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Pourquoi l’Empire romain reste un modèle pour l’oligarchie
Pour gagner une bataille politique, le premier travail de tout stratège consiste à identifier avec soin la « géométrie mentale » de son ennemi afin d’évaluer précisément ses forces et ses faiblesses. Pour cela, il lui faut parfois se boucher le nez avant de pénétrer l’esprit répugnant de son adversaire. C’est ce que je vous invite à faire ici avec l’Empire romain.
Si, hier, vous avez découvert les problèmes des baby-boomers et autres soixante-huitards – souvent un mélange pathétique de bourgeois-bohèmes (« bobo ») et de libéraux-libertaires (« lili ») – aujourd’hui, je vous présente le stade ultime de leur version la plus décadente : les libéraux-impérialistes (« limp »).
Le « Projet pour un nouveau siècle Américain » (PNAC)
Le 11 septembre 2001, les observateurs de la vie politique américaine furent frappés de stupeur en entendant les déclarations fracassantes du vice-président, Dick Cheney. En effet, avant même l’ouverture d’une quelconque enquête sur les attentats, celui-ci déclara d’emblée qu’il fallait frapper l’Irak.
Dès le lendemain, à en croire les dires du célèbre journaliste du Washington Post, Bob Woodward, dans son livre « Bush at War », le ministre de la Défense, Donald Rumsfeld, déclarait lors d’une réunion à la Maison-Blanche que « l’Irak devait être l’une des premières cibles de la guerre contre le terrorisme ». Réaction impulsive de faucon ? Non, car en réalité, la clique de Cheney et Rumsfeld souhaitait achever cette guerre commencée en 1991. C’est un vieux projet qu’ils défendent depuis la chute du mur de Berlin et bien que, selon eux, Bush père ait fait quelques pas dans la bonne direction, la présidence Clinton faillit anéantir tout le chemin parcouru. Ainsi, le 18 février 1992, Paul Wolfowitz (actuel n°2 du Pentagone) et Lewis Libby (chef de cabinet de Cheney) sonnent l’alarme dans un document intitulé « Defense Policy Guidance » (DPG).
Avec Eric Edelman et Zalmay Khalilzad (actuel représentant spécial américain pour l’Irak), ils y développent d’abord la notion de guerre préventive visant à garantir la « prééminence américaine », imposée « par la force, si nécessaire ». Aujourd’hui, grâce à des fuites dans les médias, émanant de documents officiels, nous savons que ce milieu n’exclut nullement l’utilisation d’armes nucléaires, biologiques ou chimiques dans ce but.
Outrés par la « pause stratégique » dans les dépenses militaires imposée par Bill Clinton, qui espérait faire profiter l’économie américaine de ce « dividende de la paix », les faucons vont se regrouper au printemps 1997 dans l’association Project for a New American Century (PNAC), dont feront partie l’actuel vice-président Dick Cheney, son chef de cabinet Lewis Libby (avocat de Marc Rich, un gros bonnet de la pègre,), le ministre de la Défense Donald Rumsfeld, son adjoint Paul Wolfowitz, William Kristol, du Weekly Standard, Abram Shulsky, Robert Kagan et même Jeb Bush. Leur thèse sera présentée comme une proposition programmatique à la future administration de George W. Bush, en septembre 2000, sous le titre « Rebuilding America’s Defenses ».
Plus nuancé dans ses propos, graphiques et statistiques à l’appui, ce rapport souligne que les années 90 furent une « décade de négligence » par rapport à la réalité militaire et que cette négligence tend à gâcher ce que Charles Krauthammer nommait ce « moment unipolaire » qui s’instaura à la chute du mur de Berlin, faisant disparaître le dernier compétiteur mondial, l’URSS.
Sans scrupules, une doctrine impériale classique y est pleinement développée sous le label « Pax Americana », dernier nom de l’utopie d’un gouvernement mondial sous la coupe des élites malthusiennes anglo-américaines, « l’anglosphère ».
L’introduction se termine ainsi : « Ce rapport part de la conviction que l’Amérique doit chercher à préserver et étendre sa position de leadership global en maintenant la prééminence des forces militaires américaines. Aujourd’hui, les Etats-Unis d’Amérique ont une occasion stratégique sans précédent. Ils n’ont à confronter aucun défi immédiat, posé par une quelconque grande puissance ; ils disposent d’alliés puissants dans chaque partie du monde ; ils sont au milieu de la plus grande période de croissance économique de leur histoire ; de plus, leurs principes politiques (la démocratie, ndr) et économiques (le libre-échange, ndr) sont presque universellement acceptés. A aucun autre moment de l’histoire, l’ordre mondial ne fut aussi réceptif aux intérêts et idéaux américains. Le défi que pose le siècle à venir est la préservation et la pérennisation de cette Pax Americana » (page IV).
Pour faire des Etats-Unis ce pouvoir militaire incontestable, puisque, selon les auteurs, seule la puissance militaire peut servir de fondement à cette Pax Americana, quatre nouvelles orientations sont esquissées, résumées ci-dessous.
Le texte affirme d’emblée qu’à l’opposé de l’époque de la Guerre froide, le but stratégique des Etats-Unis au XXIe siècle n’est plus simplement « d’endiguer » l’URSS, mais de « préserver la Pax Americana ». Les quatre nouvelles missions militaires proposées pour cette tâche sont :
- Sécuriser et étendre des zones de paix démocratique.
Moyen : « homeland security » (sécurité domestique), ce qui implique, comme nous le voyons avec la politique du ministre de la Justice et sympathisant du Ku Klux Klan, John Ashcroft, la suppression « librement consentie » des droits civiques les plus élémentaires. - Empêcher l’émergence d’une nouvelle grande puissance rivale.
Moyen : présence militaire multiple, capable de mener plusieurs guerres à la fois (par exemple, simultanément en Iraq et en Corée du Nord). Cet engagement semble tellement monstrueux qu’on a peine à imaginer les moyens d’y parvenir. - Défendre des régions clefs
Moyen : « constabulary duties » (missions de maintien de la paix). - Exploiter les transformations de la guerre
Moyen : « Revolution in Military Affairs » (RMA, révolution dans les affaires militaires). Ces soi-disant armes intelligentes, souvent des armes anciennes « dopées » de gadgets informatiques, ressemblent plus aux armes « miracles » d’Hitler qu’à une réelle révolution technologique impliquant de nouveaux principes physiques. L’échec patent des missiles anti-missiles Patriot et Arrow représente un bon exemple de ce refus hystérique des nouveaux principes physiques qu’impliquait le projet initial d’Initiative de Défense Stratégique (IDS).
Évidemment, en conclusion de l’argumentaire, on constate amèrement qu’en temps de paix, hélas, l’opinion publique aura certaines réticences à souscrire à de tels programmes et à accepter de supporter le fardeau budgétaire qu’ils impliquent. On y affirme (page 51) que tout cela prendra énormément de temps, « sauf s’il se produit un évènement catastrophique et catalyseur, du type nouveau Pearl Harbour ».
Rappelons ici qu’Henry Kissinger, entre autres, avait immédiatement employé le terme « Pearl Harbour » pour caractériser les attentats du 11 septembre. Il est donc clair que l’enjeu de la guerre en Irak dépasse largement la question du contrôle des hydrocarbures, mais implique la mise en place d’un gouvernement mondial, une « Pax Americana » à l’instar de la fictive « Pax Romana » de l’Empire romain. Or, à l’époque, le monde romain était le monde tout court.
Le fardeau
Justement, le 5 janvier 2003, le New York Times a publié un article retentissant intitulé « The Burden » (le fardeau), écrit par un certain Michael Ignatieff, à l’instar de l’article de Rudyard Kipling, « le fardeau de l’homme blanc ».
Ignatieff est un anglo-canadien d’origine russe qui vit en Angleterre, petit-fils du fondateur de l’Okhrana (services secrets du Tsar) et professeur dans de multiples écoles de l’élite anglo-américaine, tel que le St-Anthony College de Londres, le King’s College de Cambridge, l’inévitable Harvard, aux Etats-Unis, et même l’Ecole des Hautes Etudes de Paris. Ignatieff s’exprime aussi régulièrement sur la BBC. Ce jeune professeur talentueux, véritable sommité de l’establishment anglo-américain, est un peu le porte-parole d’une faction des élites en place.
En France, on se rappellera certainement le premier supplément du Monde reprenant certains articles du New York Times, dont l’un relatait les prises de positions des intellectuels anglo-américains au sujet de « cet empire qui vient ». Ignatief n’est donc pas le premier à s’interroger sur les avantages et les risques posés à une république (les Etats-Unis) qui accepte ou décide de devenir un empire (anglo-américain).
Citant un historien anglais qui affirme que si l’Angleterre a acquis un empire, ce fut sûrement « in a fit of absence of mind » (sur un coup de tête), Ignatieff écrit :
« Bien que les Américains possèdent un empire, ils l’ont acquis tout en niant son existence. Mais le 11 septembre fut un réveil, un moment de prise de conscience de l’ampleur de la puissance américaine et des haines vengeresses qu’elle suscite. Peut-être les Américains n’ont-ils jamais vu les tours du World Trade Center ou le Pentagone comme symboles d’un empire mondial, mais les pirates de l’air avec leurs cutters les ont certainement perçus comme tels, ainsi que les millions de personnes qui ont applaudi leurs actes ».
Cessons donc de nous voiler la face, poursuit-il, car quel
« autre mot que celui d’empire peut décrire l’objet formidable que l’Amérique est en train de devenir ? C’est la seule nation qui gendarme le monde à travers cinq commandements militaires globaux, qui maintient plus d’un million d’hommes et de femmes en armes sur quatre continents, déploie des groupes de combat sur porte-avions pour surveiller chaque océan, garantit la survie de pays tels qu’Israël et la Corée du Sud, fait tourner la roue du commerce et des échanges mondiaux et emplit le cœur et l’esprit de la planète entière de ses rêves et désirs ».
Ignatieff prend le temps d’évaluer les avantages et désavantages de ce genre d’entreprise :
« L’opération qui menace en Irak constitue ainsi un moment décisif dans le long débat de l’Amérique avec elle-même pour savoir si son rôle d’empire outremer menace ou renforce son existence en tant que république (…). Même en cette heure tardive, il est encore possible de se demander : pourquoi une république devrait-elle assumer les risques d’un empire ? (…) Changer un régime est une tâche impériale par excellence, étant donné qu’elle suppose que l’intérêt de l’empire lui donne le droit de défaire la souveraineté d’un Etat.
(…) Il faudra une décennie pour que l’ordre, sans parler de la démocratie, se consolide en Irak. (…). Comme tous les exercices impériaux en matière de création d’ordre, cela ne fonctionnera que si les fantoches installés par les Américains cessent d’être des fantoches et construisent leur propre légitimité politique indépendante.
(…) De quels atouts les dirigeants américains disposent-ils ? (…) La projection de la puissance américaine (…) porte avant tout un uniforme militaire. (…) et peut apporter aux Etats-Unis crainte et respect mais pas l’admiration ni l’affection.
(…) Le 11 septembre a renforcé la leçon qui veut que la puissance mondiale se mesure encore en termes de capacité militaire.
(…) Les Américains ne peuvent pas se permettre de créer à eux seuls un ordre global. La participation européenne au maintien de la paix, à la construction de nations et à la reconstruction humanitaire est si importante que les Américains doivent, même contre leur gré, inclure les Européens dans la gouvernance de leur projet impérial en évolution. Ce sont les Américains qui dictent, pour l’essentiel, la place de l’Europe dans ce nouveau grand dessein. Les Etats-Unis sont multilatéraux quand ça les arrange, unilatéraux quand il le faut ; et ils imposent une nouvelle division du travail dans laquelle l’Amérique assure le combat, les Français, les Britanniques et les Allemands, les patrouilles policières dans les zones frontalières, et les Hollandais, les Suisses et les Scandinaves, l’aide humanitaire.
(…) Un nouvel ordre international émerge, mais il est conçu pour répondre aux objectifs impériaux américains. Les alliés de l’Amérique veulent un ordre multilatéral qui restreigne sa puissance, mais l’empire ne se laissera pas lier, à l’instar de Gulliver, par des milliers de cordes légales. »
Pour Ignatieff, la chose est donc acquise, l’empire est bien là ! L’unique question qui reste en suspens, c’est de savoir comment faire pour que ça fonctionne correctement. Sa démarche semble presque une postface à l’analyse de l’historien Edward Gibbon (1737-1794), un proche de Lord Shelburne en Angleterre, qui écrivit en 1776 Déclin et chute de l’empire romain.
Avec La Richesse des Nations, ce manuel de la rente financière comme socle d’un ordre oligarchique, écrit par Adam Smith, le livre de Gibbon était une attaque stratégique contre la jeune république américaine, instaurée la même année par Benjamin Franklin et ses amis colbertistes. Après la perte de l’Amérique pour l’Empire britannique, le livre de Gibbon tente de tirer les leçons de l’histoire.
Ignatieff rappelle l’analyse faite par Gibbon pour expliquer la chute de l’empire romain :
« Les empires survivent lorsqu’ils comprennent que la diplomatie, soutenue par la force, est toujours préférable à la seule force. Si l’on considère l’avenir encore plus lointain, disons d’ici une génération, la Russie et la Chine résurgentes exigeront d’être reconnues en tant que puissances mondiales dotées d’une hégémonie régionale. Comme le montre le cas de la Corée du Nord, l’Amérique a besoin de partager avec ces puissances le contrôle de la non-prolifération et d’autres menaces, et si elle essaie, comme le suggère la Stratégie de sécurité nationale actuelle, d’empêcher l’émergence de tout rival à la domination globale américaine, elle risque ce que Gibbon prévoyait : une sur extension, suivie de la défaite. »
Aujourd’hui, le Commonwealth anglais, successeur des Vénitiens qui se dénommaient les « nouveaux Romains », est supposé représenter le modèle de ce savoir-faire impérial de gouvernement indirect, mais réel.
L’empire romain
En tout cas, ce débat nous oblige à devenir « expert ès Empire romain » dans les plus brefs délais. Pour cela, une rapide visite dans une grande librairie nous met devant une terrible évidence : s’il y a pléthore de livres sur Rome et l’Empire, quasiment aucun ne traite réellement de son déclin.
Jadis, en France, les élèves pouvaient au moins profiter du vieux Malet et Isaac, qui nous en apprend bien plus que la plupart des experts d’aujourd’hui, époque où certains enseignent l’histoire de la sandale, de Jules César à Marilyne Monroe…
Mais forcément, la plupart des auteurs qui ont écrit sur le sujet sont fascinés par la grandeur, les institutions, l’organisation de ce système. Dans l’Encyclopaedia Universalis, un auteur, d’ailleurs conférencier sur le sujet, défend mordicus que le terme de « Bas-Empire », jugé trop péjoratif, mériterait d’être remplacé aujourd’hui par « Antiquité tardive ». Quant aux livres qui prétendent enquêter sur le déclin de l’Empire, ils affirment qu’il n’existe aucun élément matériel prouvant sa chute. « Au moment où Rome s’effondre et se dépeuple, d’autres régions se portent très bien », etc.
Après tout, cette vision est peut-être la bonne façon de voir les choses, car pour chuter, il faut d’abord monter !
En vérité, la « civilisation » romaine a été une longue période de guerres et de génocide permanent, qui mérite le label de « l’une des barbaries les mieux organisées ». La description que nous en livre la philosophe française Simone Weil (1909-1943) donne presque envie de faire interdire les bandes dessinées d’Astérix pour « banalisation d’actes génocidaires » :
« Les Romains ont conquis le monde par le sérieux, la discipline, l’organisation, la continuité des vues et de la méthode ; par la conviction qu’ils étaient une race supérieure et née pour commander ; par l’emploi médité, calculé, méthodique de la plus impitoyable cruauté, de la perfidie froide, de la propagande la plus hypocrite, employée simultanément ou tour à tour ; par une résolution inébranlable de toujours tout sacrifier au prestige, sans être jamais sensible, ni au péril, ni à la pitié, ni à aucun respect humain ; par l’art de décomposer sous la terreur l’âme même de leurs adversaires ou de les endormir par l’espérance, avant de les asservir avec les armes ; enfin par un maniement si habile du plus grossier mensonge qu’ils ont trompé même la postérité et nous trompent encore. »
Saint-Augustin, l’un des pères de l’Eglise, (354-430) ne dit pas autre chose quand il s’insurge contre ceux qui pensent que, du fait qu’elle a duré longtemps, la civilisation romaine était nécessairement grande. Il écrit dans La cité de Dieu :
« Voyons donc maintenant ce que vaut la prétention des païens qui ont l’audace d’attribuer à leurs dieux l’étendue si grande et la durée si longue de l’empire romain, en affirmant même s’être honnêtement conduits en honorant ces dieux par hommage de jeux infâmes, représentés par d’infâmes comédiens. Mais je voudrais d’abord, brièvement, examiner une question : Quelle raison, quelle sagesse y a-t-il à vouloir se glorifier de l’étendue et de la grandeur de l’empire romain, alors qu’on ne peut démontrer que les hommes soient heureux en vivant dans les horreurs de la guerre, en versant le sang de leurs concitoyens ou celui des ennemis, sang humain toujours, et sous le coup de sombres terreurs et de sauvages passions ?
(…) Pour en juger plus aisément, gardons-nous de nous laisser jouer par une vaine jactence ; ne laissons pas la pointe de notre esprit s’émousser au choc des mots sonores : peuples, royaumes, provinces. » (Livre IV, III)
Les origines
Pour bien saisir le « tournant impérial » fondamental de la civilisation romaine, qui se produit bien avant l’arrivée officielle de « l’Empire », rappelons d’abord quelques éléments de son histoire.
Fondée vers -750 par une coalition de Latins et de Sabins, Rome est, dès sa fondation, un centre colonial, sur le modèle perse, subjuguant et protégeant militairement des territoires et des satrapes, sans pour autant fonder de pays ni de nation. On pourrait dire qu’elle créa non pas un, mais de multiples protectorats, dirigés par un quarteron d’oligarques vivant dans un luna-parc, un vaste parc d’attraction du nom de Rome.
Plusieurs peuples organisés et tribus disputent les territoires de la péninsule italienne à la sphère d’influence de Rome, mais devront finalement s’y soumettre. D’abord dans le nord, entre l’Arno et le Tibre, les Etrusques.
Entre – 550 et -509, les Romains sont dirigés par des rois étrusques qui feront de la cité une grande ville, notamment en construisant un réseau d’égouts, la fameuse Cloaca Maxima. Mais les rois étrusques, accusés tantôt d’être tyranniques, tantôt trop favorables au peuple, sont chassés par des familles patriciennes qui fondent un simulacre de République, laissant en fait le véritable pouvoir aux grandes familles qui siègent au Sénat.
Dans le sud, Rome va mettre sous sa coupe les nombreuses populations grecques installées là depuis des siècles, dont la capitale était la cité-état de Syracuse en Sicile, comptoir de Corinthe qui contrôlait la Méditerranée orientale. Malgré l’accord conclu en -510 entre la République romaine et Carthage, lui laissant le contrôle de la Méditerranée occidentale, Rome entrera dans un long affrontement avec cette ville d’Afrique du Nord devenue, après Tyr, le centre du commerce phénicien.
Ce conflit est amplement décrit par les historiens romains Polybe (204 av. J.C. – 118 av. J.C.) et Tite-Live (59 av. J.C. – 17), sous le nom de guerres puniques.
Les guerres puniques
Dès le IIIe siècle av. J.C., Carthage domine presque toute l’Afrique du Nord et une bonne partie de la côte sud de l’Espagne.
L’enjeu de la première guerre punique (-264 à -241) sera le contrôle de la Sicile, pièce maîtresse pour prendre le contrôle de la Méditerranée. A l’opposé des Carthaginois et des Grecs, peuples de commerçants et de marins, jusque-là les Romains sont plutôt des terriens et des agriculteurs.
Pour conquérir la Sicile, ils devront s’adapter, notamment en se dotant d’une force navale efficace. Ainsi, au cours de l’hiver -261, Rome construit cent « quinquérèmes », dont le plan demeure incertain, sur le modèle de l’épave d’un navire carthaginois. Ce bateau compte cinq niveaux de rameurs, soit deux de plus que les « trirèmes » grecques.
Le consul Duilius introduira le « corbeau » (corvus), rampe d’abordage muni d’un grappin qui s’enfonçait si solidement dans le pont de l’adversaire que les deux navires étaient littéralement soudés. Les Romains, ayant ainsi rétabli un champ de bataille « terrestre » à leur avantage, envahissaient alors le pont de l’ennemi, et leur férocité au corps à corps leur permettait d’arracher la victoire, comme ce fut le cas à la bataille de Myles (-260) et à celle d’Ecnome (-256).
Carthage est vaincue et un traité de paix est signé, imposant une indemnité de guerre dont les conditions seront durcies suites aux demandes du « peuple » aux comices (assemblées).
Peu après, Rome se fait remettre la Sardaigne et la Corse, causant une injustice à l’origine d’un nouveau conflit. A Carthage, les populations furieuses délaissent alors le parti pacifiste des Hannons pour se tourner vers le parti des revanchards que sont les Barcides (Hamilkar Barca, Hannibal, etc.)
La deuxième guerre punique (-218 à -201) sera surtout un bras de fer entre un homme, Hannibal, et Rome. Ce carthaginois était un stratège génial, légendaire pour sa traversée des Alpes avec des éléphants et ses victoires sur les Romains sur le Tessin, sur les bords de la Trébie, au bord du lac Trasimène et surtout à la bataille mythique de Cannes (-216) où, sur 80 000 Romains, 45 000 furent tués.
Pourtant, en 202, le Romain Scipion (l’Africain) infligera à Hannibal une défaite décisive à Zama (Tunisie actuelle). De nouveau, un traité de paix est signé entre Rome et Carthage, qui perd ses possessions territoriales en Espagne et sera obligée de payer 50 000 talents répartis sur cinquante ans.
Carthago delenda est [Il faut détruire Carthage]
Ainsi, à la fin de la deuxième guerre punique, les Romains, pourvus d’une puissance militaire inégalée, se trouvent dans le même type de « moment unipolaire » que celui de « l’empire américain » aujourd’hui.
Voyant Carthage redevenir prospère cinquante ans après sa défaite, le « faucon » Caton le censeur, convaincu qu’il faut éliminer « la montée de tout compétiteur global », achève chacun de ses discours au Sénat par ces mots : Carthago delenda est (il faut détruire Carthage). Rome trouvera les arguties légales et juridiques pour parvenir à ses fins.
Simone Weil, dans ses Réflexions sur les origines de l’Hitlérisme, écrit et publié en 1939, donne le cas de Carthage en exemple de la perfidie qui se cache derrière le « respect du droit » professé par la « Pax Romana », qui inspira tant Hitler :
« [Carthage] dut contracter une alliance avec Rome et promettre de ne jamais engager la guerre sans sa permission. Au cours du demi-siècle qui suivit, les Numides ne cessèrent d’envahir et de piller le territoire de Carthage, qui n’osait se défendre ; pendant la même période de temps, elle aida les Romains dans trois guerres. Les envoyés carthaginois, prosternés sur le sol de la Curie, tenant des rameaux de suppliants, imploraient avec des larmes la protection de Rome, à laquelle le traité leur donnait droit ; le Sénat se gardait bien de la leur accorder. Enfin, poussée à bout par une incursion numide plus menaçante que les autres, Carthage prit les armes, fut vaincue, vit son armée entièrement détruite. Ce fut le moment que Rome choisit pour lui déclarer la guerre, alléguant que les Carthaginois avaient combattu sans sa permission.
(…) [Le Sénat] accorda aux Carthaginois la liberté, leurs lois, leur territoire, la jouissance de tous leurs biens privés et publics, à condition pour eux de livrer en otages trois cents enfants nobles dans le délai d’un mois et d’obéir aux consuls. Les enfants furent livrés aussitôt. Les consuls arrivèrent devant Carthage avec flotte de guerre et armée, et ordonnèrent qu’on leur remît toutes les armes et tous les instruments de guerre sans exception. L’ordre fut exécuté immédiatement.
(…) Les sénateurs, les anciens et les prêtres de Carthage vinrent alors se présenter aux consuls devant l’armée romaine.
(…) Un des consuls annonça aux Carthaginois présents devant lui que tous leurs concitoyens devaient quitter la proximité de la mer et abandonner la ville, et que celle-ci serait complètement rasée. »
Pour les Carthaginois, peuple de marins, se retirer de 80 stades (14 km) de la mer, équivalait à un arrêt de mort ! Après trois ans de résistance et de combats de rue désespérés, Scipion l’Emilien réussit finalement à s’emparer de la ville. Carthage brûla pendant dix-sept jours. Elle fut rasée et on fit mêler du sel à la terre afin de la rendre infertile à jamais.
Augustin en défense de l’Etat-nation
Dans la Cité de Dieu, Augustin ne se lasse pas de critiquer l’esprit impérial. D’abord, il en montre le ridicule :
« Va-t-on répondre : sans ces guerres continues, se succédant à un rythme ininterrompu, l’empire romain n’aurait pu prendre une si large et si vaste extension, ni acquérir une si immense gloire. Belle raison, vraiment ! Pourquoi l’empire, pour être grand, était-il obligé d’être agité ? Ne vaut-il pas mieux pour le corps humain d’avoir une petite taille avec la santé, que d’atteindre une stature gigantesque au prix de malaises perpétuels. » (III,X)
Ensuite, se moquant de l’esprit « justicier » des Romains, il attaque sur le fond :
« A eux donc de voir s’il convient à des gens de bien de se réjouir de l’étendue de l’empire. Car c’est l’injustice des ennemis contre lesquels on a mené des justes guerres qui a aidé l’empire à s’accroître : à coup sûr, il serait resté de peu d’étendue, si des voisins justes et paisibles n’avaient attiré la guerre sur eux par aucune offense. Ainsi pour le bonheur de l’humanité, il n’y aurait eu que de petits royaumes, heureux de vivre en plein accord avec leurs voisins ; et par la suite, l’Univers aurait compté de nombreux États, comme la cité de nombreuses familles. (…) Au reste, vivre en plein accord avec un bon voisin est sans nul doute une félicité plus grande que de subjuguer par la guerre un voisin méchant. » (IV, XV)
Ou encore :
« Je pose ici une question : pourquoi l’empire lui-même n’est-il pas un dieu ? Pourquoi pas, puisque la Victoire est une déesse ? (…) Peut-être, répugne-t-il aux gens de bien de faire des guerres par trop injustes, et pour étendre leur royaume, de provoquer brusquement au combat des voisins tranquilles qui n’ont commis aucune injustice ? » (IV, XIV)
Les conquêtes coloniales
Une alliance de financiers et de généraux ambitieux pousse alors Rome à se lancer dans une immense expansion coloniale pour former seize provinces, qui n’ont pas seulement à souffrir les gouverneurs, mais surtout les banquiers, qui empruntent à taux très bas à Rome et prêtent aux provinciaux à des taux usuraires atteignant jusqu’à 50 % !
Comme le dit sans détour l’Isaac et Malet (p.33) : « Les conquêtes romaines furent en partie une vaste opération financière ».
Sous différents prétextes – économiques, militaires (guerres défensives) et psychologiques (besoins de sécurité) – Rome annexe un ensemble de riches territoires.
- En -148, la Macédoine ;
- en -146, la Grèce et l’Afrique ;
- en -133, l’Espagne ;
- en -120, la Narbonnaise ;
- en -129, l’Asie ;
- en – 101, la Cilicie ;
- en -74 la Bithynie et le Cyrénaïque ;
- en -67 l’Orient (Pont, Syrie) ;
- en -58, la Gaule et
- en -46, la Numidie.
Une société de consommation
Le pillage du monde méditerranéen, notamment en imposant d’énormes indemnités de guerre en biens et en esclaves, transformera une société relativement productive en pure société de consommation.
Le peuple de Rome, jusque-là assez austère, s’enrichit, adaptant son mode de vie et ses mœurs en conséquence. La corruption s’installe et les nobles accaparent le domaine public. Augustin identifie précisément l’intervalle entre la deuxième et la troisième guerre punique comme le moment d’un changement de paradigmes :
« Puis (…) le luxe asiatique plus redoutable que tout ennemi se glissa pour la première fois dans Rome. Alors, en effet, parurent les lits d’airain, des tapis précieux ; alors s’introduisirent dans les banquets les joueuses de cithare, et d’autres licences dépravées. » (III, XXI)
Salluste, parlant de l’époque précédant la deuxième guerre punique affirme :
« Alors les patriciens exercèrent sur la plèbe un pouvoir tyrannique. Ils disposèrent à la façon des rois, des vies et des corps, chassèrent les citoyens de leurs champs et, les privant de tous leurs droits, s’arrogèrent seuls l’autorité. Accablée de vexations et surtout écrasée de dettes, la plèbe qui, au cours de guerres continuelles, supportait à la fois l’impôt et la conscription, se retira en armes sur le Mont Sacré et l’Aventin… » (cité par Augustin, III,XVII)
A Rome, peu à peu, la corruption et la décadence s’installent en maîtres. Des seize derniers empereurs, la plupart sombrent dans une pédérastie criminelle. Suétone écrit dans les Vies des douze Césars :
« Après avoir fait émasculer un enfant nommé Sporus, Néron prétendit même le métamorphoser en femme, se le fit amener avec sa dot et son voile rouge, en grand cortège, suivant le cérémonial ordinaire des mariages, et le traita comme son épouse. (…) paré comme une impératrice et porté en litière, [il] le suivit dans tous les centres judiciaires et marchés de la Grèce, puis, à Rome, Néron le promena, en le couvrant de baisers à tout instant.«
On peut y ajouter l’apparition des premiers combats de gladiateurs et même un retour à l’adoration de dieux maléfiques.
Écroulement démographique
Et pourtant, c’est précisément cette abondance de richesses qui va provoquer le glissement vers la chute. Dès le début de ces conquêtes coloniales, en -130, le Sénat de Rome est forcé de constater une stagnation démographique. Elle se transformera en dépopulation croissante qui se répandra dans les provinces au cours des cinq siècles suivants.
Comme l’a maintes fois démontré l’économiste américain Lyndon LaRouche, le potentiel de densité démographique relative indique « objectivement » la capacité d’accueil d’une économie organisée.
Déjà, les chiffres concernant la simple densité de population de l’Empire romain, comparés à ceux de la Grèce antique, ne laissent aucun doute : en Grèce, en -400, la densité de population atteignait 35 habitants par km2, c’est-à-dire presque un tiers de plus qu’en Italie romaine où elle est de 23,3 habitants par km2 à l’époque la plus peuplée, c’est-à-dire en l’an 1, pour chuter jusqu’à 11,6 en l’an 600 !
Il faudra attendre le début du XIIIe siècle en Italie et le début du XVe en Angleterre pour retrouver une densité de population du même ordre (Italie vers 1200 : 24 h/km2 ; Angleterre en 1377 : 19 h/km2).
A Rome, le gonflement de la force de travail par une main d’œuvre gratuite d’esclaves, grâce à la « mondialisation », précarise les populations autochtones, finissant par ruiner leur système de production. Une fois formalisées les limites de l’empire, le flux d’esclaves frais se tarit et c’est au tour des populations italiennes de subir le même sort.
C’est ce pillage, et la destruction de l’économie physique, qui provoquera l’effondrement spectaculaire de l’an 200. Alors que la population maximale du monde romain atteint 47 millions à son apogée, elle tombera jusqu’à 29 millions autour de l’an 600, soit une réduction proche de 40 % ! Aveuglée et corrompue par un hédonisme dépravé, Rome échoue, incapable de remettre en question les axiomes de la concupiscence sur lesquels est bâti son système. Pour tenter d’inverser la tendance, tout en faisant l’économie d’une réelle remise en cause, l’histoire romaine n’est qu’une longue fuite en avant dans « la régulation », dans l’incapacité où elle se trouve d’agir sur les causes.
