqu’au détroit de Magellan. Cette région comprend l’actuel sud du Pérou et tout le Chili. Les choses se sont cependant embrouillées et, pour des raisons inconnues, Charles Quint, qui était d’accord avec l’accord, ne le ratifie pas. Considérant que le projet vénézuélien des Welser a dégénéré en entreprise brutale de pillage et s’est soldé par des pertes substantielles. Anton Fugger, qui estime que les retombées financières sont trop faibles, abandonne ce type d’entreprise.

20. Achète moi des esclaves, chérie

Des manillas, monnaie d’échange pour l’achat d’esclaves.


Le cuivre des mines de Fugger était utilisé pour les canons des navires, mais il servait également à la production de « manillas » en forme de fer à cheval. Les manillas, dérivées du latin signifiant main ou bracelet, étaient une « monnaie » utilisée par la Grande-Bretagne, le Portugal, l’Espagne, les Pays-Bas, la France et le Danemark pour échanger avec l’Afrique de l’Ouest de l’or et de l’ivoire, ainsi que des personnes réduites à l’état d’esclaves. Les métaux privilégiés étaient à l’origine le cuivre, puis le laiton vers la fin du XVe siècle et enfin le bronze vers 1630.

En 1505, au Nigeria, un esclave se vend pour 8 à 10 manilles, et une dent d’éléphant pour une manille de cuivre. On dispose désormais de chiffres : entre 1504 et 1507, les commerçants portugais importent 287 813 manilles du Portugal vers la Guinée, en Afrique, via la station commerciale de São Jorge da Mina. Le commerce portugais s’intensifie au cours des décennies suivantes. 150 000 manilles sont exportées chaque année vers le fort commercial d’Elmina, sur la Côte d’Or. En 1548, une commande de 1,4 million de manilles est passée à un marchand allemand de la famille Fugger pour soutenir le commerce.

Un bronze béninois.

En 2023, un groupe de scientifiques a découvert que certains des bronzes du Bénin, aujourd’hui restitués aux nations africaines, ont été fabriqués avec du métal extrait à des milliers de kilomètres de là, en Rhénanie allemande. Le peuple Edo du Royaume du Bénin, a créé ses extraordinaires sculptures avec des bracelets en laiton fondus, la sinistre monnaie de la traite transatlantique des esclaves entre le 16e et le 19e siècle…

Fin de partie

Anton Fugger.

Après la mort de Jacob, son neveu Anton Fugger (1493-1560) tente de maintenir la position d’une maison qui s’affaiblit.

Les souverains captifs ne sont pas aussi solvables qu’on l’espérait. Charles Quint a de sérieux soucis financiers et la faillite qui s’annonce est l’une des raisons pour lesquelles il se retire, laissant la direction de l’empire à son fils, le roi Philippe II d’Espagne. Malgré l’arrivée de l’or et de l’argent, l’Empire fait faillite. À trois reprises (1557, 1575, 1598), Philippe II est incapable de payer ses dettes, tout comme ses successeurs, Philippe III et Philippe IV, en 1607, 1627 et 1647.

Mais l’emprise politique des Fugger sur les finances espagnoles est si forte, écrit Jeannette Graulau, que « lorsque Philippe II déclara une suspension de paiement en 1557, la faillite n’incluait pas les comptes de la famille Fugger. Les Fugger proposent à Philippe II une réduction de 50 % des intérêts des prêts si l’entreprise est exclue de la faillite. Malgré le lobbying intense de son puissant secrétaire, Francisco de Eraso, et des banquiers espagnols rivaux des Fugger, Philippe n’inclut pas les Fugger dans la faillite ». Bravo les artistes !

En 1563, les créances des Fugger sur la Couronne espagnole s’élevaient à 4,445 millions de florins, soit bien plus que leurs avoirs à Anvers (783 000 florins), Augsbourg (164 000 florins), Nuremberg et Vienne (28 600 florins).

Mais en fin de compte, en unissant leur destin trop étroitement à celui des souverains espagnols, l’empire bancaire des Fugger s’est effondré avec l’effondrement de l’empire espagnol des Habsbourg.

Le professeur français Pierre Bezbakh, écrivant dans Le Monde en septembre 2021, a noté :

Aujourd’hui, uniquement dix méga-banques (dont 4 françaises) appelées « Prime Brokers » sont autorisées à acheter et à revendre sur le marché secondaire les bons d’État français, émis à dates régulières par l’Agence française du Trésor pour refinancer la dette publique française (3228 milliards d’euros) et surtout pour refinancer les remboursements de la dette (51 milliards d’euros en 2024). Les noms des Fuggers d’aujourd’hui sont : HSBC, BNP Paribas, Crédit Agricole, J.P. Morgan, Société Générale, Citi, Deutsche Bank, Barclays, Bank of America Securities et Natixis.

Conclusion

Au-delà de l’histoire des dynasties Fugger et Welser qui, après avoir colonisé les Européens, ont étendu leurs crimes coloniaux à l’Amérique, il y a quelque chose de plus profond à comprendre.

Aujourd’hui, on dit que le système financier mondial est « désespérément » en faillite. Techniquement, c’est vrai, mais politiquement, il est maintenu avec succès au bord de l’effondrement total afin de garder le monde entier dépendant d’une classe de prédateurs financiers apatrides. Un système en faillite, paradoxalement, nous désespère, mais leur donne l’espoir de rester aux commandes et de maintenir leurs privilèges jusqu’à la fin des temps. Seuls les banquiers peuvent sauver le monde de la faillite !

Historiquement, nous, en tant qu’humanité, avons créé des « États-nations » dûment équipés de « banques nationales » contrôlées par le gouvernement, afin de nous protéger de ce chantage financier systémique et abject. Les banques nationales, si elles sont correctement gérées, peuvent générer des crédits productifs dans notre intérêt à long terme en développant notre économie physique et humaine plutôt que les bulles financières des maîtres-chanteurs financiers.

Malheureusement, un tel système positif a rarement existé et lorsqu’il a existé, il a été saboté par les marchands d’argent que Roosevelt voulait chasser du temple de la République.

