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Derrière les « chevaux célestes » chinois, la science terrestre

Cheval volant de Gansu (porté par une alouette ou un autre oiseau sur lequel il pose son sabot…).

Nul besoin d’être anthropologue pour comprendre que l’histoire de l’humanité a radicalement changé avec la domestication du cheval, certaines choses considérées comme impossibles auparavant devenant, du jour au lendemain, la normalité.

Peinture rupestre (-36 000 ans), Grotte Chauvet, France.

La question de savoir quand et comment l’animal a été domestiqué reste sujet à controverse. Bien que des chevaux apparaissent dans l’art rupestre du paléolithique dès 36 000 ans avant notre ère (grotte Chauvet, France), il s’agissait alors de chevaux sauvages sans doute chassés pour leur viande.

Pour les zoologistes, la domestication se définit comme la maîtrise de l’élevage, pratique confirmée par des restes de squelettes anciens indiquant des changements dans la taille et la variabilité des populations de chevaux anciens.

Peinture rupestre montrant un guerrier à cheval (-10 000 ans), grotte du Bhimbetka, Inde.

D’autres chercheurs s’intéressent à des éléments plus généraux de la relation homme-cheval, notamment les preuves squelettiques et dentaires de l’activité professionnelle, les armes, l’art et les artefacts spirituels, ainsi que les modes de vie. Il est prouvé que les chevaux furent une source de viande et de lait avant d’être dressés comme animaux de travail.

En Inde, près de Bhopal, les abris-sous-roche du Bhimbetka, qui constituent le plus ancien art rupestre connu du pays (100 000 av. JC)), représentent des scènes de danse et de chasse de l’âge de pierre ainsi que des guerriers à cheval d’une époque plus tardive (10 000 av. JC).

Char tiré par des chevaux, art achéménide, Ve siècle av. JC.

Les preuves les plus évidentes de l’utilisation précoce du cheval comme moyen de transport sont les sépultures présentant des chevaux avec leurs chars. Les plus anciens vrais chars, datant d’environ 2000 av. JC, ont été retrouvés dans des tombeaux de la culture de Sintachta, dans des sites archéologiques situés le long du cours supérieur de la rivière Tobol, au sud-est de Magnitogorsk en Russie. Il s’agit de chars à roues à rayons tirés par deux chevaux.

Kazakhstan et Ukraine

Cheval de Przewalkski.

Jusqu’à récemment, on pensait que le cheval le plus communément utilisé aujourd’hui était un descendant des chevaux domestiqués par la culture de Botaï, vivant dans les steppes de la province d’Akmola au Kazakhstan.

Cependant, des recherches génétiques récentes (2021) indiquent que les chevaux de Botaï ne sont que les ancêtres du cheval de Przewalski, une espèce qui a failli disparaître.

Selon les chercheurs, notre cheval commun, Equus ferus caballus, aurait été domestiqué il y a 4200 ans en Ukraine, dans la région du Don-Volga, c’est-à-dire la steppe pontique-caspienne de l’Eurasie occidentale, vers 2200 av. JC. Au fur et à mesure de leur domestication, ces chevaux ont été régulièrement croisés avec des chevaux sauvages.

Il est intéressant de noter à cet égard que, selon « l’hypothèse kourgane » formulée par Marija Gimbutas en 1956, c’est depuis cette région que la plupart des langues indo-européennes se sont répandues dans toute l’Europe et certaines parties de l’Asie.

Le nom vient du terme russe d’origine turque, « kourgane », qui désigne les tumuli caractéristiques de ces peuples et qui marquent leur expansion en Europe.

La Route du thé, du cheval ou de la soie?

Ferdinand von Richthofen.

La description des échanges commerciaux, culturels et humains tout au long des « Routes de la soie » a fait couler beaucoup d’encre. Or, ce terme est récent. Ce n’est qu’en 1877 que le géographe allemand Ferdinand von Richthofen l’utilise pour la première fois afin de désigner ces axes Est-Ouest structurant les échanges mondiaux.

En réalité, il s’avère que l’une des principales marchandises échangées sur ladite Route de la soie était… les chevaux et autres animaux de labour (mules, chameaux, ânes et onagres).

Si l’on y échangeait effectivement la soie et le thé, ces produits constituaient, comme la porcelaine et l’or, un moyen pour régler d’autres achats, notamment les chevaux que les Chinois cherchaient à acquérir.

Ce que l’on appelait la « Route du thé et du cheval » (route de la soie du sud) partait de la ville de Chengdu, dans la province du Sichuan, en Chine, traversait le Yunnan vers le sud, jusqu’en Inde et dans la péninsule indochinoise, et s’étendait vers l’ouest jusqu’au Tibet.

C’était une route importante pour le commerce du thé en Chine du Sud et en Asie du Sud-Est, et elle a contribué à la diffusion de religions comme le taoïsme et le bouddhisme dans la région. Il est vrai que « Route de la soie » est plus poétique que « route du crottin » !

La Steppe et ses nomades

« Grande muraille » de Chine.

Constamment harcelée par les peuples nomades des steppes du Nord, la Chine entreprit la construction de sa Grande Muraille dès le VIIe siècle av. JC.

La liaison entre les premiers éléments fut réalisée par Qin Shi Huang (220-206 avant JC.), le premier empereur de Chine, et l’ensemble du mur, achevé sous la dynastie des Ming (1368-1644), est devenu l’un des exploits les plus remarquables de l’histoire humaine.

Le terme générique de « nomades eurasiens » englobe les divers groupes ethniques peuplant la steppe eurasienne, se déplaçant à travers les steppes du Kazakhstan, du Kirghizistan, du Tadjikistan, du Turkménistan, d’Ouzbékistan, de Mongolie, de Russie et d’Ukraine.

En domestiquant le cheval vers 2200 av. JC., ces peuples augmentèrent considérablement les possibilités de vie nomade.

Par la suite, leur économie et leur culture se concentrèrent sur l’élevage de chevaux, l’équitation et le pastoralisme nomade, permettant de riches échanges commerciaux avec les peuples sédentaires vivant en bordure de la steppe, que ce soit en Europe, en Asie ou en Asie centrale.

On pense qu’ils opéraient souvent sous forme de confédérations. Par définition, les nomades ne créent pas d’empires. Sans forcément les occuper, en contrôlant les points névralgiques, ils règnent en maître sur d’immenses territoires.

Ce sont eux qui développèrent le char, le chariot, la cavalerie et le tir à l’arc à cheval, introduisant des innovations telles que la bride, le mors, l’étrier et la selle, qui traversèrent rapidement toute l’Eurasie et furent copiées par leurs voisins sédentaires.

Durant l’âge du fer, des cultures scythes (iraniennes) apparurent parmi les nomades eurasiens, caractérisées par un art distinct, dont la joaillerie en or force l’admiration.

Le cheval en Chine

Les objets funéraires chinois fournissent une quantité extraordinaire d’informations sur le mode de vie des Chinois de l’Antiquité. La cavalerie militaire, mise sur pied dès le IIIe siècle avant J.C., s’y développe afin de faire face aux guerriers nomades et archers à cheval qui menacent la Chine le long de sa frontière septentrionale. Leurs grands et puissants chevaux étaient nouveaux pour les Chinois.

Échangés contre de la soie de luxe, comme nous l’avons dit, ils sont la première importation majeure en Chine depuis la Route de la soie. Des vestiges archéologiques montrent qu’en l’espace de quelques années, les merveilleux destriers arabes deviennent extrêmement populaires auprès des militaires et des aristocrates chinois, et les tombes des classes supérieures sont remplies de représentations de ces grands chevaux destinés à être utilisés dans l’au-delà. Ils restent cependant difficiles à trouver sur place…

Les diplomates chinois et le royaume de Dayuan (Ferghana)

Zhang Qian prenant congé de l’empereur Wu en -138, peinture murale des grottes de Mogao datant d’environ le VIIIe siècle.

À la fin du IIe siècle av. JC., Zhang Qian, diplomate et explorateur de la dynastie Han, se rend en Asie centrale et découvre trois civilisations urbaines sophistiquées créées par des colons grecs appelés Ioniens.

Le récit de sa visite en Bactriane, et son étonnement d’y trouver des marchandises chinoises sur les marchés (acquises via l’Inde), ainsi que ses voyages en Parthie et au Ferghana, sont conservés dans les œuvres de Sima Qian, l’historien des premiers Han.

Une touriste prend des photos d’une carte montrant le deuxième voyage de Zhang Qian vers l’Ouest. Photo prise au tombeau de Zhang Qian dans le comté de Chenggu de Hanzhong.

À son retour, son récit incite l’empereur chinois à envoyer des émissaires à travers l’Asie centrale pour négocier et encourager le commerce avec son pays. « Et c’est ainsi que naquit la route de la soie », affirment certains historiens.

Carte de la vallée de Ferghana.

Outre la Parthie et la Bactriane, Zhang Qian visite, dans la fertile vallée de Ferghana (aujourd’hui essentiellement au Tadjikistan), un État que les Chinois baptisèrent le royaume de Dayuan (« Da » signifiant « grand » et « Yuan » étant la translittération du sanskrit Yavana ou du pali Yona, utilisé dans toute l’Antiquité en Asie pour désigner les Ioniens, ou colons grecs).

Les Actes du grand historien et le Livre des Han décrivent Dayuan comme un pays de plusieurs centaines de milliers d’habitants, vivant dans 70 villes fortifiées de taille variable.

Princesse bactriane.

Ils cultivent le riz et le blé et produisent du vin à partir de leurs vignes. Ils avaient des traits caucasiens et des « coutumes identiques à celles de la Bactriane » (l’État le plus hellénistique de la région depuis Alexandre le Grand), dont l’épicentre se trouve alors au nord de l’Afghanistan. (voir notre article)

En outre, le diplomate chinois rapporte un fait d’un grand intérêt stratégique : la présence, dans la vallée de la Ferghana, de chevaux incroyables, rapides et puissants, élevés par ces Ioniens !

Expansion de la dynastie des Hans.

Or, comme nous l’avons déjà dit, la Chine, se sentant menacée en permanence par les peuples nomades des steppes, était en train de construire sa Grande Muraille. Elle avait également conscience de son infériorité militaire par rapport aux nomades des steppes et déplorait son manque cruel de puissants chevaux.

Sans oublier que, dans l’échelle des valeurs chinoises, le cheval possédait une valeur spirituelle et symbolique presque aussi forte que le dragon : il pouvait voler et représentait l’esprit divin et créatif de l’univers lui-même, chose essentielle pour tout empereur désireux d’acquérir aussi bien la sécurité militaire pour son empire que son immortalité personnelle.

Bref, posséder de bons chevaux est alors une question allant au-delà de la sécurité nationale, tout en l’incluant. À tel point qu’en 100 av. JC., lorsque le souverain de la vallée de Ferghana refuse de lui fournir des chevaux de qualité, la dynastie Han déclenche contre Dayuan la « guerre des chevaux célestes ».

Guerre des chevaux célestes



C’est un conflit militaire qui se déroule entre 104 et 102 av. JC. entre la Chine et Dayuan, Etat peuplé d’Ioniens (entre l’Ouzbékistan, le Kirghizstan et le Tadjikistan actuels

Tout d’abord, l’empereur Wu décide d’infliger une défaite décisive aux nomades des steppes, les Xiongnu, qui harcèlent la dynastie Han depuis des décennies.

Pour les faire plier, en 139 av. JC, il envoie le diplomate Zhang Qian avec pour mission d’arpenter l’ouest et d’y forger une alliance militaire avec les nomades chinois Yuezhi contre les Xiongnu.

Zhang Qian, comme nous l’avons dit, se rend en Parthie, en Bactriane et à Dayuan. À son retour, il impressionne l’empereur en lui décrivant les « chevaux célestes » de la vallée de Ferghana, qui pourraient grandement améliorer la qualité des montures de la cavalerie Han lors des combats contre les Xiongnu.

La cour des Han envoie alors jusqu’à dix groupes de diplomates pour acquérir ces « chevaux célestes ».

Cheval céleste.


Une mission commerciale et diplomatique arrive donc à Dayuan avec 1000 pièces d’or et un cheval d’or pour acheter les précieux animaux. Dayuan, qui était à cette époque l’un des États les plus occidentaux à avoir des émissaires à la cour des Han, commerce déjà avec eux depuis un certain temps à son grand avantage. Non seulement sa population accède aux marchandises orientales, mais apprend des soldats Han la fonte des métaux pour fabriquer des pièces et des armes. Cependant, contrairement aux autres envoyés à la cour des Han, ceux de Dayuan ne se conforment pas aux rituels des Han et se montrent arrogants, pensant que leur pays est trop éloigné pour avoir à craindre une invasion.

Dès lors, dans un élan de folie et par pure arrogance, le roi du Dayuan non seulement refuse le marché, mais confisque l’or. Les envoyés des Han maudissent les hommes de Dayuan et brisent le cheval d’or qu’ils avaient amené. Furieux de cet acte de mépris, les nobles de Dayuan ordonnent aux militaires de Yucheng, qui se trouvent à leur frontière orientale, d’attaquer les envoyés, de les tuer et de s’emparer de leurs marchandises.

Humiliée et furieuse, la cour des Han envoie alors une armée dirigée par le général Li Guangli pour soumettre Dayuan, mais leur première incursion s’avère mal organisée et insuffisamment approvisionnée.

Deux ans plus tard, une seconde expédition, plus importante et mieux approvisionnée, parvient à assiéger la capitale des Dayuan, « Alexandria Eschate » (aujourd’hui proche de Khodjent, au Tadjikistan), forçant les Dayuan à se rendre sans condition.

Le général Li Guangli.



Les forces expéditionnaires y installent alors un régime pro-Han et repartent avec 3000 chevaux. Il n’en restera que 1000 à leur arrivée en Chine, en 101 av. JC.

Le Dayuan accepte également d’envoyer chaque année deux chevaux célestes à l’empereur et des semences de luzerne sont ramenées en Chine, fournissant des pâturages de qualité supérieure pour élever de beaux chevaux afin de fournir une cavalerie capable de faire face aux Xiongnu qui menacent le pays.

Les chevaux ont depuis lors captivé l’imagination populaire en Chine, inspirant des sculptures, faisant l’objet d’élevage dans le Gansu et dotant la cavalerie de 430 000 chevaux de ce type sous la dynastie des Tang.

La Chine et la Révolution agricole

Après avoir imposé son rôle dans la stratégie militaire pour les siècles à venir, le cheval devient, avec la maîtrise de l’eau, le facteur clé permettant d’accroître la productivité agricole.

Contrairement aux Romains, qui préféraient utiliser du « bétail humain » (esclaves) plutôt que des animaux (qu’ils élevaient pour les courses), les Chinois ont contribué de façon décisive à la survie de l’humanité avec deux innovations cruciales concernant l’attelage des chevaux.

Rappelons que pendant toute l’Antiquité, que ce soit en Égypte ou en Grèce, charrues et chariots sont tirés à l’aide d’une bande de cuir encerclant le cou de l’animal.

Cet attelage s’apparente au joug utilisé pour les bœufs, la charge étant attachée au sommet du collier, au-dessus du cou. Le cheval se trouvant ainsi constamment étranglé, ce système réduit considérablement sa capacité à travailler, et plus il tire, plus il a du mal à respirer.

En raison de cette contrainte physique, le bœuf restera l’animal préféré pour les travaux lourds tels que le labourage. Cependant, il est lent, difficile à manœuvrer et n’a pas l’endurance du cheval, qui est deux fois supérieure pour une puissance équivalente.

La Chine aurait d’abord inventé la « bricole », large courroie de cuir enserrant le poitrail du cheval, ce qui était un premier pas dans la bonne direction.

La « bricole » sous la dynastie Han.

Au Ve siècle, la Chine invente « le collier d’épaule », conçu comme un ovale rigide qui s’adapte au cou et aux épaules du cheval sans lui couper le souffle.

Il présente les avantages suivants :
— Il soulage la pression exercée sur la gorge du cheval, libérant les voies respiratoires de toute constriction, ce qui améliore considérablement le débit d’énergie de l’animal.
— Les traits peuvent être attachés de chaque côté du collier, ce qui permet au cheval de pousser sur ses pattes postérieures, plus puissantes, au lieu de tirer avec celles de devant, plus faibles.

Vous me direz qu’il s’agit là d’une simple anecdote. Vous avez tort, car ce qui semble n’être qu’un changement mineur aura des conséquences gigantesques.

La Renaissance européenne

Miniature montrant un cheval de trait.

Dans le cadre d’une alliance stratégique et d’une coopération avec le califat humaniste des Abbassides de Bagdad (voir notre article), Charlemagne et ses successeurs ont défriché de vastes terrains pour l’agriculture, amélioré l’usage de l’eau et généralisé le collier d’épaule pour les chevaux de trait.

Grâce à ce nouvel outil beaucoup plus efficace, les agriculteurs européens ont pu tirer pleinement parti de la force du cheval, qui sera alors capable de tirer une autre innovation récente, la lourde charrue. Cela s’est avéré particulièrement appréciable pour les sols durs et argileux, ouvrant de nouvelles terres à l’agriculture.

Le collier, la charrue lourde et le fer à cheval ont contribué à l’essor de la production agricole.

Entre l’an 1000 et l’an 1300, les rendements agricoles ont été multipliés par trois, autant que la population d’Europe et de France.

Ainsi, entre l’an 1000 et l’an 1300, on estime qu’en Europe, les rendements agricoles ont triplé, permettant de nourrir un nombre croissant de citoyens dans les villes urbaines apparues au XVe siècle et de donner le coup d’envoi à la Renaissance européenne. Merci la Chine !

Certains chiffres laissent néanmoins perplexes :

–Il aura fallu des milliers d’années à l’humanité pour domestiquer le cheval, en 2200 av. JC. (bien après la vache).
— Il faudra encore 2700 ans à l’humanité pour trouver, au Ve siècle de notre ère, la façon la plus efficace d’utiliser sa force motrice…

Le passage d’une plateforme d’infrastructure inférieure à une plate-forme d’infrastructure supérieure peut certes prendre un certain temps. Les nouvelles plateformes supérieures d’aujourd’hui s’appellent l’espace et l’énergie de fusion.

N’attendons pas encore un millénaire pour savoir comment les utiliser correctement !

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How Jacques Cœur put an end to the Hundred Years’ War

The life of Jacques Cœur (1400-1456), a simple shoemaker’s son who became the King’s treasurer and whose motto was « A vaillans cuers, riens impossible » (To a valiant heart, nothing is impossible),
has much to inspire us today.

Without waiting for the end of the Hundred Years’ War (1337-1453), Jacques Cœur, an intelligent and energetic man of whom no portrait or treatise exists, decided to rebuild a ruined, occupied and tattered France.


Not only a merchant, but also a banker, land developer, shipowner, industrialist and master of mines in Forez, Jacques Coeur was a contemporary of Joan of Arc (1412-1431), who lived in 1429 in Coeur’s native city of Bourges.

First and foremost, he entered into collaboration with some of the humanist popes of the Renaissance, patrons of the scientific genius Nicolaus Cusanus and the painter Piero della Francesca. With Europe threatened with implosion and chaos, their priority was to put an end to interminable warfare and unify Christendom.

Secondly, following in the footsteps of Saint-Louis (King Louis IX), Cœur was one of the first to fully assume France’s role as a naval power. Finally, thanks to an intelligent foreign exchange policy and by taking advantage of the maritime and overland Silk Roads of his time, he encouraged international trade. In Bruges, Lyon and Geneva, he traded silk and spices for cloth and herring, while investing in sericulture, shipbuilding, mining and steelmaking.

Paving the way for the reign of Louis XI, and long before Jean Bodin, Barthélémy de Laffemas, Sully and Jean-Baptiste Colbert, his mercantilism heralded the political economy concepts later perfected by the German-American economist Friedrich List or the first American Secretary of the Treasury, Alexander Hamilton.

We will concentrate here on his vision of man and economy, leaving aside important subjects such as the trial against him, his relationship with Agnès Sorel and Louis XI, to which many books have been dedicated.

Jacques Cœur’s palace in Bourges, a residence where he rarely stayed.

Jacques Cœur (1400-1454) was born in Bourges, where his father, Pierre Cœur, was a merchant pelletier. Of modest income, originating from Saint-Pourçain, he married the widow of a butcher, which greatly improved his status, as the butchers’ guild was particularly powerful.

The Hundred Years’ War

The early XVth century was not a particularly happy time. The « Hundred Years’ War » pitted the Armagnacs against the Burgundians allied with England. As with the great systemic bankruptcy of the papal bankers in 1347, farmland was plundered or left fallow.

While urbanization had thrived thanks to a productive rural world, the latter was deserted by farmers, who joined the hungry hordes populating towns lacking water, hygiene and the means to support themselves. Epidemics and plagues became the order of the day; cutthroats, skinners, twirlers and other brigands spread terror and made real economic life impossible.

Jacques Cœur was fifteen years old when one of the French army’s most bitter defeats took place in France. The battle of Agincourt (1415) (Pas-de-Calais), where French chivalry was routed by outnumbered English soldiers, marked the end of the age of chivalry and the beginning of the supremacy of ranged weapons (bows, crossbows, early firearms, etc.) over melee (hand-to-hand combat). A large part of the aristocracy was decimated, and an essential part of the territory fell to the English. (see map)

King Charles VII

Portrait of King Charles VII by Jean Fouquet.

In 1418, the Dauphin, the future Charles VII (1403-1461), as he is known thanks to a painting by the painter Jean Fouquet, escaped capture when Paris was taken by the Burgundians. He took refuge in Bourges, where he proclaimed himself regent of the kingdom of France, given the unavailability of his insane father (King Charles VI), who had remained in Paris and fallen to the power of John the Fearless, Duke of Burgundy.

The dauphin probably instigated the latter’s assassination on the Montereau bridge on September 10, 1419. By his ennemies, he was derisively nicknamed « the little King of Bourges ». The presence of the Court gave the city a boost as a center of trade and commerce.

Considered one of the most industrious and ingenious of men, Jacques Coeur married in 1420 Macée de Léodepart, daughter of a former valet to the Duke of Berry, who had become provost of Bourges.

As his mother-in-law was the daughter of a master of the mints, Jacques Coeur’s marriage in 1427 left him, along with two partners, in charge of one of the city’s twelve exchange offices. His position gave rise to much jealousy. After being accused of not respecting the quantity of precious metal contained in the coins he produced, he was arrested and sentenced in 1428, but soon benefited from a royal pardon.

Yolande d’Aragon

Yolande d’Aragon in front of the Virgin and Child.

Although the Treaty of Troyes (1420) disinherited the dauphin from the kingdom of France in favor of a younger member of the House of Plantagenets, Charles VII nonetheless proclaimed himself King of France on his father’s death on October 21, 1422.

