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Qanâts perses et Civilisation des eaux cachées

aqueduc souterrain
Journée internationale du lavage des mains, organisée par UNICEF.

Par Karel Vereycken, juillet 2021.

A une époque où d’anciennes maladies reviennent et où de nouvelles émergent à l’échelle mondiale, la vulnérabilité tragique d’une grande partie de l’humanité pose un immense défi.

On se demande s’il faut rire ou pleurer quand les autorités internationales claironnent sans plus de précisions que pour enrayer la pandémie de Covid-19, il « suffit » de bien se laver les mains à l’eau et au savon !

Ils oublient un petit détail : 3 milliards de personnes ne disposent pas d’installations pour se laver les mains chez elles et 1,4 milliard n’ont aucun accès, ni à l’eau, ni au savon !

Pourtant, depuis la nuit des temps, l’homme a su rendre l’eau disponible dans les endroits les plus reculés.

Voici un aperçu d’une merveille du génie humain, les qanâts perses, une technique de canalisations souterraines datant de l’âge de fer. Sans doute d’origine égyptienne, elle fut mise en œuvre à grande échelle en Perse à partir du début du 1er millénaire avant notre ère.

Le qanât ou aqueduc souterrain

Parfois appelé « forage horizontal », le qanât est un aqueduc souterrain servant à puiser dans une nappe phréatique pour l’acheminer par simple effet de gravitation vers des lieux d’habitation et de cultures. Certains qanâts comprennent des aires de repos pour les travailleurs, des réservoirs d’eau, des salles d’eau souterraines et même des moulins à eau. Le mot qanâts, vieux mot sémitique, probablement accadien, dérivé d’une racine qanat (roseau) d’où viennent canna et canal.

Cette « galerie drainante », taillée dans la roche ou construite par l’homme, est certainement l’une des inventions les plus ingénieuses pour l’irrigation dans les régions arides et semi-arides. La technique offre un avantage non négligeable : se déplaçant dans un conduit souterrain, pas une goutte d’eau ne se perd par évaporation.

Diffusion de la technique des qanâts perses dans le monde.

C’est cette technique qui permet à l’homme de créer des oasis en plein désert, lorsqu’une nappe phréatique est suffisamment proche de la surface du sol ou parfois sur le lit d’une rivière venant se perdre dans le désert.

Copiée et utilisée par les Romains, la technique des qanâts a été transportée par les Espagnols de l’autre côté de l’Atlantique vers le nouveau monde, où de nombreux canaux souterrains de ce type fonctionnent encore au Pérou et au Chili. En fait, il existe même des qanâts perses dans l’ouest du Mexique.

Si aujourd’hui, ce système triplement millénaire n’est pas forcément applicable partout pour résoudre les problèmes de pénurie d’eau dans les régions arides et semi-arides, il a de quoi nous inspirer en tant que démonstration du génie humain dans ce qu’il a de meilleur, c’est-à-dire capable de faire beaucoup avec peu.

Les oasis d’Égypte

Le génie de l’homme à l’œuvre : l’oasis de Dakhleh, en plein désert égyptien, alimenté par des qanâts.

Dès les balbutiements de la civilisation égyptienne, des techniques d’irrigation et de stockage de l’eau des crues du Nil furent développées afin de conserver cette eau limoneuse, riche en nutriments, pour l’utiliser tout au long de l’année. L’eau du fleuve était déviée et transportée par canaux vers les champs grâce à la gravité. Puisque l’eau du Nil ne parvenait pas dans les oasis, les Égyptiens utilisèrent l’eau jaillissante des sources, provenant des grandes réserves aquifères du désert de l’Ouest, et acheminée vers les terres par des canaux d’irrigation.

Le résultat de cette tentative de conquête du désert fut une habitation soutenue de l’oasis de Dakhleh tout au long de l’époque pharaonique, explicable non seulement par un intérêt commercial de la part de l’État égyptien, mais aussi par de nouvelles possibilités agricoles.

Aqueducs Romains

Avec ses 170 km, dont 106 en souterrain, le qanât de Gadara (actuellement en Jordanie) est le plus grand aqueduc de l’Antiquité. Il part d’une source d’eau de montagne retenue par un barrage (à droite) pour alimenter une série de villes à l’Est du Jourdain, en particulier Gadara, proche du lac Tibériade.
Le Qanât Fi’raun, ou aqueduc de Gadara, en Jordanie.

Plus proche de nous, le Qanât Fir’aun (Le cours d’eau du Pharaon) également connu comme l’aqueduc de Gadara, aujourd’hui en Jordanie.

En l’état actuel de nos connaissances, cet édifice de 170 kilomètres, qui alterne, en fonction de la géographie, plusieurs pont-aqueducs (du même type que celui du Gard en France) et 106 km de canaux souterrains utilisant la technique des qanâts perses.

Il est aussi le plus long aqueduc de l’Antiquité, et surtout le plus complexe et le fruit d’un long travail d’ingénierie hydraulique.

En réalité, les Romains ont achevé au IIe siècle un vieux projet visant à approvisionner en eau la Décapole, un ensemble de dix villes fondées par des colons grecs et macédoniens sous le roi séleucide Antiochos III (223 – 187 av. JC), un des successeurs d’Alexandre le Grand.

La Décapole était un groupe de dix villes [*] situées à la frontière orientale de l’Empire romain (aujourd’hui en Syrie, en Jordanie et en Israël), regroupées en raison de leur langue, de leur culture, de leur emplacement et de leur statut politique, chacune possédant un certain degré d’autonomie et d’autogestion.

Sa capitale, Gadara, abritait plus de 50 000 personnes et se distinguait par son atmosphère cosmopolite, sa propre université avec des érudits, attirant écrivains, artistes, philosophes et poètes.

Mais il manquait quelque chose à cette ville riche : une abondance d’eau.

Entrée du qanât à Gadara, Jordanie.

Le qanât de Gadara a changé tout cela. « Rien que dans la capitale, il y avait des milliers de fontaines, d’abreuvoirs et de thermes. Les riches sénateurs se rafraîchissaient dans des piscines privées et décoraient leurs jardins de grottes rafraîchissantes. Il en résultait une consommation quotidienne record de plus de 500 litres d’eau par habitant », explique Matthias Schulz, auteur d’un reportage sur l’aqueduc dans Spiegel Online.

La Perse

Le Jardin de Shahzadeh en Iran, un oasis construit grâce à la technique millénaire des qanâts.

Travaux de maintenance d’un qanât.

La technique des qanâts, reprise et mise en œuvre par les Romains, leur était parvenue de Perse.

En effet, c’est sous L’Empire des Achéménides (vers 559 – 330 av. JC.), que cette technique se serait répandue lentement depuis la Perse vers l’est et l’ouest.

On trouve ainsi de nombreux qanâts en Afrique du Nord (Maroc, Algérie, Libye), au Moyen-Orient (Iran, Oman, Irak) et plus à l’est, en Asie centrale, de l’Afghanistan jusqu’en Chine (Xinjiang) en passant par l’Inde.

Ces galeries drainantes ou galeries de captage émergentes sont attestées dans différentes régions du monde sous des noms divers : qanât et kareez en Iran, Syrie et Égypte, kariz, kehriz au Pakistan et en Afghanistan, aflaj à Oman, galeria en Espagne, kahn au Baloutchistan, kanerjing en Chine, foggara en Afrique du Nord, khettara au Maroc, ngruttati en Sicile, bottini à Sienne, etc.).

Historiquement, la majorité des populations d’Iran et d’autres régions arides d’Asie ou d’Afrique du Nord dépendait de l’eau fournie par les qanâts ; les espaces de peuplement correspondaient ainsi aux lieux où leur construction était possible.

Dans son article « Du rythme naturel au rythme humain : vie et mort d’une technique traditionnelle, le qanât », Pierre Lombard, chercheur au CNRS, relève qu’il ne s’agit pas d’un procédé artisanal et marginal :

La technique ancestrale du qanât revêtait il y a quelques années encore une importance parfois méconnue en Asie centrale, en Iran, en Syrie, ou encore dans les pays de la péninsule arabique. A titre d’exemple, la Public Authority for Water Ressources du Sultanat d’Oman estimait en 1982 que l’ensemble des qanâts encore en activité convoyaient plus de 70 % du total de l’eau utilisée dans ce pays et irriguaient près de 55 % des terres à céréales. L’Oman demeurait certes alors l’un des rares Etats du Moyen-Orient à entretenir et parfois même développer son réseau de qanâts ; cette situation, hormis sa longévité, n’apparaît pourtant en rien exceptionnelle. Si l’on se tourne vers les bordures du Plateau iranien, on peut constater avec Wulff (1968) le décalage évident entre la relative aridité de cette zone (entre 100 et 250 mm de précipitations annuelles) et ses productions agricoles non négligeables, et l’expliquer par l’un des plus denses réseaux de qanâts du Moyen-Orient. On peut aussi rappeler que jusqu’à la construction du barrage du Karaj au début des années 60, les deux millions d’habitants que comptait alors Téhéran consommaient exclusivement l’eau apportée depuis le piémont de l’Elbourz par plusieurs dizaines de qanâts régulièrement entretenus. On peut enfin évoquer le cas de quelques oasis majeures du Proche et Moyen-Orient (Kharga en Egypte, Layla en Arabie saoudite, Al Ain aux Émirats arabes unis, etc.) ou d’Asie centrale (Turfan, dans le Turkestan chinois,) qui doivent leur vaste développement, sinon leur existence même à cette technique remarquable.

Sur le site ArchéOrient, l’archéologue Rémy Boucharlat, directeur de Recherche émérite au CNRS, spécialiste de l’Iran, explique :

Quelle que soit l’origine de l’eau, profonde ou non, la technique de construction de la galerie est la même. Il s’agit d’abord de repérer la présence de l’eau, soit son sous-écoulement à proximité d’un cours d’eau, soit la présence d’une nappe plus profonde sur un piémont, ce qui nécessite la science et l’expérience de spécialistes. Un puits-mère atteint la partie supérieure de cette couche ou nappe d’eau, qui indique à quelle profondeur devra être creusée la galerie. La pente de celle-ci doit être très faible, moins de 2‰, afin que l’écoulement de l’eau soit calme et régulier, et pour conduire peu à peu l’eau vers la surface, selon un gradient bien inférieur à la pente du piémont.

La galerie est ensuite creusée, non pas depuis le puits-mère car elle serait immédiatement inondée, mais depuis l’aval, à partir du point d’arrivée. Le conduit est d’abord creusé en tranchée ouverte, puis couverte, pour enfin s’enfoncer peu à peu dans le sol en tunnel. Pour l’évacuation des terres et la ventilation pendant le creusement, ainsi que pour repérer la direction de la galerie, des puits sont creusés depuis la surface à intervalles réguliers, entre 5 et 30 m selon la nature du terrain.

Qanâts iraniens, vue du ciel sur les puits d’aération et de service.

En avril 1973, notre ami, le professeur et historien franco-iranien Aly Mazahéri (1914-1991), publia sa traduction de La civilisation des eaux cachées, un traité de l’exploitation des eaux souterraines composé en 1017 par l’hydrologue perse Mohammed Al-Karaji, qui vécut à Bagdad.

Après une introduction et des considérations générales sur la géographie du globe, les phénomènes naturels, le cycle de l’eau, l’étude des terrains et les instruments de l’hydronome, Al-Karaji donne une description technique de la construction et de l’entretien des qanâts, ainsi que des considérations juridiques sur la gestion des puits et des conduites.

Dans son introduction au traité d’Al-Karji, le professeur Aly Mazahéri souligne le rôle de la ville iranienne de Merv (aujourd’hui au Turkménistan).

Cette ville antique faisait partie de

la longue série d’oasis s’étendant au pied du versant nord du plateau iranien, de la Caspienne aux premiers contreforts des Pamirs. Là, entre l’extension géologique de la Caspienne vers l’Est, se trouve une bande de terre arable, plus ou moins large, mais fort riche. Or, pour l’exploiter, il faut énormément d’ingéniosité : là où, par exemple à Merv, un grand cours d’eau, tel le Marghab, issu des glaciers du massif central est-iranien, franchit la chaîne, il faut établir des barrages, au-dessus de la bande de terre arable, sans quoi, le ’fleuve’ divisé en plusieurs dizaines de bras se précipite sous les sables. Ailleurs, et c’est presque tout au long du versant nord de la chaîne, on peut créer des oasis artificielles, en amenant l’eau par des aqueducs souterrains. (p. 44)

Commentaire sur les qanâts dans le traité d’Al-Karaji (XIe siècle).