Comme nous l’avons démontré, la grave dissociation mentale appelée « monétarisme » est l’essence même du fascisme (financier). Les syndicats financiers et bancaires criminels « impriment » et « créent » de l’argent. Si cet argent n’est pas « domestiqué » et utilisé comme instrument pour accroître les pouvoirs créatifs de l’homme et de la nature, les ressources s’épuisent et les conflits deviennent insolubles.

La volonté de « convertir » à tout prix, y compris par la destruction de l’humanité et de ses pouvoirs créateurs, une « valeur » nominale qui n’existe qu’en tant qu’accord entre les hommes, en une forme de richesse physique « réelle », est l’essence même de la machine de guerre nazie.

Pour sauver les dettes du Royaume-Uni et de la France envers l’industrie américaine de l’armement détenue par JP Morgan et consorts, il fallait forcer, par le Traité de Versailles, l’Allemagne à payer. Lorsqu’il s’est avéré que c’était impossible, les intérêts bancaires anglo-franco-américains ont créé la « Banque des règlements internationaux ».

La BRI, sous la supervision directe de Londres et de Wall Street, a permis à Hitler d’obtenir les liquidités et devises suisses dont il avait besoin pour construire sa machine de guerre, une machine de guerre considérée comme potentiellement utile pour les Occidentaux tant qu’elle annonçait vouloir marcher vers l’Est, en direction de Moscou.

Pour obtenir des liquidités de la BRI, la banque centrale allemande déposait en garantie des tonnes d’or volées aux pays qu’elle envahissait (Autriche, Pays-Bas, Belgique, Luxembourg, Tchécoslovaquie, Pologne, Albanie, etc.). L’or dentaire des Juifs, des communistes, des homosexuels et des Tziganes exterminés dans les camps de concentration est déposé sur un compte secret de la Reichsbank pour financer les SS.

Le ministre des finances de la Banque d’Angleterre et d’Hitler, Hjalmar Schacht, qui a échappé à la potence du procès de Nuremberg grâce à ses protections internationales, fut sans doute le meilleur élève de Jacob Fugger le Riche, non pas le père de la banque allemande ou « moderne », mais le père du fascisme financier, héritier de Rome, de Venise et de Gênes. Plus jamais ça !

Biographie sommaire:

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Persian Qanâts and the Civilization of Hidden Waters


By Karel Vereycken, July 2021.

World Day of handwashing, UNICEF.

By Karel Vereycken, July 2021.

At a time when old diseases make their return and new ones emerge worldwide, the tragic vulnerability of much of humanity poses an immense challenge.

One wonders whether to laugh or cry when international authorities trumpet without further clarification that to stop the Covid-19 pandemic, “all you have to do” is “wash your hands with soap and water”!

They forget one small detail: 3 billion people do not have facilities to wash their hands at home and 1.4 billion have no access to either water or soap!

Yet, since the dawn of time, mankind has demonstrated its capacity to mobilize its creative genius to make water available in the most remote places.

Here is a short presentation of a marvel of such human genius, the “qanâts”, an underground water conveyance system dating from the Iron Age. Probably of Egyptian origin, it was deployed on a large scale in Persia from the beginning of the 1st millennium BC.



The qanât or underground aqueduct

Typical cross-section of a qanât.

Sometimes called “horizontal drilling”, the qanât is an underground aqueduct employed to draw water from a water table and convey it by simple gravitational effect to urban settlements and farmland. The word qanât is an old Semitic word, probably Accadian, derived from a root qanat (reed) from which come canna and canal.

This “drainage gallery”, cut into the rock or built by man, is certainly one of the earliest and most ingenious inventions for irrigation in arid and semi-arid regions. The technique offers a significant advantage: by conveying water through an underground conduit, contrary to open air canals, not a single drop of water is wasted by evaporation.

Oases’ are NOT natural phenomena. All known oases are man-made. It is the qanât technique that allows man, in a given geographic configuration, to create oases in the middle of the desert, when a water table is close enough to the ground level or at a site close to the bed of a river lost in the sands of the desert.

From Mexico till China, diffusion of qanât technique.

Copied and expanded by the Romans, the qanât technique was carried across the Atlantic to the New World by the Spaniards, where many such underground canals still function in Peru and Chile. In fact, there are even Persian qanâts in western Mexico.


While today this three thousand year old technique may not be appropriate everywhere to solve current water scarcity problems in arid and semi-arid regions, it has much to inspire us as a demonstration of human genius at its best, that is, capable of doing a lot with a little.


The oases of Egypt

Egyptian man-made oasis of Dakhleh.



Today, 95% of the Egyptian population prospers on only 5% of its territory, mainly around the Nile delta. Hence, from the earliest days of Egyptian civilization, irrigation and water storage techniques for the Nile floods were developed in order to conserve this silty, nutrient-rich water for use throughout the year.

The river water was diverted and transported by canals to the fields by gravity. Since water from the Nile did not reach the oases, the Egyptians used the gushing water from the springs, which came from the large aquifer reserves of the western desert, and conveyed it to the fields by irrigation canals.

One of the fruits of this attempt to “conquer the desert” was a sustained habitation of the Dakhleh oasis throughout the Pharaonic period, explicable not only by a commercial interest on the part of the Egyptian state, but also by the new agricultural perspectives it offered.



Roman aqueducts

With its 170 km, 106 of which are underground, the Qanat of Gadara (now in Jordan) is the largest aqueduct of antiquity. It starts from a mountain water source held back by a dam (right) to supply a series of cities east of the Jordan River, in particular Gadara, near Lake Tiberias.
The Qanât Fi’raun, or aqueduct of Gadara, in Jordan.

Closer to us in time, the Qanât Fir’aun (The Watercourse of the Pharaoh) also known as the aqueduct of Gadara, a city today in Jordan. As far as we know, this 170 km long structure, depending on the geography, combines several bridge-aqueducts (of the same type as the Gard aqueduct in France) and 106 km of underground canals using the Persian qanât technique. It is not only the longest but also the most sophisticated aqueduct of antiquity, and the fruit of a years of hydraulic engineering.