The de facto leader of the Armagnac party, retreating south of the Loire, saw his legitimacy and military situation considerably improved thanks to the intervention of Joan of Arc (1412-1431), operating under the benevolent protection of an exceptional world-historic person: the dauphin’s mother-in-law Yolande of Aragon (1384-1442), Duchess of Anjou, Queen of Sicily and Naples (Note 1).

Backed and guided by Yolande, Jeanne helped lift the siege of Orléans and had Charles VII crowned King of France in Reims in July 1429. In the mean time Yolande d’Aragon established contacts with the Burgundians in preparation for peace, and picked Jacques Coeur to be part of the Royal Court (Note 2).

The contemporary chronicler Jean Juvenal des Ursins (1433–44), Bishop of Beauvais described Yolande as « the prettiest woman in the kingdom. » Bourdigné, chronicler of the house of Anjou, says of her: « She who was said to be the wisest and most beautiful princess in Christendom. » Later, King Louis XI of France recalled that his grandmother had « a man’s heart in a woman’s body. »

A twentieth-century French author, Jehanne d’Orliac wrote one of the few works specifically on Yolande, and noted that the duchess remains unappreciated for her genius and influence in the reign of Charles VII. « She is mentioned in passing because she is the pivot of all important events for forty-two years in France », while « Joan [of Arc] was in the public eye only eleven months. »

Journey to the Levant

In 1430, Jacques Cœur, already renowned as a man « full of industry and high gear, subtle in understanding and high in comprehension; and all things, no matter how high, knowing how to lead by his work » (Note N° 3), with Barthélémy and Pierre Godard, two Bourges notables, set up,

« a company for all types of merchandise, especially for the King our lord, my lord the Dauphin and other lords, and for all other things for which they could provide proof ».

In 1431, Joan of Arc was handed over to the English by the Burgundians and burned alive at the stake in Rouen. One year later, in 1432, Jacques Cœur went to the Levant. A diplomat and humanist, Cœur went as an observer of customs as well as economic and political life.

His ship coasted from port to port, skirting the Italian coast as closely as possible, before rounding Sicily and arriving in Alexandria, Egypt. At the time, Alexandria was an imposing city of 70,000 inhabitants, bustling with thousands of Syrian, Cypriot, Genoese, Florentine and Venetian ships.

Port of Alexandria in the XVIth century.

In Cairo, he discovered treasures arriving from China, Africa and India via the Red Sea. Around the Sultan’s Palace, Armenian, Georgian, Greek, Ethiopian and Nubian merchants offered precious stones, perfumes, silks and carpets. The banks of the Nile were planted with sugar cane and the warehouses full of sugar and spices.

Selling Silver at the Price of Gold

« Gros de roi », a silver coin made in Lyon, issued in 1447.

To understand Jacques Coeur’s financial strategy, a few words about bimetallism. At the time, unlike in China, paper money was not widely used. In the West, everything was paid for in metal coins, and above all in gold.

According to Herodotus, Croesus issued silver and pure gold coins in the 6th century BC. Under the Roman Empire, this practice continued. However, while gold was scarce in the West, silver-lead mines were flourishing.

Added to this, in the Middle Ages, Europe saw a considerable increase in the quantities of silver coinage in circulation, thanks to new mines discovered in Bohemia. The problem was that in France, national production was not sufficient to satisfy the needs of the domestic market. As a result, France was obliged to use its gold to buy what was lacking abroad, thus driving gold out of the country.

According to historians, during his trip to Egypt, Coeur observed that the women there dressed in the finest linens and wore shoes adorned with pearls or gold jewels. What’s more, they loved what was fashionable elsewhere, especially in Europe. Coeur was also aware of the existence of poorly exploited silver and copper mines in the Lyonnais region and elsewhere in France.

Historian George Bordonove, in his book Jacques Coeur, trésorier de Charles VII (Jacques Coeur, treasurer of Charles VII), reckons that Coeur was quick to note that the Egyptians « strangely preferred silver to gold, bartering silver for equal weight ». whereas in Europe, the exchange rate was 15 volumes of silver for one volume of gold !

In other words, he realized that the region « abounded in gold », and that the price of silver was very advantageous. The opportunity to enrich his country by obtaining a « golden » price for the silver and copper extracted from the French mines must have seemed obvious to him

What’s more, in China, only payments in silver were accepted. In other words, the Arab-Muslim world had gold, but lacked silver for its trade with the Far East, hence its huge interest in acquiring it from Europe…

Lebanon, Syria and Cyprus

Umayyad Mosque in Damascus.

Cœur then travels via Beirut to Damascus in Syria, at the time by far the biggest center of trade between East and West.

The city is renowned for its silk damasks, light gauze veils, jams and rose essences. Oriental fabrics were very popular for luxury garments.

Europe was supplied with silk and gold muslin from Mosul, damasks with woven motifs from Persia or Damascus, silks decorated with baldacchino figures, sheets with red or black backgrounds adorned with blue and gold birds from Antioch, and so on.

The « Silk Road » also brought Persian carpets and ceramics from Asia. The journey continues to another of the Silk Roads’ great maritime warehouses: Cyprus, an island whose copper had offered exceptional prosperity to the Minoan, Mycenaean and Phoenician civilizations.

The best of the West was bartered here for indigo, silk and spices.

Genoa and Venice

Genoese trade expansion.

During his voyage, Coeur also discovered the maritime empires of Venice and Genoa, each enjoying the protection of a Vatican dependent on these financial powers.

The former, to justify their lucrative trade with the Muslims, claimed that « before being Christian », they were Venetians…

Like the British Empire, the Venetians promoted total free trade to subjugate their victims, while applying fierce dirigisme at home and prohibitive taxes to others. Any artist or person divulging Venetian know-how suffered terrible consequences.

Venice, outpost of the Byzantine Empire and supplier to the Court of Constantinople, a city of several million inhabitants, developed fabric dyeing, manufactured silks, velvets, glassware and leather goods, not to mention weapons. Its arsenal employs 16,000 workers.

Port of Genoa.

Its rival, Genoa, with its highly skilled sailors and cutting-edge financial techniques, had colonized the Bosphorus and the Black Sea, from where treasures from Persia and Muscovy flowed. They also shamelessly engaged in the slave trade, a practice they would pass on to the Spanish and especially the Portuguese, who held a monopoly on trade with Africa.

Avoiding direct confrontation with such powers, Cœur kept a low profile. The difficulty was threefold: following the war, France was short of everything! It had no cash, no production, no weapons, no ships, no infrastructure!

So much so, in fact, that Europe’s main trade route had shifted eastwards. Instead of taking the route of the Rhône and Saône rivers, merchants passed through Geneva, and up the Rhine to Antwerp and Bruges. Another difficulty was soon added: a royal decree prohibited the export of precious metals! But what immense profits the Kingdom could draw from the operation.

The Oecumenial Councils

Council of Constance (1414-18).

On his return from the Levant, France’s history accelerated. While preparing the economic reforms he wanted, Jacques Cœur also became involved in the major issues of the day. Through his brother Nicolas Cœur, the future bishop of Luçon, he played an important role in the process initiated by the humanists to unify the Western Church in the face of the Turkish threat.

Since 1378, there had been two popes, one in Rome and the other in Avignon. Several councils attempted to overcome the divisions. Nicolas Cœur attended them. First there was the Council of Constance (1414 to 1448), followed by the Council of Basel (1431), which, after a number of interruptions, was transferred to Florence (1439), establishing a doctrinal « union » between the Eastern and Western churches with a decree read out in Greek and Latin on July 6, 1439, in the cathedral of Santa Maria del Fiore, i.e. under the dome of Florence’s dome, built by Brunelleschi.

The central panel of the Ghent polyptych (1432), painted by the diplomatic painter Jan Van Eyck on the theme of the Lam Gods (the Lamb of God or Mystic Lamb), symbolizes the sacrifice of the Son of God for the redemption of mankind, and is capable of reuniting a church torn apart by internal differences. Hence the presence, on the right, of the three popes, here united before the Lamb. Van Eyck also painted portraits of Cardinal Niccolo Albergati, one of the instigators of the Council of Florence, and Chancellor Rolin, one of the architects of the Peace of Arras in 1435.

The Peace treaty of Arras

Proclamation of the Peace of Arras in Reims.

To achieve this, the humanists concentrated on France. First, they were to awaken Charles VII. After the victories won by Joan of Arc, wasn’t it time to win back the territories lost to the English?

However, Charles VII knew that peace with the English depended on reconciliation with the Burgundians. He therefore entered into negotiations with Philip the Good, Duke of Burgundy.

The latter no longer expected anything from the English, and wished to devote himself to the development of his provinces. For him, peace with France was a necessity. He therefore agreed to treat with Charles VII, paving the way for the Arras Conference in 1435.

This was the first European peace conference. In addition to the Kingdom of France, whose delegation was led by the Duke of Bourbon, Marshal de La Fayette and Constable Arthur de Richemont, and Burgundy, led by the Duke of Burgundy himself and Chancellor Rolin, it brought together Emperor Sigismund of Luxembourg, Mediator Amédée VIII of Savoy, an English delegation, and representatives of the kings of Poland, Castile and Aragon.

Although the English left the talks before the end, thanks to the skill of the scholar Aeneas Silvius Piccolomini, at that cardinal of Cyprus (and futur Pope Pius II) and spokesman for the Council of Basel, the signing of the Treaty of Arras in 1435 led to a peace agreement between the Armagnacs and the Burgundians, the first step towards ending the Hundred Years’ War.

In the meantime, the Council of Basel, which had opened in 1431, dragged on but came to nothing, and on September 18, 1437, Pope Eugene IV, advised by cardinal philosopher Nicolaus Cusanus and arguing the need to hold a council of union with the Orthodox, transferred the Council from Basel to Ferrara and then Florence. Only the schismatic prelates remained in Basel. Furious, they « suspended » Eugene IV and named the Duke of Savoy, Amédée VIII, Felix V, as the new pope. This « anti-pope » won little political support. Germany remained neutral, and in France, Charles VII confined himself to implementing many of the reforms decreed in Basel by the Pragmatic Sanction of Bourges on July 13, 1438.

King’s Treasurer and Great State Servant

One of the corridors of the Palais Jacques Cœur in Bourges. The roof, in the shape of a ship’s hull, bears witness to his great passion for maritime affairs.

In 1438, Cœur became Argentier de l’Hôtel du roi. L’Argenterie was not concerned with the kingdom’s finances. Rather, it was a sort of commissary responsible for meeting all the needs of the sovereign, his servants and the Court, for their daily lives, clothing, armament, armor, furs, fabrics, horses and so on.

Cœur was to supply the Court with everything that could neither be found nor manufactured at home, but which he could bring in from Alexandria, Damascus and Beirut, at the time major nodal points of the Silk Road by land and sea, where he set up his commercial agents, his « facteurs » (manufacturers).

Following this, in 1439, after having been appointed Master of the Mint of Bourges, Jacques Cœur became Master of the Mint in Paris, and finally, in 1439, the King’s moneyer. His role was to ensure the sovereign’s day-to-day expenses, which involved making advances to the Treasury and controlling the Court’s supply channels.

Then, in 1441, the King appointed him commissioner of the Languedoc States to levy taxes. Cœur often imposed taxes without ever undermining the productive reconstruction process. And in times of extreme difficulty, he would even lend money, at low, long-term rates, to those who had to pay it.

Ennobled, Coeur became the King’s strategic advisor in 1442. He acquired a plot of land in the center of Bourges to build his « grant’maison », currently the Palais Jacques Coeur. This magnificent edifice, with fireplaces in every room and an oven supplying the rest and bath room with hot water, has survived the centuries, although Coeur rarely had the occasion to live there.

Coeur is a true grand state servitor, with broad powers to collect taxes and negotiate political and economic agreements on behalf of the king. Having reached the top, Coeur is now in the ideal position to expand his long-cherished project.

Rule over Finance

On September 25, 1443, the Grande Ordonnance de Saumur, promulgated at Jacques Coeur’s instigation, put the state’s finances on a sounder footing.

As Claude Poulain recounts in his biography of Jacques Coeur:

« In 1444, after affirming the fundamental principle that the King alone had the right to levy taxes, but that his own finances should not be confused with those of the kingdom, a set of measures was enacted that affected the French at every level. »

These included: « Commoners owning noble fiefs were obliged to pay indemnities; nobles who had received seigneuries previously belonging to the royal domain would henceforth be obliged to share in the State’s expenses, on pain, once again, of seizure; finally, the kingdom’s financial services were organized, headed by a budget committee made up of high-ranking civil servants, ‘Messieurs des Finances’. »

In clear, the nobility was henceforth obliged to pay taxes for the Common Good of the Nation !

The King’s Council of 1444, headed by Dunois, was composed almost exclusively, not of noblement but of commoners (Jacques Coeur, Jean Bureau, Étienne Chevalier, Guillaume Cousinot, Jouvenel des Ursins, Guillaume d’Estouteville, Tancarville, Blainville, Beauvau and Marshal Machet). France recovered and enjoyed prosperity.

If France’s finances recovered, besides « taxing the rich », it was above all thanks to strategic investments in infrastructure, industry and trade. The revival of business activity enabled taxes to be brought in. In 1444, he set up the new Languedoc Parliament in conjunction with the Archbishop of Toulouse and, on behalf of the King, presided over the Estates General.

Master Plan


In reality, Jacques Cœur’s various operations, sometimes mistakenly considered to be motivated exclusively by his own personal greed, formed part of an overall plan that today we would describe as « connectivity » and at the service of the « physical economy ».

The aim was to equip the country and its territory, notably through a vast network of commercial agents operating both in France and abroad from the major trading cities of Europe (Geneva, Bruges, London, Antwerp, etc.), the Levant (Beirut and Damascus) and North Africa (Alexandria, Tunis, etc.), in order to promote win-win trade. ), to promote win-win trade, while reinvesting part of the profits in improving national productivity: mining, metallurgy, arms, shipbuilding, training, ports, roads, rivers, sericulture, textile spinning and dyeing, paper, etc.

Mining

Mining sites around Lyon.

Of special interest were the silver mines of Pampailly, in Brussieu, south of l’Arbresle and Tarare, 25 kilometers west of Lyon, acquired and exploited as early as 1388 by Hugues Jossard, a Lyonnais jurist. They were very old, but their normal operation had been severely disrupted during the war. In addition, there were the Saint-Pierre-la-Palud and Joux mines, as well as the Chessy mine, whose copper was also used for weapons production.

Jacques Cœur made them operational. Near the mines, « martinets » – charcoal-fired blast furnaces – transformed the ore into ingots. Cœur brought in engineers and skilled workers from Germany, at the time a region far ahead of us in this field. However, without a pumping system, mining was no picnic.

Under Jacques Cœur’s management, the workers benefited from wages and comforts that were absolutely unique at the time. Each bunk had its own feather bed or wool mattress, a pillow, two pairs of linen sheets and blankets, a luxury that was more than unusual at the time. The dormitories were heated.

High quality food was provided to the laborers: bread containing four-fifths wheat and one-fifth rye, plenty of meat, eggs, cheese and fish, and desserts included exotic fruits such as figs and walnuts. A social service was organized: free hospitalization, care provided by a surgeon from Lyon who kept accident victims « en cure ». Every Sunday, a local priest came to celebrate a special mass for the miners. On the other hand, workers were subject to draconian discipline, governed by fifty-three articles of regulation that left nothing to chance.

The Ports of Montpellier and Marseille

On his return from the Levant in 1432, Jacques Coeur chose to make Montpellier the nerve center of his port and naval operations.

In principle, Christians were forbidden to trade with Infidels. However, thanks to a bull issued by Pope Urban V (1362-1370), Montpellier had obtained the right to send « absolved ships » to the East every year. Jacques Cœur obtained from the Pope that this right be extended to all his ships. Pope Eugene IV, by derogation of August 26, 1445, granted him this benefit, a permission renewed in 1448 by Pope Nicholas V.

At the time, only Montpellier, in the middle of the east-west axis linking Catalonia to the Alps (the Roman Domitian Way) and whose outports were Lattes and Aigues-Mortes, had a hinterland with a network of roads that were more or less passable, an exceptional situation for the time.

In 1963, it was discovered that at the site of the village of Lattes (population 17,000), 4 km south of today’s Montpellier and on the River Lez, there had been an Etruscan port city called Lattara, considered by some to be the first port in Western Europe. The city was built in the last third of the VIth century BC. A city wall and stone and brick houses were built. Original objects and graffiti in Etruscan – the only ones known in France – have suggested that Etrurian brokers played a role in the creation and rapid urbanization of the settlement.

Model of the Etruscan port of Lattara, founded in the 6th century BC and, according to some, the first port in Western Europe. (Today known as Lattes, 4 km south of Montpellier).

Trading with the Greeks and Romans, Lattara was a very active Gallic port until the 3rd century AD. Then maritime access changed, and the town fell into a state of numbness.

In the 13th century, under the impetus of the Guilhem family, lords of Montpellier, the port of Lattes was revitalized, only to regain its splendor when Jacques Cœur set up his warehouses there in the 15th century.

As for the port of Aigues-Mortes, built from top to bottom by Saint-Louis in the XIIIth century for the crusades, it was also one of the first in France. To connect the two, Saint-Louis dug the canal known as « Canal de la Radelle » (today’s Canal de Lunel), which ran from Aigues-Mortes across the Lake of Mauguio to the port of Lattes. Cœur restored this river-port complex to working order, notably by building Port Ariane in Lattes.

The Roman trade axis, Via Domitia.

Over the following centuries, these disparate elements of canals and water infrastructure will become an efficient network built around the Canal du Rhône à Sète, a natural extension of the « bi-oceanic » Canal du Midi (between the Meditteranean and the Atlantic) begun by Jean-Baptiste Colbert (see map).

Coeur had the local authorities involved in his project, shaking Montpellier out of its age-old lethargy. At the time, the town had no market or covered sales buildings. Also lacking were moneychangers, shipowners and other cloth merchants.

Montpellier: remnants of Jacques Cœur’s residence, now the Hôtel des Trésoriers de la Bourse.
Hôtel de Varenne in Montpellier.

In Montpellier, an entire district of merchants and warehouses was erected him, the Great Merchants Lodge, modeled on those in Perpignan, Barcelona and Valencia.

Numerous houses in Béziers, Vias and Pézenas also belonged to him, as did residences in Montpellier, including the Hôtel des Trésoriers de France, which, it is said, was topped by a tower so high that Jacques Cœur could watch his ships arrive at the nearby Port of Lattes.

And yet, as an old merchant and industrial city, Montpellier had long been home to Italians, Catalans, Muslims and Jews, who enjoyed a tolerance and understanding that was rare at the time. It’s easy to see why François Rabelais felt so at home here in the XVIth century.

Port of Marseille

Port of Marseille.

The hinterland was rich and industrious. It produced wine and olive oil, in other words, exportable goods. Its workshops produced leather, knives, weapons, enamels and, above all, drapery.

From 1448 onwards, faced with the limitations of the system and the constant silting-up of the port infrastructure, Coeur moved one of his agents, the navigator and diplomat Jean de Villages, his nephew by marriage, to the neighboring port of Marseille, at that time outside the Kingdom, to the home of King René d’Anjou, where port operations were easier, a deep harbor protected from the Mistral by hills and a port equipped with waterfront shops and storehouses. The boost that Jacques Coeur gave to Montpellier’s port Lattes, Jean de Villages, on Coeur’s behalf, immediately gave to Marseille.

Shipbuilding

Good ports mean ocean-going ships! Hence at that time, the best France could do was build a few river barges and fishing boats.

To equip himself with a fleet of ocean-going vessels, Cœur ordered a « galéasse » (an advanced model of the ancient three-masted « galley », designed primarily for boarding) from the Genoa arsenals.

The Genoese, who saw only immediate profit in the project, soon discovered that Coeur had had the shapes and dimensions of their ship copied by local carpenters in Aigues Mortes!

Furious, they landed at the shipyard and took it back, arguing that Languedoc merchants had no right to fit out ships and trade without the prior approval of the Doge of Venice!


Stained glass window of a ship (a caraque) in the Palais de Jacques Cœur in Bourges.

After complicated negotiations, but with the support of Charles VII, Coeur got his ship back. Cœur let the storm pass for a few years. Later, seven great ships would leave the Aigues-Mortes shipyard, including « La Madeleine » under the command of Jean de Villages, a great sailor and his loyal lieutenant.

Judging by the stained-glass window and bas-relief in the Palais de Coeur in Bourges, these were more like caraques, North Sea vessels with large square sails and much greater tonnage than galleasses. But that’s not all!

Having understood perfectly well that the quality of a ship depends on the quality of the wood with which it is built, Cœur, with the authorization of the Duke of Savoy, had his wood shipped from Seyssel. The logs were floated down the Rhône, then sent to Aigues-Mortes via the canal linking the town to the river.

The crews

One last problem remained to be solved: that of crews. Jacques Cœur’s solution was revolutionary: on January 22, 1443, he obtained permission from Charles VII to forcibly embark, in return for fair wages, the « idle vagabonds and caimans » who prowled the ports.

To understand just how beneficial such an institution was at the time, we need to remember that France was being laid to waste by bands of plunderers – the routiers, the écorcheurs, the retondeurs – thrown into the country by the Hundred Years’ War. As always, Coeur behaves not only according to his own personal interests, but according to the general interests of France.

Connecting France to the Silk Road

Cairo Citadel

Now with financial clout, ports and ships at his disposal, Cœur organized win-win commercial exchanges and, in his own way, involved France in the land and Maritime Silk Road of the time. First and foremost, he organized « détente, understanding and cooperation » with the countries of the Levant.

After diplomatic incidents with the Venetians had led the Sultan of Egypt to confiscate their goods and close his country to their trade, Jacques Coeur, a gentleman but also in charge of a Kingdom that remained dependent on Genoa and Venice for their supplies of arms and strategic raw materials, had his agents on site mediating a happy end to the incident.

Seeing other potential conflicts that could disrupt his strategy, and possibly inspired by Admiral Zheng He‘s great Chinese diplomatic missions to Africa from 1405 onwards, he convinced the king to send an ambassador to Cairo in the person of Jean de Villages, his loyal lieutenant.

The latter handed over to the Sultan the various letters he had brought with him. Flattered, the Sultan handed him a reply to King Charles VII:

« Your ambassador, man of honor, gentleman, whom you name Jean de Villages, came to mine Porte Sainte, and presented me your letters with the present you mandated, and I received it, and what you wrote me that you want from me, I did.