On pense ici, non sans ironie, à certains gauchistes simplets de notre époque, qui, pour « lutter contre le capitalisme », proposent « d’interdire les licenciements » ! Rome sera ainsi la championne des régulations, des mesures et des lois. Bien évidemment, toutes les lois et ensemble de mesures qui sont prises, visant à enrayer la catastrophe démographique en limitant ses conséquences, y compris les codes Dioclétien (instaurant le servage, grande invention romaine pour le bonheur de l’humanité !) ou celui de Théodose (qui rend les métiers héréditaires), échouent lamentablement quand ils ne sont pas écartés d’emblée.
Par exemple, les fameuses réformes agraires proposées par les frères Gracques, visant dès -130 à redistribuer les terres cultivables de certains patriciens aux agriculteurs dépourvus de terre qui habitent Rome.
Dans les débats au Sénat, les Gracques expliquent que l’objectif de ces réformes n’est pas tellement de répondre à un désir de justice sociale, mais de satisfaire le besoin de l’empire à disposer d’une main d’œuvre capable de se reproduire. Ils précisent d’ailleurs que leurs réformes ne représentent aucune menace pour les riches. Néanmoins, révélateur d’un déni hystérique de tout principe de réalité, tous deux seront assassinés et leurs réformes abandonnées.
Ensuite, en – 107, faute d’hommes, le général Marius se voit obligé d’ouvrir le recrutement des légions aux classes inférieures, ce qui n’empêche pas de cruelles pénuries de troupes pour les armées de César en Gaule, forçant même Tibère à abandonner certaines conquêtes territoriales, faute de bras.
Sous l’empereur Auguste, le « Lex Juliana » inclue un dispositif populationniste privant les célibataires et les divorcés de leur droit d’héritage. A la campagne, les ressources sont si maigres que les fermiers et travailleurs essayent d’avoir le moins d’enfants possible.
Sous les empereurs Nerva et Trajan (vers l’an 100), les « alimenta » offrent des aides aux familles pour leur permettre de nourrir leurs enfants jusqu’à l’adolescence. Comme pendant la révolution culturelle en Chine, sous Mao, même les familles patriciennes laissent mourir leurs propres filles, pratique qui tend à se généraliser. Même les familles oligarchiques doivent faire face au déclin démographique. Sur les 400 familles siégeant au Sénat à l’époque de Néron, il n’en reste plus que 200 une génération plus tard.
Quelles contributions ?
Mais, dira-t-on, Rome fut un transmetteur de la connaissance grecque et de la culture antique. Qu’en est-il réellement ?
Du point de vue de la science, Simone Weil affirme :
« Aussi les Romains n’ont-ils apporté d’autre contribution à l’histoire de la science que le meurtre d’Archimède ».
En effet, on constate l’abandon de la tradition scientifique grecque au bénéfice d’un pragmatisme purement technique, parfois capable d’assimiler les techniques d’autres cultures (les arcs des Etrusques, le ciment et la brique des Assyriens, etc.). Bien que la roue à eau figure dans les « Dix livres sur l’Architecture » de Vitruve, il y porte peu d’attention. L’application de la technologie ne le passionne pas, si ce n’est la façon de placer hommes et femmes aux bains pour économiser l’eau. Pendant longtemps, les Romains ont gardé les amphores en grès, alors que les Gaulois avaient déjà mis au point le tonneau.
Architecture
Le grand architecte Auguste Choisy écrit en 1899 dans L’Histoire de l’Architecture :
« De l’art grec, qui semble un culte désintéressé rendu aux idées d’harmonie et de beauté abstraite, nous passons à une architecture essentiellement utilitaire : chez les Romains l’architecture devient l’organe d’une autorité toute-puissante pour qui la construction des édifices publics est un moyen de domination. (…) Pour les Romains, l’art de construire est l’art d’utiliser cette force illimitée que la conquête a mise à leur service ; l’esprit de leurs méthodes peut s’énoncer dans un mot : des procédés dont l’application n’exige que des bras. Le corps des édifices se réduit à un massif de cailloux et de mortier, un monolithe construit, une sorte de rocher artificiel. »
Il est utile de comparer la Porta Nigra de Trèves, qui date de la fin du IIIème siècle, construite par simple empilement de pierres, avec la Domus Aurea » (Maison d’or) de Néron à Rome, coupole sphérique sur le modèle des tombes de la Grèce mycénienne, résultant d’une combinaison sophistiquée de maçonnerie et de béton.
Suétone raconte que :
« Tout était couvert de dorures, rehaussées de pierres précieuses et de coquillages à perles ; le plafond des salles à manger était fait de tablettes d’ivoire mobiles et percées de trous, afin que l’on pût répandre d’en haut sur les convives soit des fleurs, soit des parfums : la principale était ronde et tournait continuellement sur elle-même, le jour et la nuit, comme le monde. »
La technologie est au service des caprices de prestige des empereurs fous, mais pas de l’avancement de l’intérêt général !
Infrastructures
A part les immenses aqueducs, science des Etrusques et d’Asie centrale, capables par exemple d’approvisionner plus d’un million d’habitants de Rome grâce à des innovations comme l’emploi du plomb pour la tuyauterie, le bilan est pauvre.
Les routes romaines étant essentiellement construites pour les messagers et les armées, le reste du fret commercial s’opère essentiellement sur les voix secondaires. Ainsi, transporter une cargaison de céréales d’Alexandrie vers Rome revient moins cher que de la faire venir de l’intérieur de l’Italie.
Agriculture
L’agriculture romaine fut dévastée par le monétarisme et l’aristotélisme. Dans les propriétés immenses, 20, 30 à 50 fois la taille d’une ferme familiale (comme celle de Montmaurin, en Haute-Garonne, d’environ 10 000 hectares), les esclaves cultivent d’une façon extensive des produits de plus en plus orientés vers l’exportation (vin, huile d’olive) et de moins en moins de céréales.
Semblable aux physiocrates, et convaincu que c’est la terre et non les hommes qui produisent la richesse, Caton, le massacreur de Carthage, écrit dans son Economie Rurale (I,CXXXVI) :
« Souvenez-vous qu’un champ très productif, comme un homme prodigue, est ruineux, s’il occasionne un excès de dépenses. Si vous me demandez quel est le meilleur domaine, je vous répondrai :sur un domaine de cent arpents et bien situé, la vigne est la meilleure récolte, si elle est productive. Je place ensuite un potager arrosable ; au troisième rang, une oseraie ; au quatrième, l’olivier ; au cinquième, une prairie ; au sixième, les céréales ; au septième, un taillis ; puis un verger et, enfin, une forêt de chênes. »
Bien que l’on élève dans d’énormes ranchs des chevaux de course pour le cirque, les animaux de trait et par conséquent les engrais, ne sont guère de mise sous l’Empire romain. Il faut attendre le Xe en Europe du Nord (et même la fin du XVIIe en Angleterre…) pour voir apparaître le collier rigide (inventé en Chine au Ve siècle) qui prend appui sur les épaules du cheval, pour révolutionner l’agriculture. Possédant une force équivalant à celle d’un bœuf, le cheval de trait peut déplacer la moitié plus de poids par seconde et par distance.
Cette politique de croissance zéro dans les campagnes provoque un véritable exode rural, créant les conditions d’une famine et alourdissant encore les charges fiscales pesant sur ceux qui restent. Ceux qui fuient la campagne trouvent à Rome les « annona », une aide alimentaire instaurée dès -500, dont bénéficient 200.000 personnes en -130, pour passer à 320.000, soit un quart, sinon la moitié de la population.
Le Cirque et les jeux
A Rome, l’astuce des maîtres consiste à laisser leurs esclaves en semi-liberté pour les faire bénéficier de cette nourriture gratuite résultant du pillage des récoltes de Sicile, d’Égypte et d’Afrique du Nord.
A l’époque de Claude (+50), Rome ne compte pas moins de 159 jours fériés par an et en +354, ce chiffre atteint les 200 !
Pour occuper cette foule et la désinhiber de la violence du système et des guerres, une mise en scène permanente est organisée autour d’une culture de la mort. Déjà, la perspective d’un « no future » est si forte que beaucoup d’hommes libres de Rome, convaincus de l’inutilité de leur existence, s’enregistrent volontairement comme gladiateur afin de ne jamais avoir à subir la dépendance matérielle.
De 120 gladiateurs engagés à lutter, leur nombre passe à 350 couples qui s’affrontent en duels sous Trajan, et après la conquête de la Dacie, 117 jours de célébration voient s’opposer non moins de 4941 paires de gladiateurs ! Jeux et paris vont alors bon train.
Sous Trajan, le Circus Maximus, un hippodrome construit en -329 où se déroulent 24 courses par jour, mesurant 600 mètres sur 200 et pouvant accueillir jusqu’à 255 000 spectateurs, ne connaîtra rien de comparable, si ce n’est le stade de Berlin, construit par les nazis en 1936. Les représentations théâtrales sont d’une vulgarité extrême et le public connaît généralement les chansons et les textes par cœur.
« L’âne d’or » d’Apulée (v.125 – v.180), met en scène un coït avec un âne et, plus tard, une crucifixion « life » est incorporée dans une pièce.
Le « Colisée », un amphithéâtre construit sous Flavien, vers 70, peut recevoir jusqu’à 50 000 personnes. Grâce à des astuces techniques, le plateau se transforme en petit lac pour figurer des joutes navales. Mais c’est généralement moins romantique.
Le seul jour de l’inauguration, non moins de cinq mille animaux sont mis à mort au cours de combats divers. Des lions sont lâchés sur des buffles, des ours contre des panthères, des rhinocéros contre des éléphants, des gladiateurs contre des tigres, etc.
Le bilan mortel est impressionnant ! Pour ne donner que quelques exemples des plus sanglants :
- Le retour victorieux de Trajan du royaume dace provoqua le sacrifice de 11 000 animaux.
- Le venatio au Circus Maximus de 169 av. JC vit mourir 63 léopards, 40 ours et plusieurs éléphants.
- En 55 av. JC, ce fut 500 lions, 410 panthères et léopards et 18 éléphants qui périrent en cinq jours.
- La même année, Pompée célèbre l’inauguration de son théâtre avec 410 panthères et 600 lions.
- En l’honneur de Jules César, 400 lions moururent en une journée.
- A une autre 500 fantassins affrontèrent 20 éléphants et 20 autres montés d’hommes et de tourelles.
- 500 ours furent exécutés sous l’ordre de Caligula pour sa sœur Drusilla.
- 5 000 bêtes moururent pour l’inauguration du Colisée
Ken Kronberg dans son étude très complète, constate que,
« Répétée partout dans tous les amphithéâtres de l’empire, cette boucherie rituelle a conduit à l’extinction de l’éléphant d’Afrique du Nord, de l’hippopotame nubien et du lion de Mésopotamie. »
D’ailleurs, chaque matin, avant l’arrivée des nobles dans les stades, les criminels en tous genres (terme qui s’applique également aux chrétiens) sont jetés en pâture aux fauves pour les mettre en appétit. Les crucifixions n’ont d’ailleurs pas été inventées pour les chrétiens.
A Lutetia (Paris), rappelez-vous que Montmartre vient de « Mont des Martyrs », c’est-à-dire l’endroit où l’on exécute les condamnés à mort.
A Lugdunum (Lyon), la « Croix Rousse » désigne un lieu similaire, car on brûlait les cadavres sur les croix pour prévenir les épidémies. L’omniprésence de la cruauté froide et calculée et de la mort arbitraire semble avoir eu le même effet que certains de nos jeux vidéos violents d’aujourd’hui : désinhiber les hommes en les familiarisant avec la barbarie.
D’ailleurs, à Carthage, après le massacre d’une grande partie de la population, on trouva dans les rues, non seulement des cadavres d’enfants, de femmes, de vieillards et d’hommes, mais aussi des chiens coupés en morceaux et des membres épars d’animaux…
Conclusion
Dans cette société romaine, il est clair que la vie d’un individu, surtout dépourvu de pouvoir, n’a aucune valeur. Mais ce pouvoir de vie et de mort, véritable culte du sang, dont Rome dispose, ce pouvoir de ne pas respecter la vie humaine sera en réalité la faiblesse mortelle d’une culture tragique, relativement apte à s’adapter mais incapable de se changer.
Shakespeare, dans Jules César, l’a parfaitement identifié :
CESAR :
« …Calpurnia que voici, ma femme, me retient.
Elle vient de rêver que ma statue,
Comme une fontaine à cent bouches,
Versait un sang où de nombreux Romains
Vigoureux, souriants, trempaient leurs mains,
Et cela lui parait prophétique, un présage
De malheurs imminents. Et à genoux
Elle m’a supplié de ne pas sortir aujourd’hui. »
(acte I, scène II)
L’un des comploteurs impliqué dans l’assassinat de César utilisera son orgueil pour l’amener sur le lieu du crime :
DECIUS :
« Ce rêve est tout à fait mal interprété.
C’est une heureuse vision, de bon augure.
Votre statue versant par tant de bouches
Un sang où des Romains qui sourient se baignent,
Signifie que la grande Rome puisera
Dans votre sang sa vigueur ; que de grands hommes
S’y presseront pour teindre des emblèmes,
Pour empourprer de futures reliques…
Tel est le sens du songe, Calpurnia. »
Ceux qui ne comprennent pas les erreurs axiomatiques de leur propre culture sont condamnés à répéter les erreurs de l’histoire. Tel est le sort qui guette aujourd’hui les oligarchies imbéciles. Après cinquante ans de pillage par le FMI et la Banque mondiale, aggravé par l’émergence de bulles financières incontrôlables, le système court rapidement à sa perte. L’écroulement de l’URSS, en 1989, a fait revivre la dangereuse illusion d’un « moment unilatéral », capable d’engendrer l’utopie d’un empire mondial.
Le dernier « moment unilatéral » de ce type intervint en 1946, lorsque Bertrand Russell demanda une « attaque préventive » nucléaire contre l’URSS avant qu’elle ne se dote d’armes de destruction massive équivalant à l’arsenal occidental.
Aujourd’hui, sous couvert d’éliminer la menace du terrorisme et des « Etats-voyous », et derrière les prophéties d’un « choc de civilisations », nous entendons de nouveau : « Carthago delenda est » !
Mais croyez-vous réellement que l’Irak soit la nouvelle Carthage ? Non, Carthage, c’est vous et moi, c’est l’Europe en passe de devenir le véritable compétiteur global par sa politique d’intégration eurasiatique, du Portugal à la mer de Chine.
Peut-être même Carthage est-elle davantage encore cette amitié franco-allemande qui, comme Numance à l’époque romaine, par l’exemplarité de son indépendance, représente une exception intolérable. Ne vous y trompez donc pas, les empires n’ont pas d’alliés, ils n’ont que vassaux et rebelles, chacun reconnaissant à sa façon la supériorité et le prestige de l’Empire.
La bataille n’est donc pas celle du petit jardin pacifique de Kant (l’Europe) contre Hobbes (le droit du plus fort), comme Robert Kagan le conjecture, mais celle d’Augustin contre l’Empire romain, car cet empire touche déjà à sa fin et ce n’est pas une nouvelle croisade qui le fera perdurer. A l’administration américaine, nous disons donc volontiers ce que le devin disait à Jules César : « Crains les ides de mars ».
Addendum : Une information vient cruellement conforter notre analyse. Début mars, Ed Koch, ancien maire de New York, inconditionnel de la guerre contre l’Irak et donc exaspéré par l’opposition française, aurait déclaré, « Omnia Gallia delenda est » (Il faut détruire toute la Gaulle).
Articles et livres consultés :
- Choisy Auguste, Histoire de l’Architecture, Bibliothèque de l’Image, Paris 1996.
- Goldsworthy Adrian, Les guerres romaines, Editions Autrement, Paris 2000.
- Kronberg Kenneth, « How the Romans nearly destroyed civilization », dans New Solidarity, 1983.
- Mac Mullen Ramsay, « Le déclin de Rome et la corruption du pouvoir », dans Les Belles Lettres, 1991.
- Saint-Augustin, La Cité de Dieu », Desclée de Brouwer, 1960, Paris.
- Shakespeare, Jules César, Folio, Gallimard.
- Suétone, La Vie des douze Césars, Folio, Gallimard.
- Tite Live, Histoire Romaine, Livres XXVI à XXX, Garnier-Flammarion, 1994, Paris.
- Weil Simone, « Quelques réflexions sur les origines de l’Hitlérisme », 1939, Œuvres Complètes, Vol. II, Gallimard, 1989, Paris.
Jacob Fugger « le riche », père du fascisme financier
Par Karel Vereycken, septembre 2024.
Pourquoi une enquête sur les Fuggers?
En 1999, un Bill Clinton niais, devant un parterre de banquiers américains hilares, abroge le fameux Glass-Steagall Act ; cette loi adoptée par Franklin Roosevelt pour sortir le monde de la dépression économique par une séparation stricte entre les banques d’affaires (spéculatives) et les banques « normales » chargées de fournir du crédit à l’économie réel
D’une façon orwellienne, la loi de 1999 scellant cette abrogation s’appelle la loi Gramm-Leach-Bliley « de modernisations des services financiers ». Or, comme vous allez le découvrir dans cet article, cette loi, qui a ouvert toutes grandes les portes à une mondialisation financière prédatrice et criminelle, n’a fait que rétablir des pratiques féodales qu’on avait su repousser à l’aube des temps modernes.
En France, le programme du Conseil national de la Résistance (CNR) appela explicitement à « l’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale, impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie », une revendication reprise, en partie, au 9e alinéa du préambule de la Constitution de 1946 pour qui, « Tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ». Sont créés alors, après SNCF en 1938, Électricité et Gaz de France (1946).
Dans ce sens, la « modernisation » urgentissime de la finance pour laquelle nous nous battons, entend faire renaître non seulement un pôle de banques publiques, mais des banques nationales souveraines sous contrôle des États, chacune au service de son pays mais œuvrant d’un commun accord avec d’autres dans le monde pour investir dans l’équipement de l’homme et de la nature au plus grand bénéfice de tous. Il s’agit, par la création d’un système de crédit productif et de marchés organisés, de sortir de l’enfer d’un système de chantage « monétariste ».
Affirmer aujourd’hui qu’un cartel international de faux-monnayeurs cherche à prendre le contrôle des sociétés démocratiques, à se livrer au pillage colonial, à créer des dissensions fratricides et les conditions d’une nouvelle guerre mondiale, sera immédiatement qualifié de complotisme, de Poutinophilie ou d’anti-sémitisme dissimulé, ou les trois à la fois.
Pourtant, les faits historiques de l’ascension et de la chute des familles allemandes Fugger et Welser (qui, soit dit en passant, n’étaient pas juives mais d’ardents catholiques), démontrent amplement que c’est précisément ce qui s’est passé au début du XVIe siècle, véritable poignard dans le dos de la Renaissance. A nous de « moderniser » la finance pour que plus jamais une telle situation ne se représente !
Corruption et élections
Au « bon » vieux temps de l’Empire romain, tout était tellement plus simple ! Déjà à Athènes, mais à plus grande échelle à Rome, la corruption électorale est une pratique rodée. À la fin de la République romaine, des « lobbies » puissants coordonnent des systèmes de corruption et d’extorsion. On dit même que les emprunts à grande échelle destinés à financer les pots-de-vin ont créé l’instabilité financière qui a conduit à la guerre civile de 49-45 av. JC. Les généraux romains, une fois qu’ils avaient ravagé et pillé une colonie lointaine et transformé en espèces sonnantes et trébuchantes leur butin, achetaient directement les voix des sénateurs, toujours utiles pour élire tel ou tel empereur ou légitimer un tyran après son énième coup d’État. A Rome, les « élections » deviendront une telle farce obscène qu’elles furent éliminées. « Une bénédiction du ciel », se réjouit l’homme d’État Quintus Aurelius Symmachus, heureux que « l’affreux bulletin de vote, la répartition des places au spectacle entre copains, la course vénale, tout cela n’existe plus ! ».
Le « Saint-Empire romain germanique »
Faire revivre un système impérial aussi dégénéré et corrompu n’était donc pas forcément une idée brillante, à part pour les lobbies corrupteurs. Le 25 décembre 800, le pape Léon III a couronné Charlemagne « Empereur romain », faisant revivre le titre en Europe occidentale plus de trois siècles après l’effondrement de l’ancien Empire romain d’Occident en 476.
En 962, Otton Ier est couronné empereur par le pape Jean XII. Il se présente comme le successeur de Charlemagne et inaugure l’existence continue de l’Empire pendant plus de huit siècles…
En théorie, les empereurs étaient considérés comme les « premiers parmi leurs pairs », les monarques catholiques d’Europe. Mais, tout comme le vote du Sénat romain était nécessaire pour « élire » un empereur romain, au Moyen Âge, dans la pratique, un petit groupe de « Princes-électeurs », principalement allemands, s’arroge le privilège d’élire le « Roi des Romains ». Une fois élu à ce titre, ce roi est ensuite couronné « Empereur » par le pape.
Le statut d’Électeur jouit d’un grand prestige et est considéré comme juste inférieur à celui de l’empereur, des rois et des plus grands ducs. Les Électeurs bénéficient de privilèges exclusifs qui ne sont pas partagés avec les autres princes de l’Empire, et ils continuent à porter leur titre d’origine en même temps que celui d’Électeur.
En 1356, la « Bulle d’or », un décret portant un sceau d’or émis par la Diète impériale de Nuremberg et de Metz dirigée par l’empereur de l’époque, Charles IV, fixe les règles et les protocoles du système de pouvoir impérial. Tout en limitant quelque peu leur pouvoir, la Bulle d’or accorde aux Grands Électeurs le « Privilegium de non appellando » (privilège de non-appel), empêchant leurs sujets de faire appel à une juridiction impériale supérieure et transforme leurs tribunaux territoriaux en juridictions de dernier ressort.
Cependant, imposer partout une telle superstructure n’est pas mince affaire. Avec Jacques Cœur, Yolande d’Aragon et Louis XI, la France s’affirme de plus en plus comme un État-nation souverain et anti-impérial.
C’est ainsi que le Saint-Empire romain, par un décret adopté à la Diète de Cologne en 1512, devient le « Saint Empire romain germanique », nom utilisé pour la première fois dans un document de 1474. L’adoption de ce nouveau nom coïncide avec la perte des territoires impériaux en Italie et en Bourgogne au sud et à l’ouest à la fin du XVe siècle, tout en visant à souligner la nouvelle importance des États impériaux allemands dans la direction de l’Empire. Napoléon est supposé avoir déclaré que le terme « Saint-Empire romain germanique » était trois fois erroné. Car il était trop débauché pour être saint, trop allemand pour être romain et trop faible pour être un empire.
Vu l’objet de cet article, nous ne nous étendrons pas sur ce vaste sujet. Il convient néanmoins de noter que la propagande du parti nazi, dès 1923, désignait le « Saint-Empire romain de la nation germanique » comme le « premier » Reich (Reich signifiant empire), l’Empire allemand comme le « deuxième » Reich et ce qui allait devenir l’Allemagne nazie comme le « troisième » Reich.
Adolphe Hitler, fier de l’héritage des Fugger, voulait faire d’Augsbourg la « cité des marchands allemands » et transformer la grande résidence des Fugger en « musée du commerce ». Pour briser le morale du führer, le bâtiment fut sévèrement bombardé en février 1942.
Les Princes électeurs
Au XVIe siècle, le Saint-Empire romain germanique se compose d’une myriade de quelque 1800 entités semi-indépendantes réparties en Europe centrale et en Italie du Nord. En clin d’œil à l’ancienne tradition germanique d’élection des rois, les empereurs médiévaux de ce patchwork tentaculaire de territoires disparates sont élus.
A partir de la Bulle d’or de 1356, l’empereur est élu à Francfort (futur siège de la Banque centrale européenne) par un « collège électoral » composé de sept « Princes-électeurs » (en allemand Kurfürst) :
- l’archevêque de Mayence, archichancelier d’Allemagne ;
- l’archevêque de Trêves, archichancelier de Gallia (France) ;
- l’archevêque de Cologne, archichancelier d’Italie ;
- le duc de Saxe ;
- le comte palatin du Rhin ;
- le margrave de Brandebourg ;
- le roi de Bohême.
Bien entendu, pour obtenir le vote de ces messieurs, les aspirants formulent des engagements oraux et écrits, et surtout, aussi bien sur que sous la table, offrent des privilèges, du pouvoir, de l’argent et bien d’autres choses encore.
Ainsi, la tâche la plus difficile pour tout candidat en herbe consiste à réunir les fonds nécessaires à l’achat des votes. En conséquence, l’existence et la survie même du Saint-Empire romain germanique est aux mains d’une oligarchie financière de riches familles de banquiers marchands.
Tout comme une poignée de banques géantes contrôlent aujourd’hui les nations occidentales en leur achetant leurs émissions de bons du Trésor indispensables au refinancement des intérêts de leurs dettes, les banquiers du début du XVIe siècle, se constituant en oligopole, s’imposent comme « trop grands pour faire faillite », et par conséquent, « trop grands pour aller en prison ».
Le rôle néfaste des Bardi, Peruzzi et autres banquiers Médicis, qui, en ruinant les agriculteurs européens, avaient plongé l’Europe dans une grande famine invitant la « Peste Noire » à décimer entre 30 et 50 % de la population européenne, est un fait historique bien documenté, notamment par mon ami, l’analyste financier américain Paul Gallagher.
Fucker Advenit
Nous nous intéresserons ici aux activités de deux familles de banquiers allemands qui dominent le monde au début du XVIe siècle : les Fugger et les Welser d’Augsbourg (Bavière).
Contrairement aux Welser, une vieille famille patricienne dont nous parlerons à la fin, l’histoire de la réussite des Fugger commence en 1367, lorsque qu’un simple artisan, le « maître tisserand » Hans Fugger (1348-1409), quitte son village de Graben pour s’installer dans la « ville impériale libre » d’Augsbourg, à quatre heures de marche. Le registre des impôts d’Augsbourg indique « Fucker Advenit » (Fugger est arrivé). En 1385, Hans est élu à la direction de la guilde des tisserands, ce qui lui permet de siéger au Grand Conseil de la ville.
Augsbourg, comme les autres villes libres et impériales, n’est soumise à l’autorité d’aucun prince, mais seulement à celle de l’empereur. La ville est représentée à la Diète impériale, contrôle son propre commerce et ne permet que peu d’interférences extérieures.
Dans l’Allemagne de la Renaissance, peu de villes ont égalé l’énergie et l’effervescence d’Augsbourg. Les marchés débordent de tout, des œufs d’autruche aux crânes de saints. Les dames apportent des faucons à l’église. Des éleveurs hongrois conduisent du bétail dans les rues. Si l’empereur vient en ville, les chevaliers joutent sur les places. Si un meurtrier est arrêté le matin, il est pendu l’après-midi pour être vu de tous. La bière coule dans les bains publics aussi librement que dans les tavernes. La ville ne se contente pas d’autoriser la prostitution, elle entretient les maisons closes.
Au départ, le profil commercial des Fugger est fort traditionnel : on achète des tissus fabriqués par des tisserands locaux et on les vend lors de foires à Francfort, à Cologne et, au-delà des Alpes, à Venise.
Pour un tisserand comme Hans Fugger, c’était le « bon moment » pour venir à Augsbourg. Une innovation passionnante s’installe dans toute l’Europe : la futaine, un nouveau type de tissu qui tire peut-être son nom de la ville égyptienne de Fustat, près du Caire, qui fabriquait ce matériau avant que sa production ne s’étende à l’Italie, à l’Allemagne du Sud et à la France.
La futaine médiévale était un tissu robuste type toile ou sergé avec une trame de coton et une chaîne de lin, de soie ou de chanvre et dont l’un des côtés a subi un léger lainage. Plus légère que la laine, elle deviendra très demandée, notamment pour une nouvelle invention : les sous-vêtements. Alors que le lin et le chanvre pouvaient être cultivés presque partout, à la fin du Moyen Âge, le coton provient de la région méditerranéenne, de Syrie, d’Égypte, d’Anatolie et de Chypre, et entre en Europe par Venise.
De Jacob l’Ancien à « Fugger Brothers »
À Augsbourg, Hans a deux enfants : Jacob, connu sous le nom de « Jacob l’Ancien » (1398-1469) et Andreas Fugger (1394-1457). Les deux fils ont des stratégies d’investissement différentes et opposées. Alors qu’Andreas fait faillite, Jacob l’Ancien développe prudemment ses activités.
Après le décès de Jacob l’Ancien en 1469, son fils aîné Ulrich Fugger (1441-1510), avec l’aide de son frère cadet Georg Fugger (1453-1506), prend la direction de l’entreprise jusqu’à sa mort.
Petit à petit, les profits sont investis dans des activités nettement plus rentables : pierres précieuses, orfèvrerie, bijoux et reliques religieuses telles que les os des martyrs et les fragments de croix ; épices (sucre, sel, poivre, safran, cannelle, alun) ; plantes et herbes médicinales et surtout métaux et mines (or, argent, cuivre, étain, plomb, mercure) qui, comme collatéral, permettront l’expansion des émissions monétaires, tout en fournissant les matières premières stratégiques pour l’armement.
Les Fugger nouent alors d’étroites relations personnelles et professionnelles avec l’aristocratie. Ils se marient avec les familles les plus puissantes d’Europe – en particulier les Thurzo d’Autriche. Leurs activités s’étendent à toute l’Europe centrale et septentrionale, à l’Italie et à l’Espagne, avec des succursales à Nuremberg, Leipzig, Hambourg, Lübeck, Francfort, Mayence et Cologne, à Cracovie, Danzig, Breslau et Budapest, à Venise, Milan, Rome et Naples, à Anvers et Amsterdam, à Madrid, Séville et Lisbonne.
Jacob Fugger « le Riche »
En 1473, le plus jeune des trois frères, Jacob Fugger (ultérieurement connu comme « le Riche ») (1459-1525), âgé de 14 ans et destiné à l’origine à une carrière ecclésiastique, est envoyé à Venise, à l’époque « la ville la plus commerçante du monde. Il y est formé au commerce et à la comptabilité. Jeune, Jacob rappelle qu’il s’y est trouvé dormant « à côté de ses compatriotes sur un plancher couvert de paille dans le grenier ».
Jacob retourne à Augsbourg en 1486 avec une immense admiration pour Venise au point qu’il aimait se faire appeler « Jacobo » et ne lâche jamais son béret d’or vénitien. Plus tard, avec un certain sens de l’ironie, il appelle la comptabilité apprise à Venise « l’art de l’enrichissement ».
L’humaniste Érasme de Rotterdam semble avoir voulu lui répondre dans son Colloque « L’ami du mensonge et l’ami de la vérité ».
Le banquier et sa femme
L’ami d’Érasme à Anvers, le peintre flamand Quinten Matsys, a peint en 1515 un panneau intitulé « Le banquier et sa femme », véritable réponse culturelle des humanistes aux Fugger.
Tandis que le banquier, qui a accroché son chapelet au mur derrière lui, vérifie si le poids du métal des pièces correspond à leur valeur nominale, sa femme, qui tourne les pages d’un livre d’heures religieux, jette un regard triste sur les obsessions cupides de son mari visiblement malheureux. L’inscription sur le cadre a disparu.
Elle se lisait ainsi : « Stature justa et aequa sint podere » ( « que la balance soit juste et les poids égaux », phrase tirée de la Bible, Lévitique, XIX, 35).
Le peintre interpelle une finance sans foi ni loi et semble leur dire : « Qu’est-ce qui vous fera entrer au paradis : le poids de votre or ou le poids de vos bonnes actions ? »
L’importance de l’information
A Venise, Jacob a assimilé les méthodes vénitiennes (de l’Empire romain) pour réussir :
- organiser un service de renseignement privé ;
- imposer un monopole sur les produits stratégiques ;
- alternance entre la corruption intelligente et le chantage ;
- pousser le monde au bord de la faillite pour se rendre indispensable.
Jacob Fugger reconnaît l’importance de l’information. Pour réussir, il doit être informé de ce qui se passe dans les ports maritimes et les centres de commerce. Désireux d’obtenir tous les avantages possibles en affaires, Fugger met en place un système de courrier privé destiné à lui transmettre exclusivement les nouvelles, telles que les « décès et les résultats des batailles », afin qu’il les ait avant tout le monde, surtout avant l’empereur.