La construction de barrages et celle d’aqueducs souterrains sont parmi les legs les plus intéressants de leurs techniques d’irrigation (…) Bien avant l’islam, les hydronomes perses avaient construit des milliers d’aqueducs, permettant la création de centaines de villages, de dizaines de villes auparavant inconnues. Et très souvent, là même où il y avait une rivière, en raison de l’insuffisance de celle-ci, les hydronomes avaient mis au jour nombre d’aqueducs permettant l’extension de la culture et le développement de la ville. Naishabur était une ville de ce genre. Sous les Sassanides, puis sous les califes, un important réseau d’aqueducs y avait été créé, de sorte que les habitants pouvaient s’offrir le luxe de posséder chacun une ‘salle d’eau’ au sous-sol, au niveau de l’aqueduc desservant la maison.

Salle d’eau d’un qanât au sous-sol du Musée de l’eau à Yadz, Iran.

Rappelons que la plupart des savants perses, notamment le fameux mathématicien Al-Khwarizmi, ne souffrant pas de l’hyper spécialisation qui tend à brider la pensée créatrice, excellaient aussi bien en mathématique, en géométrie, en astronomie et en médecine qu’en hydrologie.

Mazaheri confirme que cette « civilisation des eaux souterraines » s’est répandue bien au-delà des frontières iraniennes :

Déjà, sous le calife Hisham (723-42), des hydronomes persans construisirent entre Damas et La Mecque des aqueducs (…) Plus tard, La Mecque souffrant du manque d’eau, Zubayda, l’épouse de Hâroun Al-Rachîd, y envoya des hydronomes persans qui dotèrent la ville d’un grand aqueduc souterrain. Et chaque fois que celui-ci venait à être ensablé, une nouvelle équipe partait de Perse pour y restaurer le réseau : de telles réfections eurent lieu périodiquement sous Al-Muqtadir (908-32), sous Al-Qa’im (1031-1075), sous Al-Naçir (1180-1226) et, au début du XIVe siècle, sous le prince mongol l’émir Tchoban. Nous dirions autant de Médine et des étapes sur la route du pèlerinage, entre Bagdad et La Mecque, partout où il était possible de le faire, des travaux hydronomiques furent entrepris et des ‘aqueducs souterrains’ furent créés.

« L’hydronomie est un art pénible. Il ne suffisait pas, pour l’exercer, de posséder des connaissances mathématiques : calcul décadique, algèbre, trigonométrie, etc., il fallait passer de longues heures dans les galeries au risque d’y mourir par inondation, éboulement ou manque d’air. Il fallait posséder un instinct ancestral de ‘sourcier’. 

Les précipitations annuelles en Iran sont de 273 mm, soit moins d’un tiers des précipitations annuelles moyennes mondiales.

La distribution temporelle et spatiale des précipitations n’est pas uniforme ; environ 75 % concernent une petite zone, principalement sur la côte sud de la mer Caspienne, alors que le reste du pays ne reçoit pas de précipitations suffisantes. À l’échelle temporelle, seulement 25 % des précipitations ont lieu pendant la saison de croissance des plantes.

Les qanâts iraniens : 7,7 x la circonférence de la Terre

Toujours utilisés aujourd’hui, les qanâts sont construits comme une série de tunnels souterrains et de puits qui amènent les eaux souterraines à la surface. Aujourd’hui, en Iran, ils fournissent environ 7,6 milliards de m3, soit 15 % du total des besoins en eau du pays.

Si l’on considère que la longueur moyenne de chaque qanât est de 6 km dans la plupart des régions du pays, la longueur totale des 30 000 systèmes de qanât (potentiellement exploitables aujourd’hui) est d’environ 310 800 km, soit environ 7,7 fois la circonférence de la Terre ou 6/7 de la distance Terre-Lune !

Cela montre l’énorme travail et l’énergie utilisés pour la construction des qanâts. En fait, alors que plus de 38 000 qanats étaient en activité en Iran jusqu’en 1966, ce nombre est tombé à 20 000 en 1998 et est actuellement estimé à 18 000. Selon le quotidien iranien Tehran Times, plus de 120 000 sites de qanâts sont documentés.

De plus, alors qu’en 1965, 30 à 50 % des besoins totaux en eau de l’Iran étaient couverts par les qanâts, ce chiffre est tombé à 15 % au cours des dernières décennies.

Comme le précise le site Face Iran :

Le débit des qanâts est estimé entre 500 et 750 mètres-cubes seconde. Comme l’aridité n’est pas totale, cette quantité sert d’appoint plus ou moins important suivant l’abondance des pluies de chaque région. Ceci permet d’utiliser de bonnes terres qui seraient autrement stériles. L’importance de l’emiètement ainsi réalisé sur le désert se résume en un chiffre : environ 3 millions d’hectares. En sept siècles de travail acharné, les Hollandais conquirent sur les marais ou sur la mer 1,5 million d’hectares. En trois millénaires, les Iraniens ont conquis le double sur le désert.

En effet, à chaque nouveau qanât correspondait un nouveau village, de nouvelles terres. D’où un nouveau groupe humain absorbait les excédents démographiques. Peu à peu se constituait le paysage iranien. Au débouché du qanât, se trouve la maison du chef, souvent à un étage. Elle est entouré des maisons des villageois, des abris des animaux, de jardins et de cultures maraichères.

La distribution des terrains et les jours d’irrigation des parcelles étaient réglés par le chef des villages. Ainsi un qanât imposait une solidarité entre les habitants.

Si chaque qanât est conçu et surveillé par un mirab (sourcier-hydrologue et découvreur), réaliser un qanât est un travail collectif qui demande plusieurs mois ou années, même pour les qanâts de dimensions moyennes, sans même parler des ouvrages aux dimensions records (puits-mère de 300 m de profondeur, galerie longue de 70 km classée en 2016 au Patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO, dans le nord-est de l’Iran).

L’entreprise est réalisée par un village ou un groupe de villages. La nécessité absolue d’un investissement collectif dans l’infrastructure et sa maintenance nécessite une notion supérieure du bien commun, complément indispensable à la notion de propriété privée que les pluies et les fleuves n’ont guère l’habitude de respecter.

Au Maghreb, la gestion des eaux distribuées par une khettara (nom local des qanâts) obéit à des normes traditionnelles de répartition appelées « droit d’eau ». À l’origine, le volume d’eau octroyé par usager était proportionnel aux travaux fournis lors de l’édification de la khettara et se traduisait en un temps d’irrigation durant lequel le bénéficiaire disposait de l’ensemble du débit de la khettara pour ses champs. Encore aujourd’hui, lorsque la khettara n’est pas tarie, cette règle du droit d’eau perdure et une part peut se vendre ou s’acheter. Car il faut aussi prendre en compte la superficie des champs à irriguer de chaque famille.

Le déclin

Les causes du déclin des qanâts sont multiples. Sans endosser les thèses catastrophistes d’une écologie anti-humaine, force est de constater que face à l’augmentation de la population urbaine, la construction irréfléchie de barrages et le creusement de puits profonds équipés de pompes électriques, ont perturbé et souvent épuisé les nappes phréatiques.

Une idéologie néolibérale, faussement qualifiée de « moderne », préfère également le « manager » d’un puits à une gestion collective entre voisins et villages. Un Etat absent a fait le reste. Faute d’une réflexion plus réfléchie sur son avenir, le système millénaire des qanâts est en voie de disparition.

Entretemps, la population iranienne est passé de 40 à plus de 82 millions d’habitants en 40 ans. Au lieu de vivre de la rente pétrolière, le pays cherche à prospérer grâce à son agriculture et son industrie. Du coup, les besoins en eau explosent. Pour y faire face, l’Iran procède au dessalement de l’eau de mer. Son programme nucléaire civil sera la clé pour en réduire le coût.

Au-delà des divisions politiques et religieuses, une coopération resserrée entre tous les pays de la région (Turquie, Syrie, Irak, Israël, Egypte, Jordanie, etc.) en vue de l’amélioration, du partage et de la gestion des ressources hydriques, sera forcément bénéfique à chacun.

Présentée comme un « Plan Oasis » et promue depuis des décennies par le penseur et économiste américain Lyndon LaRouche, une telle politique, bien mieux que milles traités et autant de paroles, est la base même d’une véritable politique de paix.

Sites de qanâts en Syrie

Bibliographie :


[*] Les dix villes formant la Décapole étaient : 1) Damas en Syrie, bien plus au nord, parfois considérée comme un membre honorifique de la Décapole ; 2) Philadelphia (Amman en Jordanie) ; 3) Rhaphana (Capitolias, Bayt Ras en Jordanie) ; 4) Scythopolis (Baysan ou Beït-Shéan en Israël), qui en serait la capitale ; c’est la seule ville à se trouver à l’ouest du Jourdain ; 5) Gadara (Umm Qeis en Jordanie) ; 6) Hippos (Hippus ou Sussita, en Israël) ; 7) Dion (Tell al-Ashari en Syrie) ; 8) Pella (Tabaqat Fahil en Jordanie) ; 9) Gerasa (Jerash en Jordanie) et 10) Canatha (Qanawat en Syrie).

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Léonard en résonance avec la peinture traditionnelle chinoise

Karel Vereycken

人民网>>

Mon entretien avec le Quotidien du Peuple: (People’s Daily)

Version chinoise (mandarin) suivie de la version française (FR) et anglaise (EN):

2019年12月18日17:03  来源:人民网-国际频道 分享到:

人民网巴黎12月17日电(记者 葛文博)今年是达芬奇逝世500周年,长居法国的比利时版画家、艺术史学家、美术评论家雷尔·维希肯(Karel Vereycken)近日接受人民网记者采访,阐述其多年研究达芬奇绘画技法的心得,认为《蒙娜丽莎》一画同中国古代绘画技法异曲同工。

在他看来,许多人采用“欧洲中心”的视角将透视法归于西方独创和所有,这是错误的。维希肯通过观察中国古代尤其是宋代的绘画作品,提出中国才是透视法的先驱,后世包括达芬奇在内的许多欧洲艺术家的作品都能同中国古代绘画理论和技法产生共鸣。

人民网:您认为中国绘画如何启发了透视法?

维希肯:中国从公元6世纪开始,一些艺术著作不仅记录了文艺实践,也启发了更为活跃的绘画艺术。中国南北朝著名的画家、文艺理论家谢赫提出的“六法”,既要“气韵生动”又要“应物象形” 。宋代画家与书画鉴赏家郭若虚在其《图画见闻志》中写道:“人品既已高矣,气韵不得不高;气韵既已高矣,生动不得不至”。这显然超脱了绘画的“技术”层面,升华进入了精神和道德领域。它突破单纯形制而追求由内而外的生命力,成为透视法的重要理论基础。

人民网:这与达芬奇绘画技法有何契合之处?

维希肯:我在2007年发表的文章《达芬奇,捕捉运动的画家》中就指出,这位画家渴望绘制运动、转变的场景。达芬奇非常认同希腊哲学家赫拉克利特斯的名言“世上唯有‘变化’才是永恒的”。然而,要掌握的不是物体的形式或它们所处的时空,而是要掌握它们在变化过程中在给定时刻的外观,这就有必要深入了解产生变化的原因。

宋代苏轼在其《净因院画记》中提出,人类、家禽、宫殿、居室、器物、使用的东西,都有其经常所处的形态。至于山川、岩石、竹子、柴木,流水、海波、烟雾、云朵,虽没有经常所处的形态,但有其存在的本质。我发现,苏轼追求本质、重视变化的观念同达芬奇寻求运动的思路不谋而合。

唐代诗人王维在其《山水论》中更为详尽地阐述其对透视的理解:“远人无目,远树无枝。远山无石,隐隐如眉;远水无波,高与云齐”。 对画面的空间、层次、疏密、清晰度等做出细致描述。这与达芬奇采用的“空气透视法”也完全契合。

人民网:这种契合如何表现在达芬奇的《蒙娜丽莎》画作中?