« Thus I have made a peace with all the merchants for all my countries and ports of the navy, as your ambassador knew to ask of me… And I command all the lords of my lands, and especially the lord of Alexandria, that he make good company with all the merchants of your land, and on all the others having liberty in my country, and that they be given honor and pleasure; and when the consul of your country has come, he will be in favor of the other consuls well high…

« I send you, by the said ambassador, a present, namely fine balsam from our holy vine, a beautiful leopard and three bowls (cups) of Chinese porcelain, two large dishes of decorated porcelain, two porcelain bouquets, a hand-washer, a decorated porcelain pantry, a bowl of fine green ginger, a bowl of almond stones, a bowl of green pepper, almonds and fifty pounds of our fine bamouquet (fine balsam), a quintal of fine sugar. Dieu te mène à bon sauvement, Charles, Roy de France. »

Syria was a pioneer in sericulture, so much so that any silk fabric, monochromatic in color with a satin weave, is called « damask », bringing out a contrast of brilliance between the background and the pattern formed by the weave.

To the Orient, Coeur exported furs, leathers and, above all, cloth of all kinds, notably Flanders cloth and Lyon canvas. His « factors » also offered Egyptian women dresses, coats, headdresses, ornaments and jewels from our workshops. Then came basketry from Montpellier, oil, wax, honey and flowers from Spain for the manufacture of perfumes.

From the Near East, he received animal-figured silks from Damascus (Syria), fabrics from Bukhara (Uzbekistan) and Baghdad (Iraq); velvet; wines from the islands; cane sugar; precious metals; alum; amber; coral; indigo; coral; indigo from Baghdad; madder from Egypt; shellac; perfumes made from the essence of the flowers he exported; spices – pepper, ginger, cloves, cinnamon, jams, nutmegs, etc. – and more.

From the Far East, by the Red Sea or by caravans from the Euphrates and Turkestan, came to him: gold from Sudan, cinnamon from Madagascar, ivory from Africa, silks from India, carpets from Persia, perfumes from Arabia – later evoked by Shakespeare in Macbeth – precious stones from India and Central Asia, lapis lazuli from Afghanistan, pearls from Ceylon, porcelain and musk from China, ostrich feathers from the black Sudan.

Manufactures

As we saw in the case of mining, Coeur had no hesitation in attracting foreigners with valuable know-how to France to launch projects, implement innovative processes and, above all, train personnel. In Bourges, he teamed up with the Balsarin brothers and Gasparin de Très, gunsmiths originally from Milan. After convincing them to leave Italy, he set up workshops in Bourges, enabling them to train a skilled workforce. To this day, the Bourges region remains a major center of arms production.

In the early days of printing in Europe, Coeur bought a paper mill in Rochetaillée, on the Saône near Lyon.

Le livre des propriétés des choses, Teinturiers au travail, manuscript copied and painted in Bruges, completed in 1482. London, British Library © The British Library Board/Leemage.

In Montpellier, he took an interest in the dyeing factories, once renowned for their cultivation of madder, a plant that had become acclimatized in the Languedoc region.

It’s easy to understand why Cœur had his agents buy indigo, kermes seeds and other coloring substances. The aim was to revive the manufacture of cloth, particularly scarlet cloth, which had previously been highly sought-after.

With this in mind, he built a fountain, the Font Putanelle, near the city walls, to serve the population and the dyers.

In Montpellier, he also teamed up with Florentine charterers based in the city, for maritime expeditions.

Through their intermediary, Coeur personally traveled to Florence in 1444, registering both his associate Guillaume de Varye and his own son Ravand as members of the « Arte della Seta » (silk production corporation), the prestigious Florentine guild whose members were the only ones authorized to produce silk in Florence.

Coeur engaged in joint ventures, as he often did in France, this time with Niccolo Bonnacorso and the Marini brothers (Zanubi and Guglielmo). The factory, in which he owned half the shares, manufactured, organized and controlled the production, spinning, weaving and dyeing of silk fabrics.

It is understood that Coeur was also co-owner of a gold cloth factory in Florence, and associated in certain businesses with the Medici, Bardi and Bucelli bankers and merchants. He was also associated with the Genevese and Bruges families.

Going International

Jacques Coeur organized a vast distribution network to sell his goods in France and throughout Europe. At a time when passable roads were extremely rare, this was no easy task. Most roads were little more than widened paths or poorly functioning tracks dating back to the Gauls.

Cœur, who had his own stables for land transport, renovated and expanded the network, abolished internal tolls on roads and rivers, and re-established the collection (abandoned during the Hundred Years’ War) of taxes (taille, fouage, gabelle) to replenish public finances.

Jacques Cœur’s network was essentially run from Bourges. From there, on the French level, we could speak of three major axes: the north-south being Bruges-Montpellier, the east-west being Lyon-Tours. Added to this was the old Roman road linking Spain (Barcelona) to the Alps (Briançon) via Languedoc.

From Bourges, for example, the Silverware, which served the Court, was transferred to Tours. This was only natural, since from 1444 onwards, Charles VII settled in a small castle near Tours, Plessis-les-Tours. So it was at the Argenterie de Tours that the exotic products the Court was so fond of were stocked. This did not prevent the goods from being shipped on to Bruges, Rouen or other towns in the kingdom.

Counters also existed in Orléans, Loches, Le Mans, Nevers, Issoudun and Saint-Pourçain, birthplace of the Coeur family, as well as in Fangeaux, Carcassonne, Toulouse, Bordeaux, Limoges, Thouars, Saumur, Angers and Paris.

Orléans and Bourges stocked salt from Guérande, the Vendée marshes and the Roche region. In Lyon, salt from the Camargue and Languedoc saltworks. River transport (on the Loire, Rhône, Saône and Seine rivers) doubled the number of road carts.

The great crane of Bruges. Miniature from the early 16th century.

Jacques Coeur revived and promoted trade fairs. Lyon, with its rapid growth, geographic location and proximity to silver-lead and copper mines, was a particularly active trading post. Goods were shipped to Geneva, Germany and Flanders.

Montpellier received products from the Levant. However, trading posts were set up all along the coast, from Collioure (then in Catalonia) to Marseille (at the home of King René d’Anjou), and inland as far as Toulouse, and along the Rhône, in particular at Avignon and Beaucaire.

A trading post was set up in La Rochelle for the salt trade, certainly with a view to expanding maritime traffic. Jacques Cœur also had « factors » in Saint-Malo, Cherbourg and Harfleur. After the liberation of Normandy, these three centers grew in importance, and were joined by Exmes. In the north-east, Reims and Troyes are worth mentioning. They manufactured cloth and canvas. Abroad, Geneva was a first-rate trading post, as the city’s fairs and markets had already acquired an international character.

Coeur also had a branch in Bruges, bringing back spices and silks from the Levant, and shipping cloth and herring from there.

Member cities of the Hanseatic League.

The fortunes of Bruges, like many other towns in Flanders, came from the cloth industry. The city flourished, and the power of its cloth merchants was considerable. In the 15th century, Bruges was one of the lungs of the Hanseatic League, which brought together the port cities of northern Europe.

Bruges in the XVth century. On the left, the Genoese factorie; on the right, opposite, the Florentine factorie.
Hof Blandelin in Bruges. Built in 1435, the building housed the branch of the Medici Bank in 1466.

It was in Bruges that business relations were handled, and loan and marine insurance contracts drawn up. After cloth, it was the luxury industries that ensured its prosperity, with tapestries. By land, it took less than three weeks to get from Bruges to Montpellier via Paris.

Between 1444 and 1449, during the Truce of Tours between France and the English, Jacques Coeur tried to build peace by forging trade links with England.

Coeur sent his representative Guillaume de Mazoran. His other trusted associate, Guillaume de Varye, began trading in sheets from London in February 1449. He also bought leather, cloth and wool in Scotland. Some went to La Rochelle, others to Bruges.

Internationally, Coeur continued to expand, with branches in Barcelona, Naples, Genoa (where a pro-French party was formed) and Florence.

At the time of his arrest in 1451, Jacques Coeur had at least 300 « factors » (associates, commercial agents, financial representatives and authorized agents), each responsible for his own trading post in his own region, but also running « factories » on the spot, promoting meetings and exchanges of know-how between all those involved in economic life. Several thousand people associated and cooperated with him in business.

The Military Reform that saved the Nation

Charles VII’s ordinance of April 8, 1448 created the Franc-Archers (free archers), a popular army that could be mobilized in the event of war.

Cœur used the profits from this lucrative business to serve his country. When in 1449, at the end of the truce, the English troops were left to their own devices, surviving by pillaging the areas they occupied, Agnès Sorel, the king’s mistress, Pierre de Brézé, the military leader, and Jacques Cœur, encouraged the king to launch a military offensive to finally liberate the whole country.

Coeur declared bluntly:

« Sire, under your shadow, I acknowledge that I have great proufis and honors, and mesme, in the land of the Infidels, for, for your honor, the souldan has given me safe-conduct to my galleys and factors… Sire, what I have, is yours. »

We’re no longer in 1435, when the king didn’t have a kopeck to face strategic challenges. Jacques Coeur, unlike other great lords, according to a contemporary account,

« spontaneously offered to lend the king a mass of gold, and provided him with a sum amounting, it is said, to around 100,000 gold ecus to use for this great and necessary purpose ».

Under the advice of Jacques Coeur and others, Charles VII was to carry out a decisive military reform.

On November 2, 1439, at the Estates General that had been meeting in Orleans since October of that year, Charles VII ordered a reform of the army following the Estates General’s complaint about the skinners and their actions.

As Charles V (the Wise) had tried to do before him, he set up a system of standing armies that would engage these flayers full-time against the English. The nobility got in the king’s way. In fact, they often used companies of skinners for their own interests, and refused to allow the king alone to be responsible for recruiting the army.

In February 1440, the king discovered that the nobles were plotting against him. Contemporaries named this revolt the Praguerie, in reference to the civil wars in Prague’s Hussite Bohemia.

Yolande d’Aragon passed away in November 1442, but Jacques Coeur would continue pressuring the King to go ahead with the required reforms.

Following the Truce of Tours in 1444, an ordinance was issued on May 26 announcing no general demobilization should occur; instead, the best of the larger units were reconstituted as “companies of the King’s ordinance » (Compagnies d’Ordonnance),” which were standing units of cavalry well selected and well equipped; they served as local guardians of peace at local expense. This consisted of some 10,000 men organized into 15 Ordonnance companies, entrusted to proven captains. These companies were subdivided into detachments of ten to thirty lances, which were assigned to garrisons to protect the towns’ inhabitants and patrol the countryside. In a territory similarly patrolled by the forerunners of our modern gendarmerie, robbery and plunder quickly ceased.

Crossbowman loading his weapon.

Although still a product of the nobility, this new military formation was the first standing army at the disposal of the King of France. Previously, when the king wished to wage war, he called upon his vassals according to the feudal custom of the ban. But his vassals were only obliged to serve him for forty days. If he wished to continue the war, the king had to recruit companies of mercenaries, a plague against which Machiavelli would later warn his readers. When the war ended, the mercenaries were dismissed. They then set about plundering the country. This is what happened at the start of the Hundred Years’ War, after the victories of Charles V and Du Guesclin.

Then, with the Ordinance of April 8, 1448, the Francs-Archers corps was created. The model for the royal « francs archiers » was probably taken from the militia of archers that the Dukes of Brittany had been raising, by parish, since 1425.

The Ordinance stipulated that each parish or group of fifty or eighty households had to arm, at its own expense, a man equipped with bow or crossbow, sword, dagger, jaque and salad, who had to train every Sunday in archery. In peacetime, he stays at home and receives no pay, but in wartime, he is mobilized and receives 4 francs a month. The Francs-Archers thus formed a military reserve unit with a truly national character.

As writes the Encyclopedia Brittanica:

« With the creation of the “free archers” (1448), a militia of foot soldiers, the new standing army was complete. Making use of a newly effective artillery, its companies firmly in the king’s control, supported by the people in money and spirit, France rid itself of brigands and Englishmen alike. »

At the same time, artillery grandmaster Gaspard Bureau and his brother Jean (Note N° 4) developed artillery, with bronze cannons capable of firing cast-iron cannonballs, lighter hand cannons, the ancestors of the rifle, and very long cannons or couleuvrines that could be dragged on wagons and taken to the battlefield.

As a result, when the time came to go on the offensive, the army went into battle. From all over the country, the Francs-Archers, made up of commoners trained in every region of France rather than nobles, began to converge on the north.

The war was on, and this time, « the gale changed sides ». The merciless French army, armed to the highest standards, pushed its opponents to the limit. This was particularly true at the Battle of Formigny near Bayeux, on April 15, 1450. It was a kind of Azincourt in reverse, with English losses amounting to 80% of the forces engaged, with 4,000 killed and 1,500 taken prisoner. At last, towns and strongholds returned to the Kingdom!

Helping a Humanist Pope

As mentioned above, the Council of Basel had ended in discord. On the one hand, with the support of Charles VII and Jacques Coeur, Eugene IV was elected Pope in Rome in 1431. On the other, in Basel, an assembly of prelates meeting in council sought to impose themselves as the sole legitimate authority to lead Christendom. In 1439, the Council declared Eugene IV deposed and appointed « his » own pope: the Duke of Savoy, Amédée VIII, who had abdicated and retired to a monastery. He became pope under the name of Felix V.

His election was based solely on the support of theologians and doctors of the universities, but without the support of a large number of prelates and cardinals.

In 1447, King Charles VII commissioned Jacques Coeur to intervene for Eugene IV’s return and Felix V’s renunciation. With a delegation, he went to Lausanne to meet Felix V. While the talks were going well, Eugene IV died. As Felix V saw no further obstacles to his pontificate, the Pontifical Council in Rome quickly proceeded to elect a new pope, the humanist scholar Nicholas V (Tommaso Parentucelli).

To make France’s case to him, Charles VII sent Jacques Coeur at the head of a large delegation. Before entering the Eternal City, the French formed a procession.

The parade was sumptuous: more than 300 horsemen, dressed in bright, shimmering colors, bearing weapons and glittering jewels, mounted on richly caparisoned horses, dazzled and impressed the whole of Rome, except for the English, who saw themselves doubled by the French to serve the Pope’s mission.

From the very first meeting, Nicholas V was charmed by Jacques Coeur. Slightly ill, Coeur was treated by the pope’s physician. Thanks to information obtained from the Pontiff, notably on the limits of concessions to be made, Coeur’s delegation subsequently obtained the withdrawal of Felix V, with whom Coeur remained on good terms.

The humanist Pope Nicholas V, fresco by Fra Angelico, one of the painters he protected. Fresco in the Nicoline Chapel in the Vatican.

Nicholas V, it should be remembered, was a happy exception. Nicknamed the « humanist pope », he knew Leonardo Bruni (Note N° 5), Niccolò Niccoli (Note N° 6) and Ambrogio Traversari (Note N° 7) in Florence, in the entourage of Cosimo de’ Medici.

With the latter and Eugenio IV, whose right-hand man he was, Nicholas V was one of the architects of the famous Council of Florence, which sealed a « doctrinal union » between the Western and Eastern Churches. (Note N° 8)

Elected pope, Nicholas V considerably increased the size of the Vatican Library. By the time of his death, the library contained over 16,000 volumes, more than any other princely library.

He welcomed the erudite humanist Lorenzo Valla to his court as apostolic notary. Under his patronage, the works of Herodotus, Thucydides, Polybius and Archimedes were reintroduced to Western Europe. One of his protégés, Enoch d’Ascoli, discovered a complete manuscript of Tacitus’ Opera minora in a German monastery.

In addition to these, he called to his court a whole series of scholars and humanists: the scholar and former chancellor of Florence Poggio Bracciolini, the Hellenist Gianozzo Manetti, the architect Leon Battista Alberti, the diplomat Pier Candido Decembrio, the Hellenist Giovanni Aurispa, the cardinal-philosopher Nicolas de Cues, founder of modern science, and Giovanni Aurispa, the first to translate Plato’s complete works from Greek into Latin.

Nicholas V also made gestures to his powerful neighbors: at the request of King Charles VII, Joan of Arc was rehabilitated.

Later, when he sought refuge in Rome, Jacques Coeur was received by Nicholas V as if he was a member of his family.

The Coup d’Etat against Jacques Coeur

Jacques Coeur’s adventurous life ended as if in a cloak-and-dagger novel. On July 31, 1451, Charles VII ordered his arrest and seized his possessions, from which he drew one hundred thousand ecus to wage war.

The result was one of the most scandalous trials in French history. The only reason for the trial was political. The hatred of the courtiers, especially the nobles, had built up. By making each of them a debtor, Coeur, believing he had made allies of them, made terrible enemies. By launching a number of national products, he undermined the financial empires of Genoa, Venice and Florence, which eternally sought to enrich themselves by exporting their products, notably silk, to France.

One of the most relentless, Otto Castellani, a Florentine merchant, treasurer of finances in Toulouse but based in Montpellier, and one of the accusers whom Charles VII appointed as commissioner to prosecute Jacques Coeur, practiced black magic and pierced a wax figure of the silversmith with needles!

Lastly, Charles VII undoubtedly feared collusion between Jacques Coeur and his own son, the Dauphin Louis, future Louis XI, who was stirring up intrigue after intrigue against him.

In 1447, following an altercation with Agnès Sorel, the Dauphin had been expelled from the Court by his father and would never see him again. Jacques Cœur lent money to the Dauphin, with whom he kept in touch through Charles Astars, who looked after the accounts of his mines.

« Trade with infidels », « Lèse majesté », « export of metals », and many other pretexts, the reasons put forward for Jacques Coeur’s trial and conviction are of little interest. They are no more than judicial window-dressing. The proceedings began with a denunciation that was almost immediately found to be slanderous.

Tomb of Agnès Sorel, Collégiale Saint-Ours, Loches.

A certain Jeanne de Mortagne accused Jacques Coeur of having poisoned Agnès Sorel, the king’s mistress and favorite, who died on February 9, 1450. This accusation was implausible and devoid of any serious foundation; for, having placed all her trust in Jacques Coeur, she had just appointed him as one of her three executors.

Coeur is imprisoned for a dozen equally questionable reasons. When he refused to admit what he was accused of, he was threatened with « the question » (torture). Confronted by the executioners, the accused, trembling with fear, claims that he « relies » on the words of the commissioners charged with breaking him.

A miniature representing Christ (in front of the Palais Jacques Cœur in Bourges) on his way to the Mount of Calvary…

His condemnation came on the same day as the fall of Constantinople, May 29, 1453. Only the intervention of Pope Nicholas V saved his life. With the help of his friends, he escaped from his prison in Poitiers, and took the route of the convents, including Beaucaire, to Marseille for Rome.

Pope Nicholas V welcomed him as a friend. The pontiff died and was succeeded by his successor. Jacques Cœur chartered a fleet in the name of his illustrious host, and set off to fight the infidels. Jacques Coeur, we are told, died on November 25, 1456 on the island of Chios, a Genoese possession, during a naval battle with the Turks.

The great King Louis XI, unloved son of Charles VII, as evidenced by his ordinances in favor of the productive economy, would continue the recovery of France begun by Jacques Coeur. Many of Coeur’s collaborators soon entered his service, including his son Geoffroy, who, as cupbearer, became Louis XI’s most trusted confidant.

Charles VII, by letters patent dated August 5, 1457, restored to Ravant and Geoffroy Coeur a small portion of their father’s property. It was only under Louis XI that Geoffroy obtained the rehabilitation of his father’s memory and more complete letters of restitution.

NOTES:

  1. During the five years between Joan of Arc’s first appearances and her departure for Chinon, several people attached to the Court stayed in Lorraine, including René d’Anjou, the youngest son of Yolande d’Aragon. While Charles VII remained undecided, his mother-in-law welcomed La Pucelle with maternal solicitude, opening doors for her and lobbying the king until he deigned to receive her. During the Poitiers trial, when Jeanne’s virginity had to be verified, she presided over the council of matrons in charge of the examination. She also provided financial support, helped her gather her equipment, provided safe stopping points on the road to Orléans, and gathered food and relief supplies for the besieged. To this end, she did not hesitate to open her purse wide, even going so far as to sell her jewelry and golden tableware. Yolande’s support was rewarded on April 30, 1429 with the liberation of Orléans, followed on July 17 by the King’s coronation in Reims. Although many of her contemporaries praised her simplicity, her closeness to her subjects and the warmth of her court, Yolande d’Aragon was a stateswoman. And whatever sympathy she may have felt for her protégée, she would not hesitate to abandon her to her sad fate when her warlike impulses no longer accorded with her own political objectives : to negociate a peaceful alliance with the Duchy of Burgundy. The Duchess knew how to be implacable, and like her comrades-in-arms, the Church and the King himself, she abandoned La Pucelle to the English, to Cauchon, to her trial and to the stake. For more: Gérard de Senneville, Yolande d’Aragon : La reine qui a gagné la guerre de Cent Ans, Editions Perrin)
  2. Georges Bordonove, Jacques Coeur, trésorier de Charles VII, p. 90, Editions Pygmalion, 1977).
  3. Description given by the great chronicler of the Dukes of Burgundy, Georges Chastellain (1405-1475), in Remontrances à la reine d’Angleterre.
  4. Jean Bureau was Charles VII’s grand master of artillery. On the occasion of his coronation in 1461, Louis XI knighted him and made him a member of the King’s Council. Louis XI stayed at Jean Bureau’s Porcherons house in northwest Paris after his solemn entry into the capital. Jean Bureau’s daughter Isabelle married Geoffroy Coeur, son of Jacques.
  5. Leonardo Bruni succeeded Coluccio Salutati as Chancellor of Florence, having joined his circle of scholars, which included Poggio Bracciolini and the erudite Niccolò Niccoli, to discuss the works of Petrarch and Boccaccio. Bruni was one of the first to study Greek literature, and contributed greatly to the study of Latin and ancient Greek, offering translations of Aristotle, Plutarch, Demosthenes, Plato and Aeschylus.
  6. Niccolò Niccoli built up one of the most famous libraries in Florence, and one of the most prestigious of the Italian Renaissance. He was assisted by Ambrogio Traversari in his work on Greek texts (a language he did not master). He bequeathed this library to the Florentine Republic on condition that it be made available to the public. Cosimo the Elder de’ Medici was entrusted with implementing this condition, and the library was entrusted to the Dominican convent of San Marco. Today, the library is part of the Laurentian Library.
  7. Prior General of the Camaldolese Order, Ambrogio Traversari was, along with Jean Bessarion, one of the authors of the decree of church union. According to the Urbino court historian Vespasiano de Bisticci, Traversari gathered in his convent at San Maria degli Angeli near Florence. There, Traversari brought together the heart of the humanist network: Nicolaus Cusanus; Niccolo Niccoli, who owned an immense library of Platonic manuscripts; Gianozzi Manetti, orator of the first Oration on the Dignity of Man; Aeneas Piccolomini, the future Pope Pius II; and Paolo dal Pozzo Toscanelli, the physician-cartographer and future friend of Leonardo da Vinci, whom Piero della Francesca also frequented.
  8. Philosophically speaking, reminding the whole of Christendom of the primordial importance of the concept of the filioque, literally « and of the son », meaning that the Holy Spirit (divine love) came not only from the Father (infinite potential) but also from the Son (its realization, through his son Jesus, in whose living image every human being had been created), was a revolution. Man, the life of every man and woman, is precious because it is animated by a divine spark that makes it sacred. This high conception of each individual was reflected in the relationship between human beings and their relationship with nature, i.e., the physical economy.

