Étiquette : Guizot

 

Et si on corrigeait les erreurs de Marx?

Transcription éditée de la présentation de Karel Vereycken, 14 juin 2018.

Chers amies et amis, bonjour,

Ce soir je vais vous amener sur la planète Marx, la planète rouge ! Non pas parce qu’il y a quelques métaux rares à ramasser mais simplement parce qu’à partir de cette planète vous allez mieux voir ce qu’il se passe sur terre !

Vous allez aussi mieux comprendre pourquoi l’économiste américain Lyndon LaRouche (1922-2019), qui est depuis quarante ans l’inspirateur de notre mouvance au niveau international, a fait de Karl Marx (1818-1883) son « point de départ » pour élaborer sa propre contribution à la science économique, en partant d’une réfutation de tout ce que Marx a de gravement problématique dans sa conception de l’homme et de l’économie.

Alors que tout le monde disait qu’on avait enterré le vieux barbu en 1991, après la dislocation de l’Union soviétique, le voici de retour et en pleine forme, surtout depuis la crise de 2008 ! Voyons ensemble si c’est une bonne ou une moins bonne nouvelle.

Enfin, il y a des prétextes plus immédiats :

  1. 2018, année du bicentenaire de sa naissance.
  2. Sur la crise financière, Marx a vu juste, nous disent certains. Une note de février 2018 de l’économiste Patrick Artus pour la banque Natixis a surpris ses lecteurs. Dans ce document intitulé « La dynamique du capitalisme est aujourd’hui bien celle qu’avait prévue Karl Marx », l’économiste observe, dans les pays de l’OCDE, la succession d’évolutions que Karl Marx avait déjà anticipées : baisse tendancielle du profit, compression des salaires, spéculations boursières… Or, si les banquiers nous disent que Marx avait raison, il y a un problème, soit chez les banquiers, soit chez Marx, soit chez les deux… On va regarder ça.
  3. Certaines pensées de Marx sont toujours vivaces dans les esprits : la lutte des classes perdure et certains nous disent que « puisque les capitalistes ramassent des profits record, prenons l’argent là où il est », ou bien : « La crise, quelle crise ? Il n’y a pas de crise ! les riches deviennent plus riches et les pauvres plus pauvres, c’est la nature même du capitalisme », ou encore : « La régulation ne sert à rien, il faut changer de système. »

Bicentenaire de Marx, mini-bio

Hegel devant ses élèves

Karl Heinrich Marx est né à Trèves en 1818, c’est-à-dire il y a 200 ans. Son père, un avocat issu d’une famille de marchands et de rabbins, s’est converti au protestantisme pour exercer sa profession.

Après avoir étudié à Bonn, Karl obtient son doctorat en philosophie à Iéna.

Le philosophe allemand Hegel meurt du choléra en novembre 1831. Ses élèves et disciples se divisent en hégéliens de droite (conservateurs) et hégéliens de gauche, qui retiennent son message révolutionnaire.

Réunion d’un club d’hégéliens à Berlin, dessin de Friedrich Engels.

A Berlin, Marx fréquente les clubs d’hégéliens « de gauche » et y adhère. Considéré comme des fauteurs de troubles potentiels, ils n’ont pas la faveur du régime. Marx, hégélien de gauche et juif, se voit empêché d’exercer sa profession de professeur d’université.

En 1842, comme alternative, il devient alors journaliste et crée à Cologne La Gazette rhénane, dont il est le rédacteur en chef à l’âge de 24 ans. Jeune journaliste, il milite pour la liberté de la presse et défend le libre-échange. Alors que sous l’Empire français, les libertés individuelles avaient progressé en Rhénanie, c’en est fini depuis l’occupation des Prussiens.

Marx et Engels, éditeur et journaliste.

Ainsi, en 1843, bien que Marx démissionne de son poste, son journal est fermé.

Jenny von Westphalen, contre l’avis de sa famille aristocratique, se marie avec Marx la même année. Ils auront sept enfants. Avec sa femme, Marx part en exil en France, où il rencontre le poète Heinrich Heine, lui aussi fâché avec les Prussiens.

Il y rencontre également un autre hégélien de gauche, l’allemand Friedrich Engels installé en Angleterre et qui a fait des études sur la classe ouvrière anglaise.

Sous la pression des Prussiens, Guizot, le ministre français de l’Intérieur, ordonne l’expulsion de Marx qui s’exile en Belgique. Il écrit alors à son ami, le poète allemand Heinrich Heine : « De tous ceux que je laisse en partant, c’est la perte de Heine et du patrimoine qu’il représente qui m’est le plus pénible (…) J’aimerais vous emporter dans mes bagages. »

Marx se révolte contre l’idéalisme allemand et l’hypocrisie des intellectuels de son époque, et se plaint que « les philosophes n’ont fait qu’interpréter diversement le monde. Or, ce qui importe, c’est de le transformer ».

Expulsé à son tour de Bruxelles, Marx est de retour à Paris début 1948, puis, après le déclenchement de la révolution de mars, à Cologne. Expulsé de nouveau d’Allemagne, il revient à Paris qu’il doit finalement quitter pour Londres, où il restera définitivement en exil. Plusieurs de ses enfants meurent de façon précoce et ce n’est que grâce à l’argent d’Engels, qui a repris l’usine familiale à Manchester, qu’il arrive à joindre les deux bouts.

Enfin, c’est en 1867 qu’il publie le premier chapitre du Capital, ce qu’il affirme être le « missile le plus terrible » jamais lancé contre la bourgeoisie.

Jacques Attali, avec sa délectation habituelle, note pour sa part :

« La police britannique surveille cet apatride aux relations planétaires, mais ne s’intéresse pas spécialement à lui. Elle sait que, depuis son arrivée quinze ans auparavant, l’Empire britannique n’est pas son principal sujet de préoccupation, ni la Couronne sa principale ennemie. L’organisation internationale qu’il dirige, et à laquelle les syndicats britanniques sont si largement associés, n’est pas considérée comme hostile à la monarchie ; quant à ses livres, si rares, ils ne se vendent pas.

« Et même s’il a critiqué violemment, dans la presse américaine, Palmerston et la politique de Londres, il ne fait jamais le moindre appel à la violence ni ne remet en cause les institutions du pays. « 

Cela n’a pas empêché Xi Jinping, pourtant considéré comme l’ennemi n°1 de l’Empire britannique, d’offrir à la ville de Trèves une énorme statue en bronze de Karl Marx en l’honneur de sa contribution !

Fondement de sa doctrine

Marx résume sa critique de l’exploitation capitaliste dans son œuvre principale, Le Capital, une critique de l’économie politique, publiée en quatre tomes. Le Tome I est publié en 1867, les trois autres seront publiés par son ami Friedrich Engels en 1885 et 1894, donc après la mort de Marx en 1883.

Pour tenter de combattre les énormes écarts de richesse de son époque et expliquer que le capitalisme engendre les conditions de sa propre destruction, Marx définit plusieurs concepts clés qui forment un tout cohérent.

Je ne prends ici que les principales :

  1. Comme socle philosophique : « le matérialisme dialectique » de Hegel.
  2. Enquête sur l’origine de « la plus-value ».
  3. Enquête sur le « coût du travail ».
  4. « Contradictions internes » du capitalisme dont la « baisse tendancielle du profit ».
  5. Solution : la « lutte des classes ».

1. Le matérialisme dialectique et historique

Il reprend le « matérialisme dialectique » du philosophe allemand G.W.F. Hegel, pour qui l’histoire obéit à une transformation dialectique qui engendre une nouvelle réalité.

Ce qui séduit le jeune Marx c’est la notion de dialectique que Hegel reprend de Platon : une marche de la pensée procédant par contradictions surmontées en allant de « l’affirmation » à « la négation », et de la négation à « la négation de la négation » (on dit parfois : thèse, antithèse, synthèse).

Pour sa démonstration, Hegel pervertit le concept de l’Idée chez Platon. Pour Hegel, c’est le dynamisme de l’Esprit qui se réalise dans l’histoire du monde. Le devenir s’opère par dépassements successifs des contradictions. Dépasser, ici, c’est nier mais en conservant, sans anéantir.

On pourrait dire qu’il s’agit d’une lecture aristotélicienne de la fameuse « coïncidence des opposés » développés par le cardinal Nicolas de Cues lors des débats théologiques sur la Trinité précédant le concile de Florence.

En 1807, dans son œuvre principale, La phénoménologie de l’Esprit, Hegel donne un exemple de sa démarche avec sa « dialectique du maître et de l’esclave ».

WHF Hegel

Tout homme, pour connaître et se connaître, a besoin de reconnaissance. Dans une première phase, dans un duel à mort, c’est le maître qui accepte le risque de mourir pour arracher la reconnaissance de l’autre qui lui, y renonce. Or, celui qui refuse ce risque se rend esclave de celui qui prend ce risque.

Ensuite, dans un processus dialectique, on assiste à une inversion des rôles. Car, contrairement au maître, l’esclave travaille. Et en travaillant à transformer, il va se transformer lui-même et donc s’ouvrir la voie de l’autonomie. Le maître, lui, ne travaille pas, il fait réaliser l’objet consommable, puis s’en approprie la jouissance. Ainsi, puisque le maître dépend du travail effectué par l’esclave, les rôles s’inversent et le maître devient l’esclave de son esclave. Enfin, lorsque l’esclave accepte de risquer sa propre vie, c’est lui et non pas le maître qui devient l’agent de la révolution historique.

Cette dialectique a largement de quoi séduire les jeunes rebelles de la génération de Marx !

Dans la préface de la deuxième édition du Capital (1867) Marx indique sa filiation avec la pensée de Hegel tout en précisant sa différence :

Sa différence avec Hegel :
« Ma méthode dialectique ne diffère pas seulement quant au fondement, de la méthode hégélienne : elle en est le contraire direct. Pour Hegel, le processus de la pensée, dont il fait même, sous le nom d’idée, un sujet autonome, est le créateur de la réalité qui n’en est que le phénomène extérieur. Pour moi, le monde des idées, n’est que le monde matériel, transposé et traduit dans l’esprit humain.« 

Sa filiation avec Hegel :
« (la dialectique) est un scandale et un objet d’horreur aux yeux des bourgeois (…) et cela pour différentes raisons : dans l’intelligence positive des choses existantes, elle implique en même temps l’intelligence de leur négation, de leur destruction nécessaire ; elle conçoit toute forme en cours de mouvement et, par conséquent, d’après son côté périssable ; elle ne se laisse imposer de rien et est, de par son essence, critique et révolutionnaire.« 

Soulignons qu’aujourd’hui, Hegel est une des grandes références des néoconservateurs anglo-américains pour la simple raison qu’il arrive à la conclusion que l’historicité de l’existence humaine est impossible sans la violence. Un monde entièrement pacifique est en contradiction avec la nature de cette historicité. L’existence humaine est, par conséquent, mieux comprise en termes de lutte à mort pour la reconnaissance que de recherche d’harmonie, comme le prônent les moralistes.

La dialectique chez Marx

Marx reprend la dialectique du maître (le capitaliste) et de l’esclave (le travailleur). Mais plutôt que de la situer sur le plan de l’esprit, il la situe sur le plan économique.

Selon lui, c’est l’évolution du travail qui va transformer les hommes et les rapports sociaux. Car par le travail, l’homme se produit lui-même et produit la société. Car pour Marx, « ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c’est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience ».

L’histoire, en gros, se résume à une succession « logique » de modes de production : communautés primitives, esclavagisme, féodalisme, capitalisme et communisme.

Cependant, comme le note Jacques Cheminade dans La faille du marxisme,

« le pire aspect de Marx est qu’il falsifie l’histoire de l’économie politique. Il la fait partir de la publication de La Richesse des nations d’Adam Smith (Londres, 1776), véritable manifeste de la Compagnie des Indes orientales britannique, qui avait pris le contrôle de la monarchie anglaise à la fin de la guerre de Sept ans, en 1763. Plus d’un siècle et demi après la publication de Société et Economie de Leibniz (1671), Marx n’a rien à dire d’intéressant sur le colbertisme ou le mercantilisme, rien sur Lazare Carnot et sa théorie des machines, rien sur l’Ecole polytechnique et les travaux de Chaptal ou Dupin, rien sur les fondateurs économiques de l’Etat-nation, rien de passionnant sur Laffemas, Montchrestien ou Sully, rien de sérieux sur le développement industriel des Etats-Unis contre le régime impérial britannique.« 

Pour Marx, le capitalisme naît exclusivement avec la naissance du salariat et pas avant.

A cela, précise Cheminade, il faut ajouter que:

« Marx découple toute morale de son analyse historique. Pour lui, l’esclavage – malgré l’ouvrage que lui a adressé Henry Carey [sur cette question] et ce qu’il sait des Etats-Unis – est une étape nécessaire dans l’accumulation du capital, et c’est grâce à l’accumulation produite par l’esclavage que le passage au féodalisme a été possible, de même que c’est grâce à l’accumulation produite par le servage que le capitalisme a pu apparaître. Il s’agit pour Marx d’étapes sans doute tragiques, injustes, mais nécessaires, fatales.« 

Comme chez Hegel, l’histoire se déroule (presque) en dehors de toute intervention humaine. Pourtant, Marx n’a pas tort lorsqu’il constate que le progrès scientifique et technologique change les rapports sociaux :

« Les rapports sociaux sont intimement liés aux forces productives. En acquérant de nouvelles forces productives, les hommes changent leur mode de production, et en changeant le mode de production, la manière de gagner leur vie, ils changent tous leurs rapports sociaux. Le moulin à bras vous donnera la société avec le suzerain ; le moulin à vapeur, la société avec le capitalisme industriel.« 

En 1848, dans Le Manifeste, Marx et Engels, pour nous convaincre de cette dialectique historique, se félicitent de la façon dont la bourgeoisie (c’est-à-dire le capitalisme) a liquidé la féodalité et le nationalisme (ce que nous appelons la mondialisation aujourd’hui) :

« Par l’exploitation du marché mondial, la bourgeoisie donne un caractère cosmopolite à la production et à la consommation de tous les pays. Au grand désespoir des réactionnaires, elle a enlevé à l’industrie sa base nationale. Les vieilles industries nationales ont été détruites et le sont encore chaque jour. Elles sont supplantées par de nouvelles industries (…) qui n’emploient plus de matières premières indigènes, mais des matières premières venues des régions les plus lointaines, et dont les produits se consomment non seulement dans le pays même, mais dans toutes les parties du globe. (…)

« À la place de l’ancien isolement des provinces et des nations se suffisant à elles-mêmes, se développent des relations universelles, une interdépendance universelle des nations.« 

Ainsi, autant la féodalité a créé les conditions de sa propre destruction en accouchant du capitalisme, autant elle crée les conditions pour l’enfantement d’une société nouvelle. Par exemple, en concentrant les moyens de production dans d’énormes unités, les capitalistes créent les conditions où la classe ouvrière peut prendre conscience de son rôle en tant que classe et le cas échéant, renverser le système.

Sa vision dialectique l’amène à voir le système de son époque comme mourant, tout en étant optimiste sur celui qui peut émerger.

« À grands traits, les modes de production asiatique, antique, féodal et bourgeois moderne peuvent être qualifiés d’époques progressives de la formation sociale économique. Les rapports de production bourgeois sont la dernière forme contradictoire du processus de production sociale (…) Cependant les forces productives qui se développent au sein de la société bourgeoise créent en même temps les conditions matérielles pour résoudre cette contradiction. Avec cette formation sociale s’achève donc la préhistoire de la société humaine.« 

Cependant, ces passages d’une plateforme sociétale inférieure à une plus élevée ne sont pas le résultat d’idées, mais la conséquence mécanique du matérialisme historique et d’une « lutte des classes » érigée en moteur exclusif de l’histoire dont elle accélère le déroulement.

Et pour expliciter que les idées n’y changent rien, il dira :

« À toute époque, les idées de la classe dominante sont les idées dominantes ; autrement dit, la classe qui est la puissance matérielle dominante de la société est en même temps la puissance spirituelle dominante.« 

2. La plus-value et l’exploitation

La plus grande contribution de Marx à la science économique, nous dit-on, est son analyse de la plus-value.

Or, comme nous allons le montrer, elle est non seulement inopérante mais fondée sur des méthodes comptables, c’est-à-dire des axiomes erronés où l’on cherche à mesurer le monde vivant et en expansion avec des critères gouvernant le monde des objets morts et finis.

Dès qu’il parle macro-économie, en adoptant les méthodes comptables des physiocrates, Marx, tout comme hélas Rosa Luxemburg, se déleste de sa dialectique et de son amour pour un monde en transformation permanente…

Au lieu de provoquer une révolution axiomatique, Marx s’acharne à vouloir « prouver » qu’il a raison dans les mêmes termes utilisés par ceux qu’il conteste. Une approche suicidaire et fortement déconseillée !

Or, comme le disait un jour l’économiste américain Lyndon LaRouche : un vrai révolutionnaire, c’est quelqu’un qui, comme Einstein, commence par démontrer que tout ce qu’il a appris à l’école est totalement erroné et à le jeter à la poubelle de l’histoire ! Ce n’est, hélas, pas le cas de Marx, qui fait les poubelles de l’histoire pour alimenter sa théorie.

Une histoire de petits pois

A force de les étudier, Marx s’est fait infecter par ce que j’appellerais le « virus physiocrate ».

François Quesnay

En économie politique, le plus connu de cette école était l’un des médecins de Louis XV, le Dr François Quesnay (1694-1774), membre de l’Académie des Sciences et de la Royal Society britannique, qui présenta en 1758 son « Tableau économique ».

Ses disciples, très nombreux, se réunissaient souvent. Parmi eux, Dupont de Nemours et Mirabeau notamment.

Or, pour Quesnay et les physiocrates, qui défendent la propriété privée et la liberté d’entreprendre, seule la terre est productive et source de richesse : c’est elle seule qui peut fournir un surplus.

Selon eux, la nation se réduit à trois classes :

  • la « classe productive » constituée par les exploitants agricoles,
  • la « classe des propriétaires fonciers », qui vivent de la rente et collectent la dîme,
  • la « classe stérile », composée des artisans, manufacturiers et marchands.

Considérée comme utile et nécessaire, l’industrie est qualifiée de « stérile » car accusée de ne créer aucune « vraie » richesse.

Ecoutons le physiocrate italien Paoletti :

« L’industrie ne crée rien ; elle donne des formes, modifie. Mais, me dira-t-on, puisqu’elle crée des formes, elle est productive. Entendu. Mais elle ne crée pas de richesse, elle en dépense au contraire… L’économie politique suppose et étudie une production matérielle ; or, celle-ci ne se rencontre que dans l’agriculture qui, seule, multiplie la matière et les produits qui constituent la richesse… L’industrie achète à l’agriculture les matières premières pour les façonner ; en donnant à ces matières une forme déterminée, elle ne leur ajoute rien, ne les augmente pas… Remettez à un cuisinier des petits pois pour qu’il vous prépare un repas. Il vous les apportera sur la table, bien cuits et bien assaisonnés, mais la quantité n’aura pas changé. Donnez une égale quantité de petits pois à un jardinier avec ordre de les semer. Le moment venu, il vous en rendra pour le moins le quadruple. Voici la seule, l’unique production.« 

Le Tableau économique de François Quesnay

Ainsi, le Tableau économique de Quesnay, véritable début de la macro-économie, tente de démontrer du point de vue comptable que c’est grâce à la classe productive (l’agriculture) que la société parvient à se reproduire comme un tout.

Quesnay donne comme exemple un royaume dont la production agricole rapporte chaque année 5 milliards. Cette somme est d’abord partagée entre la classe productive qui reçoit 3 milliards et la classe des propriétaires qui en reçoit 2. Cette dernière dépense les 2 milliards qu’elle reçoit en donnant un milliard à la classe productive et un autre à la classe stérile.

Cependant, la classe stérile reçoit un autre milliard de la classe productive ce qui fait deux en tout, une somme qu’elle va à son tour employer à la classe productive en achats pour la subsistance de ses agents et les matières premières de ses ouvrages. Et puisque la classe productive dépense elle-même les deux milliards restants en production, on retrouve la somme totale des 5 milliards de la richesse annuelle.

Pour enrichir la nation il faut donc donner primauté absolue à l’agriculture, seule source de plus-value, et réduire l’intervention de l’Etat, notamment en supprimant les réglementations qui entravent l’agriculture et le commerce. Si pour les physiocrates, la source de la richesse c’est la nature, pour les économistes classiques (Ricardo, Smith, etc.), c’est le libre-échange.

Ricardo n’est, au fond, qu’un post-physiocrate :

« Le produit de la terre, c’est-à-dire tout ce que l’on retire de sa surface par l’utilisation conjointe du travail, des machines et du capital, est réparti entre trois classes de la communauté : les propriétaires de la terre, les détenteurs du fonds ou capital nécessaire à son exploitation, et les travailleurs qui la cultivent. (…) Déterminer les lois qui gouvernent cette répartition, constitue le principal problème en Économie politique.« 

La plus-value chez Marx

Regardons maintenant dans Le Capital de Marx comment il analyse le « procès » de production de la plus-value :

Le capital C se décompose en deux parties : une somme d’argent c dépensée pour les moyens de production, et une somme d’argent v dépensée pour la force de travail ; c représente la partie de la valeur transformée en capital constant, c la partie transformée en capital variable.

A l’origine, nous avons donc : C = c + v

Par exemple, le capital avance 500 livres sterling = 410 (c) + 90 (v)

A la fin du processus, il résulte de la marchandise, dont la valeur est c + v + pl (plus-value) ;

Nous avons donc : 410 (c) + 90 (v) + 90 (pl)

Le capital primitif C ou 500 livres sterling est devenu C’ ou 590 livres sterling. La différence est pl, soit une plus-value de 90 livres sterling.

Enfin, Marx appelle « composition organique du capital » (co) le rapport entre c et v.

Avec l’accumulation du capital, la co du capital augmente, c’est-à-dire que la part du capital variable diminue, et que celle du capital constant augmente. Le travail humain sera de plus en plus remplacé par le travail des machines et des robots.

Cependant, Marx persiste à soutenir que le « travail salarié » est la source exclusive de plus-value (Pl).

En réalité, copiant Adam Smith, il réduit v au seul travail « salarié », c’est-à-dire produisant une plus-value… financière et non pas une plus-value physique :

« Seule la forme sous laquelle [le] surtravail est extorqué au producteur immédiat, l’ouvrier, distingue les formations sociales économiques, par exemple la société esclavagiste de celle du travail salarié.« 

Parmi les économistes, une blague circule qui se moque des méthodes comptables employées pour calculer le Produit intérieur brut (PIB) : « Si tu veux faire chuter le PIB, épouse ta femme de ménage ! »

3. Le coût du travail

Les raboteurs (1875), tableau de Caillebotte.

Par contre, Marx analyse bien deux phénomènes : le coût du travail et la dérive de ce que nous appelons aujourd’hui le capitalisme financier.

Alors qu’il ne voit la plus-value produite que sous la forme de la conversion de la marchandise produite en valeur monétaire, il refuse, avec raison, de réduire le coût de production au simple coût du travail fourni pour une production donnée.

L’idée de base consiste à distinguer la valeur du travail (valeur, en temps de travail, des marchandises vendues par le capitaliste) et la valeur de la force de travail (salaire reçu par le salarié, supposé égal au temps de travail nécessaire pour reproduire sa force de travail). Ce que le capitaliste doit payer, dit Marx, ce n’est donc pas le coût « du travail », mais le coût « de la force de travail », c’est-à-dire les conditions de son existence dans la durée en tant que force productive.

C’est la différence entre la plus-value et le coût de cette « force de travail » qui définit la marge du profit du capitaliste.

Or ce dernier ne pense plus qu’à s’enrichir à tout prix. Marx constate que, déjà à son époque, le capital financier prend le dessus sur le capitalisme industriel. Si avant, en convertissant la marchandise en argent, un producteur pouvait acheter une autre marchandise, le but final n’est plus désormais la production ou la consommation, mais l’accumulation primitive du capital, c’est-à-dire faire plus d’argent avec de l’argent.

Ce qu’on peut faire avec le fer en Northumbrie (Angleterre), tableau de William Bell Scott. 1861

A partir de cette théorie de la valeur-travail, Marx va déduire sa théorie de l’exploitation de la force de travail. Pour ce faire, Marx affirme que les ouvriers vendent non pas le produit de leur travail, mais leur « force de travail ».

Ce que le propriétaire de l’entreprise achète, c’est leur capacité physique et intellectuelle à faire un travail : c’est leur force de travail. La force de travail est donc une marchandise. Pour Marx, c’est une marchandise exceptionnelle car elle permet de créer plus de valeur qu’elle n’en a coûté (c’est la plus-value).

Exemple : si le salarié travaille 9 heures par jour et que le salaire ne représente que 4 heures de travail, la plus-value sera de 5 heures. Ce temps de « surtravail » est à l’origine du profit du capitaliste.

Le capitalisme ne peut donc vivre sans l’exploitation du prolétariat. Les relations entre classes sociales ne peuvent être qu’antagonistes puisque l’une (capitaliste) n’existe que par l’exploitation de l’autre (prolétaire).

« Le capital est du travail mort, qui ne s’anime qu’en suçant tel un vampire du travail vivant, et qui est d’autant plus vivant qu’il en suce davantage.« 

C’est sur cette base que le socialiste français Paul Lafargue élabore son Droit à la Paresse. Une fois que le salarié a produit ce qu’il faut pour la simple reproduction de la société, il peut renoncer sans danger à produire la plus-value pour les capitalistes. (Note 1)

Les moyens d’accroître la plus-value

Les capitalistes cherchent toujours à accroître la plus-value. Ils disposent à cet effet de deux moyens :

  • accroître la pl absolue en augmentant les cadences ou la durée du travail et par conséquent « le travail gratuit » ;
  • accroître la pl relative en développant la productivité ou en diminuant le temps de travail nécessaire à la production des biens et services destinés à la reproduction de la force de travail.

Pourtant, Marx reste optimiste, car:

« le capitalisme contribue au progrès de la civilisation en ce qu’il extrait ce surtravail par des procédés et sous des formes qui sont plus favorables que ceux des systèmes précédents (esclavage, servage, etc.) au développement des forces productives, à l’extension des rapports sociaux et à l’éclosion des facteurs d’une culture supérieure. Il prépare ainsi une forme sociale plus élevée, dans laquelle l’une des parties de la société ne jouira plus, au détriment de l’autre, du pouvoir et du monopole du développement social, avec les avantages matériels et intellectuels qui s’y rattachent, et dans laquelle le surtravail aura pour effet la réduction du temps consacré au travail matériel en général.« 

4. Les « contradictions internes » du système capitaliste

Pour Marx, le capitalisme est un système historiquement daté et fondé sur l’exploitation de la force de travail, appelé à disparaître à cause de ses contradictions internes qui ne peuvent se résoudre qu’en passant à un régime fondé sur la propriété collective des moyens de production.