韦雷肯:除了形体的运动以外,达芬奇还试图表达一种“非物质的运动”,他将其分为五类。第一个是时间,因为它“包容了所有其他事物”,其他分别还有光、声音和气味的传播。在他看来,这些并非实体的运动恰恰使事物充满生机。

但是,如何描绘这种生机呢?仅凭借固定的形式是不可能的,因为死死抓住形式不放,就如同费心捕捉美丽的蝴蝶却将其用钉子钉住制成标本,生命力就消逝了。雕塑家、诗人和画家必须在作品中制造讽刺、矛盾和模糊,就像伟大的思想家林登·拉鲁什(Lyndon LaRouche)所说的“中间状态”,以揭示潜在的运动和变化。

蒙娜丽莎的脸上就充满了神秘的“矛盾”:嘴巴的一侧微笑,另一侧微笑的程度略小;一只眼睛透出认真的眼神,另一只眼睛则透出愉悦;一只眼睛看着你,另一只眼睛则越过了你,等等。蒙娜丽莎的微笑难下定义,因为它恰好在“中间状态”。她是真的微笑还是哭泣?她的微笑能拥有这样迷人的力量,是因为她身后的风景更为迷人。这副画风景的透视更接近之前我们所述的中国画的规则,而不是彼时欧洲的死板规定。

在中国画中,水与山之间的相互作用是普遍转变的象征,可以将不同层次的山、水、雾等联系起来。从公元10世纪开始,中国画寻求与人类视觉经验相符的构造,不仅采用焦点透视,反而创造运用随着视线投射变化产生的散点透视。这种透视恰恰存在于达芬奇的《蒙娜丽莎》之中,在人物的左侧,视线位于鼻孔的高度,在人物右侧,水平线则升至眼角。这样打破常规的透视法,令我们感受到蒙娜丽莎鲜活的生命和活泼的灵魂,聆听着到画作与中国传统绘画穿越时空的共鸣。 (责编:李婷(实习生)、燕勐)

Cet article a été repris par les sites chinois suivants:

Version française:

Léonard en résonance avec la peinture traditionnelle chinoise

Karel Vereycken, un peintre-graveur et historien d’art amateur d’origine belge vivant en France, travaille depuis longtemps sur la perspective. En 1996, dans une étude approfondie publiée dans Ibykus, le magazine allemand de l’Institut Schiller, il résuma ses recherches sous le titre « L’invention de la perspective ». Selon lui, par une lecture euro-centrique étriquée, la majorité des « experts » attribuent la paternité de cette découverte (la représentation de l’espace sur un plan) de façon exclusive à l’Occident.

Or, en examinant, non seulement les œuvres mais tout autant les écrits des peintres chinois, notamment ceux de la Dynastie Song (960-1279 après JC), Vereycken s’est rendu à l’évidence que la Chine a été pionnière dans ce domaine et a pu influencer certains artistes européens, dont Léonard de Vinci. Il a développée cette question dès 1996 dans son article intitulé « Sur la peinture chinoise et son influence en Occident ».

Etant donné qu’en 2019-2020 le Musée du Louvre, consacre une belle exposition à ce peintre extra-ordinaire, dans le cadre du 200e anniversaire de sa disparation, nous avons demandé à Karel Vereycken de présenter l’influence chinoise sur son œuvre.

Quotidien du Peuple : M. Vereycken, quel a été l’apport de la Chine à l’invention de la perspective ?

VEREYCKEN: L’avantage de la Chine, et mes confrères chinois me corrigeront le cas échéant, c’est que l’on y trouve, dès le VIe siècle, des écrits témoignant, non seulement de la pratique artistique dans le pays, mais évoquant l’état d’esprit qui doit animer les peintres. Je pense notamment aux six règles de base de la peinture chinoise détaillées par Xie He (500-535) pour qui « la résonance intérieure » doit « donner vie et mouvement » mais exige aussi la « fidélité à l’objet en représentant les formes ». L’on constate tout de suite, que ce qui prime, ce n’est pas la performance « technique » du peintre, mais sa valeur spirituelle et morale. Le peintre des Song, Guo Ruoxo, écrit par exemple en 1074, que « Si la valeur spirituelle (renpin) d’une personne est élevée, il s’ensuit que la résonance intérieure est nécessairement élevée, alors sa peinture est forcément pleine de vie et de mouvement (shendong). On peut dire que, dans les hauteurs les plus élevées du spirituel, il peut rivaliser avec la quintessence ».

Quotidien du Peuple : En quoi cela a un rapport avec Léonard de Vinci ?

VEREYCKEN: Comme j’ai tenté de le développer dans mon article « Léonard, peintre de mouvement » de 2007, ce qui rapproche ce peintre de la philosophie chinoise, c’est sa volonté de peindre les transformations. Léonard se reconnaissait pleinement dans la phrase du philosophe grec Héraclite pour qui « Il n’y a que de permanent que le changement ». Or, pour saisir, non pas la forme des objets ou de l’espace-temps dans lequel ils se situent, mais leur apparition à un moment donné dans un processus de transformation, il faut savoir pénétrer les causes qui les engendrent.

Or, les « Notices sur les peintures du Jingyinuan » de Su Shi (1036-1101), révèlent une approche si semblable à Léonard qu’on risque de les confondre avec ses « carnets » ! Su Shi écrit « Au sujet de la peinture, j’estime que si les figures humaines, les animaux, les bâtiments ou les ustensiles ont une forme constante, par contre, les montagne et rochers, les arbres et bambous, eaux courantes et vagues, comme les brumes et les nuages, n’ont pas de forme constante, mais gardent un principe interne constant. Lorsque la forme constante est défectueuse dans sa représentation, tout le monde s’en aperçoit ; cependant, même un connaisseur peut ne pas s’apercevoir que le principe constant n’est pas respecté. C’est pourquoi tant de peintres médiocres, afin de tromper le monde, peignent ce qui n’a pas une forme constante. Or un défaut dans la représentation d’une forme ne touche qu’une partie de la peinture, alors qu’une erreur dans le principe constant en ruine la totalité. Car lorsqu’il agit de la représentation des choses qui n’ont pas de forme constante, il faut respecter son principe interne (li). Certains artisans sont capables de dessiner les formes exhaustivement ; par contre, pour leur principe, seuls y parviennent les esprits élevés et les talents éminents… »

Quotidien du Peuple : et au niveau de la perspective ?

VEREYCKEN : Léonard, qui décrit la « perspective d’effacement » aurait pu adhérer sans problème à ce qu’écrit l’érudit Wang Wei (701-761) pour qui : « d’un homme à distance, on ne voit pas les yeux ; d’un arbre à distance, on ne distingue pas les branches ; d’une montagne lointaine aux contours doux comme un sourcil, nul rocher est visible ; de même nulle onde sur une eau lointaine, laquelle touche l’horizon des nuages. ». Et pour qui, il est impératif de « distinguer le clair et l’obscur, le net et le flou. Établir la hiérarchie entre les figures ; fixer leurs attitudes, leur démarche, leurs saluts réciproques. Trop d’éléments, c’est le danger de l’encombrement ; trop peu, c’est celui du relâchement. Saisir donc l’exacte mesure et la juste distance. Qu’il y ait du vide entre le lointain et le proche, cela aussi bien pour les montagnes que pour les cours d’eau. »

Quotidien du Peuple : comment voyez-vous cette influence sur La Joconde ?

VEREYCKEN : Il faut bien comprendre, qu’au-delà du mouvement du corps, Léonard chercha à exprimer les « mouvements immatériels » qu’il classe en cinq catégories. La première est le temps car il « embrasse toutes les autres ». Les autres sont la diffusion des images par la lumière, celle des sons et des odeurs, le mouvement « mental » est celui qui anime « la vie des choses » (Codex Atlanticus, 203v-a).

Mais alors, comment peindre ce souffle de la vie ? Formellement c’est totalement impossible car dès qu’on attrape une forme, la vie s’en échappe comme celle d’un papillon qu’on épingle ! Pour y parvenir, sculpteurs, poètes et peintres doivent créer une ironie, une ambiguïté que le grand penseur Lyndon LaRouche (1922-2019) a exprimée en anglais comme mid-motion (un « moment d’entre-deux »), révélant le potentiel d’une transformation potentielle à un moment donné, pour ceux qui veulent bien le voir.

Or, regardez le visage de la Joconde, rempli de paradoxes énigmatiques : un coté de la bouche sourit, l’autre, moins ; un œil est sérieux, l’autre amusé, un œil vous regarde, l’autre regarde au-delà, etc. Ce sourire est indéfinissable car précisément « entre deux ». Va-t-elle sourire réellement ou éclater en pleurs ? L’énigme de son sourire n’aura jamais cette force sans le paysage encore plus énigmatique sur l’arrière plan. Or, la perspective de ce paysage obéit plutôt aux préceptes chinois qu’aux règles rigides de la perspective européenne.

Dans la peinture chinoise, l’interaction entre l’eau et la montagne étant symbole de transformation universelle, différents niveaux peuvent s’enchaîner du type : eau, petite brume, montagne, grande brume, nuage, eau, petite brume, montagne et ainsi de suite. Cherchant à se conformer à la vue humaine, les peintres chinois, dès le Xe siècle, feront appel, non pas à une seule ligne d’horizon, mais à une succession d’horizons accompagnant notre vue là où elle se projette. Or, c’est précisément le procédé mis en œuvre par Léonard dans La Joconde où les horizons se succèdent. A gauche de la figure, la ligne d’horizon s’établit à la hauteur des narines ; à droite, au niveau des yeux, le tout perturbant suffisamment nos habitudes visuelles pour que notre esprit s’ouvre à ce que Léonard jugeait essentiel : l’âme vivante de La Joconde.

English version (via google translate)

Leonardo Da Vinci’s « Mona Lisa » resonates with time and space with traditional Chinese painting



People’s Daily, Paris, December 17 (Reporter Ge Wenbo) This year marks the 500th anniversary of the death of Da Vinci. Belgian printmaker, art historian and art critic Karel Vereycken, who has lived in France, recently accepted an interview with a reporter on the Internet explaining his experience in studying Da Vinci’s painting techniques for many years, and he believed that the painting of « Mona Lisa » is similar to the ancient Chinese painting technique.

In his view, many people use a « European-centric » standpoint to attribute perspective to Western originality and ownership, which is wrong. Through observing the paintings of ancient China, especially the Song Dynasty, Vereycken proposed that China was the pioneer of perspective. The works of many European artists including Da Vinci in later generations could resonate with ancient Chinese painting theories and techniques.


People’s Daily: How do you think Chinese painting inspired perspective?

VEREYCKEN: From the 6th century onwards in China, some art works not only recorded literary practice, but also inspired more active painting art. The « six methods » proposed by Xie He, a well-known painter and literary theorist in the Southern and Northern Dynasties of China, need to be both « spiritual and vivid » and « appropriate ». Song Dynasty painter and calligraphy connoisseur Guo Ruoxu wrote in his « Pictures and Wenwenzhi »: « The character has become high, and the charm must be high« ; This obviously transcends the « technical » level of painting and sublimates into the spiritual and moral realm. It broke through the simplex system and pursued the vitality from the inside to the outside, and became an important theoretical basis of perspective.

People’s Daily: How does this relates to Da Vinci’s painting techniques?

VEREYCKEN: In my 2007 article « Da Vinci, the painter who captures movement, » I pointed out that the artist was eager to paint scenes of movement and change. Da Vinci agreed with the famous quote of the Greek philosopher Heraclitus, « Only ‘change’ in the world is eternal. » However, it is not the form of the objects or their time and space that must be grasped, but the appearance of them at a given moment in the process of change, which requires a deep understanding of the reasons for the change.

In his Song of Jingyinyuan in the Song Dynasty, Su Shi proposed that human beings, poultry, palaces, houses, utensils, and things used often have their forms. As for mountains and rivers, rocks, bamboo, firewood, flowing water, waves, smoke, and clouds, although they don’t often exist, they have their essence. I found that Su Shi’s concept of pursuing essence and value change coincided with Da Vinci’s idea of ​​seeking movement.

The Tang Dynasty poet Wang Wei expounded his understanding of perspective in his « Landscapes and Landscapes » in more detail: « A distant man has no eyes, a distant tree has no branches. A distant mountain has no stones, faint like eyebrows; Yun Qi.  » Make a detailed description of the space, layer, density, and sharpness of the picture« . This also fits perfectly with the « air perspective » adopted by Da Vinci.

People’s Daily Online: How does this appears in Da Vinci’s Mona Lisa painting?