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Mutazilisme et astronomie arabe, deux astres brillants au firmament de la civilisation

Par Karel Vereycken
(Same article in English)

PROLOGUE

« L’encre du savant est préférable au sang du martyr »

« Demandez la science du berceau jusqu’à la tombe. »

« Cherchez le savoir serait-ce jusqu’en Chine, s’il le faut. »


(Paroles généralement attribuées au Prophète)

Nous vivons une époque d’une stupidité cruelle. Alors que l’histoire de la civilisation se caractérise par des apports culturels multiples permettant un infini et magnifique enrichissement mutuel, tout est fait pour nous déshumaniser.

A force de médiatiser les dérives les plus extrêmes, notamment en prétendant que tel ou tel acte abject ou barbare a été commis « au nom de » telle ou telle croyance ou religion, tout est fait pour nous monter les uns contre les autres. Sans réaction de notre part, le fameux « choc des civilisations », conçu par l’islamologue britannique Bernard Lewis (le maître à penser d’Henry Kissinger, de Zbigniew Brzezinski et de Samuel Huntington) comme un outil maléfique de manipulation géopolitique, deviendra alors une prophétie auto-réalisatrice.

INTRODUCTION

Afin de combattre les préjugés et les raccourcis dangereux sur « l’islam » (avec 1,6 milliard de croyants une part non-négligeable de la population mondiale), voici un bref aperçu des apports majeurs de la civilisation arabo-musulmane.

En rappelant l’apport de l’âge d’or de l’Islam, notamment l’astronomie arabe et la philosophie mutaziliste, il s’agit de pleinement reconnaître que —tout comme Memphis, Thèbes, Alexandrie, Athènes et Rome— Bagdad, Damas et Cordoue furent des creusets majeurs d’une civilisation universelle, aujourd’hui la nôtre.

Si, en Europe, on a fini par reconnaître que l’invention de l’imprimerie avait vu le jour en Chine bien avant Gutenberg, et que l’Amérique avait été fréquentée bien avant l’arrivée de Christophe Colomb, certains persistent à affirmer que les Arabes n’ont contribué en rien aux progrès de la science.

Pendant les 1300 ans séparant l’astronome romain, le grec d’Alexandrie Claude Ptolémée (env. 100-178 apr. JC), du Polonais Nicolas Copernic (1473-1543), ce fut, nous dit-on, « un trou noir » en Europe.

Poussant la caricature de l’arrogance occidentale, Alfred Koestler, écrira dans son livre Les Somnanbules (1958) :

Les Arabes n’avaient guère été que des intermédiaires : les légataires universels de cet héritage (des Grecs). Ils avaient fait preuve d’assez peu d’originalité scientifique (…) aux mains des Arabes et des Juifs qui le conservèrent deux ou trois siècles, ce vaste ensemble de connaissances demeura stérile.

Définitivement, il faut être né au bon endroit pour pouvoir entrer dans l’histoire… Etude d’Al-Biruni sur les phases de la Lune.

Or, contrairement à Koestler, Copernic était parfaitement familiarisé avec l’astronomie arabe puisqu’en 1543, dans son De Revolutionibus, il cite toute une série de scientifiques du monde arabo-musulman, plus précisément Al-Battani, al-Bitruji, al-Zarqallu, Ibn Rushd (Averroès) et Thabit ibn Qurra. Copernic se réfère également à al-Battani dans son Commentariolus, un manuscrit publié à titre posthume.

Si Nicolas de Cues (1401-1464) cite Ibn Sina, Johannes Kepler (1571-1630), se réfère à Ibn Al-Haytam pour ses travaux sur l’optique.

En vérité, Copernic et Kepler, dont il ne s’agit pas de nier le génie, ont formulé leurs réponses à partir des questions posées par plusieurs générations d’astronomes arabes dont l’apport reste largement inexploré. A ce jour, avec environ 10 000 manuscrits conservés à travers le monde, dont une grande partie n’a toujours pas fait l’objet d’un inventaire bibliographique, le corpus astronomique arabe constitue l’une des composantes les mieux préservées de la littérature scientifique médiévale.

Science et religion contre esclavage

Bilal ibn-Raba, un esclave affranchi nommé premier muezzin.

Avant d’examiner les apports de l’astronomie arabe, quelques réflexions sur le lien entre l’islam et le développent des sciences.

Selon la tradition, c’est en 622 de notre ère que le prophète Mahomet et ses compagnons quittent La Mecque pour se mettre en route vers une simple oasis qui deviendra la ville de Médine. Si cet événement est connu sous le nom de « l’Hégire », mot arabe pour émigration, rupture ou exil, c’est également parce que Mahomet vient de rompre avec un modèle sociétal établi sur les liens du sang (organisation clanique), en faveur d’un modèle de communauté de destin fondé sur la croyance.

Dans ce nouveau modèle religieux et sociétal, où tous sont censés être « frères », il n’est plus permis d’abandonner le démuni ou le faible comme c’était le cas auparavant.

Les clans puissants de La Mecque vont tout faire pour éliminer cette nouvelle forme de société qui diminue leur influence, car l’égalité entre tous les croyants est proclamée lors de la rédaction de la Constitution de Médine, qu’ils soient libres ou esclaves, arabes ou non-arabes.

Le Coran prône d’ailleurs la stricte égalité entre Arabes et non-Arabes en conformité avec la parole du Prophète :

L’Arabe n’est pas meilleur que le non-Arabe, ou le non-Arabe que l’Arabe, le blanc au-dessus du Noir ou le Noir au-dessus du Blanc, excepté par la piété.

(Rapporté par Al Bayhaqi et authentifié par Cheikh Albani dans Silsila Sahiha n°2700).

Si par la suite, l’esclavage et la traite négrière ont pu être, hélas, une pratique courante dans presque tous les pays musulmans, on ne peut pas accuser le prophète. Zayd Ibn Harithah, nous dit la tradition, après avoir été l’esclave de Khadija, la femme de Mahomet, aurait été affranchi et adopté par ce dernier comme son propre fils.

Pour sa part, Abou Bakr, le compagnon et successeur de Mahomet qui sera le premier calife, affranchira également Bilal ibn-Raba, le fils d’une ancienne princesse abyssine réduite en esclavage. Bilal, qui possédait une voix magnifique, sera même nommé premier muezzin, c’est-à-dire celui qui lance, cinq fois par jour, l’appel à la prière depuis le sommet d’un des minarets de la mosquée.

La mosquée Rawze-i-Sharif en Afghanistan.

La mosquée est bien plus qu’un lieu de culte. Elle sert d’institution sociale et éducative : elle peut le cas échéant s’adjoindre une madrassa (école coranique), une bibliothèque, un centre de formation, voire une université.

Les premiers versets révélés au prophète Mahomet disent :

« Lis ! Au nom de ton Seigneur qui a créé, qui a créé l’homme d’une adhérence. Lis ! Ton Seigneur est le Plus Noble, qui a enseigné par la plume (le calame), a enseigné à l’homme ce qu’il ne savait pas. » (Sourate 96).

Le prophète indique également :

« Le meilleur d’entre vous est celui qui a appris le Coran et l’aura fait apprendre ».

Dans un autre hadith, le Messager d’Allah aurait enseigne l’amour de la science et du savoir aux musulmans en ces termes :

« L’encre du savant est préférable au sang du martyr »
« Demandez la science du berceau jusqu’à la tombe. »
« Cherchez la science, serait-ce jusqu’en Chine s’il le faut. »
.

La mosquée se veut donc l’école de toutes les sciences, où vont se former les savants.

Mosquée de Samarcande (aujourd’hui en Ouzbékistan), ville étape des Routes de la soie.
Les manuscrits de Tombouctou en Afrique présentent à la fois des données mathématiques et astronomiques.

Comme dans la plupart des religions, les fêtes religieuses, les pratiques et les rituels musulmans sont rythmés par des événements astronomiques (années, saisons, mois, jours, heures).

Tout fidèle doit prier cinq fois par jour à des heures qui varieront en fonction de l’endroit où il se trouve : au lever du soleil (Ajr), quand il est au zénith (Dhohr), dans l’après-midi (Asr), lors du coucher du soleil (Magrib) et au début de la nuit (Icha). L’astronomie est omniprésente.

Par ailleurs, pour marquer son importance, le premier jour de l’année lunaire de l’Hégire, correspondant au 16 juillet 622, a été décrété comme le premier jour du calendrier hégirien. Enfin, lors de l’éclipse du soleil, les mosquées accueillent une prière spéciale.

L’islam encourage les musulmans à rechercher leur chemin grâce aux astres. Le Coran énonce en effet :

« C’est lui qui a placé pour vous les étoiles (dans le ciel) afin que vous soyez dirigés dans les ténèbres sur la terre et sur les mers. »

Avec une telle incitation, les premiers musulmans ne tardèrent pas à perfectionner les instruments astronomiques et de navigation, d’où vient qu’aujourd’hui encore, la plupart des étoiles naguère utilisées par les marins portent des noms arabes.

Il était donc naturel que les fidèles essaient constamment d’améliorer les calculs et observations astronomiques.

Le premier motif est le fait que lors de la prière musulmane, le fidèle doit se prosterner en direction de la Kaaba à La Mecque : il doit donc savoir trouver cette direction où qu’il se trouve sur Terre. Et la construction d’une mosquée se décidera en fonction des mêmes données.

Le deuxième motif résulte du calendrier musulman. Le Coran édicte :

Le nombre des mois est de douze devant Dieu, tel il est dans le livre de Dieu, depuis le jour où il créa les cieux et la terre. Quatre de ces mois sont sacrés ; c’est la croyance constante.

En clair, le calendrier musulman se base sur les mois lunaires, d’une durée d’environ 29,5 jours. Or 12 x 29,5 ne fait que 345 jours dans l’année. On est loin des 365 jours, 6 heures, 9 minutes et 4 secondes qui mesurent la durée de la rotation de la Terre autour du Soleil…

Enfin, un dernier défi se posait par l’interprétation du mouvement lunaire. Les mois, dans la religion musulmane, ne commencent pas avec la nouvelle lune astronomique, définie comme l’instant où la lune a la même longitude écliptique que le Soleil (elle est donc invisible, noyée dans l’albédo solaire) ; ils commencent lorsque le croissant lunaire commence à apparaître au crépuscule.

Le Coran dit précisément : « Ils t’interrogeront sur les nouvelles lunes. Dis-leur : Ce sont les époques fixées pour l’utilité de tous les hommes et pour marquer le pèlerinage de la Mecque. » Pour toutes ces raisons, les musulmans ne pouvaient se contenter ni du calendrier chrétien ni du calendrier hébreu, et devaient en créer un nouveau.

Géométrie sphérique

Pour connaître à l’avance les phases de la Lune, il fallut développer de nouvelles méthodes de calcul et mettre au point des instruments aptes à les observer. Le calcul du jour où le croissant lunaire recommence à devenir visible constituait un redoutable défi pour les savants arabes. Pour prédire ce jour, il fallait pouvoir décrire son mouvement par rapport à l’horizon, un problème dont la résolution appartient à une géométrie sphérique assez sophistiquée.

Ce sont la détermination de la direction de la Mecque depuis un lieu donné et l’heure des prières qui ont poussé les musulmans à élaborer une telle géométrie. La résolution de ces problèmes suppose en effet que l’on sache calculer le côté d’un triangle sphérique de la sphère céleste à partir de ses trois angles et des deux autres côtés ; pour trouver l’heure exacte, par exemple, il faut savoir construire le triangle dont les sommets sont le zénith, le pôle nord et la position du Soleil.

Le domaine de l’astronomie a fortement stimulé la naissance d’autres sciences, en particulier la géométrie, les mathématiques, la géographie et la cartographie. Certains aiment rappeler que platoniciens et aristotéliciens se disputaient des concepts assez abstraits, chaque courant estimant que la raison suffisait pour comprendre la nature.

Pour sa part, l’astronomie arabe, en vérifiant les différentes hypothèses grâce à la construction d’instruments de mesure et d’observatoires astronomiques, ainsi qu’à l’enregistrement rigoureux des observations pendant de longues années, a joué un rôle décisif dans l’émergence d’une vraie méthode scientifique.

LE MUTAZILISME

Discussion philosophique entre Socrate et ses disciples. Enluminure du livre Choix de sentences et de fins propos de al-Moubashir, XIIIe siècle, Bibliothèque Topka, Istanbul.

Se pose alors la question de savoir d’où a pu venir, dans une culture qui se concentre sur le fait religieux, cet engouement pour les sciences et l’astronomie ?

Une première réponse vient du fait qu’au VIIIe siècle, peu après l’apparition du sunnisme (656), du kharidjisme (657) et du chiisme (660), mais indépendamment de ces courants, apparaît une école de pensée théologique musulmane fondée par le théologien révolutionnaire Wasil ibn Ata (700-748) ? Surnommé « mutazilisme » (ou motazilisme), se courant est identifié en Occident comme « les rationalistes » de l’Islam.

L’origine de ce nom viendrait du fait que les mutazili ont refusé de prendre part aux conflits internes de l’islam, menés par des factions qui utilisaient des interprétations théologiques pour asseoir leur propre pouvoir, le mot arabe i’tazala signifiant « se retirer ».

Wasil est né à Médine dans la péninsule arabique, et s’installe à Bassorah, actuellement en Irak. De là, il forme un mouvement intellectuel qui se répand dans le monde arabo-musulman. Parmi ses disciples, beaucoup auraient été des marchands et des non-Arabes (mawâlî), issus de familles iraniennes ou araméennes « converties », sujettes à une certaine discrimination faite par les Omeyyades entre les Arabes et les non-Arabes. Hypothèse suffisante pour accréditer la thèse d’une participation mutazilite dans le renversement des Omeyyades.

En nette rupture avec les cosmologies dualistes (mazdéisme, zoroastrisme, manichéisme, etc.), le mutazilisme insiste sur l’unité absolue de Dieu, conçue comme une entité hors du temps et de l’espace. Il y a un rapport étroit entre l’unité de la communauté musulmane (Oumma) et le culte d’adoration du Seigneur. Les mutazilites s’inspirent étroitement du Coran, et il est assez erroné d’en faire « les libres penseurs de l’islam ».

Cependant, « nous rejetons la foi comme seule voie vers la religion si elle rejette la raison », précise l’adage mutazilite. S’appuyant sur la raison (le logos cher aux penseurs grecs Socrate et Platon) qu’il estime compatible avec les doctrines islamiques, le mutazilisme affirme que l’homme peut, en dehors de toute révélation divine, accéder à la connaissance.

Tout comme l’avait souligné Augustin chez les chrétiens, l’homme peut avancer sur le chemin de la vérité, non seulement grâce à l’Evangile (la révélation), mais en lisant « le Livre de la Nature », reflet et avant-goût de la sagesse divine. Déjà, dans la Bible, dans le Livre de la Sagesse (Sg. 13:5) , on peut lire :

Car à travers la grandeur et la beauté des créatures,
on peut contempler, par analogie, leur Auteur.



Les Mutazilites se distinguaient de leurs adversaires par leur enseignement selon lequel Dieu a doté l’homme de la raison spécifiquement pour qu’il puisse connaître l’ordre moral de la création et son Créateur ; c’est à cela que sert la raison. La raison est au cœur de la relation de l’homme à Dieu.

Dans les Principes fondamentaux, le grand théologien mutazilite Abdel al Jabbar Ibn Ahmad (935-1025), dont les textes n’ont été découverts que dans les années 1950 par des chercheurs égyptiens dans une mosquée du Yémen, commence par poser le premier devoir de la raison : « Si on pose la question : Quel est le premier devoir que Dieu t’impose ? Dis-lui : le raisonnement spéculatif qui mène à la connaissance de Dieu, car Dieu n’est pas connaissable par l’intuition ou par les sens. Ainsi, Il doit être connu par la réflexion et la spéculation ».

Par conséquent, pour les Mutazilistes, la raison précède logiquement la révélation. La raison doit d’abord établir l’existence de Dieu avant d’entreprendre la question de savoir si Dieu a parlé à l’homme. La théologie naturelle doit être antérieure à la théologie.

Al Jabbar dit : « Les stipulations de la révélation concernant ce que nous devons dire et faire ne sont pas bonnes tant qu’il n’y a pas de connaissance de Dieu », laquelle connaissance provient de la raison. « Par conséquent, conclut-il, il m’incombe d’établir son existence et de le connaître afin de pouvoir l’adorer, le remercier, faire ce qui le satisfait et éviter la désobéissance à son égard ».

Comment la raison permet-elle alors l’homme de conclure que Dieu existe ? C’est par l’observation d’un univers ordonné que l’homme arrive à savoir que Dieu existe, dit Al Jabbar. En voyant que rien dans le monde n’est sa propre cause, mais est causé par quelque chose d’autre, l’homme arrive à la nature contingente de la création. De là, l’homme raisonne jusqu’à la nécessité d’un Créateur, une cause non causée.

Le concept d’une nature inhérente aux choses (tab’) signifie que Dieu, bien qu’il soit la cause première, agit indirectement par le biais de causes secondaires, telles que la loi physique de la gravité. En d’autres termes, Dieu ne fait pas tout immédiatement ou directement. Il ne fait pas tomber une pierre, c’est la gravité qui s’en charge. Dieu laisse une certaine autonomie à sa création, qui a son propre ensemble de règles, selon la façon dont elle a été créée.

Comme le précise l’auteur et théologien mutazilite Uthman al-Jahiz (765-869), chaque élément matériel a sa propre nature. Dieu a créé chaque chose avec une nature selon laquelle elle se comporte de manière cohérente. Un rocher sans appui tombera toujours là où il y a une force gravitationnelle. Ces lois de la nature ne sont donc pas l’imposition d’un l’ordre de l’extérieur par un commandant-en-chef, mais une expression de celui-ci à partir de l’essence même des choses, qui ont leur propre intégrité. La création est dotée d’une rationalité intrinsèque provenant du Créateur. C’est pourquoi et comment l’homme est capable de comprendre la raison de Dieu telle qu’elle se manifeste dans sa création (Ceci n’exclut pas la capacité de Dieu à supplanter les lois naturelles dans le cas d’un miracle). Du coup, pour l’homme, découvrir la nature de chaque chose ne fait que le rapprocher de Dieu.

Ainsi, le muzatilisme donne à la raison (la faculté de penser) et à la liberté (la faculté d’agir) humaines une place et une importance non seulement inconnues dans les autres tendances de l’Islam mais même dans la plupart des courants philosophiques et religieux de l’époque.

A l’opposé du fatalisme (« mektoub ! » = c’était écrit !), qui fut la tendance dominante dans l’islam, le mutazilisme affirme que l’être humain est responsable de ses actes.

D’une modernité quasi-érasmienne (qui avait bien du mal à se faire entendre en Europe au XVIe siècle), voici les cinq principes de la foi mutazilite décrits par le théologien mutazilite Abdel al Jabbar Ibn Ahmad (935-1025), résumés en 2015 par l’économiste Nadim Michel Kalife :

  • Le monothéisme (Al Tawhïd), dont le concept de Dieu dépasse les capacités de réflexion de l’esprit humain. C’est pourquoi les versets du Coran décrivant Dieu assis sur un trône, ne doivent être interprétés que de façon allégorique et non à la lettre. D’où les mutazilites traitèrent leurs adversaires d’anthropomorphistes cherchant à ramener Dieu l’inconnaissable à une forme humaine. Et ils conclurent que ce seul détail (!) du Coran suffit à prouver que le livre n’est pas « incréé » mais « créé » par l’homme pour le mettre à la portée du croyant, et qu’il doit, par conséquent, pouvoir évoluer et s’adapter aux temps ;
  • La justice divine (Adl) concerne la responsabilité du mal dans ce monde où Dieu est tout-puissant. Le mutazilisme proclame le libre arbitre, le mal étant le fait de l’homme et non de la volonté de Dieu, car Dieu est parfait et ne peut donc pas faire le mal ni déterminer l’homme à le faire. Et, si l’erreur humaine relevait de la volonté de Dieu, la punition perdrait tout son sens puisque l’homme ne ferait que respecter la volonté divine. Cette logique incontestable permit au mutazilisme de réfuter la prédestination et le « mektoub » des écoles sunnites ;
  • Promesse et menace (al-Wa’d wa al-Wa’id) : ce principe concerne le jugement de l’homme à sa mort et celui du jugement dernier où Dieu récompensera les obéissants au paradis céleste, et punira ceux qui lui ont désobéi en les damnant éternellement aux feux de l’enfer ;
  • Le degré intermédiaire (al-manzilatu bayn al-manzilatayn), premier principe opposant le mutazilisme aux écoles sunnites. Un grand pécheur (meurtre, vol, fornication, fausse accusation de fornication, consommation d’alcool, ….) ne doit être considéré ni comme musulman (comme l’établit le sunnisme) ni comme mécréant ou kâfir (comme le pensent les Kharidjites), mais dans un degré intermédiaire d’où il ira en enfer s’il n’est pas racheté par la miséricorde de Dieu ;
  • Ordonner le bien et blâmer le blâmable (al-amr bil ma’ruf wa al-nahy ‘an al munkar) : ce principe autorise la rébellion contre l’autorité quand elle est injuste et illégitime, pour empêcher la victoire du mal sur tous. Ce principe leur attira la haine des oulémas et imams qui y trouvaient un moyen d’affaiblir leur autorité sur les fidèles. Et les Turcs Seldjoukides y virent un grave danger de contestation de leur pouvoir… sur les Arabes.

Le mutazilisme sous les Abbassides

L’Empire abbasside (749-1258).
Calife abbasside avec ses conseillers. Notez le cahier aux mains du conseiller et les têtes de chevaux dépassant la maison. (BnF.)

A Bagdad, c’est avec la prise de pouvoir des Abbassides en 749, que le mutazilisme gagnera en influence, d’abord sous le calife Hâroun al-Rachîd (765-809) (Aaron le bien guidé) et ensuite sous son fils, Al-Ma’mûn (786-833) (Celui en qui on a confiance). Peu avant sa mort en 833, ce dernier fera du mutazilisme la doctrine officielle de l’Empire des Abbassides.