Ces contradictions sont au nombre de trois :
a) baisse tendancielle du taux de profit
b) paupérisation de la classe ouvrière
c) crise de surproduction

Marx cherche à montrer qu’avec le développement du capitalisme, on assistera à une opposition croissante entre une majorité misérable (prolétaires) et une minorité de riches propriétaires des moyens de production. La condition de la classe ouvrière doit se dégrader davantage avec le progrès technique et la concentration du capital. Cette dégradation débouchera un jour sur la révolte « expropriation des expropriateurs ».

a) Baisse tendancielle du profit

Le taux de profit selon Marx s’écrit : Pl/c+v

Comme nous l’avons indiqué, le rapport entre C et V définit ce que Marx appelle la « composition organique » du capital. Aujourd’hui on dirait que cette fonction indique s’il s’agit d’une économie « à faible intensité capitalistique » ou « à faible intensité de main d’œuvre ». Le premier modèle est celui du tiers-monde, le deuxième celui des pays avancés.

Pour Marx, la logique veut que si la composition organique augment, c’est-à-dire si le capitaliste investit dans l’amélioration de l’appareil productif (l’utilisation de la machine à la place de l’homme), par simple effet mécanique la part de v par rapport à c baissera. Et puisque selon son dogme, c’est exclusivement v (c’est-à-dire le travail salarié) qui est source de Pl, le taux de profit subira logiquement une baisse tendancielle.

b) Paupérisation de la classe ouvrière

L’augmentation de c, c’est-à-dire le remplacement de l’homme par la machine, conduit donc à des licenciements et une paupérisation de la force de travail. Or, faute de travail, le pouvoir d’achat de la force de travail chutera, provoquant une baisse de la consommation.

c) Crise de surproduction

Bien que cette baisse soit perçue par la classe capitaliste comme une « crise de surproduction », il s’agit en réalité d’une crise de sous-consommation puisque les besoins élémentaires des populations ne sont pas satisfaits.

« La contradiction de ce mode de production capitaliste réside dans sa tendance à développer de manière absolue les forces productives, qui entrent sans cesse en conflit avec les conditions spécifiques de la production dans lesquelles se meut le capital.

Car, « l’expansibilité immense et intermittente du système de fabrique, jointe à sa dépendance du marché universel, enfante nécessairement une production furieuse suivie d’un encombrement des marchés dont la contraction amène la paralysie.

« La raison ultime de toutes les crises réelles, précise Marx, c’est toujours la pauvreté et la consommation restreinte des masses. (…) C’est une pure tautologie de dire : les crises proviennent de ce que la consommation solvable ou les consommateurs capables de payer font défaut. (…). Dire que les marchandises sont invendables ne signifie rien d’autre que : il ne s’est pas trouvé pour elles d’acheteurs capables de payer, donc de consommateurs.« 

Ainsi la « baisse tendancielle du profit » crée un cercle vicieux :

  • concurrence grandissante
  • surexploitation
  • paupérisation
  • crise de surproduction
  • baisse tendancielle du profit
  • spéculation boursière

Ces contradictions peuvent être freinées par la conquête de débouchés extérieurs. Marx pense bien sûr aux puissances européennes qui, pour compenser la baisse tendancielle du profit, se lancent dans le colonialisme en Afrique, en Asie et ailleurs.

Marx contre le protectionnisme

Le protectionniste américain et conseiller du président Lincoln, Henry C. Carey.

Aux Etats-Unis, Marx était totalement enthousiasmé à l’idée d’écrire pour le New York Tribune, surtout qu’il avait vraiment besoin d’argent. Le journal lui permettait d’enseigner le socialisme aux capitalistes. A cela s’ajoute qu’entre 1852 et 1854, presqu’un demi million d’Allemands ont émigré vers les Etats-Unis via New York, dont certains avaient participé à la révolution de 1848.

La Tribune était également le porte-voix des transcendentalistes américain, de sentiment assez opposé au capitalisme.

Le journal a publié 487 articles de Marx, 350 écrits de sa main et 12 en coopération avec Engels, les autres 125 étant signés par Engels tout seul. Un quart des articles ont été publiés comme des éditoriaux non signés.

A un moment donné, Marx dit à Engels que « depuis deux mois, l’équipe Marx-Engels a fonctionné quasiment comme l’équipe éditoriale de la Tribune », tellement leurs écrits furent utilisés.

Henry Charles Carey, le plus grand économiste protectionniste de l’époque et conseiller de Lincoln, était alors considéré comme « le patron virtuel » du journal. En 1852, il envoie à Marx deux de ses livres, dont L’harmonie des intérêts où, reprenant les doctrines d’Alexander Hamilton et de Henry Clay, il résume les doctrines de ce que les historiens appellent le Système américain d’économie politique.

Marx n’était pas particulièrement emballé par les écrits de Carey. Ainsi, dans une lettre à Engels, il note que Carey a « changé de camp ». Avant de devenir protectionniste et faire l’éloge de l’Etat, « Carey se plaignait d’un Etat trop interventionniste dans les affaires ». Ensuite, Carey, comme l’indique le nom de son livre, semblait sur une autre planète en termes de « lutte des classes ».

Dans sa lettre du 5 mars 1952 à Weydemeyer, Marx se lâche :

« H.C. Carey (de Philadelphie), le seul économiste d’importance, est la preuve éclatante que la société civile américaine manque de maturité pour fournir une réponse claire et cohérente à propos de lutte des classes.« 

Et il poursuit :
« Il (Carey) s’en prend à Ricardo, le représentant le plus classique de la bourgeoisie et l’adversaire le plus stoïque du prolétariat, accusé d’être un homme dont les œuvres sont un arsenal pour les anarchistes, les socialistes et tous les ennemis du système bourgeois. Il en veut, pas seulement à lui, mais à Malthus, Mill, Say, Torrens, Wakefield, McCulloch, Senior, Whately, R. Jones et d’autres, les économistes les plus en vogue d’Europe, pour morceler la société et préparer la guerre civile parce qu’ils montrent que les bases des différentes classes tendent à faire naître des antagonismes croissants entre eux. Il tente de les réfuter (…) en montrant que les conditions économiques (la propriété), le profit (capital) et les salaires (travail salarié), au lieu d’être des conditions de combat et d’antagonismes, sont plutôt des conditions d’association et d’harmonie. La seule chose qu’il prouve, évidemment, c’est qu’il prend les conditions ‘sous-développées’ des Etats-Unis pour des ‘conditions normales’.« 

« Même Carey lui-même est frappé par le début de disharmonie aux Etats-Unis. Quelle est la source de ce phénomène étrange ? Carey l’explique par l’influence destructrice de l’Angleterre, par son désir d’arriver à un monopole industriel sur le marché mondial (…) L’Angleterre crée une entorse à toutes les relations économiques du monde (…) L’harmonie des relations économiques repose, selon Carey, sur la coopération harmonieuse des villes et de la campagne, de l’industrie et de l’agriculture. Ayant dissout cette harmonie fondamentale chez elle, en Angleterre, dans une concurrence, elle procède à la détruire sur le marché mondial, et elle est donc l’élément destructeur de l’harmonie générale. La seule défense sont les tarifs protecteurs – la barricade nationale contre l’industrie anglaise de grande taille (…) Ainsi, toutes les relations qui lui apparaissent comme harmonieuses à l’intérieur des frontières nationales spécifiques ou autrement, dans la forme abstraite des relations générales de la société bourgeoise, (…) lui apparaissent comme disharmonieuses là où elles apparaissent dans leur forme la plus développée : le marché mondial.« 

Le 14 juin 1853, il écrit à Engels : « Ton article sur la Suisse était évidemment une gifle indirecte contre la ligne qui domine la Tribune et son Carey. J’ai continué cette guerre cachée (hidden warfare) dans mon premier article sur l’Inde, dans lequel la destruction de l’industrie domestique indienne par l’Angleterre est décrite comme révolutionnaire. Ce sera drôlement choquant pour lui.« 

Tout en rajoutant : « Les Britanniques, soit dit en passant, ont géré l’Inde comme des porcs, et cela perdure jusqu’aujourd’hui.« 

Contre Carey, on vient de le voir, Marx mènera, comme un idéologue et surtout comme un journaliste, à moitié sérieux, à moitié pour rire, une « guerre de l’ombre ».

En 1841, Friedrich List, un autre père fondateur du protectionnisme intelligent (inspiré par le Français Chaptal), publie son Système national d’économie politique. Engels incite alors Marx à écrire au plus vite une réfutation des thèses protectionnistes.

Marx s’acquitta de la tâche, sans toutefois faire publier son analyse. Elle le sera bien plus tard sous le titre Notes critiques sur Friedrich List.

Marx y traite List de « philistin » : « Au lieu d’étudier l’histoire réelle, M. List cherche à deviner les mauvais buts secrets des individus.« 

Pour Marx, les nations appartiennent à tout le monde : « La nationalité du travailleur n’est pas française, anglaise, allemande, c’est le capital. L’air qu’il respire chez lui n’est pas l’air français, anglais, allemand, c’est l’air des usines (…) ». Pour en conclure que « l’argent est la patrie de l’industriel« .

Du point de vue de la dialectique, Marx estime que, de toute façon, l’extension du capitalisme à la terre entière allait susciter la naissance de l’Internationale ouvrière.

Le 7 janvier 1848, dans son « Discours sur la question du libre-échange« , Marx déploie sa dialectique sophiste :

« Il faut choisir : soit on refuse l’ensemble de l’économie politique, telle qu’elle existe à présent, soit il faut admettre que la liberté des échanges entraînera une sévérité accrue des lois de l’économie politique à l’égard des classes laborieuses. Est-ce dire que nous sommes contre le libre-échange ? Non point, nous sommes partisans du libre-échange parce qu’avec le libre-échange, toutes les lois de l’économie, avec leurs étonnantes contradictions, peuvent s’exercer à une plus grande échelle, et s’étendre à un vaste territoire, voire la terre entière. L’accumulation de ces contradictions résultera en un combat final qui permettra l’émancipation des prolétaires.« 

Certes, ce discours venait deux ans après l’abolition des lois protectionnistes sur la production céréalière (corn laws), défendue par les Chartistes anglais. Marx y fait référence lorsqu’il dit : « En général, si l’on veut le libre-échange, c’est pour soulager la condition de la classe laborieuse ( …) Frapper de droits protecteurs les grains étrangers, c’est infâme, c’est spéculer sur la famine des peuples… »

Et surtout, au « protectionnisme national et bourgeois », Marx préfère un « libre-échange étendant à la totalité du monde les contradictions du capitalisme ». Point de vue cynique, en un sens, puisqu’il s’agissait pour Marx de pousser les ouvriers à participer à leur propre défaite : cessons de vouloir domestiquer un capitalisme qu’il faut accompagner à la destruction !

Le protectionnisme intelligent défendu par Carey et List est donc systématiquement combattu par Marx sur des bases idéologiques et économiques. « L’illusion » d’une solution gagnant-gagnant prônée par L’harmonie des intérêts de Carey n’est considérée que comme une fausse solution, retardant la fin du capitalisme inscrite dans le code génétique de la dialectique historique. Aujourd’hui Marx dirait sans doute la même chose de la Chine lorsqu’elle propose une coopération gagnant-gagnant et des politiques économiques « inclusives », tout en disant éventuellement que l’extension du capitalisme là-bas porte les promesses de son éradication.

C’est pour cette opposition viscérale à toute idée d’Etat-nation moderne, que l’extrême-gauche actuelle déteste autant le président Franklin Roosevelt.

L’Etat s’éteindra avec le capitalisme

Au-delà de la régulation économique, Marx dira tout et son contraire sur l’Etat. Marx et Engels voient avant tout l’Etat comme un instrument aux mains de la classe dominante (la bourgeoisie), destinée à dominer la classe des prolétaires. Mais pour assurer sa domination, la bourgeoisie confie à l’Etat la gestion de ses intérêts généraux et peut lui confier une certaine autonomie. Bien que l’Etat s’élève parfois « au-dessus des classes » pour rétablir un ordre social menacé, il ne peut jamais agir pour « l’intérêt général », car ce concept n’est qu’une invention des capitalistes pour endormir les masses.

Pourtant, le 5e point du Manifeste de 1848 exige « la centralisation du crédit entre les mains de l’Etat, par une banque nationale à capital d’Etat et à monopole exclusif ».

Pour Marx et Engels, la dictature du prolétariat est une phase transitoire vers une société sans classes, où l’Etat « s’éteindra ».

Engels précise cette dialectique dans L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat, dont une sixième édition parut à Stuttgart dès 1894 :

« Le prolétariat s’empare du pouvoir d’Etat et transforme les moyens de production d’abord en propriété d’Etat. Mais par là, il se supprime lui-même en tant que prolétariat, il supprime toutes les différences et oppositions de classes, et également en tant qu’Etat. La société antérieure, évoluant dans des oppositions de classes, avait besoin de l’Etat, c’est-à-dire, dans chaque cas, d’une organisation de la classe exploiteuse pour maintenir ses conditions de production extérieures, donc surtout pour maintenir par la force la classe exploitée dans les conditions d’oppression données par le mode de production existant (esclavage, servage, salariat). (…) Quand il finit par devenir effectivement le représentant de toute la société, il se rend lui-même superflu.

Dès qu’il n’y a plus de classe sociale à tenir dans l’oppression ; dès que, avec la domination de classe et la lutte pour l’existence individuelle motivée par l’anarchie antérieure de la production, sont éliminés également les collisions et les excès qui en résultent, il n’y a plus rien à réprimer qui rende nécessaire un pouvoir de répression, un Etat.

Le premier acte dans lequel l’Etat apparaît réellement comme représentant de toute la société, – la prise de possession des moyens de production au nom de la société -, est en même temps son dernier acte propre en tant qu’Etat. L’intervention d’un pouvoir d’Etat dans des rapports sociaux devient superflue dans un domaine après l’autre, et entre alors naturellement en sommeil. Le gouvernement des personnes fait place à l’administration des choses et à la direction des opérations de production. L’Etat n’est pas ‘aboli’, il s’éteint.« 

Ainsi, pense Marx, lutte de classes aidant, le capitalisme est condamné à disparaître et avec lui, cet outil de répression qu’est l’Etat.

5. La lutte des classes

D’après la dialectique matérialiste reprise par Marx de Hegel, comme nous l’avons vu plus haut, ce ne sont pas les idées qui changent le monde, mais le changement des rapports de classes résultant des changements dans les rapports de production. Et ce changement est sa propre cause.

Car, « À un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n’en est que l’expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s’étaient mues jusqu’alors. De formes de développement des forces productives qu’ils étaient, ces rapports en deviennent des entraves. Alors s’ouvre une époque de révolution sociale.« 

Précisons qu’avant Marx, on qualifiait de classe chaque profession ayant un revenu différent : les propriétaires fonciers vivaient de la rente, les entrepreneurs, du capital investi, et les travailleurs de leur salaire. Or, Marx et Engels, un brin complotistes, décrètent, notamment dans Le Manifeste, que désormais le monde se réduit à deux classes : la bourgeoisie (les capitalistes) et le prolétariat (qui vend sa force de travail), dont l’une ne peut prospérer qu’en détruisant l’autre.

Philosophiquement, Marx et surtout Engels introduisent donc ce fameux gagnant-perdant qui est l’essence même des forces qu’ils prétendent combattre. Si aujourd’hui vos enfants sont inondés de jeux vidéos, c’est bien parce que ces « jeux » permettent aux grands sorciers du GAFAM de leur imposer les mêmes « valeurs » et le « paradigme » d’un monde où le « gagnant-gagnant pour tous » est tout simplement impossible.

« Maintenant, dit Marx, en ce qui me concerne, ce n’est pas à moi que revient le mérite d’avoir découvert l’existence des classes dans la société moderne, pas plus que la lutte qu’elles s’y livrent. Des historiens bourgeois avaient exposé bien avant moi l’évolution historique de cette lutte des classes et des économistes bourgeois en avaient décrit l’anatomie économique. Ce que j’ai apporté de nouveau, c’est : de démontrer que l’existence des classes n’est liée qu’à des phases historiques déterminées du développement de la production ; que la lutte des classes mène nécessairement à la dictature du prolétariat ; que cette dictature elle-même ne représente qu’une transition vers l’abolition de toutes les classes et vers une société sans classes.« 

Jaurès contre Marx

Jean Jaurès, en 1901, dans son introduction aux Etudes socialistes, tout en rendant hommage à Marx pour ses contributions, ne va pas hésiter à faire quelques mises au point notamment en disant : « Je dirai presque que Marx avait besoin d’un prolétariat infiniment appauvri et dénué dans sa conception dialectique de l’histoire moderne. »

Car:
« c’est sous une transposition hégélienne du christianisme que Marx se représente le mouvement moderne d’émancipation. De même que le Dieu chrétien s’est abaissé au plus bas de l’humanité souffrante pour relever l’humanité toute entière, de même que le Sauveur, pour sauver en effet tous les hommes, a dû se réduire à ce degré de dénuement tout voisin de l’animalité, (…) de même dans la dialectique de Marx, le prolétariat, le Sauveur moderne, a dû être dépouillé de toute garantie, dévêtu de tout droit, abaissé au plus profond du néant historique et social, pour relever en se relevant toute l’humanité.« 

De là, précise Jaurès, « chez Marx, une tendance originelle à accueillir difficilement l’idée d’un relèvement partiel du prolétariat. De là une sorte de joie, où il entre quelque mysticité dialectique, à constater les forces d’écrasement qui pèsent sur les prolétaires.« 

Jean Jaurès, peinture à l’huile de Karel Vereycken.

« Marx se trompait, dit Jaurès. Ce n’est pas du dénuement absolu que pouvait venir la libération absolue. Quelque pauvre que fût le prolétaire allemand, il n’était pas la pauvreté suprême. D’abord dans l’ouvrier moderne il y a d’emblée toute la part d’humanité conquise par l’abolition des sauvageries et des barbaries premières, par l’abolition de l’esclavage et du servage. Puis, quelque médiocres que fussent en effet à ce moment les titres historiques propres des prolétaires allemands, ils n’en étaient point tout à fait démunis.

« Leur histoire, depuis la Révolution française, n’était pas tout à fait vide. Et surtout, par leur sympathie pour l’action émancipatrice des prolétaires français, des ouvriers du 14 juillet, des 5 et 6 octobre, du 10 août, des sections parisiennes, ils avaient une part dans les titres historiques du prolétariat français, devenus des titres universels, comme la Déclaration des droits de l’homme avait été un symbole universel, comme la chute de la Bastille avait été une délivrance universelle.

Au moment même où Marx écrivait pour le prolétariat allemand ces paroles de mystique abaissement et de mystique résurrection, les prolétaires allemands, comme d’ailleurs Marx lui-même, tournaient leur cœur et leurs yeux vers la France, vers la grande patrie des titres historiques du prolétariat.

« Mais quoi d’étrange que Marx, avec cette conception dialectique première, ait accordé la primauté dans l’évolution capitaliste à la tendance de dépression ? Quoi d’étonnant que dans Le Capital encore il ait écrit que ’l’oppression, l’esclavage, l’exploitation, la misère, s’accroissaient’, mais aussi ’la résistance de la classe ouvrière’ (…)« 

« Les socialistes, précise Jaurès, les uns ouvertement, les autres avec des précautions infinies, quelques-uns avec une malicieuse bonhomie viennoise, tous déclarent qu’il est faux que dans l’ensemble la condition économique et matérielle des prolétaires aille en empirant. Des tendances de dépression et des tendances de relèvement, ce n’est sont pas au total, et dans la réalité immédiate de la vie, les tendances dépressives qui l’emportent.

« Dès lors il n’est plus permis de répéter après Marx et Engels que le système capitaliste périra parce qu’il n’assume même pas à ceux qu’il exploite le minimum nécessaire à la vie. Dès lors, il devient puéril d’attendre qu’un cataclysme économique menaçant le prolétariat dans sa vie même provoque, sous la révolte de l’instinct vital, ’l’effondrement violent de la bourgeoisie’. Ainsi, les deux hypothèses, l’une historique, l’autre économique, d’où devait sortir, dans la pensée du Manifeste communiste, la soudaine révolution prolétarienne, la Révolution de la dictature ouvrière, sont également ruinées.« 

Marx, admirateur de Darwin

Bien que Marx ait développé sa conception de la lutte des classes lors de son exil en Belgique, il se trouve conforté par la publication de L’origine des espèces de Charles Darwin, qu’il lira en décembre 1860 sur les conseils de son ami Engels. Le 19 décembre de la même année, il lui écrit : « Voilà le livre qui contient la base, en histoire naturelle, pour nos idées. »

Et s’adressant à Ferdinand Lasalle le 16 janvier 1861 : « Le travail de Darwin, lui dit-il, est d’une grande importance et sert mon but dans la mesure où il fournit dans les sciences naturelles une base pour la lutte de classe historique.« 

Marx finit par réviser quelque peu son jugement. A Engels, il confie le 18 juin 1862 :

« Il est remarquable de voir comment Darwin reconnaît chez les animaux et les plantes sa propre société anglaise, avec sa division du travail, sa concurrence, ses ouvertures de nouveaux marchés, ses inventions et sa malthusienne ‘lutte pour la vie’. C’est la ‘guerre de tous contre tous’ de Hobbes.« 

Pourtant, à l’automne de la même année, il assiste à six conférences de Thomas Henry Huxley, surnommé « le bouledogue de Darwin ».

En 1873, dans le second livre du Capital, Marx définit la sélection naturelle darwinienne comme « l’histoire d’une technologie naturelle, c’est-à-dire la formation d’organes dans les plantes et les animaux, qui servent d’instruments de production pour le maintien de leur vie ».

Il envoie à Darwin une copie de son livre avec ce message : « A M. Darwin de la part de son admirateur sincère Karl Marx. »

Jacques Attali, qui semble ignorer les documents historiques, se trompe donc lourdement lorsqu’il écrit que « Marx ne croit pas que les idées de Darwin soient transposables à l’analyse sociale.« 

Pour Attali, Sadi Carnot, Marx et Darwin sont « les trois géants de ce siècle ». Pour le premier, découvreur de la seconde loi de la thermodynamique, le temps s’écoulerait irréversiblement vers le désordre [c’est-à-dire vers l’entropie que Sadi Carnot réserve uniquement aux systèmes fermés et d’aucune façon à l’histoire de l’homme ou de l’univers comme un tout], pour le second (Marx) vers la liberté et enfin pour le troisième vers le mieux adapté…

Abraham Lincoln

Lors de son allocution de 1861, Lincoln, dont l’élection fut soutenue par Karl Marx, semble tenir un discours quasi-marxiste lorsqu’il déclare :

« Le travail précède le capital et en est indépendant. Le capital n’est que le fruit du travail et n’aurait jamais pu exister si le travail n’avait pas existé avant lui. Le travail est supérieur au capital et mérite une considération bien plus haute. Le capital a des droits qui doivent être défendus comme les autres droits. Enfin, il ne s’agit pas non plus de nier qu’il existe, et qu’il existera toujours, une relation entre le capital et le travail dans la production de bénéfices mutuels.« 

En réalité, il se base sur l’approche hamiltonienne et dénonce la lutte des classes en plaidant pour « l’harmonie des intérêts » cher à son conseiller Henry Carey :

« L’erreur consiste à croire que toutes les relations de la société s’inscrivent exclusivement dans cette relation [de lutte des classes]. (…) Dans la plupart des Etats du Sud, une majorité de gens, toutes couleurs confondues, ne sont ni des esclaves ni leurs maîtres, alors que dans le Nord, une vaste majorité n’est ni employée ni employeur. (…) Beaucoup de gens indépendants habitant dans tous ces Etats étaient des journaliers. Le débutant sans un sou travaille un temps pour un salaire, obtient un surplus et l’utilise pour acheter des outils et un lopin de terre à cultiver. Il travaille alors à son compte et finit par employer d’autres débutants pour l’assister. C’est le système juste et généreux qui ouvre la voie à tous, leur donne l’espoir et l’énergie pour progresser et améliorer les conditions de vie de tous. Aucun homme ne mérite plus notre confiance que celui qui a surmonté la pauvreté.« 

Lettre de Marx à Lincoln

En dépit de sa différence, le 30 décembre 1864, Marx écrit, au nom de l’Association internationale des travailleurs, une lettre au président Abraham Lincoln le félicitant de sa réélection :

« Si la résistance au pouvoir des esclavagistes a été le mot d’ordre modéré de votre première élection, le cri de guerre triomphal de votre réélection est : mort à l’esclavage !

« Depuis le début de la lutte titanesque que mène l’Amérique, les ouvriers d’Europe sentent instinctivement que le sort de leur classe dépend de la bannière étoilée. La lutte pour les territoires qui inaugura la terrible épopée, ne devait-elle pas décider si la terre vierge de zones immenses devait être fécondée par le travail de l’émigrant, ou souillée par le fouet du gardien d’esclaves ?

« Lorsque l’oligarchie des trois cent mille esclavagistes osa, pour la première fois dans les annales du monde, inscrire le mot esclavage sur le drapeau de la rébellion armée ; lorsque à l’endroit même où, un siècle plus tôt, l’idée d’une grande république démocratique naquit en même temps que la première déclaration des droits de l’homme, qui ensemble donnèrent la première impulsion à la révolution européenne du XVIIIe siècle – lorsque à cet endroit la contre-révolution se glorifia, avec une violence systématique, de renverser ‘les idées dominantes de l’époque de formation de la vieille Constitution’ et présenta ‘l’esclavage comme une institution bénéfique, voire comme la seule solution au grand problème des rapports entre travail et capital’, en proclamant cyniquement que le droit de propriété sur l’homme représentait la pierre angulaire de l’édifice nouveau – alors les classes ouvrières d’Europe comprirent aussitôt, et avant même que l’adhésion fanatique des classes supérieures à la cause des confédérés ne les en eût prévenues, que la rébellion des esclavagistes sonnait le tocsin pour une croisade générale de la propriété contre le travail et que, pour les hommes du travail, le combat de géant livré outre-Atlantique ne mettait pas seulement en jeu leurs espérances en l’avenir, mais encore leurs conquêtes passées.

« C’est pourquoi, ils supportèrent toujours avec patience les souffrances que leur imposa la crise du coton et s’opposèrent avec vigueur à l’intervention en faveur de l’esclavagisme que préparaient les classes supérieures et ‘cultivées’, et un peu partout en Europe contribuèrent de leur sang à la bonne cause.


« Tant que les travailleurs, le véritable pouvoir politique du Nord, permirent à l’esclavage de souiller leur propre République ; tant qu’ils se glorifièrent de jouir – par rapport aux Noirs qui avaient un maître et étaient vendus sans être consultés – du privilège d’être libres de se vendre eux-mêmes et de choisir leur patron, ils furent incapables de combattre pour la véritable émancipation du travail ou d’appuyer la lutte émancipatrice de leurs frères européens.


« Les ouvriers d’Europe sont persuadés que si la guerre d’Indépendance américaine a inauguré l’époque nouvelle de l’essor des classes bourgeoises, la guerre anti-esclavagiste américaine a inauguré l’époque nouvelle de l’essor des classes ouvrières. Elles considèrent comme l’annonce de l’ère nouvelle que le sort ait désigné Abraham Lincoln, l’énergique et courageux fils de la classe travailleuse, pour conduire son pays dans la lutte sans égale pour l’affranchissement d’une race enchaînée et pour la reconstruction d’un monde social.« 

Marx contre les tsars

Bien que la Russie soit le premier pays à avoir traduit Le Capital, Marx voua une haine particulière au système tsariste.