Jacob Fugger finance tout projet, personne ou opération, correspondant à son objectif à long terme. Mais toujours à des conditions sévères fixées par lui et toujours pour s’imposer aux autres. Le principe en vigueur était le « do ut des », en d’autres termes, « je donne, je peux recevoir ».
En échange de tout prêt, des garanties et des hypothèques étaient exigées : des productions de métaux, des concessions minières, des entrées financières des États, des privilèges commerciaux et sociaux, des exemptions fiscales et douanières et de hautes fonctions pour les proches de Fugger dans la vie des Etats. Et avec la hausse des sommes avancées, la hausse des contreparties exigées par Fugger.
Si le capitalisme « moderne » est la dictature de monopoles privés au détriment d’une libre concurrence non-faussé, c’est sûr qu’il en est le fondateur.
La chose la plus importante qu’il ait apprise à Venise ? Être toujours prêt à sacrifier des gains financiers à court terme et même à offrir des profits financiers à ses victimes pour démontrer sa solvabilité et assurer son contrôle politique à long terme. En l’absence de banques nationales ou de banques publiques, les papes, les princes, les ducs et les empereurs dépendent fortement, voire entièrement, d’un oligopole de banquiers privés.
Lorsqu’un empereur autrichien, dont il est le banquier, envisage de lever un impôt universel, Fugger sabote le projet car cela réduisait sa dépendance des banquiers !
Un ambassadeur vénitien, découvrant que Jacob avait appris son métier à Venise, confesse:
« Si Augsbourg est la fille de Venise, alors la fille a surpassé sa mère »
Anvers et Venise
Les trois Fugger sont bien conscients du rôle clé de Venise et d’Anvers pour le commerce du cuivre, Augsbourg se trouvant, avec Nuremberg, au beau milieu du corridor commercial les reliant. (voir carte)
Anvers
L’année 1503 marque le début des activités portugaises de la maison Fugger à Anvers et, en 1508, les Portugais font d’Anvers la maison de base du commerce colonial.
En 1515, Anvers se dote de la première bourse de commerce d’Europe qui servira de modèle pour Londres (1571) et Amsterdam (1611).
On y négocie le cuivre, le poivre et les dettes. L’achat d’une cargaison de poivre se réglait pour les ¾ en or, pour ¼ en cuivre. Venise d’abord, Portugal et Espagne par la suite, dépendent de Fugger pour l’argent (métal) et le cuivre.
Venise
La firme exporte du cuivre et de l’argent du Tyrol vers Venise, et importe par Venise des produits de luxe, des textiles fins, du coton et, surtout, des épices indiennes et orientales. Après de grands efforts, c’est le 30 novembre 1489 que le Conseil d’État de Venise confirme aux Fugger la possession permanente de leur chambre au Fondaco dei Tedeschi (Maison des Allemands), l’entrepôt des marchands allemands de poivre sur le Grand Canal, pour l’entretien et la décoration duquel Fugger a dépensé des sommes importantes.
Au début du XVIe siècle, les marchands de Nuremberg partagent avec ceux d’Augsbourg, le monopole de ce qui constitue le plus important comptoir commercial germanique. Au cours des repas pris en commun que le règlement leur impose, ils président alors officiellement la table réunissant leurs confrères de Cologne, de Bâle, de Strasbourg, de Francfort et de Lübeck.
Des familles de commerçants bien connues font du commerce dans la Fondaco dei Tedeschi dont les Imhoff, Koler, Kreß, Mendel et Paumgartner de Nuremberg, et les Fugger et Höchstetter de Augsbourg. Les marchands importent principalement des épices de Venise : safran, poivre, gingembre, muscade, clous de girofle, cannelle et sucre.
La bourse de Nuremberg sert de lien commercial entre l’Italie et d’autres centres économiques européens. Des aliments connus et appréciés dans la région méditerranéenne, tels que l’huile d’olive, les amandes, les figues, les citrons et les oranges, les confitures et des vins trouvent leur chemin de la mer Adriatique à Nuremberg.
A cela s’ajoutent d’autres produits de valeur tels que les coraux, les perles, les pierres précieuses, les produits de la verrerie de Murano et de l’industrie textile, comme les tissus de soie, draps de coton et de damas, velours, brocart, fil d’or, camelot et bocassin. Du papier et des livres complètent la liste.
Au cours des années suivantes, la firme « Ulrich Fugger et frères » traite des lettres de change vénitiennes avec la société Blum de Francfort et les sources mentionnent fréquemment la succursale de la société sur le Rialto comme un débouché pour le cuivre et l’argent, un centre pour l’achat de produits de luxe et une station de compensation pour les transferts à la curie romaine.
Le basculement du monde
En 1498, six ans après le voyage de Christophe Colomb vers l’Amérique, Vasco de Gama (1460-1524) fut le premier Européen à trouver la route de l’Inde en contournant l’Afrique. Il put ainsi fonder Calicut, le premier comptoir portugais en Inde. L’ouverture de la route maritime vers les Indes orientales par les Portugais prive alors les routes commerciales de la Méditerranée, et donc de l’Allemagne du Sud, d’une grande partie de leur importance. Géographiquement, c’est l’Espagne, le Portugal et les Pays-Bas qui prennent l’avantage.
Jacob Fugger, toujours au courant de tout avant tout le monde, décide alors de relocaliser son marché colonial de Venise vers Lisbonne et Anvers. Il profite de l’occasion pour ouvrir de nouveaux marchés tels que l’Angleterre, sans pour autant délaisser ses marchés tels que l’Italie. Il participe au commerce des épices et ouvre une factorerie à Lisbonne en 1503.
Il reçoit l’autorisation de faire transiter par Lisbonne le poivre, d’autres épices et des produits de luxe tels que les perles et les pierres précieuses.
Avec d’autres maisons de commerce d’Allemagne et d’Italie, Fugger contribue à une flotte de 22 navires portugais dirigée par le portugais Francisco de Almeida (1450-1510), qui se rend en Inde en 1505 et en revient en 1506. Bien qu’un tiers des marchandises importées doive être cédé au roi du Portugal, l’opération reste rentable. Obnubilé par les gains énormes de l’expédition, le roi du Portugal, pour pleinement pouvoir en profiter, fait du commerce des épices un monopole royal excluant toute participation étrangère. Cependant, les Portugais restent dépendant du cuivre livré par Fugger, un produit d’exportation essentiel pour le commerce avec l’Inde.
Fugger, ruses et astuces
1. Renfloue-moi, chérie
En 1494, les frères Fugger fondent une entreprise commerciale avec un capital de 54 385 florins, somme qui sera doublée deux ans plus tard lorsque Jacob persuade, en 1496, le cardinal Melchior von Meckau (1440-1509), prince-évêque de Brixen (aujourd’hui Bressanone dans le Tyrol italien), de rejoindre l’entreprise en tant qu’« associé silencieux » dans le cadre de l’expansion des activités minières en Haute-Hongrie. Dans le plus grand secret et à l’insu de son chapitre ecclésiastique, le prince-évêque place 150 000 florins dans la société Fugger en échange d’un dividende annuel de 5 %. Si de telles « transactions discrètes » étaient tout à fait habituelles chez les Médicis, profiter de taux d’intérêts reste un péché pour l’Eglise.
Lorsque le prince-évêque meurt à Rome en 1509, cet investissement est découvert. Le pape, l’évêché de Brixen et la famille de Meckau, qui revendiquent tous l’héritage, exigent alors le remboursement immédiat de la somme, ce qui aurait entraîné l’insolvabilité de Jacob Fugger.
C’est cette situation qui incite l’empereur Maximilien Ier à intervenir et à aider son banquier. Fugger lui trouve la formule. À condition d’aider le pape Jules II dans une petite guerre contre la République de Venise, le monarque des Habsbourg est reconnu comme l’héritier légitime du cardinal Melchior von Meckau. L’héritage peut désormais être réglé par l’amortissement des dettes en cours. Fugger doit également livrer des bijoux en guise de dédommagement au pape. En échange de son soutien, Maximilien Ier exige toutefois un appui financier soutenu pour ses campagnes militaires et politiques en cours. Une façon de dire aux Fugger : « Je vous sauve aujourd’hui mais je compte sur vous pour me sauver demain… ».
2. Achète-moi un pape et le Vatican, chérie
En 1503, Jacob Fugger donne 4000 ducats (5600 florins) pour graisser la patte des cardinaux afin de faire élire « le pape guerrier » Jules II, ennemi des humanistes.
Une fois élu, pour sa protection, Jules II réclame 200 mercenaires suisses. En septembre 1505, le premier contingent de gardes suisses se met en route pour Rome. À pied et dans les rigueurs de l’hiver, ils marchent vers le sud, franchissent le col du Saint-Gothard et reçoivent leur solde du banquier… Jacob Fugger.
Jules II montre sa gratitude en confiant à Fugger la frappe de la monnaie papale. Entre 1508 et 1524, les Fugger occupent à Rome l’hôtel des monnaies, la Zecca, et fabriquent 66 types de pièces pour quatre papes différents.
3. Les affaires d’abord, chérie
En 1509, Venise est attaquée par les armées de la Ligue de Cambrai, une alliance de puissantes forces européennes qui décide de briser le monopole de Venise sur le commerce européen.
Le conflit désorganise les échanges terrestres et maritimes des Fugger. Les prêts accordés par les Fugger à Maximilien (membre de la Ligue de Cambrai) sont garantis par le cuivre du Tyrol exporté via Venise… Les Fuggers se rangent du côté de Venise sans se brouiller avec un Maximilien bien content.
4. Achète-moi un tueur à gages, chérie
Fugger a des rivaux qui le détestent. Parmi eux, les frères Gossembrot. Sigmund Gossembrot est le maire d’Augsbourg. Son frère et associé en affaires George, est le secrétaire au trésor de Maximilien. Ils souhaitent que les revenus des mines soient investis dans l’économie réelle et conseillent à l’empereur de rompre avec les Fugger. Les deux frères moururent en 1502 après avoir mangé du boudin noir. Le grand historien des Fugger, Gotried von Pölnitz, qui a passé plus de temps que quiconque dans les archives, s’est demandé si les Fugger avaient ordonné cet assassinat. Disons qu’une absence de preuve n’est pas une preuve d’absence.
5. Ta belle mine est mienne, chérie
La période comprise entre 1480 et 1560 a été le siècle de la révolution métallurgique. L’or, l’argent et le cuivre peuvent désormais être séparés de manière économique. La demande de mercure nécessaire au processus augmente rapidement.
Jacob, conscient des gains financiers potentiels qu’il offre, passa du commerce des textiles à celui des épices, puis à l’exploitation minière. Il se rend donc à Innsbruck, dans l’actuelle Autriche, où les mines appartiennent à Sigismond, archiduc d’Autriche (1427-1496), membre de la famille Habsbourg et cousin de l’empereur Frédéric.
La bonne nouvelle pour Jacob Fugger, c’est que Sigismond est très dépensier. Non pas pour ses sujets mais pour se divertir. Lors d’une fête somptueuse on voit sortir un nain d’un gâteau pour lutter contre un géant. Résultat, Sigismond est constamment obligé de s’endetter. Lorsque l’argent manque, Sigismond vend la production de sa mine d’argent à des prix cassés à un groupe de banquiers. Par exemple à la famille de banquiers génois Antonio de Cavallis.
Pour entrer dans le jeu, Fugger prête à l’archiduc 3000 florins et reçoit 1000 livres d’argent métal à 8 florins la livre, qu’il revend plus tard à 12. Une somme dérisoire comparée à celles prêtées par d’autres, mais ouvrant ses relations avec Sigismond et surtout avec la dynastie naissante des Habsbourg.
En 1487, après une escarmouche militaire avec Venise, plus puissante, pour le contrôle des mines d’argent du Tyrol, l’irresponsabilité financière de Sigismond le rend persona non grata auprès des grands banquiers. Désespéré, il se tourne alors vers Fugger. Ce dernier mobilise la fortune familiale pour réunir l’argent que réclame le monarque. Une situation idéale pour le banquier. Bien entendu, il s’agit d’un prêt garanti et assorti de conditions très strictes. Sigismond ne peut pas le rembourser avec de l’argent métal de ses mines et il doit céder à Fugger le contrôle de son trésor public. Si Sigismond le rembourse, Fugger repart avec une fortune. Mais, compte tenu des antécédents de Sigismond, la chance qu’il rembourse est nulle. Ignorant les conditions du prêt, la plupart des autres banquiers sont convaincus que Fugger fera faillite. Et en effet, Sigismond a fait défaut, exactement comme Fugger… l’avait prévu. Cependant, comme stipule le contrat, Fugger s’empare de « la mère de toutes les mines d’argent », celle du Tyrol. En avançant un peu d’argent comptant, il met la main sur une mine d’argent.
6. Achète mes « obligations Fugger », chérie
Le fonctionnement de la banque Fugger est « moderne » : Fugger prête à l’Empereur (ou à un autre client) et refinance le prêt sur le marché (à des taux d’intérêt plus bas) en vendant des « obligations Fugger » à d’autres investisseurs. Les obligations Fugger étaient des investissements très recherchés car les Fugger sont considérés comme « débiteurs sûrs ». Ainsi, les Fugger ont utilisé leur solvabilité supérieure sur le marché pour garantir le financement de leurs clients dont la solidité n’était pas aussi bien notée. Tant que l’Empereur et les autres clients honorent leurs engagements, les Fugger font un profit sur la différence d’intérêt entre les prêts accordés à taux élevé et l’argent levé à taux bas. Moderne, non ?
7. Achète-moi un empereur, chérie
Sigismond est bientôt éclipsé par le fils de l’Empereur Frédéric III, Maximilien d’Autriche (1459-1519), qui s’est arrangé pour prendre le pouvoir si Sigismond ne rembourse pas l’argent qu’il lui devait. (Fugger aurait pu prêter à Sigismond l’argent nécessaire pour le maintenir au pouvoir, mais il préfère que Maximilien occupe ce poste).
Maximilien est élu « Roi des Romains » en 1486 et régne en tant qu’empereur du Saint-Empire romain germanique de 1508 jusqu’à sa mort en 1519. Jacob Fugger a soutenu Maximilien Ier de Habsbourg lors de son accession au trône en versant 800 000 florins pour soudoyer les grands Électeurs. Cette fois, Fugger, en tant que caution, ne réclame pas de l’argent, mais des terres. C’est ainsi qu’il acquiert les comtés de Kirchberg et de Weissenhorn auprès de Maximilien Ier en 1507. En 1514, l’empereur le nomme comte.
Sans surprise, les conquêtes militaires de Maximilien coïncident avec les projets d’expansion minière de Jacob. Fugger achète de précieuses terres avec les bénéfices qu’il tire des mines d’argent obtenues de Sigismond et finance ensuite l’armée de Maximilien pour reprendre Vienne en 1490. L’empereur s’empare également de la Hongrie, une région riche en cuivre.
Une « ceinture du cuivre » s’étend tout le long des Carpates comprenant la Slovaquie, la Hongrie et la Roumanie. Fugger modernise les mines du pays grâce à l’introduction de l’énergie hydraulique et de galeries.
L’objectif de Jacob est d’établir un monopole sur le cuivre, matière première stratégique. Avec l’étain, le cuivre entre dans la fabrication du bronze, métal stratégique pour la production de l’armement.
Fugger ouvre des fonderies à Hohenkirchen et dans une usine fortifiée située à Villach, en Carinthie, la Fuggerau (aujourd’hui en Autriche), qui est en même temps un arsenal où l’on fond des canons, où l’on fabrique des mousquets et des arquebuses.
8. Vend des indulgences, chérie
En 1514, le poste d’archevêque de Mayence se libère. Comme nous l’avons vu, il s’agit du poste le plus puissant d’Allemagne, à l’exception de celui de l’Empereur. De tels postes requièrent des rétributions. Albrecht de Brandebourg (1490-1545), dont la famille, les Hohenzollern, régnait sur une grande partie du pays, voulait le poste. Albrecht est déjà un homme puissant : il occupe plusieurs autres fonctions ecclésiastiques. Mais même lui n’a pas les moyens de payer des honoraires aussi élevés. Il emprunte donc la somme nécessaire aux Fugger, moyennant un intérêt, que la convention de l’époque qualifie d’honoraire pour « peine, danger et dépense ».
Le pape Léon X, après avoir dilapidé le trésor papal pour son couronnement et organisé des fêtes où des prostituées s’occupaient des cardinaux, demande 34 000 florins pour accorder le titre à Albrecht – ce qui équivaut à peu près à 4,8 millions de dollars d’aujourd’hui – et Fugger dépose l’argent directement sur le compte personnel du pape.
Reste maintenant à rembourser les Fugger. Albrecht a un plan. Il obtient du pape Léon X le droit d’administrer les « indulgences du jubilé » récemment annoncées. Les indulgences étaient des contrats vendus par l’Église pour pardonner les péchés, permettant aux croyants d’acheter leur sortie du purgatoire et leur entrée au paradis.
Mais pour « tondre les moutons », comme pour toute bonne escroquerie, il fallait une « couverture » ou un « narratif ». Le motif à invoquer, concocté par Jules II, était crédible : il affirmait que la basilique Saint-Pierre avait besoin d’une rénovation urgente et coûteuse.
Chargé de la vente, un « colporteur d’indulgences », le dominicain Johann Tetzel, « portait des bibles, des croix et une grande boîte en bois avec […] une image de Satan sur le dessus », et disait aux fidèles que ses indulgences « annulaient tous les péchés ». Il propose même un « barème progressif », les riches payant 25 florins et les travailleurs ordinaires un seul. Tetzel aurait dit : « lorsque l’argent s’entrechoque dans la boîte, l’âme saute du purgatoire ».
Sur le terrain, dans chaque église, des commis des Fugger assistent directement à la collecte de l’argent dont la moitié allait au pape et l’autre à Fugger. Fugger obtient du même coup le monopole des transferts de l’argent obtenu par la vente des indulgences entre l’Allemagne et Rome.
Si l’archevêque est à la merci des Fugger, le pape Léon X l’est tout autant, car, pour rembourser sa dette, il collecte de l’argent par des « simonies », c’est-à-dire qu’il vend de hautes fonctions ecclésiastiques aux princes. Entre 1495 et 1520, 88 des 110 évêques d’Allemagne, de Hongrie, de Pologne et de Scandinavie ont été nommés par Rome en échange de transferts d’argent centralisés par Fugger. C’est comme cela que Fugger devient « le banquier de Dieu, le principal financier de Rome ».
9. Achète-moi Luther, chérie
Depuis le IIIe siècle, l’Église catholique affirme que Dieu peut se montrer indulgent et accorder une rémission totale ou partielle de la peine encourue suite au pardon d’un péché. Cependant, l’indulgence obtenue en contrepartie d’un acte de piété (pèlerinage, prière, mortification, don), notamment dans le but de raccourcir le passage par le purgatoire d’un défunt, au cours du temps s’est transformée en un commerce lucratif. Urbain II s’en servira pour recruter des croyants à la première croisade.
Au XVIe siècle, c’est ce trafic des indulgences qui créera de graves troubles et un tumulte au sein de l’Église. Pratique qualifiée par Erasme de superstition dans son Éloge de la folie, la dénonciation du commerce des indulgences est le sujet même des quatre-vingt-quinze arguments de Luther, dont la thèse conduira l’Église à la division et à la Réforme protestante.
Refusant de se rendre à Rome pour répondre aux accusations d’hérésie et de mise en cause de l’autorité du Pape, Luther accepte de se présenter en 1518 à Augsbourg au légat du pape, le cardinal Cajetan. Ce dernier exhorta Luther à se rétracter ou à revenir sur ses déclarations (« revoca ! »).
Alors que Luther avait dénoncé nommément Fugger pour son rôle central dans l’escroquerie des indulgences, il accepta d’être interrogé dans le bureau central de la banque qui organisait le crime qu’il dénonce !
Luther semble avoir été conscient que, accusations verbales à part, les Fugger allaient le protéger et le promouvoir afin de discréditer à un appel à la réforme beaucoup plus raisonnable émanant d’Érasme et de ses disciples à l’intérieur de l’Eglise. Alors qu’il aurait pu être arrêté et brûlé sur le bûcher comme certains le demandaient, Luther est venu, a refusé pendant trois jours de revenir sur ses déclarations et est reparti indemne.
10. Achète-moi de la pauvreté, chérie
Au XVIe siècle, les prix augmentent de façon constante dans toute l’Europe occidentale. A la fin du siècle, ils sont trois à quatre fois plus élevés qu’au début. Récemment, les historiens se sont montrés insatisfaits des explications monétaires de la hausse des prix au XVIe siècle. Ils se sont rendus compte que les prix dans de nombreux pays ont commencé à augmenter avant que la majeure partie de l’or et de l’argent du Nouveau Monde n’arrive en Espagne, et a fortiori ne la quitte, et que les flux monétaires qui leur sont associés n’ont que peu de rapport avec des mouvements de prix, y compris en Espagne.
En réalité, à la fin du XVe et au début du XVIe siècle, la population européenne a recommencé à croître, après la longue période de contraction amorcée par la peste noire de 1348. L’accroissement de la population a entraîné une augmentation de la demande de nourriture, de boissons, de vêtements bon marché, d’abris, de bois de chauffage, etc. Les agriculteurs ont du mal à augmenter leur production : les prix des denrées alimentaires, la valeur des terres, les coûts industriels, tout augmente. Ces pressions sont aujourd’hui considérées comme une cause sous-jacente importante de cette inflation, même si peu de gens nieraient qu’elle a été exacerbée à certains moments par les gouvernements qui manipulent la monnaie, empruntent massivement et mènent des guerres.
« L’ère des Fuggers » est une ère où l’argent est investi dans l’argent et la spéculation financière. L’économie réelle est pillée par les impôts et les guerres. La dynamique créée par l’effondrement du niveau de vie, les impôts et l’inflation des prix pour la plupart des gens et la révélation publique de la corruption de l’Église et de l’aristocratie ouvrent la voie à des émeutes dans de nombreuses villes, à la Guerre des paysans, à une insurrection des tisserands, des artisans et même des mineurs. La « Révolte des Pays-Bas » et des siècles de guerres « religieuses » sanglantes ne prendront fin qu’avec l’« enterrement » de l’Empire par la paix de Westphalie en 1648.
11. Achète-moi des logements sociaux, chérie
L’initiative de Jacob Fugger, en 1516, de construire la Fuggerei, un projet de logement sociaux pour une centaine de familles de travailleurs à Augsbourg, plutôt unique dans son genre pour l’époque, s’avère trop peu et arrive trop tard. La Fuggerei a survécu en tant que monument en l’honneur des Fugger. Le loyer n’a pas changé, il est toujours d’un gulden rhénan par an (équivalent à 0,88 euros). Mais les locataires doivent prier trois fois par jour pour les Fugger et exercer un emploi à temps partiel. Les conditions pour y vivre restent les mêmes qu’il y a 500 ans : il faut avoir vécu au moins deux ans à Augsbourg, être de confession catholique et indigent sans dettes. Un précurseur des mesures Harz-4? Chaque jour, les cinq portes ferment à 22 heures.
12. Achète-moi des taux dignes d’intérêt, chérie
« Tu ne percevras pas d’intérêts ». En 1215, le pape Innocent III a explicitement confirmé l’interdiction de l’intérêt et de l’usure décrétée par la Bible. La phrase de Luc 6:35, « Prêtez et n’attendez rien en retour », est interprétée par l’Église comme une interdiction pure et simple de l’usure, définie comme la demande d’un quelconque intérêt. Même les comptes d’épargne étaient considérés comme un péché. Ce n’était pas le scénario idéal de Jacob Fugger.
Pour changer cette situation, Fugger embauche un théologien renommé, Johannes Eck (1494-1554) d’Ingolstadt, pour plaider sa cause. Fugger mène une véritable campagne de relations publiques, notamment en organisant des débats sur la question entre orateurs de son choix, et écrit une lettre passionnée au pape Léon X.
En conséquence, Léon X publie un décret proclamant que la perception d’intérêts n’est de l’usure que si le prêt était consenti « sans travail, coût ou risque » – ce qui n’a jamais été le cas pour aucun prêt.
Plus d’un millénaire après Aristote, le pape Léon X a constaté que le risque et le travail liés à la protection du capital faisaient du prêt d’argent une chose vivante. Tant qu’un prêt implique un travail, un coût ou un risque, il est en règle. Le tour est joué. Fugger persuade l’Église d’autoriser un taux d’intérêt de 5 % – et il réussit assez bien : la perception d’intérêts n’est pas autorisée, mais elle n’est pas punie non plus.
Ainsi, grâce à Léon X, Fugger peut désormais attirer des dépôts en offrant à ses clients un rendement de 5 %. Au niveau des prêts, selon le rapport du Conseil du Tyrol, alors que les autres banquiers prêtaient à un taux de 10 % à Maximilien, le taux appliqué par Fugger, justifié par « le risque » dépassait les 50 % !
Charles Quint, dans les années 1520, a dû emprunter à 18 % et même à 49 % entre 1553 et 1556. Entre-temps, les biens de Fugger, qui s’élèvent en 1511 à 196 791 florins, passent en 1527, deux ans après la mort de Jacob, à 2 021 202 florins, soit un bénéfice total de 1 824 411 florins, ou 927 % d’augmentation, ce qui représente, en moyenne, une augmentation annuelle de 54,5 %. Tout cela est aujourd’hui présenté, non pas comme de l’usure, mais comme une « grande avancée » anticipant les pratiques modernes de gestion de fortunes et d’actifs…
Fugger « a brisé les reins de la Ligue hanséatique » et « a sorti le commerce de son sommeil médiéval en persuadant le pape de lever l’interdiction de prêter de l’argent. Il a contribué à sauver la libre entreprise d’une mort prématurée en finançant l’armée qui a remporté la guerre des paysans allemands, le premier grand affrontement entre le capitalisme et le communisme », souligne Greg Steinmetz, historien et ancien correspondant du Wall Street Journal.
Comment Venise a créé le premier ghetto juif d’Europe
Bien entendu, les Vénitiens ont longtemps ignoré ces règles, préférant gagner de l’argent plutôt que de plaire à Dieu, comme en témoigne la devise « D’abord les Vénitiens, ensuite les Chrétiens ».
En 1382, les juifs sont autorisés à entrer à Venise. En 1385, la première « Condotta » a été accordée, un accord entre la République de Venise et les banquiers juifs, qui leur donnait la permission de s’installer à Venise pour prêter de l’argent avec intérêt. L’accord, d’une durée de dix ans, détaillait les règles que ces banquiers devaient respecter. Il fixait notamment la taxe annuelle élevée à payer, le nombre de banques autorisées à ouvrir et les taux d’intérêt qu’elles pouvaient appliquer.
En 1385, Venise a signé un autre accord avec les banquiers juifs qui vivaient à Mestre, situé sur la terre ferme en face des îles de Venise, afin qu’ils puissent accorder des prêts à des taux favorables aux quartiers les plus pauvres de la ville. Grâce à cet accord, la Sérénissime parvient à soulager la pauvreté de la population et, en même temps, si les gens se fâchent contre le Doge, à diriger l’hostilité des masses contre… les prêteurs juifs.
La Condotta de 1385 n’est pas renouvelée en 1394 sous prétexte que les Juifs ne respectent pas les règles imposées à leurs activités. Les banquiers juifs reçoivent l’autorisation de séjourner pendant une période de 15 jours par mois et ceux qui vivent à Mestre profitent de cette concession pour travailler à Venise. Mais pour être reconnus comme juifs, ils devaient déjà porter un cercle jaune sur leurs vêtements…
Pour faire court, Venise a résolu le « dilemme » en optant pour la ségrégation de masse. Le 20 mars 1516, l’un des membres du Conseil, après avoir violemment agressé verbalement les Juifs, demande qu’ils soient enfermés dans le « Ghetto », mot dialectal vénitien utilisé à l’époque pour désigner les fonderies du quartier. Le Doge et le Conseil approuvent cette solution. S’ils voulaient continuer à vivre à Venise, les Juifs devraient vivre ensemble dans une certaine zone, séparés du reste de la population. Le 29 mars, un décret crée le ghetto de Venise.
Vous pouvez lire ici l’histoire complète du ghetto de Venise.
13. Achète-moi un Empire austro-hongrois, chérie
Lorsque la Turquie envahit la Hongrie en 1514, Fugger s’inquiète vivement de la valeur de ses mines de cuivre hongroises, ses propriétés les plus rentables. Après l’échec des efforts diplomatiques, Fugger lance un ultimatum à Maximilien : soit il conclut un accord avec la Hongrie, soit Fugger renonce à d’autres prêts. La menace fonctionne.
Fidèle à la devise qui prétend expliquer l’origine de la prospérité de la famille de Habsbourg. « Bella gerant alii, tu, felix Austria, nube » (les autres font la guerre; toi, heureuse Autriche, tu fais des mariages), Maximilien négocie une alliance matrimoniale qui laisse la Hongrie aux mains des Habsbourg, ce qui conduit à redessiner la carte de l’Europe en créant la gigantesque poudrière politique connue sous le nom d’Empire austro-hongrois. Fugger avait besoin que les Habsbourg s’emparent de la Hongrie pour protéger ses possessions.
14. Achète-moi un deuxième empereur, chérie
Lorsque Maximilien Ier, empereur du Saint-Empire romain germanique, meurt en 1519, il doit à Jacob Fugger environ 350 000 florins. Pour éviter un défaut de paiement sur cet investissement, Fugger a réuni un cartel de banquiers afin de réunir tout l’argent de la corruption permettant au petit-fils de Maximilien, Charles Quint, d’acheter le trône.
Si un autre candidat avait été élu empereur, comme le roi de France François qui a soudainement tenté d’entrer en scène, et aurait certainement été réticent à payer les dettes de Maximilien à Fugger, ce dernier aurait sombré dans la faillite.
Cette situation rappelle le modus operandi de JP Morgan, après le krach bancaire américain de 1897 et la panique bancaire de 1907. Le « Napoléon de Wall Street », craignant la renaissance d’une véritable banque nationale dans la tradition d’Alexander Hamilton, réunit d’abord les fonds nécessaires pour renflouer ses concurrents défaillants, puis crée, en 1913, le système de la Réserve fédérale, un syndicat privé de banquiers chargé d’empêcher le gouvernement de s’immiscer dans leurs affaires lucratives.
Ainsi, Jacob Fugger, en liaison directe avec Marguerite d’Autriche, qui a adhéré au projet en raison de ses craintes pour la paix en Europe, a rassemblé de manière totalement centralisée l’argent pour chaque Électeur, profitant de l’occasion pour renforcer de manière spectaculaire ses positions monopolistiques, en particulier sur ses concurrents tels que les Welser et le port d’Anvers, en pleine expansion.
Selon l’historien français Jules Michelet (1798-1874), Jacob Fugger posa énergiquement trois conditions :
- « Les Garibaldi de Gênes, les Welser d’Allemagne et d’autres banquiers ne pouvaient participer à ce projet qu’en versant des acomptes à Fugger et ne pouvaient prêter de l’argent [à Charles] que par son intermédiaire ;
- « Fugger obtient des billets à ordre des villes d’Anvers et de Malines comme garantie, payés par les péages de Zélande ;
- « Fugger obtient de la ville d’Augsbourg qu’elle interdise de prêter aux Français. Il demande à Marguerite d’Autriche (la régente) d’interdire aux Anversois d’échanger de l’argent en Allemagne pour qui que ce soit ». (remettant de facto cette activité lucrative aux seuls banquiers d’Augsbourg…)
Comme nous l’avons déjà dit, les gens pensent à tort que Jacob « le Riche » était « très riche ». Bien sûr qu’il l’était : aujourd’hui, il est considéré comme l’une des personnes les plus riches de l’Histoire, avec une fortune de plus de 400 milliards de dollars (actuels), soit environ 2 % du PIB total de l’Europe à l’époque, plus de deux fois la fortune de Bill Gates.