In reality, the Romans, hiring persian water experts, did nothing more than terminate in the 2nd century an ancient project designed to supply water to the “Decapolis”, a collaborative group of ten cities founded by Greek and Macedonian settlers under the Seleucid king Antiochos III (223 – 187 BC), one of the successors of Alexander the Great.

These ten cities were located on the eastern border of the Roman Empire (now in Syria, Jordan and Israel), united by language, culture and political status, each with a degree of autonomy and self-rule. Its capital, Gadara, was home to more than 50,000 people and known for its cosmopolitan atmosphere, its own university attracting scholars, writers, artists, philosophers and poets. But this rich city lacked something existential : an abundance of water.

The Gadara qanat made the difference. “In the capital alone, there were thousands of fountains, watering holes and baths. Wealthy senators cooled themselves in private pools and decorated their gardens with cooling caves. The result was a record daily consumption of more than 500 liters of water per capita,” explains Matthias Schulz, author of a report on the aqueduct in Spiegel Online.

Entrance of the Gardara qanât, Jordan.



Persia

The Shahzadeh Garden in Iran, an oasis built with the age-old technique of qanats.
Maintenance



We all admire the roman aqueducts. But few of us are aware that the Romans only adapted the technique of the qanâts developed much earlier in Persia.

Indeed, it was under the Achaemenid Empire (around 559 – 330 BC.), that this technique spread slowly from Persia to the east and the west. Many qanâts can be found in North Africa (Morocco, Algeria, Libya), in the South East Asia (Iran, Oman, Iraq) and further east, in Central Asia, from Afghanistan to China (Xinjiang), via India.

The development of these “draining galleries” is attested in different regions of the world under various names: qanât and kareez in Iran, Syria and Egypt, kariz, kehriz in Pakistan and Afghanistan, aflaj in Oman, galeria in Spain, kahn in Balochistan, kanerjing in China, foggara in North Africa, khettara in Morocco, ngruttati in Sicily, bottini of Siena, etc.

Historically, the majority of the populations of Iran and other arid regions of Asia or North Africa depended on the water provided by the qanâts; their construction lifted entire areas to a higher “economic platform”, made deserts habitable and opened new land for agriculture. The map of demographic expansion followed the trail of the development of this new higher platform.


In his article « Du rythme naturel au rythme humain : vie et mort d’une technique traditionnelle, le qanât » (From natural rhythm to human rhythm: the life and death of a traditional technique, the qanât), Pierre Lombard, a researcher at the French CNRS, points out that this is not an artisanal and marginal process:

Until a few years ago, the importance of the ancestral technique of qanât was sometimes ignored in Central Asia, Iran, Syria, and even in the countries of the Arabian Peninsula. For example, the Public Authority for Water Resources of the Sultanate of Oman estimated in 1982 that all the qanâts still in operation conveyed more than 70 % of the total water used in that country and irrigated nearly 55% of the cereal lands. Oman was still one of the few states in the Middle East to maintain and sometimes even develop its qanât network; this situation, apart from its longevity, does not appear to be exceptional. If one turns to the edges of the Iranian Plateau, one can note with Wulff (1968) the obvious discrepancy between the relative aridity of this area (between 100 and 250 mm of annual precipitation) and its non-negligible agricultural production, and explain it by one of the densest networks of qanâts in the Middle East. It can also be recalled that until the construction of the Karaj dam in the early 1960s, the two million inhabitants of Tehran at that time consumed exclusively the water brought from the Elbourz foothills by several dozen regularly maintained qanâts. Finally, we can mention the case of some major oases in the Near and Middle East (Kharga in Egypt, Layla in Saudi Arabia, Al Ain in the United Arab Emirates, etc.) or in Central Asia (Turfan, in Chinese Turkestan) that owe their vast development, if not their very existence, to this remarkable technique.”

On the website ArchéOrient, the French archaeologist Rémy Boucharlat, Director of Research Emeritus at the CNRS, an Iran expert, explains:

“Whatever the origin of the water, deep or not, the technique of construction of the gallery is the same. First, the issue is to identify the presence of water, either its going underground near a river, or the presence of a water table under a foothill, which requires the science and experience of specialists. A motherwell will be dug to reach the top of the water table, indicating at which depth the [horizontal] gallery should be drilled. It’s slope must be very small, less than 2‰, so that the flow of water is calm and regular, and conduct the water gradually to the surface area, according to a gradient much lower than the slope of the foothill.

“The gallery is then dug, not starting from the mother well because it would be immediately flooded, but from downstream, from the point of arrival. The conduct is first dug in an open trench, then covered, and finally gradually sinks into the ground in a tunnel. For the evacuation of soil and ventilation during excavation, as well as to identify the direction of the gallery, shafts are dug from the surface at regular intervals, between 5 and 30 m depending on the nature of the land ».

Aireal view of persian qanât system.

In April 1973, Lyndon LaRouche’s friend, the French-Iranian professor and historian Aly Mazahéri (1914-1991), published his translation from Arab into French of “The Civilization of Hidden Waters”, a treatise on the exploitation of underground waters composed in the year 1017 by the Persian hydrologist Mohammed Al-Karaji, who lived in Baghdad. (Translated in English in 2011)

After an introduction and general considerations on geography, natural phenomena, the water cycle, the study of terrain and the instruments of the hydrologist, Al-Karaji gives a highly precise technical outline of the construction and maintenance of qanâts, as well as legal considerations respecting their management and maintenance.

Commentary on the qanâts in the treatise of Al-Karaji (11th century).