En 1852, il se fait même payer par le diplomate anglais David Urquhart pour écrire une série d’articles contre la Russie qui paraîtront dans la Free Press, le journal d’Urquhart. Tout en le considérant comme un fou, Marx reprend sa thèse et accuse Lord Palmerston, le Premier ministre britannique, d’être « à la solde » de Moscou…

Bien que le tsar Alexandre II, un despote éclairé, ait aboli le servage en 1861 et menace l’Empire britannique d’action militaire s’ils interviennent aux Etats-Unis pour défendre « leurs intérêts », c’est-à-dire les esclavagistes, Marx n’en a cure.

Assassinat du tsar Alexandre II.

En 1881, après l’assassinat d’Alexandre II le 13 mars, alors que les auteurs de l’attentat étaient quatre jeunes bourgeois obsédés par la haine de l’autocratie, Marx, dans une lettre à sa fille Jenny Longuet, en parle en ces termes :

« Ce sont des individus foncièrement habiles, sans pose mélodramatique, simples, positifs, héroïques… Ils s’efforcent de montrer à l’Europe que leur manière d’agir est spécifiquement russe, historiquement inévitable, une forme de tremblement de terre de Chio.« 

Bizarrement, Jacques Attali, qui, dans son Karl Marx ou l’esprit du monde, ne tarit d’éloges quand ce dernier défend la mondialisation, prend bien soin de ne pas mentionner ces faits.

Et à l’occasion d’un meeting slave pour la célébration de l’anniversaire de la Commune, Marx et Engels saluèrent l’attentat contre Alexandre II comme « un événement qui, après des luttes longues et violentes, conduira finalement à la création d’une commune russe ».

Consciemment ou pas, Marx apparaît comme l’instrument politique de la géopolitique Britannique pour qui il ne constituait aucune menace.

Résumons les erreurs de Marx :

  • reprend la dialectique de Hegel pour faire pire ;
  • reprend les erreurs des physiocrates, pour qui la nature et le travail salarié sont la seule source de plus-value, et non pas les manufactures ;
  • refuse de reconnaître le rôle du progrès technologique dans la formation du capital ;
  • pense que l’Etat n’est qu’un outil de répression qui s’éteindra avec l’avènement d’une société sans classes ;
  • oppose à un système perdant-perdant (l’exploitation), un autre système perdant-perdant (la lutte des classes), fondé sur la violence inhérente à la dialectique hégélienne ;
  • estime sa doctrine confirmée par Darwin et ignore les naturalistes républicains (Humboldt, Arago, etc.) ;
  • pourfend le protectionnisme de List et Carey ;
  • promeut l’internationalisation du libre-échange pour amener le capitalisme à s’autodétruire ;
  • soutient Lincoln mais combat sa politique économique ;
  • félicite les assassins du tsar Alexandre II de Russie, un allié de Lincoln, qui vient d’abolir le servage ;
  • s’adonne aux mesquineries d’un petit journaliste.

Si le « marxisme » se proclame révolutionnaire, il ne l’est point au niveau des axiomes. C’est sans doute pourquoi, surtout depuis la mort de Marx, la promotion de ce type de « marxisme » a été assurée par certaines forces géopolitiques qui préfèrent de loin les rebelles aux révolutionnaires.

La révolution LaRouche

Dans les années 1970, le penseur et économiste américain Lyndon LaRouche, avec son livre Dialectical Economics (1974), a totalement bouleversé la science de l’économie marxiste en reprenant, sur la base de sa compréhension de la thermodynamique, les catégories identifiées par Marx (c/v/Pl).

Chez LaRouche, il ne s’agit plus de catégories monétaires ou comptables mortes, mais de facteurs dynamiques distincts, évoluant au sein d’une fonction de croissance qui ne définit plus une plus-value financière mais une plus-value de l’économie réelle, c’est-à-dire humaine, sociale et sociétale, mesurable sous la forme du taux d’accroissement du potentiel relatif de densité démographique, ce fameux PRDD dont la presse nous parle à longueur de journée (ironique).

Du coup, revu et corrigé par LaRouche, le modèle marxiste se trouve libéré de sa prison malthusienne et entropique. Un article de mon ami Benjamin Bak vous aidera à comprendre les rudiments de la révolution larouchiste en économie.

Autant Marx accueillait volontiers des ouvriers déconcertés de tout bord dans l’Internationale ouvrière, autant j’ai bon espoir que les marxistes honnêtes nous rejoindront dans la bataille.

Notes :

  1. Paul Lafargue, un des piliers du marxisme, devient le gendre de Marx en se mariant avec sa fille Laura. Il est élu député du Nord en 1891 et prendra parti pour Dreyfus. En 1896, Laura Marx-Lafargue hérite d’une partie de la fortune d’Engels. Paul et Laura achètent alors une propriété à Draveil où ils vivent d’une « manière hédoniste », tout en suivant les affaires du monde. A 69 ans, en 1911, proche de la limite d’âge de 70 ans qu’il s’était fixée, il se suicide à Draveil avec son épouse Laura Marx, en se justifiant dans une courte lettre : « Sain de corps et d’esprit, je me tue avant que l’impitoyable vieillesse qui m’enlève un à un les plaisirs et les joies de l’existence et qui me dépouille de mes forces physiques et intellectuelles, ne paralyse mon énergie, ne brise ma volonté et ne fasse de moi une charge à moi et aux autres.« 
Merci de partager !

Enseignement mutuel : curiosité historique ou piste d’avenir ?

Par Karel Vereycken, Paris, France

  1. Introduction
  2. Apprendre et enseigner, une même joie
  3. Précédents
    A. En Inde
    B. En France
  4. Les brigades de Gaspard Monge
  5. Andrew Bell
  6. Joseph Lancaster
  7. Enseignement mutuel, comment ça marche ?
    A. Le local
    B. Maîtres et moniteurs
    C. Fonctionnement
    D. Progresser selon sa connaissance
    E. Les outils
    F. Commandement
  8. Bellistes contre lancastériens
  9. Lorsque ça intéresse les Français
  10. Lazare Carnot à la manœuvre
  11. Enseignement mutuel et chant choral
  12. Le projet pilote de la rue Saint-Jean-de-Beauvais
  13. Jomard, Choron, Francœur et savoirs élémentaires
  14. Rayonnement national
  15. Critiques
  16. Dérive mécaniste ?
  17. Mort de l’enseignement mutuel en France
  18. Conclusion
  19. Quelques ouvrages et textes consultés, en accès libre

« Répondez, mes amis : il doit vous être doux
D’avoir pour seuls mentors des enfants comme vous ;
Leur âge, leur humeur, leurs plaisirs sont les vôtres ;
Et ces vainqueurs d’un jour, demain vaincus par d’autres,
Sont, tour à tour parés de modestes rubans,
Vos égaux dans vos jeux, vos maîtres sur les bancs.
Muets, les yeux fixés sur vos heureux émules,
Vous n’êtes point distraits par la peur des férules ;
Jamais un fouet vengeur, effrayant vos esprits,
Ne vous fait oublier ce qu’ils vous ont appris ;
J’écoute mal un sot qui veut que je le craigne,
Et je sais beaucoup mieux ce qu’un ami m’enseigne. »

Victor Hugo, Discours sur les avantages de l’Enseignement mutuel, 1817.

1. Introduction

Enseigner la lecture et l’écriture à 1000 enfants présents dans une même salle, sans instituteur, sans livres scolaires, sans papier et sans encre, c’est clairement impossible. Et pourtant, cela a été imaginé et mis en pratique avec grand succès ! Chut ! Il ne faut pas en parler, car cela pourrait donner des idées à certains, et pas seulement dans les pays émergents !

Qu’un tel défi puisse être relevé ne pouvait qu’inquiéter l’oligarchie et ses serviteurs. Depuis la nuit des temps ils formatent une « élite » (les grands prêtres de la connaissance, les « experts » et autres sachants) se reproduisant en vase clos au sommet, tout en veillant à ce que la grande masse du peuple d’en bas s’instruise juste assez pour pouvoir livrer des colis, payer ses impôts, se plier aux règles définies par le sommet, et surtout, ne fasse pas (trop) désordre.

Pourtant, comme l’avait compris bien avant nous Hippolyte Carnot, ministre de l’Instruction publique de la IIe République, sans éducation républicaine, c’est-à-dire sans une véritable formation de citoyen dès la maternelle, le suffrage universel devient, assez souvent, une farce tragique capable d’engendrer des monstres.

Au début du XIXe siècle, « l’enseignement mutuel » (parfois appelé système « monitorial » anglais, « système de Madras » ou « système de Lancaster »), se répand comme un feu de brousse en Europe puis à travers le monde.

Si le maître s’adresse à un seul élève, c’est le mode individuel (cas du précepteur) ; s’il s’adresse à toute une classe, c’est le mode simultané ; s’il charge des enfants d’instruire les autres, c’est le mode mutuel. L’alliance des procédés simultané et mutuel est appelée mode mixte.

L’enseignement mutuel est rapidement victime de querelles de personnes et d’enjeux idéologiques, politiques et religieux. Il est vécu comme une agression par les congrégations religieuses qui pratiquent, elles, « l’enseignement simultané », édicté dès 1684 par Jean-Baptiste de la Salle pour les « Frères des écoles chrétiennes » : classes par âge, division par niveau, place fixe et individuelle, discipline stricte, travail répétitif et simultané surveillé par un maître inflexible.

Avec la constitution de petits groupes où les élèves enseignent les uns aux autres, se déplacent dans la salle de classe, l’enseignement mutuel a immédiatement fait naître, assez bêtement, la crainte d’un monde cul par-dessus tête, sortant d’un tableau de Jérôme Bosch. Dans quel monde sommes-nous si l’élève enseigne au maître, l’enfant au parent, le fidèle au prêtre, le citoyen au gouvernement ! Sans chef, que faire, chef ?

Estimant qu’un tel enseignement « affaiblit l’autorité » aussi bien des maîtres que des autorités politiques et religieuses, en 1824, le pape Léon XII (à ne pas confondre avec le bienveillant Léon XIII), le « pape de la Sainte-Alliance », farouche partisan de l’ordre et soupçonnant un vaste complot protestant contre le Vatican, l’interdit.

En France, où dans les années qui suivent la Révolution de 1830, près de 2 000 écoles mutuelles existent, principalement dans les villes, en concurrence avec les écoles confessionnelles, François Guizot, ministre de Louis-Philippe, les fera disparaître.

2. Apprendre et enseigner, une même joie

Un bon tuteur était réservé aux prince : ici, le prince Charles Louis du Palatinat avec son tuteur Wolrad von Plessen, tableau de Jan Lievens.

Le tutorat connaît aujourd’hui un regain d’intérêt dans le cadre des apprentissages scolaires et formations professionnelles. Il s’agit d’un processus « d’assistance de sujets plus expérimentés à l’égard de sujets moins expérimentés, susceptible d’enrichir les acquisitions de ces derniers ». C’est ainsi que le tutorat entre enfants, en particulier entre enfants d‘âges différents, est encouragé dès l’école maternelle, jusqu’à l’université avec l’institutionnalisation au niveau du premier cycle du tutorat méthodologique, en passant par l’école élémentaire et le secondaire qui ont vu se développer depuis les années 1980, tant en France qu’à l’étranger, de nombreuses expériences tutorales.

Or, le tutorat n’est que le pâle héritier de l’enseignement mutuel développé en Angleterre puis en France au XIXe siècle.

Il existe une vérité immuable : l’avenir de l’humanité dépend d’une faculté exclusivement humaine : la découverte de principes physiques universels nouveaux, parfois dépassant de loin les bornes de notre appareil sensoriel, permettant à l’Homme d’accroître sa capacité de transformation de l’univers afin d’améliorer de façon qualitative son sort et celui de son environnement. Or, une découverte n’est jamais le fruit d’une somme ou d’une moyenne d’opinions multiples mais bien celui d’un acte unique parfaitement souverain.

Regarde ce que je viens de découvrir !

Cependant, sans la socialisation de cette découverte, elle ne servira à rien. L’histoire de l’humanité est donc, par sa propre nature, pourrait-on dire, l’histoire d’un « enseignement mutuel ».

Le plus grand plaisir de celui qui vient d’effectuer une découverte, et cela est naturel chez les enfants, n’est-il pas de partager, non seulement ce qu’il ou elle vient de découvrir, mais la joie et la beauté que représente toute percée scientifique ? Et lorsque ceux qui découvrent, enseignent, le plaisir est au rendez-vous. Laissons-donc à nos enseignants professionnels le temps de faire des découvertes, leur enseignement y gagnera en qualité !

3. Précédents

A. En Inde

En 1623, l’explorateur italien Pietro Della Valle (1586-1652), après un voyage en « Indoustan » (Inde), dans une lettre expédiée d’Ikkeri (ville du sud-ouest de l’Inde), rapporte avoir vu :

Pietro della Valle.

« certains jeunes enfants qui y apprenaient à lire d’une façon extraordinaire (…) Ils étaient quatre et avaient pris du maître une même leçon ; afin de l’inculquer parfaitement dans leur mémoire, de répéter les précédentes qui leur avaient été prescrites, de peur de les oublier, l’un d’eux chantait d’un certain ton musical une ligne de la leçon, comme par exemple deux et deux font quatre. En effet, on apprend facilement une chanson. Pendant qu’il chantait cette partie de leçon pour l’apprendre mieux, il l’écrivait en même temps, non pas avec une plume, ni sur du papier. Mais pour l’épargner et n’en pas gâter inutilement, ils en marquaient les caractères avec le doigt sur le même plancher où ils étaient assis en rond, qu’ils avaient couvert pour ce sujet d’un sable très délié. Après que le premier de ces enfants avait écrit de la sorte en chantant, les autres chantaient et écrivaient la même chose tous ensemble (…) Sur ce que je leur demandais qui (…) les corrigeait lorsqu’ils manquaient, vu qu’ils étaient tous écoliers, ils me répondirent fort raisonnablement, qu’il était impossible qu’une seule difficulté les arrêtât tous quatre en même temps, sans pouvoir la surmonter et que pour le sujet ils s’exerçaient toujours ensemble afin que si l’un manquait les autres fussent ses maîtres. »

Dans ce texte apparaissent déjà les grands principes de l’enseignement mutuel, notamment l’apprentissage simultané de la lecture et de l’écriture, l’utilisation du sable pour les exercices d’écriture afin de ne pas gaspiller le papier qui est rare et fort cher, un cours en collectif donné par un maître, puis un travail en sous-groupes dans lequel les élèves apprennent à s’autoréguler, et enfin, une intégration du savoir qui, grâce à l’utilisation du chant, va faciliter la mémorisation.

B. En France

A Lyon, le prêtre lyonnais Charles Démia figure comme l’un des précurseurs de l’enseignement mutuel qu’il a théorisé dès 1688, et qu’il mettait en pratique dans les « petites écoles » pour enfants pauvres qu’il a fondées. D’après le Nouveau dictionnaire de pédagogie et de l’instruction primaire,

« Démia introduisit dans les classes ce qu’on appela plus tard l’enseignement mutuel : il recommande de choisir, parmi les écoliers les plus capables et les plus studieux, un certain nombre d’officiers, dont les uns, sous le nom d’intendants et de décurions, seront chargés de la surveillance, tandis que les autres devront faire répéter les leçons du maître, reprendre les écoliers quand ils se trompent, guider la main hésitante des ‘jeunes écrivains’, etc. Pour rendre possible la simultanéité de l’enseignement, l’auteur des règlements divise l’école en huit classes, dont le maître devra s’occuper tour à tour ; chacune de ces classes peut se subdiviser en bandes. »

A Paris, dès 1747, l’enseignement mutuel est pratiqué avec un grand succès dans une école de plus de 300 élèves, établie par M. Herbault à l’hospice de la Pitié, en faveur des enfants des pauvres. L’expérience, hélas, ne survécut pas à son fondateur.

En 1772, la charité ingénieuse du chevalier Paulet conçut et exécuta le projet d’appliquer une semblable méthode à l’éducation d’un grand nombre d’enfants, que la mort de leurs parents laissaient sans appui dans la société.

4. Les brigades de Gaspard Monge

Enfin, comme le raconte, dans sa biographie de Gaspard Monge, son élève le plus brillant, l’astronome François Arago (1786-1853), lui-même un ami proche d’Alexandre de Humboldt, c’est à l’École polytechnique que Monge va peaufiner son propre système d’enseignement mutuel et de tutorat.

Jugeant qu’il était inacceptable de devoir attendre trois ans pour voir sortir les premiers ingénieurs de l’École polytechnique, Monge décida, afin d’accélérer la formation des élèves, d’organiser des « cours révolutionnaires », une formation accélérée pendant trois mois. Pour cela, il perfectionna le concept de « chefs de brigades », une technique qu’il avait déjà pu tester avec succès à l’école du Génie de Mézières.

Elèves de l’Ecole polytechnique s’efforçant d’imiter les grands hommes, fronton du Panthéon, David d’Angers.
Polytechniciens devant l’Ecole du Génie de Mézières.

François Arago :
« Les chefs de brigade, toujours réunis à de petits groupes d’élèves dans des salles séparées, devaient avoir des fonctions d’une importance extrême, celles d’aplanir les difficultés à l’instant même où elles surgiraient. Jamais combinaison plus habile n’avait été imaginée pour ôter toute excuse à la médiocrité ou à la paresse.

« Cette création appartenait à Monge. A Mézières, où les élèves du génie étaient partagés en deux groupes de dix, à Mézières, où, en réalité, notre confrère fit quelque temps, pour les deux divisions, les fonctions de chef de brigade permanent, la présence, dans les salles, d’une personne toujours en mesure de lever les objections avait donné de trop heureux résultats pour qu’en rédigeant les développements joints au rapport de Fourcroy, cet ancien répétiteur n’essayât pas de doter la nouvelle école des mêmes avantages.

« Monge fit plus ; il voulut qu’à la suite des leçons révolutionnaires, qu’à l’ouverture des cours des trois degrés, les 23 sections de 16 élèves chacune, dont l’ensemble des trois divisions devait être composé, eussent leur chef de brigade, comme dans les temps ordinaires ; il voulut, en un mot que l’École, à son début, marchât comme si elle avait déjà trois ans d’existence.

« Voici comment notre confrère atteignit ce but en apparence inaccessible. Il fut décidé que 25 élèves, choisis par voie de concours parmi les 50 candidats que les examinateurs d’admission avaient le mieux notés, deviendraient les chefs de brigade de trois divisions de l’école, après avoir reçu à part une instruction spéciale. Le matin, les 50 jeunes suivaient, comme tous leurs camarades, les cours révolutionnaires ; le soir, on les réunissait à l’hôtel Pommeuse, près du Palais-Bourbon, et divers professeurs les préparaient aux fonctions qui leur étaient destinées. Monge présidait à cette initiation scientifique avec une bonté, une ardeur, un zèle infinis. Le souvenir de ses leçons est resté en traits ineffaçables dans la mémoire de tous ceux qui en profitèrent. »

Arago cite alors le témoignage d’Edme Augustin Sylvain Brissot (1786-1819), fils du célèbre girondin et abolitionniste, un des 50 élèves :

« C’est là, que nous commençâmes à connaître Monge, cet homme si bon attaché à la jeunesse, si dévoué à la propagation des sciences. Presque toujours au milieu de nous, il faisait succéder aux leçons de géométrie, d’analyse, de physique, des entretiens particuliers où nous trouvions plus à gagner encore. Il devint l’ami de chacun des élèves de l’Ecole provisoire ; il s’associait aux efforts qu’il provoquait sans cesse, et applaudissait, avec toute la vivacité de son caractère, aux succès de nos jeunes intelligences ».

Si une forme d’enseignement mutuel y est pleinement pratiquée, le dévouement total d’un maître aussi fervent que Monge, vient compléter ce qui ne serait autrement qu’un « système ».

5. Andrew Bell

Andrew Bell. (gravure manière noire) par C. Turner.

C’est un Écossais, le pasteur anglican Andrew Bell (1753-1832), qui revendique la paternité de l’enseignement mutuel qu’il a pratiqué et théorisé en Inde, à la tête de l’Asile militaire pour orphelins d’Egmore (Inde orientale). Cette institution, créée en 1789, est chargée d’éduquer et d’instruire les orphelins et les fils indigents des officiers et des soldats européens de l’armée de Madras.

Après sept ans sur place, Bell rentre à Londres et en 1797, il rédige un rapport destiné à la Compagnie des Indes (son employeur à Madras) sur les incroyables avantages de son invention.

Le médecin, naturaliste et inventeur russe Iosif Kristianovich (Joseph Christian) Hamel (1788-1862), membre de l’Académie des Sciences, est chargé par le Tsar de Russie Alexandre Ier, de faire un rapport complet sur ce nouveau type d’enseignement dont toute l’Europe discutait alors.

Il relate, dans Der Gegenseitige Unterricht (1818), ce qu’écrivait Bell dans un de ses écrits :

Ecole de Madras où enseigna Bell.

« Il arriva dans ce temps, qu’en faisant un matin ma promenade ordinaire, je passai devant une école de jeunes enfants Malabares, et je les vis occupés à écrire sur la terre. L’idée me vint aussitôt qu’il y aurait peut-être moyen d’apprendre aux enfants de mon école, à connaître les lettres de l’alphabet, en leur faisant tracer sur le sable. Je rentrai sur-le-champ chez moi, et je donnai ordre au maître de la dernière classe, de faire exécuter ce que je venais d’arranger dans mon chemin. Heureusement, l’ordre fût très mal accueilli ; car si le maître s’y fut conformé à ma satisfaction, il est possible que tout développement ultérieur eût été arrêté, et par là, le principe même de l’enseignement mutuel… »

Accueilli avec froideur en Angleterre, l’enseignement mutuel finit par séduire Samuel Nichols, un des dirigeants de l’école de St-Botolph’s Aldgate, la plus vieille paroisse protestante anglicane de Londres. La mise en œuvre des préceptes de Bell est réalisée avec grand succès et sa méthode est reprise par le docteur Briggs lorsqu’il ouvre une école industrielle à Liverpool.

6. Joseph Lancaster

Joseph Lancaster.

En Angleterre, c’est Joseph Lancaster (1778-1838), un instituteur londonien âgé de vingt ans, qui s’empare de la nouvelle manière d’enseigner, la perfectionne et la généralise à grande échelle.

En 1798, il ouvre une école élémentaire pour les enfants pauvres à Borough Road, un des faubourgs les plus miséreux de Londres. L’enseignement n’y est pas encore totalement gratuit mais 40 % moins cher que dans les autres écoles de la capitale.

Faute d’argent, Lancaster fait tout pour faire baisser encore les coûts de ce qui devient un véritable « système » : emploi de sable et d’ardoises plutôt que d’encre et de papier (Erasme de Rotterdam rapporte en 1528 qu’en son temps il y avait des gens qui écrivaient avec une sorte de poinçon sur des tables recouvertes d’une fine poussière) ; tableaux reproduisant les pages d’ouvrages scolaires suspendus aux murs pour éviter l’achat de livres ; maîtres auxiliaires remplacés par des élèves pour éviter de payer des salaires ; augmentation du nombre d’élèves par classe.

Ecole lancastérienne à Liverpool.

En 1804, son école compte 700 élèves, et douze mois plus tard, un millier. Lancaster, en s’endettant de plus en plus, ouvre une école pour 200 filles. Pour échapper à ses créanciers, il quitte Londres en 1806 et lors de son retour il est enprisonné pour dette. Deux de ses amis, le dentiste Joseph Foxe et le fabricant de chapeaux de paille William Corston, remboursent sa dette et fondent avec lui « La société pour la promotion du système lancastérien pour l’éducation des pauvres ». D’autres quakers viendront alors les soutenir, notamment l’abolitionniste William Wilberforce (1759-1833) que David d’Angers, sur le socle de son célèbre monument commémorant Gutenberg à Strasbourg, fait figurer aux côtés de Condorcet et de l’abbé Grégoire.

A partir de là, comme le relate Joseph Hamel dans son rapport de 1818, la nouvelle approche s’est répandue aux quatre coins du monde : Angleterre, Écosse, Irlande, France, Prusse, Russie, Italie, Espagne, Danemark, Suède, Pologne et Suisse, sans oublier le Sénégal et plusieurs pays d’Amérique du Sud comme le Brésil et l’Argentine et, bien sûr, les États-Unis d’Amérique. L’enseignement mutuel a été adopté comme pédagogie officielle à New York (1805), Albany (1810), Georgetown (1811), Washington D.C. (1812), Philadelphie (1817), Boston (1824) et Baltimore (1829), et la législature de Pennsylvanie a envisagé de l’adopter à l’échelle de l’État.

Première école lancastarienne aux Etats-Unis.

7. Enseignement mutuel, comment ça marche ?

Le principe fondamental de « l’enseignement mutuel », particulièrement pertinent pour l’école primaire, consiste dans la réciprocité de l’instruction entre les écoliers, le plus capable servant de maître à celui qui l’est moins. Dès le début, tous avancent graduellement, quel que soit le nombre d’élèves. Bell et Lancaster, et leurs disciples français, posent en postulat la diversité des facultés, l’inégalité des progrès, des rythmes de compréhension et d’acquisition. Ils sont donc conduits à repartir les élèves en classes différentes suivant les disciplines et suivant le niveau de connaissances des enfants, l’âge n’intervenant aucunement dans cette classification. Les écoliers ainsi réunis prennent part aux mêmes exercices. Leur programme d’étude est identique dans son contenu et dans ses méthodes.

Si l’effectif d’une division est trop élevé dans une discipline, la lecture ou l’arithmétique, par exemple, on constitue des sous-groupes qui évoluent parallèlement, les méthodes et supports de l’enseignement restant identiques.

Comment se présente alors une école du nouveau système ?

A. La salle de classe

Taille d’une école d’enseignement mutuelle élémentaire pour 350 élèves.

Quel que soit le nombre d’élèves — une centaine dans les bourgades françaises, mille dans l’école de Lancaster à Londres, deux cents dans les écoles parisiennes – ceux-ci sont groupés dans une salle unique, rectangulaire, sans cloisons. Jomard qui déploya dans les premières années de l’installation du mode d’enseignement mutuel une extraordinaire et féconde activité, a fixé les normes souhaitables pour des effectifs variant de 70 à 1 000 élèves. Il indique, par exemple, pour 350 élèves la nécessité d’une salle de 18 m de long sur 9 m de large. En Angleterre et dans les campagnes françaises, on utilise souvent une grange pour la nouvelle école. En France, les édifices religieux désaffectés depuis la période révolutionnaire sont nombreux et répondent parfaitement aux normes souhaitées. Ils accueilleront beaucoup d’écoles mutuelles.

B. Maîtres et « moniteurs »

Planning d’une journée d’enseignement mutuel, Alsace.

Le mode mutuel répartit la responsabilité de l’enseignement entre le « maître » et des élèves désignés comme « moniteurs » et considérés comme « la cheville ouvrière de la méthode ». Le moniteur (ou admoniteur) est un élève un peu plus grand et plus avancé dans la discipline. Il de doit point enseigner mais s’assurer que les élèves s’enseignent entre eux. Comme le rappelle Bally, dès 1819 :

« La base de l’enseignement mutuel repose sur l’instruction communiquée par les élèves les plus forts à ceux qui sont les plus faibles. Ce principe qui fait le mérite de cette méthode, a nécessité une organisation toute particulière pour créer une hiérarchie raisonnable, qui pût concourir de la manière la plus efficace, au succès de tous. »

Chaque jour, dans une « classe » réservée aux moniteurs, le maître transmet des connaissances et dispense à ses adjoints les conseils techniques pour la bonne application de la méthode. Au cours de la journée, il reste responsable de la 8e classe (celle de l’achèvement du cursus scolaire), et, à ce titre, se charge de la conduite de leurs exercices. Il procède aux examens périodiques, mensuels ou occasionnels, dans les classes et décide, éventuellement, des changements de classe. C’est lui, enfin, qui, au stade ultime, distribue punitions et récompenses.