Nous ne saurons jamais si cela est vrai ou non et quelle était sa richesse réelle. Mais si l’on examine le capital propre déclaré par les frères Fugger aux autorités fiscales d’Augsbourg, on s’aperçoit qu’il éclipse de loin les sommes colossales prêtées.
Selon l’historien Mark Häberlein, Jacob a anticipé les astuces modernes d’évasion fiscale en concluant un accord avec les autorités fiscales d’Augsbourg en 1516. En échange d’une somme forfaitaire annuelle, la véritable richesse de la famille… n’est pas divulguée. L’une des raisons en est bien sûr que, tout comme BlackRock aujourd’hui, Fugger était un « gestionnaire de fortune », promettant un retour sur investissement de 5 % tout en empochant lui-même 14,5 %… Les cardinaux et autres fortunes investissaient secrètement dans Fugger pour ses rendements juteux.
On peut donc dire que Fugger était très riche… de dettes. Et tout comme le FMI et une poignée de banques géantes aujourd’hui, en renflouant leurs clients avec de l’argent fictif, les Fugger ne faisaient rien d’autre que de se renflouer eux-mêmes et d’augmenter leur capacité à continuer de le faire. Pas de réforme structurelle sur la table, seulement une crise de liquidité ? Cela me rappelle quelque chose !
Le choix unanime de Charles Quint par les Électeurs a nécessité des pots-de-vin exorbitants, d’un montant de 851 585 florins, pour faciliter les choses. Jacob Fugger a versé 543 385 florins, soit environ les deux tiers de la somme, les Welser et quelques banquiers génois ont avancé le reste.
Il faudrait un gros livre ou un documentaire pour détailler l’ampleur des pots-de-vin payés pour l’élection impériale de Charles Quint.
Voici un extrait d’un compte rendu détaillé :
« Le cardinal Albert de Brandebourg, électeur de Mayence, a reçu 4 200 florins d’or pour sa participation à la Diète d’Augsbourg. En outre, Maximilien s’engagea à lui verser 30 000 florins, dès que les autres électeurs se seraient également engagés à donner leur voix au roi catholique (Charles Quint). Il s’agit d’une prime accordée au cardinal de Mayence pour avoir été le premier à s’engager ; à ce cadeau s’ajoutent une crédence en or et une tapisserie des Pays-Bas. L’électeur avide recevra également une pension viagère de 10 000 florins rhénans, payable annuellement à Leipzig au comptoir des banquiers Fugger, et garantie par [les rentrées d’argent des taxes prélevées sur le commerce maritime par] les villes d’Anvers et de Malines. Enfin, le roi catholique (Charles Quint) devait le protéger contre le ressentiment du roi de France et contre tout autre agresseur, tout en insistant pour que Rome lui accorde le titre et les prérogatives de ‘legate a latere’ en Allemagne, avec les avantages de la nomination ».
« Hermann V de Wied, archevêque-électeur de Cologne, avait reçu 20 000 florins en espèces pour lui-même et 9 000 florins à partager entre ses principaux officiers. On lui avait également promis une pension viagère de 6 000 florins, une pension viagère de 600 florins pour son frère, une pension perpétuelle de 500 florins pour son autre frère, le comte Jean, ainsi que d’autres pensions s’élevant à 700 florins, à répartir entre ses principaux officiers. »
« De son côté, Joachim Ier Nestor, électeur et margrave de Brandebourg (un autre Hohenzollern et frère d’Albert de Brandebourg), exige une compensation substantielle pour les avantages qu’il perd en abandonnant le roi de France.
Ce dernier lui avait promis une princesse de sang royal pour son fils et une forte somme d’argent. Joachim tient donc à remplacer Renée de France par la princesse Catherine, sœur de Charles, et réclame 8 000 florins pour lui-même et 600 pour ses conseillers. Et ce n’est pas tout. Il doit être payé en espèces le jour de l’élection : 70 000 florins à déduire de la dot de la princesse Catherine ; 50 000 florins pour l’élection ; 1 000 florins pour son chancelier et 500 florins pour son conseiller, le doyen Thomas Krul ».
C’est ainsi qu’il a véritablement gagné sa réputation de « père de toutes les cupidités ».
15. Achète-moi un monde sans régulation bancaire, chérie
En 1523, sous la pression d’une opinion publique de plus en plus remontée contre les maisons de commerce d’Augsbourg, au premier rang celles des Fugger, le bras fiscal du Conseil impérial de régence les met en accusation. Certains évoquent même l’idée de limiter le capital commercial des entreprises individuelles à 50 000 florins et le nombre de leurs succursales à trois. La mort pour Fugger.
Conscient qu’une telle réglementation le ruinerait, Jacob Fugger, pris de panique, écrit le 24 avril 1523 un court message à l’empereur Charles Quint, rappelant à sa Majesté sa dépendance à l’égard de la bonne santé des comptes bancaires de Fugger :
« Ce n’est d’ailleurs un secret pour personne que Votre Majesté Impériale n’aurait pas obtenu la couronne de Rome sans mon aide, comme je peux le prouver par des lettres écrites de leur propre main par tous les commissaires de Votre Majesté (…) Votre Majesté me doit encore 152 000 ducats, etc. »
Charles Quint se rend bien compte que la dette n’est pas l’objet du message. Il écrit immédiatement à son frère Ferdinand pour lui demander de prendre des mesures afin d’empêcher le procès anti-monopole. Les autorités fiscales impériales reçoivent l’ordre d’abandonner les poursuites. Pour Fugger et les autres grands marchands, l’orage est passé.
16. Achète-moi l’Espagne, chérie
Bien sûr, Charles Quint n’a pas un kopeck pour rembourser le prêt géant de Fugger qui l’avait fait élire ! Petit à petit, Fugger fait valider son droit de poursuivre l’exploitation des métaux – argent et cuivre – dans le Tyrol pour faire fructifier l’argent. Mais il en obtint davantage, d’abord en Espagne même et, tout à fait logiquement, dans les territoires nouvellement conquis par l’Espagne en Amérique.
17. Achète-moi l’Amérique, chérie
Tout d’abord, pour rembourser sa dette, Charles propose l’usufruit des principaux territoires des ordres de chevalerie espagnols, appelés Maestrazgos, pour lesquels les Fugger paient 135 000 ducats par an. Entre 1528 et 1537, le Maestrazgos est administré par les Welser d’Augsbourg et un groupe de marchands dirigé par le chef espagnol du service postal Maffeo de Taxis et le banquier génois Giovanni Battista Grimaldi. Mais après 1537, les Fugger reprennent le flambeau. Le contrat de bail est très intéressant pour deux raisons : d’une part, il permet aux preneurs à bail d’exporter les excédents de céréales de ces domaines et, d’autre part, il inclut les mines de mercure d’Alamadén, un élément crucial à la fois pour la production de verre à miroir, le traitement de l’or et les applications médicales.
Comme les Fugger dépendent des livraisons d’or et d’argent en provenance d’Amérique pour recouvrer leurs prêts à la couronne espagnole, il semblait logique qu’ils se tournent également vers le Nouveau Monde.
18. Achète-moi le Venezuela, chérie
Passons maintenant aux Welser. L’histoire des Welser remonte au XIIIe siècle, lorsque ses membres occupaient des postes officiels dans la ville d’Augsbourg. Plus tard, la famille s’est fait connaître en tant que patriciens et marchands de premier plan. Au XVe siècle, alors que les frères Bartolomé et Lucas Welser pratiquent un vaste commerce avec le Levant et d’autres pays, ils ont des succursales dans les principaux centres commerciaux du sud de l’Allemagne et de l’Italie, ainsi qu’à Anvers, Londres et Lisbonne. Aux XVe et XVIe siècles, des branches de la famille s’installent à Nuremberg et en Autriche.
En récompense de leur contribution financière à son élection en 1519, le roi Charles Quint, incapable de rembourser, accorde aux Welser des privilèges dans la traite des esclaves africains et la conquête des Amériques.
La famille Welser se voit donc offrir la possibilité de participer à la conquête des Amériques au début et au milieu du XVe siècle. Comme le stipule le contrat de Madrid (1528), également connu sous le nom de « contrats Welser », les marchands se sont vus garantir le privilège de mener des « entradas » (expéditions) pour conquérir et exploiter de grandes parties des territoires qui appartiennent aujourd’hui au Venezuela et à la Colombie. Les commerçants allemands cultivent des fantasmes de richesses fabuleuses, alimentés par la découverte de trésors d’or : on dit que les Welser ont créé le mythe de l’El Dorado (la cité de l’or).
Les Welser commencent leurs activités en ouvrant un bureau sur l’île portugaise de Madère et en acquérant une plantation de sucre aux îles Canaries.
Ils se sont ensuite étendus à Saint-Domingue, l’actuelle Haïti. La main-mise des Welser sur la traite des esclaves dans les Caraïbes a commencé en 1523, cinq ans avant le contrat de Madrid, puisqu’ils avaient commencé leur propre production de sucre sur l’île.
Le contrat de Madrid comprend le droit d’exploiter une grande partie du territoire de l’actuel Venezuela (en espagnol « Petite Venise »), un pays qu’ils appelaient eux-mêmes « Welserland ». Ils obtiennent également le droit d’expédier 4 000 esclaves africains pour travailler dans les plantations de sucre. Alors que l’Espagne accorde des capitaux, des chevaux et des armes aux conquistadors espagnols, les Welsers ne leur prêtent qu’au prix fort et les obligent à acheter, exclusivement auprès d’eux, les moyens de faire tourner leurs activités. Des Allemands pauvres se rendent au Venezuela et s’endettent rapidement, ce qui exacerbe leur rapacité et aggrave la façon dont ils traitent les esclaves. De 1528 à 1556, sept entradas (expéditions) conduisent au pillage et à l’exploitation des cultures locales.
La situation devient si grave qu’en 1546, l’Espagne révoque le contrat, notamment parce qu’elle sait que les Welser servent également des clients luthériens en Allemagne. Le fils de Bartholomeus Welser, Bartholomeus VI Welser et Philipp von Hutten sont arrêtés et décapités à El Tocuyo par le gouverneur espagnol local Juan de Carvajal en 1546. Enfin, l’abdication de Charles Quint en 1556 met un terme à la tentative des Welser de rétablir par la loi leur concession.
19. Achète-moi le Pérou et le Chili, chérie
Contrairement à la famille Welser, la participation de Jacob Fugger au commerce colonial reste prudente et conservatrice, et la seule autre opération de ce type dans laquelle il investit est une expédition commerciale ratée de 1525 vers les Moluques, menée par l’Espagnol Garcia de Loaisa (1490-1526). Pour l’Espagne, l’idée était d’accéder à l’Indonésie en passant par l’Amérique, ce qui aurait permis d’échapper au contrôle portugais. Cela n’ira pas plus loin parce que Jacob le Riche meurt en décembre de la même année et son neveu Anton Fugger prend la direction de l’entreprise.
Cependant, la fête continue. Les relations des Fugger avec la Couronne espagnole atteignent leur apogée en 1530 avec le prêt de 1,5 million de ducats des Fugger pour l’élection de Ferdinand comme « roi romain ». C’est dans ce contexte que l’agent des Fugger, Veit Hörl, obtient en garantie de l’Espagne le droit de conquérir et de coloniser la région côtière occidentale de l’Amérique du Sud, de Chincha au Pérou jusqu’au détroit de Magellan. Cette région comprend l’actuel sud du Pérou et tout le Chili. Les choses se sont cependant embrouillées et, pour des raisons inconnues, Charles Quint, qui était d’accord avec l’accord, ne le ratifie pas. Considérant que le projet vénézuélien des Welser a dégénéré en entreprise brutale de pillage et s’est soldé par des pertes substantielles. Anton Fugger, qui estime que les retombées financières sont trop faibles, abandonne ce type d’entreprise.
20. Achète moi des esclaves, chérie
Le cuivre des mines de Fugger était utilisé pour les canons des navires, mais il servait également à la production de « manillas » en forme de fer à cheval. Les manillas, dérivées du latin signifiant main ou bracelet, étaient une « monnaie » utilisée par la Grande-Bretagne, le Portugal, l’Espagne, les Pays-Bas, la France et le Danemark pour échanger avec l’Afrique de l’Ouest de l’or et de l’ivoire, ainsi que des personnes réduites à l’état d’esclaves. Les métaux privilégiés étaient à l’origine le cuivre, puis le laiton vers la fin du XVe siècle et enfin le bronze vers 1630.
En 1505, au Nigeria, un esclave se vend pour 8 à 10 manilles, et une dent d’éléphant pour une manille de cuivre. On dispose désormais de chiffres : entre 1504 et 1507, les commerçants portugais importent 287 813 manilles du Portugal vers la Guinée, en Afrique, via la station commerciale de São Jorge da Mina. Le commerce portugais s’intensifie au cours des décennies suivantes. 150 000 manilles sont exportées chaque année vers le fort commercial d’Elmina, sur la Côte d’Or. En 1548, une commande de 1,4 million de manilles est passée à un marchand allemand de la famille Fugger pour soutenir le commerce.
En 2023, un groupe de scientifiques a découvert que certains des bronzes du Bénin, aujourd’hui restitués aux nations africaines, ont été fabriqués avec du métal extrait à des milliers de kilomètres de là, en Rhénanie allemande. Le peuple Edo du Royaume du Bénin, a créé ses extraordinaires sculptures avec des bracelets en laiton fondus, la sinistre monnaie de la traite transatlantique des esclaves entre le 16e et le 19e siècle…
Fin de partie
Après la mort de Jacob, son neveu Anton Fugger (1493-1560) tente de maintenir la position d’une maison qui s’affaiblit.
Les souverains captifs ne sont pas aussi solvables qu’on l’espérait. Charles Quint a de sérieux soucis financiers et la faillite qui s’annonce est l’une des raisons pour lesquelles il se retire, laissant la direction de l’empire à son fils, le roi Philippe II d’Espagne. Malgré l’arrivée de l’or et de l’argent, l’Empire fait faillite. À trois reprises (1557, 1575, 1598), Philippe II est incapable de payer ses dettes, tout comme ses successeurs, Philippe III et Philippe IV, en 1607, 1627 et 1647.
Mais l’emprise politique des Fugger sur les finances espagnoles est si forte, écrit Jeannette Graulau, que « lorsque Philippe II déclara une suspension de paiement en 1557, la faillite n’incluait pas les comptes de la famille Fugger. Les Fugger proposent à Philippe II une réduction de 50 % des intérêts des prêts si l’entreprise est exclue de la faillite. Malgré le lobbying intense de son puissant secrétaire, Francisco de Eraso, et des banquiers espagnols rivaux des Fugger, Philippe n’inclut pas les Fugger dans la faillite ». Bravo les artistes !
En 1563, les créances des Fugger sur la Couronne espagnole s’élevaient à 4,445 millions de florins, soit bien plus que leurs avoirs à Anvers (783 000 florins), Augsbourg (164 000 florins), Nuremberg et Vienne (28 600 florins).
Mais en fin de compte, en unissant leur destin trop étroitement à celui des souverains espagnols, l’empire bancaire des Fugger s’est effondré avec l’effondrement de l’empire espagnol des Habsbourg.
Le professeur français Pierre Bezbakh, écrivant dans Le Monde en septembre 2021, a noté :
« Alors, quand les caisses sont vides, le royaume d’Espagne émet des emprunts, une pratique qui n’est pas très originale, mais qui devient récurrente et à grande échelle. Ces emprunts étaient souscrits par des prêteurs étrangers, comme les Fugger allemands et les banquiers génois, qui accumulaient mais continuaient à prêter, sachant qu’ils perdraient tout s’ils cessaient de le faire, tout comme les grandes banques d’aujourd’hui continuent à prêter aux États surendettés. La différence est que les prêteurs attendaient l’arrivée promise des métaux américains, alors qu’aujourd’hui, les prêteurs attendent que d’autres pays ou des banques centrales soutiennent les pays en difficulté ».
Aujourd’hui, uniquement dix méga-banques (dont 4 françaises) appelées « Prime Brokers » sont autorisées à acheter et à revendre sur le marché secondaire les bons d’État français, émis à dates régulières par l’Agence française du Trésor pour refinancer la dette publique française (3228 milliards d’euros) et surtout pour refinancer les remboursements de la dette (51 milliards d’euros en 2024). Les noms des Fuggers d’aujourd’hui sont : HSBC, BNP Paribas, Crédit Agricole, J.P. Morgan, Société Générale, Citi, Deutsche Bank, Barclays, Bank of America Securities et Natixis.
Conclusion
Au-delà de l’histoire des dynasties Fugger et Welser qui, après avoir colonisé les Européens, ont étendu leurs crimes coloniaux à l’Amérique, il y a quelque chose de plus profond à comprendre.
Aujourd’hui, on dit que le système financier mondial est « désespérément » en faillite. Techniquement, c’est vrai, mais politiquement, il est maintenu avec succès au bord de l’effondrement total afin de garder le monde entier dépendant d’une classe de prédateurs financiers apatrides. Un système en faillite, paradoxalement, nous désespère, mais leur donne l’espoir de rester aux commandes et de maintenir leurs privilèges jusqu’à la fin des temps. Seuls les banquiers peuvent sauver le monde de la faillite !
Historiquement, nous, en tant qu’humanité, avons créé des « États-nations » dûment équipés de « banques nationales » contrôlées par le gouvernement, afin de nous protéger de ce chantage financier systémique et abject. Les banques nationales, si elles sont correctement gérées, peuvent générer des crédits productifs dans notre intérêt à long terme en développant notre économie physique et humaine plutôt que les bulles financières des maîtres-chanteurs financiers.
Malheureusement, un tel système positif a rarement existé et lorsqu’il a existé, il a été saboté par les marchands d’argent que Roosevelt voulait chasser du temple de la République.
Comme nous l’avons démontré, la grave dissociation mentale appelée « monétarisme » est l’essence même du fascisme (financier). Les syndicats financiers et bancaires criminels « impriment » et « créent » de l’argent. Si cet argent n’est pas « domestiqué » et utilisé comme instrument pour accroître les pouvoirs créatifs de l’homme et de la nature, les ressources s’épuisent et les conflits deviennent insolubles.
La volonté de « convertir » à tout prix, y compris par la destruction de l’humanité et de ses pouvoirs créateurs, une « valeur » nominale qui n’existe qu’en tant qu’accord entre les hommes, en une forme de richesse physique « réelle », est l’essence même de la machine de guerre nazie.
Pour sauver les dettes du Royaume-Uni et de la France envers l’industrie américaine de l’armement détenue par JP Morgan et consorts, il fallait forcer, par le Traité de Versailles, l’Allemagne à payer. Lorsqu’il s’est avéré que c’était impossible, les intérêts bancaires anglo-franco-américains ont créé la « Banque des règlements internationaux ».
La BRI, sous la supervision directe de Londres et de Wall Street, a permis à Hitler d’obtenir les liquidités et devises suisses dont il avait besoin pour construire sa machine de guerre, une machine de guerre considérée comme potentiellement utile pour les Occidentaux tant qu’elle annonçait vouloir marcher vers l’Est, en direction de Moscou.
Pour obtenir des liquidités de la BRI, la banque centrale allemande déposait en garantie des tonnes d’or volées aux pays qu’elle envahissait (Autriche, Pays-Bas, Belgique, Luxembourg, Tchécoslovaquie, Pologne, Albanie, etc.). L’or dentaire des Juifs, des communistes, des homosexuels et des Tziganes exterminés dans les camps de concentration est déposé sur un compte secret de la Reichsbank pour financer les SS.
Le ministre des finances de la Banque d’Angleterre et d’Hitler, Hjalmar Schacht, qui a échappé à la potence du procès de Nuremberg grâce à ses protections internationales, fut sans doute le meilleur élève de Jacob Fugger le Riche, non pas le père de la banque allemande ou « moderne », mais le père du fascisme financier, héritier de Rome, de Venise et de Gênes. Plus jamais ça !
Biographie sommaire:
- Steinmetz, Greg, L’homme le plus riche qui ait jamais vécu, La vie et l’époque de Jacob Fugger, Simon and Shuster, 2016 ;
- Cohn, Henry J., Did Bribes Induce the German Electors to Choose Charles V as Emperor in 1519?
- Herre, Franz, The Age of the Fuggers, Augsbourg, 1985 ;
- Montenegro, Giovanna, German Conquistadors in Venezuela: The Welsers’ Colony, Racialized Capitalism, and Cultural Memory,
- Ehrenberg, Richard, Capital et finance à l’âge de la Renaissance : A Study of the Fuggers, and Their Connections, 1923,
- Roth, Julia, The First Global Players’ : Les Welser d’Augsbourg dans le commerce de l’esclavage et la culture de la mémoire de la ville, 2023
- Häberlein, Mark, Connected Histories : South German Merchants and Portuguese Expansion in the Sixteenth Century, RiMe, décembre 2021 ;
- Konrad, Sabine, Case Study : Spain Defaults on State Bonds, How the Fugger fared the Financial Crisis of 1557, Université de Francfort, 2021,
- Sanchez, Jean-Noël, Un projet colonial des Fugger (1530-1531) ;
- Lang, Stefan, Problems of a Credit Colony : the Welser in Sixteenth Century Venezuela, juin 2015 ;
- Graulau, Jeannette, Finance, Industry and Globalization in the Early Modern Period : the Example of the Metallic Business of the House of Fugger, 2003 ;
- Gallagher, Paul, How Venice Rigged The First, and Worst, Global Financial Collapse, Fidelio, hiver 1995
- Hale, John, La civilisation de l’Europe à la Renaissance, Perrin, 1993 ;
- Vereycken, Karel, Renaissance Studies, index.
Hippolyte Carnot, père de l’éducation républicaine moderne
Sommaire
- Introduction
- Dans la tempête
- De la charité à la scolarisation universelle
- Malebranche et les Oratoriens
- La Révolution des esprits
- Le Comité d’Instruction publique
- Condorcet et le « Parti américain »
- Le plan Condorcet
- La bataille sous la Convention
- Lazare Carnot sous les Cent-Jours
- Hippolyte reprend le flambeau de son père Lazare
- L’exil de Lazare Carnot
- Hippolyte avec l’Abbé Grégoire
- Comme Friedrich Schiller, patriote et citoyen du monde
- La Révolution de juillet 1830
- Ministre de l’Instruction publique sous la IIe République
A. Ecole Maternelle
B. Ecole Primaire
C. Exposé des motifs de la loi de juin 1848 sur l’Ecole
D. Des instituteurs pour éclairer le monde rural
E. Enseignement secondaire
F. Haute Commission des études scientifiques et littéraires
G. Une Ecole d’Administration
H. Education pour tous tout au long de la vie
I. Bibliothèques circulantes
J. Beaux-Arts, hygiène et gymnastique au programme
K. Concorde citoyenne
- Conclusion
- Annexe : œuvres d’Hippolyte Carnot
- Quelque ouvrages et articles consultés
« L’arbre que vous plantez est jeune comme la République elle-même
(…) Il étendra sur vous ses rameaux, de même que la République étendra sur la France
les bienfaits de l’Instruction populaire. »
Hippolyte Carnot, Memorial, dossier 13, 1848.
1. Introduction
Hippolyte Carnot (1801-1888) n’a ni la gloire de son père Lazare Carnot (1753-1823), « l’organisateur de la victoire » de l’An II, ni le renom de son frère, l’inventeur de la thermodynamique Léonard Sadi Carnot (1796-1832), ni le destin tragique de son fils, François Sadi Carnot (1837-1887), président de la République assassiné par un anarchiste à Lyon.
L’histoire retient presqu’ exclusivement ses magnifiques « Mémoires sur Lazare Carnot par son fils », où il relate l’action, les idées et la vie de son père, le « grand Carnot », esprit scientifique, poète, fervent républicain et ministre de la Guerre.
Hippolyte reste méconnu alors que sa longue vie (87 ans), un peu plus longue que celle de Victor Hugo (83 ans) couvre presque tout un siècle (1801-1888) et que son œuvre et son influence sont considérables.
Comme le démontre amplement la lecture de « Hippolyte Carnot et le ministère de l’Instruction publique de la IIe République » (PUF, 1948), écrit par son fils, le médecin Paul Carnot (1867-1957), il était bien plus qu’un simple observateur ou commentateur des événements.
Dans la tempête
Le XIXe siècle est une période de profonds changements. La flamme de l’espérance allumée par les Révolutions américaine et française, l’idéal de la liberté, de la fraternité et de l’émancipation, aussi bien des individus, des peuples que des Etats souverains, s’avère in-éteignable, s’affirme et se prolonge tout au long du XIXe siècle. La longue marche vers un nouveau paradigme est semée d’embûches. Les mutations s’opèrent lentement sur fond de crises brutales et de ruptures violentes.
Durant sa longue vie, Hippolyte Carnot connaîtra indirectement ou directement :
- Deux empires :
1803-1814 : Premier Empire sous Napoléon Bonaparte
1852-1870 : Second Empire sous Napoléon III - Trois monarchies :
1814-1815 : Première restauration sous Louis XVIII
1815-1830 : Seconde restauration sous Charles X
1830-1848 : Monarchie de juillet sous Louis-Philippe, duc d’Orléans. - Deux républiques :
1848-1852 : IIe République
1870 : IIIe République - Trois révolutions exprimant la ferveur républicaine :
1830 (Trois glorieuses) ;
1848 (soulèvements) ;
1871 (Commune).
Ainsi, dans un environnement toujours en transformation, traversant révolutions, coups d’État, monarchies, empires ou républiques, guerres et procès, celui qui sera (trop) brièvement ministre de l’Instruction publique en 1848, ami de Victor Hugo, Hippolyte Carnot sera un bâtisseur et un inspirateur.
Philosophe et journaliste, mémorialiste et ministre, franc-maçon et croyant, exilé politique et député, sénateur et membre de l’Académie, il participe à tous les combats pour les libertés publiques et privées, jette les bases de la formation des professeurs et de l’école gratuite et obligatoire, y compris maternelle, crée l’ancêtre de l’ENA et défend les causes les plus avancées (scolarisation des filles, suffrage universel, lutte contre l’esclavage et abolition de la peine de mort).
Rémi Dalisson, dans une biographie passionnante et richement documentée « Hippolyte Carnot 1801-1888. La liberté, l’école et la République », publié aux éditions du CNRS en 2011, preuves à l’appui, souligne que « la vulgate d’un Jules Ferry inventant l’école républicaine et laïque est largement battue en brèche ».
Etant donné que le nom et encore moins l’action d’Hippolyte Carnot ne figurent nulle part sur le site du ministère, l’auteur se désole que « rares sont ceux, y compris au ministère de l’Éducation nationale, qui rendent hommage au rôle et la personnalité d’Hippolyte Carnot ».
Les anthologies de textes et discours fondateurs de l’école républicaine, qui se sont multipliées ces dernières années, l’oublient systématiquement.
« C’est donc la réparation d’une injustice et d’un oubli que nous effectuerons en retraçant la vie et l’œuvre d’Hippolyte Carnot qui vont bien au-delà de ses projets et réalisations éducatives. Par sa stature, sa formation, son parcours, ses idées, ses écrits et combats, cet homme aux multiples talents nous permettra de retracer l’histoire de la construction de l’école et donc de la société au XIXe siècle (…) Et comme cette question renvoie à la question politique, sociale voire économique et culturelle de la nation, et comme le ministre fut de tous les combats philosophiques de son siècle (…) c’est en grande partie l’histoire d’un siècle qui sera évoquée (…) ».
Le texte intégral de cette magnifique biographie est en accès gratuit sur internet et nous nous en sommes largement inspiré pour écrire ce texte.
3. De la charité à la scolarisation universelle
Afin de pouvoir pleinement appréhender l’apport fondamental des conceptions de Lazare Carnot et du début de leur mise en œuvre par son fils Hippolyte, un bref historique de la scolarisation de notre pays s’impose.
Éduquer une poignée d’enfants plus ou moins talentueux ? On a su faire, surtout depuis les conseils savoureux des grands pédagogues de la Renaissance (Vittorino da Feltre, Alexandre Hegius, Erasme de Rotterdam, Juan Luis Vivès, Comenius, etc.). Mais organiser l’enseignement obligatoire, laïque et gratuit pour toute une nation, garçons et filles, restait un énorme défi à relever.
Et comme le montre la chronologie qui suit, la route vers la scolarisation universelle a été semée de nombreuses embûches.
En France, dès le XVIe siècle, l’Etat royal confie à l’église catholique (Jésuites, Oratoriens) le soin de former les enfants de la noblesse : seules les familles aisées arrivent à payer un précepteur pour les leurs, les autres, souvent qualifiés de personnes « n’étant pas faites pour des études », restent essentiellement analphabètes.
Au XVIIe siècle, de saints hommes, émus de la grande misère des enfants du peuple fondèrent des ordres enseignants qui prirent en charge gratuitement les orphelins et les enfants abandonnés. Un enseignement avant tout religieux, mais leur fournissant de quoi manger, des rudiments d’éducation et des bases d’écriture et de calcul. Au XVIIIe siècle, des congrégations féminines prirent en charge de la même façon les filles pauvres.
Peu importe ses motivations réelles, Louis XIV, après la révocation de l’édit de Nantes en 1685, ordonne en 1698 à chaque communauté villageoise ou paroisse d’ouvrir une école dont le maître doit être un prêtre catholique. C’est la première fois que l’Etat envisage de donner de l’instruction à des enfants des régions rurales. En charge d’y arriver, les Frères des Ecoles chrétiennes (« Lassalliens ») avec les méthodes qui seront les leurs.
Les chiffres de l’alphabétisation à la fin de l’Ancien Régime montrent l’ampleur et les limites de l’œuvre accomplie. On estime à cette époque à 37 % la proportion des Français assez instruits pour signer leur acte de mariage au lieu de 21 % un siècle plus tôt. L’instruction féminine progressait lentement et environ un quart des femmes étaient alphabétisées, très sommairement pour nombre d’entre elles. Les disparités étaient importantes entre les villes et les campagnes.
4. Malebranche et les Oratoriens
Parmi les congrégations, les Oratoriens, depuis 1660 sous l’influence du philosophe et théologien Nicolas Malebranche (1638-1715) qui en prend la direction, font exception. En rupture avec l’aristotélisme des Jésuites et le dualisme prôné par René Descartes, Malebranche, devenu membre honoraire de l’Académie des Sciences, par des échanges épistolaires soutenus, va se laisser gagner par la vision optimiste du grand scientifique allemand Wilhelm Gottfried Leibniz (1646-1716). Réconciliant sciences et foi, sur le plan métaphysique, son dieu est un Dieu sage et raisonnable respectant toujours son essence et les lois de l’ordre qu’il engendre. Sa perfection réside avant tout dans sa fonction de législateur, identifiée à la sagesse ou à la raison, plutôt que dans un pouvoir arbitraire.
Deux exemples démontrent l’excellence de l’ enseignement des Oratoriens : Gaspard Monge et Lazare Carnot, deux grands esprits scientifiques et futurs cofondateurs de l’Ecole polytechnique. Convaincus que l’avenir politique, économique et industriel de la République en dépendait, ils mèneront le combat pour que la meilleure éducation possible soit accessible à tous et pas seulement aux privilégiés dont ils faisaient partie.
Fils d’un marchand savoyard, Gaspard Monge (1746-1818), suit des études au collège des Oratoriens de Beaune, sa ville natale. Dès 17 ans, il enseigne les mathématiques chez les Oratoriens de Lyon, puis en 1771, les mathématiques et la physique à l’École du Génie établie à Mézières. La même année, il entre en contact avec le physicien Jean Le Rond d’Alembert (1717-1783) et correspond avec le mathématicien Nicolas de Condorcet (1743-1794) qui le pousse à présenter quatre mémoires, un dans chacun des domaines des mathématiques qu’il étudie alors. Ses talents de géomètre ne tardent pas à s’exprimer : à l’Ecole du Génie de Mézières, il invente « la Géométrie descriptive » qui sera intégrée dans le programme d’études de l’école et qui fut essentielle à la révolution industrielle qui s’annonçait…
Quant au futur général Lazare Carnot (1753-1823), fils d’un notaire bourguignon, après des études chez les Oratoriens d’Autun (1762), il intègre lui aussi l’École du Génie de Mézières (1771) où il reçoit l’enseignement de Gaspard Monge.