In his introduction to Al-Karji’s treatise, Professor Mazaheri emphasizes the role of the Iranian city of Merv (now in Turkmenistan). This ancient city, he says, was part of

“the long series of oases extending at the foot of the northern slope of the Iranian plateau, from the Caspian to the first foothills of the Pamirs. There, between the geological extension of the Caspian towards the East, there is a strip of arable land, more or less wide, but very fertile. Now, to exploit it, a lot of ingenuity is needed: where, for example in Merv, a big river, such as the Marghab, coming from the glaciers of the central East-Iranian massif, crosses the chain, it is necessary to establish dams, above the strip of arable land, without which, the ‘river’, divided into several dozens of arms, rushes under the sands. Elsewhere, and it is almost all along the northern slope of the chain, one can create artificial oases, by bringing the water by underground aqueducts.” (p. 44)

The construction of dams and underground aqueducts are among the most interesting legacies of their (the ancient Persians) irrigation techniques (…) Long before Islam, the Persian hydrologists had built thousands of aqueducts, allowing the creation of hundreds of villages, dozens of cities previously unknown. And very often, even where there was a river, because of the insufficiency of this one, the hydronomists had brought to light many aqueducts allowing the extension of the culture and the development of the city. Naishabur was such a city. Under the Sassanids, and later under the Caliphs, an important network of aqueducts had been created there, so that the inhabitants could afford the luxury of owning a ‘’bathing room’ in the basement, at the level of the aqueduct serving the house.”

Water room of a qanat in the basement of the Water Museum in Yadz, Iran.

Let us recall that most Persian scholars, including the famous mathematician Al-Khwarizmi, not suffering from today’s hyper-specialization that tends to curb creative thinking, excelled in mathematics, geometry, astronomy and medicine as well as in hydrology.

Mazaheri confirms that this “civilization of underground waters” spread well beyond the Iranian borders:

“Already, under the [Umayyad] Caliph Hisham (723-42), Persian hydronomists built aqueducts between Damascus and Mecca (…) Later, Mecca suffering from lack of water, Zubayda, the wife of Hâroun Al-Rachîd, sent Persian hydronomists there who endowed the city with a large underground aqueduct. And each time the latter was silted up, a new team left Persia to restore the network: such repairs took place periodically under Al-Muqtadir (908-32), under Al-Qa’im (1031-1075), under Al-Naçir (1180-1226) and, at the beginning of the fourteenth century, under the Mongol prince Emir Tchoban. We would say the same of Medina and the stages on the pilgrimage route, between Baghdad and Mecca, wherever it was possible to do so, hydronomic works were undertaken and ‘underground aqueducts’ were created.

Hydronomy is a highly demanding skill. To practice it, it is not enough to have mathematical knowledge: decadal calculus, algebra, trigonometry, etc., it is necessary to spend long hours in the galleries at the risk of dying by flooding, landslide or lack of air. It is necessary to have an ancestral instinct of ‘dowser’.”

The annual rainfall in Iran is 273 mm, which is less than one third of the world’s average annual precipitation.

The temporal and spatial distribution of precipitation is not uniform; about 75% occurs in a small area, mainly on the southern coast of the Caspian Sea, while the rest of the country does not receive sufficient rainfall. On the temporal scale, only 25% of the precipitation occurs during the plant growing season.

7,7 x the circonférence of the Earth

Still in use today in Iran, qanâts currently supply about 7.6 billion m3 of water, close to 15% of the country’s total water needs.

Considering that the average length of each qanât is 6 km in most parts of the country, the total length of the 30,000 qanât systems (potentially exploitable today) is about 310,800 km, which is about 7.7 times the circumference of the Earth or 6/7th of the Earth-Moon distance!

This shows the enormous amount of work and energy applied to build the qanâts. In fact, while more than 38,000 qanâts were in operation in Iran till 1966, its number dropped to 20,000 in 1998 and is currently estimated at 18,000. According to the Iranian daily Tehran Times, historically, over 120,000 qanat sites are documented.

Moreover, while in 1965, 30-50% of Iran’s total water needs were met by qanats, this figure has dropped to 15% in recent decades.

According to the Face Iran website:

The water flow of qanâts is estimated between 500 and 750 cubic meters per second. As land aridity tends to vary according to the abundance of rains in each region, this quantity of water is used as a more or less important supplement. This makes it possible to use good land that would otherwise be barren. The importance of the impact on the desert can be summarized in one figure: about 3 million hectares. In seven centuries of hard work, the Dutch conquered 1.5 million hectares from the marshes or the sea. In three millennia, the Iranians have conquered twice as much on the desert.

Indeed, to each new qanât corresponded a new village, new lands. From where a new human group absorbed the demographic surplus. Little by little the Iranian landscape was constituted. At the end of the qanat, is the house of the chief, often with one floor. It is surrounded by the villagers’ houses, animal shelters, gardens and market gardens.

The distribution of land and the days of irrigation of the plots were regulated by the chief of the villages. Thus, a qanat imposed a solidarity between the inhabitants.”

If each qanât is “invented” and supervised by a mirab (dowser-hydrologist and discoverer), the realization of a qanât is a collective task that requires several months or years, even for medium-sized qanâts, not to mention works of record dimensions (a 300 m deep mother-well, a 70 km long gallery classified in 2016 as a World Heritage Site by UNESCO, in northeast Iran).

Each undertaking is carried out by a village or a group of villages. The absolute necessity of a collective investment in the infrastructure and its maintenance requires a higher notion of the common good, an indispensable complement to the notion of private property that rains and rivers do not take in account.

In the Maghreb, the management of water distributed by a khettara (the local name for qanâts) follows traditional distribution norms called “water rights”. Originally, the volume of water granted per user was proportional to the work contributed to build the khettara, translated into an irrigation time during which the beneficiary had access to the entire flow of the khettara for his fields. Even today, when the khettara has not dried up, this rule of the right to water persists and a share can be sold or bought. Because it is also necessary to take into account the surface area of the fields to be irrigated by each family.

The causes of the decline of the qanâts are numerous. Without endorsing the catastrophist theses of an anti-human ecology, it must be noted that in the face of the increasing urban population, the random construction of dams and the digging of deep wells equipped with electric pumps have disturbed and often depleted the aquifers and water tables.

A neoliberal ideology, falsely described as “modern”, also prefers the individualistic “manager” of a well to a collective management organized among neighbors and villages. A passive State authority has done the rest. In the absence of more thoughtful reflection on its future, the age-old system of qanâts is on the verge of extinction as a result.