C. Fonctionnement

Ainsi, sur une estrade, le bureau du maître avec un large tiroir où sont rangés argent, billets de récompense, registres, modèles d’écriture, sifflets, cahiers des enfants.

Derrière le maître, à côté de l’horloge – instrument essentiel pour organiser la vie de l’enseignement – un tableau noir sur lequel sont écrits sentences et modèles d’écriture.

Au pied de l’estrade, des bancs sont fixés transversalement aux pupitres, de tailles différentes, au milieu de la pièce. Les premières tables, non inclinées, comportent du sable sur lesquelles les petits enfants tracent des signes, les autres tables reçoivent des ardoises ; on trouve également, sur les dernières d’entre elles, des encriers de plomb et du papier, des baguettes pour indiquer les mots ou les lettres à lire.

À l’extrémité de chaque table sont fixés les « tableaux de dictées » ainsi que des signaux télégraphiques indiquant les moments de la leçon, tel par exemple « COR » pour « correction » ou « EX » pour « examen du travail ». Des modèles de table demi-circulaire ont été ensuite proposés afin de faciliter le travail des moniteurs.

D. Progresser en fonction de sa connaissance

La première école pilote d’enseignement mutuel, rue Saint-Jean-de-Beauvais à Paris en 1820, lithographie de Marlet.

A l’origine, le programme de l’école mutuelle est limité aux trois disciplines fondamentales : lecture, écriture, arithmétique, et à l’enseignement de la religion. S’y ajouteront rapidement, la géographie, la grammaire, la rédaction, le chant et le dessin. Les groupements d’élèves, souples, mobiles, différenciés, sont fonction de la nature des matières d’étude et des activités pratiquées dans la discipline.

Chaque matière enseignée dans les écoles mutuelles repose sur un programme précis et codifié. Ce programme est découpé en 8 degrés hiérarchisés, qui doivent être parcourus successivement. Chaque degré s’appelle « classe » et c’est ainsi que l’on parle de 8 classes d’écriture ou d’arithmétique. Ce terme de « classe » est totalement exclusif de la notion d’architecture ou de local. Il ne s’entend que par rapport aux acquisitions et aux connaissances, la 1ere classe étant celle des débutants et la 8e celle de l’achèvement du cursus scolaire. Les rythmes d’apprentissages et les acquisitions varient suivant les élèves et suivant la discipline.

Ainsi, au bout de six mois de présence, tel élève pourra se trouver en 4e classe de lecture, en 5e classe d’écriture et en deuxième classe d’arithmétique. Comme nous l’avons dit, l’affectation dans la classe se décide en fonction du niveau de connaissance et non pas en fonction de l’âge.

Mais cette première répartition s’assortit, au sein de chaque classe et dans chaque discipline, de la constitution de groupes restreints établis selon les activités qui doivent y être pratiquées. En arithmétique, par exemple, des travaux écrits se font sur l’ardoise. Ils ont lieu, assis, sur les bancs réservés à cet usage, avec 16 à 18 élèves au maximum par banc, selon les normes établies par Jomard.

Les exercices oraux, en lecture, en arithmétique ou en dessin linéaire, à l’aide d’un tableau noir, se font debout, par groupes de 9 au maximum, les élèves se tenant côte à côte et formant un demi-cercle. De là, d’ailleurs, l’appellation donnée à ce genre d’activité : « travail au cercle ».

Ainsi, dans une école mutuelle ayant 36 élèves en 3e classe d’arithmétique, le travail aux bancs se fera en deux groupes avec deux moniteurs et les exercices au tableau noir avec 4 groupes et 4 moniteurs. Les effectifs des classes pourront donc varier suivant les écoles et tout au cours de l’année, la seule limitation étant imposée par l’étendue du local.

D. Les outils

Le souci d’économie est l’une des caractéristiques fondamentales du nouvel enseignement. Le mobilier reste donc très sommaire.

  • Les bancs et pupitres sont faits de planches très ordinaires, fixées avec de gros clous. Les bancs n’ont pas de dossier : c’est un luxe superflu !
  • L’estrade est nettement surélevée : 0,65 m environ. On accède par plusieurs marches au bureau du maître. Celui-ci règne sur la collectivité enfantine autant par sa position matérielle que par son ascendant personnel.
  • La pendule est notée comme « indispensable », l’enseignement et les manœuvres étant strictement minutés.
  • Les demi-cercles, encore appelés cercles de lecture, donnent aux écoles mutuelles un aspect typique et original. Ce sont, généralement, des cintres de fer, demi-circulaires, qui peuvent se lever ou s’abaisser à volonté. Parfois, la matérialisation est simplement portée sur le plancher : rainures, gros clous ou bandes tracées en forme d’arc.
  • Les tableaux noirs ont été systématiquement utilisés pour le dessin linéaire et l’arithmétique. Ils mesurent 1 m de long sur 0,70 m de large et portent à leur partie supérieure un mètre mobile. On les place à l’intérieur de chaque demi-cercle.
  • Les télégraphes. Lorsque le travail a lieu aux tables, l’écriture par exemple, on se sert de signaux permettant la liaison et la communication entre le moniteur général et les moniteurs particuliers : ce sont les télégraphes. Une planchette, fixée à l’extrémité supérieure d’un bâton rond de 1,70 m de haut, est installée à la première table de chaque classe, grâce à deux trous percés en haut et en bas du pupitre. Sur l’une des faces est inscrit le numéro de la classe (de 1 à 8) ; sur l’autre, la mention EX (examen) remplacée vers 1830 par COR (correction). Ces télégraphes sont transportables. On les déplace en cas d’augmentation ou de diminution du nombre d’élèves. Le maître et le moniteur général ont ainsi la composition exacte de chaque classe et le nombre de tables occupées par chacune d’elles. Dès qu’un exercice est terminé, le moniteur de classe fait tourner le télégraphe et présente vers le bureau la face EX. Tous les moniteurs font de même. Le moniteur général donne l’ordre de procéder à l’inspection et de faire des corrections éventuelles. Celles-ci achevées, on présente de nouveau le numéro de la classe. Et les exercices reprennent. Près des télégraphes se trouvent aussi, à l’occasion, les porte-tableaux.
  • Les baguettes des moniteurs. Elles servent à indiquer sur les tables les lettres ou mots à lire, le détail des opérations à effectuer, les tracés à reproduire. Elles n’existent généralement dans les écoles rurales que grâce à la bonne volonté et à l’ingéniosité des moniteurs qui se les procurent dans les bois avoisinants.
  • Le sable (pour l’écriture) puis les ardoises sont constamment utilisés dans toutes les disciplines. C’est là une innovation essentielle du mode mutuel, les autres écoles n’en faisant pas usage.
  • Tableaux à la place de livres. La première raison est d’ordre pécuniaire, un seul tableau suffisant jusqu’à neuf élèves. Mais les motifs pédagogiques ne sont pas moindres. Le format permet une lecture aisée et un rangement facile. Le souci de présentation et de valorisation de certains caractères s’accompagne d’un souci de mise en page différent de ceux des manuels.
  • Les livres sont réservés à la huitième classe, de même que les plumes, l’encre et le papier.
  • Des registres, couramment en service, garantissent une saine gestion des établissements. L’un d’eux mérite une mention particulière : c’est « Le grand livre de l’école », avant tout un cahier- matricule. On y inscrit le nom, le prénom et l’âge de l’enfant, la profession et l’adresse des parents. Le maître y porte la date précise de l’entrée et de la sortie de chaque enfant, dans chaque classe, y compris pour les cours de musique et le dessin linéaire.

E. Le commandement

Pour conduire et faire évoluer correctement des dizaines ou centaines d’élèves et éviter toute perte de temps, les responsables de l’enseignement mutuel ont prévu des ordres précis, rapides, immédiatement compréhensibles :

  • La voix intervient peu. Les injonctions transmises de cette manière s’adressent généralement aux moniteurs, parfois à une classe tout spécialement.
  • La sonnette attire l’attention. Elle précède une information ou un mouvement à exécuter.
  • Le sifflet est à double usage. Il permet des interventions dans l’ordre général de l’école, « imposer le silence », par exemple, et il commande le début ou la fin de certains exercices au cours de la leçon, «faire dire par cœur, épeler, cesser la lecture ». Le maître est seul habilité à s’en servir.
  • Quant aux signaux manuels, ils ont été beaucoup utilisés. Destinés à évoquer l’acte ou le mouvement à accomplir, ils attirent le regard et doivent apporter le calme dans la collectivité.

Bellistes contre lancastériens

Alors que les deux écoles, celle de Bell et celle de Lancaster sont très proches l’une de l’autre, tant sur le plan des contenus d’enseignement que des méthodes et de l’organisation, elles s’opposeront violemment sur le rôle et la place de l’enseignement religieux. Toutes les autres divergences liées au programme sont affaires de goût, d’habitude ou de circonstances locales.

Comme le précisent Sylvian Tinembert et Edward Pahud dans Une innovation pédagogique, le cas de l’enseignement mutuel au XIXe siècle (Editions Livreo-Alphil, 2019), Lancaster, en tant qu’adepte du mouvement dissident quaker,

« reconnaît le christianisme mais professe que la croyance appartient à la sphère personnelle et que chacun est libre de ses convictions. Il prône également l’égalitarisme, la tolérance et défend l’idée que, dans le pays, il y a une telle variété de religions et de sectes qu’il est impossible d’enseigner toutes les doctrines. Par conséquent, il faut rester neutre, limiter cet enseignement à la lecture de la Bible, en évitant toute interprétation, et laisser l’instruction religieuse fondamentale aux diverses Églises en s’assurant que les élèves suivent les offices et les enseignements de la confession à laquelle ils appartiennent ».

N’empêche que Bellistes et Lancastériens vont s’écharper. Pour les Lancastériens, Bell n’a rien inventé et ne fait que décrire ce qu’il a vu en Inde. Pour les Bellistes, furieux que Lancaster trouve un répondant positif de la part de certains membres de la famille royale, il est dépeint comme le diable, un « ennemi » de la religion anglicane officielle, lui qui admet dans ses écoles des enfants de toutes les confessions !

9. Lorsque la méthode intéresse les Français

A Londres, l’association de Lancaster sera rejointe par de nombreuses personnalités de haut rang, aussi bien anglaises qu’étrangères. On y retrouve notamment le physicien genevois Marc Auguste Pictet de Rochemont (1752-1825), l’anatomiste et paléontologue français Georges Cuvier (1769-1832) et ses compatriotes, l’agronome Charles Philibert de Lasteyrie et le futur traducteur de Lancaster, l’archéologue Alexandre de Laborde (1773-1842).

Après la paix de 1814, de nombreux pays, notamment l’Angleterre, la Prusse, la France tout comme la Russie, rendus exsangues par les guerres napoléoniennes qui provoquèrent la perte de milliers de jeunes enseignants et cadres qualifiés sur les champs de bataille, font de l’éducation leur priorité notamment pour être à la hauteur de la révolution industrielle qui vient les bousculer.

A cela il faut ajouter que le nombre d’orphelins en Europe est devenu un problème majeur pour tous les États, d’autant plus que les coffres sont vides. Pour occuper les enfants de la rue, il faut des écoles, beaucoup d’écoles à construire avec très peu d’argent et beaucoup de professeurs… inexistants. Apprenant le succès retentissant de l’enseignement mutuel, plusieurs Français se rendent alors outre-Manche pour y découvrir la nouvelle méthode.

De Laborde en rapporte un « Plan d’éducation pour les enfants pauvres, d’après les deux méthodes (du docteur Bell et de M. Lancaster) », et Lasteyrie son « Nouveau système d’éducation pour les écoles primaires ». En 1815, le duc de la Rochefoucauld-Liancourt (1747-1827), publie son livre sur le « Système anglais d’instruction de Joseph Lancaster ».

Depuis 1802, il existait à Paris la « Société d’encouragement pour l’industrie nationale », dont le secrétaire général était le linguiste Joseph-Marie de Gérando (1772-1842) et dont Laborde était un des fondateurs. Sans surprise, Gérando avait été élevé par les Oratoriens et se destinait initialement à l’Église.

Le 1er mars 1815, Lasteyrie, Laborde et Gérando proposent à la Société d’encouragement la création d’une association qui aurait pour objet

« de rassembler et de répandre les lumières propres à procurer à la classe inférieure du peuple le genre d’éducation intellectuelle et morale le plus approprié à ses besoins ».

Gérando.

Dans son rapport présenté le 20 mars 1815 devant la Société d’encouragement, Gérando propose de solliciter le tout nouveau ministre de l’Intérieur Lazare Carnot (du 20 mars au 22 juin 1815) pour qu’il favorise « l’adoption des procédés propres à régénérer l’instruction primaire en France », c’est-à-dire le système d’enseignement mutuel.

L’intérêt politique et social ne sont pas seuls en jeu. L’économie française aussi doit tirer profit du développement de l’instruction. Qu’espérer, dit Carnot en 1815,

« si l’homme qui conduit la charrue est aussi stupide que les chevaux qui la tirent ? »

Gérando propose également la création d’une société dédiée spécifiquement à sa propagation en soulignant les avantages de la nouvelle approche : avantage économique d’abord, puisqu’il s’agit d’« employer les enfants eux-mêmes, les uns vis-à-vis des autres, comme auxiliaires de l’enseignement » et qu’un seul maître suffit pour 1000 élèves ; avantage éducatif ensuite, puisqu’il est possible « d’enseigner, en deux ans, tout ce que les enfants des conditions inférieures ont besoin de savoir et beaucoup plus qu’ils n’apprennent aujourd’hui par des procédés bien plus longs » ; avantage moral et social enfin, dans la mesure où les enfants « se pénètrent de bonne heure du sentiment du devoir, sentiment qui garantira un jour leur obéissance aux lois et leur respect pour l’ordre social ».

L’ingénieur-géographe et polytechnicien Edme-François Jomard (1777-1862), pour qui l’instruction du peuple est une obligation de la société vis-à-vis d’elle-même, ne disait rien d’autre: « Comment exiger d’infortunés, dénués de toutes lumières, qu’ils connaissent le pacte social et s’y soumettent ? ou comment pourrait-on, sans être insensé, compter sur leur invariable et aveugle soumission ? »

La Société d’encouragement valida alors les conclusions de son rapport en souscrivant pour une somme de 500 francs en faveur de l’association nouvelle et en décidant qu’elle mettrait à la disposition de celle-ci, outre son influence morale, les divers moyens d’exécution qui pouvaient lui appartenir.

10. Lazare Carnot à la manœuvre

Suite au Concordat entre Napoléon et le Vatican, l’Empereur, par son décret du 15 août 1808 sur l’éducation, décide que les écoles doivent désormais suivre les « principes de l’Église catholique ».

Les « Frères des écoles chrétiennes » (ou Lasalliens), partisans inconditionnels de « l’enseignement simultané », théorisé par leur fondateur Jean-Baptiste de La Salle, s’occuperont désormais de l’enseignement primaire et formeront les instituteurs.

Dispersés lors de la Révolution, ils reprennent leurs fonctions en 1810. Encouragés à se développer pour contrer l’influence des jésuites, autorisés en 1816 à revenir en France, ils se développent rapidement dans toute la France.

Mais la situation de l’éducation est pitoyable. C’est ce que constatent des hauts fonctionnaires français lorsqu’ils se rendent dans les territoires annexés par l’Empire, notamment l’Allemagne du Nord et la Hollande. La comparaison avec la France les fait rougir de honte.

« Nous aurions peine, écrit en 1810 le naturaliste Georges Cuvier dans son rapport, à rendre l’effet qu’a produit sur nous la première école primaire où nous sommes entrés en Hollande. »

Enfants, maîtres, local, méthodes, enseignement, tout est d’une tenue parfaite : « Plusieurs préfets ont assuré qu’on ne trouverait pas aujourd’hui dans leur département un seul jeune garçon qui ne sût lire et écrire. » Devant un tel contraste, qui ne tournait pas à l’avantage du conquérant, l’Université impériale, comme la Rome antique, se mit à l’école du pays conquis. Dans son décret du 15 novembre 1811 l’Empereur décide : « Le conseil de notre Université Impériale nous présentera un rapport sur la partie du système établi en Hollande pour l’instruction primaire qui serait applicable aux autres départements de notre Empire. »

L’Empereur abdique le 4 avril 1814 avant qu’une décision ait été prise pour régénérer les « petites écoles » françaises. Du moins l’Université Impériale avait-elle, par ses rapports, étalé au grand jour leur misère, attirant sur elles l’attention de l’opinion.

Nommé ministre de l’Intérieur, et donc en charge de l’Education lors des Cent-Jours, Lazare Carnot est persuadé du potentiel d’excellence de « l’enseignement mutuel ».

Il crée, le 10 avril 1815, un Conseil d’industrie et de bienfaisance, à la première séance duquel il donne lui-même communication du rapport de Gérando ;

Le 27 avril 1815, Lazare Carnot fait un rapport à l’Empereur où il dit :
« Il y a en France, 2 millions d’enfants qui réclament l’éducation primaire, et, sur ces 2 millions, les uns en reçoivent une très imparfaite, tandis que les autres en sont complètement privés. »

Il recommande alors l’enseignement mutuel :
« Elle a pour objet de donner à l’éducation primaire le plus grand degré de simplicité, de rapidité et d’économie, en lui donnant également le degré de perfectionnement convenable pour les classes inférieures de la société et aussi en y portant tout ce qui peut faire naître et entretenir dans le cœur des enfants le sentiment du devoir, de la justice, de l’honneur et le respect pour l’ordre établi ».

Il fait signer le même jour à l’empereur le décret suivant :
« Article 1er. – Notre ministre de l’Intérieur appellera près de lui les personnes qui méritent d’être consultées sur les meilleures méthodes d’éducation primaire. Il examinera ces méthodes, décidera et dirigera l’essai de celles qu’il jugera devoir être préférées.
« Art. 2. – Il sera ouvert, à Paris, une École d’essai d’éducation primaire, organisée de manière à pouvoir servir de modèle et à devenir école normale, pour former des instituteurs primaires.
« Art. 3. – Après qu’il aura été obtenu des résultats satisfaisants de l’École d’essai, notre ministre de l’Intérieur nous proposera les mesures propres à faire promptement jouir tous les départements des nouvelles méthodes qui auront été adoptées ».

Pour Carnot, en rupture avec ceux qui ne pensaient qu’en termes de philanthropie, il n’y avait plus d’enfants riches ou pauvres. En tant que citoyens, tous devraient désormais pouvoir disposer de la meilleure éducation possible.

Le conseil consultatif constitué par Carnot comprend ses amis Laborde, Jomard, l’abbé Gaultier, puis Lasteyrie et Gérando, c’est-à-dire les promoteurs mêmes ou les premiers fondateurs de la Société en formation.

Ainsi naîtra, le 17 juin 1815 (c’est-à-dire la veille de la défaite de Waterloo) la Société pour l’instruction élémentaire (SIE), toujours sous l’impulsion de Carnot bien décidé à gagner la guerre pour l’instruction. La première assemblée générale de la SIE se tient dans les locaux de la Société d’encouragement. À sa tête, on retrouve plusieurs protagonistes de la commission ministérielle : Jomard devient l’un des secrétaires de la nouvelle société, aux côtés de Gérando (président), Lasteyrie (vice-président) et Laborde (secrétaire général).

Avant l’ordonnance de 1816, le nombre d’enfants qui suivaient les petites écoles était de 165 000 dans toute la France, et il se trouve porté à 1 123 000 à la fin de 1820.

Lazare Carnot a clairement voulu pérenniser son offensive lancée durant les Cent-Jours en faveur de la propagation de l’enseignement mutuel à travers le pays et, ce faisant, en participant au développement rapide de l’instruction de tous les enfants de la Patrie.

Après sa création, les souscriptions pour la SIE affluent, et en peu de temps 150 noms s’ajoutent à ceux des fondateurs pour promouvoir et organiser l’enseignement mutuel en France. L’un de ces souscripteurs est forcément Lazare Carnot.

Au cours de sa première année d’existence, la SIE recueille l’adhésion de près de 700 membres, dans un premier temps des enseignants de l’École polytechnique (Ampère, Berthollet, Chaptal, Guyton de Morveau, Hachette, Mérimée, Thénard), et ensuite une trentaine d’anciens élèves, dont environ la moitié est issue de la première promotion (1794) de l’École polytechnique. Parmi ces derniers, un camarade de Jomard à l’Ecole des géographes, Louis-Benjamin Francœur, professeur d’algèbre supérieure à la Faculté des sciences de Paris, des camarades de la campagne d’Egypte ou encore Chabrol de Volvic, préfet de la Seine depuis 1812.

Tous n’ont qu’un seul espoir : que les méthodes géniales de Monge, brigades et enseignement mutuel, diminuées et interdites depuis que Napoléon a transformé Polytechnique en une simple école militaire sous la direction du mathématicien Pierre-Simon Laplace (1749-1827), puissent profiter au plus grand nombre et organiser un redressement national.

De Paris, la sollicitude de la SIE s’étend à la province ; elle y encourage la fondation de sociétés filiales, à qui elle offre « de leur envoyer des maîtres, de leur communiquer les renseignements dont elles pourraient avoir besoin, de leur donner au prix coûtant les tableaux et les livres… ».

La SIE se mobilise également pour l’éducation publique des filles (art. 10). Elle met sur pied, pour s’occuper d’elles, un comité de dames : présidente, la baronne de Gérando ; vice-présidente, la comtesse de Laborde. Des filles, le mouvement gagne les adultes sans instruction, si nombreux alors.

Le 1er mai 1816 la Société créait une commission pour l’établissement d’écoles d’adultes. Elle s’occupe aussi des casernes, dont on veut faire des écoles pour militaires ; des prisons, prisons d’enfants surtout; des habitants des colonies, que l’on pense élever par le développement de l’instruction.

Enfin les membres de la Société, attribuant une valeur humaine et générale à leur mission, rêvent de fonder des filiales à l’étranger. En novembre 1818, Laborde demande la création d’un comité spécial pour les écoles étrangères.

La Société enfin, ne bornant pas son activité à la simple création d’écoles, organisait des inspections, des examens. Elle assurait la publication d’ouvrages (ouvrages relatifs à la méthode mutuelle, livres élémentaires de lecture, de grammaire et d’arithmétique). Elle distribuait des récompenses aux meilleurs maîtres et moniteurs. Elle demandait aux maîtres, après promulgation de l’ordonnance du 29 juillet 1818 autorisant les sociétés de Caisse d’Epargne, de confier à ces Caisses une partie de leurs gages pour assurer leurs vieux jours. Donnant l’exemple, elle déposait à la Caisse des fonds pour les maîtres des écoles créées par elle.

La SIE, dont le siège est un local spécialement construit pour elle, situé au 6, rue du Fouarre à Paris 5e, reste aujourd’hui la plus ancienne et la plus grande association laïque d’enseignement primaire que nous possédons en France.

Façade de la Société pour l’Instruction Elémentaire, 6, rue du Fouarre, Paris. Dans les médaillons, de gauche à droite, entourant les  » Arts « , la  » Morale  » et les  » Sciences « , les portraits de quelques-uns de ses principaux fondateurs et dirigeants : Larochefoucauld-Liancourt, Francoeur, Jomard et Leroy.

11. Le projet pilote de la rue Saint-Jean-de-Beauvais

Après son voyage en Angleterre, Jomard, dont le portrait figure en médaillon sur la façade de la SIE est lui aussi acquis au nouveau système. Faisant part de ses « réflexions sur l’état de l’industrie anglaise », il écrit, après s’être enthousiasmé pour diverses inventions observées outre-Manche :

« Il y a cependant quelque chose de plus extraordinaire encore : ce sont des écoles sans maîtres : rien, pourtant, n’est plus réel. On sait à présent qu’il existe des milliers d’enfants enseignés sans maître proprement dit, et sans qu’il n’en coûte rien à leur famille, ni à l’État : admirable méthode qui ne peut tarder à se propager en France. »

Jomard.

Polytechnicien, Jomard est l’homme idéal pour piloter l’organisation matérielle de l’école d’essai, s’attachant notamment à faire réaliser le mobilier et imprimer les supports pédagogiques conformément aux principes anglais. Il supervise également la formation au rôle de « moniteur » d’un petit noyau d’élèves – ils sont une vingtaine – avant l’ouverture en septembre 1815 de l’école proprement dite, prévue pour 350 élèves : une modalité qui n’est pas sans rappeler les « chefs de brigade » de la première promotion de l’École polytechnique.

Cependant, très rapidement, les membres de la SIE se rendent à l’évidence qu’il faut former des formateurs. Les Anglais accueillent alors plusieurs Français pour les former à l’enseignement mutuel. Un pasteur cévenol, François Martin (1793-1837), après sa formation comme « moniteur » en Angleterre, est appelé par Lasteyrie pour diriger la première école mutuelle, qui ouvre ses portes le 13 juin 1815, rue Saint-Jean-de-Beauvais à Paris. Il s’agit de l’école modèle qui doit permettre l’ouverture d’autres écoles mutuelles grâce à la formation de « moniteurs » compétents. Rapidement, elle ne peut plus faire face à la demande de centaines de communes qui envisagent d’y envoyer l’un des leurs pour se former à la nouvelle méthode.

Le pasteur Paul-Emile Frossard, lui aussi formé par les Anglais, prend la tête d’une école parisienne rue Popincourt, Bellot en dirige une autre. En juillet, Martin rend son rapport. La classe modèle accueille une quinzaine d’élèves destinés à devenir moniteurs et directeurs d’écoles élémentaires qui comptent jusqu’à 350 enfants. Martin rapporte qu’en six semaines, ils lisent, écrivent, calculent et « savent exécuter les mouvements qui forment la partie gymnastique du nouveau système d’éducation ».

12. Enseignement mutuel et chant choral

Or, comme le documente amplement Christine Bierre dans son article « La musique et formation du citoyen à l’ère de la Révolution française » (1990),

Alexandre Choron.

« C’est à cette école de la rue Saint-Jean-de-Beauvais, sous la direction d’une Commission comprenant Gérando, Jomard, Lasteyrie, Laborde et l’abbé Gaultier, que fut testée pour la première fois, l’application de l’enseignement mutuel à l’apprentissage du solfège et du chant.

Alexandre Choron, qui depuis 1814 avait ouvert deux écoles de musique de garçons et de filles, faisait également partie de la Commission.