5. La Révolution des esprits (1789)
En 1789, la Révolution chamboulera la situation. Dès le 13 février 1790, toutes les corporations et congrégations religieuses sont supprimées par décret et les religieux reçoivent l’injonction de prêter serment à la Révolution. C’est une remise en cause totale d’une Église toute puissante mais également l’effondrement du peu d’instruction qui existait.
En rupture avec l’Ancien Régime, la Constitution de 1791 affirme qu’il sera
« créé et organisé une instruction publique commune à tous les citoyens. »
Un rapport et un projet de loi, sont présentés par Talleyrand (1754-1838), le 10 septembre 1791. Rédigé grâce à la contribution des plus grands savants de l’époque (Condorcet, Lagrange, Monge, Lavoisier, La Harpe), le Rapport sur l’Instruction publique de Talleyrand, constitue une véritable rupture par rapport à la façon dont l’instruction était conçue pendant l’Ancien régime. Il pose la question de l’instruction publique dans des termes nouveaux, aussi bien au niveau des principes (l’instruction publique est présentée comme une nécessité à la fois politique, sociale et morale, et donc comme quelque chose que l’Etat doit garantir aux citoyens) qu’au niveau formel. Ce plan embrasse l’ensemble de l’éducation nationale, qui est organisée sur quatre niveaux et dont les établissements sont distribués sur le territoire national en fonction des découpages administratifs. Il met sur le papier les bases d’un enseignement gratuit pour tous y compris les filles (écoles et programmes séparés) et précise qu’« on y apprendra les premiers éléments de la langue française, soit parlée, soit écrite ».
En 1794, le juriste Bertrand Barère de Vieuzac (1755-1841) précisera :
« Nous enseignerons le français aux populations qui parlent le bas-breton, l’allemand, l’italien ou le basque, afin de les mettre en état de comprendre les lois républicaines, et de les rattacher à la cause de la Révolution. »
Faute de temps, il n’est pas voté.
Dans son projet de loi, Talleyrand propose la création d’une école primaire dans chaque commune. L’Assemblée constituante venait de fixer l’organisation territoriale encore en place aujourd’hui. Le décret du 14 décembre 1789 venait de créer 44 000 municipalités (sur le territoire des anciennes « paroisses ») baptisées « communes » en 1793. La loi du 22 décembre 1789 créa les départements, le décret du 26 février 1790 en fixa le nombre à 83.
6. Le Comité d’Instruction publique (1791)
Un mois après le rapport de Talleyrand, le 14 octobre 1791, à l’Assemblée nationale législative, est créé un premier « Comité d’Instruction publique » dont Condorcet est élu président et l’avocat Emmanuel de Pastoret vice-président, les autres membres étant le futur général Lazare Carnot, le député Jean Debry, le mathématicien Louis Arbogast et l’homme politique Gilbert Romme.
Condorcet préside, en outre, l’une des trois sections, celle relative à l’organisation générale de l’Instruction publique. Le 5 mars 1792 il est nommé rapporteur du projet de décret sur l’organisation générale de l’instruction publique que le comité doit présenter à l’Assemblée.
Formé à 11 ans au collège des Jésuites de Reims, il est envoyé à 15 ans au collège de Navarre à Paris. De cette éducation-là, avant tout religieuse, il conservera toute sa vie des souvenirs douloureux et lui reprochera notamment ses brutalités et ses méthodes humiliantes. Son indignation le conduit à imaginer une approche totalement différente. Dans La Bibliothèque de l’homme public, il publie en 1791 « Cinq mémoires sur l’Instruction publique » constituant un véritable plan.
Ils seront la base du projet qu’il rédige à la Législative et seront approuvés par le comité d’instruction publique le 18 avril et présentés à l’Assemblée nationale les 20 et 21 avril 1792.
7. Condorcet et le parti américain
Hagiographe du physiocrate Anne Robert Jacques Turgot (1727-1781), tout en critiquant le sectarisme des « économistes », Condorcet adhère à certaines thèses physiocrates, notamment l’établissement de l’impôt sur le seul revenu agricole, considéré comme l’unique source de richesse de la nation, l’industrie étant considérée comme une catégorie « stérile » de l’économie nationale (voir mon article « La face cachée de la planète Marx »).
Pour les physiocrates, grands défenseurs de la rente terrienne qui les engraissait, l’ennemi à combattre était bien cet Etat centralisé, dirigiste et mercantile que Colbert, marchant dans les pas de Sully, avait commencé à mettre en place.
Ce qui n’empêche pas Condorcet, plus courageux que bien des gens de sa génération, de monter sur le devant de la scène pour soutenir ouvertement la Révolution américaine dans sa lutte contre les horreurs de l’Empire britannique : esclavage, peine de mort, droits de l’homme et de la femme.
Bien qu’ami de Voltaire, Condorcet écrit un éloge vibrant de Benjamin Franklin. Ami du pamphlétaire anglais influent Thomas Paine (1737-1809), il publie en 1786 « De l’influence de la Révolution d’Amérique sur l’Europe », dédié à La Fayette. Dans ce vibrant plaidoyer pour la démocratie et la liberté de la presse, Condorcet considère que l’Indépendance américaine pourrait servir de modèle à un nouveau monde politique.
Avec Paine et du Chastellet, Condorcet collabore de façon anonyme à une publication intermittente, Le Républicain, qui promeut les idées républicaines. À cette époque, il existe dans le monde seulement quelques états appelés républiques (les cantons suisses, Venise, les Provinces-Unies, notamment).
Par la suite, Condorcet se disputera violemment avec le deuxième président des Etats-Unis, John Adams, dont les encyclopédistes rejettent avec mépris le projet d’un parlement bicaméral.
Condorcet se lie également avec le président américain Thomas Jefferson qui promeut et fait publier les écrits de Condorcet en faveur du physiocrate Turgot pour les faire connaître en Amérique. Le 31 juillet 1788, Jefferson écrit à James Madison : « Je vous envoie aussi deux petits pamphlets du marquis de Condorcet, dans lesquels se trouve le jugement le plus judicieux que j’aie jamais vu sur les grandes questions qui agitent cette nation en ce moment ». Il s’agissait des « Lettres d’un Citoyen des États-Unis à un Français et des Sentiments d’un Républicain ».
Pendant son séjour à Paris, Jefferson fréquente le salon cosmopolite de Mme de Condorcet. Avant de retourner en Amérique, il reçoit ses amis les plus proches une dernière fois chez lui, à l’hôtel de Langeac : Condorcet, La Rochefoucauld, Lafayette et le gouverneur Morris.
Après le retour de Jefferson en Amérique, Condorcet continua son dialogue avec le secrétaire d’État américain de Washington. Le 3 mai 1791, il lui envoya une copie du rapport sur le choix d’une unité de mesure, présenté par Borda, Lagrange, Laplace, Monge et lui-même, à l’Académie des sciences le 19 mars, et soumis ensuite à l’Assemblée nationale le 26. Il s’agissait en effet d’un centre d’intérêt commun : le 4 juillet 1790, Jefferson avait présenté au Congrès américain son rapport sur les poids et les mesures, dont il avait envoyé un exemplaire à Condorcet. C’était la même foi dans le progrès qui encourageait les deux hommes à soutenir l’idée d’un système de mesure décimal et universel.
Dans une lettre, Jefferson informe Condorcet des travaux d’un mathématicien et astronome américain noir, Benjamin Banneker, auteur d’un almanach, dont il lui envoie un exemplaire. Dans les « Réflexions sur l’esclavage des nègres », bien que partisan convaincu de la liberté des noirs, Condorcet s’était exprimé en faveur d’une abolition graduelle de l’esclavage de la même manière que Jefferson dans ses « Notes on the State of Virginia ».
Jefferson oscilla dans ses positions, attribuant l’infériorité des Noirs tantôt à des causes naturelles, tantôt aux effets de l’esclavage, tandis que Condorcet – en accord avec Franklin – était convaincu depuis toujours de l’égalité naturelle de tous les hommes.
Dans les faits, celui qui fut le troisième président des Etats-Unis, posséda plus de 600 esclaves au cours de sa vie adulte. Il a libéré deux esclaves de son vivant, et cinq autres ont été libérés après sa mort, dont deux de ses enfants issus de sa relation avec son esclave Sally Hemings. Après sa mort, les autres esclaves ont été vendus pour rembourser les dettes de sa succession.
Jefferson s’oppose avec force aux « Fédéralistes » comme Alexander Hamilton qui promeuvent un Etat fédéral fort, le dirigisme économique à la Colbert et le mercantilisme. Condorcet va encourager Jefferson dans son projet de « démocratie agraire », la vision physiocratique des grands propriétaires terriens qui deviendra, jusqu’à l’arrivée de Lincoln et son conseiller Henry Carey, l’idéologie du Parti Républicain américain.
8. Le Plan Condorcet
Les progrès de la science et de la raison mèneront au bonheur des sociétés et des individus, estime Condorcet. Dans l’Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain, il écrit :
« Nos espérances, sur l’état à venir de l’espèce humaine, peuvent se réduire à ces trois points importants : la destruction de l’inégalité entre les nations, les progrès de l’égalité dans un même peuple ; enfin, le perfectionnement réel de l’homme. »
Préférant « L’Instruction publique » à l’éducation nationale, il rêve d’une instruction totalement indépendante de l’État et libre de tout dogmatisme :
« La puissance publique ne peut même sur aucun objet, avoir le droit de faire enseigner des opinions comme des vérités ; elle ne doit imposer aucune croyance. » (Sur l’instruction publique, premier mémoire, 1791).
Esquissant des principes laïques, pour Condorcet, « les principes de la morale enseignée dans les écoles et dans les instituts seront ceux qui, fondés sur nos sentiments naturels et sur la raison, appartiennent également à tous les hommes. »
A l’Assemblée nationale, il est massivement applaudi lorsqu’il déclare que « dans ces écoles les vérités premières de la science sociale précéderont leurs applications. Ni la Constitution française ni même la Déclaration des droits ne seront présentées à aucune classe de citoyens, comme des tables descendues du ciel, qu’il faut adorer et croire. Leur enthousiasme ne sera point fondé sur les préjugés, sur les habitudes de l’enfance ; et on pourra leur dire : ‘Cette Déclaration des droits qui vous apprend à la fois ce que vous devez à la société et ce que vous êtes en droit d’exiger d’elle, cette Constitution que vous devez maintenir aux dépens de votre vie ne sont que le développement de ces principes simples, dictés par la nature et par la raison dont vous avez appris, dans vos premières années, à reconnaître l’éternelle vérité. Tant qu’il y aura des hommes qui n’obéiront pas à leur raison seule, qui recevront leurs opinions d’une opinion étrangère, en vain toutes les chaînes auront été brisées, en vain ces opinions de commande seraient d’utiles vérités ; le genre humain n’en resterait pas moins partagé en deux classes, celle des hommes qui raisonnent et celle des hommes qui croient, celle des maîtres et celle des esclaves.’»
Pour Condorcet, il s’agit d’assurer le développement des capacités de chacun et de tendre au perfectionnement de l’humanité. Son projet propose d’instituer cinq catégories d’établissements :
- les écoles primaires visant à la formation civique et pratique ;
- les écoles secondaires dans lesquelles sont surtout enseignées les mathématiques et les sciences ;
- les instituts, assurant dans chaque département la formation des maîtres d’écoles primaires et secondaires et, aux élèves, un enseignement général ;
- les lycées, lieu de formation des professeurs et de ceux qui « se destinent à des professions où l’on ne peut obtenir de grands succès que par une étude approfondie d’une ou plusieurs sciences. » ;
- la Société nationale des sciences et des arts ayant pour mission la direction des établissements scolaires, l’enrichissement du patrimoine culturel et la diffusion des découvertes.
Son plan se caractérise également par l’égalité des âges et des sexes devant l’instruction, l’universalité et la gratuité de l’enseignement élémentaire et la liberté d’ouverture des écoles. Enfin la religion ne doit relever que de la sphère privée.
Le projet n’oublie nullement « le peuple », car des conférences hebdomadaires et mensuelles destinées aux adultes doivent permettre de « continuer l’instruction pendant toute la durée de la vie », une ambition que reprendront à leur compte l’abbé Grégoire (1750-1831) et Hippolyte Carnot.
Comme le relate Paul Carnot :
« L’Assemblée Constituante, dans sa courte existence, n’avait pu que transmettre le fameux rapport de Talleyrand à la Convention. Celle-ci, après les rapports, non moins fameux – de Condorcet et de Lakanal, après les discussions de son Comité d’Enseignement (presque aussi actif que le Comité de Salut public), avait proclamé des principes qui sont toujours les nôtres ceux de l’École primaire, obligatoire, gratuite et laïque. La Déclaration des Droits de l’Homme (art. XXII) proclamait, avec Robespierre ‘L’Instruction est le besoin de tous ; la société doit favoriser, de tout son pouvoir, les progrès de la raison publique et mettre l’Instruction à la portée de tous les citoyens’. »
Tous les partis, chose rare, étaient d’accord sur ces points. Les Girondins (Condorcet, Ducos) disaient, avec François Xavier Lanthenas (1754-1799), que:
« L’instruction est la première dette de l’État envers les citoyens. »
A propos de la gratuité, Georges Danton dira
« Nul n’est maître de ne pas donner l’instruction à ses enfants. Il n’y a pas de dépense réelle là où est le bon emploi pour l’intérêt public. Après le pain, l’instruction est le premier besoin du peuple.»
Mais le programme d’instruction publique menant à la perfectibilité de l’humanité, grâce à la raison, n’est pas une priorité, car le roi Louis XVI, sur proposition du général Dumouriez, vient de décider de se rendre à l’Assemblée nationale pour lui proposer de déclarer la guerre contre l’Autriche… A cela s’ajoute que l’argent pour l’éducation manque.
Condorcet doit interrompre la lecture de son projet. A la fin de l’après-midi de ce 20 avril 1792, l’Assemblée adopte la déclaration de guerre au roi de Bohême et de Hongrie, à l’unanimité moins sept voix. Le lendemain Condorcet termine la lecture de son projet. L’Assemblée décrète l’impression du rapport mais en diffère la discussion. C’est en vain que Romme, au nom du comité d’Instruction publique, demandera le 24 mai l’inscription à l’ordre du jour de la discussion du rapport. Le projet de Condorcet n’aura pas, tout comme le rapport de Talleyrand, le temps d’être débattu et ne sera pas adopté.
9. La bataille sous la Convention (1792-1795)
Les protagonistes de l’an I (sous la Convention) ne furent guère plus décisionnaires. Un nouveau Comité d’instruction publique est constitué. L’abbé Grégoire, abolitionniste et ami intime de Lazare Carnot et plus tard de son fils Hippolyte, et Joseph Lakanal (1762-1845) en font partie.
Le 12 décembre 1792, Marie-Joseph de Chénier (1764-1811) lit les propositions de Lanthénas qui reprend les idées de Talleyrand et Condorcet. Les discussions sont stériles et le projet est balayé par Marat. Ce dernier s’exclame ce jour-là :
« Quelque brillants, dit il, que soient les discours que l’on nous débite ici sur cette matière, ils doivent céder place à des intérêts plus urgents. Vous ressemblez à un général qui s’amuserait à planter et déplanter des arbres pour nourrir de leurs fruits des soldats qui mouraient de faim. Je demande que l’assemblée ordonne l’impression de ces discours, pour s’occuper d’objets plus importants. »
L’année d’après, Robespierre opte pour un plan d’éducation nationale imaginé par Lepeltier de Saint-Fargeau (1760-1793).
Selon ce plan, présenté par Robespierre en personne, le 13 juillet 1793, l’instruction sans une bonne dose d’idéologie républicaine ne saurait suffire à la régénération de l’espèce humaine. C’est donc l’État qui doit se charger d’inculquer une morale républicaine, en prenant en charge l’éducation en commun des enfants entre 5 et 12 ans.
Le 21 Janvier 1793, le Roi est décapité. Alors que pour Carnot, il s’agit de ne plus jamais permettre le retour de la lignée des Bourbons, Condorcet, adversaire par principe à la peine de mort, s’y oppose. Les débats sur l’instruction publique sont ajournés. Ce n’est qu’en fin d’année qu’une législation de compromis sur l’organisation des écoles primaires voit le jour ; elle rend l’instruction obligatoire et gratuite pour tous les enfants de six à huit ans et fixe la liberté d’ouvrir des écoles. Le décret du 19 décembre 1793 précise que les études primaires forment le premier degré de l’instruction : on y enseignera les connaissances rigoureusement nécessaires à tous les citoyens et les personnes chargées de l’enseignement dans ces écoles s’appelleront désormais « instituteurs ». Ce décret ne sera que partiellement appliqué.
1794 vit rédiger une profusion de textes législatifs sur le sujet :
- le décret du 27 janvier 1794 impose enfin l’instruction en langue française.
- Le 21 octobre 1794 une autre décision organise la distribution des premières écoles dans les communes.
- Le 30 octobre est créée, pour former des enseignants, la première « école normale » sur l’impulsion de Dominique Joseph Garat, de Joseph Lakanal et du Comité d’instruction publique. La loi précise qu’« Il sera établi à Paris une École normale, où seront appelés, de toutes les parties de la République, des citoyens déjà instruits dans les sciences utiles, pour apprendre, sous les professeurs les plus habiles dans tous les genres, l’art d’enseigner ». L’école, prévue pour près de 1 500 élèves, s’installe dans un amphithéâtre du Muséum national d’histoire naturelle, trop petit pour accueillir toute la promotion. Rapidement fermée, elle réunit néanmoins des professeurs brillants, tels que les scientifiques Monge, Vandermonde, Daubenton et Berthollet.
- Le 17 novembre, Lakanal fait adopter une loi rendant l’instruction gratuite, la République assurant un traitement et un logement aux instituteurs et autorisant la création d’écoles privées.
Également en 1794, Jacques-Élie Lamblardie, Gaspard Monge et Lazare Carnot, pères fondateurs de l’institution, se voient confier la mission d’organiser une « Ecole centrale des travaux publics », renommée « École polytechnique » en 1795 par Claude Prieur de la Côte d’Or, pour pallier la pénurie d’ingénieurs dans la France d’après la Révolution.
Malheureusement, sur le plan d’une scolarisation universelle, le bilan de 1795 est désastreux : aucun des décrets de 1794 n’a été appliqué!
Pire encore, le 25 octobre 1795, une nouvelle loi élaborée par Pierre Daunou marque même un recul : faute de budget, l’instruction n’est plus gratuite, les instituteurs doivent être salariés par les élèves (et leurs riches parents) et le programme scolaire devient indigent. Cette loi est restée en vigueur jusqu’aux textes napoléoniens sur l’enseignement secondaire et supérieur en 1802. Si elle prévoit l’abandon de l’obligation scolaire et de la gratuité, cette loi préconise la création d’une école primaire par canton et « d’école centrales » secondaires dans chaque département.
Les nouvelles autorités fixent aux communes des délais pour l’organisation des écoles. Elles mandatent des envoyés spéciaux pour voir si les communes prennent les mesures nécessaires pour rechercher et installer un instituteur.
Dans les villes, l’administration parvient à recueillir un certain nombre de candidats instituteurs, mais à la campagne, bien souvent la liste demeure vierge. Les administrations locales, en plus du problème de recrutements, se heurtent au problème du local, du mobilier, du chauffage de l’école et des ouvrages à utiliser. Les instituteurs en exercice se plaignent de la pénurie d’élèves car l’école républicaine suscite de la méfiance. Quand l’instituteur se risque à remplacer le catéchisme et les Évangiles par la Constitution et les Droits de l’Homme, les parents, incités en cela par des prêtres réfractaires, préfèrent garder leurs enfants chez eux. Le Comité d’instruction publique est submergé de questions, accablé de suggestions et de demandes.
Le 17 novembre 1795, Lakanal fait adopter par la Convention une nouvelle loi. L’instruction reste gratuite mais non obligatoire. Elle assure un traitement fixe et une retraite aux instituteurs et institutrices et leur fournit un local et un logement. Elle autorise tout citoyen à fonder des écoles particulières (privées).
10. Lazare Carnot sous les Cent-Jours (mars-juin 1815)
Le 9 novembre 1799, Bonaparte fomente un coup d’État et établit le régime du Consulat. Premier Consul, il signe avec le pape Pie VII le Concordat le 16 juillet 1801 qui abolit la loi de 1795 séparant l’Église de l’État.
Saisissant l’occasion du moment, et avant tout cherchant à répondre aux besoins immédiats, le ministre de l’Intérieur, le chimiste et industriel républicain Jean-Antoine Chaptal (1756-1832) soumet alors à Bonaparte un projet d’organisation de l’enseignement secondaire, confié, en particulier aux Oratoriens de Tournon. En 1800 il présente son « Rapport et projet de loi sur l’instruction publique. »
Rappelé par le Premier consul, Lazare Carnot reçoit le portefeuille de la Guerre qu’il conservera jusqu’à la conclusion de la paix d’Amiens en 1802, après les batailles de Marengo et d’Hohenlinden.
Révolutionnaire de la première heure, mais aussi modéré et républicain, il vote contre le Consulat à vie, puis est le seul Tribun à voter contre l’Empire le 1er mai 1804. Dès lors, privé de toute influence politique, il se recentre sur l’Académie des sciences. En 1814, la défense d’Anvers, ville dont il sera maire, lui est confiée : il s’y maintient longtemps et ne consent à remettre la place que sur l’ordre de Louis XVIII.
Mais quelques mois plus tard, l’Empereur revient au pouvoir pour les Cent-Jours, du 20 mars au 7 juillet 1815 (3 mois et 17 jours). C’est à ce moment que Lazare Carnot, menacé d’arrestation au point de se cacher rue du Parc-Royal, est nommé ministre de l’Intérieur le 22 mars 1815. Et comme ce ministère comporte dans ses attributions l’Instruction publique, il peut alors lancer le projet éducatif qui lui tient à cœur.
Trois jours après son installation au ministère, Lazare Carnot commande une étude sur l’enseignement.
Elle s’inspire des travaux de la « Société d’encouragement pour l’industrie nationale », fondée par Chaptal et dirigée par le philanthrope Joseph Marie de Gérando, lui aussi éduqué par les Oratoriens à Lyon et, avec Laborde, Lasteyrie et Jomard, partisan de la nouvelle méthode d’enseignement mutuel. (voir notre article sur ce site).
Carnot impulsera également la fondation de « Société pour l’instruction élémentaire (SIE) » afin de promouvoir ce type d’éducation.
Pour Carnot et Grégoire, l’éducation et l’instruction doivent « élever à la dignité d’Homme tous les individus de l’espèce humaine », éduquer autant que moraliser, et répandre l’amour entre les hommes.
Pendant les Cent-Jours, Carnot a juste eu le temps de préparer, en avril 1815, un « plan d’ensemble pour l’éducation populaire » suivi d’un décret et de la création d’une Commission spéciale pour l’enseignement élémentaire chargée de tracer des perspectives en la matière en s’inspirant des modèles anglais et hollandais.
Familiarisé avec les « brigades » inventées par Gaspard Monge à l’école du Génie de Mézières et ensuite à Polytechnique, où les meilleurs élèves encadrent les autres, Carnot est plus que favorable au système de l’enseignement mutuel dans les écoles populaires. Répandu en Angleterre et en Suisse, Carnot va l’établir en France.
Convaincu de l’importance de la musique, il souhaite l’enseignement de celle-ci aux élèves. Dans cette intention, il rencontre plusieurs fois Alexandre-Étienne Choron (1771-1834), lui aussi passé par les Oratoriens, qui réunit un certain nombre d’enfants et leur fit exécuter en sa présence plusieurs morceaux appris en fort peu de leçons. Par ailleurs, Carnot connaissait le pédagogue Louis Bocquillon, dit Wilhem (1781-1832) depuis dix ans. Il entrevit aussi la possibilité d’introduire, par lui, le chant dans les écoles, et tous deux visitèrent ensemble celle de la rue Jean-de-Beauvais, ouverte à Paris à trois cents enfants. De son côté, Wilhem créa le mouvement musical de masse des « orphéons ».
11. Hippolyte Carnot reprend le flambeau de son père Lazare
Lazare, un esprit scientifique de haut vol, a des idées bien arrêtées sur l’éducation qui forgeront la personnalité de ses fils, notamment celle d’Hippolyte, le futur ministre de l’Instruction publique de la seconde République. Pour les deux Carnot,
« toutes les institutions sociales doivent avoir pour but l’amélioration sous le rapport physique, intellectuel et moral de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre. »
Plus que des « têtes bien pleines », il aspirait à faire de ses fils des « têtes bien faites », et de « nous faire connaître la saveur des bonnes choses plutôt que nous rendre infaillibles sur le sens des mots », selon les mots de son cadet. Pour Lazare, il s’agit de mettre à l’épreuve en famille les principes éducatifs qu’il prône pour la nation.
Bien que peu féru de langues mortes et plus attiré par les langues vivantes, Lazare initie ses enfants au latin, redevenu langue obligatoire dans les lycées impériaux créés en mai 1802. Pour le reste, si la riche bibliothèque paternelle permet à Sadi Carnot et à son frère Hippolyte de se familiariser avec les classiques indispensables à la culture humaniste qui fonde l’enseignement secondaire, elle les initie à d’autres penseurs plus contemporains et novateurs.
Parmi eux, Hippolyte s’intéresse à ceux qui se penchent sur les questions éducatives comme Rousseau, mais aussi à des philosophes plus originaux comme Saint-Simon dont son père disait :
« Voilà un homme que l’on traite d’extravagant, or il a dit plus de choses sensées dans toute sa vie que les sages qui le raillent […]. Mais c’est un esprit très original, très hardi dont les idées méritent de fixer l’attention des philosophes et des hommes d’État. »
Évoquant son père, Hippolyte dira plus tard :
« Les leçons que nous recevions avaient toutes pour objet de nous rendre, comme le maître qui les donnait, vertueux sans effort, sages sans système. »
Lazare Carnot fait entrer Hippolyte à l’institution polytechnique, 8 avenue de Neuilly. D’après Dalisson,
« le jeune Carnot y reçoit une éducation spartiate où, si la discipline n’exclut pas les châtiments corporels sous la férule ‘d’Inspecteurs généraux’, la pédagogie est novatrice. Les élèves sont répartis dans des classes selon leur âge et l’enseignement allie éducation intellectuelle et physique à travers des programmes qui complètent l’éducation paternelle. Hippolyte se perfectionne ainsi en lecture, en langues, anciennes et vivantes, en littérature, en mathématiques, en physique et géométrie, goûte à la chronologie, à l’histoire, au dessin, à la musique, à l’escrime et à la danse, se révélant en tout point un excellent élève ».
12. Exil de Lazare Carnot (1816)
Après la seconde abdication de Napoléon, Lazare Carnot fait partie du gouvernement provisoire. Exilé au moment de la Restauration, il est banni comme régicide en 1816 et se retire à Varsovie, puis à Magdebourg, où il consacrera le reste de ses jours à l’étude et surtout à l’éducation de ses enfants.
Dalisson : « quand il ne va pas en cours, il (Hippolyte) sert de secrétaire à son père qui continue son éducation ». A Magdebourg, « l’une des consolations de Carnot était de compléter l’éducation de son jeune fils, dont il dirigeait plus spécialement les études vers les questions historiques et l’économie sociale ». C’est donc en Prusse qu’Hippolyte trouve sa voie, abandonne les sciences « dures » pour se consacrer à la philosophie en général et à la philosophie politique et sociale en particulier. Là-bas, l’éducation a un statut privilégié depuis que Frédéric II a rendu l’enseignement primaire obligatoire en 1763, envisagé une forme de gratuité (pour les familles pauvres) et créé des gymnases pour le Secondaire. De quoi inciter Carnot père et fils à imaginer comment la France peut rattraper son retard.
Mieux encore, comme le précise Dalisson :
« la Prusse reste un royaume qui, comme la France quelques années plus tôt, a procédé à une levée en masse en 1813 pour chasser l’envahisseur. Le lien entre instruction populaire et sentiment national, entre éducation et économie, entre libéralisme et éducation nationale s’impose et rejoint les idéaux éducatifs de la famille Carnot. C’est pourquoi, à la demande du gouvernement, Lazare bâtit un projet éducatif en créant une ‘école professionnelle’ dans ce lointain pays d’accueil. Aidé d’Hippolyte il met sur pied un système complet d’enseignement pour l’agriculture et l’industrie. Si nous n’avons pas trace du texte, il influença sans doute le jeune homme pour ses années parisiennes et libérales autant que pour son futur ministère ».
13. Hippolyte avec l’abbé Grégoire
De retour en France, Hippolyte se met en rapport avec les anciens amis de son père, notamment l’abbé Grégoire. Figure emblématique de la lutte pour l’émancipation des juifs et des noirs, cet « évêque révolutionnaire » réclame l’abolition totale des privilèges et prône le suffrage universel masculin.
Sur le principe, Hippolyte approuve. Cependant, dans la pratique, après avoir constaté l’engouement du peuple pour les exécutions publiques, il découvre avec quelle facilité on peut mener, voire manipuler une foule en jouant sur l’irrationnel, sur la passion et les pulsions, toutes choses qui rendent délicat l’usage du suffrage universel et peuvent mener à la dictature. Il en conclut que l’instruction populaire doit éclairer le peuple pour le faire revenir à des sentiments plus fraternels et raisonnables.
Pour l’abbé Grégoire, comme pour Carnot père et fils, l’esclavage doit être aboli, les nations doivent s’affranchir des Empires en recouvrant leur souveraineté et l’éducation doit affranchir les citoyens de l’ignorance, un ensemble de sujets merveilleusement réunis dans l’iconographie des bas-reliefs du socle de la statue de Gutenberg à Strasbourg, monument commémoratif réalisé par un ami aussi bien de l’abbé Grégoire que d’Hippolyte Carnot, et plus tard de Victor Hugo : le sculpteur David d’Angers.
Membre du Comité d’instruction publique, Grégoire réclame, comme le faisaient déjà avant lui les Oratoriens, la généralisation de la langue française et devient le rapporteur de la suppression des anciennes académies et de la création de l’Institut.
L’ouverture de toute une série ‘d’écoles spéciales’, tels l’Ecole polytechnique (1794) et l’Institut des langues orientales (1795), l’établissement du Musée du Louvre (1793), l’avant-projet de l’implantation d’une Bibliothèque nationale (1790), la création du Bureau des Longitudes (1795), le lancement des nouvelles unités de poids et mesures, système métrique et décimal, l’extension des écoles élémentaires à toutes les communes et l’un des fleurons de cette politique : la fondation du Conservatoire national des arts et métiers (1794) durent l’essentiel de leur mise en œuvre à l’énergie débordante de l’abbé Grégoire.
Il s’agit de transmettre des savoirs techniques à deux types de publics. D’un côté, des « grandes » écoles, tournées vers les nouvelles élites du pays, mettent en place un enseignement de haut niveau pour former savants et ingénieurs (École polytechnique, Ponts et chaussées, etc.) ou les futurs professeurs du nouveau système d’instruction publique avec l’École normale (1794) ; de l’autre, des écoles destinées à l’encadrement intermédiaire dans les manufactures, de bons ouvriers et chefs d’ateliers : c’est le cas des écoles d’arts et métiers, héritières de l’école professionnelle imaginée en 1780 à Liancourt (60) par le duc de la Rochefoucauld.
Sont également instaurées plusieurs grandes institutions qui existent encore aujourd’hui, parmi lesquelles, hors celles déjà nommées, le Muséum d’histoire naturelle (1793) au Jardin royal des plantes médicinales (1793) ou le musée des Monuments français (1795).