In the meantime, the Iranian population has grown from 40 to over 82 million in 40 years. Instead of living off oil, the country is seeking to prosper through agriculture and industry. As a result, the need for water has increased substantially. To cope with rising demands, Iran is desalinating sea water at great cost. Its civilian nuclear program will be the key factor to provide water at a reasonable cost.

Beyond political and religious divisions, closer cooperation between all the countries in the region (Turkey, Syria, Iraq, Israel, Egypt, Jordan, etc.) with a perspective to improve, develop, manage and share water resources, will be beneficial to each and all.

Presented as an “Oasis Plan” and promoted for decades by the American thinker and economist Lyndon LaRouche, such a policy, translating word into action, is the only basis of a true peace policy.

Bibliography :

  • Remy Boucharlat, The falaj or qanât, a polycentric and multi-period invention, ArcheOrient – Le Blog, September 2015 ;
  • Pierre Lombard, Du rythme naturel au rythme humain : vie et mort d’une technique traditionnelle, le qanat, Persée, 1991 ;
  • Aly Mazaheri, La civilisation des eaux cachées, un traité de l’exploitation des eaux souterraines composé en 1017 par l’hydrologue perse Mohammed Al-Karaji, Persée, 1973 ;
  • Hassan Ahmadi, Arash Malekian, Aliakbar Nazari Samani, The Qanat: A Living History in Iran, January 2010;
  • Evelyne Ferron, Egyptians, Persians and Romans: the interests and stakes of the development of Egyptian oasis environments.

NOTE:

[1] The ten cities forming the Decapolis were: 1) Damascus in Syria, much further north, sometimes considered an honorary member of the Decapolis; 2) Philadelphia (Amman in Jordan); 3) Rhaphana (Capitolias, Bayt Ras in Jordan); 4) Scythopolis (Baysan or Beit-Shean in Israel), which is said to be its capital; It is the only city west of the Jordan River; 5) Gadara (Umm Qeis in Jordan); 6) Hippos (Hippus or Sussita, in Israel); 7) Dion (Tell al-Ashari in Syria); 8) Pella (Tabaqat Fahil in Jordan); 9) Gerasa (Jerash in Jordan) and 10) Canatha (Qanawat in Syria)

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Qanâts perses et Civilisation des eaux cachées

aqueduc souterrain
Journée internationale du lavage des mains, organisée par UNICEF.

Par Karel Vereycken, juillet 2021.

A une époque où d’anciennes maladies reviennent et où de nouvelles émergent à l’échelle mondiale, la vulnérabilité tragique d’une grande partie de l’humanité pose un immense défi.

On se demande s’il faut rire ou pleurer quand les autorités internationales claironnent sans plus de précisions que pour enrayer la pandémie de Covid-19, il « suffit » de bien se laver les mains à l’eau et au savon !

Ils oublient un petit détail : 3 milliards de personnes ne disposent pas d’installations pour se laver les mains chez elles et 1,4 milliard n’ont aucun accès, ni à l’eau, ni au savon !

Pourtant, depuis la nuit des temps, l’homme a su rendre l’eau disponible dans les endroits les plus reculés.

Voici un aperçu d’une merveille du génie humain, les qanâts perses, une technique de canalisations souterraines datant de l’âge de fer. Sans doute d’origine égyptienne, elle fut mise en œuvre à grande échelle en Perse à partir du début du 1er millénaire avant notre ère.

Le qanât ou aqueduc souterrain

Parfois appelé « forage horizontal », le qanât est un aqueduc souterrain servant à puiser dans une nappe phréatique pour l’acheminer par simple effet de gravitation vers des lieux d’habitation et de cultures. Certains qanâts comprennent des aires de repos pour les travailleurs, des réservoirs d’eau, des salles d’eau souterraines et même des moulins à eau. Le mot qanâts, vieux mot sémitique, probablement accadien, dérivé d’une racine qanat (roseau) d’où viennent canna et canal.

Cette « galerie drainante », taillée dans la roche ou construite par l’homme, est certainement l’une des inventions les plus ingénieuses pour l’irrigation dans les régions arides et semi-arides. La technique offre un avantage non négligeable : se déplaçant dans un conduit souterrain, pas une goutte d’eau ne se perd par évaporation.

Diffusion de la technique des qanâts perses dans le monde.

C’est cette technique qui permet à l’homme de créer des oasis en plein désert, lorsqu’une nappe phréatique est suffisamment proche de la surface du sol ou parfois sur le lit d’une rivière venant se perdre dans le désert.

Copiée et utilisée par les Romains, la technique des qanâts a été transportée par les Espagnols de l’autre côté de l’Atlantique vers le nouveau monde, où de nombreux canaux souterrains de ce type fonctionnent encore au Pérou et au Chili. En fait, il existe même des qanâts perses dans l’ouest du Mexique.

Si aujourd’hui, ce système triplement millénaire n’est pas forcément applicable partout pour résoudre les problèmes de pénurie d’eau dans les régions arides et semi-arides, il a de quoi nous inspirer en tant que démonstration du génie humain dans ce qu’il a de meilleur, c’est-à-dire capable de faire beaucoup avec peu.

Les oasis d’Égypte

Le génie de l’homme à l’œuvre : l’oasis de Dakhleh, en plein désert égyptien, alimenté par des qanâts.

Dès les balbutiements de la civilisation égyptienne, des techniques d’irrigation et de stockage de l’eau des crues du Nil furent développées afin de conserver cette eau limoneuse, riche en nutriments, pour l’utiliser tout au long de l’année. L’eau du fleuve était déviée et transportée par canaux vers les champs grâce à la gravité. Puisque l’eau du Nil ne parvenait pas dans les oasis, les Égyptiens utilisèrent l’eau jaillissante des sources, provenant des grandes réserves aquifères du désert de l’Ouest, et acheminée vers les terres par des canaux d’irrigation.

Le résultat de cette tentative de conquête du désert fut une habitation soutenue de l’oasis de Dakhleh tout au long de l’époque pharaonique, explicable non seulement par un intérêt commercial de la part de l’État égyptien, mais aussi par de nouvelles possibilités agricoles.