C’en fut trop pour les oulémas (théologiens) et les imams (prédicateurs) conservateurs qui se rebellèrent contre cette vision éclairée ouvrant un espace de laïcité et limitant leur autorité. Face à la révolte, l’administration abbasside (constituée en grande partie de Perses), acquise au mutazilisme, mènera pendant quinze ans, de 833 à 848, une répression impitoyable contre les religieux sunnites (arabes). Cette persécution sanguinaire laissera un goût de plus en plus amer dans les consciences populaires, en particulier lorsque le pouvoir abbasside refuse de faire libérer les prisonniers musulmans aux mains des Byzantins s’ils ne renonçaient pas au dogme de l’« incréation » du Coran…

Enfin, en 848, le calife Jafar al-Mutawakkil (847-861), change totalement de cap et demande aux traditionalistes de prêcher des hadiths selon lesquels Mahomet aurait condamné les mutazilites et leurs soutiens.

La théologie dialectique (Kalâm) fut interdite et les mutazilites écartés de la cour de Bagdad. Ce fut également la fin de l’esprit de tolérance et le retour des persécutions contre les chrétiens et les juifs. Si l’engouement pour les sciences perdura, le mutazilisme disparut avec la chute des Abbassides et la destruction de Bagdad par les Mongols au XIIIe siècle.

Le mutazilisme influencera également le judaïsme. Le Kitab Al-Amanat Wa’l-I’tiqadat – c’est-à-dire le Livre des croyances et des opinions – du savant juif rabbinique du Xe siècle Saadia Gaon (882-942), qui vécut à Bagdad, tire son inspiration de la littérature théologique chrétienne ainsi que de modèles islamiques. Le Kitab al-Tawhid, le Livre de l’unité divine, du contemporain karaïte de Saadia, Jacob Qirqisani (m. 930), est malheureusement perdu.

Ce qui fait dire à l’islamologue allemande Sabine Schmidtke que :

La nouvelle tradition de la pensée rationnelle juive qui a surgi au cours du neuvième siècle était, dans sa phase initiale, principalement informée par la littérature théologique chrétienne, tant dans son contenu que dans sa méthodologie. De plus en plus, des idées islamiques spécifiquement Mutazilites, telles que la théodicée (*1) et le libre arbitre humain, ainsi que l’accent mis sur l’unicité de Dieu (tawhïd) ont résonné parmi les penseurs juifs, dont beaucoup ont finalement adopté l’ensemble du système doctrinal de la Mutazila. La ’Mutazila juive’ désormais émergente domina la pensée théologique juive pour les siècles à venir.

Frères de la Pureté

Un savant, membre des Frères de la Pureté (Miniature de 1287, Épîtres des frères dans la pureté, Bibliothèque Süleymaniye, Istanbul)

A signaler également, les Epitres des Frères en Pureté (Ikwân al-Safâ), une encyclopédie de 52 épitres (mathémathiques, sciences naturelles, sciences rationnelles et sciences théologiques), composée entre le début du IXe et la fin du Xe siècle contenant le savoir commun, que vont s’approprier les Ismaéliens, courant contestataire de l’époque. Réalisé à Bassorah, dans l’actuel Irak, ce livre, d’essence néo-platonicienne, est une œuvre collective. Quant aux auteurs, désignés sous le nom mystérieux de Frères de la Pureté, ils appartenaient à une confrérie de sages et d’intellectuels qui se réunissait régulièrement pour organiser des séances de discussion, de lectures et de récitation. Ses adeptes considéraient que la connaissance du savoir et du monde était une condition indispensable à toute élévation spirituelle et mystique. Souvent brûlée par les oulémas sunnites, le caractère d’avant-garde de l’œuvre se découvre en particulier dans son hymne à la tolérance préconisant une pluralité de voies pour accéder au salut. Certains experts estiment que les Epîtres des Frères en Pureté sont l’œuvre d’un philosophe pythagoricien de haut niveau, disciple du mutaziliste platonicien al-Kindî.

Abstraction faite d’égarements qui ont été bien réels, reconnaissons tout de même que la vision philosophique optimiste du mutazilisme (raison, libre arbitre, responsabilité, perfectibilité de l’homme) a fortement contribué à l’émergence d’un véritable « âge d’or » des sciences arabes.

Enfin, il n’est pas inintéressant de constater qu’aujourd’hui, des courants « néo-mutazilites » apparaissent en réaction aux doctrines obscurantistes et aux actes barbares qu’elles suscitent.

Pour le penseur réformiste égyptien Ahmad Amin,

la mort du mutazilisme a été le plus grand malheur qui a frappé les musulmans ; ils ont commis un crime envers eux-mêmes.

Bagdad

Représentation de la ville de Bagdad lors de sa fondation en 762. Notez le canal traversant la ville et permettant son intégration dans l’infrastructure naturelle du fleuve Tigre. En réalité, les alentours étaient urbanisés.

En 762, le second calife abbasside Al-Mansur (714-775) (« le victorieux ») entreprend la construction d’une nouvelle capitale, Bagdad. Appelée Madinat-As-Salam (cité de la paix), elle abrite le palais de la Cour, la mosquée et les bâtiments administratifs. Construite sur un plan circulaire, elle s’inspire des traditions antérieures, notamment celle qui avait donné naissance à la ville iranienne de Gur (nom actuel : Firouzabad).

Nous sommes au cœur de la fertile Mésopotamie, le « pays entre les fleuves », essentiellement l’Euphrate et le Tigre qui prennent chacun leur source en Turquie. C’est ici que les Sumériens inventèrent, à partir du dixième millénaire av. JC, aussi bien l’irrigation, l’agriculture (céréales et élevage) (*2), que l’écriture (-3400 ans av. JC).

Ville puissante et raffinée, Bagdad régnera sur tout l’Orient et devient la capitale du monde arabe. Traversée par le Tigre, peuplée aujourd’hui de quelque 10 millions d’habitants, elle reste la plus grande ville d’Irak ainsi que la deuxième ville la plus peuplée du monde arabe (après le Caire, en Egypte).

Minaret de la mosquée de Samarra que de nombreux Occidentaux croyaient être la Tour de Babel…

Les villes abbassides sont aménagées sur des sites immenses. Les palais et les mosquées de Samarra, nouvelle capitale à partir de 836, s’étendent sur 40 kilomètres le long des rives du Tigre. Pour correspondre à l’échelle des sites, des bâtiments monumentaux furent érigés, tels que la mosquée Abu Dulaf ou la Grande Mosquée de Samarra, sans équivalent à l’époque. Son curieux minaret hélicoïdal (52 mètres de haut) a inspiré dans les siècles suivants les représentations occidentales de la tour de Babel.

De plus, en se reposant sur une armée originaire du Khorassan (région du nord-est iranien) (*3) extrêmement disciplinée et obéissante, mais aussi sur un système élaboré de diligences et de distribution de courrier, les chefs abbassides parviennent à augmenter leur emprise sur les gouverneurs de province. Ces derniers, qui, du temps des califes omeyyades ne payaient que peu d’impôts sous prétexte qu’ils devaient assurer à leurs frais la défense des frontières du califat, devaient dès lors payer les taxes imposées par le souverain.

La Route du papier

Grâce à du papier d’excellente qualité, le travail des astronomes arabes a été conservé. Notez que les deux tiers des noms d’étoiles sont d’origine arabe. « Catalogue d’étoiles » d’al–Soufi (903–986). (BnF).

Après la victoire militaire contre les Chinois lors de la bataille de Talas (ville de l’actuel Kirghizistan), en 751, année qui marqua l’avancée la plus orientale des armées abbassides, Bagdad s’ouvre aux cultures chinoise et indienne.

Les Abbassides assimileront rapidement un certain nombre de techniques chinoises, en particulier la fabrication du papier, un art développée à Samarcande (capitale de la Sogdiane, aujourd’hui en Ouzbékistan), autre ville étape des Routes de la soie.

Les artisans de cette ville lissaient le papier à l’aide d’une pierre d’agate. La surface extrêmement lisse et brillante obtenue absorbait moins d’encre et les deux faces d’une même feuille étaient donc utilisables. Les Chinois, qui avaient inventé le papier de soie, n’avaient pas besoin de lisser leur papier parce qu’ils écrivaient avec des pinceaux et non avec des plumes.

Hâroun al-Rachîd s’intéresse fortement à la production industrielle du papier. Il ordonnera l’usage du papier dans toutes les administrations de l’Empire, plus facile à transporter que les tablettes en argile et plus intéressant que la soie, car on peut difficilement effacer ce qui y est écrit. Il développe des manufactures de papier à Samarcande et en fera construire du même type à Bagdad, Damas et à Tibériade vers 1046 (on parle alors de papier de Tripoli ou de Damas, dont la qualité est considérée comme supérieure à celle du papier de Samarcande), et au Caire avant 1199, où il est utilisé pour emballer des marchandises, et au Yémen au début du XIIIe siècle.

Dans le même temps, plusieurs fabriques de papier s’installent à leur tour en Afrique du Nord. On recense ainsi à Fès, au Maroc, 104 fabriques de papier avant 1106, et 400 meules à fabriquer du papier entre 1221 et 1240. Elles apparaîtront en Andalousie, en Espagne, à Jativa, près de Valence, en 1054 et à Tolède en 1085.

Révolution agro-industrielle

Moulin de l’Albolafia à Cordoue (Andalousie, Espagne).

Du modèle omeyyade reposant sur le tribut, le butin ou la vente d’esclaves, les premiers califes abbassides mènent la transition économique vers une économie basée sur l’agriculture, les manufactures, le commerce et les impôts.

L’introduction de technologies et de formes d’énergie plus denses (pour l’époque), vont révolutionner l’irrigation et l’agriculture :

Un moulin-navire utilisé sur le Tigre au Xe siècle. En immobilisant le bateau grâce à des câbles attachés aux deux rives, l’eau coulant sous le bateau actionne des roues à aubes faisant tourner le moulin.
  • Construction de canaux assurant l’irrigation et limitant les inondations ;
  • Construction de barrages et l’exploitation de l’énergie mécanique qu’ils produisent ;
  • Construction de moulins à eau ;
  • Utilisation de l’énergie marémotrice ;
  • Construction de moulins à vents ;
  • Distillation du kérosène. Connu en Occident comme le « pétrole lampant », il s’agit de la « première source de lumière efficace, abondante et pas chère dont ait jamais disposé l’humanité » (*4) ;

Les utilisations industrielles des moulins à eau dans le monde islamique remontent au VIIe siècle. À l’époque des croisades, toutes les provinces du monde islamique avaient des moulins en activité, d’al-Andalus et de l’Afrique du Nord au Moyen-Orient et à l’Asie centrale.

Les plus anciens moulins à vent au village de Nashtifân situé à Khâf, province du Khorassan (Iran).

Lorsque Cervantès nous dépeint son Don Quichote s’attaquant aux moulins à vents, il se moque du culte de la chevalerie, mais également des croisades.

L’irrigation, héritée du monde antique —crues du Nil en Égypte, canaux en Mésopotamie, puits à balancier (chadouf), roue mue par des animaux (noria), barrages en Transoxiane, au Khuzistan et au Yémen, galeries souterraines au pied des montagnes en Iran (qanat) ou au Maghreb (khettaras) — se met en place grâce à une solide organisation communautaire et l’intervention de l’État.

Les artisans et ingénieurs abbassides développent des machines (telles que des pompes) incorporant des vilebrequins et utiliseront des engrenages dans des moulins et des mécanismes d’élévation de l’eau. Ils se serviront également des barrages pour fournir une puissance supplémentaire à ces moulins et machines.

Ces avancées permettront la mécanisation de nombreuses tâches agricoles et industrielles et libéreront la main d’œuvre pour un travail plus créateur.

A son apogée du Xe siècle, Bagdad comptait 400 000 à 500 000 habitants. Sa survie alimentaire dépendait entièrement d’un ingénieux système de canaux pour l’irrigation des cultures et la gestion des crus récurrents de l’Euphrate et du Tigre. Exemple : le canal de Nahrawan, parallèle au Tigre, qui permettait de dévier les eaux du Tigre pour mettre la capitale à l’abri des inondations.

La production agricole se diversifie : céréales (blé, riz), fruits (abricots, agrumes), légumes, huile d’olive (Syrie et Palestine), de sésame (Irak), de rave, de colza, de lin ou de ricin (Égypte), viticulture (Syrie, Palestine, Égypte), dattes, bananes (Égypte), canne à sucre.

L’élevage reste important pour la nourriture, la fourniture de matières premières (laine, cuir) et pour le transport (chameaux, dromadaires, chevaux). Le mouton est présent partout mais l’élevage du buffle se développe (marais du bas Irak ou de l’Oronte). Les petits élevages de volailles, de pigeons et d’abeilles correspondent à une demande importante. La nourriture du peuple est essentiellement végétarienne (galette de riz, bouillie de blé, légumes et fruits).

Un certain nombre d’industries émergeront de cette révolution agro-industrielle, y compris les premières brasseries de bière, les manufactures de textile, la fabrication de cordes, de soie et, comme indiqué précédemment, de papier. Enfin, le travail des métaux, la verrerie, les céramiques, l’outillage et l’artisanat connaîtront des niveaux élevés de croissance au cours de cette période.

Charlemagne, Bagdad et la Chine

Enluminure représentant Charlemagne (à droite) réceptionnant les présents d’Hâroun al-Rachîd, dont le célèbre éléphant.

Au VIIIe et IXe siècle, cherchant à contrer les Omeyyades et l’Empire byzantin, Abbassides et Francs carolingiens nouent à plusieurs reprises des ententes et des coopérations.

Trois ambassades sont envoyées par Charlemagne à la cour d’Hâroun al-Rachîd et ce dernier lui en envoie au moins deux. Le calife lui fait parvenir de nombreux présents, comme des aromates, des tissus, un éléphant et une horloge automatique, décrite dans les Annales royales franques de 807. Les heures sont marquées par des boules de cuivre tombant sur une plaque à chaque heure, tandis que douze cavaliers apparaissent chacun à leur tour.

Le calife enverra également une mission diplomatique à Chang’an (appelé aujourd’hui Xi’an), capitale chinoise sous la dynastie des Tang. Etant aussi le terminus de la Route de la soie, son marché ouest devient centre du commerce mondial. Selon le registre de l’Autorité Six des Tang, Chang’an avait des relations commerciales avec plus de 300 nations et régions.

Route de la soie maritime

Ces relations diplomatiques avec la Chine sont contemporaines de l’expansion maritime du monde musulman dans l’océan Indien, et jusqu’en Extrême-Orient. En dehors du Nil, du Tigre et de l’Euphrate, les fleuves navigables sont rares, le transport par mer est donc très important.

Les navires du califat ont commencé à naviguer de Siraf, le port de Bassorah, vers l’Inde, le détroit de Malacca et l’Asie du Sud-Est. Les marchands arabes domineront le commerce dans l’océan Indien jusqu’à l’arrivée des Portugais au XVIe siècle. Ormuz était un centre important pour ce commerce. Il existait également un réseau dense de routes commerciales en Méditerranée, permettant aux pays musulmans de commercer entre eux et avec des puissances européennes telles que Venise et Gênes.

À cette époque, Canton (Khanfu en arabe), un port de 200 000 habitants du sud de la Chine, compte une forte communauté de commerçants venant des pays musulmans.

Et lorsque l’Empereur chinois Yongle décide à envoyer une flottille de navires en Afrique, il choisit l’amiral Zheng He (1371-1433), eunuque à la cour et d’origine musulmane. Et lorsqu’en 1497 le capitaine portugais Vasco de Gama atteint la ville kényane de Malindi, il s’y procure un pilote arabe qui le conduit directement à Kozhikode (Calicut) en Inde. En clair, un navigateur sachant naviguer sur les étoiles.

Renaissance scientifique et culturelle

Vue d’artiste de la vie culturelle à la Cour des Abbassides de Bagdad.

Sous le califat d’Hâroun al-Rachîd et de son fils Al-Ma’mûn, Bagdad et les Abbassides connaîtront un véritable âge d’or, aussi bien dans les sciences (philosophie, astronomie, mathématiques, médecine, etc.) que dans les arts (architecture, poésie, musique, peinture, etc.).

Pour l’écrivain britannique Jim Al-Khalili,

la fusion du rationalisme grec et l’islam mutazilite fera naître un mouvement humaniste d’un type qu’on ne verra guère avant l’Italie du XVe siècle.

Un sage explique le songe du Roi. Illustration de Kalila et Dimna.

Dans le domaine des sciences s’opère très tôt une assimilation des doctrines astronomiques hellénistiques, indiennes et perses antérieures. On vit la traduction de plusieurs écrits sanskrits (*5) et pehlevis (*6) en arabe.

Des ouvrages indiens de l’astronome Aryabhata (476-560), savant de premier plan de la Renaissance Gupta en Inde, et du mathématicien Brahmagupta (590-668) sont cités très tôt par leurs homologues arabes. Une célèbre traduction en arabe paraîtra vers 777 sous le titre de Zij al-Sindhind (ou Tables astronomiques indiennes).

Les sources disponibles révèlent que ce texte fut traduit après la visite d’un astronome indien à la cour du calife abbasside Al-Mansur en 770. Les Arabes adopteront également les tables de sinus (héritées des mathématiques indiennes) qu’ils préfèrent aux tables des cordes employées par les astronomes grecs. De la même époque date un recueil de chroniques astronomiques compilées sur deux siècles dans la Perse des Sassanides et connu en arabe sous le nom de Zij al-Shah (ou Tables Royales).

Dans le domaine de la musique, on peut citer entre autres le musicien arabe d’origine perse Ishaq al-Mawsili (767-850). Compositeur d’environ deux cents chansons, ce chanteur fut également un virtuose du oud (sorte de luth à manche court mais dépourvu de frettes). On lui attribue le premier système de codification de la musique arabe savante.

Mort de Mahomet, enluminure du Siyar-i Nabi, Istanbul, 1595.

Dans le domaine de la peinture, précisons d’abord que, contrairement à l’opinion dominante, le Coran n’interdit pas les images figuratives. Il n’existe aucune « interdiction » expressément déclarée et universellement acceptée, des images dans les textes légaux islamiques. Par contre, tout comme d’autres grandes religions, l’Islam condamne l’adoration d’idoles.

Du VIIIe au XVe siècle, de nombreux textes historiques et poétiques, sunnites autant que chiites, dont bon nombre ont été conçus dans des contextes turcs et persans, incluent d’admirables représentations du prophète Mahomet.

L’objectif de ces images n’était pas seulement de louer et rendre hommage au Prophète, elles représentaient aussi des occasions et des éléments centraux pour la pratique de la foi musulmane.

A ce titre, le livre de l’historien d’art allemand Hans Belting, au titre accrocheur Florence & Bagdad, l’art de la Renaissance et la science arabe (2011) est non seulement mensonger mais proprement scandaleux. Belting y présente « l’islam » comme une foi aniconique (bannissant toute représentation humaine ou animale) alors que les images figuratives représentent une partie essentielle de l’expression artistique islamique, à coté d’une calligraphie exquise et de motifs géométriques en quête d’infini.

A cela s’ajoute que d’autres religions ont connu de fortes poussées d’iconoclasme. Par exemple, et c’est une des raisons pour laquelle on sait si peu de la peinture grecque ancienne, entre 726 et 843, l’Empire byzantin a ordonné la destruction systématique des images représentant le Christ ou les saints, qu’il s’agisse de mosaïques ornant les murs des églises, d’images peintes ou d’enluminures de livres.

Dès lors, Belting, pour qui l’islam est par essence une civilisation aniconique, a bien du mal à démontrer ce qu’il annonce dans le titre : l’influence des recherches arabes (notamment Ibn al-Haytam sur la vision humaine) sur la Renaissance à Florence (en particulier sa théorisation de « la » perspective géométrique).

Dans les faits, se présentant comme un érudit, Belting conforte la thèse belliqueuse d’un supposé « choc » des civilisations, tout en prétendant le contraire.

Fresques du château du désert de Qusair Amra (VIIIe siècle, Jordanie actuelle).

Les premières manifestations de l’art pictural dans le monde arabo-musulman remontent à l’époque omeyyade (660-750). C’est de cette époque que datent les célèbres « châteaux du désert », comme celui de Qusair Amra, dans le désert de l’Est jordanien.

Couverts de peintures murales, ces palais reflètent un apport des modes de représentation byzantins, mais également perses sassanides. Ainsi, dans le palais de Qusair Amra, utilisé comme lieu de villégiature par le calife ou ses princes pour le sport et le plaisir, les fresques décrivent des constellations du zodiaque, des scènes de chasse, des fruits et des femmes au bain.

Dans le domaine des lettres, Al-Rachîd constitue une vaste bibliothèque comprenant une collection de livres rares ainsi que des milliers de livres que les rois et les princes de l’ancien monde lui ont offerts. Ces livres sont traduits et illustrés.

Illustration d’une traduction arabe des fables indiennes Kalila et Dimna.

Par exemple, Kalila et Dimna, également connu sous le nom de Fables indiennes de Bidpaï, une des œuvres les plus populaires de la littérature mondiale. Compilées en sanskrit il y a près de deux mille ans, ces fables animalières, dont Esope et La Fontaine puiseront, ont été traduites de la Chine à l’Ethiopie.

Traduites en arabe vers 750 par Ibn al-Muqaffa, elles seront richement illustrées dans le monde arabe, persan et turc. La plus ancienne copie arabe illustrée a sans doute été produite en Syrie dans les années 1200. Le paysage est symbolisé par quelques éléments : une bande d’herbe, des arbustes aux feuilles et aux fleurs stylisés. Hommes et bêtes sont représentés avec des couleurs vives et des traits simplifiés.

Véritable manuel d’éducation pour les rois, une des fables évoque l’idée

de créer une université affectée à l’étude des langues, anciennes et modernes, et à la préservation, sous des formes renouvelées, du patrimoine du genre humain…

Et à la fin de son récit, le sage Bidpaï met en garde le jeune roi Dabschelim :

Je dois insister sur ce dernier point : mes histoires ne demandent, à ce stade, aucun commentaire, aucune élucubration, aucune analyse de votre part, de la mienne ou de quiconque. De toutes les habitudes, la pire serait d’en gaspiller la substance active en recettes de comportement. Il faut résister obstinément à la tentation de les assortir de gentilles petites rationalisations, de formules percutantes, de résumés analytiques, de marques symboliques ou toute autre commodité de classement. L’encapsulage mental pervertit le remède et le rend inopérant. Il revient en fait à court-circuiter le véritable but du conte, car expliquer, c’est oublier. C’est aussi une forme d’hypocrisie – quelque chose de toxique, un antidote à la vérité. Ainsi, laissez les histoires dont vous vous souviendrez agir d’elles-mêmes par leur diversité même. Familiarisez-vous avec elles, mais n’en faites pas un jouet…

A noter également, Les séances du poète et homme de lettres Al-Hariri (1054-1122 (*7), rédigé à la fin du Xe siècle et qui connaît une formidable diffusion à travers tout le monde arabe. Le texte, qui raconte les aventures du brigand Abu Zayd, se prête tout particulièrement à l’illustration.

Al-Ma’mûn et les Maisons de la Sagesse (Bayt al-Hikma)

Les Maisons de la Sagesse, lieu et mouvement d’éducation populaire.