L’abbé Grégoire fait entrer le jeune Hippolyte dans la loge maçonnique dont il fait partie, Les Philadelphes. Inspiré par le combat de Grégoire, dont il sera l’exécuteur testamentaire et sur lequel il publiera une œuvre vers la fin de sa vie, Hippolyte, à peine âgé de 23 ans, publie « Gunima, nouvelle africaine du XVIIIe siècle » (1824) un conte philosophique relatant l’éducation morale du jeune Benjamin qui confronte ses préjugés et l’injustice du régime esclavagiste et de servitude des peuples dits hottentots du Cap aux principes des Lumières.
Étonnamment moderne, l’histoire relève le défi de la fraternité au moment où la France répondait aux revendications de reconnaissance d’Haïti.
Fidèle à la philosophie de l’abbé Grégoire, il proteste contre l’expulsion des juifs de Dresde où ils sont interdits de séjour. Indigné, il tente d’alerter l’opinion : depuis 1789 les juifs sont des citoyens français comme les autres. Il réaffirme sa foi dans la liberté des cultes qui a permis l’émancipation des juifs et s’écrie :
« Si l’on appelle juif celui que, dès le sein de sa mère, la société condamne au plus vil esclavage, qui végète sans droit dans sa patrie et sert de plastron aux insultes de la populace, à qui ses actions ne méritent rien (…) et que poursuivent sans relâche la honte et le mépris, alors je suis un juif et le serai toujours ».
14. Comme Friedrich Schiller, patriote et citoyen du monde
Extrait du livre de Dalisson :
« La position de Carnot est résumée lors d’une fête en hommage à la Révolution française, le 19 mars 1838, à Paris. Il porte un toast au nom de ‘la sainte égalité, de la solidarité entre tous les peuples et toutes les races d’hommes dans un esprit de fraternité’ à ‘l’abolition de l’esclavage, à la cessation de cet affreux scandale de l’humanité’.
« De ce jour, il collabore régulièrement avec Victor Schoelcher, journaliste, franc-maçon, proche des saint-simoniens et membre des mêmes sociétés que lui et qu’il retrouvera trois ans plus tard au gouvernement de la République, puis en exil. Schoelcher a été confronté à l’esclavage à Cuba dès 1828 et pense aussi que leur émancipation doit être progressive, avant de changer d’avis et de devenir partisan de l’abolition immédiate.
« La liberté doit aussi s’appliquer aux peuples et donc aux nations, car ‘le principe de toute souveraineté réside dans la nation’. Fils de 1789 éduqué pendant les luttes d’émancipations nationales, étudiant pétri de romantisme, passionné par les révoltes des années quinze et trente avant d’être happé par le ‘Printemps des peuples’, Carnot place sa confiance dans la liberté des nations : ‘Le salut viendra des peuples s’unissant pour venir à bout de l’ennemi commun, le despotisme.’ Si les nations et les peuples libérés arrivent à s’entendre et à s’unir, elles bâtiront même ‘l’Europe unie’.
« Il soutiendra tout au long du siècle tous les combats nationaux, et donc les unités nationales, contre les empires qui oppriment les minorités. Car la nationalité, ‘c’est le droit de l’homme proclamé en 1789, le droit de se grouper selon ses affinités de caractère, de tradition, de race, de langue, c’est au fond la LIBERTÉ même’. Il est donc acquis, y compris après la guerre de 1870, à une sorte de « ‘droit des peuples à disposer d’eux-mêmes’ dans une Europe fondée sur la liberté des peuples.
« Dans ses écrits sur la politique extérieure revient régulièrement la maxime de Friedrich Schiller : ‘L’homme est créé libre, il est libre, fut-il né dans des chaînes. (…) Devant l’homme libre, ne tremblez pas.’ Cette liberté des peuples et des nations doit même s’appuyer, horresco referens, sur la nécessaire réconciliation entre la France et l’Allemagne, deux peuples voisins que les vicissitudes de l’histoire ont séparés, mais qui sont « deux amis que de longues querelles ont divisés et qui ont besoin de s’expliquer’ ».
14. La Révolution de juillet 1830
La Révolution de 1830, dite aussi révolution de Juillet ou encore « Trois Glorieuses », se déroule à Paris du 27 au 29 juillet 1830.
Une partie des Parisiens se soulève contre la politique très réactionnaire du gouvernement du roi Charles X. Immédiatement se pose la question : « que mettre à la place du roi ? » Beaucoup comptaient restaurer la République.
Le 30 juillet les députés et les journalistes favorables au duc d’Orléans font placarder des affiches qui rappellent le passé « patriote » du duc, un ancien de Valmy qui se réclame des idées de George Washington, et de son engagement pour l’avenir : il sera « un roi-citoyen ». Sans condition les représentants du peuple (95 députés présents à Paris) proposent que le duc d’Orléans soit nommé Lieutenant-Général du royaume. Le 31 juillet ce dernier accepte le poste et se rend à l’Hôtel de Ville de Paris, le quartier général des républicains.
Là, devant la foule réunie, il reçoit l’accolade de La Fayette, tous les deux enroulés dans le drapeau tricolore. Lafayette estime qu’une transition graduelle vers une République passe forcément par une Monarchie constitutionnelle. Le 9 août, les députés modifient la Charte de 1814 qui devient « la charte » constitutionnelle de 1830 et le duc d’Orléans est proclamé « roi des Français » sous le nom de Louis-Philippe Ier.
Hippolyte Carnot, toujours dans la modération, croit fermement à la « démocratie représentative » et est élu trois fois député sous la Monarchie de 1830. Tribun de l’opposition au régime, il prépare la suite.
15. Ministre de l’Instruction publique sous la IIe République
Après une première tentative de rétablir des valeurs républicaines, neutralisée par le « coup d’Etat » de Louis-Philippe en 1830, les soulèvements de 1847-48 se terminent en février 1848 par la constitution, à l’Hôtel de Ville de Paris, du « Gouvernement provisoire » dirigé par plusieurs amis d’Hippolyte Carnot, instaurant la IIe République.
Les premières mesures du gouvernement provisoire se veulent en rupture avec la période précédente.
- La peine de mort est abolie dans le domaine politique.
- Les châtiments corporels sont supprimés le 12 mars et la contrainte par corps (prison pour dette) le 19 mars.
- Le 4 mars une commission est mise en place pour résoudre le problème de l’esclavage dans les colonies françaises. Sous l’égide du ministre des Colonies, l’astronome républicain François Arago (1786-1853), ami intime d’Alexandre de Humboldt, et dont le secrétaire d’Etat s’appelle Victor Schoelcher, les travaux de cette commission permettent l’abolition de l’esclavage le 27 avril.
Dans le domaine politique, les changements sont importants.
- La liberté de la presse et celle de réunion sont proclamées le 4 mars.
- Le 5 mars le gouvernement institue le suffrage universel masculin, en remplacement du suffrage censitaire en vigueur depuis 1815. D’un coup le corps électoral passe de 250 000 à 9 millions d’électeurs… Cette mesure démocratique fait du monde rural, qui regroupe les trois quarts des habitants, le maître de la vie politique, et ce, pour de nombreuses décennies.
- Des élections destinées à désigner les membres d’une assemblée constituante sont prévues pour le 9 avril. La Garde nationale que dirige Lafayette, jusque-là réservée aux notables, aux boutiquiers, est ouverte à tous les citoyens.
Le gouvernement provisoire proposa de nommer Hippolyte Carnot comme ministre de l’Intérieur ; il refusa, mais accepta celui de l’Instruction publique (que Victor Hugo venait de refuser), auquel on joignit les cultes, qui jusqu’alors avaient relevé du ministère de la Justice.
Si Carnot souhaite que les cultes soient réunis à l’instruction publique, c’est que non seulement il n’avait aucun sentiment d’hostilité à l’égard de l’Eglise, mais il croyait voir dans une étroite alliance de la République et du clergé la meilleure garantie du progrès.
« J’ai moi-même, a-t-il écrit, le sentiment religieux trop profondément gravé au cœur pour ne pas être et pour ne pas vouloir que l’on soit autour de moi plein de déférence à l’égard des ministres de toutes les religions. »
Et encore : « Mes efforts constants ont eu pour but de rattacher le clergé inférieur à la République. Le ministre de la religion et le maître d’école sont à mes yeux les colonnes sur lesquelles doit s’appuyer l’édifice républicain. »
16. Les réformes d’Hippolyte Carnot
En s’appuyant sur le degré d’instruction des Français à l’âge du mariage, cette carte met en
évidence une grande disparité entre les régions. Ainsi, le taux d’alphabétisation des
habitants du nord et de l’est est-il nettement supérieur à celui des habitants du sud et de
l’ouest. La France alphabétisée est celle des grandes villes, des campagnes riches et des
populations denses.
Pendant son ministère très court, muni d’une vision d’ensemble longuement mûrie et préparée d’avance, il annoncera, parfois plusieurs fois par semaine, des réformes républicaines de tous les grands chantiers de l’éducation, de la première enfance jusqu’aux adultes en passant par la formation des enseignants, des grands commis de l’État et de l’ensemble des citoyens. En déclarant dans ses notes préparatoires qu’il « importe que les divers degrés du système d’enseignement s’intègrent les uns dans les autres, conduisant directement de l’un à l’autre ».
A. Ecoles maternelles
Pour Carnot, les « salles d’asile » ne sont guère que des établissements charitables dirigées par les religieuses. On y fait peu pour l’éducation de la première enfance. Leur nom qui rappelle des idées de misère et d’aumône est remplacé le 28 avril par celui « d’école maternelle ».
« L’enfant doit y trouver l’éducation qu’il ne peut recevoir de sa mère, c’est-à-dire les soins du corps, le langage du sentiment, et ces petits exercices destinés, non pas encore à meubler l’intelligence, mais seulement à l’entrouvrir ».
Dans l’esprit de Jean Reynaud (1806-1863) (sous-secrétaire d’État à l’Instruction publique) et de Carnot, la salle d’asile n’est ni une école d’instruction, ni un lieu de refuge pour des enfants privés de leurs parents. A Paris est créée simultanément une « Ecole maternelle normale », recevant des élèves âgés de vingt à quarante ans.
B. Ecole primaire
Dès le 27 février, dans une circulaire aux recteurs, Carnot marquait l’intention d’améliorer la condition du personnel enseignant primaire :
« La condition des instituteurs primaires est un des objets principaux de ma sollicitude… C’est à eux que sont confiées les bases de l’éducation nationale. Il n’importe pas seulement d’élever leur condition par une juste augmentation de leurs appointements ; il faut que la dignité de leur fonction soit rehaussée de toute manière… Il faut qu’au lieu de s’en tenir à l’instruction qu’ils ont reçue dans les écoles normales primaires, ils soient constamment sollicités à l’accroître… Rien n’empêche que ceux qui en seront capables ne s’élèvent jusqu’aux plus hautes sommités de notre hiérarchie. Leur sort quant à l’avancement ne saurait être inférieur à celui des soldats ; leur mérite a droit aussi de conquérir des grades… Mais, pour que tous soient animés dans une voie d’émulation si glorieuse, il est nécessaire que des positions intermédiaires leur soient assurées. Elles le feront naturellement par l’extension que doit recevoir dans les écoles primaires supérieures l’enseignement des mathématiques, de la physique, de l’histoire naturelle, de l’agriculture. Les instituteurs primaires seront donc invités, au nom de la République, à se préparer à servir au recrutement du personnel de ces écoles. Tel est un des compléments de l’établissement des écoles normales primaires. L’intérêt de la République est que les portes de la hiérarchie universitaire soient ouvertes aussi largement que possible devant ces magistrats populaires. »
Le ministre s’attaque donc le 30 juin à l’enseignement primaire. Avant lui, l’ordonnance du 29 février 1816 avait marqué un tournant. Elle établissait un comité cantonal chargé de la surveillance des écoles et obligeait, dans son article 14, les communes, sans leur en donner les moyens, à « pourvoir à ce que les enfants qui l’habitent reçoivent l’instruction primaire, et à ce que les enfants indigents la reçoivent gratuitement », celles-ci pouvant se regrouper pour remplir cette obligation. En clair, l’éducation primaire était complètement laissée aux communes qui à leur tour, faute de locaux et de moyens, faisaient appel aux congrégations religieuses.
Le ministre propose donc « d’élever la condition des instituteurs en les transformant, de fonctionnaires des communes en fonctionnaires d’État » pour les émanciper des potentats locaux, des parents et des religieux. Car,
« il faut certes que l’instituteur soit accepté dans sa commune, mais s’il en dépend trop, il n’est pas assez considéré. Il importe donc qu’il ne puisse point être destitué capricieusement ».
Dans cette optique, il supprime le « certificat de moralité » qui inféodait les instituteurs à l’Église et, accessoirement, au pouvoir.
A côté de l’obligation scolaire (pour les deux sexes et pour les communes de 300 habitants au moins) et la gratuité totale déjà évoquées, il veut compléter les programmes pour former un « tronc uniforme (…) destiné à tout passer en revue pour servir à déterminer les vocations » qui préfigure l’école de Jules Ferry et va plus loin que les seuls lire, écrire et compter.
Outre l’histoire et la géographie nationales, deux des marottes de Carnot, le chant, l’histoire naturelle, la musique et le dessin linéaire, deux matières destinées à épanouir et instruire, on trouve plusieurs spécificités dans les nouveaux textes. La première, qui sera reprise trente ans plus tard, est une sorte d’instruction civique que le ministre qualifie de
« devoirs et droits de l’homme et du citoyen, le développement des sentiments de liberté, d’égalité et de fraternité (…), bases d’un enseignement civique pour l’éducation républicaine du pays ».
Hippolyte avait été élu le 23 avril 1848 membre de l’Assemblée constituante. Lorsque, le 10 mai 1848, la « Commission exécutive » (du 9 mai au 28 juin 1848) remplace le « Gouvernement provisoire » (24 février – 9 mai 1848), il conserve son portefeuille ; mais l’exécutif, « afin de renforcer l’élément révolutionnaire », lui adjoignit Jean Reynaud (1806-1863), comme lui un ancien saint-simonien élu aussi représentant, comme sous-secrétaire d’Etat : « Je connaissais la modération réelle de ses principes, écrit Carnot ; il connaissait la fermeté des miens ; nous rîmes ensemble du rôle qu’on prétendait lui assigner ».
Edouard Charton (1807-1890), également un ancien saint-simonien, devenu lui aussi membre de l’Assemblée, donna sa démission de secrétaire général ; mais il continua ses bons offices sans titre officiel.
Parmi les actes de Carnot dans cette seconde période de son ministère, il faut mentionner le dépôt, le 3 juin, d’un projet de décret ouvrant un crédit de 995 000 francs, destiné à augmenter, pour le second semestre de 1848, le traitement de ceux des instituteurs primaires dont le traitement fixe et éventuel demeurait inférieur à six cents francs ; et un second crédit, de 105 000 francs, destiné à secourir, dans le courant de 1848, les institutrices communales dont les traitements fixe et éventuel demeuraient inférieurs à quatre cents francs (le décret fut voté le 7 juillet).
C. Exposé des motifs de la loi de juin 1848 sur l’École
La rédaction de la loi d’instruction primaire se poursuivait en petit comité, chargé de coordonner les travaux préparés par la Haute Commission. Elle fut achevée dans le courant de juin ; mais le dépôt du projet, retardé par les événements, ne put avoir lieu que le 30 juin. L’exposé des motifs s’exprime ainsi :
« Citoyens représentants, la différence entre la République et la monarchie ne doit se témoigner nulle part plus profondément, dans le domaine de l’instruction publique, qu’en ce qui touche les écoles primaires. Puisque la libre volonté des citoyens doit désormais imprimer au pays sa direction, c’est de la bonne préparation de cette volonté que dépendront à l’avenir le salut et le bonheur de la France.
« Le but de l’instruction primaire est ainsi nettement déterminé. Il ne s’agit plus seulement de mettre les enfants en mesure de recevoir les notions de la lecture, de l’écriture et de la grammaire ; le devoir de l’Etat est de veiller à ce que tous soient élevés de manière à devenir véritablement dignes de ce grand nom de citoyen qui les attend. L’enseignement primaire doit, par conséquent, renfermer tout ce qui est nécessaire au développement de l’homme et du citoyen, tel que les conditions actuelles de la civilisation française permettent de le concevoir. En même temps qu’il faut introduire dans cet enseignement une plus grande somme de connaissances, il faut aussi le faire concourir plus directement à l’éducation morale, et particulièrement à la consécration du grand principe de la fraternité que nous avons inscrit sur nos drapeaux et qu’il est indispensable de faire pénétrer et vivre partout dans les cœurs pour qu’il soit véritablement immortel. C’est là, citoyens, que l’enseignement primaire vient se joindre à l’enseignement religieux, qui n’est pas du ressort des écoles, mais auquel nous faisons un appel sincère, à quelque culte qu’il se rapporte, parce qu’il n’y a point de base plus solide et plus générale à l’amour des hommes que celle qui se déduit de l’amour de Dieu.
« L’établissement de la République, en donnant à l’enseignement primaire cette tendance nouvelle, commandait aussi, comme conséquences naturelles, deux mesures importantes, qui sont de rendre cet enseignement gratuit et obligatoire.
Nous le voulons obligatoire, parce qu’aucun citoyen ne saurait être dispensé, sans dommage pour l’intérêt public, d’une culture intellectuelle reconnue nécessaire au bon exercice de sa participation personnelle à la souveraineté.
Nous le voulons gratuit, par là même que nous le voulons obligatoire, et parce que sur les bancs des écoles de la République il ne doit pas exister de distinctions entre les enfants des riches et ceux des pauvres.
Nous vous demandons de proclamer la liberté de l’enseignement, c’est-à-dire le droit de tout citoyen de communiquer aux autres ce qu’il sait, et le droit du père de famille de faire élever ses enfants par l’instituteur qui lui convient. Nous considérons la déclaration de ce droit comme une des applications légitimes et sincères de la parole de liberté que notre République a jetée au monde avec enthousiasme, (…) Il nous a même semblé que ce ne serait pas un des moindres moyens de relever les écoles publiques que de laisser un plein essor aux écoles privées, à condition que dans cette carrière d’émulation il ne manquât aux premières aucune chance favorable (…) En un mot, citoyens, l’idée d’après laquelle nous nous sommes dirigés a été l’union continuelle du principe de l’autorité avec celui de la liberté. (…) C’est dans cette conciliation entre deux principes également respectables que consiste tout l’esprit de la loi que nous avons l’honneur de vous soumettre. »
Source : Hippolyte Carnot, Bulletin des lois, 1848.
D. Appel aux instituteurs pour éclairer le monde rural
Le 5 mars, un décret fixa au 9 avril la convocation des assemblées électorales pour la nomination, par le suffrage universel, de « l’Assemblée constituante » qui siégera du 4 au 26 mai. Ce sont les premières élections depuis 1792 à se dérouler au suffrage universel masculin. Par décision de la IIe République, le nombre d’électeurs qui passe à 9 395 035, a été multiplié par 40 !
Or, comme nous l’avons dit, si Hippolyte Carnot est en théorie pour le suffrage universel, avec une grande majorité de Français non-éduqués, l’expression du vote risque de conduire au désastre.
Aucune partie de l’instruction primaire, écrit-il, « n’a été plus négligée, sous les précédents gouvernements, que la formation des enfants comme citoyens ». Dès lors, beaucoup des électeurs que le décret du gouvernement provisoire vient d’investir du droit de suffrage ne sont-ils pas, surtout dans les campagnes, suffisamment instruits des intérêts de la chose publique.
Pour tenter d’éclairer ces électeurs sur leurs droits et libertés, Carnot fait appel aux instituteurs :
« Excitez autour de vous les esprits capables d’une telle tâche à composer en vue de vos instituteurs de courts manuels, par demandes et par réponses, sur les droits et les devoirs des citoyens. Veillez à ce que ces livres parviennent aux instituteurs de votre ressort, et qu’ils deviennent entre leurs mains le texte de leçons profitables.
« C’est ce qui va se faire à Paris sous mes yeux ; imitez-le. Que nos 36 000 instituteurs primaires se lèvent donc à mon appel pour se faire immédiatement les réparateurs de l’instruction publique devant la population des campagnes. Puisse ma voix les toucher jusque dans nos derniers villages ! Je les prie de contribuer pour leur part à fonder la République. Il ne s’agit pas, comme du temps de nos pères, de la défendre contre le danger de ses frontières, il faut la défendre contre l’ignorance et le mensonge, et c’est à eux qu’appartient cette tâche. Des hommes nouveaux, voilà ce que réclame la France. Une révolution ne doit pas seulement renouveler les institutions, il faut qu’elle renouvelle les hommes. On change d’outil quand on change d’ouvrage. C’est un principe capital de politique. »
« Mais les instituteurs ne doivent pas seulement, en éclairant les électeurs, leur enseigner à choisir les représentants les plus capables de consolider le régime démocratique ; ils peuvent faire davantage : « Pourquoi nos instituteurs primaires ne se présenteraient-ils pas, non seulement pour enseigner ce principe, mais pour prendre place eux-mêmes parmi ces hommes nouveaux ? Il en est, je n’en doute pas, qui en sont dignes : qu’une ambition généreuse s’allume en eux ; qu’ils oublient l’obscurité de leur condition ; elle était des plus humbles sous la monarchie ; elle devient, sous la République, des plus honorables et des plus respectées (…) Qu’ils viennent parmi nous, au nom de ces populations rurales dans le sein desquelles ils sont nés, dont ils savent les souffrances, dont ils ne partagent que trop la misère. Qu’ils expriment au sein de la législature les besoins, les vœux, les espérances de cet élément de la nation si capital et si longtemps délaissé. Tel est le service nouveau que, dans ce temps révolutionnaire, je réclame du zèle de Messieurs les instituteurs primaires. »
C’étaient là des paroles comme la France n’en avait pas entendu depuis l’an II. Elles causèrent une émotion profonde ; elles mirent la flamme au cœur de tout ce qu’il y avait de jeune et de généreux dans le personnel enseignant primaire, en même temps qu’elles produisaient dans le camp des conservateurs la plus vive irritation. Furibard, Léon Faucher écrivait, le 7 mars, à un ami : « Lisez la circulaire de Carnot aux recteurs. C’est le chef-d’œuvre de la folie ! »
L’appel du ministre pour la composition de manuels sur les droits et les devoirs du citoyen fut entendu. Dans plusieurs académies, les recteurs firent rédiger et publier des catéchismes d’enseignement civique.
A Paris, l’historien Henri Martin fit paraître un Manuel de l’instituteur pour les élections ; le philosophe Charles Renouvier publia, sous les auspices du ministre, un Manuel républicain de l’homme et du citoyen : ces deux ouvrages furent envoyés d’office aux recteurs, et distribués par leurs soins.
Au niveau électoral, leurs efforts ne furent pas couronnés de succès. Les élections qui auront finalement lieu le 23 avril donnent une majorité aux modérés (« monarchistes camouflés » et « républicains modérés »).
Les républicains « avancés », dont Carnot fait partie, sont nettement battus. La nouvelle assemblée se réunit le 4 mai. Elle proclame la République et met fin à l’existence du gouvernement provisoire. Elle élit une « Commission exécutive » dont sont exclus les éléments les plus progressistes du gouvernement provisoire.
E. Enseignement secondaire
Le 28 février 1848, une circulaire exposa, dans ses grandes lignes, le programme du ministre et de ses collaborateurs ; elle « déroule les principes généraux de notre entreprise », dit Carnot. On y lisait :
« Il est nécessaire, dans l’intérêt de la société, qu’un certain nombre de citoyens reçoive des connaissances plus étendues que celles qui suffisent pour assurer le développement de l’homme. C’est à quoi répondra l’établissement de l’instruction secondaire. Le gouvernement républicain se propose de recruter ces agents si essentiels dans la masse du peuple. Il faut donc veiller à ce que les portes de l’instruction secondaire ne soient fermées à aucun des élèves d’élite qui se produisent dans les établissements primaires.
« Toutes les mesures nécessaires à cet égard seront prises. — C’est dans les écoles supérieures seulement que le principe de la spécialité, prudemment préparé dans les autres, doit se dessiner tout à fait. L’accès aux leçons de ces écoles ne peut être défendu à personne ; mais c’est en vue des élèves dignes de servir aux intérêts généraux qu’elles doivent être instituées. Il n’y a que la décision des examens qui puisse y conférer tous les droits. »
F. Une Ecole d’administration
Un décret du 8 mars 1848 annonce qu’une :
« Ecole d’administration, destinée au recrutement des diverses branches d’administration dépourvues jusqu’à présent d’écoles préparatoires, sera établie sur des bases analogues à celles de l’Ecole polytechnique ».
Pour Carnot, il s’agit de créer un foyer capable de « rayonner » sur toute la France « la lumière républicaine », en promouvant les valeurs philosophiques des droits de l’homme. Ce n’est pas au privé mais bien à l’État d’établir « une pépinière pour les services publics » en formant des administrateurs dévoués corps et âme à l’intérêt général.
Faute de subventions suffisantes, l’école est installée dans un bâtiment délabré, l’ancien Collège du Plessis (rue Saint-Jean-de-Beauvais, c’est-à-dire là où son père avait fait installer la l’école pilote pour l’enseignement mutuel !), et le ministère apportera les chaises ; les élèves furent tenus de suivre les cours du Collège de France, répétés ensuite et commentés par des maîtres de conférences. Les programmes sont éclectiques : à côté de l’enseignement professionnel, une « large part est faite aux études scientifiques, mais aussi littéraires qui meublent l’intelligence et lui donnent de l’ampleur ».
Contrairement à l’ENA de nos jours, on y enseigne non pas le « management » et la statistique, mais l’architecture, le dessin, l’histoire de l’art et les religions orientales. Prise dans les turbulences politiques, cette école ne survécut pas au ministre qui l’avait fondée mais fera date.
G. Haute Commission des études scientifiques et littéraires
En vue de la préparation d’une nouvelle loi sur l’instruction primaire, et de la recherche des solutions à apporter aux questions nouvelles qui surgissaient, Carnot institua une Haute Commission des études scientifiques et littéraires, dont la présidence fut donnée à Jean Reynaud, et où il fit entrer « les hommes les plus notables et les plus amis du progrès dans les sciences, dans les lettres, dans l’administration, et surtout dans l’enseignement ».
Parmi les noms des 45 membres de cette Commission, notons ceux du chansonnier Pierre-Jean de Béranger, de Boussingault, d’Henri Martin, de Poncelet, d’Edgar Quinet et de Charles Renouvier.
H. Education pour tous, tout au long de la vie
Sur le plan de l’instruction, en 1848, la situation reste désastreuse. Sur 300 000 conscrits, plus de 112 000 ne savent ni lire, ni écrire. Si l’on prend les plus âgés, la proportion est encore supérieure à ce tiers. D’où l’arrêté du 8 juin, qui institua à Paris des lectures publiques du soir, « destinées à populariser la connaissance des chefs-d’œuvre de notre littérature nationale ». Elles devaient avoir lieu deux fois par semaine, « dans différents locaux situés, autant que possible, au sein des quartiers les plus populeux de Paris ».
Les paysans, soit les deux tiers de la population, qui ne bénéficient d’aucune structure associative et sont éloignés des villes et des écoles, sont la cible prioritaire du ministre. Ce sont eux qu’il faut prioritairement convertir par la lecture, clé de l’instruction et de l’émancipation, et mener jusqu’aux maisons d’école :
« Les maîtres, devenus bibliothécaires leur feront la lecture, à haute et intelligible voix, pourront les instruire, les intéresser et (…) les passionner pour la vie politique du pays. Les enseignants en l’état de leurs disponibilités prodigueront des enseignements généraux pour l’état agricole et des lectures à la maison d’école ou à la mairie, pour l’instruction civique et même la littérature. »
I. Bibliothèques « circulantes »
En partant du constat que « nous manquons de livres de lecture pour le peuple comme il y en a ailleurs », le ministre met sur pied un vaste réseau public de bibliothèques communales de toutes tailles. Il charge l’éditeur Paulin de rassembler des collections de livres les plus variés possible dans chaque quartier des villes et chaque canton rural pour les mettre gratuitement à la disposition du peuple. Il crée également toute une gamme d’établissements complémentaires comme les bibliothèques spéciales près des facultés pour mettre le savoir le plus savant à la disposition du plus grand nombre. Sur une idée de Jules Simon, il entend créer des bibliothèques populaires et rurales qu’il rebaptise « collections circulantes » avec des enseignants qui « parcourraient les petits villages et porteraient aux enfants isolés l’instruction qu’ils ne pourraient trouver ailleurs ». Les « bibliothécaires missionnaires » de ces établissements itinérants seront des « instituteurs conservateurs de la petite bibliothèque populaire », qui guideront le public, contrôleront les prêts et pourront lire à la demande.
C’est dans cette optique bibliophile qu’il faut replacer la création, au printemps 1848, d’un Service officiel des lectures publiques du soir. L’objectif est toujours le même : donner le meilleur au peuple. C’est ce qu’explique Émile Deschanel : « Le ministre de la République voulut que le peuple souverain eût, lui aussi, ses lecteurs et professeurs. » Ce service, aussi politique que moral, rappelle les séances organisées par les philanthropes ou les saint-simoniens, censées remplacer les cabarets et les bals trop arrosés. Elles permettront à l’ouvrier (et plus tard au paysan) fatigué « du labeur quotidien de trouver un asile commode, un plaisir qui porterait avec lui l’instruction, de bons conseils et la familiarité des grands esprits de notre race ».
Il s’agit de vulgariser les textes patrimoniaux et, si besoin, de les commenter pour « instruire noblement les auditeurs en les amusant », raconte l’ancien saint-simonien Sainte-Beuve. Le programme de ces lectures doit donc être varié pour ne point lasser. Les grands classiques comme Corneille et Molière alternent avec l’Histoire à la Michelet qui a une fonction civique évidente, et des comédies ou des chansons comme celles de Béranger.
Les premières séances parisiennes devant des ouvriers et des artisans pleins de respects sont un succès « dans un silence attentif où les moindres impressions se peignent sur les visages ». Le ministre relève des réactions amusées aux comédies, patriotes à l’évocation des grandes batailles comme Crécy, critiques devant un style ampoulé et déroutées devant les Fables de la Fontaine. Dans cette logique le ministère envisage la création d’une Athénée libre sur les modèles allemand et américain. Il s’agit de réunir quelques professeurs dans un amphithéâtre ou dans d’anciennes salles de spectacles pour donner un enseignement libre et gratuit, ouvert à tous et délivré par « des pionniers dans des domaines encore inexplorés » des sciences et des techniques.
J. Beaux-Arts, hygiène et gymnastique au programme
Dans l’enseignement, outre des « éléments d’histoire et de géographie nationale », il ajoute le français, le droit public et l’hygiène, sans oublier la gymnastique pour améliorer la santé des plus démunis. Il s’agit là de la version pour adulte de ce que l’école nouvelle et l’instruction républicaine proposeront à tous les enfants de France. Ces cours doivent même mettre l’art à la portée de tous à travers la promotion du patrimoine : « Existe-t-il moyen plus puissant d’éducation populaire ? », dit-il en parlant de l’art en général et des Beaux-Arts en particulier.
Concrètement, le 29 mars, le ministre fonde avec treize professeurs l’Association Philotechnique destinée à donner aux ouvriers les connaissances professionnelles et techniques nécessaires aux métiers modernes.
L’Association s’accorde sur des cours de géométrie, de grammaire, d’algèbre, de mécanique et de dessin délivrés dans les salles de la Halle aux draps, puis à l’école Turgot. Les professeurs de lycées parisiens sont les premiers sollicités par l’Association pour compléter la formation en Histoire et en Droit.
L’expérience démarre début avril avec 150 ouvriers teinturiers du faubourg Saint-Marcel qui s’initient aux connaissances scientifiques dans l’amphithéâtre de l’Ecole de pharmacie. Rapidement, cet enseignement professionnel s’étend en province, comme à Orléans, avant de disparaître dans le tumulte de Juin.