Il n’est donc pas étonnant de découvrir que ce fut à l’initiative du baron de Gérando, que l’idée d’introduire le chant dans l’instruction primaire a été adoptée. ‘Quant Monsieur le baron de Gérando vous a fait la proposition d’introduire le chant élémentaire dans les écoles de premier degré’, dit Jomard dans un rapport présenté au Conseil d’administration de la Société pour l’Enseignement mutuel, ‘vous avez tous été frappés de la justesse des vues développées par notre collègue (…) Il a fait voir l’influence heureuse que pourrait avoir une pareille pratique, et la connexion réelle qui existe entre un bon emploi du chant et le perfectionnement de la morale, but final de l’instruction et de tous nos efforts. Non seulement, l’application de l’enseignement mutuel à la musique était révolutionnaire en elle-même, mais ce qui l’était tout autant, c’est le fait que les enfants apprenaient à lire et à écrire, de façon presque aussi intensive. Les enfants étudiaient le chant, à raison de quatre à cinq heures par semaine ! »

En réalité, c’est Lazare Carnot lui-même qui a voulu introduire la musique dans les écoles d’enseignement mutuel. Dans cette intention, il rencontre plusieurs fois Alexandre Choron, qui réunit un certain nombre d’enfants et leur fait exécuter en sa présence plusieurs morceaux appris en fort peu de leçons. Carnot connaît Wilhem depuis dix ans. Il entrevoit donc la possibilité d’introduire, par lui, le chant dans les écoles, et tous deux visitent ensemble celle de la rue Saint-Jean-de-Beauvais, école pilote gratuite d’enseignement mutuel ouverte à Paris à trois cents enfants.

L’article récent de Michael Werner, « Musique et pacification sociale, missions fondatrices de l’éducation musicale (1795-1860) » dans la revue Gradhiva (N° 31/2020), vient en écho confirmer les recherches initiées par Christine Bierre en 1990.

Wilhem.

Extrait :
« L’un des domaines où les résultats de la pédagogie mutualiste sont bien visibles est précisément l’éducation musicale. Plusieurs acteurs y ont joué un rôle décisif et méritent qu’on s’y attarde un moment. Le premier est Guillaume-Louis Bocquillon, dit Wilhem. Fils d’officier et lui-même issu d’une formation militaire, il s’est ensuite consacré à la composition et à l’enseignement musicaux, en particulier au lycée Napoléon (ultérieurement collège Henri-IV). Son ami Pierre Jean de Béranger le met en contact avec Joseph-Marie de Gérando et François Jomard, grands animateurs de la SIE. Par leur intermédiaire, il prend connaissance de l’enseignement mutuel et comprend immédiatement les apports de cette méthode à l’éducation musicale. En 1818, la municipalité de Paris lui permet de monter une première expérience à l’école élémentaire de la rue Saint-Jean-de-Beauvais.

Wilhem élabore une méthode, le matériel pédagogique nécessaire (sous forme de tableaux) et instruit les élèves moniteurs choisis. Les résultats sont, aux dires de Jomard, spectaculaires. Au terme d’un enseignement de quelques mois, les élèves ont non seulement acquis les notions de base du solfège et de la notation musicale, les gammes chromatiques, les intervalles et mesures, mais exécutent aussi des chants collectifs à plusieurs voix (Jomard 1842 : 228 sq.).

La réussite conduit la SIE à proposer au préfet et au ministre de l’Intérieur d’introduire la musique dans l’enseignement des écoles élémentaires de la ville de Paris, ce qui sera officiellement entériné en 1820. Wilhem lui-même est nommé professeur titulaire d’enseignement musical à Paris et les cours de musique se généralisent dans un grand nombre d’écoles de la ville avant de se répandre dans les départements et en région. En même temps, la municipalité ouvre deux écoles normales chargées de former les futurs professeurs de chant.

Le deuxième acteur à intervenir très tôt dans le débat est le compositeur Alexandre Choron. Membre, comme Jomard et Francœur, de la première promotion de l’École polytechnique (1795), compositeur et ami d’André Grétry, il s’est dès 1805 préoccupé du dépérissement du chant choral consécutif à la suppression des maîtrises. Adversaire du Conservatoire dont il critique l’académisme et le désintérêt pour l’enseignement du chant choral, il est chargé par le ministère en 1812 d’une mission de « réorganisation du chœur et des maîtrises de musiques des églises de France ». Il élabore une méthode d’enseignement appelée « méthode concertante », mais reste également attaché à la vocation sociale de la musique chorale. Choron fait par ailleurs partie des membres fondateurs de la SIE en 1815, signe de son engagement dans les questions éducatives. Pendant la Restauration, il se tourne davantage vers les chants religieux qu’il considère comme le cœur historique de la pratique de la chorale.

(…) Enfin, il fonde, avec l’appui du roi l’Institution royale de musique classique et religieuse, concurrençant avec succès le Conservatoire dans l’enseignement de l’art vocal. Pour le grand public, il fait exécuter, à grand renfort de chanteurs issus de son école, des oratorios, requiem et cantates dans quelques églises spacieuses, assurant ainsi à la musique sacrée une nouvelle présence sur la scène parisienne. Pour certains de ces concerts, il lui arrive de mobiliser des élèves chanteurs des écoles élémentaires et des écoles des pauvres qu’il n’a jamais cessé de suivre tout au long de sa carrière. 

« (…) Ce qui a favorisé cette expansion de l’enseignement de la musique à destination des jeunes et des couches populaires à partir de 1820 était bien une volonté politique partagée par un large spectre de responsables et d’intervenants. Du côté des libéraux qui constituaient le noyau de la SIE, on continuait de s’inscrire dans la mission émancipatrice de l’éducation, fixée par la Convention. En pointant à la fois la formation intérieure de l’âme et l’épanouissement d’une conscience collective, la musique, et en particulier le chant, devient un terrain de choix pour l’éducation populaire. Les libéraux insistent donc sur les bienfaits moraux de la musique. Ainsi, dans sa proposition d’introduire le chant dans les écoles primaires, Gérando remarque-t-il : ‘Ceux d’entre nous qui ont visité l’Allemagne ont été surpris de voir toute la part qu’a une musique simple aux divertissements populaires et aux plaisirs de famille, dans les conditions les plus pauvres, et ont observé combien son influence est salutaire sur les mœurs.’

« Et Joseph d’Ortigue constate de façon lapidaire : ‘Un peuple qui chante est un peuple content, et par conséquent un peuple moral.’ Cette mise en avant des bienfaits sociaux de l’activité musicale correspond bien à l’idée d’une ‘éducation universelle’, héritée des Lumières et au fondement des pédagogies de Lancaster en Angleterre ou de Johann Heinrich Pestalozzi en Suisse. 

« Le chant, après l’essai fait à l’école St-Jean-de-Beauvais en 1819, pénètre très rapidement dans toutes les écoles mutuelles. Wilhem est à la fois le créateur et l’artisan du développement de cet enseignement qui gagne bientôt les cours d’adultes et d’apprentis. Des réunions périodiques d’enfants initiés à la musique vocale furent organisées. Ainsi naquit la première œuvre post-scolaire française : l‘Orphéon qui, après Wilhem, compte parmi ses directeurs Charles Gounod et Jules Pasdeloup. »

Dans un discours de 1842 devant la SIE, Hippolyte Carnot (fils de Lazare Carnot) affirme que Wilhem « a élevé la musique au rang d’une institution civique » et que « l’ennoblissement » de l’âme individuelle doit s’accomplir dans le nouvel ordre collectif de la nation réunie.

13. Jomard, Choron, Francoeur et savoirs « élémentaires »

Volvic.

L’article très complet de Renaud d’Enfert, publié sur le site de la Société de la bibliothèque et de l’histoire de l’Ecole polytechnique (SABIX), permet de compléter le tableau en faisant un gros plan sur l’action de Jomard et Francoeur dont les portraits figurent d’ailleurs en médaillon sur la façade du siège de la SIE rue du Fouarre à Paris.

Dès le début de la Seconde Restauration, la SIE reçut l’adhésion et l’appui du préfet de la Seine, Gaspard Chabrol de Volvic (1773-1843). Ce dernier va nommer dès l’été 1815 Jomard, le linguiste en contact avec les frères Humboldt qui a fait partie de l’éphémère commission sous Carnot et qui l’a protégé pendant les Cent-Jours, « chef de bureau d’instruction publique et arts », poste qu’il occupe jusqu’en 1823.

Par un arrêté du 3 novembre 1815, Volvic, afin d’arrêter « les mesures nécessaires pour étendre le bienfait de l’instruction à toutes les familles pauvres domiciliées dans l’étendue de la préfecture » et de développer « le nouveau système d’instruction élémentaire » dans l’ensemble du département de la Seine, crée, « pour étendre les bienfaits de l’instruction gratuite au département de la Seine » un comité de onze personnes, et y fait entrer tous les membres influents de la SIE (Jomard, Gérando, Laborde, Doudeauville, Lasteyrie, Gaultier, etc.).

Dans ces fonctions, Jomard est chargé de trouver des sites pour établir de nouvelles écoles. Celles-ci se multiplient rapidement dans la capitale et ses environs : en 1818, il comptabilise 18 écoles mutuelles gratuites et 32 payantes couvrant l’ensemble des arrondissements de la capitale, ainsi que 13 écoles dans les arrondissements de Sceaux et de Saint-Denis. De ce travail, il tire son « Abrégé des écoles élémentaires » (1816), sorte de guide pratique dans lequel il réunit tout ce que doit savoir, du point de vue de l’organisation matérielle, tout citoyen décidé à fonder une école mutuelle.

Sur le plan pédagogique, Jomard est l’auteur, en 1816, d’une méthode de lecture réalisée en collaboration avec le compositeur et musicien Alexandre Choron qui avait publié dès 1802 une méthode pour apprendre à lire et à écrire, et l’abbé Gaultier, un pédagogue qui avait développé une méthode d’enseignement sous le nom de « jeux instructifs » et s’était rendu à Londres pour étudier les méthodes anglaises.

Conçue pour la nouvelle école normale élémentaire de la rue Saint-Jean-de-Beauvais, où Choron a été nommé comme enseignant de musique, elle rompt avec la méthode traditionnelle d’épellation. Au lieu de dire « b-o-n = bon », elle part des sonorités musicales de la langue pour dire « b-on = bon ».

Jomard fait également paraître, en 1821-1822, une « Arithmétique élémentaire », destinée à pallier les faiblesses constatées de la méthode d’arithmétique de Lancaster : celle-ci est en effet accusée de « faire contracter aux enfants une simple habitude routinière et mécanique » au lieu de servir « à fortifier leur attention et à les former au raisonnement ». Dans l’intervalle, il a mis au point avec Francœur et Lasteyrie, au sein d’une « Commission de calligraphie » de la SIE, les principes qui doivent guider l’apprentissage de l’écriture dans les écoles mutuelles, une écriture voulue « nationale », afin de remplacer les modèles anglais.

Francoeur.

Pour sa part, Louis-Benjamin Francoeur (1773-1849) fournit, selon Jomard, « une longue suite de rapports lumineux sur les traités d’arithmétique, de poids et mesures, de chant et d’art musical, de dessin et de géométrie, qu’il serait bien trop long de rapporter ou de citer ».

Comblant un manque, Francœur publie en 1819 « Le dessin linéaire », une méthode de dessin basée sur le dessin à main levée des figures géométriques qui rompt avec les modalités traditionnelles d’enseignement et d’apprentissage du dessin, inspirées de pratiques académiques.

Pour Jomard et Francoeur, il s’agit, avec l’enseignement mutuel, d’élargir le nombre des matières de l’instruction primaire au-delà du traditionnel « lire, écrire, compter » : outre le dessin, des matières comme le chant, la gymnastique, la géographie ou la grammaire font ainsi leur apparition dans les écoles primaires via l’enseignement mutuel. Le dessin linéaire n’en apparaît pas moins comme un savoir élémentaire à part entière, au même titre que la lecture, l’écriture et l’arithmétique.

Présentant la méthode de Francœur à la Société d’encouragement, Jomard déclare ainsi :

« L’utilité que l’industrie en peut retirer un jour est si grande et si visible, qu’il serait superflu d’y insister. Ce n’est pas sans raison qu’on a regardé ce résultat comme aussi précieux pour le peuple, que la connaissance de la lecture et de l’écriture. »

Modèle tiré du manuel de dessin linéaire de Francoeur.

Enfin, pour Jomard, l’apprentissage généralisé de la lecture, de l’écriture, du calcul, du dessin linéaire et du chant, est le préalable obligé à l’éducation scientifique du peuple :

« On a dans ces derniers temps, avec grande raison, insisté sur l’utilité de l’enseignement des éléments des sciences physiques et mathématiques à la classe ouvrière. C’est de là que dépend l’avancement de l’industrie et de l’agriculture, qui, malgré tous leurs progrès, sont encore arriérées chez nous sous plusieurs rapports. Ce n’est que par la possession de ces notions élémentaires que les ouvriers perfectionneront leurs procédés, leurs moyens, leurs instruments, leurs produits, et pourront devenir d’habiles contremaîtres et de bons chefs d’ateliers. Mais comment arriver à ce résultat, quand la masse de la population est encore si ignorante.

« Comment, sans l’art de lire et d’écrire, pourrait-elle, non pas comprendre un seul mot des arts chimiques et mécaniques, mais seulement en sentir l’avantage et consentir à se livrer à des études pénibles ? Quoi ! 15 millions de Français et plus peut-être, ne savent pas faire les deux premières règles de l’arithmétique, et l’on se flatterait de propager parmi eux les premiers principes de la mécanique et de la géométrie ! La base de cette amélioration est évidemment l’instruction primaire rendue plus générale ou même universelle. »

14. Rayonnement au niveau national

Les résultats de l’enseignement mutuel sont spectaculaires et rapides, qu’il s’agisse de la durée des apprentissages ou de la qualité des acquis. Alors que dans les écoles des Frères il fallait 4 années pour apprendre à lire, ce temps est réduit à une année et demie dans les établissements mutuels !

Les Français de 1815, à l’enthousiasme si prompt, et à l’imagination si vive, virent dans ce système d’enseignement, une véritable panacée. Il présentait certes d’incontestables avantages. D’abord il est économique puisqu’il exige peu de maîtres, et permet d’instruire à peu de frais un nombre considérable d’enfants. On estime qu’il suffisait de 4000 à 5000 fr. par an pour entretenir une école de 1000 enfants : 4 francs par élève ! Jamais l’instruction n’aura été donnée à si bas prix. Il permettait aussi d’assurer un développement rapide de l’enseignement primaire puisque l’on n’était plus arrêté désormais par la pénurie de maîtres. Chiffres à l’appui, on calculait qu’il suffirait d’une douzaine d’années pour étendre à la France entière les bienfaits de l’instruction primaire !

A ces avantages indiscutables, ceux qui avaient visité l’Angleterre en 1815 ajoutaient des arguments qualitatifs. Ils estimaient l’enseignement des instructeurs supérieur à celui des maîtres :

« Il ne sait pas sa leçon mieux que le maître, écrivait Laborde, mais il la sait autrement ».

L’enfant instructeur (moniteur) a plaisir à communiquer à ses camarades ses connaissances nouvellement acquises, il fait son travail

« avec autant de charme qu’un précepteur y trouve de dégoût » (Laborde).

D’autre part, étant enfant lui-même, il connaît mieux que le maître les difficultés de la tâche, les embûches de la leçon, sur lesquelles il vient juste de trébucher. Il conduira donc ses camarades plus lentement, plus sûrement, sera pour eux un meilleur guide.

Mais l’enseignement ne sera pas seul à profiter du système mutuel ; la discipline de l’école et la morale y trouveront aussi leur compte. L’enfant, soumis à son camarade, lui obéira plus volontiers qu’au maître, puisque le jeune instructeur ne doit sa supériorité qu’à son mérite. Enfin l’enfant, avec son camarade qui le connaît bien puisqu’il vit avec lui, n’aura pas, comme avec le maître, la ressource de mentir pour cacher ses pensées intimes ou ses fautes ; et la dissimulation, fléau social que l’on apprenait dès les bancs de l’école, disparaîtra ainsi des établissements mutuels. Et Laborde concluait son apologie de la méthode par ce chant de triomphe : dans les nouvelles écoles,

« le travail est pour eux un jeu, la science une lutte, l’autorité une récompense ».

Les bienfaits de cet enseignement ne devaient d’ailleurs pas se limiter au cadre de l’école : les enfants rentrés chez eux exerçaient à leur tour sur leurs parents une heureuse influence ; ils devenaient des « missionnaires », à la fois de la morale et de la vérité dans leur famille.

« Et que de mauvais esprits n’aillent pas dire qu’il s’agit là de rêveries et d’utopies d’idéalistes ! » écrit Gontard en 1956. Des preuves existent, et irréfutables, de la valeur de la méthode. Regardez l’Ecosse. C’était à la fin du XVIIe siècle une terre de mendicité et de misère, vivant sans loi, sans religion, sans morale, les hommes buvant, les femmes blasphémant, tous se battant. En 1815, grâce à la baguette magique de l’école mutuelle, l’Ecosse est devenue un paradis.

«Il n’est pas rare de trouver en Ecosse un berger lisant Virgile… mais il est presque inconnu d’y rencontrer un malfaiteur », renchérit Laborde. Que l’on développe la méthode en France et celle-ci, en 1850, sera une terre de prospérité et de bonheur, d’où seront bannis l’immoralité, le fanatisme, les révolutions, les troubles sociaux, tous fils et filles de l’ignorance.

En 1818 Joseph Hamel, dans son rapport à l’Empereur de Russie, constate que

« la méthode d’enseignement mutuel s’est introduite dans toute la France avec une rapidité et un succès fort supérieur à ce qu’on pouvait raisonnablement en attendre, et, en moins de trois années, on a déjà fondé plus de 400 écoles. Tout porte donc à espérer que, dans un temps peu éloigné, plus de 2 millions d’enfants qui restaient dans l’ignorance la plus complète, pourront recevoir chaque année les bienfaits d’un enseignement gratuit, suffisant pour leur vocation ultérieure ».

D’emblée, toute la France s’y met ! A titre d’exemple, le récit de l’arrivée à Amiens et dans le département de la Somme.

Elèves de Polytechnique, fronton du Panthéon, David d’Angers.

A Amiens et dans la Somme

Après beaucoup de méfiance et bien des hésitations, la mairie d’Amiens fonde, le 15 mai 1817, une société d’encouragement de l’instruction élémentaire dans le département. Plus que l’ennoblissement de l’âme des élèves, pour le recteur, il s’agit,

« en donnant aux enfants de ces ouvriers l’instruction élémentaire, [de les préparer] non seulement à l’habitude de l’ordre et de la subordination que l’on puise dans les écoles d’enseignement mutuel et qu’ils reportent dans les ateliers, mais encore que cela les mette en état de servir plus utilement dans l’intérieur des fabriques comment pouvoir étudier les procédés industriels dont la conservation et le perfectionnement sont si essentiels à la prospérité nationale ».

Pour le recteur, la rapidité d’acquisition est un gage de succès de la nouvelle méthode par rapport à la « méthode simultanée » :

« Qu’une instruction primaire qui enlève pendant des années entières les enfants à un travail nécessaire à la subsistance de la famille devienne pour les pauvres une charge très onéreuse ; mais que l’expérience apprenne au père de famille que quelques mois suffiront pour procurer à ses enfants un avantage dont il a regretté tant de fois dans le cours de la vie de n’avoir pas pu jouir lui-même, on doit espérer qu’il ne balancera pas pour faire un léger sacrifice pour obtenir un résultat important ».

Ce sont principalement des écoles de garçons. Il existe quelques écoles de filles et des cours du soir pour adultes. Elles accueillent surtout des enfants de petits artisans : teinturier, employé d’octroi, cabaretier, contremaître, tailleur, garçon meunier, apprêteur, tonnelier, couturier, serrurier, boucher, fileur, repasseur, ouvrier, chargeur de voiture, menuisier, bouquiniste, allumeur de réverbère, coutelier, relieur, etc.

La classe manuelle, tableau de 1891. École de filles (Finistère).

À son apogée, en 1821, l’enseignement mutuel comporte dans le département de la Somme non pas une école mais 25 dont 4 (payantes) pour des filles : près de la moitié sont situées en ville. Il en comportera encore 16 en 1833. Le réseau se réduira considérablement ensuite, toutefois, il ne disparaîtra pas complètement. Les deux dernières écoles d’Amiens fermeront involontairement leurs portes en 1879 et celle d’Abbeville en 1880 : jusqu’à cette date, elle jouera un rôle important dans la préparation des candidats aux examens.

L’école modèle d’Amiens – la première école modèle d’enseignement mutuel de province – prépare les futurs instituteurs à la pratique de l’enseignement mutuel. Elle est fondée le 26 mai 1817. Elle accueille plus de 200 élèves. Dès 1818, 6 instituteurs de la Somme en sortaient. La plupart des maîtres de l’Aisne, de l’Oise et du Pas-de-Calais y font un séjour avant de prendre leur fonction. C’est dire son importance, au point d’ailleurs que lorsque le préfet a créé l’école normale de garçons en 1831, elle s’appelle « école normale primaire d’enseignement mutuel ». Elle servit d’abord d’école d’application : les élèves maîtres devaient se rendre une fois par semaine dans ses locaux afin d’observer et de pratiquer, en s’exerçant, la méthode mutuelle.

Après les remaniements de 1817-1818, plusieurs membres de la SIE accèdent à des ministères importants : Mathieu Molé (1778-1838) à la Marine, Laurent Gouvion-Saint-Cyr (1764-1830) à la Guerre, Elie Decazes (1780-1860) surtout, à l’Intérieur, ministère dont dépend l’enseignement primaire. Le soutien gouvernemental devient alors systématique.

Le ministre de l’Intérieur soutient la SIE de Paris et ses filiales par des subventions pour fondation ou entretien d’écoles. Il invite les préfets à concourir par tous moyens au développement de la méthode. Les préfets prennent l’initiative de constituer des sociétés locales, ils interviennent auprès des assemblées pour solliciter des subventions.

Des conseils généraux et municipaux, en nombre croissant, votent des crédits pour l’établissement d’écoles mutuelles. L’école fondée, les autorités locales, préfet, maire, la visitent, et président sa distribution des prix. De son côté, la commission d’instruction publique, qui depuis 1815 remplace le Grand Maître de l’Université, décide le 22 juillet 1817 d’établir dans les chefs-lieux des douze Académies de France une école modèle pour l’enseignement mutuel, pépinière des futurs maîtres. Les autres ministres, chacun dans leur sphère, soutiennent la méthode.

Mathieu Molé, chargé de colonies, fonde des écoles d’enseignement mutuel au Sénégal.

En 1818, Laurent Gouvion-Saint-Cyr établit à Paris, dans la caserne Babylone, une véritable école normale militaire d’enseignement mutuel. Chaque régiment de Paris et de province doit y envoyer un officier et un sous-officier qui, de retour après quelques mois de stage, dispenseront à la troupe les bienfaits de l’instruction primaire.

En 1817-1818, l’enseignement mutuel triomphe. Un enthousiasme irrésistible porte la France vers lui. Le réseau des écoles ne cesse de s’étendre. De trimestre en trimestre, toujours plus nombreux, arrivent à Paris les comptes-rendus de la province, dénombrant les écoles et leurs élèves.

C’est un chant de victoire que peut entonner Jomard à la séance de la SIE de janvier 1819. Sur les 81 départements que compte la France, 5 seulement sont dépourvus d’école mutuelle ; les 76 autres groupent 687 écoles, fréquentées par plus de 40 000 élèves. On compte en outre 105 écoles régimentaires, 5 écoles d’adultes, 4 écoles de prisons, 2 ou 3 écoles au Sénégal.

Exemplaire de ce qui devient alors un nouveau paradigme prométhéen d’optimisme scientifique, le 15 décembre 1821, lors d’une réunion à l’hôtel de ville de Paris, est fondée la Société de géographie par 217 personnalités dont les plus grands savants de l’époque, notamment Jomard, Champollion, Cuvier, Chaptal, Denon, Fourier, Gay Lussac, Berthollet, von Humboldt, Chateaubriand. Parmi ses membres illustres, on peut citer également Jean-Baptiste Charcot, Dumont d’Urville, Élisée Reclus et Jules Verne.

La collecte et l’étude des données géographiques de nombreux continents vont permettre à certains membres, comme Gustave Eiffel et Ferdinand de Lesseps, de proposer de grands projets d’infrastructure, notamment le canal de Suez et le canal de Panama.

15. Critiques

Les premières critiques contre l’éducation mutuelle ne proviennent pas de son échec mais de son succès. Le premier « risque » venait du fait que les enfants, ayant appris trop efficacement et trop vite (de 2 à 3 fois plus rapidement), allaient retourner dans la rue trop tôt, n’ayant pas encore l’âge d’aller travailler !

Les enfants n’étaient pas « enfermés » à l’école assez longtemps, et donc l’enseignement mutuel troublait l’ordre social existant. Ainsi entendit-on au sein du Conseil général du Calvados en 1818 :

« Le plus grand service à rendre à la société serait peut-être d’imaginer une méthode qui rendît l’instruction destinée à la classe inférieure et indigente de la société plus difficile et plus longue »…

Le deuxième « risque » était qu’en continuant à utiliser l’enseignement mutuel, ces nouvelles personnes instruites, pour la plupart issues des classes les plus pauvres, deviennent trop intelligentes, trop « éveillées », et commencent à exprimer des revendications politiques ou sociales, et notamment que chacun ait les mêmes droits que les classes sociales les plus aisées.

Imaginez le chaos si l’ordre social est remis en question ! L’urbaniste et sociologue Anne Querrien remarque qu’en effet, une majorité des organisateurs du mouvement ouvrier à l’époque sont issus de l’école mutuelle au sein de laquelle ils avaient bien sûr appris à lire, à écrire, à compter, mais aussi à se faire confiance et à faire confiance à leurs camarades. L’école mutuelle pousse ses élèves à réfléchir, et notamment à réfléchir à l’organisation de la société, société qui leur assignait alors un destin de soumission et d’obéissance.

Pour l’influent théologien et homme politique breton, Félicité Robert de Lamennais (1782-1854),

« Les écoles à la Lancaster sont la folie du jour. Toutes les autorités de ce pays, et surtout le Préfet, en sont engouées au-delà de toute expression. La haine pour les prêtres entre pour beaucoup dans cette manie. Le fait est que tout ce qu’il y a de bon dans cette méthode, était pratiqué depuis plus d’un siècle par les Frères des Écoles chrétiennes ; le reste est pur charlatanisme. On parle d’apprendre à lire et à écrire en quatre mois aux enfants : d’abord ce serait un grand malheur, car que faire de ces enfants si bien instruits, et à qui leur âge ne permettrait pas encore de travailler ? En second lieu, rien n’est plus faux que ces résultats merveilleux ».

S’il faut « se prononcer entre l’instruction de l’abbé de La Salle et celle de Lancaster, la question est bien simple ; il s’agit de choisir entre la société et l’anarchie ».

Son frère, le vicaire Jean-Marie de la Mennais (1780-1860) prendra alors la tête de ce qu’il faut bien qualifier de chasse aux sorcières. Il dit :

« L’enseignement mutuel fut introduit en France par des protestants, dans les funestes cent jours. M. Carnot était alors ministre de l’Intérieur ; sous ses auspices, la société d’encouragement, établie pour propager cette méthode, tint sa première séance le 16 mai 1815 ».

Il se démène pour prouver que « la méthode lancastérienne est défectueuse dans ses procédés, dangereuse pour la religion et les mœurs dans ses résultats » et dans une brochure, De l’Enseignement mutuel, publiée en 1819 à Saint-Brieuc, il attaque vigoureusement ce mode d’enseignement.