VEREYCKEN: In addition to physical movement, Da Vinci also tried to express a « non-material movement », which he divided into five categories. The first is time, because it « contains everything else, » and the other is the spread of light, sound, and smell. In his view, these non-substantial movements just made things full of life.

But how to portray this vitality? It is impossible to rely only on the fixed form, because holding on to the form is like trying to catch a beautiful butterfly but nailing it to make a specimen, and vitality is lost. Sculptors, poets, and painters must create irony, contradiction, and ambiguity in their works, as the great thinker Lyndon LaRouche called « intermediate states » to reveal potential movements and changes.

The face of Mona Lisa is full of mysterious « contradictions »: one side of the mouth smiles, and the other side smiles slightly; one eye reveals a serious look and the other eye expresses pleasure; One eye is looking at you, the other eye is over you, and so on. Mona Lisa’s smile is difficult to define because it happens to be in the « middle state ». Does she really smile or cry? Her smile has such a charming power because the scenery behind her is more charming. The perspective of this landscape is closer to the rules of Chinese painting we described earlier than to the rigid rules of Europe at that time.

In Chinese painting, the interaction between water and mountains is a symbol of universal transformation, which can link different levels of mountains, water, and fog. Starting from the 10th century AD, Chinese painting seeks a structure consistent with human visual experience. Instead of using focal perspective, it has created and used scatter perspective produced by changes in line of sight projection. This perspective exists precisely in Da Vinci’s Mona Lisa. On the left side of the character, the line of sight is at the height of the nostril, and on the right side of the character, the horizontal line rises to the corner of the eye. This way of breaking the conventional perspective allows us to feel the lively life and lively soul of Mona Lisa, listening to the resonance between the painting and traditional Chinese painting through time and space.

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The old geezer

The old geezer, Karel Vereycken, eau-forte sur zinc, 8e état.

 

The old geezer, Karel Vereycken, eau-forte sur zinc, 7e état.

 

 

6e état.

 

5e état, mars 2018.

 

3e état, mars 2018.

old geezer

Deuxième état.

Premier état

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Les secrets du dôme de Florence

Après une enquête approfondie sur les techniques de construction des voûtes et des coupoles depuis l’antiquité jusqu’à nos jours, Karel Vereycken explore et valide la place centrale de la courbe chaînette, une courbe physique, dans la conception du dôme de Florence par Brunelleschi.

Cet article a été initialement publié dans le N°96 de la revue scientifique Fusion de juin 2003 (fichier pdf: Les secrets du dôme de Florence, Fusion). En 2013, Karel Vereycken contribua au numéro hors série « Florence, l’invention de la Renaissance« du magazine Beaux-Arts.

EN version pdf. – DE version pdf 1 ; DE  version pdf2


Pour le sage, au contraire, il n’est rien d’invisible, sinon ce qui n’est pas, sinon la pure absence. (Filippo Brunelleschi, en réponse à un de ses détracteurs)

Le dôme est devenu le symbole même de la Renaissance.


Introduction

Tout le monde pense connaître l’énorme dôme à pans coupés sur plan octogonal de l’église Santa Maria del Fiore dominant la belle ville de Florence de ses quelques cent douze mètres, car chacun l’a vu, au moins en photo.

Le 25 mars 1436, un motet en quatre voix, le  Nuper Rosarum Flores  composé pour sa consécration par le flamand Guillaume Dufay, annonça : « Naguère des guirlandes de roses, par la grâce pontificale et en dépit d’un hiver sauvage, te furent offertes, Vierge céleste, comme ornement perpétuel, avec un temple de grande ingénuité, à toi dédié avec pitié et sainteté. » (*)

Les deux escaliers de 463 marches qui serpentent entre les deux calottes conduisent à la base d’un lanternon qui se trouve à la hauteur équivalente d’un immeuble de quarante étages. Achevé en 1436 après seize ans et deux semaines de travail acharné, nécessitant près de quatre millions de briques et pesant environ 37.000 tonnes, le dôme est devenu non seulement l’emblème de Florence mais le symbole même de la Renaissance.

Avec ses 42,2 m de diamètre, sa largeur est quasiment l’équivalent de celui de la coupole sphérique du Panthéon de Rome (43,4m) et son diamètre ne sera que légèrement dépassé en 1765 par la Halle aux Blés de Paris (44m). Ni la basilique Saint-Pierre de Rome (42m), ni le dôme des Invalides (27,5m) ni la cathédrale Saint-Paul de Londres (30,7m), ni même la coupole (en métal) du Capitole de Washington D.C. ne le dépassent.

Sa réalisation, tenu pour impossible à son époque, est associée au nom d’un seul homme -Filippo Brunelleschi (1377-1446) – à qui l’on attribue également l’invention de la perspective linéaire. L’architecte, Léon Battista Alberti (1404-1472), dans le prologue de son traité sur la perspective  De Pictura  (1435) disait de lui : « Quel homme, si dur ou si jaloux, ne louerait l’architecte Filippo en voyant cette énorme construction se dressant jusqu’au ciel, assez vaste pour couvrir de son ombre toute la population de Toscane, et exécutée sans l’aide de poutrages ni de renfort de supports de bois. »

Comme nous allons le voir ici, ce grand chantier, mettant au défi toutes les connaissances humaines de l’époque, fut la véritable locomotive d’une révolution dans les sciences et les techniques qui entraînera, pendant des siècles, une vague d’optimisme au grand bénéfice de l’ensemble de l’humanité.

Avec le duomo, Brunelleschi tracera de nouveaux horizons, bien au-delà de la simple construction d’un édifice.

Qui était Brunelleschi ?

Figure 1 . Filippo Brunelleschi (1377-1446)

Brunelleschi (Fig. 1) fut le fils d’un notaire de Florence. Doué dès son enfance pour le dessin, son père lui assura une carrière d’orfèvre (orafo). Passionné d’horlogerie et de machines, Brunelleschi eut la chance d’être initié à la géométrie par Paolo Toscanelli del Pozzo (1397-1482) (**), avec lequel il entretint une amitié pendant toute sa vie adulte.

Avec Nicolas de Cuse, Toscanelli, Niccoli, Cesarini et possiblement Brunelleschi, faisaient parti du groupe d’action politique et de réflexion qu’animait le général de l’ordre des Camaldules, Ambrogio Traversari (***) avec l’appui bienveillant de Côme de Medici, grand patron de l’industrie lainière et mécène de la Renaissance.

Cependant, cet engagement n’est pas sans risque. Exploitant politiquement la défaite militaire de Florence contre Lucca de 1433, la famille oligarchique des Albizzi jette tout le blâme sur Côme et le fit jeter en prison, le forçant même en exil à Venise. Ayant perdu son protecteur, Filippo Brunelleschi fut arrêté à son tour sous prétexte de ne pas être à jour avec sa cotisation de membre de la guilde du bâtiment, chose plutôt habituelle à l’époque. Quinze jours plus tard, les Albizzi furent écartés, Filippo relâché et Côme de retour à Florence. Martin V et Eugène IV, qui ouvrit la cathédrale après cent quarante ans de construction, intervinrent personnellement à plusieurs reprises pour protéger et promouvoir l’architecte génial Brunelleschi. Celui-ci, mort en 1446, ne verra ni le lanternon qu’il avait conçu – terminé en 1471- ni la sphère en bronze de 2,5m, fabriquée et posée par l’atelier d’où sortait Léonard de Vinci, celui d’Andrea del Verrocchio.

Genèse du projet

Il fallait enfin achever cet immense chantier sur l’emplacement de l’ancienne église Santa Reparata, commencé en 1296 par Arnolfo di Cambio et agrandi en 1351 par Francesco Talenti. A Florence, tout le monde connaissait bien la forme finale du « dôme à pans coupés sur plan octogonal » à réaliser. Depuis 1367, une maquette du projet était exposée au public dans une des ailes de la Basilique en voie d’agrandissement. Déjà à cette époque, un concours avait opposé deux groupes d’architectes. Le premier, dirigé par Lapo Ghini plaida en faveur d’un concept architectural proche du style gothique traditionnel, combinant des murs assez minces avec un ensemble d’énormes contreforts et arcs-boutants semblables à ceux des cathédrales, destinés à soutenir la coupole.

L’autre groupe, dirigé par l’architecte Neri di Fioravanti, celui qui réalisa la voûte (large de 18m) de la maison d’arrêt Bargello et le Ponto Vecchio. Il exigea, quant à lui, une solution « à l’antique ». Neri, comme beaucoup d’autres en Italie à l’époque, considérait que les arcs-boutants non seulement n’étaient pas très esthétiques mais appartenaient au patrimoine culturel des ennemies traditionnelles des Florentins : les Allemands, les Français, les Milanais et autres « barbares » (Goths).

Selon Neri, on pouvait très bien faire l’économie de ces contreforts et arcs-boutants en incorporant des tirants, en pierre et en bois, autour de la circonférence, semblable à la façon dont les cerceaux cerclent les douves d’un tonneau. Ce concept est intéressant mais, comme nous allons le voir, insuffisant. L’emploi du métal en architecture était encore à un stade assez expérimental. Toutefois, lors de la reconstruction du cœur demi-circulaire de la cathédrale de Beauvais, après son effondrement en 1284, on relia déjà les arcs-boutants entre eux par des tirants en fer afin de renforcer la cohésion de la structure.

Pour la coupole, Neri prévoyait l’utilisation, très rare mais pas exceptionnelle à l’époque, d’une double calotte. Cette technique d’origine Perse est devenue caractéristique des mosquées et des mausolées islamiques, comme le Mausolée à base octogonale de Oljeitü (26m de diamètre) construit en 1309 à Sultanyia (Azerbaïdjan). Une calotte interne porte l’édifice avec sa force structurelle, tandis qu’une calotte externe, en plus d’une protection contre les éléments, permet d’ajouter du volume supplémentaire.

Figure 2. La quinte pointée
Il s’agit de diviser le diamètre de l’octogone en cinq parties égales, les 4/5ième constituant le rayon de la courbe du dôme.

En s’éloignant fortement de la conception du Panthéon de Rome où le dôme sphérique est coincé dans une masse de béton, Neri avait également l’intention d’élever les courbes des pans à élever sous forme d’arcs brisés gothiques, connu en Italie sous le nom de  quinto acuto  (quinte pointée). Il s’agissait en fait de diviser le diamètre de l’octogone en cinq parties égales, les 4/5ième constituant le rayon de la courbe du dôme (Fig. 2). Après moult débats, le projet de Neri l’emporta et fut dans la foulée approuvé par référendum populaire à Florence. Toutefois , Neri mourut sans laisser aucune instruction précise.

A partir de 1415, tout fut enfin prêt. Avec le tambour nouvellement construit, l’édifice atteignait déjà une hauteur impressionnante de 52 mètres, mais exhibant un trou béant large de plus de 42m. L’heure de la vérité avait sonné.

Antonio di Tuccio Manetti (1423-1497), auteur de  La vie de Filippo Brunelleschi,  qui a connu Brunelleschi de son vivant, raconte : « D’autant plus que les maîtres d’œuvres s’inquiétaient déjà de la difficulté d’avoir à construire une voûte si large et si haute : étant donné la hauteur et la largeur, donc le poids, les étaiements et soutiens, arcs ou autres armatures, devaient partir de terre, de sorte que, non seulement la dépense leur paraissait effrayante, mais la réalisation à vrai dire absolument impossible. »

A ceux qui évoquèrent cette impossibilité, Brunelleschi répondait que le dôme était un édifice sacré, et que « Dieu, à qui rien n’est impossible, ne nous abandonnerait pas. »

Pour lancer le projet il suggérait aux maîtres d’œuvres, les Fabriciens, d’organiser un colloque international et de réunir tous les architectes, maîtres maçons et ingénieurs « autant qu’on en trouverait dans la chrétienté. »

Cette réunion eut lieu et voici comment Antonio di Tuccio Manetti la relate : « Des paroles de Filippo, les Fabriciens tiraient avec accord le verdict qu’un édifice aussi grand et d’une telle nature ne pouvait être achevé et que ç’avait été une naïveté, de la part des architectes du passé et de ceux qui l’avaient projeté, de le croire. Quand Filippo disait, à l’encontre de cette opinion fausse, qu’on pouvait le faire, ils répondaient tous ensemble : ‘Comment fera-t-on les cintres ?’, mais lui revenait toujours à l’idée qu’on voûterait sans cintre [échafaudage]. Comme ils discutaient la-dessus depuis plusieurs jours, à deux reprises les Fabriciens le firent jeter dehors par des gens à eux et de l’Art de la Laine, comme s’il raisonnait stupidement et ne disait que des paroles ridicules ; au point qu’il lui arriva souvent de raconter que dans ce laps de temps, il n’osait pas se promener dans Florence, ayant l’impression qu’on disait derrière lui : ‘Regarde ce fou qui a de telles prétentions’ »

Fig. 3: « l’Âne qui vielle » vous lance d’une façon provocante le défi suivant : le monument que tu contemples est comme une lyre, prête à vibrer sous tes doigts. Sauras-tu en extraire la secrète harmonie, ou bien seras-tu comme moi, l’âne avec ses gros sabots, qui ayant trouvé une lyre, fut incapable d’en jouer…

Dans une autre réunion de travail, et avant d’être nommé  capomaestro  [architecte en chef] du chantier, on lui demanda d’indiquer sa méthode et les moyens d’exécution qu’il envisageait pour relever ce défi. Craignant qu’on lui vole le projet, Brunelleschi se contenta de leur présenter un oeuf en disant : « Celui qui le fera tenir debout sera digne de faire la coupole. » Après que chacun avait essayé sans succès, Brunelleschi écrasa la pointe de l’œuf sur une table en marbre. Chacun s’écria qu’il en aurait fait autant « s’il avait su », et Brunelleschi répondait en riant qu’ils sauraient également faire la coupole s’il leur montrait son modèle.