Après une violente dispute avec son frère qui cherchait à l’écarter du pouvoir, Al-Ma’mûn, le fils cadet d’al-Rachîd, devient en 813 le huitième calife abbasside. Il s’intéresse particulièrement aux travaux des savants, surtout ceux qui connaissent le grec. Il réunit à Bagdad des penseurs de toutes croyances, qu’il traite somptueusement et avec la plus grande tolérance. Tous écrivent en arabe, langue qui leur permet de se comprendre mutuellement. Il fit venir de Byzance des manuscrits pour enrichir la vaste bibliothèque de son père.

Ouverte aux savants, traducteurs, poètes, historiens, médecins, astronomes, scientifiques et philosophes, ce qui deviendra la première bibliothèque publique sera la base des Bayt Al-Hikma (les « Maisons de la Sagesse ») associant des activités de traduction, d’enseignement, de recherche et même de santé publique, et ceci bien avant les universités occidentales. C’est là que furent regroupés pour l’étude tous les manuscrits scientifiques connus de l’époque, en particulier les écrits grecs.

A Bagdad, ce bouillonnement culturel ne restera pas confiné à la Cour mais descendra dans la rue comme en témoigne cette description de Bagdad d’Ibn Aqul (mort en 1119) :

Il y a d’abord le grand espace nommé place du Pont. Puis le marché des Oiseaux, un marché où l’on peut trouver toutes les sortes de fleurs et sur les côtés duquel se trouvent les boutiques élégantes des changeurs. (…) Puis celui des traiteurs, celui des boulangers, celui des bouchers, celui des orfèvres, sans égal pour la beauté de son architecture : de hauts bâtiments avec des poutres de teck, supportant des pièces en encorbellement. Puis il y a le marché des libraires, immense, qui est aussi le lieu de rassemblement des savants et des poètes, puis le marché de Rusafa. Sur les marchés de Karkh et de la porte de l’Arche, les parfumeurs ne se mélangent pas avec les marchands de graisse et de produits aux odeurs désagréables ; de même les marchands d’objets neufs ne se mélangent pas avec les brocanteurs.

La Perse, les nestoriens et la médecine

Vestiges de Gondichapour, Iran.

Comme modèle de ces Maisons de la Sagesse, on évoque souvent l’influence et les précédents perses. Il est vrai que les Barmécides, famille d’origine perse (*8), avaient une grande influence auprès des premiers califes abbassides. D’ailleurs, le précepteur d’Al-Ma’mûn était Jafar ben Yahya Barmaki (767-803), un membre de cette famille et le fils du vizir persan de son père al-Rachîd. L’élite perse qui conseillait les califes abbassides portait un vif intérêt aux œuvres des Grecs, dont la traduction avait commencé lors du règne du roi sassanide Khosrô Ier Anushirvan (531-579). Ce dernier fonda l’Académie de médecine de Gondichapour (aujourd’hui en Iran). De nombreux scribes et savants nestoriens (chrétiens) (*9) s’y étaient réfugiés après le Concile d’Éphèse de 431. La langue liturgique des nestoriens était le syriaque, un dialecte sémitique (*10).

Comme les juifs, ces chrétiens nestoriens possédaient une culture cosmopolite et une connaissance des langues (le syriaque et le persan) qui leur permit d’agir en tant qu’intermédiaires entre l’Iran et ses voisins. Et grâce à leur accès à la sagesse de la Grèce ancienne, ils furent souvent employés comme médecins. (*11)

L’Académie de médecine de Gondichapour (*12) avait connu son apogée au Ve siècle grâce aux savants syriaques chassés de la ville d’Edesse. Dans cette école, on enseignait la médecine à partir des traductions du savant et médecin grec vivant à Alexandrie, Claude Galien. Ces enseignements étaient mis en pratique dans un grand hôpital, tradition reprise dans le monde musulman.

Cette école était un lieu de rencontre entre savants grecs, syriaques, perses et indiens, dont l’influence scientifique était réciproque. Héritière du savoir médical grec d’Alexandrie, l’école de Gondichapour forma plusieurs générations de médecins à la cour des Sassanides et plus tard à celle des Abbassides musulmans.

Dès 765, le calife abbasside Al-Mansur, qui règne de 754 à 775, consulte le chef de l’hôpital de Gondichapour, Georgios ben Bakhtichou, en l’invitant à Bagdad. Ses descendants travailleront et y enseigneront la médecine. Bien après l’implantation de l’islam, les élites arabes continueront à envoyer leurs fils à cette école nestorienne chrétienne.

En arabe, la médecine s’appelle al-tibb et un médecin tabib. Le mot « toubib » s’est introduit très tôt en français grâce aux voyageurs.

La première décision du Patriarche nestorien Timothée Ier fut le transfert du siège catholicosal de Séleucie-Ctésiphon à Bagdad, où il devait rester jusqu’à la fin du XIIIe siècle, nouant ainsi des liens privilégiés entre les catholicos nestoriens et les califes abbassides.

Céramique chinoise d’un marchand sogdien sur les Routes de la soie.

Timothée Ier (727-823) fut le patriarche chrétien de l’Église d’Orient (« nestorienne ») entre 780 et 823. Sa première décision fut d’installer le siège de son église à Bagdad, où elle devait rester jusqu’à la fin du XIIIe siècle, nouant ainsi des liens privilégiés entre les nestoriens et les califes abbassides.

Ayant une bonne maîtrise du syriaque, de l’arabe, du grec et éventuellement du pehlevi, Timothée jouit de la considération des califes abbassides Al-Mahdi, Al-Rachîd et Al-Ma’mûn.

Durant ses quarante-trois ans de pontificat, l’Église d’Orient vécut en paix. Par ailleurs, les nestoriens ont joué un rôle majeur dans la diffusion du christianisme en Asie centrale jusqu’en Chine par la Route de la soie.

En Asie centrale, avant l’arrivée de l’islam, c’était le sogdien, (langue iranienne de la Sogdiane et sa capitale Samarcande) qui servait de lingua franca sur la Route de la soie. (*13)

Traduire, comprendre, enseigner, perfectionner

Lecture et commentaire de texte dans une bibliothèque à Bassorah, Al-Maqâmât (Les Séances) de Al-Harîrî (1054-1122), Copié et peint par Yahyâ b. Mahmûd al-Wâsitî, Bagdad, 1236, 1236. BnF, Manuscrits, arabe 5847, f° 5v°, © BnF

A Bagdad et Bassorah, dans les Maisons de la Sagesse, furent traduits et mis à la disposition des savants, les histoires et les textes recueillis après l’effondrement de l’empire d’Alexandre le Grand, textes collationnés et traduits du syriaque en persan sous l’égide des empereurs sassanides.

L’historien et économiste arabe Ibn Khaldoun (1332-1406), issue d’une grande famille andalouse d’origine yéménite, rendra hommage à cet effort de préservation et de diffusion du patrimoine grec :

Que sont devenues les sciences des Perses dont les écrits, à l’époque de la conquête, furent anéantis par ordre d’Omar ? Où sont les sciences des Chaldéens, des Assyriens, des habitants de Babylone ?… Où sont les sciences qui, plus anciennement, ont régné chez les Coptes ? Il est une seule nation, celle des Grecs, dont nous possédons exclusivement les productions scientifiques, et cela grâce aux soins que prit Al-Ma’mûn de faire traduire ces ouvrages.

Planche du Livre des mécanismes ingénieux, inventaire de nouvelles technologies, écrit par les frères Banou Moussa pour les Maisons de la Sagesse à Bagdad.

Ces premières traductions rendent alors accessibles au monde arabo-musulman des centaines de textes de philosophie, de médecine, de logique, de mathématiques, d’astronomie, de musique grecs, pehlevis, syriaques, hébreux, sanskrits, etc., dont ceux d’Aristote, de Platon, de Pythagore, de Sushruta, d’Hippocrate, d’Euclide, de Charaka, de Ptolémée, de Claude Galien, de Plotin, d’Aryabhata et de Brahmagupta.

Elles s’accompagnaient de réflexions, de commentaires, et ont donné lieu à une nouvelle forme de littérature. Selon le patriarche nestorien Timothée Ier, c’est à la demande du calife al-Mahdi, qu’il traduisit Les Topiques d’Aristote du syriaque en arabe. Il écrivit aussi un traité d’astronomie intitulé le Livre des étoiles, aujourd’hui perdu.

Féru d’astrologie et d’astronomie, Al-Ma’mûn posa un jour comme condition de paix avec l’Empire byzantin la remise d’une copie de l’Almageste, l’œuvre principale de Ptolémée supposée résumer tout le savoir grec en astronomie.

En 829, dans le quartier le plus élevé de Bagdad, il fait construire le premier observatoire permanent au monde, l’Observatoire de Bagdad, permettant à ses astronomes, qui avaient traduit le Traité d’astronomie du grec Hipparque de Nicée (190-120 av. JC.), ainsi que son registre d’étoiles, de surveiller méthodiquement le mouvement des planètes.

Voici ce que nous dit Sâ’id al-Andalusî (1029-1070) au sujet de l’intérêt pour l’astronomie d’al-Ma’mûn et de ses efforts pour la faire progresser :

Dès que Al-Ma’mûn devint calife, sa noble âme fit tout pour accéder à la sagesse et pour ce faire il s’occupa en particulier de philosophie ; par ailleurs, les savants de son temps étudièrent en profondeur un livre de Ptolémée et comprirent les schémas d’un télescope qui y était dessiné. C’est ainsi qu’Al-Ma’mûn rassembla tous les grands savants présents à travers les régions du califat, et il leur demanda de construire le même genre d’instrument afin qu’ils observent les planètes à la manière dont Ptolémée l’avait fait et ceux qui l’avait précédé. L’objet vit donc le jour, et les savants l’amenèrent dans la ville d’al-Chamâsiyya qui se trouvait dans la région de Damas dans le Châm, et ce, en 214 de l’Hégire (829) ; à travers leurs observations ils déterminèrent la durée précise d’une année solaire ainsi que l’inclinaison du soleil, la sortie de son centre et la situation de ses diverses faces, ce qui leur permit de connaître l’état et les positions des autres planètes. Puis la mort du calife al-Ma’mûn en 218 de l’Hégire (833) mit fin à ce projet, mais ils achevèrent néanmoins la lunette astronomique et la nommèrent ’le télescope ma’mûnique’

Voici quelques astronomes, mathématiciens, penseurs, lettrés, savants et traducteurs ayant fréquenté les Maisons de la Sagesse :

  • Al-Jahiz (776-867). La démarche encyclopédique de ce mutazilite est conçue comme « un collier réunissant des perles » ou encore comme un jardin qui, avec ses plantes, son organisation harmonieuse et ses fontaines, représente en miniature l’univers entier. Il anticipe le principe d’une évolution des espèces ;
  • Al-Khwârizmî (780-850), (en latin Algoritmi). Ce mathématicien et astronome perse, zoroastrien converti à l’islam selon certains, aurait été un adepte du mutazilisme. Il est surtout connu pour avoir inventé la méthode de résolution des problèmes mathématiques, appelée algorithme, laquelle est toujours utilisée de nos jours. Il a étudié pendant un certain temps à Bagdad mais il est également rapporté qu’il fit un voyage en Inde. Al Khawârizmî inventa le mot algèbre (signifiant, en arabe « réduction d’une fracture », « réunion (des morceaux) », « reconstruction », « connexion », ou encore « restauration »), présenta le système numérique indien au monde musulman, institutionnalisa le système décimal en mathématiques et formalisa la vérification des hypothèses scientifiques à partir d’observations ;
  • Sahl Rabban al-Tabari (786-845), astronome et médecin juif dont le nom veut dire « Le fils du rabbin du Tabaristan ». Son fils Ali sera le précepteur d’Al-Razi (865-925) (francisé en Rhazès). Alchimiste devenu médecin, il aurait isolé l’acide sulfurique et l’éthanol dont il fut parmi les premiers à prôner l’utilisation médicale. Il a largement influencé la conception de l’organisation hospitalière en lien avec la formation des futurs médecins. Il fut l’objet de nombreuses critiques pour son opposition à l’aristotélisme ;
  • Al-Hajjaj (786-823) rédigea la première traduction arabe des Éléments d’Euclide depuis le grec. Il traduisit également l’Almageste de Ptolémée ;
  • Al-Kindi (801-873) (Alkindus), considéré le père de la philosophie arabe était un mutaziliste. Auteur prolifique (environ 260 livres), il explore tous les domaines : géométrie, philosophie, médecine, astronomie, physique, arithmétique, logique, musique et psychologie. Avec ses collègues, Al-Kindi est chargé de la traduction des manuscrits de savants grecs. Après la mort d’Al-Ma’mun en 833, il est considéré comme trop mutaziliste, tombe en disgrâce et sa bibliothèque est confisquée ;
  • Les frères Banou Moussa (« enfants de Moïse »), trois jeunes fils d’un astrologue décédé, ami du calife. Mohammed travaillera sur l’astronomie ; Ahmed et Hassan sur les canaux reliant l’Euphrate au Tigre, gage de la maîtrise et de l’optimisation de leurs crues respectives. Ils publieront le Livre des mécanismes ingénieux, un inventaire des nouvelles techniques et machines (*14) ;
  • Hunayn ibn Ishâk (808-873) (dit Iohannitius). Ce chrétien nestorien fut chargé par Al-Ma’mun de veiller à la qualité des traductions ; lui-même médecin, il traduisit certaines œuvres du médecin grec Claude Galien ;
  • Thabit ibn Qurra (836-901), un astronome, mathématicien, philosophe et musicologue syrien ;
  • Qusta ibn Luqa (820-912), un médecin byzantin grec, également philosophe, mathématicien, astronome, naturaliste et traducteur. Chrétien de l’Église melkite, il parlait aussi bien le grec (sa langue maternelle) que l’arabe, et aussi le syriaque. Considéré avec Hunayn ibn Ishâq, comme l’un des personnages-clefs de la transmission du savoir grec de l’Antiquité au monde arabo-musulman. Traducteur d’Aristarque de Samos pour qui la Terre tournait autour du Soleil et auteur d’un traité sur l’astrolabe ;
  • Ibn Sahl (940-1000), dans les pas d’Al-Kindi, écrit vers 984 un traité sur les miroirs ardents et les lentilles, en exposant comment ils peuvent focaliser la lumière en un point. Ses travaux furent perfectionnés par Ibn Al-Haytam (965-1040) (nom latin : Alhazen), dont les écrits arrivèrent jusqu’à Léonard de Vinci, en passant par les Commentaires de Lorenzo Ghiberti. Chez Ibn-Sahl, on trouve la première mention de la loi de la réfraction redécouverte plus tard en Europe sous le nom de loi de Snell-Descartes.

Ces savants travailleront souvent en équipe dans un esprit totalement interdisciplinaire. Al-Ma’mûn, constatant les contradictions apparues suite aux traductions des sources grecques, perses et indiennes, fixera avec les savants les grands défis scientifiques à relever :

  • obtenir, grâce à des observatoires astronomiques plus performants, des tables d’éphémérides astronomiques (*15) plus précises que celles de Ptolémée ;
  • calculer avec précision la circonférence de la Terre avec des méthodes plus avancées que celle de l’astronome grec Ératosthène ;
  • produire une mappemonde intégrant les dernières connaissances géographiques concernant les distances entre les villes et la taille des continents ;
  • déchiffrer les hiéroglyphes égyptiens qu’Al-Ma’mûn avait entrevus lors de son voyage dans ce pays.

Traduction de Platon

A gauche, Socrate, le maître de Platon, perdu dans ses pensées, et deux disciples enturbannés à la mode arabe qui l’interrogent. (Bibliothèque Topkapi, Istanbul.)

En affirmant que c’est la redécouverte d’Aristote et sa méthode purement empiriste qui a fait avancer la science à cette époque, on oublie l’apport majeur que fut la redécouverte de Platon, dont la méthode dialectique et d’hypothétisation est bien plus essentielle.

L’implication intense d’Al-Kindi dans la tradition platonicienne se traduit par la rédaction de résumés de l’Apologie et du Criton, et par ses propres œuvres qui paraphrasent le Phédon ou s’inspirent du Ménon et du Banquet. Pour sa part, Ibn al-Bitriq, un Syrien membre du cercle d’Al-Kindi, a traduit le Timée.

Le médecin Hunayn ibn Ishaq et son cercle traduisirent surtout des commentaires du médecin grec Claude Galien sur le Timée, notamment Sur ce que Platon a dit dans le Timée de manière médicale ainsi que Sur les doctrines d’Hippocrate et de Platon. Et d’après les propres œuvres de Hunayn, nous savons que certains de ses élèves ont traduit les résumés perdus de Galien sur le Cratyle, le Sophiste, le Parménide, l’Euthydème, La République et Les Lois. Enfin, le médecin al-Razi a présenté et commenté le traité de Plutarque Sur la génération de l’âme dans le Timée.

Dialogue interreligieux :
possible pour les uns, compliqué pour les autres

En Occident, le nom d’Al-Kindi est surtout connu en association avec L’Apologie d’Al-Kindi, un texte anonyme de l’époque. Il s’agit sans doute d’un dialogue fictif entre deux fidèles, l’un musulman (Abdallah Al-Hashimi), l’autre chrétien (Al-Kindi), chacun faisant l’apologie de sa religion et invitant l’autre à le rejoindre ! Ce dialogue aurait eu lieu à l’époque du calife Al-Ma’mûn. Ce que l’on sait de l’ouverture d’esprit du Calife ne vient pas contredire cette assertion. Le plus ancien commentaire sur cette Apologie appartient à Al-Biruni (973-1048).

Le manuscrit de L’Apologie d’Al-Kindi fut traduite en latin en 1142 à la demande de Pierre le Vénérable (1092-1156), abbé de l’abbaye de Cluny, la plus puissante et la plus importante de l’Europe latine. La même année, après avoir visité Tolède, il conçoit l’idée d’une réfutation systématique de la religion musulmane qu’il considère comme hérétique et errante.

Voici comment il explique la traduction qu’il vient d’ordonner du Coran (la Lex Mahumet pseudoprophete) par une équipe de traducteurs (dont un Arabe) constituée à l’occasion :

Qu’on donne à l’erreur mahométane le nom honteux d’hérésie ou celui, infâme, de paganisme, il faut agir contre elle, c’est-à-dire écrire. Mais les latins et surtout les modernes, l’antique culture périssant, suivant le mot des Juifs qui admiraient jadis les apôtres polyglottes, ne savent pas d’autre langue que celle de leur pays natal. Aussi n’ont-ils pu ni reconnaître l’énormité de cette erreur ni lui barrer la route. Aussi mon cœur s’est enflammé et un feu m’a brûlé dans ma méditation. Je me suis indigné de voir les Latins ignorer la cause d’une telle perdition et leur ignorance leur ôter le pouvoir d’y résister ; car personne ne répondait, car personne ne savait. Je suis donc allé trouver des spécialistes de la langue arabe qui a permis à ce poison mortel d’infester plus de la moitié du globe. Je les ai persuadés à force de prières et d’argent de traduire d’arabe en latin l’histoire et la doctrine de ce malheureux et sa loi même qu’on appelle Coran.

Accusée donc « la langue arabe qui a permis à ce poison mortel (l’islam) d’infester plus de la moitié du globe »

Cette déclaration de guerre était sans doute essentielle pour motiver les troupes. Rappelons que Eudes de Châtillon, le grand prieur de l’abbaye de Cluny, qui deviendra le pape Urbain II en 1088, sera, en 1095, à l’origine de la première croisade, conduisant les bandits qui ravageaient la France à aller guerroyer ailleurs.

Le déclin et Al-Ghazali

Enluminure du Kitab Mukhtar al-Hikam wa-Mahasin al-Kilam d’Al-Mubashir – XIIIe s.
Ms Ahmed III N° 3206, Bibliothèque Topkapi, Istanbul. Le philosophe semble plus regarder son doigt que l’astrolabe dont il est supposé expliquer l’emploi aux élèves, situation qui inquiète ces derniers.

Revenons aux Abbassides. Comme nous l’avons dit, avec l’arrivée au pouvoir d’Al-Mutawakkil en 847, le mutazilisme est écarté du pouvoir et les Maisons de la Sagesse réduites en simples bibliothèques. Ce que n’empêcha pas un voyageur, décrivant sa visite à Bagdad en 891, de rapporter que la ville renfermait plus de cent bibliothèques publiques. Suivant le modèle Bayt Al-Hikma, des petites bibliothèques furent fondées à chaque coin de rue de la cité…

Empêtrée dans des débats théologiques sans fin entre experts et gagné par le sectarisme, l’élite mutaziliste se coupe d’un peuple qui perd confiance et finira par accueillir avec un sentiment de soulagement la doctrine obscurantiste acharite d’Al-Ghazâlî (1058-1111) (nom latin : Algazel), le pire ennemi des mutazilites.

Al-Ghazâlî propose une solution radicale : la philosophie n’est dans le vrai que lorsqu’elle s’accorde avec la religion – ce qui, d’après lui, est rare. Cela le conduit donc à radicaliser sa position, et à attaquer de plus en plus la philosophie gréco-arabe, coupable, à ses yeux, de blasphème.

Là où quelqu’un comme le perse Ibn Sina (980-1037) (nom latin : Avicenne), auteur des Canons ou Préceptes de médecine (vers 1020), croisait philosophie grecque et religion musulmane, Al-Ghazâlî veut désormais filtrer la première par la seconde.

D’où son ouvrage le plus célèbre et le plus important, L’incohérence des philosophes, rédigé en 1095. Il y dénonce « l’orgueil » des philosophes qui prétendent « réécrire le Coran » à travers Platon et Aristote. Leur erreur est avant tout une erreur logique, comme l’indique le titre même de l’ouvrage qui souligne leur « incohérence » : ils veulent compléter le Coran par la philosophie grecque alors que, venant après elle dans l’histoire, le Coran n’a nul besoin d’être complété. Il promeut ainsi une approche beaucoup plus littérale du texte coranique, alors que Ibn Sina en défendait, prudemment il est vrai, une approche métaphorique. En vérité, c’est l’aristotélisme et le nominalisme qui triomphent. La doctrine s’opposant au mutazilisme sera l’Acharisme.

Pour les Ascharites, parler de la justice et de la rationalité de Dieu est un double blasphème, parce que cela revient à limiter sa toute-puissance. Si Dieu était, comme le disent les mutazilites, contraint de vouloir ce qui est bon, alors il serait … contraint, ce que les Ascharites trouvent théologiquement inacceptable. Par conséquent, les croyants ne doivent pas admettre l’idée que Dieu veut le bien, mais se soumettre au principe que tout ce qu’Il veut est bien parce qu’Il le veut.