Il n’est pas faux que la remise en question de l’autorité et de l’ordre établi est en soi inhérente à l’enseignement mutuel. L’école « simultanée » se base sur le postulat que pour transmettre un savoir il faut être diplômé (être le professeur). À l’inverse, au sein de l’école mutuelle, le professeur n’est plus le dépositaire du savoir, chaque élève pouvant expliquer à ses camarades.

Un autre souci pour les élites était lié au fait qu’avec cette méthode, les enfants ne sont plus qu’instruits et non pas « éduqués », qu’aucune éducation morale chrétienne ne leur est transmise.

Enfin, l’enseignement mutuel s’appuyait sur un nombre d’encadrants plus faible, du fait du rôle des élèves comme créateurs, transmetteurs et porteurs de savoirs. Certains ont peut-être eu peur pour leur poste…

Ecole des Frères, à Paris.

Joseph Hamel, en 1818, dans son rapport à l’Empereur de Russie, répond aux principaux adversaires des mutualistes, les « Frères des écoles chrétiennes », qu’ils ignorent presque entièrement ce qu’ils dénoncent. Hamel rappelle également qu’il y a 40 000 communes à prévoir des écoles primaires et que le nombre d’écoles des Frères ne « s’élève pas à plus de 100 dans le royaume… »

Du côté négatif, ce qui frappe, lorsqu’on examine les incriminations, c’est qu’on dise une chose le matin et son contraire l’après-midi. Le matin on dit que l’enseignement mutuel brouille les esprits en diluant l’autorité des maîtres, l’après-midi on affirme qu’il « militarise » à outrance l’éducation par une structure de commandement totalement hiérarchisée ! Allez comprendre…

Sur la question de la moralité, jamais Lazare Carnot n’aurait cautionné une éducation ruinant l’esprit chrétien et encore moins la notion d’autorité légitime, tout en combattant avec vigueur celle qui en manquait, comme par exemple celle de la Monarchie de droit divin ou du Consulat à vie imposé par Napoléon. De la même façon, le matin on accuse le système mutualiste de ne pas transmettre « la morale » chrétienne, l’après-midi on y voit un complot protestant…

Or, l’élan national en faveur de « la patrie » et des générations futures, a justement réussi à unir, dans un même effort, des personnalités de tout bord politique et religieux. Cuvier (protestant) et Gérando (catholique), tous deux fervents républicains et promoteurs du mode mutuel, ainsi que l’inspecteur général de l’Université, Ambroise Rendu (1778–1860, catholique), participent même à la rédaction de l’ordonnance du 29 février 1816 promulguée par Louis XVIII et le ministre de l’Intérieur, de Vaublanc (1756–1845).

Suite aux pressions massives des congrégations, les enseignants mutualistes Martin, Frossard et Bellot, tous trois protestants, se voient contraints de quitter leur direction d’école. Martin se rendra fort utile dans d’autres pays européens, notamment à Bruxelles où il organise, en 1820, une école mutuelle aux Minimes.

16. Dérive mécaniste ?

Sans appréhender l’état d’esprit et l’enthousiasme que pouvaient avoir des jeunes polytechniciens pour l’éclosion d’une culture industrielle et les merveilles du machinisme, les défenseurs d’une France cul-terreuse et féodale n’y voient qu’une « vision foncièrement mécaniste », lorsque Jomard compare la méthode mutuelle à une machine, avec ses rouages et ses ressorts, dont le maître n’est qu’un simple opérateur :

« Une fois l’école disposée et garnie de tout le mobilier qui lui est nécessaire, il ne s’agira plus que d’introduire les élèves et le maître, et de mettre ensuite en mouvement tous les ressorts de cette espèce de mécanisme, au moyen des nouvelles pratiques ».

Alors que Victor Hugo y évoquait un « essaim heureux », on accuse Laborde de dérive « mécaniste » lorsqu’il compare le bourdonnement produit par l’activité des élèves dans les écoles mutuelles anglaises au bruit des machines dans les filatures de coton.

La communication, disent-ils, y est « toute mécanique et entièrement hiérarchisée ». Elle ne s’exerce « que du maître ou du moniteur général vers les moniteurs et vers les élèves, non dans l’autre sens. C’est un moyen d’action, non un moyen d’échange. »

Admettons que toute approche pédagogique, peu importe laquelle, érigée en système et postulant qu’il suffit de l’appliquer mécaniquement à une personne humaine, peut faire dans l’horreur. Facile donc d’accuser l’enseignement mutuel de tous les maux dont souffraient, peut-être bien plus, ceux qui l’en accusaient.

A l’école mutuelle, les châtiments corporels sont bannis. C’est une décision courageuse qu’Octave Gréard (1828-1904) ne manquera de souligner :

« C’est l’un des titres des fondateurs des écoles mutuelles à la reconnaissance publique d’avoir proscrit les peines corporelles, férules et fouets, qui étaient encore en usage, et l’on ne saurait trop leur savoir gré d’avoir cherché à remplacer dans le cœur des élèves le sentiment de la crainte par le sentiment de l’honneur, ou, comme disait M. de Laborde, le sentiment de la honte bien administrée. »

Connaissant l’immense bonheur des milliers d’enfants qui ont accédé rapidement à un minimum d’instruction publique et qui ont connu la joie indescriptible d’instruire leurs camarades, on ne peut que soupçonner la plume des congrégations jalouses derrière ce poème se désolant faussement du malheur des pauvres petits :

« Ce système, dit l’un, né de l’anglomanie,
Contraste horriblement avec notre génie.
Là, tout est mécanisme et nos tristes enfants
Semblent une machine, au milieu de leurs bancs ;
Leur discipline absurde, et sans doute funeste,
Règle même les pas, l’attitude ou le geste :
On peut, dès aujourd’hui, prophétiser le sort
De ce peuple automate ainsi mu par ressort ».

17. Mort de l’enseignement mutuel en France

« Progrès des lumières », estampe, 1819.

En 1815, après Waterloo, Louis XVIII, qui avait fui, revient le 8 juillet 1815. Contrairement à son frère, le futur Charles X, chef des ultra-royalistes, il a pleinement conscience que l’on ne peut effacer les pages de l’histoire de la Révolution. Il constate que la France ne peut plus redevenir un pays de « sujets » et qu’elle est devenue une Nation. D’où la « Charte constitutionnelle » qu’il promulgue, et qui a valeur de constitution. Dans le même esprit, face à la popularité de l’enseignement mutuel, il lui accorde ses faveurs (subsides, création d’écoles modèles, protection du ministère de l’Intérieur).

L’enseignement mutuel va rapidement perdre ses protecteurs, la commission ministérielle créée par le décret du 27 avril ne survivant pas à la chute de Napoléon en juin 1815.

Dès l’automne 1816, alimentées par les congrégations, les critiques pleuvent. Le Grand Aumônier de France, cardinal de Talleyrand-Périgord, archevêque de Reims (ville natale de Jean-Baptiste de La Salle…), s’adressa de son côté au Roi pour lui faire connaître les alarmes des catholiques.

Si, en 1820, la SIE possède déjà un réseau de 1 500 écoles mutuelles groupant, grâce à une audacieuse pédagogie collective, plus de 170 000 élèves, le mutualisme subit les coups de bélier des ultras qui l’estiment trop libéral, trop favorable à l’autonomie des enfants et incapable « d’élever la jeunesse dans des sentiments religieux et monarchiques ».

L’enfant sortant de cette école, disent-ils,

« est un perroquet savant, sans idée religieuse, sans valeur morale, plus dangereux que l’ignorant pour l’ordre politique et social puisque l’instruction a développé en lui de nouveaux besoins, toujours prêt à s’engager dans de nouvelles scènes de révolution ou de déchristianisation. Ah, Carnot, le conventionnel régicide, le patron de l’enseignement mutuel, savait ce qu’il préparait en l’introduisant en France par le décret de 1815 ! »

Saint-Jean Baptiste de La Salle, musée du Vatican, Rome.

Partisan farouche de l’ordre et soupçonnant un vaste complot protestant contre le Vatican, le pape Léon XII, le « pape de la Sainte-Alliance » décide dans Quod Divina Sapientia, sa bulle papale du 28 août 1824 (art. XXVII, 299), que

« les écoles publiques d’instruction mutuelle seront supprimées et abolies dans tous les États pontificaux. Les évêques poursuivront ceux qui continueront à utiliser cette méthode d’enseignement ou qui tenteront de l’introduire dans leurs diocèses ».

Comme on l’a dit plus haut, en France, l’enseignement mutuel est perçu comme une agression par les congrégations religieuses qui pratiquent « l’enseignement simultané », codifié dès 1684 par Jean-Baptiste de La Salle (1651-1719) pour les Frères des Écoles Chrétiennes (Latin : Fratres Scholarum Christianarum ; Italien : Fratelli delle Scuole Cristiane, en abrégé FSC) : classes par âge, division par niveau, places fixes et individuelles, discipline stricte, travail répétitif et simultané supervisé par un maître inflexible.

Et les mérites des écoles des FSC et de « l’enseignement simultané », confirmés depuis leur création, sont considérés en totale opposition avec ceux de l’enseignement mutuel, la « manie du moment », et considéré comme l’œuvre de « charlatans » spéculant sur l’enseignement primaire.

Anticipant la bulle papale par l’ordonnance d’avril 1824, l’enseignement mutuel est placé chez nous sous la stricte tutelle de l’Église traditionnelle qui s’empare de l’ensemble de la question éducative. En août, donc après la bulle de Léon XII, un ministère des « Affaires ecclésiastiques et de l’Instruction publique », dont l’appellation dit bien le retour de l’Eglise aux affaires, est créé. L’accession de Charles X, ne fera qu’aggraver cette situation. L’Église d’alors aime les Lumières, mais avant tout celles des bougies…

École catholique de Versailles, peinture de d’Antoinette Asselineau, 1839.

Dès lors, le bilan de la scolarisation tourne au drame. En 1828, sur les 39 381 communes :

  • environ 24 000 sont pourvues d’écoles de garçons, recevant 1 070 000 enfants ;
  • le nombre des jeunes filles qui fréquentent les écoles primaires est au plus de 430 000 ;
  • 15 381 communes sont sans écoles de garçons ;
  • et peut-être 20 000 sans écoles de filles ;
  • 1 680 000 garçons et 2 320 000 jeunes filles, soit 4 millions au total, ne fréquentent aucune école.

Malgré une embellie entre 1828 et 1829, le mutuellisme est rejeté, ses écoles fermées les unes après les autres (leur nombre diminua des trois-quarts par rapport à 1820) bien que le poids électoral des ultras diminue d’élections en élections. Cependant, les éducateurs du peuple résistent.

Dans les années qui suivent la révolution de 1830, encore plus de 2 000 écoles mutuelles fonctionnent, principalement dans les villes, en concurrence avec les écoles confessionnelles promues par le régime. Officiellement, l’école mutuelle n’était pas garante de la moralité et on affirmait qu’elle était « industrielle », inhumaine.

François Guizot.

Arrive alors le fameux « moment Guizot ». Alors qu’il avait milité initialement pour le développement de l’enseignement mutuel au sein de la SIE, François Guizot (1787-1874), à partir de 1832 ministre de l’Instruction publique de Louis-Philippe, donnera le coup de grâce en France à l’enseignement mutuel en faisant entériner le mode simultané comme unique méthode pédagogique officielle. Les écoles adoptant l’enseignement mutuel ne sont alors plus subventionnées, elles ne reçoivent plus aucun soutien du gouvernement ni de l’Église. Devant les difficultés matérielles, une majorité des élèves admis gratuitement jusqu’alors doivent payer une rétribution. Beaucoup de parents, dans le besoin, les retirent pour les mettre à l’école gratuite des Frères ou des Sœurs qui vient d’ouvrir ses portes. L’Église calomnie, jette le doute sur la moralité des maîtres, s’efforce d’éloigner de l’école « du Diable » les enfants des familles catholiques, persécute et menace de les écarter du catéchisme et de la communion. Elle veut briser l’enseignement mutuel. Les maîtres, pour la plupart, abandonnent la méthode pour se rallier à l’enseignement simultané. Plus d’élèves, plus de maître, les écoles mutuelles disparaissent peu à peu.

C’est encore Guizot qui donne le dernier coup de marteau pour clouer le cercueil de l’enseignement mutuel en créant en 1867 l’École normale des instituteurs pour former les futurs professeurs de l’école de Jules Ferry à la méthode simultanée.

Le jeune Hippolyte Carnot adhère lui aussi à la SIE afin de renouer, post mortem, avec son père. Il tentera en 1847, lorsqu’il est ministre de l’Instruction publique sous la IIe République, de faire renaître cet enseignement mutuel que son père Lazare Carnot chérissait, mais, bien que son œuvre fût grande, ses ennemis furent nombreux et son mandat fort court.

18. Conclusion

L’enseignement est en crise. Le dossier La désintégration contrôlée de l’éducation – Ce que tout parent et enseignant devrait savoir (S&P, mars 2023) documente en détail comment tout ce qui a été en grande partie accompli par Lazare Carnot et son fils Hippolyte, repris bien sûr par la suite, notamment dans le plan Langevin-Wallon, a été systématiquement mis en pièce par les nouvelles congrégations de notre temps, adorateurs du veau d’or : l’oligarchie financière, transhumaniste et décadente, après avoir conduit le monde au bord du gouffre, toujours déterminée à sauver ses privilèges en organisant la ruine physique et morale de l’humanité.

Pour reconstruire une instruction digne de ce nom, nous en sommes convaincu, l’éducation mutuelle, sous condition de l’adapter à notre époque et de ne pas en faire un système déshumanisant, est une piste extrêmement prometteuse. Plusieurs pays africains ne nous ont pas attendu. Bien que dépourvus de moyens suffisants, ils s’en inspirent déjà. Il ne s’agit donc nullement d’une relique du passé, mais bien un outil concret pour construire l’avenir.

En France, Vincent Faillet, un jeune professeur de SVT, docteur en sciences de l’éducation et de la formation en région parisienne, dont le travail est évoqué dans cette vidéo, semble bien décidé à ouvrir le dossier :

19. Quelques ouvrages et textes consultés

Merci de partager !

« Mutual tuition »: historical curiosity or promise of a better future?

Bas-relief of Gutenberg statue in Strasbourg, by David d’Angers.


By Karel Vereycken, July 2023, PARIS.

1. Introduction
2. Learning and teaching at the same time, a precious joy
3. Precedents:
A. In India
B. In France
4. Gaspard Monge’s brigades
5. Andrew Bell
6. Joseph Lancaster
7. Mutual Tuition, how it works
A. The class room
B. Teachers and monitors
C. A day at a mutual school
D. Progress according to each pupil’s knowledge
E. Tools
F. Command
8. Bellists vs. Lancasterians
9. France adopting Mutual Tuition
10. Lazare Carnot takes the helm
11. Mutual tuition and choral music
12. The rue Saint-Jean-de-Beauvais pilot project
13. Jomard, Choron, Francœur and elementary knowledge
14. Going Nationwide
15. Critique
16. Mechanistic drift?
17. Death of mutual tuition in France
18. Conclusion
19. Short list of books and texts consulted


« Answer, my friends: it must be sweet for you
To have as your only mentors children like yourselves;
Their age, their mood, their pleasures are your own;
And these victors of one day, tomorrow vanquished by others,
Are, in turn, adorned with modest ribbons,
Your equals in your games, your masters on the benches.
Mute, eyes fixed on your happy emulators,
You are not distracted by the fear of ferulas;
Never an avenging whip, frightening your spirits,
Makes you forget what they taught you;
I listen badly to a fool who wants me to fear him,
And I know much better what a friend teaches me. »



Victor Hugo, Discours sur les avantages de l’Enseignement mutuel, 1817.

1. Introduction

Teaching reading and writing to 1,000 children in the same room, without a teacher, without school books, without paper and ink, is clearly impossible. And yet, it has been imagined and put into practice with great success!
Shh! we mustn’t talk about it, because it could give some people ideas, and not just in emerging countries!

That such a challenge could be taken up could only worry the oligarchy and its servants, who since the dawn of time have been mandated to train an « elite » (the high priests of knowledge, « experts » and other know-it-alls) who reproduce in a vacuum at the top, while ensuring that the great mass of people below are educated just enough to be able to deliver parcels, pay their taxes, abide by the rules defined by the top, and above all, not make (too) much of a mess.

And yet, as Hippolyte Carnot, Minister of Public Instruction in the Second Republic, understood long before us, without a republican education – in other words, without genuine citizen training from kindergarten onwards – universal suffrage often becomes a tragic farce capable of producing monsters.

In the early 19th century, « mutual tuition », (sometimes referred to as the English Monitorial System, also known as Madras System or Lancasterian System), spread like wildfire across Europe and then the rest of the world including the United States of America.


If the teacher addresses a single pupil, it’s the individual mode (as in the case of the preceptor); if he addresses an entire class, it’s the simultaneous mode; if he instructs some children to teach others, it’s the mutual mode. The combination of simultaneous and mutual modes is called mixed mode.


Mutual tuition quickly fell victim to personal quarrels and ideological, political and religious issues. In France, it was seen as an aggression by religious congregations who practiced « simultaneous teaching », codified as early as 1684 by Jean-Baptiste de La Salle : classes by age, division by level, fixed and individual places, strict discipline, repetitive and simultaneous work supervised by an inflexible master.

With the formation of small groups where pupils teach each other and move around the classroom, mutual teaching immediately gave rise, rather foolishly, to the fear of an ass-over-head world straight out of a Hieronymus Bosch painting. What kind of world are we in if the pupil teaches the teacher? the child the parent? the faithful the priest? the citizen the government ! Without a clear leader, aren’t we lost ?

In 1824, Pope Leo XII (not to be confused with the benevolent Leo XIII), the « Pope of the Holy Alliance », a fierce supporter of order and suspect of a vast Protestant plot against the Vatican, forbade such teaching, believing it to « weaken the authority » of both teachers and political and religious authorities.

In France, where in the years following the 1830 revolution over 2,000 mutual schools existed, mainly in towns, in competition with denominational schools, François Guizot, Louis-Philippe’s minister and initially a promoter of broad public education, had them closed down.

2. Learning and teaching at the same time,
a precious joy

Prince Charles Louis of the Palatinate with his Tutor Wolrad von Plessen in Historical Dress, painting of Jan Lievens.

Today, « tutoring » is enjoying a revival in the context of school and vocational training. It is a process of « assistance by more experienced subjects to less experienced subjects, likely to enrich the latter’s acquisitions ».

Tutoring between children, in particular between children of different ages, is encouraged from nursery school right through to university, with the institutionalization of methodological tutoring at undergraduate level. Since the 1980s, elementary and secondary schools in France and abroad have seen the development of numerous tutoring experiments.

In reality, tutoring is no more than the pale heir to the mutual tuition system developed in England and then France in the 19th century.

Hence, the future of humanity depends on an exclusively human faculty: the discovery of new universal physical principles, often totally beyond the limits of our sensory apparatus, enabling Man to increase his capacity to transform the universe to qualitatively improve his lot and that of his environment. A discovery is never the result of the sum or average of opinions, but of an individual, perfectly sovereign act. Are we able to organize our society so that this « sacred » creative principle is cherished, respected and cultivated in any newborn child?

Because, without the socialization of this discovery, it will be useless. The history of mankind is therefore, by its very nature, the history of « mutual tuition ».

Look what I discovered !

Is not the greatest pleasure of those who have just made a discovery – and this is natural for children – to share, with a view to a shared future, not only what he or she has just discovered, but the joy and beauty that every scientific breakthrough represents? And when those who discover teach and those that teach, discover, the pleasure is immense. So let’s give our professional teachers the time they need to make discoveries, for the quality of their teaching will be enhanced!

Precedents:

A. In India

In 1623, the Italian explorer Pietro Della Valle (1586-1652), after a trip to « Industan » (India), in a letter dispatched from Ikkeri (a town in south-west India), reports having seen boys teaching each other how to read and write using singing :

Pietro Della Valle


« In order to inculcate it perfectly in their memory, to repeat the previous lessons that had been prescribed to them, lest they forget them, one of them would sing in a certain musical tone a line from the lesson, such as two and two make four. After all, it’s easy to learn a song.

« While he sang this part of the lesson to learn it better, he wrote it down at the same time, not with a pen, nor on paper. But to spare him and not spoil it unnecessarily, they marked the characters with their fingers on the same floor where they were sitting in a circle, which they had covered for this purpose with very loose sand. After the first of these children had written in this way while singing, the others sang and wrote the same thing all together

« (…) When I asked them who (…) corrected them when they missed, given that they were all schoolboys, they answered me very reasonably, that it was impossible that a single difficulty should stop them all, four at the same time, without being able to overcome it and that for the subject they always practiced together so that if one missed, the others would be his teachers.« 


In Della Valla‘s report, we can already identify some of the basic principles of mutual tuition, notably the simultaneous learning of reading and writing, the use of sand for writing exercises to avoid wasting paper, which is scarce and very expensive, a group lesson given by a teacher, followed by work in sub-groups in which pupils learn to self-regulate, and finally, an integration of knowledge which, thanks to the use of song, will facilitate memorization.

B. In France

Charles Demia.

In Lyon, the priest Charles Démia, was one of the precursors of mutual tuition, which he put into practice in the « petites écoles » for poor children he founded and theorized as early as 1688. According to the Nouveau dictionnaire de pédagogie et de l’instruction primaire:

« Démia introduced what later came to be known as mutual tuition into the classroom: he recommended that a certain number of officers be chosen from among the most capable and studious pupils, some of whom, under the name of intendants and decurions, would be responsible for supervision, while the others would have to have the master’s lessons repeated, correct pupils when they made mistakes, guide the hesitant hand of ‘young writers’, etc. » In order to make simultaneous teaching possible, Démia’s idea of ‘mutual teaching’ was based on the principle of ‘teaching to one another’. To make simultaneous teaching possible, the author of the regulations divides the school into eight classes, to be taught in turn by the master; each of these classes can be subdivided into bands ».


In Paris, as early as 1747, mutual education was practiced with great success in a school of over 300 pupils, established by M. Herbault, at the Hospice de la Pitié, in favor of the children of the poor. Unfortunately, the experiment did not survive its founder.

In 1772, the ingenious charity of Chevalier Paulet conceived and carried out the project of applying a similar method to the education of a large number of children, left without support in society by the death of their parents.

4. Gaspard Monge’s « brigades »

Gaspard Monge.


Finally, as recounted in his biography of Gaspard Monge by his most brilliant pupil, the astronomer François Arago (1786-1853), himself a close friend of Alexander von Humboldt, it was at the École Polytechnique that Monge perfected his own system of mutual tuition and tutoring.

Finding it unacceptable to have to wait three years for the first engineers to graduate from the Ecole Polytechnique, Monge decided to speed up student training by organizing « revolutionary courses », an accelerated training program lasting three months for those in charge of teaching to the others. To achieve this, he perfected the concept of « chefs de brigades », a technique he had already successfully tested at the Mézières engineering school.

Elèves de l’Ecole Polytechnique, bas-relief du Panthéon par David d’Angers.
Graduates of the Ecole Polytechnique in front of Ecole du genie miltaire of Mézières.


François Arago:
« The brigade leaders, always working with small groups of students in separate rooms, were to have the extremely important task of ironing out difficulties as they arose. Never had a more skilful combination been devised to remove any excuse for mediocrity or laziness.

« This creation belonged to Monge. At Mézières, where the engineering students were divided into two groups of ten, and where, in fact, our colleague acted for some time as permanent brigade leader for both divisions, the presence in the classrooms of a person who was always in a position to overcome objections had produced results that were too fortunate for this former repetiteur, in drafting the developments attached to Fourcroy’s report, not to try to endow the new school with the same advantages.

« Monge did more; he wanted the 23 sections of 16 students each, of which the three divisions were to be composed, to have their brigade leader, as in ordinary times, following the revolutionary lessons, and at the opening of the courses of the three degrees. In a word, he wanted the School, at its beginning, to function as if it had already been in existence for three years.

« Here’s how our colleague achieved this seemingly unattainable goal. It was decided that 25 students, chosen by competitive examination from among the 50 candidates who had received the best marks from the admission examiners, would become brigade leaders of three divisions of the school, after receiving special instruction separately. In the mornings, the 50 young people, like all their classmates, attended revolutionary classes; in the evenings, they were brought together at the Hôtel Pommeuse, near the Palais-Bourbon, and various teachers prepared them for the functions they were destined to perform. Monge presided over this scientific initiation with infinite kindness, ardor and zeal. The memory of his lessons remains indelible in the minds of all those who benefited from them.

Arago then quotes Edme Augustin Sylvain Brissot (1786-1819), son of the famous abolitionist, , one of the 50 students, who reported : « It was there that we began to get to know Monge, this man so kind to youth, so devoted to the propagation of science. Almost always in our midst, he followed lessons in geometry, analysis and physics with private discussions where we found even more to gain. He became a friend to each and every one of the students at the Ecole provisoire, joining in the efforts he was constantly provoking, and applauding, with all the vivacity of his character, the successes of our young minds ».


While mutual teaching is fully practiced, the total dedication of a master as devoted as Monge completes what otherwise becomes nothing more than a « system ».

5. Andrew Bell

Andrew Bell in 1825.

It was a Scotsman, the Anglican clergyman Andrew Bell (1753-1832), who claimed the paternity of mutual tuition, which he theorized and practiced in India, at the head of the Egmore Military Asylum for Orphans (Eastern India), an institution created in 1789 to educate and instruct the orphans and destitute sons of the European officers and soldiers of the Madras army.

After 7 years there, Bell returned to London and, in 1797, wrote a report to the East India Company (his employer in Madras) on the incredible benefits of his invention.

Russian physician, naturalist and inventor Iosif Khristianovich (Joseph) Hamel (1788-1862), a member of the Russian Academy of Sciences, was commissioned by Alexander I, Emperor of Russia, to write a full report on this new type of education, which was then being discussed throughout Europe.

Madras School of Andrew Bell.

In Der Gegenseitige Unterricht (1818), he reports what Bell wrote in one of his writings: « It happened at this time, that one morning as I was taking my usual walk, I passed a school of young Malabar children, and saw them busy writing on the ground. The idea immediately occurred to me that perhaps the children at my school could be taught the letters of the alphabet by tracing on the sand. I immediately went home and ordered the teacher of the last class to carry out what I had just arranged. Fortunately, the order was very poorly received; for if the master had complied to my satisfaction, it is possible that all further development would have been stopped, and with it the very principle of mutual education… »

Mutual education was coldly received in England, but eventually won over Samuel Nichols, one of the school leaders at St. Botolph’s Aldgate, London’s oldest Anglican Protestant parish. Bell’s precepts were implemented with great success, and his method was taken up by Dr. Briggs when he opened an industrial school in Liverpool.

6. Joseph Lancaster

Joseph Lancaster.

In England, it was Joseph Lancaster (1778-1838), a twenty-year-old London schoolteacher, who seized upon the new way of teaching, perfected it and generalized it on a large scale. (See text of his 1810 booklet)

In 1798, he opened an elementary school for poor children in Borough Road, one of London’s poorest suburbs. Education was not yet totally free, but it was 40% cheaper than other schools in the capital. Lacking money, Lancaster did everything in his power to drive down the costs of what was becoming a veritable « system »: use of sand and slate instead of ink and paper (Erasmus of Rotterdam reported in 1528 that in his day, people wrote with a kind of awl on tables covered in fine dust); boards reproducing the pages of school books hung on the walls to avoid having to buy books; auxiliary teachers replaced by pupils to avoid paying salaries; increase in the number of pupils per class.