Mais en examinant aujourd’hui toutes les solutions créatrices que l’infatigable Brunelleschi aligna pour résoudre les problèmes scientifiques, dans les domaines de la physique, de la géométrie, des machines et des matériaux, sans parler des problèmes politiques, financiers ou de la formation permanente d’une main d’œuvre impliqué dans l’élaboration de technologies révolutionnaires, on doit mesurer la part de courage et de détermination sans laquelle les meilleures idées ne restent que rêveries.

Passionné par le sujet depuis sa tendre enfance, Brunelleschi va imposer des solutions longuement réfléchies. Etant donné qu’excepté un poème, aucun écrit de Brunelleschi ne nous est parvenu, le procédé exact et surtout sa mise en oeuvre resteront un sujet éternel de spéculation. Bien que notre inventeur se battait pour breveter les nouvelles inventions, nous savons que, craignant de se voir dérober sa méthode, il ne communiquait que par des chiffres, et de façon codée.

Ce qui reste à lire est le dôme lui-même, et le spectateur se retrouve un peu comme celui du visiteur de la Cathédrale de Chartres devant  l’Ane qui vielle  (Fig. 3), cette statue qui vous lance d’une façon provocante le défi suivant : le monument que tu contemples est comme une lyre, prête à vibrer sous tes doigts. Sauras-tu en extraire la secrète harmonie, ou bien seras-tu comme moi, l’âne avec ses gros sabots, qui ayant trouvé une lyre, fut incapable d’en jouer…

Cintrage, ou construire sans bois

Pendant la construction d’un édifice ou d’une coupole, il faut affronter deux forces majeures : d’une part la compression qui provoque un écrasement et, d’autre part, la poussée latérale qui crée une rupture à l’écartement (Fig. 4).

Figure 4. L’architecte doit affronter deux forces majeures : la compression qui provoque un écrasement et la poussée latérale qui crée une rupture à l’écartement.

La compression étant un problème relativement mineur, puisqu’il faut une hauteur importante avant que les pierres du bas ne s’écrasent sous la pression de celles d’en haut, c’est surtout la maîtrise de la pression latérale résultant des poussées verticales qui seront la première préoccupation de l’architecte.

En général, la construction d’arcs s’opérait à partir d’une fausse charpente [supports temporaires] – le cintrage (Fig. 5) – permettant d’élever les voussoirs d’un arc de plein-cintre (roman) ou en arc brisé (gothique).

Figure 5. La construction d’arcs s’opérait à partir d’une fausse charpente [supports temporaires] – le cintrage

Ce support n’était retiré qu’après le séchage du mortier, et surtout après la pose de la clef de voûte, laquelle répartissait la poussée sur l’ensemble des voussoirs et la conduisait sur les colonnes qui soutiennent la voûte. Il est indiscutable que, pour des voûtes en berceau ou les nefs gothiques, un cintrage lourd s’avérait indispensable.

Cette technique n’est apparue que très tardivement dans des sociétés capables de produire du bois assez solide, soit au moins d’en disposer. Là, où le bois faisait défaut ou était de mauvaise qualité, on tentait de construire sans cintrage.

Figure 6. Le dôme d’Abydos en Egypte.

Auguste Choisi, dans son  Histoire de l’architecture , signale déjà l’existence d’un dôme à Abydos en Egypte où, grâce au limon du Nil, l’emploi de briques crues (argile séchée) auraient permis l’élévation de dômes depuis les premières dynasties pharaoniques (3000 avant J.-C.) (Fig. 6) : « De tous les types de voûtes, celui qui se réalise le plus aisément sans cintres, est la voûte sphérique : le dôme est une des formes usuelles de la voûte égyptienne. Le profil est en ogive ; et la maçonnerie se compose d’assises planes et horizontales, véritables anneaux de briques dont le rayon va sans cesse décroissant. Chaque assise surplombe assez peu sur la précédente pour qu’un support auxiliaire soit superflu. Dès qu’une assise est achevée, elle constitue une couronne indéformable, prête à recevoir en encorbellement une assise nouvelle. »

Nous savons que cette science permettant de bâtir des dômes sans cintrage n’était pas exclusive à l’Egypte, car en remplaçant les briques d’Abydos par des pierres, et en suivant une surface continue, la Grèce mycénienne a pu construire des dômes en « ruches d’abeilles », également exécutés sans cintres, comme celui de la promenade dite « Trésor d’Atrée » dont le diamètre dépasse les 14m (Fig. 7).

trésor d'Atrée

Figure 7. La Grèce mycénienne a pu construire des dômes en « ruches d’abeilles », également exécutés sans cintres, comme celui de la promenade dite « Trésor d’Atrée » .

A l’intérieur de la coupole du « Trésor d’Atrée » en Grèce.

Alberti, dans son traité sur l’architecture De re aedificatoria (écrit vers 1440, publié en 1452) affirme que « la voûte sphérique [coupole], unique parmi les voûtes, ne requiert pas de cintrage parce qu’elle n’est pas composé d’arches, mais d’anneaux superposés ».

La plupart des historiens s’accordent aujourd’hui à dire que Brunelleschi, en compagnie de son ami le sculpteur Donatello, a étudié sur place la plupart des monuments que compte Rome.

Pendant plusieurs années, bien avant le concours, les deux amis effectuèrent des relevés de tous les bâtiments et fouillèrent les sous-sols, à tel point qu’on les confondait avec des chasseurs de trésors. Là, ils purent analyser certaines prouesses et faiblesses de l’architecture romaine du IIe siècle en étudiant le Panthéon, (mis en chantier sous Hadrien en 121 après J.C.), le temple de Minerve, ou d’autres bâtiments semblables.

En ce qui concerne le dôme du Panthéon, la calotte intérieure est en réalité soutenue par un énorme contrefort en béton de puzzole (utilisant les cendres du Vésuve) de 5000 tonnes. (Fig. 8). D’environ 44m de diamètre, cette calotte sphérique part de piliers en briques et fait appel à la fameuse « maçonnerie en blocage » (opus caementicium) qui sert de coffrage.

Figure 8. Rome : le dôme du Panthéon

Cette structure est ensuite couronnée par des couches circulaires horizontales de béton. Pour alléger le poids des matériaux, sans porter atteint à leur rigidité, il fut superposé en alternance du béton à la brique, de la brique au tuf et à la toute légère pierre de ponce. Les architectes, dont l’ingéniosité n’avait pas de limite, coulèrent dans le béton des amphores en argile vides pour éviter la surcharge de la voûte.

Figure 9. Rome : le Domus Aurea (dôme doré) de Néron

Par contre, il n’est pas sûr que nos deux artistes aient pu pénétrer dans le Domus Aurea (dôme doré) de Néron, l’emplacement où l’on trouva en 1506 le fameux Laocoon. Néron, après avoir laissé le feu dévaster Rome, fera construire en 64 après J.C. dans sa villa, ce salon à coupole sphérique sur base octogonale d’un diamètre impressionnant de 14m (Fig. 9).

cintrage sans bois

Figure 10. La construction sans cintrage à l’époque des cathédrales

La construction sans bois dans un temps moins reculé est aussi documentée dans le livre de John Fitchen  The construction of Gothic Cathedrals , qui consacre tout un chapitre aux procédés de construction sans cintrage à l’époque des cathédrales (Fig. 10).

Cependant, les constructeurs firent chaque fois appel à des artifices compliqués intervenant sur le mur « de l’extérieur », sans faire appel à la « géométrie intérieure » de la structure des murs, comme le fera Brunelleschi.

Arcs, voûtes et coupoles

Avec ce survol des techniques de construction sans cintrage il apparaît que la géométrie d’une surface sphérique semble posséder une des qualités fondamentales recherchées par Brunelleschi : l’autosoutènement.

Cette qualité de la courbe est facilement démontrable par une simple expérience. Tout le monde sait qu’une simple feuille de papier A4 de 60 g/m2 ne possède pas la rigidité nécessaire pour soutenir, par exemple, un petit trousseau de clefs. Cependant, si je donne avec ma main une légère courbure à ma feuille, je peux soudainement doter la feuille de cette capacité portante inespérée. Cette force n’appartient pas à la nature de sa matière, mais « émane » du pouvoir de sa structure géométrique.

Avant d’aller plus loin, il est essentiel de s’attarder quelque peu sur les arcs, car certains observateurs prétendent que le dôme de Florence est un mélange de cette science de la construction sphérique « à l’antique » avec le savoir-faire du gothique. Rappelons-le, Neri avait spécifié que les pans devaient s’élever en « quinte pointée », comme les arcs brisés du gothique.

Mais, comme le note Fitchen, p.80 : « Au fur et mesure que le Gothique devenait tardif, un grand nombre de voûtes devenaient de plus en plus pointues, entraînant des problèmes structurels. Dans un système d’arc libre, comme une voûte qui ne porte pas de surcharge et ne fait que se soutenir elle-même, la poussée prend la forme d’une courbe chaînette inversée. Si l’on envisage une chaîne ou un câble librement suspendu entre deux points qui se trouvent à la même hauteur mais séparé par une distance plus petite que la longueur de la chaîne, chaque chaînon possède une unité de poids identique le long du tracée de la chaîne et est en tension avec ses voisins. Ensemble, ses chaînons tracent une ligne courbe dont l’axe est la ligne de la poussée. » (Fig. 11)

enfants caténaire

Figure 11. La construction sans cintrage : grâce à la chaînette, un jeu d’enfant !

Voyons concrètement comment appliquer le principe de la chaînette à l’arc brisé. Si notre arc ne suit (aux extrados ou intrados) le tracé « invisible » de la chaînette, à moins d’être compensé par une rigidité supplémentaire du matériau, nous observons que la poussée provoquera une rupture de l’arc, et les voussoirs du bas, dépourvu de la flexibilité des chaînons, basculeront vers l’extérieur si l’arche est trop pointue, ou s’écrouleront vers l’intérieur si l’arche est faiblement pointue.

En étant plus solide avec moins de matériau, on comprend mieux pourquoi l’arc brisé représente un tel progrès par rapport à l’arc de plein cintre. Bien que beaucoup moins stable, « l’arc chaînette » bénéficie d’une meilleure stabilité statique car harmonique avec le principe physique définissant la gravité. (Fig. 12)

Figure 12. a) Chaque chaînon possède une unité de poids identique le long de la chaînette. b) La poussée sera répartie uniformément
sur un arc qui suit le tracé d’une chaînette inversée.

rupture

Figure 12 c. c) Si l’arc ne suit pas le tracé « invisible » de la chaînette, à
moins d’être compensé par une rigidité supplémentaire du matériau,
la poussée provoquera une rupture de l’arc.

A partir de l’arc, on peut imaginer la voûte. Des voûtes en berceau ayant la forme d’une chaînette existent, comme l’arc de Ctésiphon (du palais de Taq-i Kisra, près de Baghdad) en Iraq (Fig. 13) (531 après J.-C.), malheureusement endommagé par la crue du Tigre en 1985.