Aqueducs Romains

Avec ses 170 km, dont 106 en souterrain, le qanât de Gadara (actuellement en Jordanie) est le plus grand aqueduc de l’Antiquité. Il part d’une source d’eau de montagne retenue par un barrage (à droite) pour alimenter une série de villes à l’Est du Jourdain, en particulier Gadara, proche du lac Tibériade.
Le Qanât Fi’raun, ou aqueduc de Gadara, en Jordanie.

Plus proche de nous, le Qanât Fir’aun (Le cours d’eau du Pharaon) également connu comme l’aqueduc de Gadara, aujourd’hui en Jordanie.

En l’état actuel de nos connaissances, cet édifice de 170 kilomètres, qui alterne, en fonction de la géographie, plusieurs pont-aqueducs (du même type que celui du Gard en France) et 106 km de canaux souterrains utilisant la technique des qanâts perses.

Il est aussi le plus long aqueduc de l’Antiquité, et surtout le plus complexe et le fruit d’un long travail d’ingénierie hydraulique.

En réalité, les Romains ont achevé au IIe siècle un vieux projet visant à approvisionner en eau la Décapole, un ensemble de dix villes fondées par des colons grecs et macédoniens sous le roi séleucide Antiochos III (223 – 187 av. JC), un des successeurs d’Alexandre le Grand.

La Décapole était un groupe de dix villes [*] situées à la frontière orientale de l’Empire romain (aujourd’hui en Syrie, en Jordanie et en Israël), regroupées en raison de leur langue, de leur culture, de leur emplacement et de leur statut politique, chacune possédant un certain degré d’autonomie et d’autogestion.

Sa capitale, Gadara, abritait plus de 50 000 personnes et se distinguait par son atmosphère cosmopolite, sa propre université avec des érudits, attirant écrivains, artistes, philosophes et poètes.

Mais il manquait quelque chose à cette ville riche : une abondance d’eau.

Entrée du qanât à Gadara, Jordanie.

Le qanât de Gadara a changé tout cela. « Rien que dans la capitale, il y avait des milliers de fontaines, d’abreuvoirs et de thermes. Les riches sénateurs se rafraîchissaient dans des piscines privées et décoraient leurs jardins de grottes rafraîchissantes. Il en résultait une consommation quotidienne record de plus de 500 litres d’eau par habitant », explique Matthias Schulz, auteur d’un reportage sur l’aqueduc dans Spiegel Online.

La Perse

Le Jardin de Shahzadeh en Iran, un oasis construit grâce à la technique millénaire des qanâts.

Travaux de maintenance d’un qanât.

La technique des qanâts, reprise et mise en œuvre par les Romains, leur était parvenue de Perse.

En effet, c’est sous L’Empire des Achéménides (vers 559 – 330 av. JC.), que cette technique se serait répandue lentement depuis la Perse vers l’est et l’ouest.

On trouve ainsi de nombreux qanâts en Afrique du Nord (Maroc, Algérie, Libye), au Moyen-Orient (Iran, Oman, Irak) et plus à l’est, en Asie centrale, de l’Afghanistan jusqu’en Chine (Xinjiang) en passant par l’Inde.

Ces galeries drainantes ou galeries de captage émergentes sont attestées dans différentes régions du monde sous des noms divers : qanât et kareez en Iran, Syrie et Égypte, kariz, kehriz au Pakistan et en Afghanistan, aflaj à Oman, galeria en Espagne, kahn au Baloutchistan, kanerjing en Chine, foggara en Afrique du Nord, khettara au Maroc, ngruttati en Sicile, bottini à Sienne, etc.).

Historiquement, la majorité des populations d’Iran et d’autres régions arides d’Asie ou d’Afrique du Nord dépendait de l’eau fournie par les qanâts ; les espaces de peuplement correspondaient ainsi aux lieux où leur construction était possible.

Dans son article « Du rythme naturel au rythme humain : vie et mort d’une technique traditionnelle, le qanât », Pierre Lombard, chercheur au CNRS, relève qu’il ne s’agit pas d’un procédé artisanal et marginal :

La technique ancestrale du qanât revêtait il y a quelques années encore une importance parfois méconnue en Asie centrale, en Iran, en Syrie, ou encore dans les pays de la péninsule arabique. A titre d’exemple, la Public Authority for Water Ressources du Sultanat d’Oman estimait en 1982 que l’ensemble des qanâts encore en activité convoyaient plus de 70 % du total de l’eau utilisée dans ce pays et irriguaient près de 55 % des terres à céréales. L’Oman demeurait certes alors l’un des rares Etats du Moyen-Orient à entretenir et parfois même développer son réseau de qanâts ; cette situation, hormis sa longévité, n’apparaît pourtant en rien exceptionnelle. Si l’on se tourne vers les bordures du Plateau iranien, on peut constater avec Wulff (1968) le décalage évident entre la relative aridité de cette zone (entre 100 et 250 mm de précipitations annuelles) et ses productions agricoles non négligeables, et l’expliquer par l’un des plus denses réseaux de qanâts du Moyen-Orient. On peut aussi rappeler que jusqu’à la construction du barrage du Karaj au début des années 60, les deux millions d’habitants que comptait alors Téhéran consommaient exclusivement l’eau apportée depuis le piémont de l’Elbourz par plusieurs dizaines de qanâts régulièrement entretenus. On peut enfin évoquer le cas de quelques oasis majeures du Proche et Moyen-Orient (Kharga en Egypte, Layla en Arabie saoudite, Al Ain aux Émirats arabes unis, etc.) ou d’Asie centrale (Turfan, dans le Turkestan chinois,) qui doivent leur vaste développement, sinon leur existence même à cette technique remarquable.