Carnot veut aller plus loin et songe à des « clubs-écoles » sur le modèle écossais des « Mécanic-institutions », c’est-à-dire des salles de conférences, des bibliothèques et des cours permanents pour les ouvriers dans des bâtiments jouxtant les usines. Tenu au courant des travaux de Braille, il s’intéresse aussi aux sourds et aux aveugles, pour lesquels il compte multiplier les institutions spécialisées dépendant de son ministère, et non plus de l’Intérieur.
K. Concorde citoyenne
Pour couronner cette démocratisation, Carnot songe à l’une des méthodes les plus originales de la Révolution : la pédagogie civique par les fêtes publiques.
Fin février, il a déjà expérimenté leurs vertus citoyennes en participant à la plantation d’un arbre de la Liberté, pratique rituelle en 1848, dans les jardins de Saint-Nicolas à Paris. Dans cet établissement spécialisé dans l’éducation des enfants d’ouvriers, la cérémonie est placée sous le signe des Trois Couleurs. Le clergé bénit l’arbre comme le veut l’usage, en présence du maire de l’arrondissement. Le discours du ministre est édifiant : « L’arbre que vous plantez est jeune comme la République elle-même (…) Il étendra sur vous ses rameaux, de même que la République étendra sur la France les bienfaits de l’Instruction populaire. (…) Les bons écoliers deviennent les bons citoyens. »
Le ministre de l’Instruction a été aussi impressionné par la « Fête de la concorde » du 21 mars, entre la Bastille et le Champ de Mars, avec ses défilés, sa statuaire civique, ses revues d’œuvres industrielles, ses hymnes à la République et son enthousiasme réformateur. Cette pédagogie civique lui a semblé efficace grâce à sa représentation symbolique du régime et sa « foule d’hommes obéissant à une inspiration commune ».
17. Conclusion
Face à Carnot, la riposte de l’oligarchie est foudroyante. Figure du « parti de l’ordre », Adolphe Thiers, en 1848, n’hésite pas à déclarer : « Je demande que l’action du curé soit forte, beaucoup plus forte qu’elle ne l’est, parce que je compte beaucoup sur lui pour propager cette bonne philosophie qui apprend à l’homme qu’il est ici pour souffrir. »
Dès le 10 décembre 1848, date de l’élection de Louis Napoléon Bonaparte à la présidence de la République, le pouvoir s’appuie sur des forces issues du clergé et d’une droite rétrograde.
Cédant aux congrégations, il fait voter deux lois hypothéquant fortement et durablement les chances de réussite de l’école publique: la loi Parieu du 11 janvier 1850 et la loi Falloux du 15 mars 1850.
La première poursuit les enseignants restés fidèles à l’esprit de Carnot (4000 instituteurs seront révoqués). La seconde accentue les prérogatives de l’Eglise en matière d’enseignement et favorise le développement de l’enseignement congrégationiste.
En guise de conclusion, voici celle de Rémi Dalisson dont nous recommandons fortement la magnifique biographie sur Hippolyte Carnot :
« Sa pratique, ce sont ses textes législatifs sur l’instruction, y compris les programmes scolaires, aussi variés que novateurs, comme ceux de son École d’administration ou de ‘l’école maternelle’. Ils font de Carnot l’incontestable précurseur de Jules Ferry et du projet éducatif et civique de la Troisième République. Ses lois et décrets veulent (…) émanciper les enfants et en faire des citoyens actifs et critiques dans une démocratie apaisée, modérée et socialement fluide, sous l’égide d’instituteurs restaurés, symboles des temps nouveaux.
« Sa pratique, ce sont ses combats et ses engagements, et d’abord dans l’opposition à laquelle il appartient longtemps. Retenons ses écrits précoces contre la peine de mort, sa participation aux événements de 1830, son rôle en 1848 à l’Assemblée, son combat pour les instituteurs pour lesquels il se dépense sans compter et son exil volontaire. (…)
« Dans un siècle écrasé par le souvenir de deux guerres mondiales, par l’effacement de la République sous Vichy puis par la décolonisation et la chute du communisme, l’oubli de 1848 et de ses espoirs sociaux et éducatifs en dit long sur nos structures mentales et notre mémoire. Cette sorte d’amnésie, qui n’empêche d’ailleurs pas la sacralisation, souvent anachronique, du corpus républicain, a fait tomber Hippolyte Carnot et l’ensemble du XIXe siècle dans un bien triste oubli. La période n’évoque plus grand-chose, hormis quelques coups de projecteurs ponctuels. Elle est même à présent sacrifiée dans l’enseignement, comme si seul le XXe siècle était digne d’étude.
« A l’heure où le modèle scolaire français est remis en cause, où l’école républicaine doute de ses missions, où la laïcité est elle aussi discutée et où les enseignants se sentent abandonnés, il est plus que jamais nécessaire de connaître les racines d’un système éducatif intimement lié au régime républicain. Pour cela, à l’aube du XXIe siècle, la réévaluation de la vie et de l’œuvre d’Hippolyte Carnot, défenseur acharné de la liberté, de l’école, de Clio et de la République peut poser les bases d’une réflexion renouvelée et civique sur la chose scolaire ».
18. Annexe
Liste de principaux ouvrages d’Hippolyte Carnot:
- Gunima, nouvelle africaine du XVIIIe siècle, (Paris, Barba, 1824).
- Le Gymnase, recueil de morale et de littérature (Paris, Balzac, 1828).
- Doctrine de Saint-Simon (Bruxelles, Hauman, 1831).
- Mémoires de Grégoire, Évêque constitutionnel de Blois (Paris, Dupont, 6 vol., 1837-1845).
- Quelques réflexions sur la domesticité (Paris, Henry, 1838).
- Rapport sur la législation qui règle dans quelques états d’Allemagne les conditions de travail des jeunes ouvriers (Paris, Imp. Royale, 1840).
- Mémoires de Barère de Vieuzac (Paris, Labitte, 4 volumes, 1842-1844).
- L’Allemagne avant l’invasion française (Fragments, Paris, Revue indépendante, 1842).
- L’Allemagne pendant la Révolution (Fragments, Paris, Revue indépendante, 1843).
- Les Esclaves noirs (Paris, Magasin pittoresque, 1844).
- De l’esclavage colonial (Paris, Revue indépendante, 1845).
- Les Radicaux et la Charte, (Paris, Pagnerre, 1847).
- Le Ministère de l’Instruction Publique et des Cultes, 24 février-5 juillet 1848 (Paris, Pagnerre, 1848).
- Éducation républicaine, (Paris, Prost, 2 vol, 1849).
- L’insurrection littéraire en Allemagne (Fragments, Paris, Liberté de penser, 1848).
- Le Mémorial de 1848, (Paris, Revue indépendante, n.p. 1849).
- Doctrine saint simonienne (Paris, Librairie nouvelle, 1854).
- Mémoires sur Lazare Carnot par son fils (Paris, Pagnerre, 1861-63, réed. en 1893 et 1907, Hachette).
- Œuvres de Saint-Simon par Enfantin précédées de deux notices historiques par H. Carnot (Paris, Dentu, 1865).
- La Révolution française, résumé historique (2 vol., Paris, Dubuisson et Pagnerre, 1867).
- L’Instruction populaire en France (Paris, Degorce-Cadot, 1869).
- Trois discours sur l’instruction publique, (Paris, Degorce-Cadot, 1869).
- Cours de l’association philotechnique pour l’instruction gratuite des adultes (Paris, Parent, 1872).
- Ce que serait un nouvel Empire (Paris, Société du patriote, Bibliothèque utile, 1874).
- Lazare Hoche, général républicain (Paris, Société du patriote, Bibliothèque utile, 1874).
- D’une École d’Administration (Versailles, Aubert, 1878) ;
- Henri Grégoire, évêque républicain (Paris, Libraire des publications populaires, 1882).
- La Révolution française (Paris, Boulanger, 1888).
- Les premiers échos de la Révolution française au-delà du Rhin (Paris, Picard, 1888)
19. Quelques ouvrages et articles consultés:
- Rémi Dalisson, Hippolyte Carnot, la liberté, l’école et la République, CNRS Editions, Paris 2011.
- Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le ministère de l’Instruction publique de la IIe République, PUF, Paris, 1948.
- Nicolas de Condorcet: Cinq mémoires sur l’Instruction publique
- Jacques Cheminade, Lazare Carnot, l’organisateur de la victoire:
- Jacques Cheminade, L’exemplarité de l’œuvre d’Henri Grégoire et de Lazare Carnot, 2005.
- Jacques Cheminade, Dino di Paoli et Claude Albert, L’Ecole polytechnique et la science de l’éducation républicaine, Campaigner publications, Paris, 1980.
- Site internet: Le temps des instituteurs;
- Karel Vereycken, La statue de Gutenberg à Strasbourg, le combat républicain de David d’Angers, juillet 2023.
- José Manuel Menudo, Une apologie des physiocrates par Condorcet, Dixhuitième siècle N° 46, pp 657 à 672.
- Nicolas de Condorcet, De l’influence de la révolution d’Amérique sur l’Europe (extraits):
- Manuel Albertone, Condorcet, Jefferson et l’Amérique:
- Dorette Huggins, John Adams et ses réflexions sur Condorcet:
- Karel Vereycken, L’enseignement mutuel, curiosité historique ou piste d’avenir?, août 2023.
- Corinne Doria, L’éducation morale dans les projets de loi sur l’instruction publique pendant la Révolution : un miroir des antinomies des Lumières, La Révolution française N°4/2013.
- Elisabeth et Robert Badinter, Condorcet, un intellectuel en Politique, Fayard, 1988.
Hippolyte Carnot, father of modern republican education
Table of contents
- Introduction
- In the storm
- From charity to universal schooling
- Malebranche and the Oratorians
- The Revolution of the Mind
- The Committee of Public Instruction (1791)
- Condorcet and the « American Party
- The « Condorcet » Plan
- The battle under the Convention (1792-1795)
- Lazare Carnot under Les Cent-Jours (The Hundred Days)
- Carrying on the torch
- Lazare Carnot’s exile
- Hippolyte with Abbé Grégoire
- Like Schiller, patriot and citizen of the world
- The Revolution of 1830
- Minister of Public Instruction under the Second Republic
- Hippolyte’s Carnot’s reforms
A. Nursery school
B. Primary school
C. Explanatory memorandum to the School Act of June 1848
D. Teachers to enlighten the rural world
E. Secondary education
F. High Commission for Scientific and Literary Studies
G. A School of Administration
H. Lifelong education for all
I. People’s libraries
J. Fine arts, hygiene and gymnastics on the program
K. Citizen Concord - Conclusion
- Appendix: works by Hippolyte Carnot
- Short list of books and articles consulted.
« The tree you are planting is as young as the Republic itself (…) It will spread its branches over you, just as the Republic will spread over France the benefits of Popular Instruction.
« Hippolyte Carnot, Memorial (1848), dossier 13.
1. Introduction
Hippolyte Carnot (1801-1888) had neither the glory of his father Lazare Carnot (1753-1823), the « Organizer of Victory » of Year II, nor the renown of his brother, the inventor of thermodynamics Léonard Sadi Carnot (1796-1832), nor the tragic fate of his son, François Sadi Carnot (1837-1887), President of the Republic assassinated by an anarchist in Lyon.
History retains almost exclusively his magnificent « Memories on Lazare Carnot by his son », in which he recounts the actions, ideas and life of his father, the « great Carnot », scientific mind, poet, fervent republican and Minister of War.
Hippolyte remains little-known, despite the fact that his long life (87 years), slightly longer than Victor Hugo‘s (83 years), spans almost an entire century (1801-1888), and that his work and influence are considerable.
As is amply demonstrated by « Hippolyte Carnot et le ministère de l’Instruction publique de la IIe République » (PUF, 1948), written by his son, the physician Paul Carnot (1867-1957), he was much more than a mere observer or commentator on events.
2. In the storm
The 19th century was a period of profound change. The flame of hope kindled by the American and French Revolutions, the ideal of liberty, fraternity and emancipation of individuals, peoples and sovereign states alike, proved unquenchable, and was affirmed and extended throughout the 19th century. The long march towards a new paradigm was fraught with pitfalls. Changes took place slowly, against a backdrop of brutal crises and violent ruptures.
During his lifetime, Hippolyte Carnot (1801-1888) was directly or indirectly involved in :
Two Empires:
1803-1814: First Empire under Napoleon Bonaparte
1852-1870: Second Empire under Napoléon III
Three Monarchies:
1814-1815: First Restoration under Louis XVIII
1815-1830: Second Restoration under Charles X
1830-1848: July Monarchy under Louis-Philippe, Duc d’Orléans.
Two Republics:
1848-1852: Second Republic
1870: Third Republic
Three Revolutions expressing popular republican fervor:
1830 (Trois Glorieuses) ;
1848 (uprisings) ;
1871 (Commune).
In an ever-changing environment, through revolutions, coups d’état, monarchies, empires or republics, wars and trials, the man who was (too) briefly Minister of Public Instruction in 1848, a friend of Victor Hugo and Jules Ferry, Hippolyte was a nation builder and an inspiration.
Philosopher and journalist, memoirist and minister, Freemason and believer, political exile and member of parliament, senator and member of the Académie, he took part in all the battles for public and private freedoms, laid the foundations for teacher training and free, compulsory schooling, including kindergarten, created the forerunner of the ENA and defended the most advanced causes (schooling for girls, universal suffrage, the fight against slavery and the abolition of the death penalty).
Rémi Dalisson, in a fascinating and richly documented biography entitled « Hippolyte Carnot 1801-1888. La liberté, l’école et la République », published by the French CNRS in 2011, with supporting evidence, points out that « the vulgate of Jules Ferry as the inventor of the republican and secular school has been widely debunked ».
Given that Hippolyte‘s name, let alone his work, is nowhere to be found on the Ministry’s website, the author laments that « few people, including those at the Ministry of Education, pay tribute to the role and personality of Hippolyte Carnot« .
The anthologies of founding texts and speeches of the republican school, which have proliferated in recent years, systematically forget him.
« It is therefore an injustice and an oversight that we are repairing by tracing the life and work of Hippolyte Carnot, which go far beyond his educational projects and achievements. Through his stature, his training, his career, his ideas, his writings and his battles, this man of many talents will enable us to retrace the history of the construction of the school and therefore of society in the 19th century (…) And as this question refers to the political, social, even economic and cultural question of the nation, and as the minister was involved in all the philosophical battles of his century (…) it is largely the history of a century that will be evoked (…) ».
The full text of this magnificent biography is available free of charge on the Internet, and we have drawn heavily on it to write this text.
3. From charity to universal schooling
In order to fully appreciate the fundamental contribution of Lazare Carnot‘s ideas, and of their initial implementation by his son Hippolyte, a brief history of schooling in our country is in order.
Educating a handful of more or less talented children? We knew how to do it, especially since the tasty advice of the great Renaissance pedagogues (Vittorino da Feltre, Alexandre Hegius, Erasmus of Rotterdam, Juan Luis Vivès, Comenius, etc.). But organizing compulsory, secular and free education for an entire nation, boys and girls alike, remained an enormous challenge.
And as the following chronology shows, the road to universal schooling was strewn with many pitfalls.
In France, from the 16th century onwards, the royal state entrusted the Catholic Church (Jesuits, Oratorians and Brothers of the Christian Schools) with the task of educating state officials and the children of the nobility: only wealthy families could afford to pay a tutor for their own children, while the others, often described as « not suited to study », remained essentially illiterate.
In the 17th century, holy men, moved by the great misery of the children of the people, founded teaching orders to take in orphans and abandoned children free of charge. Their teaching was primarily religious, but they also provided them with food, basic education and basic writing and arithmetic skills. In the 18th century, women’s congregations took in poor girls in the same way.
Whatever his real motives, in 1698, following the revocation of the Edict of Nantes in 1685, Louis XIV ordered every village community or parish to open a school, whose teacher had to be a Catholic priest. This was the first time the state considered providing education for rural children.
Literacy figures at the end of the Ancien Régime show the scope and limits of the work accomplished. At that time, an estimated 37% of French people were literate enough to sign their marriage certificate, compared with 21% a century earlier. Female education progressed slowly, with around a quarter of women literate, many of them only in very basic terms. There were major disparities between town and country.
4. Malebranche and the Oratorians
Among the congregations, the Oratorians have been the exception since 1660, under the influence of the philosopher and theologian Nicolas Malebranche (1638-1715), who became its director. Breaking away from the Aristotelianism of the Jesuits and the dualism advocated by René Descartes, Malebranche, who had become an honorary member of the Académie des Sciences, was to be won over to the optimistic vision of the great German scientist Wilhelm Gottfried Leibniz through a sustained exchange of letters. Reconciling science and faith, on the metaphysical level his god is a wise and reasonable God, always respecting his essence and the laws of order he generates. His perfection lies above all in his function as legislator, identified with wisdom or reason, rather than arbitrary power.
Two examples demonstrate the excellence of their teaching: Gaspard Monge and Lazare Carnot, two great scientific minds and future co-founders of the Ecole Polytechnique. Convinced that the political, economic and industrial future of the Republic depended on it, they led the fight to ensure that the best possible education was available to all, not just the privileged few of whom they were a part.
The son of a Savoyard merchant, Gaspard Monge (1746-1818) studied at the Collège des Oratoriens in his native Beaune. From the age of 17, he taught mathematics at the Oratoriens de Lyon, then in 1771, mathematics and physics at the École de Génie established in Mézières. That same year, he came into contact with the physicist Jean Le Rond d’Alembert (1717-1783) and corresponded with the mathematician Nicolas de Condorcet (1743-1794), who encouraged him to submit four dissertations, one in each of the fields of mathematics he was studying at the time. It wasn’t long before his talents as a geometrician came to the fore: at the Ecole de Génie, he invented « Descriptive Geometry », which became part of the school’s curriculum and was essential to the industrial revolution just around the corner…
As for the future General Lazare Carnot (1753-1823), son of a Burgundian notary, after studying at the Oratoriens d’Autun (1762), he too entered the École du Génie de Mézières (1771), where he was taught by Gaspard Monge.
5. The Revolution of the Mind (1789)
In 1789, the Revolution turned the situation upside down. On February 13, 1790, all religious corporations and congregations were abolished by decree, and religious were ordered to swear an oath to the revolution. The all-powerful Church was totally challenged, and the few education that existed collapsed.
In a break with the Ancien Régime, the Constitution of 1791 asserted that « public instruction common to all citizens shall be created and organized. » A report and draft law were presented by Talleyrand (1754-1838) on September 10, 1791.
His Rapport sur l’Instruction publique, drafted in reality with contributions from some of the greatest scientists of the time (Condorcet, Lagrange, Monge, Lavoisier, La Harpe), represented a real break with the way education had been conceived under the Ancien Régime. It poses the question of public education in new terms, both in terms of principle (public education is presented as a political, social and moral necessity, and therefore as something the State must guarantee to its citizens) and in terms of form.
The plan encompassed the entire national education system, which was organized on four levels and whose establishments were distributed across the country according to administrative divisions. It laid the foundations for free education for all, including girls (separate schools and curricula), and specified that « the first elements of the French language, both spoken and written, will be taught ». In 1794, the jurist Bertrand Barère de Vieuzac (1755-1841) specified: « We will teach French to populations that speak Bas-Breton, German, Italian or Basque, in order to put them in a position to understand republican laws, and to attach them to the cause of the Revolution. » Due to lack of time, the bill was not passed.
In the bill, Talleyrand proposed the creation of an elementary school in each municipality. The Constituent Assembly had just established the territorial organization that is still in place today. The decree of December 14, 1789 had just created 44,000 municipalities (on the territory of the former « parishes »), which became « communes » in 1793. The law of December 22, 1789 created the départements, and the decree of February 26, 1790 set their number at 83.
6. The « Committee of Public Instruction » (1791)
A month after Talleyrand’s report, on October 14, 1791, the National Legislative Assembly created its first « Committee of Public Instruction », of which the mathematician and philosopher Nicolas de Condorcet (1743-1794) was elected president and lawyer Emmanuel de Pastoret vice-president. The other members were future general Lazare Carnot, deputy Jean Debry, mathematician Louis Arbogast and politician Gilbert Romme.
Condorcet also presided over one of the three sections, dealing with the general organization of public education. On March 5, 1792, he was appointed rapporteur for the draft decree on the general organization of public education that the committee was to present to the Assembly.
Educated at the age of 11 at the Jesuit college in Reims, he was sent to the Collège de Navarre in Paris at the age of 15. Throughout his life, he retained painful memories of this primarily religious education, which he criticized for its brutality and humiliating methods. His indignation led him to imagine a totally different approach. In 1791, in La Bibliothèque de l’homme public (The Public Man’s Library), he published five memoirs on public education, constituting a veritable plan.
They formed the basis of the project he drafted for the Legislative Assembly, and were approved by the Committee of Public Instruction on April 18 and presented to the National Assembly on April 20 and 21, 1792.
7. Condorcet and the « American Party »
A hagiographer of the physiocrat Anne Robert Jacques Turgot (1727-1781), while criticizing the sectarianism of the « economists », Condorcet, in terms of economics, largely shared his Physiocratic worldview, notably the establishment of a tax on agricultural income alone, considered to be the nation’s sole source of wealth, with industry seen as a « sterile » category of the national economy (see my article dealing with Karl Marx’s errors).
For the Physiocrats, great defenders of the land rent that made them fat, the enemy to be fought was the centralized, dirigiste and mercantile state that Jean-Baptise Colbert, following in Sully’s footsteps, had begun to set up.
This did not prevent Condorcet, more courageous than many of his generation, from taking center stage in openly supporting the American Revolution in its fight for dignity and emancipation against the horrors of the British Empire: slavery, the death penalty, human and women’s rights.
Although a friend of Voltaire, Condorcet wrote a vibrant eulogy of Benjamin Franklin. A friend of the influential English pamphleteer Thomas Paine, in 1786 he published « De l’influence de la Révolution d’Amérique sur l’Europe », dedicated to La Fayette. In this vibrant plea for democracy and freedom of the press, Condorcet considers that American Independence could serve as a model for a new political world. Along with Paine and du Chastellet, Condorcet contributed anonymously to an intermittent publication, Le Républicain, which promoted republican ideas. At the time, there were only a few states in the world known as republics (the Swiss cantons, Venice and the United Provinces, among others). Condorcet later had an argument with the second President of the United States, John Adams, whose encyclopedists scorned his proposal for a bicameral parliament.
Condorcet also made friends with the American president Thomas Jefferson, who promoted and published Condorcet’s writings in favor of the physiocrat Turgot in order to make them known in America. On July 31, 1788, Jefferson wrote to James Madison: « I am also sending you two little pamphlets by the Marquis de Condorcet, in which is the most judicious judgment I have ever seen on the great questions which are agitating this nation at this moment ». These were « Lettres d’un Citoyen des États-Unis à un Français et des Sentiments d’un Républicain ».
While in Paris, Jefferson frequented Mme de Condorcet’s cosmopolitan salon. Before returning to America, he received his closest friends one last time at his home, the Hôtel de Langeac: Condorcet, La Rochefoucauld, Lafayette and key organizer, Governor Morris.
After Jefferson’s return to America, Condorcet continued his dialogue with the American Secretary of State in Washington. On May 3, 1791, he sent him a copy of the report on the choice of a unit of measurement, presented by Borda, Lagrange, Laplace, Monge and himself to the Académie des Sciences on March 19, and subsequently submitted to the Assemblée nationale on the 26th. Indeed, it was a matter of common interest: on July 4, 1790, Jefferson had presented his Report on Weights and Measures to the American Congress, a copy of which he had sent to Condorcet. It was the same faith in progress that encouraged both men to support the idea of a universal, decimal system of measurement.
In a letter, Jefferson informed Condorcet of the work of a black American mathematician and astronomer, Benjamin Banneker, author of an almanac, of which he had sent him a copy. In his « Réflexions sur l’esclavage des nègres » (Reflections on Negro Slavery), Condorcet, though a staunch abolitionis, had expressed himself in favor of a gradual abolition of slavery, in the same way as Jefferson did in his « Notes on the State of Virginia ».
Jefferson oscillated in his positions, attributing the inferiority of blacks sometimes to natural causes, sometimes to the effects of slavery, while Condorcet – in agreement with Franklin – had always been convinced of the natural equality of all men.
In reality, the very man who became the third president of the United States owned over 600 slaves during his adult life. He freed two slaves during his lifetime, and five more were freed after his death, including two of his children from his relationship with his slave Sally Hemings. After his death, the remaining slaves were sold to pay off the debts of his estate.
Jefferson strongly opposed the « Federalists » like Alexander Hamilton, who promoted a strong federal state, Colbert-style economic dirigisme and mercantilism. Condorcet was to encourage Jefferson in his project of « agrarian democracy », the physiocratic vision of the great landowners that would become, until the arrival of Abraham Lincoln and his advisor Henry Carey, the ideology of the American Republican Party.
8. The « Condorcet » Plan
Progress of science and reason will lead to the happiness of societies and individuals, according to Condorcet. In Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain, he writes:
« Our hopes, concerning the future state of the human species, can be reduced to these three important points: the destruction of inequality between nations, the progress of equality within the same people; finally, the real perfection of man. »
Preferring « L’Instruction publique » to national education, he dreamed of an education totally independent of the State and free of dogmatism:
« Public authority cannot, even on any subject,
have the right to teach opinions as truths; it must not impose any belief. »
(Sur l’instruction publique, first memoir, 1791).
Outlining secular principles, for Condorcet, « the principles of morality taught in schools and institutes will be those which, founded on our natural feelings and on reason, belong equally to all men. »
At the National Assembly, he received massive applause when he declared :
« In these schools, the primary truths of social science will precede their applications. Neither the French Constitution nor even the Declaration of Rights will be presented to any class of citizens as tables descended from heaven, to be worshipped and believed. Their enthusiasm will not be based on the prejudices and habits of childhood; and they will be told: ‘This Declaration of Rights, which teaches you both what you owe to society and what you are entitled to demand of it, this Constitution which you must uphold at the expense of your life, are but the development of those simple principles, dictated by nature and reason, whose eternal truth you learned to recognize in your early years.
This Bill of Rights, which teaches you both what you owe to society and what you have the right to demand of it, this Constitution, which you must uphold at the cost of your life, is but the development of those simple principles, dictated by nature and reason, whose eternal truth you learned to recognize in your early years. As long as there are men who do not obey their reason alone, who receive their opinions from a foreign opinion, in vain will all chains have been broken, in vain will these command opinions be useful truths; the human race will no less remain divided into two classes, that of men who reason and that of men who believe, that of masters and that of slaves.' »
For those standing behind the Condorcet plan, the aim was to ensure the development of each individual’s abilities, and to strive for the perfection of humanity. His project proposed the creation of 5 categories of establishments:
- elementary school for civic and practical education ;
- secondary schools, with a focus on mathematics and science;
- institutions, providing training for primary and secondary school teachers in each département, and general education for pupils;
- lycées, training teachers and those « destined for professions in which great success can only be achieved through in-depth study of one or more sciences »;
- the Société nationale des sciences et des arts, whose mission was to manage schools, enrich cultural heritage and disseminate discoveries.
The plan was also characterized by the equality of ages and sexes in education, universal and free elementary education, and the freedom to open schools. Last but not least, religion was to be confined to the private sphere.
The project did not forget « the people », as weekly and monthly lectures for adults were intended to « continue education throughout life », an ambition taken up by Abbé Grégoire and Hippolyte Carnot.
As his son Paul Carnot recounts:
« In its short existence, the Constituent Assembly had only been able to pass on Talleyrand’s famous report to the Convention. After the no less famous reports by Condorcet and Lakanal, and the discussions of its Education Committee (almost as active as the Public Safety Committee), the Convention proclaimed the principles of compulsory, free and secular primary education, which are still ours today. The Declaration of the Rights of Man (art. XXII) proclaimed, with Robespierre, ‘Instruction is the need of all; society must favor, with all its power, the progress of public reason and put Instruction within the reach of all citizens’. »
Rarely were all parties in agreement on these points. The Girondins (Condorcet, Ducos) said, along with François Xavier Lanthenas (1754-1799), that « instruction is the State’s first debt to its citizens. »
On the subject of free education, Georges Danton said: « No one has the right not to educate his children. There is no real expense where there is a good use for the public interest. After bread, education is the first need of the people.
But the program of public education leading to the perfectibility of mankind thanks to reason, had not the chance to become a priority, as King Louis XVI, at the suggestion of General Dumouriez, went to the National Assembly to propose declaring war on Austria… Added to that, money for education wasn’t available.
Condorcet had to interrupt the lecture of his project. At the end of the afternoon of April 20, 1792, the Assembly adopted the declaration of war against the King of Bohemia and Hungary, unanimously minus seven votes. The following day, Condorcet completed the reading of his project. The Assembly decreed that the report be printed, but postponed discussion of it.
On May 24, Romme, on behalf of the Committee of Public Instruction, requested in vain that discussion of the report be placed on the agenda. Condorcet’s project, like Talleyrand’s report, did not have time to be debated, and was not adopted.
9. The battle under the « Convention » (1792-1795)
The protagonists of Year I (under the Convention) were hardly more decisive. A new Committee of Public Instruction was set up. It included Abbé Henri Grégoire, abolitionist and close friend of Lazare Carnot and later of his son Hippolyte, and Joseph Lakanal (1762-1845).
On December 12, 1792, Marie-Joseph de Chénier (1764-1811) read Lanthénas’s proposals, which echoed the ideas of Talleyrand and Condorcet. The discussions were fruitless, and the project was swept aside by Marat. Marat exclaimed that day:
« However brilliant the speeches we hear here on this subject may be, they must give way to more urgent interests. You are like a general who would amuse himself by planting and removing trees to feed starving soldiers. I ask that the assembly order the printing of these speeches, to attend to more important objects. »
The following year, Robespierre opted for a national education plan devised by Lepeltier de Saint-Fargeau (1760-1793). According to this plan, presented by Robespierre himself on July 13, 1793, education without a healthy dose of republican ideology would not suffice to regenerate the human race. It is therefore up to the State to inculcate a republican morality, by taking charge of the common education of children between the ages of 5 and 12.
On January 21, 1793, the King was beheaded. While Carnot, who only backed the decision to prevent any possible return to power of the Monarchy, Condorcet, who was opposed to the death penalty on principle, opposed it.
Debates on public education were delayed. It was not until the end of the year that compromise legislation on the organization of elementary school came into being, making education compulsory and free for all children aged six to eight, and establishing the freedom to all to open schools. The decree of December 19, 1793 stipulated that primary schools were the first level of instruction, teaching the knowledge strictly necessary for all citizens, and that those responsible for teaching in these schools would henceforth be called « instituteurs » (teachers). This decree was only partially implemented.
1794 saw a profusion of legislative texts on the subject including the decree of January 27, 1794 which imposed the use of the French language in all education.
On October 21, 1794, another decision organized the distribution of the first schools in the communes.
On October 30, at the instigation of Dominique Joseph Garat, Joseph Lakanal and the Comité d’Instruction Publique, the first « Ecole Normale » was created to train teachers. The law stipulated that « a teacher training college would be established in Paris, to which citizens from all parts of the Republic who were already educated in the useful sciences would be called, to learn the art of teaching under the most skilful teachers in all disciplines ». The school, planned for some 1,500 students, was set up in an amphitheatre at the Muséum national d’histoire naturelle, which was too small to accommodate the entire class. Although the school was soon closed, it nevertheless attracted a number of brilliant teachers, including the scientists Monge, Vandermonde, Daubenton and Berthollet.
On November 17, 1794, Lakanal had a law passed making education free, with the Republic providing salaries and housing for teachers, and authorizing the creation of private schools.
Also in 1794, Jacques-Élie Lamblardie, Gaspard Monge and Lazare Carnot, the institution’s founding fathers, were given the task of organizing a « Ecole centrale des travaux publics », renamed the « École Polytechnique » in 1795 by Claude Prieur de la Côte d’Or, not only to alleviate the shortage of engineers in post-Revolution France, but to create, by intensive training in projective geometry, a generation of scientific geniuses.