Figure 13. L’arc de Ctésiphon du palais de Taq-i Kisra, près de Baghdad en Iraq.

Les lits de briques sont montés à la verticale, voire légèrement inclinés et reposant contre un mur qui absorbe la poussée.

Il est construit sur le même principe que les voutes en berceau, érigées sans cintrage, comme celles du grenier du temple du Ramasséum (Fig. 14), près de Thèbes en Egypte (XIIIième siècle av. J.-C.).

Figure 14. Le grenier du temple du Ramasséum, près de Thèbes en Egypte (XIIIième siècle av. J.-C.).

Comprenons bien qu’avec la géométrie de la chaînette utilisée de cette manière, en soumettant l’arc ou la voûte à une poussée qui dépasse son poids propre, il est indispensable d’avoir des renforts. C’est pour cette raison que, dans l’architecture gothique, on utilise des contreforts et des arcs-boutants permettant d’évacuer la poussée s’exerçants sur les murs, contreforts eux-mêmes inscrits de préférence dans les lignes de force d’une… chaînette. (Fig. 15).

Figure 15. En architecture gothique on utilise des contreforts et des arcs-boutants permettant d’évacuer la poussée s’exerçant sur les murs — contreforts eux-mêmes inscrits de préférence dans les lignes de force d’une… chaînette.

Or, soulignons-le, la voûte construite en forme de chaînette inversée « ne fait que se soutenir elle-même ».

En ce qui concerne le dôme de Brunelleschi, nous avons tenté de connaître les tracés décrits par les huit  sproni  (éperons en marbre blanc) qui suivent les courbes définies à l’extérieur par l’intersection des pans du dôme. En vain. En effet, les « experts » se disputent sur leur nature exacte – ellipse, tractrice, arc de cercle, chaînette, etc.- et il serait opportun de reprendre les mesures exactes de la construction afin d’avoir une bonne base d’étude.

Par contre, ce que nous savons, c’est l’accusation porté à l’époque contre Brunelleschi par l’un de ses détracteurs, Giovanni Gherardo da Prato, selon laquelle il mettait en danger la construction par son ignorance et pour ne pas avoir respecté la « quinte pointée » comme stipulée dans le contrat.

Da Prato exprima toute sa jalousie dans un poème adressé à Brunelleschi : « O puits profond et noir de totale ignorance, misérable animal, et tellement risible qui veut que l’incertain par chacun soit visible, ton absurde alchimie est sans grande puissance, etc. »

Brunelleschi, qui ne se laissa pas démonter, répondit également par un poème : « Quand le ciel a donné de hautes espérances, ô toi dont l’animale apparence est visible, tout homme peut enfin laisser le corruptible, et disposer en tout d’une grande puissance. Qui mal en juge perd toute son assurance, car il n’affronte rien qui ne lui soit terrible ; pour le sage, au contraire, il n’est rien d’invisible, sinon ce qui n’est pas, sinon la pure absence. L’artiste ne voit pas ces fadaises d’un sot, mais il voit, s’il n’a pas de faux jugements, ce que scelle Nature en dessous son manteau. […] »

Au-delà de l’anecdote, ce poème met bien en évidence la passion de Brunelleschi pour la découverte d’un principe universel invisible qu’il est en train d’arracher aux secrets de la Nature. Comme nous allons le démontrer par la suite, Brunelleschi et ses amis maîtrisaient le principe de la chaînette, et dans le visible et dans l’invisible.

A ce stade, Brunelleschi, chargé de couronner la coupole avec un lanternon pesant plusieurs tonnes, devait écarter les solutions suivantes :

  1. Les arcs-boutants, il est vrai écartés d’emblée par le contrat, posaient problème car la hauteur de 53m à partir de laquelle il fallait amorcer le dôme rendait inenvisageable l’installation des lourds contreforts qui devaient partir du sol et pour lesquels, de toute façon, il n’y avait plus de place.
  2. La sphère parfaite constructible sans cintrage par encorbellement de lits de briques était également une fausse voie, car incapable de soutenir le poids du lanternon.
  3. Un dôme formé par une chaînette en révolution – une caténoïde (Fig. 16) – aurait été lui aussi trop faible pour soutenir la surcharge par sa faible capacité de portance.

caténoïde

Figure 16. Un volume formé par une chaînette en révolution – une caténoïde.

Brunelleschi était donc obligé d’inventer la structure et la géométrie physique d’une « surface autoportante », assez légère pour ne pas s’écrouler sous son propre poids, tout en étant assez solide pour porter le lanternon et assez stable pour éviter tout besoin de cintrage.

Les propriétés de la chaînette

Ce fut l’économiste américain Lyndon H. LaRouche qui, en 1988, fut le premier à identifier le principe physique de la chaînette comme étant l’élément fondamental dans la conception du dôme. Toutefois, pour comprendre comment Brunelleschi trouva cette solution, nous devons, probablement comme lui, retourner aux propriétés de la chaînette. C’est en jouant avec celle-ci que l’on peut, éventuellement, en découvrir les propriétés fondamentales :

 Équilibre

corde clous

Figure 17. Une corde à deux clous le long d’un mur.

Si on l’accroche une corde à deux clous le long d’un mur (Fig. 17), tout en veillant qu’elle puisse glisser sur les clous pour trouver son propre équilibre, on découvre que la forme de la chaînette dépend presque exclusivement de sa longueur.

Allant à l’encontre de notre bon sens habituel, pour obtenir une chaînette avec un « ventre » plus grand, il faut une corde plus longue, et inversement, pour une courbe de chaînette plus proche de la ligne droite, il faut une plus courte.

Pourquoi ? Parce que la chaînette va chercher son propre équilibre, c’est-à-dire que la somme du poids des parties extérieures va s’égaliser avec le poids de la partie de la chaînette entre les deux clous.

Harmonie préétablie

Depuis le début le temps, pour construire des ponts suspendus, l’homme a su utiliser les propriétés de la chaînette, notamment celle de repartir de façon égale sur chaque chainon l’effort à fournir.

Ce principe de répartition égale des tensions, et donc du poids sur l’ensemble des chaînons, fait que si nous déplaçons un petit bout de la chaînette avec notre doigt, la courbe de l’ensemble de la chaînette sera affectée et transformée. Il s’agit de l’expression du principe de moindre action développé par Nicolas de Cuse et Leibniz (****). Il dévoile une « harmonie préétablie » qui fait que n’importe quel évènement à un endroit donné affecte l’ensemble de l’univers, une réalité que la physique Newtonienne est incapable d’expliquer correctement.

Microcosme et macrocosme

deux chaînettes

Figure 18. Si sur une chaînette ACDB, nous relâchons A et B, alors CD reste la même chaînette qu’auparavant.

Le principe précédant fait que chaque bout de chaînette est lui-même une chaînette (Fig. 18), que le macrocosme se reflète dans le microcosme. Si sur une chaînette ACDB, nous relâchons A et B, alors CD reste la même chaînette qu’auparavant. Inversement, selon le même principe, la chaînette (entre ses points de suspension) est définie par n’importe quelles de ses parties, peu importe la taille. De la même façon que le grand se reflète dans le petit, le petit à son tour définit le grand (le microcosme définissant le macrocosme). Dans un sens, si l’on regarde différentes parties d’une chaînette, on regarde différentes expressions locales, d’une réalité globale, harmonieuse et équilibrée.

La  sphericam angularem  [sphère angulaire]

Avant de poursuivre sur la chaînette, il nous faut approfondir notre concept de surface autoportante. Impressionnée par sa visite du Panthéon, comme le commentaire d’Alberti le reflète, la première approche de Brunelleschi semble avoir été le concept d’une  sphericam angularem  – une sphère angulaire. Son idée consistait à transférer ou « projeter » les propriétés de solidité inhérente à la géométrie de la sphère sur les huit pans des calottes octogonales.

Ainsi, on pourrait presque dire que la coupole est composé non pas de deux calottes, mais de trois, la troisième étant ce qu’on pourrait appeler une « calotte sphérique imaginaire » (invisible) reliant les deux parois, par un anneau inscrit et circonscrit entre les deux calottes octogonales (Fig. 19).

Figure 19. La coupole semble composé non pas de deux calottes, mais de trois. La troisième étant ce qu’on pourrait appeler une « calotte sphérique imaginaire » (invisible) reliant les deux parois par un anneau inscrit et circonscrit entre les deux calottes octogonales.

Quelques années après l’achèvement du dôme, l’architecte Alberti, affirme que l’ « On peut lever des dômes angulaires sans cintrage si vous construisez une [coupole] parfaite (sphérique) à l’intérieur de l’épaisseur de votre ouvrage. Mais là, vous aurez une occasion particulière pour fixer des ligatures afin d’attacher les parties faibles extérieures aux parties fortes de l’intérieur. » (L’art d’édifier, Livre III, Chap. XIV)

Rowland Mainstone, un ingénieur des structures, explique que la calotte intérieure a été construite « comme s’il s’agissait d’une calotte sphérique… mais avec des parties coupées de l’intérieur et de l’extérieur pour respecter la forme octogonale. »

Brunelleschi tenait à l’élévation de cette sphère en hauteur « afin qu’elle sorte encore plus magnifique et dilatée (gonflante) ». Sa forme ne sera pas comme une calotte appuyée sur le corps d’une l’église, mais comme une structure de « crêtes et de voiles » qui se développe en extension et en hauteur.

L’architecte semble aussi vouloir reprendre ici tout un symbolisme traditionnel qui voyait l’action circulaire – expression de la perfection divine – allant à la rencontre de l’action rectiligne – expression de l’imperfection humaine. Nicolas de Cuse, reprenant les défis géométriques et mathématiques lancés par Archimède, creusera ce sujet dans son oeuvre La Quadrature du cercle .

Après tout, une église – maison de Dieu [domus deus] – , ne devait-elle pas être l’espace médiateur entre Dieu et l’homme ? La « sphère » divine, n’allait pas « nous abandonner ». Il devient ainsi clair que Brunelleschi et ses amis ont pu faire la synthèse et « monter sur les épaules » des meilleurs architectes de l’histoire de l’humanité.

Une membrane auto-portante en briques

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Figure 20. Escalier qui monte entre les deux coupoles du dôme. Les motifs de la maçonnerie ont été volontairement laissés visibles tandis qu’ailleurs ils sont couverts de crépi. Brunelleschi voulait nous laisser cette piste pour sonder son secret.

Quand on monte les escaliers à l’intérieur du dôme, on constate que, sur plusieurs endroits, les motifs de la maçonnerie ont été volontairement laissés visibles (Fig. 20), tandis qu’ailleurs ils sont couverts de crépi. Puisque c’est Brunelleschi qui nous les montre, on a pu en conclure qu’il voulait nous laisser cette piste pour sonder son secret. Néanmoins, ne sous-estimons pas le caractère farceur et illusionniste du personnage, après tout inventeur de la perspective, cette science de l’illusion dont Platon se méfiait tant. Si vous ne voyez pas de l’extérieur les astuces de la construction, ce n’est pas par hasard. Tout Florence fut émerveillée par le dôme et les habitants se demandaient : « Comment est-ce que cela peut-il tenir debout ? Où sont les appuis et soutiens extérieurs ? »

Une analyse de la disposition des quelques 4 millions de briques, dont certains possèdent des formes spéciales (triangulaires, en angle, etc.) et qui sont cachées derrière les lignes droites des tuiles, nous révèle quatre nouveaux concepts importants.

1. Des contreforts invisibles

S’interdisant des contreforts à l’extérieur, Brunelleschi va élaborer tout un dispositif à l’intérieur des parois pour compenser cette absence. Comme spécifié dans son projet déposé aux Œuvres du Dôme (l’original a disparu mais a été copié à l’identique par Manetti) :
« On fera 24 contreforts [sproni], dont 8 dans les angles et 16 sur les pans ; […] ils devront assembler les deux voûtes et se rétrécir en proportion égale jusqu’en haut de l’ouverture fermée par la lanterne. Lesdits contreforts ainsi que lesdites coupoles seront ceints de 6 cercles [cerchi] de pierre solides, longues et renforcées de fer étamé [reliés avec des crampons] ; au-dessus de ces pierres, des chaînes de fer [catene di ferro, entourées de plomb pour empêcher l’oxydation] entoureront ladite voûte et ses contreforts. » (Fig. 21)

Fig. 21: les liens intérieurs en métal et en bois.