Sur le site ArchéOrient, l’archéologue Rémy Boucharlat, directeur de Recherche émérite au CNRS, spécialiste de l’Iran, explique :

Quelle que soit l’origine de l’eau, profonde ou non, la technique de construction de la galerie est la même. Il s’agit d’abord de repérer la présence de l’eau, soit son sous-écoulement à proximité d’un cours d’eau, soit la présence d’une nappe plus profonde sur un piémont, ce qui nécessite la science et l’expérience de spécialistes. Un puits-mère atteint la partie supérieure de cette couche ou nappe d’eau, qui indique à quelle profondeur devra être creusée la galerie. La pente de celle-ci doit être très faible, moins de 2‰, afin que l’écoulement de l’eau soit calme et régulier, et pour conduire peu à peu l’eau vers la surface, selon un gradient bien inférieur à la pente du piémont.

La galerie est ensuite creusée, non pas depuis le puits-mère car elle serait immédiatement inondée, mais depuis l’aval, à partir du point d’arrivée. Le conduit est d’abord creusé en tranchée ouverte, puis couverte, pour enfin s’enfoncer peu à peu dans le sol en tunnel. Pour l’évacuation des terres et la ventilation pendant le creusement, ainsi que pour repérer la direction de la galerie, des puits sont creusés depuis la surface à intervalles réguliers, entre 5 et 30 m selon la nature du terrain.

Qanâts iraniens, vue du ciel sur les puits d’aération et de service.

En avril 1973, notre ami, le professeur et historien franco-iranien Aly Mazahéri (1914-1991), publia sa traduction de La civilisation des eaux cachées, un traité de l’exploitation des eaux souterraines composé en 1017 par l’hydrologue perse Mohammed Al-Karaji, qui vécut à Bagdad.

Après une introduction et des considérations générales sur la géographie du globe, les phénomènes naturels, le cycle de l’eau, l’étude des terrains et les instruments de l’hydronome, Al-Karaji donne une description technique de la construction et de l’entretien des qanâts, ainsi que des considérations juridiques sur la gestion des puits et des conduites.

Dans son introduction au traité d’Al-Karji, le professeur Aly Mazahéri souligne le rôle de la ville iranienne de Merv (aujourd’hui au Turkménistan).

Cette ville antique faisait partie de

la longue série d’oasis s’étendant au pied du versant nord du plateau iranien, de la Caspienne aux premiers contreforts des Pamirs. Là, entre l’extension géologique de la Caspienne vers l’Est, se trouve une bande de terre arable, plus ou moins large, mais fort riche. Or, pour l’exploiter, il faut énormément d’ingéniosité : là où, par exemple à Merv, un grand cours d’eau, tel le Marghab, issu des glaciers du massif central est-iranien, franchit la chaîne, il faut établir des barrages, au-dessus de la bande de terre arable, sans quoi, le ’fleuve’ divisé en plusieurs dizaines de bras se précipite sous les sables. Ailleurs, et c’est presque tout au long du versant nord de la chaîne, on peut créer des oasis artificielles, en amenant l’eau par des aqueducs souterrains. (p. 44)

Commentaire sur les qanâts dans le traité d’Al-Karaji (XIe siècle).

La construction de barrages et celle d’aqueducs souterrains sont parmi les legs les plus intéressants de leurs techniques d’irrigation (…) Bien avant l’islam, les hydronomes perses avaient construit des milliers d’aqueducs, permettant la création de centaines de villages, de dizaines de villes auparavant inconnues. Et très souvent, là même où il y avait une rivière, en raison de l’insuffisance de celle-ci, les hydronomes avaient mis au jour nombre d’aqueducs permettant l’extension de la culture et le développement de la ville. Naishabur était une ville de ce genre. Sous les Sassanides, puis sous les califes, un important réseau d’aqueducs y avait été créé, de sorte que les habitants pouvaient s’offrir le luxe de posséder chacun une ‘salle d’eau’ au sous-sol, au niveau de l’aqueduc desservant la maison.

Salle d’eau d’un qanât au sous-sol du Musée de l’eau à Yadz, Iran.

Rappelons que la plupart des savants perses, notamment le fameux mathématicien Al-Khwarizmi, ne souffrant pas de l’hyper spécialisation qui tend à brider la pensée créatrice, excellaient aussi bien en mathématique, en géométrie, en astronomie et en médecine qu’en hydrologie.

Mazaheri confirme que cette « civilisation des eaux souterraines » s’est répandue bien au-delà des frontières iraniennes :

Déjà, sous le calife Hisham (723-42), des hydronomes persans construisirent entre Damas et La Mecque des aqueducs (…) Plus tard, La Mecque souffrant du manque d’eau, Zubayda, l’épouse de Hâroun Al-Rachîd, y envoya des hydronomes persans qui dotèrent la ville d’un grand aqueduc souterrain. Et chaque fois que celui-ci venait à être ensablé, une nouvelle équipe partait de Perse pour y restaurer le réseau : de telles réfections eurent lieu périodiquement sous Al-Muqtadir (908-32), sous Al-Qa’im (1031-1075), sous Al-Naçir (1180-1226) et, au début du XIVe siècle, sous le prince mongol l’émir Tchoban. Nous dirions autant de Médine et des étapes sur la route du pèlerinage, entre Bagdad et La Mecque, partout où il était possible de le faire, des travaux hydronomiques furent entrepris et des ‘aqueducs souterrains’ furent créés.

« L’hydronomie est un art pénible. Il ne suffisait pas, pour l’exercer, de posséder des connaissances mathématiques : calcul décadique, algèbre, trigonométrie, etc., il fallait passer de longues heures dans les galeries au risque d’y mourir par inondation, éboulement ou manque d’air. Il fallait posséder un instinct ancestral de ‘sourcier’. 

Les précipitations annuelles en Iran sont de 273 mm, soit moins d’un tiers des précipitations annuelles moyennes mondiales.

La distribution temporelle et spatiale des précipitations n’est pas uniforme ; environ 75 % concernent une petite zone, principalement sur la côte sud de la mer Caspienne, alors que le reste du pays ne reçoit pas de précipitations suffisantes. À l’échelle temporelle, seulement 25 % des précipitations ont lieu pendant la saison de croissance des plantes.