The Lancasterian School in Birmingham, founded in 1809


By 1804, his school had 700 pupils, and twelve months later, a thousand. Lancaster, getting deeper and deeper into debt, opened a school for 200 girls. To escape his creditors, Lancaster left London in 1806, and on his return was jailed for debt. Two of his friends, dentist Joseph Foxe and straw hat maker William Corston, repaid his debt and founded with him « The Society for the Promotion of the Lancasterian System for the Education of the Poor ».

Other Quakers stepped in with support, notably abolitionist William Wilberforce (1759-1833), whom the french sculptor David d’Angers depicted alongside Condorcet and Abbé Grégoire on his famous monument commemorating Gutenberg in Strasbourg.

From there, as Joseph Hamel recounts in his 1818 report, the new approach spread to the four corners of the world: England, Scotland, France, Prussia, Russia, Italy, Spain, Denmark, Sweden, Poland and Switzerland, not forgetting Senegal and several South American nations such as Brazil and Argentina and of course, the United States of America. Mutual Tuition was adopted as the official pedagogy in New York City (1805), Albany (1810), Georgetown (1811), Washington D.C. (1812), Philadelphia (1817), Boston (1824) and Baltimore (1829), and the Pennsylvania legislature considered statewide adoption.

First Mutual Tuition School in New York.

7. Mutual tuition, how does that works ?

The fundamental principle of « mutual tuition », particularly relevant to elementary school, is reciprocity of instruction between pupils, with the more able serving as teacher to the less able. From the outset, everyone progresses gradually, regardless of the number of pupils.

Bell and Lancaster, and their French disciples, postulated: the diversity of faculties, the inequality of progress, the rhythms of comprehension and acquisition. This led them to divide the school into different classes according to subjects and children’s level of knowledge, with age playing no part in this classification. Schoolchildren thus brought together take part in the same exercises. Their study program is identical in content and methods.

If the number of pupils in a division is too high in a particular subject – reading or arithmetic, for example – sub-groups are formed, which progress in parallel, while the teaching methods and materials remain identical.

So what does a school under the new system look like?

A. The classroom

Whatever the number of pupils – around a 100 in French villages, close to a 1000 in the Lancaster school in London, 200 in Parisian schools – they are grouped together in one single rectangular room with no partitions.

Jomard, who was extraordinarily active and prolific in the early years of the mutual education system, set desirable standards for class sizes ranging from 70 to 1,000 pupils.

For 350 pupils, for example, he indicated the need for a room 18 m long by 9 m wide (graphic).

In England and the French countryside, a barn was often used for the new school. In France, a large number of religious buildings have been disused since the revolutionary period, and meet the required standards perfectly. Many mutual schools were built in these buildings.

B. « Masters » and « monitors »

A day of mutual tuition, as proposed by a school in Alsace.

The mutual method divided responsibility for teaching between the « master » and students designated as « monitors », considered « the linchpin of the method ».

As Bally reminded us as early as 1819: « The basis of mutual teaching rests on the instruction communicated by the strongest pupils to those who are weaker. This principle, which is the merit of this method, required a very special organization to create a reasonable hierarchy, which could contribute in the most effective way to the success of all. »

Each day, in a dedicated « classroom » reserved for instructors, the master imparts knowledge and provides his assistants with technical advice on the proper application of the method. During the course of the day, he remains in charge of the 8th class, and as such is responsible for conducting their exercises. He conducts periodic, monthly or occasional examinations in the classes, and may decide to change classes. Finally, it is he who, at the final stage, distributes punishments and rewards.

C. A day at a mutual school

Thus, on a platform, the teacher’s desk with a large drawer where money, reward tickets, registers, writing templates, whistles and children’s notebooks are kept.

Behind the teacher, next to the clock – an essential instrument for organizing teaching life – is a blackboard on which are written sentences and writing models.

At the foot of the platform, benches are attached across the desks, of different sizes, in the middle of the room. The first tables, which are not inclined, have sand on which small children trace signs, while the other tables have slates; on the last of these there are lead inkwells and paper, and chopsticks to indicate words or letters to be read.

At the end of each table are « dictation tables » and telegraphic signals indicating the lesson’s moments, such as « COR » for « correction » or « EX » for « examination of work ». Semicircular table models were then proposed to facilitate the work of the instructors.

D. Progress according to each person’s knowledge

Mutual Tuition school of the rue Saint-Jean-de-Beauvais (Paris),1820, Marlet, lithograpy.

Initially, the mutual school program was limited to the 3 fundamental disciplines of reading, writing and arithmetic, and to the teaching of religion. Geography, grammar, writing, singing and linear drawing were soon added. The instrumental disciplines (music) are taught together, rather than in succession, as is customary in other schools. Pupil groupings are flexible, mobile and differentiated, depending on the nature of the subjects studied and the activities practised in the discipline.

Each subject matter taught in mutual schools is based on a precise, codified curriculum. This program is divided into 8 hierarchical levels, which must be covered in succession. Each degree is called a « class », and this is how we speak of the 8 classes of writing or arithmetic.

The term « class » refers only to acquisitions and knowledge, the 1st class being that of beginners and the 8th that of the completion of the school curriculum. The pace of learning and acquisition varies from student to student and from subject to subject.

Thus, after six months’ attendance, pupil « X » may find himself in 4th class reading, 5th class writing and 2nd class arithmetic. As we said, class assignment is decided on the basis of knowledge level, not age.

But this initial allocation is accompanied, within each class and in each subject, by the constitution of restricted groups established according to the activities to be practiced. In arithmetic, for example, written work is done on the slate. This takes place seated on benches reserved for this purpose, with a maximum of 16 to 18 students per bench, according to the standards established by Jomard.


Oral exercises, in reading or arithmetic, or with the aid of a blackboard, arithmetic or linear drawing, are done standing up, in groups of no more than 9, with pupils standing side by side, forming a semi-circle. Hence the name given to this kind of activity: « circle work ».

So, in a mutual school with 36 students in 3rd arithmetic class, bench work will be done in two groups with two monitors, and blackboard exercises with 4 groups and 4 monitors. Class sizes can therefore vary from school to school and throughout the year, the only limitation being the size of the premises.

D. Tools

Low costs are one of the preoccupations of the new teaching method. Furniture was therefore very basic.

  • Benches and desks are made of ordinary planks, fastened with heavy nails. The benches have no backrests: a superfluous luxury!
  • The platform is clearly elevated: about 0.65 m. Several steps lead up to the teacher’s desk. The master reigns over the children’s community as much by his material position as by his personal ascendancy.
  • The clock is noted as « indispensable », as teaching and maneuvers are strictly timed.
  • Half-circles, also known as reading circles, give mutual schools a typical and original appearance. These are usually semi-circular iron hangers that can be raised or lowered at will. Sometimes, the materialization is simply applied to the floor: grooves, large nails or arched strips.
  • Blackboards were systematically used for linear drawing and arithmetic. They are 1 m long and 0.70 m wide, with a movable meter at the top. They are placed inside each semicircle.
  • Telegraphs. When work takes place at the tables, such as writing, signals are used to link and communicate between the general monitor and the individual monitors: these are the telegraphs. A planchette, attached to the upper end of a round stick 1.70 m high, is installed at the first table of each class, thanks to two holes drilled at the top and bottom of the desk. On one side is the class number (1 to 8); on the other, EX (examen), replaced around 1830 by COR (correction). These telegraphs are portable. They could be moved if the number of students increased or decreased. In this way, the master and the general monitor have the exact composition of each class and the number of tables occupied by each. As soon as an exercise is completed, the class monitor turns the telegraph and presents the EX side to the desk. All monitors do the same. The general monitor gives the order to proceed with inspection and any corrections. Once these have been completed, the class number is presented again. And the exercises resume. Next to the telegraphs are the occasional board stands.
  • Monitor rods. These are used to indicate on tables the letters or words to be read, the details of operations to be carried out, and the lines to be reproduced. In rural schools, these are generally only available thanks to the good will and ingenuity of the teachers, who obtain them from nearby woods.
  • Sand (for writing) and then slates are constantly used in all subjects. This was an essential innovation in the mutual mode, as other schools did not use them.
  • Boards instead of books. The first reason is financial, as a single board is sufficient for up to nine pupils. But the pedagogical reasons are no less important. The format makes them easy to read and store. The concern for presentation and highlighting certain characters is accompanied by a different layout from that of the textbooks.
  • Books are reserved for the eighth grade, as are nibs, ink and paper.
  • Registers, currently in use, ensure sound management of the schools. One in particular deserves special mention: « Le grand livre de l’école » (the school’s ledger), which is first and foremost a registration book. It records the child’s surname, first name and age, as well as the parents’ occupation and address. The teacher enters the precise date of entry and exit of each child, in each class, including music and linear drawing.

E. Communication

To ensure that dozens or hundreds of pupils are led and developed correctly, and to avoid wasting time, those in charge of mutual education have planned precise, rapid, immediately comprehensible orders:

  • The voice is rarely used. Injunctions transmitted in this way are generally addressed to the instructors, sometimes to a specific class;
  • The bell attracts attention. It precedes information or a movement to be executed;
  • The whistle has a dual function. It is used to intervene in the general order of the school, « to impose silence », for example, and to signal the start or end of certain exercises during the lesson, « to have the pupils say by heart, to spell, to stop reading ». Only the teacher is authorized to use them.
  • As for hand signals, they have been used extensively. Intended to evoke the act or movement to be accomplished, they attract the eye and should bring calm to the community.

« Bellists » versus « Lancasterians »

While the two schools, Bell’s and Lancaster’s, were very close to each other in terms of content, methods and organization, they clashed violently over the role and place of religious education. All other program-related differences are a matter of taste, habit or local circumstance.

As Sylvian Tinembert and Edward Pahud point out in « Une innovation pédagogique, le cas de l’enseignement mutuel au XIXe siècle » (Editions Livreo-Alphil, 2019), Lancaster, as a follower of the dissident Quaker movement,

« recognized Christianity but professed that belief belonged to the professional sphere and that each person was free in his or her convictions. He also advocates egalitarianism, tolerance and the idea that, in this country, there is such a variety of religions and sects that it is impossible to teach all doctrines. Consequently, it is necessary to remain neutral, to limit teaching to the reading of the Bible, avoiding any interpretation, and to leave fundamental religious instruction to the various churches, ensuring that pupils follow the services and teachings of the denomination to which they belong ».

Nevertheless, Bellists and Lancasterians had their differences. For the Lancasterians, Bell had invented nothing and was merely describing what he had seen in India. For the Bellists, furious that Lancaster found a positive response from certain members of the Royal family, Lancaster was portrayed as the devil, an « enemy » of the official Anglican religion, who admitted children of all origins and denominations to his schools !

9. France adopting mutuel tuition


In London, the Lancaster association was joined by a number of high-ranking personalities, both English and foreign. These included Geneva physicist Marc Auguste Pictet de Rochemont (1752-1825), French paleontologist Georges Cuvier (1769-1832) and his compatriots, agronomist Charles Philibert de Lasteyrie (1759-1849) and Lancaster’s future translator into French, archaeologist Alexandre de Laborde (1773-1842).

After the peace of 1814, many countries – notably England, Prussia, France and Russia – bled dry by the Napoleonic wars, which had resulted in the loss of thousands of young teachers and qualified executives on the battlefields, made education their top priority, not least to keep up with the industrial revolution that was coming to shake them to their foundations.


Added to this is the fact that the number of orphans in Europe has become a major problem for all states, especially as the coffers are empty. To keep street children occupied, schools were needed, many of them to be built with very little money and many teachers… nonexistent. Learning of the resounding success of mutual education, several Frenchmen travelled to England to discover the new method.

Laborde brought back his « Plan d’éducation pour les enfants pauvres, d’après les deux méthodes (du docteur Bell et de M. Lancaster) », and Lasteyrie his « Nouveau système d’éducation pour les écoles primaires ». In 1815, the Duc de la Rochefoucauld-Liancourt (1747-1827) published his book on Joseph Lancaster’s « Système anglais d’instruction ».

Since 1802, Paris had been home to the « Société d’encouragement pour l’industrie nationale », whose Secretary General was linguist Joseph-Marie de Gérando (1772-1842), and of whom Laborde was a founder together with Jean-Antoine Chaptal (1752-1832). Unsurprisingly, Gérando had been raised by the Oratorians and was initially destined for the Church.

On March 1, 1815, Lasteyrie, Laborde and Gérando proposed to the Société d’Encouragement the creation of a new association whose purpose would be « to gather and spread enlightenment likely to provide the lower classes of the people with the kind of intellectual and moral education most suited to their needs ».

Gérando

In his report presented to the Société d’Encouragement on March 20, 1815, Gérando proposed that the newly-appointed Minister of the Interior, Lazare Carnot (During les Cents-Jour, i.e. between March 20-June 22, 1815), be asked to promote « the adoption of procedures likely to regenerate primary education in France », i.e. the system of mutual tuition.

Political and social interests were not the only ones at stake. The French economy, too, was much to benefit from the development of education. « What can we expect, » said Carnot in 1815, « if the man who drives the plough is as stupid as the horses that pull it?« 

Gérando also proposed the creation of an association dedicated specifically to its propagation, underlining the advantages of the new approach: economic advantage first, since it involves « employing the children themselves, in relation to each other, as teaching aids », and that a single teacher is sufficient for 1,000 pupils; educational advantage second, since it is possible « to teach, in two years, everything that children of inferior conditions need to know, and much more than they learn today by much longer processes »; a moral and social advantage, insofar as children « are imbued from an early age with a sense of duty, a feeling that will one day guarantee their obedience to the law and their respect for the social order ».

The engineer-geographer and polytechnician Edeme-François Jomard (1777-1862), for whom the education of the people is an obligation of society towards itself, said nothing else: « How can we demand that unfortunate people, devoid of all enlightenment, know the social pact and submit to it? Or how can we, without being foolish, count on their invariable and blind submission?« 

The Société d’Encouragement then validated the conclusions of its report by subscribing the sum of 500 francs in favor of the new association, and by deciding that, in addition to its moral influence, it would place at the latter’s disposal the various means of execution that might belong to it.

10. Lazare Carnot at the helm

Statue of Carnot.

Following the Concordat between Napoleon and the Vatican, the Emperor issued a decree on education on August 15, 1808, requiring schools to follow the « principles of the Catholic Church ».

The Frères des Ecoles Chrétiennes (Institute of the Brothers of the Christian Schools), unconditional advocates of the « simultaneous education » theorized by their founder Jean-Baptiste de La Salle (1651-1719), were to take charge of all primary education and train teachers.

Disbanded during the Revolution, the Brothers resumed their functions in 1810. Encouraged to develop to counter the influence of the Jesuits, authorized in 1816 to return to France, they rapidly expanded throughout France.

But the educational situation was pitiful. This is what senior French officials constantly say when they visit the territories annexed by the Empire, notably North Germany and Holland. The comparison with France makes them blush with shame.

In 1810, the naturalist Georges Cuvier wrote in his report:

« We would be hard pressed to convey the effect produced on us by the first elementary school we entered in Holland. Children, teachers, premises, methods, teaching, everything is in perfect order (…) Several prefects have assured us that we would not find a single young boy in their department today who did not know how to read and write. »

Faced with such a contrast, which was not to the conqueror’s advantage, the Imperial University, like ancient Rome, set out to teach the conquered country. In his decree of November 15, 1811, the Emperor decided:

« The council of our Imperial University will present us with a report on the part of the system established in Holland for primary instruction that would be applicable to the other departments of our Empire. »

The Emperor abdicated on April 4, 1814, before any decision had been taken to regenerate the French « petites écoles ». At least the Imperial University’s reports had exposed their misery and drawn public attention to them.

Appointed Minister of the Interior, and therefore in charge of Education during the Cents-Jours, Lazare Carnot, a co-founder of the Ecole Polytechnique, was completely convinced of the potential excellence of « mutual education ».

On April 10, 1815, he set up a Council for Industry and Charity, at whose first meeting he himself presented Gérando‘s report;

On April 27, 1815, he submitted a report to the Emperor in which he stated:

Lazare Carnot.

« There are 2 million children in France clamoring for primary education, and of these 2 million, some receive a very imperfect education, while others are completely deprived« .

He then recommended mutual education, whose « purpose is to give primary education the greatest degree of simplicity, rapidity and economy, while also giving it the degree of perfection suitable for the lower classes of society, and also by bringing into it everything that can give rise to and maintain in the hearts of children a sense of duty, justice, honor and respect for the established order ».

Minutes later, Lazare Carnot had the French Emperor sign the following decree:

« Article 1. – Our Minister of the Interior will call upon those persons who deserve to be consulted on the best methods of primary education. He will examine these methods, and decide on and direct the testing of those he deems to be preferable.

« Art. 2 – A primary education test school will be opened in Paris, organized in such a way as to be able to serve as a model and to become a normal school for training primary school teachers.

« Art. 3 – Once satisfactory results have been obtained from the trial school, our Minister of the Interior will propose the appropriate measures to ensure that all departments can rapidly benefit from the new methods that will have been adopted.
« 


For Carnot, contrary to those in the business of Philanthropy, there were not any longer poor or rich children. All citizens of the Republic required and had to be offered the best education available on Earth.

The advisory board set up by Carnot included his friends Laborde, Jomard, Abbé Gaultier, then Lasteyrie and Gérando, i.e. the very promoters or first founders of the Société en formation.
Thus, on June 17, 1815 (the eve of the defeat at Waterloo), the Société pour l’instruction élémentaire (SIE) was born, still under the impetus of Carnot, determined to win the war for education. The SIE’s first general meeting was held on the premises of the Société d’Encouragement. At its head were several protagonists of the ministerial commission: Jomard became one of the secretaries of the new society, alongside Gérando (president), Lasteyrie (vice-president) and Laborde (general secretary).



Before the ordinance of 1816, the number of children attending « petites écoles » was 165,000 throughout France, and by the end of 1820 it had risen to 1,123,000. Almost a factor of 10!

Lazare Carnot clearly wanted to perpetuate the offensive he had launched during the Hundred Days to propagate mutual education throughout the country and, in so doing, to rapidly develop the education of all the children of the Patrie.

After its creation, subscriptions for the SIE poured in, and before long 150 names were added to those of the founders to promote and organize mutual education in France. One of these subscribers was Lazare Carnot.

In its first year of existence, the SIE attracted almost 700 members, initially teachers from the École Polytechnique (Ampère, Berthollet, Chaptal, Guyton de Morveau, Hachette, Mérimée, Thénard), and then some 30 alumni, around half of them from the first graduating class (1794) of the École Polytechnique. Among the latter were a fellow student of Jomard‘s at the geographers’ school, Louis-Benjamin Francœur, professor of higher algebra at the Paris Faculty of Science, comrades from the Egyptian campaign, and Chabrol de Volvic, prefect of the Seine since 1812.

All had but one hope: that Monge’s genial methods of brigades and mutual tuition, which had been diminished and banned once Napoleon turned Polytechnique into a mere military school under the direction of mathematician Pierre-Simon Laplace (1749-1827), could benefit the greatest number and organize a national recovery.

Based in Paris, the SIE extended its operations to the provinces, where it encouraged the founding of subsidiary companies, to which it offered « to send them teachers, to provide them with any information they might need, to give them paintings and books at cost price… ».


The SIE was also interested in education girls (art. 10). It set up a committee of ladies to look after them: president, Baroness de Gérando; vice-president, Countess de Laborde.

Beyond women, the movement spread to uneducated adults, so numerous at the time. On May 1, 1816, the Society set up a commission for the establishment of adult schools. It was also concerned with barracks, which were to be turned into military schools; prisons, especially children’s prisons; and the colored inhabitants of the colonies, who were to be regenerated by the development of education.

Finally, the members of the Society, attributing a human and general value to their mission, dreamed of founding branches abroad. In November 1818, Laborde called for the creation of a special committee to do so.

rLast but not least, the Society did not limit its activities to simply creating schools, but also organized inspections and examinations. It published works (on the mutual tuition method, elementary books on reading, grammar and arithmetic). It distributed awards to the best teachers and instructors.

Following the promulgation of the ordinance of July 29, 1818 authorizing Caisse d’Epargne societies (Saving Banks associations), it asked teachers to entrust part of their salaries to these funds to ensure their retirement; setting an example, it deposited funds with the Caisse for the teachers of the schools it had set up.

Today, the SIE, whose head office is a specially-built building at 6, rue du Fouarre in the 5th arrondissement of Paris, remains the oldest and largest secular primary education association in France.

Façade of the Société pour l’Instruction Elémentaire, 6, rue du Fouarre, Paris. In the medaillons, from left to right, surrounding « Arts », « Morality » and « Sciences », portraits of some of its major founders and leaders: Larochefoucauld-Liancourt, Francoeur, Jomard and Leroy.

11. The rue Saint-Jean-de-Beauvais pilot program

As said before, after his trip to England, Jomard, whose portrait appears in a medaillon on the façade of the SIE, also embraced the new system.

In his « reflections on the state of English industry », he wrote, after expressing his enthusiasm for various inventions observed across the Channel: « There is, however, something even more extraordinary: these are schools without teachers: nothing, however, is more real. We now know that there are thousands of children taught without a teacher, and at no cost to their families or the State: an admirable method that will soon spread to France.« 

A graduate of the Ecole Polytechnique, and an exceptionnal scientist who went with Monge to Egypt, Jomard was the ideal man to oversee the material organization of the test school, in particular by arranging for furniture to be made and teaching aids to be printed in accordance with English principles. Jomard also supervised the training of a small nucleus of students – around 20 – as « monitors » before the opening of the school proper in September 1815, planned for 350 students: a modality reminiscent of the « chefs de brigade » of the first graduating class of the École polytechnique.

However, the members of the SIE soon realized that they needed to train trainers. The English therefore welcomed several Frenchmen to train them in mutual teaching. A pastor from the Cévennes, François Martin (1793-1837), after training as a « monitor » in England, was called in by Lasteyrie to run the first mutual school, which opened its doors on June 13, 1815, on rue Saint-Jean-de-Beauvais in Paris, close to Place Maubert. This was the model school that would enable other mutual schools to be opened, thanks to the training of competent « monitors ». The school was soon unable to keep up with demand from hundreds of communes, which were considering sending one of their own to be trained in the new method.

Pastor Paul-Emile Frossard, also trained by the English, took charge of a Parisian school on rue Popincourt, while Bellot ran another. In July, Martin submitted his report. The model class takes in some 15 students destined to become monitors and principals of elementary schools with up to 350 children. Martin reports that in six weeks, they read, write, calculate and « know how to execute the movements that form the gymnastic part of the new education system ».

12. Mutual tuition and music

As Christine Bierre amply documents in her article « La musique et formation du citoyen à l’ère de la Révolution française » (1990):

Alexandre Choron.

« It was at this school on rue Saint-Jean-de-Beauvais, under the direction of a Commission comprising Gérando, Jomard, Lasteyrie, Laborde and Abbé Gaultier, that the application of mutual teaching to the learning of solfeggio and singing was tested for the first time. Alexandre Choron (1771-1834), who since 1814 had opened two music schools for boys and girls, was also a member of the Commission. Not surprisingly, it was on the initiative of Baron de Gérando that the idea of introducing singing into primary education was adopted. When Monsieur le baron de Gérando proposed the introduction of elementary singing in primary schools’, says Jomard in a report presented to the Board of Directors of the Société pour l’Enseignement mutuel, ‘you were all struck by the correctness of the views developed by our colleague (…) It showed the happy influence that such a practice could have, and the real connection that exists between the proper use of song and the perfecting of morals, the ultimate goal of instruction and of all our efforts. Not only was the application of mutual instruction to music revolutionary in itself, but what was equally revolutionary was the fact that children were learning to read and write, almost as intensively. Children studied singing, for four to five hours a week! »

In fact, it was Lazare Carnot himself who wanted to introduce music into the mutual education schools. To this end, he met several times with musician Alexandre Choron (1771-1834), who brought together a number of children and had them perform in his presence several pieces learned in very few lessons. Carnot also was acquinted with Guillaume-Louis Bocquillon, known as Wilhem (1781-1842) for ten years. He saw the possibility of using him to introduce singing into schools, and together they visited the one on rue Saint-Jean-de-Beauvais, a free pilot school for mutual education in Paris open to three hundred children.

Michael Werner‘s recent article, « Musique et pacification sociale, missions fondatrices de l’éducation musicale (1795-1860) », echoes and confirms the groundbreaking research initiated by Christine Bierre in 1990.

Wilhem

Excerpt:
« One of the fields in which the results of mutualist pedagogy are clearly visible is musical education. Several players played a decisive role here, and deserve a brief mention.

The first is Guillaume-Louis Bocquillon, known as Wilhem (1781-1842). The son of an officer and himself from a military background, he then devoted himself to musical composition and teaching, particularly at the Lycée Napoléon (later Collège Henri-IV). His friend Pierre Jean de Béranger put him in touch with Joseph-Marie de Gérando and François Jomard, the leading lights of the SIE. Through them, he learned about mutual teaching and immediately understood the benefits of this method for musical education. In 1818, the Paris municipality allowed him to set up a first experiment at the elementary school on rue Saint-Jean-de-Beauvais. Wilhem developed a method, the necessary teaching materials (in the form of charts) and instructed the chosen student monitors. The results were, according to Jomard, spectacular. At the end of a few months’ instruction, the pupils had not only acquired the basic notions of solfeggio and musical notation, chromatic scales, intervals and measures, but were also performing collective songs in several voices (Jomard 1842: 228 ff)

This success led the SIE to propose to the Prefect and Minister of the Interior that music be introduced into the teaching of elementary schools in the city of Paris, a move officially endorsed in 1820. Wilhem himself was appointed full professor of music teaching in Paris, and music classes were introduced in many of the city’s schools, before spreading to the départements and regions. At the same time, the municipality opened two teacher-training colleges to train future singing teachers.

The second early player in the debate was the composer Alexandre Choron (1771-1834). A member, like Jomard and Francœur, of the first graduating class of the École polytechnique (1795), composer and friend of André Grétry, he had been concerned since 1805 about the decline of choral singing following the abolition of the master classes. An opponent of the Conservatoire, whose academicism and lack of interest in the teaching of choral singing he criticized, in 1812 he was entrusted by the Ministry with a mission to « reorganize the choir and the choirmasters of the churches of France ». He developed a teaching method known as the « concertante method », but also remained committed to the social vocation of choral music. Choron was also one of the founding members of the SIE in 1815, a sign of his commitment to educational issues. During the Restoration, he turned more to religious songs, which he considered to be the historical heart of choral practice. (…) Finally, with the king’s support, he founded the Institution royale de musique classique et religieuse, successfully competing with the Conservatoire in the teaching of vocal art.

For the general public, he arranged for oratorios, requiems and cantatas to be performed by singers from his school in a number of spacious churches, thus ensuring a new presence for sacred music on the Parisian stage. For some of these concerts, he sometimes mobilized student singers from elementary and poor schools, whom he never ceased to follow throughout his career. »

L’Orphéon des Dames de la Manufacture d’Armes et Cycles de Saint-Etienne, vers 1900.