Après avoir spécifié les tailles de tout ces éléments et leurs emplacements exacts, il ajoute : « Mais le premier cercle sera renforcé par des pierres longues en travers, de façon que les deux voûtes de la coupole reposent sur ces pierres. Sur lesdites voûtes, toutes les 12 brasses environ, en hauteur, il y aura des petites voûtes en berceau [volticciuole a botti], d’un contrefort à l’autre, »

Ces « petites voûtes » permettent de renvoyer la pression des huit grands contreforts de façon égale vers les 16 autres et surtout de la repartir sur l’ensemble de la surface qui devient ainsi portante. Et il conclut : « sous ces petites voûtes, d’un contrefort à l’autre, il y aura de grosses chaînes de chêne [catena di quercia] pour assembler les dits contreforts et ceindre la coupole à l’intérieur, et sur ces bois une chaîne de fer [catena di ferro]. Les contreforts seront tous construits en pierre de taille et pierre résistante ; les pans de la coupole seront tous en pierre résistante et assemblés avec les contreforts jusqu’à hauteur de 24 brasses ; au-dessus on construira en brique ou en pierre ponce… »

Bien qu’utilisant les mêmes matériaux que le Panthéon, la réalisation de Brunelleschi se situe néanmoins dans la ligne de Neri di Fioravanti qui nous parlait de « cercler les douves d’un tonneau ». Faute de bois, croît-on, il n’existe dans le dôme qu’une seule  chaîne  [tirant] en châtaignier, assemblée avec des éléments de fixation en chêne. En réalité cette poutre entourant le dôme, se trouve exactement au point le plus instable de la courbe si elle est mise sous pression. Suite au tremblement de terre de 557 après JC, des tirants en bois furent incorporés dans les bases du dôme Sainte Sophie à Istanbul. Bien que plusieurs tremblements de terre (1510, 1675 et 1895) aient secoué Florence, le dôme a survécu sans problèmes majeurs, grâce à ce dispositif antisismique constitué par ces tirants en pierre solide, en bois et en métal.

Toutefois, pour Brunelleschi, son dôme n’était pas comparable à un tonneau, mais plutôt à un corps humain, fait « d’os et de chair ». Manetti rapportait qu’en étudiant les bâtiments romains, Brunelleschi avait « remarqué la façon de construire des anciens et leur emploi de la symétrie : il identifiait un ordre semblable aux os et à la chair, comme un homme illuminé par Dieu pour les grandes choses. »

Alberti pour sa part affirme que « En ce qui concernent les coupoles, peu importe de quel genre, nous devons imiter la nature, qui, quand elle attache les os, attache la chair avec des nerfs et mêle l’ensemble avec des ligatures et des tendons en longueur, en largeur et en cercles. C’est cette savante disposition qu’il faut imiter dans la construction des arches et coupoles » (L’art d’édifier, Livre III, Chap. XIV)

Les os sont ici les 24 contreforts (comme les côtes du thorax), tandis que les tendons sont en quelque sorte les chaînes. Un squelette équipé de tendons peut-il marcher ? Non, car il reste à définir le muscle qui tient le tout : les briques.

2. Les spirales en  Spina Pesce [arêtes de poisson]

Le deuxième concept mobilisé par Brunelleschi sera la disposition des briques dite en  spina pesce  [arête de poisson], une technique héritée des Etrusques et développée au Trecento toscan. (Fig. 22)

spina pesca

Figure 22. La disposition des briques dite en spina pesca [arête de poisson], une technique héritée des Etrusques et développée au Trecento toscan.

L’arête de poisson se forme en alternant à intervalles réguliers la pose horizontale de brique avec une pose verticale. Ces intervalles réguliers sont grands en bas mais décroissent en montant pour disparaître au sommet. Ainsi se forment d’immenses spirales de briques traversant les pans et les contreforts du sommet vers le bas qui répartissant le poids sur la surface portante en expansion.

Ce procédé consiste à dévier le plus possible la poussée du sommet, qui se concentre en principe sur les angles du dôme, vers les « voiles » de la membrane. Une fois de plus, cette technique permet d’induire les propriétés d’une sphère, et notamment la solidité de sa membrane portante, sur les pans fragiles de la coupole octogonale. Avez vous déjà essayé d’écraser un oeuf avec vos deux doigts ? Difficile, sauf si on en casse la pointe sur une table. Peut-être Brunelleschi n’était-il pas si farceur que ça…

3. Le calibrage des briques

Les briques, en réalité d’immenses tuiles, sont orientées d’une façon radiale vers des « points glissants » sur un axe vertical situé au centre du dôme (Fig. 23).

tuiles

Figure 23. Les briques, en réalité d’immenses tuiles, sont orientées d’une façon radiale vers des « points glissants » sur un axe vertical situé au centre du dôme

On pense également que les arêtes saillantes des briques verticales ont pu servir à une équipe chargée de guider les travaux grâce à des fils directeurs ou simbleaux. En vue de l’organisation des échafaudages nécessaires pour permettre aux maçons de se hisser eux-mêmes et les matériaux sur les hauteurs du chantier, on retient l’hypothèse que la coupole a été construite en « anneaux successifs » (Fig. 24).

anneaux dome

Figure 24. L’on retient l’hypothèse que la coupole a été construite en « anneaux successifs »

Le tracé de la quinte pointée correspond avec l’inclination des briques au sommet qui est de 60 degrés. Si cette inclinaison vers l’intérieur des briques était exclusivement définie à partir d’un point unique au sol, les briques se seraient retrouvées dans une inclinaison proche de 90 degrés, situation fort inconfortable, aussi bien du point de vue structurel que celui du cintrage.

Comme on peut le démontrer sur une maquette, la rotation d’une ficelle d’une longueur donnée, accroché à un point immobile sur le sol du dôme, ne fait que tracer un ensemble de courbes géométriques évolutives – une hyperbole en bas, une parabole au centre et une ellipse en haut – sur les pans de la calotte, à l’instar de la coupe (parabolique) générée par un taille crayon (conique) aiguisant un crayon (hexagonal). On ne peut en aucune manière obtenir la courbe physique – non-algébrique – de la chaînette de cette façon, bien que Brunelleschi utilisa « une perche fixée à la base et tournant sur elle-même vers le haut avec réduction progressive de son inclinaison » pour construire la chapelle de Schiatta Ridolfi, elle, parfaitement sphérique.

4. La  Corda da murare  [cordeau du maçon]

Finalement, et c’est là que Brunelleschi nous démontre toute sa compréhension de la chaînette, nous devons étudier l’inclinaison en courbe de chaînette des lits de briques entre éperons. Cette inclinaison est parfois stupidement attribuée à l’inattention des ouvriers qui laissent fléchir leur cordeau de maçon, employé pour dresser les parements !

Figure 25. Depuis l’Egypte ancienne, comme dans les murs de l’enceinte d’El Kab, on sait que les lits de briques posées en chaînette font preuve d’une solidité incomparable.

Une fois de plus, depuis l’Egypte ancienne, comme dans les murs de l’enceinte d’El Kab (Fig. 25), on sait que les lits de briques posées en chaînette font preuve d’une solidité incomparable.

La question immédiate qui se pose ici est la suivante : pourquoi utiliser une chaînette orientée vers le bas, et non pas une chaînette inversée, orientée vers le haut, comme toutes les voûtes que nous venons de découvrir ? Eh bien, il semblerait que la chaînette est efficiente dans les deux directions : vers le haut et vers le bas ! Ainsi, les lits de briques en chaînettes créent une contrepoussée permettant de retenir les angles de la coupole, un peu comme le voilage en courbes négatives d’un parapluie qui retient les gaines. Une fois de plus, l’illusionniste Brunelleschi s’amuse à ébranler nos certitudes.
C’est uniquement cette utilisation complexe et scientifique des propriétés de la chaînette qui permirent Brunelleschi de réussir la construction du dôme. « L’harmonie du monde » qui existe entre chaque partie et l’ensemble donna cette qualité d’autosoutènement à l’édifice, tout en assurant sa solidité structurale. Chaque brique (microcosme) construit comme faisant partie d’une chaînette (expression de la moindre action), acquiert les propriétés de la chaînette, c’est-à-dire soutient un poids égal du dôme (macrocosme). A quatre millions de briques, on est plus fort que tous les contreforts de la place. Avec un minimum de matériaux, nous obtenons une surface maximale.

Figure 26. La maquette de la taille d’une maison, construit récemment dans un parc de Florence par l’architecte italien Massimo Ricci.

Une maquette (à l’échelle de 1 :5) de la taille d’une maison, construit récemment dans un parc de Florence (Fig. 26) par un architecte passionné, Massimo Ricci, permet de bien voir la maçonnerie en arêtes de poisson. (Fig. 27) Le professeur Ricci, pour sa part, ne croit guère à la chaînette sur laquelle il a peu réfléchi pour l’instant. Il pense qu’il suffit de construire quelques éléments de guidage déduits des courbes d’ellipses d’une forme de fleur, symbole de Santa Maria del Fiore.

Figure 27. La maçonnerie en arêtes de poisson suit la courbe de la chaînette.

Rappelons que même Brunelleschi sera rappelé brutalement à l’ordre par… la chaînette car, pendant l’été 1429, des fissures apparaissent sur les murs latéraux de la partie orientale de la nef. Au lieu de construire des contreforts, Brunelleschi en profite pour imposer le plan d’origine de Neri. Les absides autour de la nef formeront ce qu’il appelait une  catena totius ecclesie  (une chaîne autour de l’église), capable d’absorber la poussée.

La découverte de l’Amérique

colomb

Figure 28. La Pinta, une des trois caravelles de Christophe Colomb.

Brunelleschi : perspective linéaire et  sphericum angularem , science des coupoles ; Nicolas de Cuse :La Quadrature du Cercle  ; le peintre flamand Van Eyck : peinture et un « mappemonde » ; son maître Roger Campin peint des « sorcières », miroirs sphériques ; le miniaturiste Jean Fouquet : la perspective sphérique ; Toscanelli, l’astronomie, la perspective et la cartographie. Si on regarde les domaines divers sur lesquelles ces scientifiques travaillaient, on constate que finalement ils se préoccupaient tous d’un même sujet : la topologie « non linéaire ».

En effet, perspective, optique, cartographie, et les problèmes d’architecture à laquelle était confronté Brunelleschi s’unissent dans une même question : comment les propriétés d’une sphère peuvent-elles se projeter sur un plan ? Et il y avait cette liberté d’esprit, que l’on appelle aujourd’hui pompeusement « la recherche pluridisciplinaire décloisonnée » qui faisait que tout progrès dans un de ces domaines amenait un progrès dans l’autre.

Toscanelli ne souffrait point de ce genre de frustrations. Ross King écrit dans son livre récent « Brunelleschi’s Dome », qu’en 1475, âgé de 78 ans et avec l’accord de l’Oeuvre du Dôme, Toscanelli aurait monté les 463 marches pour installer au sommet du dôme une plaque en bronze, pourvue de petits trous. Grâce àune jauge spéciale sur le sol, un gnomon, Toscanelli fit du dôme le plus grand cadran solaire du monde de cette époque ! Ces observations, destinées officiellement à connaître la date exacte de Pâques, lui permettront de corriger toutes les observations précédentes concernant les équinoxes et les solstices. (Fig. 29)

Figure 29. Grâce à une jauge spéciale sur le sol, un gnomon, Toscanelli fit du dôme le plus grand cadran solaire du monde de cette époque !

Or, pour voyager en haute mer avant l’apparition du quadrant et du sextant, on utilisait essentiellement la boussole et l’astrolabe pour mesurer l’angle entre l’horizon et l’étoile polaire. Néanmoins, ces observations ne trouvaient une utilité pratique que grâce à la correction obtenue au moyen des tables d’éphémérides nautiques, en particulier les tables Alphonsines établies en Andalousie sous Alphonse X (le sage) par des astronomes arabes dirigés par le juif Isaac Ben Sid en 1252. Toscanelli correspondait avec Regiomontanus (Johann Müller) de Nuremberg (1436-1476), qui, avec son précepteur, le mathématicien autrichien et ami de Cuse, Georg Peurbach (1423-1461), établiront des nouvelles tables d’éphémérides pour la période de 1475 à 1506. Un élève de Regiomontanus, Martin Behaim (1459-1507) sera le conseiller du roi Jean II du Portugal à Lisbonne, où il a pu croiser Christophe Colomb. Behaim travaillera beaucoup sur les latitudes en mer et fabriquera des astrolabes en cuivre, plus précis que ceux en bois. Le plus ancien globe terrestre que nous connaissons, qui date de 1492, est de sa fabrication.