Les qanâts iraniens : 7,7 x la circonférence de la Terre

Toujours utilisés aujourd’hui, les qanâts sont construits comme une série de tunnels souterrains et de puits qui amènent les eaux souterraines à la surface. Aujourd’hui, en Iran, ils fournissent environ 7,6 milliards de m3, soit 15 % du total des besoins en eau du pays.

Si l’on considère que la longueur moyenne de chaque qanât est de 6 km dans la plupart des régions du pays, la longueur totale des 30 000 systèmes de qanât (potentiellement exploitables aujourd’hui) est d’environ 310 800 km, soit environ 7,7 fois la circonférence de la Terre ou 6/7 de la distance Terre-Lune !

Cela montre l’énorme travail et l’énergie utilisés pour la construction des qanâts. En fait, alors que plus de 38 000 qanats étaient en activité en Iran jusqu’en 1966, ce nombre est tombé à 20 000 en 1998 et est actuellement estimé à 18 000. Selon le quotidien iranien Tehran Times, plus de 120 000 sites de qanâts sont documentés.

De plus, alors qu’en 1965, 30 à 50 % des besoins totaux en eau de l’Iran étaient couverts par les qanâts, ce chiffre est tombé à 15 % au cours des dernières décennies.

Comme le précise le site Face Iran :

Le débit des qanâts est estimé entre 500 et 750 mètres-cubes seconde. Comme l’aridité n’est pas totale, cette quantité sert d’appoint plus ou moins important suivant l’abondance des pluies de chaque région. Ceci permet d’utiliser de bonnes terres qui seraient autrement stériles. L’importance de l’emiètement ainsi réalisé sur le désert se résume en un chiffre : environ 3 millions d’hectares. En sept siècles de travail acharné, les Hollandais conquirent sur les marais ou sur la mer 1,5 million d’hectares. En trois millénaires, les Iraniens ont conquis le double sur le désert.

En effet, à chaque nouveau qanât correspondait un nouveau village, de nouvelles terres. D’où un nouveau groupe humain absorbait les excédents démographiques. Peu à peu se constituait le paysage iranien. Au débouché du qanât, se trouve la maison du chef, souvent à un étage. Elle est entouré des maisons des villageois, des abris des animaux, de jardins et de cultures maraichères.

La distribution des terrains et les jours d’irrigation des parcelles étaient réglés par le chef des villages. Ainsi un qanât imposait une solidarité entre les habitants.

Si chaque qanât est conçu et surveillé par un mirab (sourcier-hydrologue et découvreur), réaliser un qanât est un travail collectif qui demande plusieurs mois ou années, même pour les qanâts de dimensions moyennes, sans même parler des ouvrages aux dimensions records (puits-mère de 300 m de profondeur, galerie longue de 70 km classée en 2016 au Patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO, dans le nord-est de l’Iran).

L’entreprise est réalisée par un village ou un groupe de villages. La nécessité absolue d’un investissement collectif dans l’infrastructure et sa maintenance nécessite une notion supérieure du bien commun, complément indispensable à la notion de propriété privée que les pluies et les fleuves n’ont guère l’habitude de respecter.

Au Maghreb, la gestion des eaux distribuées par une khettara (nom local des qanâts) obéit à des normes traditionnelles de répartition appelées « droit d’eau ». À l’origine, le volume d’eau octroyé par usager était proportionnel aux travaux fournis lors de l’édification de la khettara et se traduisait en un temps d’irrigation durant lequel le bénéficiaire disposait de l’ensemble du débit de la khettara pour ses champs. Encore aujourd’hui, lorsque la khettara n’est pas tarie, cette règle du droit d’eau perdure et une part peut se vendre ou s’acheter. Car il faut aussi prendre en compte la superficie des champs à irriguer de chaque famille.

Le déclin

Les causes du déclin des qanâts sont multiples. Sans endosser les thèses catastrophistes d’une écologie anti-humaine, force est de constater que face à l’augmentation de la population urbaine, la construction irréfléchie de barrages et le creusement de puits profonds équipés de pompes électriques, ont perturbé et souvent épuisé les nappes phréatiques.

Une idéologie néolibérale, faussement qualifiée de « moderne », préfère également le « manager » d’un puits à une gestion collective entre voisins et villages. Un Etat absent a fait le reste. Faute d’une réflexion plus réfléchie sur son avenir, le système millénaire des qanâts est en voie de disparition.

Entretemps, la population iranienne est passé de 40 à plus de 82 millions d’habitants en 40 ans. Au lieu de vivre de la rente pétrolière, le pays cherche à prospérer grâce à son agriculture et son industrie. Du coup, les besoins en eau explosent. Pour y faire face, l’Iran procède au dessalement de l’eau de mer. Son programme nucléaire civil sera la clé pour en réduire le coût.

Au-delà des divisions politiques et religieuses, une coopération resserrée entre tous les pays de la région (Turquie, Syrie, Irak, Israël, Egypte, Jordanie, etc.) en vue de l’amélioration, du partage et de la gestion des ressources hydriques, sera forcément bénéfique à chacun.

Présentée comme un « Plan Oasis » et promue depuis des décennies par le penseur et économiste américain Lyndon LaRouche, une telle politique, bien mieux que milles traités et autant de paroles, est la base même d’une véritable politique de paix.

Sites de qanâts en Syrie

Bibliographie :


[*] Les dix villes formant la Décapole étaient : 1) Damas en Syrie, bien plus au nord, parfois considérée comme un membre honorifique de la Décapole ; 2) Philadelphia (Amman en Jordanie) ; 3) Rhaphana (Capitolias, Bayt Ras en Jordanie) ; 4) Scythopolis (Baysan ou Beït-Shéan en Israël), qui en serait la capitale ; c’est la seule ville à se trouver à l’ouest du Jourdain ; 5) Gadara (Umm Qeis en Jordanie) ; 6) Hippos (Hippus ou Sussita, en Israël) ; 7) Dion (Tell al-Ashari en Syrie) ; 8) Pella (Tabaqat Fahil en Jordanie) ; 9) Gerasa (Jerash en Jordanie) et 10) Canatha (Qanawat en Syrie).

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