De même, il est blasphématoire de chercher dans la nature des « causes secondes », c’est-à- dire des lois scientifiques. Le monde existe parce que Dieu, à chaque instant, veut qu’il existe. Toute recherche scientifique, toute tentative d’appliquer la raison et l’analyse, est une offense à la toute-puissance divine.

Pour Sébastien Castellion, le rejet de la raison par l’école ascharite – et à sa suite par une grande partie de la civilisation musulmane – ne fut pas un processus implicite et souterrain, mais une décision explicite fondée sur des principes théologiques. Le grand juriste Ibn Hanbal, dont l’école est prédominante aujourd’hui en Arabie Saoudite, disait ainsi que « tous ceux qui se livrent à des raisonnements par analogie et à des opinions personnelles sont des hérétiques (…). Acceptez seulement, sans demander pourquoi et sans faire de comparaisons ».

La chute de Bagdad

A partir du XIe siècle, les Abbassides, dont l’Empire se morcelle, feront appel aux princes turcs seldjoukides pour les protéger contre les Chiites, soutenus par le califat fatimide du Caire.

Progressivement, les troupes turques et mongoles, venues d’Asie centrale, finissent par régenter la sécurité du calife abbasside, tout en le laissant exercer son pouvoir religieux.

Puis, en 1258, ils destitueront le dernier calife et confisqueront son titre de successeur du Prophète, ce qui leur donnera le pouvoir religieux sur les quatre écoles du sunnisme. Pour soumettre les populations arabes et perses, les Turcs seldjoukides créeront la madrasa (école coranique) où l’on enseigne la doctrine conservatrice du sunnisme acharite, à l’exclusion de la théologie dialectique mutazilite, considérée comme une menace idéologique pour l’autorité turque sur les Arabes.

L’empire abbasside déclinera sous l’effet de l’incurie administrative, de l’abandon de la maintenance des canaux, des disettes provoquées par les inondations, des injustices sociales, des révoltes d’esclaves et des tensions religieuses entre chiites et sunnites. A la fin du IXe siècle, les Zendj, esclaves noirs (de Zanzibar) qui travaillent dans les marais du bas-Irak, se révoltent à plusieurs reprises, jusqu’à occuper Bassorah et menacer Bagdad. Le calife rétablira l’ordre au prix d’une répression d’une violence inouïe. Les révoltés ne seront écrasés qu’en 883 au prix de très nombreuses victimes, mais l’empire ne s’en remettra pas.

En 1019, le calife interdit toute nouvelle interprétation du Coran, s’opposant radicalement à l’école mutazilite. C’est un coup d’arrêt brutal au développement de l’esprit critique et aux innovations intellectuelles et scientifiques dans l’empire arabe dont les conséquences se font sentir jusqu’à nos jours.

ASTRONOMIE

Depuis la nuit des temps (c’est le cas de le dire), l’homme a essayé de comprendre l’organisation des astres dans l’environnement proche de la Terre.

Des installations comme Stonehenge (2800 av. JC) en Angleterre permettaient aux premiers observateurs d’identifier les cycles qui déterminent l’endroit et le jour exact où se lèvent certains astres. Toutes ces observations posaient des paradoxes : autour de nous, la terre apparaît relativement plate, mais la Lune ou le Soleil que nous percevons avec les mêmes yeux nous semblent sphériques. Le Soleil « se lève » et « se couche », nous disent nos sens, mais où est la réalité ?

Il semblerait que Thalès de Milet (625-547 av. JC) ait été le premier à s’être réellement posé la question de la forme de la Terre. Il pense alors qu’elle a la forme d’un disque plat sur une vaste étendue d’eau. Ce sont ensuite Pythagore et Platon qui imaginent une forme sphérique jugée plus belle et plus rationnelle. Enfin Aristote rapporte quelques preuves observationnelles comme la forme arrondie de l’ombre de la Terre sur la Lune lors des éclipses.

Le scientifique grec Ératosthène, libraire-en-chef de la bibliothèque d’Alexandrie, calcule ensuite la circonférence terrestre. Il avait remarqué qu’à midi, le jour du solstice d’été, il n’y avait aucune ombre du côté d’Assouan. En mesurant l’ombre d’un bâton planté à Alexandrie au même moment et en connaissant la distance qui sépare les deux cités, il déduit la circonférence de la Terre avec une précision assez étonnante : 39 375 kilomètres contre quelque 40 000 kilomètres pour les estimations actuelles.

Entre l’Almageste de Ptolémée et le De Revolutionibus de Copernic, nous l’avons dit, l’astronomie arabe constitue « le chaînon manquant ».

Le titre original de l’œuvre de Ptolémée est « La composition mathématique ». Les Arabes, très impressionnés par cet ouvrage, le qualifièrent de « megiste », du grec signifiant « très grand », auquel ils ajoutèrent l’article arabe « al », pour donner « al megiste » qui devint Almageste.

Il est important de savoir que Ptolémée n’a jamais eu l’occasion de relire son traité comme un tout. Après avoir écrit le premier des treize livres de son œuvre, celui sur « Les postulats fondamentaux de l’astronomie », Ptolémée le passe aux copistes qui le reproduisent et le diffusent largement sans attendre l’achèvement des autres douze livres…

Après l’Almageste, Ptolémée, confronté à des observations remettant en cause ses propres observations et afin de rectifier ses erreurs, écrira une autre œuvre intitulée les « Hypothèses planétaires ». Astrolabe d’al-Shali (Tolède-1067) – Musée archéologique national de Madrid.

L’auteur y revient sur les modèles présentés dans son précédent ouvrage tout en apportant des modifications concernant les mouvements moyens (des planètes) pour tenir compte de nouvelles observations.

Pour autant, ses Hypothèses planétaires allaient au-delà du modèle mathématique de l’Almageste pour présenter une réalisation physique de l’univers comme un ensemble de sphères imbriquées, dans lesquelles il utilisait les épicycles de son modèle planétaire pour calculer les dimensions de l’univers.

Enfin, l’Almageste contient également une description de 1022 étoiles regroupées en 48 constellations. Ptolémée y présente la projection stéréographique inventée par Hipparque, la base théorique dont se serviront ensuite les astronomes arabes pour construire l’astrolabe.

Aristarque de Samos utilisa la trigonométrie pour tenter de mesurer les distances entre la Terre, la Lune et le Soleil. Ce grand mathématicien fut le premier à affirmer que le Soleil était le centre de l’Univers. Archimède disait de lui : « Aristarque avance l’hypothèse que le Soleil et les étoiles fixes sont stationnaires, que la Terre est entraînée sur une orbite circulaire autour du Soleil… et que la sphère des étoiles fixes, avec son centre au Soleil, a une extension si grande que l’orbite terrestre se trouve à la distance des étoiles comme le centre de la sphère à sa surface ».

Au IXe siècle, lorsque les Arabes s’ intéressent à l’astronomie, la connaissance repose sur les principes suivants résumés dans l’œuvre de Ptolémée :

  • Ignorant les affirmations d’Aristarque de Samos (310-230 av. JC) pour qui la Terre tournait autour du Soleil, Ptolémée reprend au IIe siècle de notre ère la thèse d’Eudoxe de Cnide (env. 400-355 av. JC) et surtout d’Hipparque (180 à 125 av. JC) affirmant que la Terre est une sphère immobile placée au centre de l’univers (géocentrisme) ;
  • Ptolémée s’accorde avec Platon, qui s’inspirait de Pythagore, pour affirmer que le cercle étant la seule forme parfaite, les autres corps tournant autour de la Terre le font selon des trajectoires circulaires et uniformes (sans accélération ni ralentissement) ;
  • Tous savent pourtant que certaines planètes ne suivent pas ces règles parfaites. Au VIe siècle, le philosophe néo-platonicien Simplicius, écrit dans son Commentaire à la Physique d’Aristote : « Platon pose alors ce problème aux mathématiciens : quels sont les mouvements circulaires uniformes et parfaitement réguliers qu’il convient de prendre pour hypothèses, afin que l’on puisse sauver les apparences que les astres errants présentent ? » ;
  • Afin de rendre compte de la rétrogradation apparente de Mars, Hipparque introduira d’autres figures parfaites secondaires, encore des cercles. L’articulation et l’interaction de ces « épicycles » donnaient l’apparence de coller avec les faits observés. Ptolémée reprend cette démarche ;
  • Cependant, plus la précision des mesures astronomiques s’améliore, plus on découvre des anomalies et plus il faut multiplier ces épicycles imbriqués, ce qui devient vite très compliqué et inextricable ;
  • L’Univers se divise en une région sublunaire où tout est créé et donc périssable, et le reste de l’univers, supra-lunaire, qui est impérissable et éternel.

Hipparque de Nicée

L’Almageste de Ptolémée (reprenant les épicycles d’Hipparque), traduit en arabe.

Les astronomes arabes, pour les raisons aussi bien religieuses qu’intellectuelles que nous avons évoquées en début d’article, vont initialement découvrir et ensuite, sur la base d’observations de plus en plus poussées, contester les hypothèses d’Hipparque à la base du modèle ptoléméen.

Hipparque, dont Ptolémée est l’exécuteur testamentaire, imagine un système de coordonnées des astres basé sur les longitudes et les latitudes. On lui doit également l’usage des parallèles et des méridiens pour le repérage sur la Terre ainsi que la division de la circonférence en 360° héritée du calcul sexagésimal (qui a pour base le nombre 60) des Babyloniens.

En astronomie, ses travaux sur la rotation de la Terre et des planètes sont nombreux. Hipparque explique le mécanisme des saisons en constatant l’obliquité de l’écliptique : inclinaison de l’axe de rotation de la Terre. En comparant ses observations avec d’autres plus anciennes, il découvre la précession des équinoxes due à cette inclinaison : l’axe de rotation de la Terre effectue un mouvement conique de l’Orient vers l’Occident et de révolution complète tous les 26 000 ans. Ainsi dans quelques millénaires, le pôle Nord ne pointera plus vers l’étoile polaire mais vers une autre étoile, Véga.

D’Hipparque, les Arabes reprennent, en l’améliorant, un instrument de mesure de positions important : l’astrolabe. Ce « joyau mathématique » permet de mesurer la position des étoiles, des planètes, de connaître l’heure sur Terre. Plus tard, l’astrolabe sera remplacé par des instruments plus précis et plus simples d’emploi, comme le quadrant, le sextant ou l’octant.

Avec les manuscrits dont ils disposaient dans les Maisons de la Sagesse et les observatoires de Bagdad et de Damas, les astronomes arabes eurent des textes d’une incroyable richesse mais souvent en contradiction flagrante avec leurs propres observations des mouvements de la Lune et du Soleil. C’est de cette confrontation que naîtront les découvertes ultérieures. Les Arabes introduiront abondamment les mathématiques pour résoudre les problèmes, en particulier la trigonométrie et l’algèbre.

Les astronomes arabes

Afin de présenter les principaux astronomes arabes et leurs contributions, voici un extrait de l’article remarquable de J. P. Maratray L’astronomie arabe.

  • Al-Khwârizmî (783-850) dit Algoritmi
    Mathématicien, géographe et astronome d’origine perse, il est membre des « Maison de la Sagesse ». C’est l’un des fondateurs des mathématiques arabes, en s’inspirant des connaissances indiennes, en particulier du système décimal, des fractions, des racines carrées… On lui doit le terme « algorithme ». Les algorithmes sont connus depuis l’antiquité, et le nom d’Al-Khwârizmî (Algoritmi en latin) sera donné à ces suites d’opérations élémentaires répétées. Il est aussi l’auteur du terme « algèbre », qui est le titre de l’un de ses ouvrages traitant du sujet. Il est aussi le premier à utiliser la lettre x pour désigner une inconnue dans une équation. Il est surnommé « le père de l’algèbre ». Il écrit le premier livre d’algèbre (al-jabr) dans lequel il décrit une méthode systématique de résolution d’équations du second degré et propose un classement de ces équations. Il introduit l’usage des chiffres que nous utilisons encore aujourd’hui. Ces chiffres « arabes » sont en fait d’origine indienne, mais furent utilisés mathématiquement par Al-Khwârizmî. Il adopte l’utilisation du zéro, inventé par les Indiens au Ve siècle, et repris par les Arabes par son intermédiaire. Les Arabes traduiront le mot indien « sunya » par « as-sifr », qui devient « ziffer » et « zephiro ». Ziffer donnera « chiffre », et zephiro, « zéro ». Al-Khwârizmî établit des tables astronomiques (position des cinq planètes, du Soleil et de la Lune) basées sur l’astronomie hindoue et grecque. Il étudie la position et la visibilité de la Lune et ses éclipses, du Soleil et des planètes. C’est le premier ouvrage astronomique totalement arabe. Un cratère de la Lune porte son nom.
  • Al-Farghani (805-880) dit Alfraganus.
    Né à Ferghana dans l’actuel Ouzbékistan, il écrit en 833 les Eléments d’astronomie, basés sur les connaissances grecques de Ptolémée. Il est l’un des plus remarquables astronomes au service de Al-Ma’mûn, et membre de la Maison de la Sagesse. Il introduit des idées nouvelles, comme le fait que la précession des équinoxes doit affecter la position des planètes, et pas seulement celle des étoiles. Son ouvrage sera traduit en latin au XIIe siècle, et aura un grand retentissement dans les milieux très fermés des astronomes d’Europe occidentale. Il détermine le diamètre de la Terre qu’il estime à 10500 km. On lui doit également un ouvrage sur les cadrans solaires et un autre sur l’astrolabe.
  • Al-Battani (850-929) dit Albatenius.
    Il observe le ciel depuis la Syrie. On le surnomme parfois « le Ptolémée des Arabes ». Ses mesures sont remarquables de précision. Il détermine la durée de l’année solaire, la valeur de la précession des équinoxes, l’inclinaison de l’écliptique. Il constate que l’excentricité du Soleil est variable, sans aller jusqu’à interpréter ce phénomène comme une trajectoire elliptique. Il rédige un catalogue de 489 étoiles. On lui doit la première utilisation de la trigonométrie dans l’étude du ciel. C’est une méthode beaucoup plus puissante que celle, géométrique, de Ptolémée. Son œuvre principale est Le livre des tables. Il est composé de 57 chapitres. Traduit en latin au XIIe siècle par Platon de Tivoli (en 1116), il influencera beaucoup les astronomes européens de la Renaissance.
  • Al-Soufi (903-986) dit Azophi.
    Astronome perse, il traduit des ouvrages grecs dont l’Almageste et améliore les estimations des magnitudes d’étoiles. En 964, il publie Le livre des étoiles fixes, où il dessine des constellations. Il semble avoir été le premier à rapporter une observation du grand nuage de Magellan (une nébuleuse), visible au Yémen, mais pas à Ispahan. De même, on lui doit une première représentation de la galaxie d’Andromède, probablement déjà observée avant lui. Il la décrit comme « un petit nuage » dans la bouche de la constellation arabe du Grand Poisson. Son nom (Azophi) a été donné à un cratère de la Lune.
  • Al-Khujandi (vers 940- vers 1000).
    Il est astronome et mathématicien perse. Il construit un observatoire à Ray, près de Téhéran, comportant un énorme sextant, fabriqué en 994. C’est le premier instrument apte à mesurer des angles plus précis que la minute d’angle. Il mesure avec cet instrument l’obliquité de l’écliptique, en observant les passages au méridien du Soleil. Il trouve 23° 32’ 19’’. Ptolémée trouvait 23° 51’, et les indiens, bien plus tôt, 24°. Jamais l’idée de la variation naturelle de cet angle ne vint aux Arabes. Ils dissertèrent longtemps sur la précision des mesures, ce qui fit avancer leur science.
  • Ibn Al-Haytam (965-1039) dit Alhazen.
    Mathématicien et opticien né à Bassorah dans l’Irak actuel, il est sollicité par les autorités égyptiennes pour résoudre le problème des crues du Nil. Sa solution était la construction d’un barrage vers Assouan. Il renonça devant l’énormité de la tâche (le barrage fut construit en 1970 !). Devant cet échec, il feignit la folie jusqu’à la mort de son patron. Il fait un bilan critique des thèses de Ptolémée et de ses prédécesseurs, et écrit Doutes sur Ptolémée. Il dresse un catalogue des incohérences, sans toutefois proposer de solution alternative. Parmi les incohérences qu’il relève, on peut citer la variation du diamètre apparent de la Lune et du Soleil, la non uniformité des mouvements prétendument circulaires, la variation de la position des planètes en latitude, l’organisation des sphères grecques … et, observant que la Voie Lactée n’a pas de parallaxe, il place cette dernière très éloignée de la Terre, en tous cas plus loin que la sphère sublunaire d’Aristote. Malgré ses doutes, il conserve la place centrale de la Terre dans l’univers. Ibn Al-Haytam reprend les travaux des savants grecs, d’Euclide à Ptolémée, pour lesquels la notion de lumière est étroitement liée à la notion de vision : la principale question étant de savoir si l’œil a un rôle passif dans ce processus ou s’il envoie une sorte de fluide pour « interroger » l’objet. Par ses études du mécanisme de la vision, Ibn Al-Haytam montra que les deux yeux étaient un instrument d’optique, et qu’ils voyaient effectivement deux images séparées. Si l’œil envoyait ce fluide, on pourrait voir la nuit. Il comprit que la lumière du soleil se reflétait sur les objets et ensuite entrait dans l’œil. Mais pour lui, l’image se forme sur le cristallin… Il reprend les idées de Ptolémée sur la propagation rectiligne de la lumière, accepte les lois de réflexion sur un miroir, et pressent que la lumière a une vitesse finie, mais très grande. Il étudie la réfraction, déviation d’un rayon lumineux au passage d’un milieu à un autre, et prévoit une modification de la vitesse de la lumière à ce passage. Mais il ne put jamais calculer l’angle de réfraction. Il trouve que le phénomène du crépuscule est lié à la réfraction de la lumière solaire dans l’atmosphère, dont il tente de mesurer la hauteur, sans y parvenir. Déjà connue dans l’antiquité, on lui doit une description très précise et l’utilisation à des fins d’expériences, de la chambre noire (camera obscura), pièce noire qui projette une image sur un mur en passant par un petit trou percé sur le mur d’en face. Le résultat de toutes ces recherches optiques est consigné dans son Traité d’optique qu’il mit six ans à écrire et qui fut traduit en latin en 1270. (*16) En mécanique, il affirme qu’un objet en mouvement continue de bouger aussi longtemps qu’aucune force ne l’arrête. C’est le principe d’inertie avant la lettre. Un astéroïde porte son nom : 59239 Alhazen.
  • Al-Biruni (973-1048).
    Certainement l’un des plus grands savants de l’islam médiéval, originaire de Perse ; il s’intéresse à l’astronomie, à la géographie, à l’histoire, à la médecine et aux mathématiques, et à la philosophie en général. Il rédige plus de 100 ouvrages. Il sera aussi percepteur des impôts, et un grand voyageur, en particulier en Inde, où il étudie la langue, la religion et la science. A l’âge de 17 ans, il calcule la latitude de sa ville natale de Kath (en Perse, actuellement en Ouzbékistan). A 22 ans, il a déjà écrit plusieurs ouvrages courts, dont un sur la cartographie. En astronomie, il observe les éclipses de Lune et de Soleil. Il est l’un des premiers à évaluer les erreurs sur ses mesures et celles de ses prédécesseurs. Il constate une différence entre la vitesse moyenne et la vitesse apparente d’un astre. Il mesure le rayon de la Terre à 6339,6 km (le bon chiffre est 6378 km), résultat utilisé en Europe au XVIe siècle. Lors de ses voyages, il rencontre des astronomes indiens partisans de l’héliocentrisme et de la rotation de la Terre sur son axe. Il sera toujours sceptique, car cette théorie implique le mouvement de la Terre. Mais il se posera la question : « Voilà un problème difficile à résoudre et à réfuter ». Il estime que cette théorie n’entraîne aucun problème sur le plan mathématique. Il réfute l’astrologie, arguant que cette discipline est plus conjecturale qu’expérimentale. En mathématiques, il développe le calcul des proportions (règle de trois), démontre que le rapport de la circonférence d’un cercle à son diamètre est irrationnel (futur nombre Pi), calcule des tables trigonométriques, et met au point des méthodes de triangulations géodésiques.
  • Ali Ibn Ridwan (988-1061).
    Astronome et astrologue égyptien, il écrit plusieurs ouvrages astronomiques et astrologiques, dont un commentaire d’un autre livre de Claude Ptolémée, la Tetrabible. Il observe et commente une supernova (SN 1006), sans doute la plus brillante de l’histoire. On estime aujourd’hui sa magnitude, d’après les témoignages qui nous sont parvenus, à -7,5 ! Elle est restée visible plus d’un an. Il explique que cette nouvelle étoile avait deux à trois fois le diamètre apparent de Vénus, un quart de la luminosité de la Lune, et qu’elle se trouvait bas sur l’horizon sud. D’autres observations occidentales corroborent cette description, et la place dans la constellation du Loup.
  • Du XIe au XVIe siècle.
    Après une première phase, des observatoires plus importants sont construits. Le premier d’entre eux, modèle des suivants, est celui de Marâgha, dans l’Iran actuel. Leur but est d’établir des modèles planétaires, et de comprendre le mouvement des astres. (…) L’école ainsi constituée aura son apogée avec Ibn Al-Shâtir (1304-1375). D’autres observatoires suivront, comme celui de Samarcande au XVe siècle, Istanbul au début du XVIe siècle, et, en Occident, celui de Tycho Brahé à Uraniborg (Danemark d’alors) à la fin du XVIe. Les nouveaux modèles ne sont plus d’inspiration ptoléméenne, mais restent géocentriques. La physique de l’époque refuse toujours de mettre la Terre en mouvement et de l’enlever du centre du monde. Ces modèles s’inspirent des épicycles grecs, en conservant les cercles, mais en les simplifiant. Par exemple, Al-Tûsî propose un système comprenant un cercle roulant à l’intérieur d’un autre cercle de rayon double. Ce système transforme deux mouvements circulaires en un mouvement rectiligne alternatif, et explique les variations de la latitude des planètes. En outre, il rend compte des variations des diamètres apparents des astres. Mais pour aller plus loin, il faudra changer de système de référence, ce que les Arabes se sont refusés de faire. Ce changement interviendra avec la révolution copernicienne, à la Renaissance, dans laquelle la Terre perd son statut de centre du monde.
  • Al-Zarqali (1029-1087) dit Arzachel.
    Mathématicien, astronome et géographe né à Tolède en Espagne, il discute la possibilité du mouvement de la Terre. Comme d’autres, ses écrits seront connus des Européens du XVIe et XVIIe siècle. Il conçoit des astrolabes, et établit les Tables de Tolède, qui furent utilisées par les grands navigateurs occidentaux comme Christophe Colomb, et serviront de base aux Tables alphonsines. Il établit que l’excentricité du Soleil varie, plus exactement que le centre du cercle sur lequel tourne le Soleil s’éloigne ou se rapproche périodiquement de la Terre. Un cratère de la Lune porte son nom, ainsi qu’un pont de Tolède sur le Tage.
  • Omar Al-Khayyam (1048-1131).
    Connu pour sa poésie, il s’intéresse aussi à l’astronomie et aux mathématiques. Il devient directeur de l’observatoire d’Ispahan en 1074. Il crée de nouvelles tables astronomiques encore plus précises, et détermine la durée de l’année solaire avec une grande précision, au vu des instruments utilisés. Elle est plus exacte que l’année grégorienne, créée cinq siècles plus tard en Europe. Il réforme le calendrier persan en y introduisant une année bissextile (réforme Djelaléenne). En mathématiques, il s’intéresse aux équations du troisième degré en démontrant qu’elles peuvent avoir plusieurs solutions (il en trouve certaines géométriquement). Il écrit plusieurs textes sur l’extraction des racines cubiques, et un traité d’algèbre.
  • Al-Tûsî (1201-1274).
    Astronome et mathématicien, né à Tus dans l’Iran actuel, il fit construire et dirigea l’observatoire de Maragha. Il étudie les travaux de Al-Khayyam sur les proportions, s’intéresse à la géométrie.Côté astronomie, il commente l’Almageste et le complète, comme plusieurs astronomes (Al-Battani…) avant lui. Il estime l’obliquité de l’écliptique à 23°30’.
  • Al-Kashi (1380-1439).
    Mathématicien et astronome perse, il assiste à une éclipse de Lune en 1406 et rédige plusieurs ouvrages astronomiques par la suite. C’est à Samarcande qu’il passe le reste de sa vie, sous la protection du prince Ulugh Beg (1394-1449) qui y a fondé une université. Il devient le premier directeur du nouvel observatoire de Samarcande. Ses tables astronomiques proposent des valeurs à 4 (5 selon les sources) chiffres en notation sexagésimale de la fonction sinus. Il donne la manière de passer d’un système de coordonnées à un autre. Son catalogue contient 1018 étoiles. Il améliore les tables des éclipses et de visibilité de la Lune. Dans son traité sur le cercle, il obtient une valeur approchée de Pi avec 9 positions exactes en notation sexagésimale, soit 16 décimales exactes ! Un record, puisque la prochaine amélioration de l’estimation de Pi date du XVIe siècle avec 20 décimales. Il laisse son nom à une généralisation du théorème de Pythagore aux triangles quelconques. C’est le théorème d’Al-Kashi. Il introduit les fractions décimales, et acquiert une grande renommée qui fait de lui le dernier grand mathématicien astronome arabe, avant que l’occident ne prenne le relai.
  • Ulugh Beg (1394-1449).
    Petit fils de Tamerlan, prince des Timourides (descendants de Tamerlan). Vice-roi dès 1410, il accède au trône en 1447. C’est un remarquable savant et un piètre politicien, charge qu’il délègue pour s’adonner à la science. Son professeur est Qadi-zadeh Roumi (1364-1436) qui développe chez lui le goût pour les mathématiques et l’astronomie. Il fait bâtir plusieurs écoles dont une à Samarcande en 1420 où il enseigne, et un observatoire en 1429. Il y travaille avec quelque 70 mathématiciens et astronomes (dont Al-Kashi) pour rédiger les Tables sultaniennes parues en 1437 et améliorées par Ulugh Beg lui-même peu avant sa mort en 1449. La précision de ces tables restera inégalée pendant plus de 200 ans, et elles furent utilisées en occident. Elles contiennent les positions de plus de 1000 étoiles. Leur première traduction date d’environ l’an 1500, et fut réalisée à Venise.
  • Taqi Al-Din (1526-1585).
    Après une période où il est théologien, il devient astronome officiel du sultan à Istanbul. Il y construit un observatoire dont le but est de concurrencer ceux des pays européens, dont celui de Tycho Brahé. L’observatoire est ouvert en 1577. Il dresse les tables « Zij » (La perle intacte). Il est le premier à utiliser la notation à virgule, plutôt que les traditionnelles fractions sexagésimales en usage. Il observe et décrit une comète, et prévoit qu’elle est le signe de la victoire de l’armée ottomane. Cette vision se révèle fausse, et l’observatoire est détruit en 1580… Il se consacre ensuite à la mécanique, et décrit le fonctionnement d’un moteur à vapeur rudimentaire, invente une pompe à eau, et se passionne pour les horloges et l’optique.