« (…) What fostered this expansion of music education for young people and the working classes from 1820 onwards was a political will shared by a broad spectrum of leaders and stakeholders. The liberals who formed the core of the SIE continued to adhere to the emancipatory mission of education set out by the Convention. By focusing on both the inner formation of the soul and the blossoming of a collective conscience, music – and singing in particular – became a prime field for popular education. Liberals therefore emphasized the moral benefits of music. Thus, in his proposal to introduce singing into elementary school, Gérando remarks:
Those of us who have visited Germany have been surprised to see how much simple music plays a part in popular entertainment and family pleasures, even in the poorest conditions, and have observed how salutary its influence is on morals. And Joseph d’Ortigue states lapidary: ‘A people that sings is a happy people, and therefore a moral people. This emphasis on the social benefits of musical activity fits in well with the idea of ‘universal education’, inherited from the Enlightenment and the foundation of the pedagogies of Lancaster in England or Johann Heinrich Pestalozzi in Switzerland.' »

After a trial run at the St-Jean-de-Beauvais school in 1819, singing quickly spread to all the mutual schools. Wilhem was both the creator and the architect of the development of this teaching method, which soon spread to adult and apprentice classes. Periodic meetings of children initiated into vocal music were organized. Thus was born the first French post-school organization: the Orphéon, which, after Wilhem, counted Charles Gounod and Jules Pasdeloup among its directors.

In an 1842 speech to the SIE, Hippolyte Carnot asserted that Wilhem had « elevated music to the rank of a civic institution », and that the « ennoblement » of the individual soul was to be achieved in the new collective order of the reunited nation.

13. Jomard, Choron, Francoeur and « elementary » knowledge

Volvic.

Renaud d’Enfert‘s comprehensive article, published on the website of the Société de la bibliothèque et de l’histoire de l’Ecole polytechique (SABIX), completes the picture with a close-up on the work of Jomard and Francoeur, whose portraits are featured in a medallion on the façade of the SIE headquarters on rue du Fouarre in Paris.

Right from the start of the Second Restoration, the SEI received the backing and support of the Prefect of the Seine, Gaspard de Chabrol de Volvic (1773-1843). In the summer of 1815, the latter appointed Jomard, a linguist in contact with the Humboldt brothers who had been part of the short-lived commission under Carnot and who had protected him during the Hundred Days, « head of the office of public instruction and arts », a position he held until 1823.

In a decree dated November 3, 1815, Volvic, in order to take « the necessary measures to extend the benefits of instruction to all poor families domiciled within the prefecture » and to develop « the new system of elementary instruction » throughout the Seine department, created an eleven-person committee « to extend the benefits of free education to the Seine department », and included all the influential members of the SIE (Jomard, Gérando, Laborde, Doudeauville, Lasteyrie, Gaultier, etc.). ).

In this role, Jomard was responsible for finding sites for new schools. These rapidly multiplied in and around the capital: in 1818, he counted 18 free and 32 fee-paying mutual schools covering all of the capital’s arrondissements, as well as 13 schools in the arrondissements of Sceaux and Saint-Denis. From this work, he drew up his « Abrégé des écoles élémentaires » (1816), a sort of practical guide in which he compiled everything a cityen decided to set up a mutual school needed to know about material organization.

On the pedagogical front, Jomard was the author, in 1816, of a reading method produced in collaboration with the composer and musician Alexandre Choron, who had published a method for learning to read and write as early as 1802, and Abbé Gaultier, a pedagogue who had developed a teaching method under the name of « jeux instructifs » and had traveled to London to study English methods.

Designed for the new elementary school on rue Saint-Jean-de-Beauvais, where Choron was appointed music teacher, it breaks with the traditional spelling method.

Instead of saying « b-o-n = bon », she uses the musical sounds of the language to say « b-on = bon ». In 1821-1822, Jomard also published « Arithmétique élémentaire » (Elementary Arithmetic), designed to remedy the weaknesses of Lancaster’s arithmetic method, which he accused of « making children contract a simple, routine and mechanical habit » instead of serving « to fortify their attention and train them in reasoning ». In the meantime, he and Francœur and Lasteyrie had set up a « calligraphy commission » at the SIE, to develop the principles that would guide the teaching of writing in mutual schools, a writing style intended to be « national », to replace the English models.

Francoeur


For his part, Louis-Benjamin Francoeur (1773-1849) provides, according to Jomard, « a long series of luminous reports on treatises on arithmetic, weights and measures, singing and musical art, drawing and geometry, which it would take far too long to relate or quote ». Filling a gap, in 1819 Francœur published « Le dessin linéaire » (Linear Drawing), a drawing method based on freehand drawing of geometric figures, which broke with traditional, academically inspired ways of teaching and learning drawing.

For Jomard and Francoeur, the idea behind « mutuel tuition » was to broaden the range of subjects taught in primary schools beyond the traditional « reading, writing and arithmetic »: in addition to drawing, also singing, gymnastics, geography and grammar now made their appearance in elementary school.

Model’s out of Francoeur’s handbook for linear drawing.


Linear drawing was nonetheless seen as an elementary skill in its own right, on a par with reading, writing and arithmetic.

Presenting Francœur‘s method to the Société d’Encouragement, Jomard declared:

« The usefulness that industry may one day derive from it is so great and so visible, that it would be superfluous to insist on it. It is not without reason that this result has been considered as precious for the people, as the knowledge of reading and writing ».

Finally, for Jomard, the widespread teaching of reading, writing, arithmetic, linear drawing and singing is the prerequisite for the scientific education of the people:

« In recent times, we have rightly insisted on the usefulness of teaching the elements of the physical and mathematical sciences to the working class. On this depends the advancement of industry and agriculture, which, despite all their progress, are still backward in many respects. It is only through the possession of these elementary notions that workers will perfect their processes, their means, their instruments and their products, and will be able to become skilful foremen and good workshop managers. But how can this be achieved when the mass of the population is still so ignorant?

How, without the art of reading and writing, could they not understand a single word of the chemical and mechanical arts, but only feel their advantage and consent to engage in arduous studies? What’s this! Fifteen million Frenchmen and more perhaps, do not know how to do the first two rules of arithmetic, and we would flatter ourselves to propagate among them the first principles of mechanics and geometry! The basis of this improvement is obviously primary education made more general or even universal ».

14. Nationwide


The results of mutual education are spectacular and rapid, both in terms of learning time and the quality of skills acquired. Whereas in the Lasalle Brothers’ schools it took 4 years to learn to read, this time was reduced to a year and a half in the mutuel establishments!

The enthusiastic French of 1815, with their vivid imagination, saw in this teaching system a veritable panacea. It had undeniable advantages. First of all, it was economical, requiring few teachers and enabling a considerable number of children to be taught at low cost. It is estimated that 4,000 to 5,000 fr. a year were sufficient to maintain a school of 1,000 children: 4 fr. per pupil! Education would never have been so cheap. It also ensured rapid development of primary education, since the shortage of teachers was no longer a limiting factor. With figures to back it up, it was calculated that it would only take a dozen years to extend the benefits of primary education to the whole of France!

To these indisputable advantages, the travelers of 1815 added qualitative arguments. They considered the teaching of instructors superior to that of masters: « He does not know his lesson better than the master, » wrote Laborde, « but he knows it differently ». The child instructor (monitor) takes pleasure in communicating his newly acquired knowledge to his classmates, doing his job « with as much charm as a preceptor finds it disgusting » (Laborde).


On the other hand, being a child himself, he knows better than the teacher the difficulties of the task, the pitfalls of the lesson, over which he has just stumbled. He will therefore lead his classmates more slowly, more surely, and be a better guide for them.

But teaching won’t be the only thing to benefit from the mutual system; school discipline and morals will also benefit. The child, submissive to his classmate, will obey him more readily than the teacher, since the young instructor owes his superiority solely to his own merit. Finally, the child, with his classmate who knows him well because he lives with him, will not have, as with the teacher, the resource of lying to hide his intimate thoughts or faults: and dissimulation, the social scourge that was learned from the school benches, will thus disappear from mutual establishments.

And Laborde concluded his apology for the method : in the new schools, « work is for them a game, science a struggle, authority a reward ».

The benefits of this teaching were not to be confined to the school: children returning home would in turn exert a happy influence on their parents, becoming « missionaries » of both morality and truth in their families.

Gontard wrote in 1956:

« And let no evil spirits say that these are the daydreams and utopias of idealists! There is irrefutable proof of the value of this method. Look at Scotland. At the end of the 17th century, it was a land of beggary and misery, living without law, without religion, without morals, men drinking, women blaspheming, all fighting. In 1815, thanks to the magic wand of the mutual school, Scotland became a paradise. « It is not uncommon in Scotland to find a shepherd reading Virgil… but it is almost unheard of to meet a malefactor there, »

Laborde agrees.

« Let’s develop the method in France and, by 1850, it will be a land of prosperity and happiness, from which immorality, fanaticism, revolutions and social unrest, all sons and daughters of ignorance, will be banished. »

In 1818, Joseph Hamel, in his report to the Emperor of Russia, notes:

« The method of mutual education has been introduced throughout France with a rapidity and success far greater than could reasonably be expected, and in less than three years more than 400 schools have already been founded. There is every reason to hope that, in the not-too-distant future, more than 2 million children who were still in complete ignorance will be able to receive the benefits of a free education, sufficient for their future vocation.« 

Right from the start, with Carnot and a generation of brilliant scientist coming out of Polytechnique, France was giving leadership !

Pupils of Polytechnique, pediment of the Panthéon in Paris, David d’Angers.


Amiens and the Somme department

Interesting in that regard, the following account of the adoption of mutual tuition methods in Amiens and the Somme department.

« On May 15, 1817, after much mistrust and hesitation, the Amiens town council founded a society to encourage elementary education in the department. More than ennobling the pupils’ souls, for the rector, it was a question of ‘giving the children of these workers an elementary education, [to prepare them] not only for the habit of order and subordination that is acquired in the mutual education schools and which they carry over to the workshops, but also to put them in a position to serve more usefully inside the factories, how to study the industrial processes whose preservation and improvement are so essential to national prosperity' ».

For the Rector, speed of acquisition was a guarantee of success for the new method compared to the « simultaneous method »:

« That a primary education which takes children away for whole years from work necessary for the family’s subsistence becomes for the poor a very onerous burden; but that experience teaches the father of a family that a few months will suffice to procure for his children an advantage which he has regretted so many times in the course of life not to have been able to enjoy himself, we must hope that he will not sway to make a slight sacrifice in order to obtain an important result ».

The manuel class, 1891. Girls school (Finistère).

These are mainly boys’ schools. There are a few girls’ schools and evening classes for adults. They mainly catered for the children of small craftsmen: dyers, octroi clerks, innkeepers, foremen, tailors, millers, dressmakers, coopers, dressmakers, locksmiths, butchers, spinners, ironers, laborers, car loaders, carpenters, booksellers, lamplighters, cutlers, bookbinders and so on.

At its peak, in 1821, mutual education in the Somme department included not one but 25 schools, 4 of them for girls (for a fee): 4 out of 10 were located in towns. In 1833, there were 16 more. The network shrank considerably thereafter, but did not disappear altogether. The last two schools in Amiens closed their doors involuntarily in 1879, and the one in Abbeville in 1880: until then, it played an important role in preparing candidates for examinations.

The Amiens Model School – the first provincial model school – prepares future teachers for the practice of mutual education. It was founded on May 26, 1817. It welcomed over 200 pupils. By 1818, 6 teachers from the Somme had graduated. Most of the teachers from the Aisne, Oise and Pas-de-Calais departments spent some time there before taking up their duties.

In 1831, when the Prefect created the Ecole normale de garçons, it was called the « Ecole normale primaire d’enseignement mutuel ». At first, it served as a training school: student teachers were required to visit the school once a week to observe and practice the mutual teaching method.


After the government reshuffles of 1817-1818, several SIE members were appointed to important ministries: Mathieu Molé (1778-1838) to the Navy, Laurent Gouvion-Saint-Cyr (1764-1830) to the War, Elie Decazes (1780-1860) above all to the Interior, the ministry on which primary education depended. Government support became systematic.

The Minister of the Interior supported the SIE de Paris and its subsidiaries with grants for school foundations and maintenance. He invited the prefects to contribute in any way they could to the development of the method. Prefects took the initiative in setting up local companies, and lobbied local assemblies for subsidies.

A growing number of General and Municipal Councils voted to set up mutual schools. Once a school had been founded, the local authorities (prefect and mayor) visited it and presided over the prize-giving ceremony. For its part, on July 22, 1817, the Commission d’Instruction Publique, which since 1815 had replaced the Grand Master of the University, decided to establish a model mutual-education school in the chief towns of France’s twelve Academies, as a breeding ground for future teachers. Other ministers, each in their own sphere, supported the method.

Molé, in charge of the colonies, founded mutual tuition schools in Senegal.

In 1818, Gouvion-Saint-Cyr established a full-fledged « Ecole normale militaire d’enseignement mutuel » in the caserne Babylone of Paris. Each regiment in Paris and the provinces was required to send one officer and one non-commissioned officer, who would return after a few months’ training to teach the troops the benefits of primary education.

In 1817-1818, mutual tuition triumphed. An irresistible enthusiasm carried France towards it. The network of schools continued to expand. From term to term, more and more reports arrived in Paris from the provinces, counting schools and their pupils.

It was a song of victory that Jomard could sing at the SIE meeting in January 1819. Of the 81 départements in France, only 5 had no mutual school; the other 76 had 687 schools, attended by over 40,000 pupils. There were also 105 regimental schools, 5 adult schools, 4 prison schools and 2 or 3 schools in Senegal.

Geographical Society of Paris (1821).

Exemplifying what was becoming a new Promethean paradigm of scientific optimism, on December 15, 1821, at a meeting at Paris City Hall, the Geographical Society was founded by 217 leading figures, including some of the greatest scientists of the day, such as Jomard, Champollion, Cuvier, Chaptal, Denon, Fourier, Gay Lussac, Berthollet, von Humboldt and Chateaubriand. Other illustrious members include Jean-Baptiste Charcot, Dumont d’Urville, Élisée Reclus and Jules Verne.

The collection and study of geographical data from many continents enabled certain members, such as Gustave Eiffel and Ferdinand de Lesseps, to propose major infrastructure projects, notably the Suez and Panama Canals.

15. Criticism

The first criticisms of mutual education came not from its failure, but from its success. The first « risk » was that the children, having learned too effectively and too quickly (2 to 3 times faster !), would return « to the streets » too soon, not yet being old enough to go to work!

Children weren’t « locked up » at school long enough, and so mutual education disturbed the existing social order. In 1818, the General Council of Calvados heard:

« The greatest service to be rendered to society would perhaps be to devise a method that would make instruction for the lower and indigent classes of society more difficult and time-consuming »…


The second « risk » was that, by continuing to use mutual education, these newly-educated people, mostly from the poorer classes, would become too intelligent, too « enlightened », and begin to express political or social demands, in particular that everyone should have the same rights as the better-off social classes.

Imagine the mess if the social order were challenged! French urban planner and sociologist Anne Querrien notes that, in fact, most of the organizers of the labor movement at the time came from the mutual school, where they had of course learned to read, write and count, but also to trust themselves and their comrades. The mutual school encouraged its pupils to think, and in particular to reflect on the organization of society, a society that assigned them a destiny of submission and obedience.


The influential theologian and politician Félicité Robert de Lamennais (1782-1854) said it loud and clearly :

« Lancaster-style schools are the craze of the day. All the authorities in this country, and especially the Prefect, are infatuated beyond expression. Hatred for priests has a lot to do with this mania. The fact is that everything good about this method has been practiced for over a century by the Brothers of the Christian Schools; the rest is pure charlatanism. There is talk of teaching children to read and write in four months: in the first place, this would be a great misfortune, for what can be done with such well-educated children, whose age would not yet allow them to work? Secondly, nothing could be further from the truth than these marvellous results. »

If one has « to decide between the instruction of Abbé de La Salle and that of Lancaster, the question is quite simple; it’s a question of choosing between society and anarchy ».


His brother, the vicar Jean-Marie de la Mennais (1780-1860), took the lead in what can only be described as a political witch-hunt. He said:

« Mutual education was introduced into France by Protestants during the disastrous Hundred Days. M. Carnot was then Minister of the Interior; under his auspices, the Société d’Encouragement, established to propagate this method, held its first meeting on May 16, 1815 ».

He struggled to prove that « the Lancastrian method is defective in its procedures, dangerous for religion and morals in its results » and in a brochure, De l’Enseignement mutuel, published in 1819 in Saint-Brieuc, Brittany, he vigorously attacked this teaching method.


It’s true that questioning authority and the established order is inherent to mutual education. The « simultaneous » method is based on the premise that to pass on knowledge, you need to be qualified (to be the teacher). Conversely, in the mutual school, the teacher is no longer the repository of knowledge, as each student can enlighten his or her classmates.

Another concern for the elites was that, with this method, children are merely instructed, not « educated », and no Christian moral education is imparted.

Last but not least, mutual teaching required fewer supervisors, given the pupils’ role as creators, transmitters and bearers of knowledge. Some may have feared for their jobs…

Brother’s schools.

In 1818, in his report to the Emperor of Russia, Joseph Hamel told the mutualists’ main opponents, the « Brothers of the Christian Schools », that they were almost entirely unaware of what they were denouncing. Hamel also points out that there are 40,000 communes to be provided with elementary school, and that the number of Brothers‘ schools « does not amount to more than one hundred in the kingdom… ».

On the negative side, what is striking, when examining the incriminations, is that one thing is said in the morning and its opposite in the afternoon. In the morning, it’s said that mutual education blurs minds by diluting the authority of teachers; in the afternoon, it’s asserted that it overly « militarizes » education through a totally hierarchical command structure!

On the question of « morality », Lazare Carnot would never have endorsed an education that ruined the Christian spirit, let alone the notion of legitimate authority, while vigorously combating those that lacked it, such as the Monarchy of divine right or the Consulate for life imposed by Napoleon. In the same way, in the morning, the mutualist system was accused of failing to transmit Christian « morals »; in the afternoon, it was seen as a Protestant plot…

And yet, the national impulse in favor of « the fatherland » and future generations has succeeded in uniting personalities from all political and religious backgrounds in a single effort.

Cuvier (Protestant) and Gérando (Catholic), both fervent republicans and promoters of the mutual mode, as well as the Inspector General of the University, Ambroise Rendu (1778-1860, Catholic), even took part in drafting the ordinance of February 29, 1816, promulgated by Louis XVIII and the Minister of the Interior, de Vaublanc (1756-1845).

Following massive pressure from the congregations, mutualist teachers Martin, Frossard and Bellot, all Protestants, were forced to leave their school headships. Martin went on to be very useful in other European countries, notably Brussels, where in 1820 he organized a mutual school at Les Minimes.

16. Mechanistic drift?

Without grasping the state of mind and enthusiasm that young polytechnicians might have had for the blossoming of an industrial culture and the wonders of machinismo, the defenders of a feudal France see only a « fundamentally mechanistic vision », when Jomard compares the mutual method to a machine, with its cogs and springs, of which the teacher is a mere operator:

« Once the school has been establisehd out and equipped with all the furniture it needs, all that remains to be done is to introduce the pupils and the teacher, and then to set in motion all the springs of this kind of mechanism, by means of the new practices ».

While Victor Hugo evoked a « happy swarm », Laborde was accused of a « mechanistic » drift when he compared the buzzing activity of pupils in English mutual schools to the noise of machines in cotton mills.

Communication, argued critiques, is « entirely mechanical and hierarchical ». It flows « only from the master or general instructor to the instructors and pupils, not in the other direction. It’s a means of action, not a means of exchange.« 

Let’s face it, any pedagogical approach, no matter which one, set up as a system and postulating that it’s « enough » to apply mechanically to a human being, can be horrifying. It’s easy, then, to accuse the mutual school of all the ills from which those who accused them suffered, perhaps even more so.

At the mutual school, corporal punishment is banned. It was a courageous decision that Octave Greard was quick to point out:

« It is one of the claims of the founders of the mutual schools to public recognition that they outlawed the corporal punishments, ferulas and whips, which were still in use, and we cannot be too grateful to them for having sought to replace in the hearts of pupils the feeling of fear with the feeling of honor, or, as M. de Laborde used to say, the feeling of well-administered shame ».

Knowing the immense happiness of the thousands of children who quickly gained access to a minimum of public instruction and experienced the indescribable joy of educating their peers, one can only suspect the pen of jealous congregations behind this poem falsely lamenting the misfortune of the poor little ones:

« This system, it is said, born of Anglomania,
Contrasts horribly with our genius.
There, everything is mechanism and our sad children
Seem like a machine, in the middle of their benches;
Their absurd discipline, and no doubt fatal,
Governs even the steps, the attitude or the gesture:
Today, we can prophesy the fate
Of this automaton people thus moved by spring ».

17. Death of Mutual Tuition in France

« Progrès des Lumières », print, 1819.

In 1815, after Waterloo, King Louis XVIII, who had fled, returned on July 8, 1815. Unlike his brother, the future Charles X, leader of the ultra-royalists, was fully aware that the history of the Revolution could not be erased. He realized that France could no longer be a country of « subjects », and that it had become a Nation. Hence the « Constitutional Charter » he promulgated, which had the force of a constitution. In the same spirit, in view of the popularity of mutual education, he granted it favors (subsidies, creation of model schools, protection from the Ministry of the Interior).

Mutual education soon lost its protectors, as the ministerial commission created by the decree of April 27 did not survive Napoleon’s fall in June 1815.

By the autumn of 1816, criticism was pouring in from the Congregationalists. The Grand Chaplain of France, Cardinal de Talleyrand-Périgord, Archbishop of Reims (John Baptist de La Salle’s birthplace…), for his part, addressed the King to express the alarm of Catholics.

By 1820, the SIE already had a network of 1,500 mutual schools, grouping together more than 170,000 pupils thanks to an audacious collective pedagogy. However, mutualism came under fire from the ultras, who considered it too liberal, too favorable to children’s autonomy and incapable of « raising youth in religious and monarchical sentiments ».

The child who leaves this school, they say, « is a learned parrot, without religious ideas, without moral values, more dangerous than the ignorant for the political and social order, since instruction has developed new needs in him, always ready to engage in new scenes of revolution or dechristianization. Ah, Carnot, the regicidal conventionalist and patron of mutual education, knew what he was up to when he introduced it into France with the decree of 1815! »

Jean-Baptiste de La Salle, founder of the « Brothers of the Christian Schools ».

As said earlier, in France, mutual tuition was seen as an aggression by the religious congregations who practiced « simultaneous teaching », codified as early as 1684 by Jean-Baptiste de La Salle (1651-1719) for Institute of the Brothers of the Christian Schools (Latin : Fratres Scholarum Christianarum; French Frères des Écoles Chrétiennes; Italian: Fratelli delle Scuole Cristiane, abbreviated FSC) : classes by age, division by level, fixed and individual places, strict discipline, repetitive and simultaneous work supervised by an inflexible master.

And the merits of the FSC’s schools and « simultaneous teaching », confirmed by centuries of experience, were considered in total opposition to those of mutual education, the « mania of the moment », and considered the work of « charlatans » speculating on primary education.

A fierce supporter of order and suspecting a vast Protestant plot against the Vatican, Pope Leo XII, the « Pope of the Holy Alliance », decided in Quod Divina Sapientia, his papal bull of August 28, 1824 (art. XXVII, 299), that « public schools of mutual instruction will be suppressed and abolished in all the Papal States. The bishops will prosecute those who continue to use this teaching method or who attempt to introduce it into their dioceses ».

In anticipation of the Papal Bull, the Ordinance of April 1824 placed mutual education in France under the strict supervision of the traditional Church, which took over the entire educational question. In August, just after Leo XII’s bull, a Ministry of « Ecclesiastical Affairs and Public Instruction » was created, a name that reflected the Church’s return to business. The accession of Charles X only exacerbated this situation. The Church of the time loved the Enlightenment, but above all it loved candlelight…

Catholic School at Versailles, painting by d’Antoinette Asselineau, 1839.


From then on, the schooling situation took a dramatic turn for the worse.

In 1828, of the 39,381 communes :

  • around 24,000 had boys’ schools, catering for 1,070,000 children ;
  • no more than 430,000 girls attended elementary school;
  • 15,381 communes have no boys’ schools ;
  • and perhaps 20,000 without girls’ schools;
  • 1,680,000 boys and 2,320,000 girls attend no school at all, making a total of 4 million.

Despite an upturn between 1828 and 1829, mutuellism was rejected, its schools closed one after the other (their number fell by three-quarters compared to 1820), although the electoral weight of the ultras diminished from election to election. However, the people’s educators resisted.

In the years following the 1830 revolution, over 2,000 mutual schools were still in operation, mainly in towns, in competition with the denominational schools promoted by the regime. Officially, the mutual school was not a guarantor of morality, and was said to be « industrial » and inhumane.

François Guizot.

Then came the famous « Guizot moment ». Although he had initially campaigned for the development of mutual education within the SIE, François Guizot (1787-1874), Louis-Philippe’s Minister of Public Instruction from 1832 onwards, gave mutual education the coup de grâce in France by having the « simultaneous » method endorsed as the only official teaching method.

Schools adopting mutual tuition were no longer subsidized, nor did they receive any support from the government or the Church. Faced with material difficulties, the majority of pupils mostly admitted free of charge had now to pay a fee. Many parents in need withdrew their children and sent them to the newly opened Brother of the Christian Schools, who had become free of charge…

The Church slanders, casts doubt on the morality of the teachers, tried to keep the children of Catholic families away from the « devil’s school », persecutes and threatens to keep them away from catechism and communion in order to break mutual tuition. Most of the teachers using that method felt obliged to bandon it and embrace the official « simultanous » method. With no more pupils, no more teachers, mutual schools gradually disappeared.

It was Guizot who put the final nail in the coffin of mutual tuition, creating the École normale des instituteurs in 1867 to train the future teachers of Jules Ferry’s school in the simultaneous method still the norm today.

The young Hippolyte Carnot also joined the SIE in order to reconnect, post mortem, with his father. In 1847, when he became Minister of Public Instruction under the Second Republic, he attempted to revive the mutual education cherished by his father Lazare Carnot, but although his work was great, his enemies were many and his term of office very short.

18. Conclusion

Education is in deep crisis. Everything that was largely accomplished by Lazare Carnot and his son Hippolyte has been systematically destroyed by the new church of our time: the financial, transhumanist and decadent oligarchy, having led the world to the brink of collapse, still determined to save its privileges by organizing the physical and moral ruin of humanity.

To rebuild an education worthy of the name, we are convinced that mutual education, provided it is adapted to our times, is an extremely promising avenue. Several African countries, currently lacking sufficient resources, are already taking inspiration from it.

Mutual tuition is not a relic of the past, but an experiment to be renewed to open the gates of the futur. For the Global South, still plagued by post-colonial exploitation, war and epidemics, education of this kind is the way to go: efficient, rapid and cheap but also humanizing and joyfull, it is the way to go.

It’s a message that Vincent Faillet, a young french teacher with a doctorate in education and training in the Paris region, who is reviving this method, cleary expresses in this video:

19. Short list of works consulted

Merci de partager !