Ainsi, on peut dire que les observations que Toscanelli effectua sur le toit du dôme de Florence, ont permis l’éclosion d’une nouvelle science. Au-delà de la navigation côtière, renaissait la navigation astronomique. (Fig. 30)

Figure 30. Au-delà de la navigation côtière, renaissait la navigation astronomique.

Déjà, dès 1419, année de la découverte de Madère, Henri le Navigateur avait fondé un centre de recherche maritime à Sagres au service des explorateurs portugais. Après la chute de Constantinople en mai 1453, la route de la soie et des épices était fermée en Orient, et l’on chercha des routes passant par le sud en contournant l’Afrique. Mais surtout, Toscanelli avait recueilli les récits de nombreux voyageurs d’extrême orient. En particulier, il a eu un long entretien avec l’ambassadeur du « Cathay » (la Chine). Comme le rapporte Toscanelli lui-même : « A l’époque du Pape Eugène IV [l’époque du Concile de Florence, 1438], un ambassadeur est venu vers lui pour lui exprimer les grands sentiments d’amitié pour les Chrétiens, et j’ai eu une longue conversation avec l’ambassadeur sur beaucoup de questions. »

Le 25 juin 1474, Toscanelli envoie sa fameuse lettre avec une carte, à un ami à Lisbonne, le chanoine Fernan Martinez de Roriz qu’il avait rencontré lors du concile à Florence. Martinez figure d’ailleurs avec Toscanelli dans le dialogue scientifique de Nicolas de Cuse  La quadrature du Cercle. 

Dans cette lettre, Toscanelli lui assurait que le chemin le plus court pour voyager vers le Cathay, à l’est, passait par l’ouest. Martinez, confesseur du roi du Portugal ne réussit pas à convaincre son souverain, mais quelqu’un de sa famille, un jeune capitaine de bateau génois, Christophe Colomb, lequel avait vu passer la lettre et allait écrire à Toscanelli vers 1480. Bien que le vaillant Colomb prétendit ne jamais avoir eu recours à des mathématiques ou une carte, dans ses bagages se trouvait une carte de Toscanelli et très probablement les tables d’éphémérides obtenues grâce au cadran solaire du dôme.(Fig. 31)

Figure 31. Reconstitution de la carte de Toscanelli. Remarquez à gauche le Cathay (la Chine).

Au-delà de la découverte de l’Amérique, la navigation astronomique deviendra une science capable d’en découvrir des milliers. Ainsi le chantier du dôme ne se limitait pas à 37 000 tonnes de briques ou à un simple objet de contemplation esthétique, mais son « âme immortelle » provoqua une vague de révolutions scientifiques de par la planète dont chacun pourra encore bénéficier demain.


A partir des courbes de moindre action, on peut aussi identifier des surfaces et des volumes de moindre action (« surfaces optimales »), très répandu dans la nature. L’expérience la plus simple permettant de les découvrir sont les bulles de savon. On y découvre la courbe chaînette quand on trempe deux anneaux parallèles en fil de fer dans de l’eau savonnée. (Fig. 32)

Figure 32. Bulle de savon formant un « volume optimal » de type caténoïde (une chaînette en révolution).

Elles forment un « volume optimal » de type caténoïde (une chaînette en révolution). Voir aussi Figure 16.

Fig. 33: Parapluie.

Quand on y trempe une armature reprenant la géométrie du dôme, des surfaces optimales apparaissent sur les pans, c’est-à-dire des surfaces de courbure « négative » (concaves), une géométrie semblable à celle du parapluie, et identique au léger évasement des pans de la coupole, caché derrière les tuiles.
(Fig. 33)

On peut même faire apparaître la « double calotte » du dôme qui se forme à l’instar du petit cube en eau savonneux qui se forme à l’intérieur d’une structure cubique. Tout ceci tend à nous convaincre que Brunelleschi a conçu l’ensemble de la coupole à partir d’un concept unique de volume optimal fondé sur le principe de moindre action, intensément débattus à l’époque dans son entourage immédiat (Cuse, Toscanelli, etc.).

Lyndon LaRouche, remarque qu’ : « Il est assez troublant de découvrir que le principe de la chaînette fut employé aussi tôt (début du quinzième siècle), pas seulement comme une forme, mais comme un principe physique de courbure capable de résoudre le problème autrement insolvable de la construction. » (« On The Issue of Mind Set », EIR, 3 Mars, 2000)


Notes:

dufay

Guillaume Dufay (à gauche) et Gilles Binchois.

*Guillaume Dufay est probablement né le 5 août 1397 à Beersel près de Bruxelles, sinon à Cambrai où il mourra en 1474. De 1428 à 1437 il est attaché à la chapelle pontificale, à Rome, Florence et Bologne.
Il donna un nouveau souffle à une technique ancienne, le motet isorythmique. Selon David Fallows, le  Nuper rosarum flores  est construit « sur deux voix inférieures exposées quatre fois à des vitesses différentes et selon des longueurs proportionnelles : 6 :4 :2 :3 – ce qui correspond aux proportions de la nef, de la croisée, de l’abside et de la hauteur de la coupole de la cathédrale. Le fait que ces deux voix utilisent la même mélodie -l’Introït pour la dédicace d’une église- à deux niveaux de tonalité et avec des rythmes s’interpénétrant, symbolise l’exploit architectural de Brunelleschi : une calotte intérieure encastrée sur une calotte supérieure. Ainsi, de la même façon que nous sommes séduit par la beauté des formes extérieures du dôme, l’effet musical du motet parvient à son effet musical maximum dans les lignes des voies supérieures. »

toscanelli

Paolo Toscanelli.

** Paolo Toscanelli fut sans doute le plus grand scientifique polyvalent de son temps conduisant des recherches dans tous les domaines importants : mathématiques, géométrie, perspective, cosmologie, médecine, astronomie et surtout la géographie appliquée à la cartographie.

Il écrit un traité sur la perspective en 1420  Della Prospectiva , malheureusement perdu, probablement avec l’aide de Brunelleschi qui selon Manetti faisait ses fameuses expériences à la même époque.Il suivit avec Nicolas de Cuse les cours du mathématicien Prosdocimo del Beldomandi à Padoue.

Avant publication, Cues lui envoie le manuscrit de sa première oeuvre mathématique, les  Transmutations géométriques de 1445, puis ses  Compléments arithmétiques en 1450. Toscanelli fut souvent appelé « Paolo le médecin », parce qu’il couronna ses études avec un doctorat de médecine tandis que Cuse obtenait le titre de  doctor decretorum .

Il devient ensuite conservateur de la bibliothèque de Niccolo Niccoli à Florence. Celui-ci fut un des plus ardents collectionneurs de manuscrits de la Renaissance italienne, dont la collection sera le fonds de départ de la fameuse bibliothèque Laurentienne pour devenir le cœur de la bibliothèque Vaticane. Toscanelli sera aussi un ami direct et l’inspirateur du jeune Léonard de Vinci, et c’est à Toscanelli que son ami Nicolas de Cuse dicte ses dernières volontés sur son lit de mort

Ambrogio Traversari (1386-1439)

*** C’est Ambrogio Traversari, grand protecteur du peintre Piero della Francesca, que recruta Nicolas de Cuse pour organiser avec lui le grand concile oecuménique qui aura finalement lieu à Florence en 1438 pour tenter de sceller la réunification des églises d’Orient et d’Occident.
Ils imposeront les plus grands papes humanistes de la Renaissance, Martin V, Eugène IV, Nicolas V et Pie II. Réunir Orient et Occident sous un dôme unique, grand et beau, capable d’englober toutes les coupoles de la chrétienté était un puissant symbole et on mesure derrière ce projet tout l’engagement actif d’une myriade d’humanistes.
On y réfléchit sur la quadrature du cercle, on apprend le grec et l’hébreu pour percer les secrets des écritures, on traduit Archimède, Végèce et Vitruve pour inventer des machines plus performantes, on démarre l’industrie, on produit du papier pour lancer l’imprimerie, on fonde des hôpitaux et des écoles, bref on ne fait pas que parler de Renaissance, on la fait.

Pierre de Fermat (1601-1665).

****Pierre de Fermat. La courbe de la chaînette, en opposition avec les courbes algébriques, appartient au domaine des courbes physiques, et exprime le principe de moindre action.

Ce principe baptisé « principe d’économie naturelle » par Pierre Fermat (1601-1665), le chemin emprunté par la lumière pour se rendre d’un point donné à un autre est celui pour lequel le temps de parcours est minimum (« principe de Fermat »).

Leibniz (1646-1716), reprenant le principe du minimum/maximum, que Nicolas de Cuse avait déjà identifié en travaillant sur l’isopérimetrie, le formule ainsi : « Il y a toujours dans les choses, un principe de détermination, qu’il faut tirer de la considération d’un maximum et d’un minimum, à savoir que le maximum d’effet soit fourni avec un minimum de dépense. Dans le cas actuel, le temps et le lieu ou, en un mot, la réceptivité ou capacité du monde peut être considérée comme la dépense, c’est-à-dire le terrain sur lequel il s’agit de construire le plus avantageusement, et les variétés des formes dans le monde correspondent à la commodité de l’édifice, à la multitude et à la beauté des chambres…(…)…Ainsi un liquide placé dans un autre, hétérogène, prend la forme qui a le maximum de capacité, à savoir la forme sphérique. Ainsi encore en mécanique ordinaire, de l’action de plusieurs graves concourant entre eux [une chaîne] résulte le mouvement par lequel en fin de compte se réalise la plus grande descente. Et de même que tout les possibles tendent d’un droit égal à exister, en proportion de leur réalité, ainsi tout les poids tendent aussi d’un droit égal à descendre, en proportion de leur gravité ; de même qu’ici se produit le mouvement dans lequel se remarque le maximum de descente de graves, de même le monde qui se réalise est celui qui réalise le maximum de possibles. » ( De la production originelle des choses prise à sa racine ).

En 1691, Leibniz note que Galilée confondait la chaînette avec la parabole, une différence fondamentale démontrée par Joachim Jungius (1585-1657).


 

 

Bibliographie :


  • Choisy, Auguste : Histoire de l’Architecture ; Bibliothèque de l’image, 1899.
  • Chalifoux, Benoît : Réflexions sur le dôme de Brunelleschi, papier de recherche, 2003.
  • Director, Bruce : The long life of the Catenary : from Brunelleschi to LaRouche, Fidelio, Summer/Fall 2002.
  • Fitchen, John : The Construction of Gothic Cathedrals, University of Chicago Press, 1961.
  • Gärtner, Peter : Brunelleschi, Könemann, Cologne, 1998.
  • Hammerman, Nora and Rossi, Claudio : The Apollo project of the Golden Renaissance, Brunelleschi’s dome, 21st Century, July-August 1989.
  • King, Ross : Brunelleschi’s Dome, Pimlico, Random, Londres, 2003.
  • Leibniz, G.W., Opuscules philosophiques choisis, Vrin, Paris 1978.
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  • Mainstone, Rowland J. : Developments in structural form ; MIT press, Cambridge, Mass., 1975.
  • Manetti, Antonio : « Vie, fortune et oeuvre de Filippo Brunelleschi », dans Brunelleschi, Ecole Nationale des Beaux Arts, Paris, 1985.
  • Marchini, Giuseppe : Le Baptistère et le dôme de Florence, Beccocci , Florence, 1972.
  • Matteoli, Lorenzo : Ser Filippo Brunelleschi and the Dome, Nov. 10th, 2002, Internet.
  • Murray, Peter : L’architecture de la Renaissance italienne, Thames & Hudson, Londres, 1969.
  • Prager, Franck D. and Gustina Scaglia : Brunelleschi, Studies of his technology and inventions, M.I.T., Cambridge Mass., 1970.
  • Scarre, Chris : Monuments du monde ancien, Hazan, Paris, 2000.
  • Tennenbaum, Jonathan, « How Gauss Determined The Orbit of Ceres », ch.4, Fidelio, Summer 1998.
  • Vasari, Georgio : La Vie des Grandes Artistes, Club du Livre, Paris, 1954.

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