L’astronome Taqi Al-Din (1525-1585) et ses collègues dans l’observatoire d’Istanbul. Manuscrit de 1581, Bibliothèque Topka, Istanbul.

La destruction de l’observatoire d’Istanbul marque la fin de l’activité astronomique arabe du moyen-âge. Il faudra attendre la révolution copernicienne pour voir de nouveaux progrès, et quels progrès ! Copernic et ses successeurs se sont certainement fortement inspirés des résultats des Arabes par l’entremise de leurs ouvrages. Les voyages et les contacts directs entre scientifiques de l’époque étaient rares.

Les occidentaux ne comprenant pas l’arabe, ce sont les traductions en latin qui ont probablement influencé l’Occident, avec, il faut le reconnaître, les ouvrages de certains philosophes grecs qui avaient remis en cause la position centrale de la Terre, comme Aristarque de Samos l’avait proposé vers -280.

Les observatoires arabes

Maquette de l’Observatoire de Samarcande construit en 1420 par Ulugh Beg. A l’intérieur, avec un rayon de 40 mètres, le plus grand quadrant de 90° jamais vu. Profondément enroché afin de réduire les conséquences des séismes, l’arc est constitué de deux parapets de marbre gradués en degrés et en minutes. Il se prolongeait à l’origine jusqu’au sommet d’un édifice de trois étages.

L’observatoire moderne, dans sa conception, est un digne successeur des observatoires arabes de la fin du moyen-âge.

A l’inverse de l’observatoire privé des philosophes grecs, l’observatoire islamique est une institution astronomique spécialisée, avec ses propres locaux, du personnel scientifique, un travail d’équipes avec observateurs et théoriciens, un directeur et des programmes d’études.

Ils ont recours, comme aujourd’hui, à des instruments de plus en plus grands, afin d’améliorer constamment la précision des mesures.

Le premier de ces observatoires est construit à sous le règne d’Al-Ma’mûn (la Maison de la Sagesse) en Irak actuel au IXe siècle. Nous avons déjà parlé de l’observatoire de Ray, proche de Téhéran et deuxième ville de l’Empire abbasside après Bagdad, avec son monumental sextant mural datant de 994. Il faut y ajouter les observatoires de Tolède et Cordoue en Espagne, de Bagdad, d’Ispahan.

Enfin, celui de Marâgha au nord de l’Iran actuel, construit en 1259 avec les fonds prélevés pour entretenir les hôpitaux et les mosquées. Al-Tusi y travailla. Vint ensuite l’ère de l’observatoire de Samarcande, construit en 1420 par l’astronome Ulugh Beg (1394-1449), dont les vestiges ont été retrouvés en 1908 par une équipe russe.

Site de l’Observatoire de Marâgha aujourd’hui.

Conclusion

Destruction de Bagdad par les Mongols en 1258. Détail d’une miniature.

Bien plus que les croisades, ce seront les offensives mongoles qui ravageront des pans entiers de la civilisation arabo-musulmane.

A la grande satisfaction de certains Occidentaux, Gengis Khan (1155-1227, détruira les royaumes musulmans du Khwarezm (1218) et de la Sogdiane avec Boukhara et Samarcande (1220). La grande ville de Merv en 1221. En 1238, son fils s’emparera de Moscou, puis de Kiev. En 1240, la Pologne et la Hongrie seront envahies. En 1241, Vienne sera menacée. Avant de provoquer la chute de la Dynastie des Song du Sud en Chine (1273), les Mongols s’en prendront aux Abbassides. Ainsi, les Maisons de la Sagesse connurent une fin brutale le 12 février 1258 avec l’invasion des Mongols à Bagdad conduite par Hulagu (le petit fils de Gengis Khan), qui tua le dernier calife abbasside Al Mu’tassim (malgré sa capitulation) et détruisit la ville de Bagdad et son héritage culturel. Hulagu ordonna aussi de massacrer toute la famille du calife et tout son entourage.

Le mutazilisme fut interdit et la magnifique collection de livres et de manuscrits de la Maison de la Sagesse de Bagdad fut jetée dans l’eau boueuse du Tigre, qui devint noire pendant plusieurs jours à cause de l’encre des livres et manuscrits.

Les Mongols exterminèrent 24 000 savants et un nombre incalculable de livres furent perdus. Du mutazilisme, on ne connaissait plus sa doctrine que par les textes des théologiens traditionalistes qui l’avaient attaqué. Au XIXe siècle, la découverte des volumineux ouvrages d’Abdel al Jabbar Ibn Ahmad permirent de mieux comprendre l’importance de ce courant de pensée dans la formation de la théologie musulmane actuelle, qu’elle soit sunnite ou chiite.

Plus proche de nous, la guerre d’Irak de 2003 : jusqu’à cette date, ce pays était le plus grand éditeur mondial de publications scientifiques en langue arabe. A la suite du chaos provoqué par une guerre menée « pour la démocratie » et « contre le terrorisme », la Bibliothèque comme les Archives nationales furent pillées et incendiées.

Idem pour la Bibliothèque centrale des legs pieux, la Bibliothèque de l’université irakienne des Sciences, ainsi que de nombreuses bibliothèques publiques à Bagdad, Mossoul et Bassorah. Il en fut de même pour les trésors archéologiques du Musée irakien et sa bibliothèque.

Il faut croire que certains ont déclaré la guerre à la civilisation.

1917. Alors que Français et Allemands s’entre-tuent dans les tranchés, les troupes de sa Majesté s’emparent de Bagdad et surtout des hydrocarbures dont le contrôle était incontournable pour préserver l’hégémonie d’Empire Britannique.

Chronologie sommaire :

  • 310-230 av. JC., vie de l’astronome grec Aristarque de Samos ;
  • 190-120 av. JC., vie de l’astronome grec Hipparque de Nicée ;
  • v. 100-160 après J.-C. : vie de l’astronome romain Claude Ptolémée ;
  • 700-748 : vie de Wasil ibn Ata, fondateur du mutazilisme ;
  • 750 : début de la dynastie des Abbassides ;
  • 751 : victoire abbasside contre les Chinois à la bataille de Talas (Kirghistan) ;
  • 763 : fondation de Bagdad par le calife Al-Mansur ;
  • 780 : Timothée Ier, patriarche de l’église nestorienne chrétienne à Bagdad ;
  • 780-850 : vie du mathématicien arabe al-Kwarizmi ;
  • 786 à 809 : califat pendant 23 ans d’Haroun al-Rachîd, héros légendaire des contes des Mille et Une Nuits. Développement du mutazilisme ;
  • 801-873 : vie du philosophe mutaziliste et platonicien Al-Kindi ;
  • 805-880 : vie d’Al-Farghani , traité sur l’Astrolabe ;
  • 813-833 : califat d’Al-Ma’mûn (20 ans) ;
  • 829 : création du premier observatoire astronomique permanent à Bagdad suivi par celui de Damas ;
  • 832 : création de la bibliothèque publique et création des Maisons de la Sagesse ;
  • 833 : peu avant sa mort, Al-Ma’mûn décrète le Coran créé et fait adopter le mutazilisme comme doctrine officielle des Abbassides ;
  • 836 : transfert de la capitale à Samarra ;
  • 848 : les mutazilites écartés de la cour de Bagdad ;
  • 858-930 : vie d’Al-Battani, dit Albatenius ;
  • 865-925 : vie du traducteur et médecin Sahl Rabban al-Tabari ;
  • 869-883 : révolte des Zanj (esclaves noirs de Zanzibar) ;
  • 892 : retour de la capitale des Abbassides à Bagdad ;
  • 965-1039 : vie d’Ibn Al-Haytam, dit Alhazen ;
  • 973-1048 : vie d’Al-Biruni ;
  • 1095 : première croisade ;
  • 1258 : Bagdad saccagée par les Mongoles ;
  • 1259 : création de l’Observatoire astronomique de Marâgha (Iran) ;
  • 1304-1375 : vie d’Ibn Al-Shâtir ;
  • 1422 : création de l’Observatoire astronomique de Samarcande, capitale de la Sogdiane ;
  • 1543 : l’astronome polonais Nicolas Copernic publie son De Revolutionibus ;
  • 1917 : entrée des troupes britanniques à Bagdad ;
  • 2003 : pillage et destruction par des incendies systématiques des bibliothèques et musées lors de la guerre d’Irak.

Bibliographie :

  • Mutazilisme, site de l’Association pour la renaissance de l’islam mutazilite (ARIM) ;
  • Antoine Le Bail, Qui sont les mutazilites, parfois appelés les « rationalistes » de l’islam ?, site de l’Institut du Monde Arabe (IMA), Paris ;
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  • Nadim Michel Kalife, Les lumières des premiers siècles de l’islam, sur le site de financialafrik.com, 2019 ; 
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NOTES:

  1. Une théodicée ou « justice de Dieu ») est une explication de l’apparente contradiction entre l’existence du mal et deux caractéristiques propres à Dieu : sa toute-puissance et sa bonté.
  2. Sumer. Le milieu naturel du pays sumérien n’était pas vraiment favorable au développement d’une agriculture productive : des sols pauvres avec une teneur élevée en sels néfastes à la croissance des plantes, des températures moyennes très élevées, des précipitations insignifiantes, et des crues des fleuves venant à l’automne, au moment des moissons, et non pas au printemps quand les graines en auraient besoin pour germer, comme c’est le cas en Égypte. Ce sont donc l’ingéniosité et l’incessant labeur des agriculteurs mésopotamiens qui permirent à ce pays de devenir l’un des greniers à céréales du Moyen-Orient antique. Dès le VIe millénaire, les communautés paysannes élaborèrent un système d’irrigation qui progressivement se ramifia jusqu’à couvrir un grand espace, profitant par là de l’avantage que leur offrait le relief extrêmement plat du delta mésopotamien, où il n’y avait aucun obstacle naturel à l’extension des canaux d’irrigation sur des dizaines de kilomètres. En régulant le niveau des eaux dérivées des cours d’eau naturels pour l’adapter aux besoins des cultures, et en mettant au point des techniques visant à limiter la salinisation des sols (lessivage des champs, pratique de la jachère), il fut possible d’obtenir des rendements céréaliers très élevés.
  3. Le Khorassan est une région située dans le nord-est de l’Iran. Le nom vient du persan et signifie « d’où vient le soleil ». Il a été donné à la partie orientale de l’empire sassanide. Le Khorassan est également considéré comme le nom médiéval de l’Afghanistan par les Afghans. En effet, ce territoire englobait l’Afghanistan actuel, ainsi que le sud du Turkménistan, de l’Ouzbékistan et du Tadjikistan.
  4. Au Xe siècle, dans son Livre des secrets, le savant perse Mohammad Al-Razi décrit la distillation du pétrole permettant d’obtenir du pétrole d’éclairage.
  5. Le sanskrit est une langue de l’Inde, parmi les plus anciennes langues indo-européennes connues (plus ancienne même que le latin et le grec). C’est notamment la langue des textes religieux hindous et, à ce titre, elle continue d’être utilisée comme langue culturelle, à la manière du latin aux siècles passés en Occident.
  6. Le pehlevi ou moyen-perse est une langue iranienne qui était parlée à l’époque sassanide. Elle descend du vieux perse. Le moyen perse était habituellement écrit en utilisant l’écriture pehlevi. La langue était aussi écrite à l’aide du script manichéen par les manichéens de Perse.
  7. Abu Muhammad al–Qasim ibn ’Ali al–Hariri (1054–1122), homme de lettres, poète et philologue arabe, naquit près de Bassora, en Irak actuel. Il est connu pour ses Serments et ses maqâmât (littéralement modes, souvent traduits par assemblées ou séances), recueil de 50 courts récits mêlant le commentaire social et moral aux expressions éclatantes de la langue arabe. Si le genre de la maqâmat fut créé par Badi’al–Zaman al–Hamadhani (969–1008), ce sont les séances d’al–Hariri qui le définissent le mieux. Écrites dans un style de prose rimée appelée saj’ et entrelacées de vers raffinés, les histoires se veulent divertissantes et éducatives. Chacune des anecdotes se déroule dans une ville différente du monde musulman à l’époque d’Al-Hariri. Elles racontent une rencontre, généralement lors d’un rassemblement de citadins, entre deux personnages fictifs : le narrateur al-Harith ibn Hammam et le protagoniste Abu Zayd al-Saruji. Au fil des siècles, l’ouvrage fut copié et commenté à de nombreuses reprises, mais seuls 13 exemplaires existant encore aujourd’hui possèdent des enluminures illustrant des scènes des histoires. Les miniatures, reconnues pour leur représentation saisissante de la vie musulmane au XIIIe siècle, sont considérées comme les peintures arabes les plus anciennes créées par un artiste dont l’identité est connue. La popularité quasi immédiate des maqâmât parvint jusqu’à l’Espagne arabe, où le rabbin Juda al-Harizi (1165-vers 1225) traduisit les séances en hébreu sous le titre Mahberoth Itiel et composa par la suite ses propres Tahkemoni, ou séances hébraïques.
  8. Les Barmécides ou Barmakides sont les membres d’une famille de la noblesse persane originaire de Balkh en Bactriane (au nord de l’Afghanistan). Cette famille de religieux bouddhistes (paramaka désigne en sanskrit le supérieur d’un monastère bouddhiste) devenus zoroastriens puis convertis à l’islam a fourni de nombreux vizirs aux califes abbassides. Les Barmécides avaient acquis une réputation remarquable de mécènes et sont considérés comme les principaux instigateurs de la brillante culture qui se développa alors à Bagdad.
  9. La thèse christologique de Nestorius (né vers 381 — mort en 451), patriarche de Constantinople (428-431), a été déclaré hérétique et condamnée par le concile d’Éphèse. Pour Nestorius, deux hypostases, l’une divine, l’autre humaine, coexistent en Jésus-Christ. A partir de l’Église d’Orient, le nestorianisme est une des formes historiquement les plus influentes du christianisme dans le monde durant toute la fin de l’Antiquité et au Moyen Âge, jusqu’en Inde, en Chine et en Mongolie.
  10. Le syriaque (une forme d’araméen, la langue du Christ) est à côté du latin et du grec la troisième composante du christianisme ancien, ancrée dans l’hellénisme mais également descendante de l’antiquité proche-orientale et sémitique. Dès les premiers siècles, dans un mouvement symétrique à celui de la tradition chrétienne gréco-latine vers l’ouest, le christianisme syriaque s’est développé vers l’est, jusqu’en Inde et en Chine. Le syriaque est toujours aujourd’hui, la langue liturgique et classique (un peu comme le latin en Europe) des Églises syriaque orthodoxe, syriaque catholique, assyrienne, chaldéenne et maronite, au Liban, en Syrie, en Irak et en Inde du sud-ouest. Enfin, c’est la branche du christianisme la plus en contact avec l’islam au sein duquel il a continué à vivre.
  11. En Asie du Sud-Ouest, l’influence grecque restait vivace dans plusieurs villes sous influence chrétienne : Edesse (devenue Urfa en Turquie), à l’époque capitale du comté d’Edesse, l’un des premiers Etats latins d’Orient, le plus avancé dans le monde islamique ; Antioche (devenue Antakya en Turquie) ; Nisibe (aujourd’hui Nusaybin en Turquie) ; Al-Mada’in (c’est-à-dire « Les villes »), une métropole irakienne sur le Tigre, entre les villes royales Ctesiphon et Séleucie du Tigre ; Gondichapour (aujourd’hui en Iran) dont restent les ruines. A cela il faut ajouter les villes de Lattaquié (en Syrie) et d’Amed (aujourd’hui Diyarbakir en Turquie) où existaient des centres jacobites (chrétiens d’Orient, mais membres de l’Église syriaque orthodoxe, à ne pas confondre avec les Nestoriens).
  12. L’Académie de Gondischapour était située dans l’actuelle province du Khuzestan, dans le sud-ouest de l’Iran, près de la rivière Karoun. Elle proposait l’enseignement de la médecine, de la philosophie, de la théologie et des sciences. Le corps professoral était versé non seulement dans les traditions zoroastriennes et perses, mais enseignait aussi les langues grecques et indiennes. L’Académie comprenait une bibliothèque, un observatoire, et le plus ancien hôpital d’enseignement connu. Selon les historiens le Cambridge de l’Iran, c’était le centre médical le plus important de l’ancien monde (défini comme le territoire de l’Europe, de la Méditerranée et du Proche-Orient) au cours des VIe et VIIe siècles.
  13. Le sogdien est une langue moyenne iranienne parlée au Moyen Âge par les Sogdiens, peuple commerçant qui résidait en Sogdiane, la région historique englobant Samarcande et Boukhara et recouvrant plus ou moins les actuels Ouzbékistan, Tadjikistan et nord de l’Afghanistan. Avant l’arrivée de l’arabe, le sogdien fut la lingua franca de la Route de la Soie. Les commerçants sogdiens s’installent en Chine et les moines sogdiens sont parmi les premiers à y diffuser le Bouddhisme. Dès le VIe siècle, les dirigeants chinois ont fait appel à l’élite sogdienne pour résoudre les problèmes diplomatiques, commerciaux, militaires et même culturels, ce qui a incité de nombreux Sogdiens à migrer d’Asie centrale et des régions frontalières de la Chine vers les grands centres politiques chinois.
  14. Le Livre des machines ingénieux contient une centaine de machines ou d’objets, la plupart dus aux frères Banou Moussa ou adaptés par eux : entonnoir, vilebrequin, vannes à boisseau conique, robinet à flotteur et autres systèmes de régulation hydraulique, masque à gaz et soufflet de ventilation pour les mines ; drague, fontaines à jet variable, lampe-tempête, lampe à arrêt automatique, à alimentation automatique ; instruments de musique automatiques dont une flûte programmable.
  15. Ephémérides astronomiques : registres de positions d’astres à intervalles réguliers.
  16. Ibn Al-Haytam. En 2007, lors d’une conférence à la Sorbonne, j’ai exploré l’emploi, par le peintre flamand Jan Van Eyck (début du XVe siècle), d’une perspective géométrique bifocale, qualifiée à tort de « primitive », d’erronée et d’intuitive, en réalité inspirée des travaux et des expériences binoculaires du savant arabe Ibn Al-Haytam (Alhazen). Ce dernier s’appuya sur les travaux de ses prédécesseurs Al-Kindi, Ibn Luca et Ibn Sahl. Alhazen fut largement connus en Occident grâce aux traductions des franciscains de l’Université d’Oxford (Grosseteste, Bacon, etc.). Voir biographie sommaire.

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