Unfortunately, in terms of universal schooling, the results in 1795 were disastrous: none of the decrees of 1794 had been implemented. Worse still, on October 25, 1795, a new law drafted by Pierre Daunou marked a step backwards: for lack of a budget, education was no longer free, teachers had to be paid by pupils (and their wealthy relatives), and the school curriculum was poor. This law remained in force until Napoleon’s texts on secondary and higher education in 1802. While it abandoned compulsory and free education, it did call for the creation of one elementary school per canton and secondary « central schools » in each département.
The new authorities set deadlines for municipalities to organize schools. They sent special envoys to see whether municipalities were taking the necessary steps to find and install a teacher.
In the towns and cities, the administration managed to recruit a certain number of candidate teachers, but in the countryside, the list often remained empty. In addition to the problem of recruitment, local authorities were faced with the problem of money, furniture, heating and books. Practising teachers complained about the shortage of pupils, as the republican school aroused mistrust. When the teacher ventured to replace the catechism and the Gospels with the Constitution and the Rights of Man, parents, encouraged by resistant priests, preferred to keep their children at home. The Comité d’Instruction Publique was inundated with questions, suggestions and requests.
On November 17, 1795, Lakanal had a new law passed by the Convention. Education remained free but not compulsory. It guaranteed a fixed salary and pension for teachers, and provided them with premises and housing. It authorized all citizens to set up private schools.
10. Lazare Carnot during the Cent-Jours (The Hundred Days)
On November 9, 1799, Bonaparte fomented a coup d’état and established the Consulate regime. As First Consul, he signed the Concordat with Pope Pius VII on July 16, 1801, abolishing the 1795 law separating Church and State.
Seizing the opportunity of the moment, and above all seeking to respond to immediate needs, the Minister of the Interior, the republican chemist and industrialist Jean-Antoine Chaptal (1756-1832), submitted to Bonaparte a project for the organization of secondary education, entrusted in particular to the Oratorians of Tournon. In 1800, he presented his « Rapport et projet de loi sur l’instruction publique » (Report and draft law on public education).
Recalled by the First Consul, Lazare Carnot was given the War portfolio, which he held until the conclusion of the Peace of Amiens in 1802, after the battles of Marengo and Hohenlinden.
An early revolutionary, but also a moderate and republican, he voted against the Consulate for life, then was the only speaker to vote against the Empire on May 1, 1804.
From then on, deprived of all political influence, he refocused on the Académie des Sciences. In 1814, he was entrusted with the defense of Antwerp, a city of which he became mayor: he held on for a long time, and only agreed to hand over the city on the orders of Louis XVIII.
But a few months later, the Emperor returned to power for the Hundred Days, from March to June 1815. It was at this point that Lazare, who had finally been threatened with arrest to the point of hiding out on rue du Parc-Royal, was appointed Minister of the Interior on March 22, 1815. And as this ministry included Public Instruction in its remit, he was able to launch the educational project that was so close to his heart.
Three days after his installation at the Ministry, Lazare Carnot commissioned a study on education. It was inspired by the work of the « Société d’encouragement pour l’industrie nationale », headed by philanthropist Joseph Marie de Gérando, who had also been educated by the Oratorians in Lyon and was a proponent of Mutual Tuition.
Carnot and his faction then founded the « Société pour l’Instruction Elémentaire » (SIE) to promote this type of education. For Carnot and Grégoire, education and instruction should « elevate all individuals of the human species to the dignity of Man », educate as much as moralize, and spread love among men.
During the Hundred Days, Carnot had just enough time to prepare, in April 1815, a « comprehensive plan for popular education », followed by a decree and the creation of a Special Commission for Elementary Education, tasked with outlining prospects in this area, drawing inspiration from English and Dutch models.
Familiar with the « brigades » invented by Gaspard Monge at Polytechnique, where the best students supervised the others, Carnot was in favor of the system of mutual tuition in popular schools. For him, the issue was not alleviating the suffering of the poor or avoiding social chaos, but educating every citizen of the Republic, whatever his conditions, to have a functial Republic. After spreading to England and Switzerland, Carnot established mutual tuition in France. Convinced of the importance of music and linear drawing, he wanted pupils to be taught it.
With this in mind, he met several times with Alexandre-Étienne Choron (1771-1834), who had also been educated by the Oratorians, and brought together a number of children to perform several pieces learned in very few lessons. Carnot had also known the pedagogue Louis Bocquillon, known as Wilhem (1781-1832), for ten years. He also saw the possibility of introducing singing into schools, and together they visited the Mutual Tuition pilot project on rue Jean-de-Beauvais, which had opened in Paris to three hundred children. Starting from there, Wilhem created the mass musical movement known as « Orphéons ». (see article by Christine Bierre)
11. Hippolyte carries on the Torch
Lazare, a pupil of Gaspard Monde and a scientific mind of the highest order, had strong ideas about education that would shape the personalities of his sons, notably Hippolyte, the future Minister of Public Instruction in the Second Republic. For the two Carnots,
« all social institutions must aim at the physical, intellectual and moral improvement of the largest and poorest classes ».
More than « full heads », he aspired to turn his sons into « well-made heads », « to let us know the taste of good things rather than make us infallible about the meaning of words », in the words of his younger son. For Lazare, it was a matter of putting to the test in the family the educational principles he advocated for the nation.
Although he had little interest in « dead languages » and was more interested in living ones, Lazare introduced his children to Latin, which was once again a compulsory language in the imperial lycées created in May 1802. For the rest, while their father’s rich library introduced Sadi Carnot and his brother Hippolyte to the classics that were essential to the humanist culture on which secondary education was based, it also introduced them to other, more contemporary and innovative thinkers.
Among them, Hippolyte was interested in those who addressed educational issues, such as Rousseau, but also in more original philosophers like Saint-Simon (whose movement was attractive but became a cult after his lifetime), of whom Lazare Carnot said:
« Here is a man who is called extravagant, yet he has said more sensible things in his entire life than the wise men who scoff at him […]. But he is a very original, very bold mind whose ideas deserve the attention of philosophers and statesmen ». Evoking his father, Hippolyte would later say, « The lessons we received were all intended to make us, like the master who gave them, virtuous without effort, wise without system. »
Lazare Carnot sends Hippolyte to the Polytechnic Institution, 8 avenue de Neuilly. According to Dalisson,
« the young Carnot received a Spartan education where, while discipline did not exclude corporal punishment under the rule of ‘Inspecteurs généraux’, pedagogy was innovative. Pupils were divided into classes according to age, and teaching combined intellectual and physical education through programs that complemented their father’s education. Hippolyte thus perfected his reading, ancient and modern languages, literature, mathematics, physics and geometry, and acquired a taste for chronology, history, drawing, music, fencing and dance, proving himself an excellent student in every respect.«
12. Exile of Lazare Carnot
After Napoleon’s second abdication, Lazare Carnot joins the provisional government. Exiled at the time of the Restoration, he was banished as a regicide in 1816 and retired to Warsaw, then to Magdeburg, where he devoted the rest of his life to study and, above all, the education of his children.
Dalisson: « when he’s not at school, he (Hippolyte) serves as secretary to his father, who continues his education ». In Magdeburg, « one of Carnot’s consolations was to complete the education of his young son, whose studies he directed more especially towards historical questions and social economics ». So it was in Prussia that Hippolyte found his way, abandoning the « hard » sciences to devote himself to philosophy in general, and political and social philosophy in particular. There, education had a privileged status since Frederick II had made primary education compulsory in 1763, envisaged a form of free education (for poor families) and created gymnasiums for secondary education. Enough to inspire Carnot père and fils to imagine how France could catch up.
Better still, as Dalisson points out:
« Prussia remains a kingdom which, like France a few years earlier, carried out a « levée en masse » (mass recruitment) in 1813 to drive out the invader. The link between popular education and national sentiment, between education and the economy, between liberalism and national education, is an obvious one, and ties in with the Carnot family’s educational ideals. That’s why, at the [prussian] government’s request, Lazare set up an educational project to create a « vocational school » in this distant host country. With the help of Hippolyte, he set up a complete teaching system for agriculture and industry. Although we have no trace of the text, it undoubtedly influenced the young man as much for his Parisian and liberal years as for his future ministry ».
13. Hippolyte with Abbé Grégoire
Back in France, Hippolyte contacted his father’s old friends, notably Abbé Henri Grégoire. An emblematic figure in the fight for the emancipation of Jews and blacks, this « revolutionary bishop » called for the total abolition of privileges and advocated universal male suffrage.
In principle, Hippolyte approved. However, in practice, after observing the people’s infatuation with public executions, he discovers how easily a crowd can be led, even manipulated, by playing on irrationality, passion and impulses – all things that make the use of universal suffrage tricky, and can lead to dictatorship. He concludes that popular education must enlighten the people to bring them back to more fraternal and reasonable sentiments.
For Abbé Grégoire, as for Carnot père and fils, slavery must be abolished, nations must free themselves from Empires by recovering their sovereignty, and education must free citizens from ignorance, a set of subjects marvelously brought together in the iconography of the bas-reliefs on the base of the statue of Gutenberg in Strasbourg, a commemorative monument created by a friend of both Grégoire and Hippolyte, after Victor Hugo, the sculptor David d’Angers.
As a member of the Comité d’Instruction Publique, Henri Grégoire called for the generalization of the French language, as the Oratorians had done before him, and became the rapporteur for the abolition of the old academies and the creation of the Institut.
The opening of a whole series of « special schools », such as the Ecole polytechnique (1794) and the Institut des langues orientales (1795), the establishment of the Musée du Louvre (1793), the preliminary project for a Bibliothèque nationale (1790), the creation of the Bureau des Longitudes (1795), the introduction of new units of weights and measures, the metric and decimal systems, the extension of elementary schools to all communes and one of the jewels in the crown of this policy: the founding of the Conservatoire National des Arts et Métiers (1794), owed much of their success to the boundless energy of Abbé Grégoire.
The aim was to transmit technical knowledge to two types of audience. On the one hand, the « grandes écoles », aimed at the country’s new elites, provided high-level education to train scientists and engineers (École polytechnique, Ponts et chaussées, etc.) or the future teachers of the new public education system with the École normale (1794); on the other hand, schools designed for middle management in factories, good workers and workshop managers: this was the case of the écoles d’arts et métiers, heirs to the vocational school imagined in 1780 in Liancourt (60) by the Duc de la Rochefoucauld-Liancourt.
Grégoire also established several major institutions that still exist today, including, in addition to those already mentioned, the Natural History Museum (1793), the Royal Garden of Medicinal Plants (1793) and the Museum of French Monuments (1795).
Grégoire introduced the young Hippolyte to the Masonic lodge of which he was a member, Les Philadelphes. Inspired by Grégoire’s struggle, of which he would be the executor and about which he would publish a work towards the end of his life, Hippolyte, barely 23 years old, published « Gunima, an 18th-century African short story » (1824), a philosophical tale recounting the moral education of young Benjamin who, equipped with the principles of the Enlightenment, confronts his prejudices and the injustice of the slave and servitude regime of the so-called Hottentots of the Cape. Surprisingly modern, the story takes up the challenge of fraternity at a time when France was responding to Haiti’s demands for recognition.
True to the philosophy of Abbé Grégoire, he protested against the expulsion of Jews from Dresden, where they were forbidden to stay. Indignant, he tried to alert public opinion: since 1789, Jews have been French citizens like any others. He reaffirmed his faith in freedom of worship, which had enabled the emancipation of the Jews, and exclaimed:
« If we call a Jew someone who, from his mother’s womb, society condemns to the vilest slavery, who vegetates without rights in his homeland and serves as a breastplate for the insults of the rabble, to whom his actions deserve nothing (…) and who is relentlessly pursued by shame and contempt, then I am a Jew and always will be ».
14. Like Schiller, patriot and world citizen
From Dalisson‘s book:
« Carnot’s position is summed up at a celebration in homage to the French Revolution on March 19, 1838 in Paris. In the name of ‘holy equality, solidarity between all peoples and all races of men in a spirit of fraternity’, he toasted ‘the abolition of slavery, the cessation of this awful scandal of humanity’.
« From that day on, he collaborated regularly with Victor Schoelcher, a journalist, Freemason, close to the Saint-Simonians and member of the same societies as himself, whom he would meet again three years later in the government of the Republic, then in exile. Schoelcher had been confronted with slavery in Cuba as early as 1828 and also believed that their emancipation should be gradual, before changing his mind and becoming a supporter of immediate abolition.
« Freedom must also apply to peoples and therefore to nations, because ‘the principle of all sovereignty lies in the nation’. A son of 1789, educated during the struggles for national emancipation, a student steeped in Romanticism, passionate about the revolts of the fifties and thirties before being caught up in the « Spring of the Peoples », Carnot placed his trust in the freedom of nations: « Salvation will come from peoples uniting to overcome the common enemy, despotism. If liberated nations and peoples manage to get along and unite, they will even build ‘United Europe’.
« Throughout the century, he would support all national struggles, and hence national unity, against empires that oppressed minorities. For nationality ‘is the human right proclaimed in 1789, the right to group together according to one’s affinities of character, tradition, race and language, and is basically LIBERTY itself’.
Even after the 1870 war, he was convinced of a kind of « right of peoples to self-determination » in a Europe founded on the freedom of peoples.
In his writings on foreign policy, notes Dalisson, he regularly recalled Friedrich Schiller‘s maxim: « Man is created free, he is free, even if he is born in chains. (…) Do not tremble before the free man. This freedom of peoples and nations must even be based, horresco referens, on the necessary reconciliation between France and Germany, two neighboring peoples who have been separated by the vicissitudes of history, but who are « two friends who have been divided by long quarrels and who need to explain themselves ».
15. The 1830 Revolution
The Revolution of 1830, also known as the July Revolution or the « Three Glorious Days », took place in Paris on July 27-28-29, 1830. Parisians, at that time the foremost revolutianary citizenry, rose up against the reactionary policies of King Charles X’s government. One of them, was Hippolyte Carnot who had transgressed his legendary moderation, took a rifle and joined those on the barricades. The question immediately arose: « What should replace the king? » Many intended to restore the Republic.
On July 30, deputies and journalists in favor of the Duc d’Orléans put up posters recalling the « patriotic » past of the duke, a veteran of Valmy who claimed to be in line with the ideas of George Washington, and his commitment to the future: he would be « a citizen-king ».
Unconditionally, the representatives of the people (95 deputies present in Paris) proposed that the Duc d’Orléans be appointed Lieutenant-General of the kingdom.
On July 31, he accepted the position and went to Hôtel de Ville in Paris, the Republican headquarters. There, before a gathered crowd, he was embraced by La Fayette, both wrapped in the tricolor flag. Lafayette felt that a gradual transition to a republic could only be achieved through a constitutional monarchy. On August 9, the deputies amended the Charter of 1814 to become the constitutional « charter » of 1830, and the Duc d’Orléans was proclaimed « King of the French » under the name of Louis-Philippe I.
Hippolyte Carnot, always a moderate, believed in « representative democracy » and was elected three times as a deputy under the Monarchy of 1830. A spokesman of the opposition to the regime, he prepared for what was to come.
16. Minister of Public Instruction under the Second Republic (1848)
After an initial attempt to re-establish republican values, neutralized by Louis-Philippe’s « Coup d’état » in 1830, the uprisings of 1847-48 succeded in February 1848 with the formation, at Paris City Hall, of the « Provisional Government » led by several friends of Hippolyte Carnot, to establish the « Second Republic ».
The provisional government’s first measures were intended to break with the previous period. The death penalty was abolished in politics. Corporal punishment was abolished on March 12, and « contrainte par corps » (imprisonment for debt) on March 19.
On March 4, a commission was set up to resolve the problem of slavery in the French colonies. Under the aegis of the Minister of Colonies, the Republican astronomer François Arago, a close friend of Alexander von Humboldt, and whose Secretary of State was Victor Schoelcher, its work led to abolition on April 27.
In the political sphere, the changes were significant. Freedom of the press and of assembly were proclaimed on March 4. On March 5, the government instituted universal male suffrage, replacing the censal suffrage in force since 1815. In one fell swoop, the electorate rose from 250,000 to 9 million…
This democratic measure made the rural world, which accounted for three-quarters of the population, the master of political life for many decades to come. Elections for a Constituent Assembly are scheduled for April 9. Lafayette’s National Guard, previously reserved for notables and shopkeepers, was made accessible to all citizens.
The provisional government proposed appointing Hippolyte Carnot to the Ministry of War or the Interior; he declined the offer, but accepted the Ministry of Public Instruction (which Victor Hugo had just refused), to which was added the Ministry of Religious Affairs, which until then had been the responsibility of the Ministry of Justice. Carnot’s desire to see cults be part of public education was based not only on his lack of hostility to the Church, but also on his belief that a close alliance between the Republic and the lower clergy was the best guarantee of progress.
« I myself, » he wrote, « have religious sentiment too deeply engraved in my heart not to be and not to want those around me to be full of deference towards the ministers of all religions. » And again: « My constant efforts have been aimed at reattaching the lower clergy to the Republic. The minister of religion and the schoolmaster are, in my eyes, the columns on which the republican edifice must rest. »
17. Hippolyte Carnot’s reforms
En s’appuyant sur le degré d’instruction des Français à l’âge du mariage, cette carte met en
évidence une grande disparité entre les régions. Ainsi, le taux d’alphabétisation des
habitants du nord et de l’est est-il nettement supérieur à celui des habitants du sud et de
l’ouest. La France alphabétisée est celle des grandes villes, des campagnes riches et des
populations denses.
During his very short ministry, armed with an overall vision that had been carefully thought through and prepared in advance, he announced, sometimes several times a week, republican reforms of all the major areas of education, from early childhood through to adults, including teacher training, senior civil servants and all citizens. Declaring in his preparatory notes that « it is important that the various levels of the education system integrate into each other, leading directly from one to the other ».
A. Nursery schools
For Carnot, « salles d’asile » were little more than charitable establishments run by nuns. Little was done to educate infants. Their name, reminiscent of misery and almsgiving, was replaced on April 28 by « nursery school ». « The child should find there the education he cannot receive from his mother, i.e. the care of the body, the language of feeling, and those little exercises intended, not yet to furnish the intelligence, but only to open it up ».
In the minds of Jean Reynaud (Under-Secretary of State for Public Instruction) and Carnot, the asylum was neither a school of instruction, nor a place of refuge for children deprived of their parents. At the same time, a « normal nursery school » was set up in Paris, for pupils aged between twenty and forty.
B. Primary schools
As early as February 27, in a circular to the rectors, Carnot expressed his intention to improve the condition of primary school teachers: « The condition of primary school teachers is one of the main objects of my solicitude…. It is to them that the foundations of national education are entrusted. It is not only important to raise their status through a fair increase in their salaries; the dignity of their function must be enhanced in every way…. Instead of sticking to the education they have received in elementary school, they must be constantly encouraged to improve it… There is nothing to prevent those who are capable of doing so from rising to the highest echelons of our hierarchy. Their lot in terms of advancement cannot be inferior to that of soldiers; their merit is also entitled to conquer ranks… However, to ensure that all are encouraged to emulate each other in such a glorious way, intermediate positions must be guaranteed. This will naturally be achieved by extending the teaching of mathematics, physics, natural history and agriculture to higher elementary school. In the name of the Republic, primary school teachers will therefore be invited to prepare themselves for the recruitment of staff for these schools. This is one of the complements to the establishment of primary teacher training colleges. It is in the interest of the Republic that the doors of the university hierarchy should be opened as wide as possible to these popular magistrates ».
On June 30, the Minister therefore tackled primary education. Before him, the ordinance of February 29, 1816 had marked a turning point. It established a cantonal committee to oversee schools and, in article 14, obliged communes, without giving them the means to do so, to « ensure that the children who live there receive primary education, and that indigent children receive it free of charge ». In short, primary education was left entirely to the communes, which in turn, for lack of premises and resources, called on religious congregations.
The minister therefore proposed « to raise the status of teachers by transforming them from commune officials into state officials », to emancipate them from local potentates, parents and clerics. For « it is certainly necessary that the teacher be accepted in his commune, but if he depends too much on it, he is not considered enough. It is therefore important that he cannot be capriciously dismissed ». With this in mind, he abolished the « certificate of morality », which had tied schoolteachers to the Church and, incidentally, to the government.
In addition to the compulsory schooling (for both sexes and for communes of at least 300 inhabitants) and total free education already mentioned, he wanted to complete the curricula to form a « uniform core curriculum (…) designed to review everything and serve to determine vocations », prefiguring the school of Jules Ferry and going further than just reading, writing and arithmetic.
In addition to national history and geography, several of Carnot’s favorite subjects, singing, natural history and linear drawing – three subjects designed to develop and educate – there are several specific features to be found in the new texts. The first, which would be taken up again thirty years later, is a kind of civic instruction that the Minister describes as « the duties and rights of man and citizen, the development of feelings of liberty, equality and fraternity (…), the basis of a civic education for the republican education of the country ».
Hippolyte had been elected to the Constituent Assembly on April 23, 1848. When, on May 10, 1848, the « Executive Commission » (May 9 – June 28, 1848) replaced the « Provisional Government » (February 24 – May 9, 1848), he retained his portfolio; but the executive, « in order to strengthen the revolutionary element », appointed Jean Reynaud (1806-1863), a former Saint-Simonian like himself, also elected as a representative, as Under-Secretary of State: I knew the real moderation of his principles, » Carnot wrote; « he knew the firmness of mine, and together we laughed at the role they were trying to assign him« . Edouard Charton (1807-1890), also a former Saint-Simonian and now a member of the Assembly, resigned as Secretary General, but continued his good offices without an official title.
Among Carnot’s actions in this second period of his ministry, we should mention the tabling, on June 3, of a draft decree opening a credit of 995,000 francs, intended to increase, for the second half of 1848, the salaries of those primary schoolteachers whose fixed and contingent salaries remained below six hundred francs; and a second credit, of 105,000 francs, intended to assist, during 1848, female communal schoolteachers whose fixed and contingent salaries remained below four hundred francs (the decree was voted on July 7).
C. Explanatory memorandum to the June 1848 School Act
The drafting of the primary education law continued in a small committee, charged with coordinating the work prepared by the High Commission. It was completed in the course of June, but the submission of the draft, delayed by events, could only take place on June 30, 1848. The explanatory statement reads as follows:
« Citoyens représentants, the difference between the Republic and the monarchy should nowhere be more profoundly demonstrated, in the field of public education, than in what concerns elementary school. Since the free will of the citizens must henceforth give the country its direction, it is on the proper preparation of this will that the future salvation and happiness of France will depend.
« The purpose of primary education is thus clearly defined. It is no longer simply a matter of equipping children with the notions of reading, writing and grammar; the State’s duty is to ensure that all children are brought up to be truly worthy of the great name of citizen that awaits them. Primary education must therefore include everything necessary for the development of the human being and the citizen, as the current conditions of French civilization allow us to conceive them. At the same time as introducing a greater body of knowledge into this teaching, it must also contribute more directly to moral education, and particularly to the consecration of the great principle of fraternity that we have inscribed on our flags, and which it is essential to make penetrate and live everywhere in people’s hearts if it is to be truly immortal.
« It is here, citizens, that primary education joins religious education, which is not the responsibility of the schools, but to which we sincerely appeal, to whatever religion it relates, because there is no more solid and general basis for the love of men than that which is deduced from the love of God.
« The establishment of the Republic, in giving primary education this new tendency, also required, as natural consequences, two important measures, which are to make this education free and compulsory.
« We want it to be compulsory, because no citizen can be exempted, without damage to the public interest, from an intellectual culture recognized as necessary for the proper exercise of his personal participation in sovereignty.
« We want it to be free, because we want it to be compulsory, and because there should be no distinction between the children of the rich and those of the poor in the schools of the Republic.
« We ask you to proclaim the freedom of education, i.e. the right of every citizen to communicate to others what he knows, and the right of the father of a family to have his children brought up by the teacher of his choice. We consider the declaration of this right as one of the legitimate and sincere applications of the word of liberty that our Republic has enthusiastically thrown into the world (…). (…) It even seemed to us that it would not be the least of the means of raising the standards of public schools to allow private schools to flourish, on condition that in this career of emulation, the former did not lack any favorable chance (…) In a word, citizens, the idea according to which we have directed ourselves has been the continual union of the principle of authority with that of liberty. (…) It is in this conciliation between two equally respectable principles that the whole spirit of the law we have the honor of submitting to you consists. »
Source : Hippolyte Carnot, Bulletin des lois, 1848
D. Schoolteachers called to enlighten the countryside
On March 5, a decree set April 9 as the date for convening the electoral assemblies for the appointment, by universal suffrage, of the « Constituent Assembly », which would sit from May 4 to 26. These were the first elections since 1792 to be held by universal male suffrage.
By decision of the Second Republic, the number of voters, which rose to 9,395,035, was multiplied by 40 !
However, as we have said, while Hippolyte Carnot was theoretically in favor of universal suffrage, with the vast majority of French people uneducated, the expression of the vote was likely to lead to disaster. No part of primary education, he writes, « has been more neglected under previous governments than the training of children as citizens ». As a result, many of the voters who have just been invested with the right to vote by the decree of the provisional government are not, especially in the countryside, sufficiently educated in the interests of public affairs.
To try and enlighten these voters about their rights and freedoms, Carnot appealed to schoolteachers:
« Encourage those around you who are capable of such a task to compose short manuals for your schoolteachers, with questions and answers, on the rights and duties of citizens. See to it that these books reach the teachers in your jurisdiction, and that they become in their hands the text of profitable lessons. This is what is going to be done in Paris before my eyes; imitate it. Let our 36,000 primary schoolteachers rise to my call and immediately become the repairers of public education for the rural population. May my voice reach even our last villages! I beg them to do their part in founding the Republic. It’s not a question of defending it against the danger of its borders, as it was in the days of our fathers; it’s a question of defending it against ignorance and lies, and it’s up to them to do this. New men, that’s what France needs. A revolution must not only renew institutions, it must also renew men. You change your tools when you change your work. This is a fundamental principle of politics. But schoolteachers, in enlightening voters, must not only teach them to choose the representatives most capable of consolidating the democratic regime; they can do more: « Why shouldn’t our primary schoolteachers put themselves forward, not only to teach this principle, but to take their place among these new men? There are some, I have no doubt, who are worthy: let a generous ambition ignite in them; let them forget the obscurity of their condition; it was most humble under the monarchy; it becomes, under the Republic, most honorable and most respected (…) Let them come among us, in the name of these rural populations in whose bosom they were born, whose sufferings they know, whose misery they share only too much. Let them express within the legislature the needs, wishes and hopes of this element of the nation, so vital and so long neglected. Such is the new service which, in these revolutionary times, I claim from the zeal of Messieurs les instituteurs primaires. »
These were words the like of which France had not heard since Year II. They caused deep emotion; they put the flame in the heart of all that was young and generous in the primary teaching staff, at the same time as they produced the most lively irritation in the conservative camp. Furious, Léon Faucher wrote to a friend on March 7: « Read Carnot’s circular to the rectors. It’s a masterpiece of madness!«
The Minister’s call for textbooks on the rights and duties of the citizen was heard. In several académies, rectors had civic education catechisms written and published. In Paris, the historian Henri Martin published a Manuel de l’instituteur pour les élections; the philosopher Charles Renouvier published, under the auspices of the Minister, a Manuel républicain de l’homme et du citoyen: both works were sent to the rectors and distributed by them.
Their electoral efforts were not crowned with success. The elections finally held on April 23 gave a majority to the moderates (« camouflaged monarchists » and « moderate republicans »). The « advanced » Republicans, including Carnot, were clearly defeated. The new assembly met on May 4. It proclaimed the Republic and put an end to the existence of the provisional government. It elected an « Executive Commission » from which the most progressive elements of the provisional government were excluded.
E. Secondary Education
Then, on February 28, a circular outlined the program of the Minister and his collaborators, « unfolding the general principles of our undertaking », said Carnot. It read:
« It is necessary, in the interests of society, that a certain number of citizens should receive knowledge beyond that which is sufficient to ensure human development. The establishment of secondary education is the answer. The republican government intends to recruit these essential agents from the mass of the people. It is therefore necessary to ensure that the doors of secondary education are not closed to any of the elite students who perform in primary schools. All necessary measures will be taken in this respect. – It is only in the higher schools that the principle of specialization, cautiously prepared for in the others, should fully take shape. No one can be denied access to the lessons of these schools; but it is with a view to students worthy of serving the general interest that they must be instituted. Only the decision of examinations can confer full rights. »
F. School of Administration
A decree dated March 8, 1848 announced that a:
« School of Administration, intended for the recruitment of the various branches of administration hitherto lacking preparatory schools, will be established on a basis similar to that of the Ecole Polytechnique ».
For Carnot, the aim was to create a home capable of « radiating » the « republican light » throughout France, by promoting the philosophical values of human rights. It was not up to the private sector, but rather the State, to establish « a seedbed for public service » by training administrators who would devote themselves body and soul to the general interest. In the absence of sufficient subsidies, the school was set up in a dilapidated building, the former Collège du Plessis, and the Ministry provided the chairs; students were required to attend lectures at the Collège de France, which were then repeated and commented on by lecturers. The curriculum was eclectic: alongside vocational training, « a large part was devoted to scientific studies, but also to literary studies, which furnish the intellect and give it breadth ». Unlike today’s ENA, this school did not teach « management » and statistics, but architecture, drawing, art history and oriental religions. Caught up in the political turbulence, this school did not survive the minister who founded it, but it would go on to become a benchmark.
G. High Commission for Scientific and Literary Studies
In preparation for a new law on primary education, and to find solutions to the new issues that were arising, Carnot set up a High Commission for Scientific and Literary Studies, chaired by Jean Reynaud, and including « the most notable men and friends of progress in the sciences, letters, administration and, above all, teaching ». Among the 45 members of the Commission were songwriter Pierre-Jean de Béranger, Boussingault, Henri Martin, Poncelet, Edgar Quinet and Charles Renouvier.
H. Lifelong Education for all
In terms of education, the situation in 1848 remained disastrous. Out of 300,000 conscripts, more than 112,000 could neither read nor write. Among the oldest, the proportion was even higher. Hence the decree of June 8, which instituted public evening readings in Paris, « intended to popularize knowledge of the masterpieces of our national literature ». These readings were to take place twice a week, « in various venues located, as far as possible, in the most populous districts of Paris ».
The Minister’s priority target is the peasants – two-thirds of the population – who have no association structures and are far from the towns and schools. It was they who had to be converted by reading, the key to education and emancipation, and brought into the schools:
« The teachers, now librarians, will read to them, aloud and intelligibly, and will be able to instruct them, interest them and (…) enthuse them about the political life of the country. Teachers, according to their availability, will provide general instruction in agricultural matters and readings in the schoolhouse or town hall, for civics and even literature. »
I. People’s Libraries
Based on the observation that « we lack reading books for the people as there are elsewhere », the Minister set up a vast public network of communal libraries of all sizes. He commissioned the publisher Paulin to assemble collections of the widest possible variety of books in every city district and rural canton, and make them available to the public free of charge. He also created a whole range of complementary establishments, such as special libraries near faculties, to make the most learned knowledge available to as many people as possible. Based on an idea by Jules Simon, he set out to create popular and rural libraries, which he renamed « circulating collections », with teachers who would « travel to small villages and bring to isolated children the instruction they could not find elsewhere ». The « missionary librarians » of these itinerant establishments would be « teacher-curators of the little people’s library », guiding the public, checking loans and reading on demand.
The creation of an official Service des lectures publiques du soir in the spring of 1848 should be seen in this bibliophile light. The aim was always the same: to give the best to the people. As Émile Deschanel explains:
« The Minister of the Republic wanted the sovereign people to have their own readers and teachers too. This service, as political as it is moral, is reminiscent of the sessions organized by philanthropists and Saint-Simonians, intended to replace cabarets and over-served balls. They would enable the worker (and later the peasant) tired « of daily toil to find a convenient asylum, a pleasure that would carry with it instruction, good advice and the familiarity of the great minds of our race ».
The aim was to popularize heritage texts and, if necessary, to comment on them in order to « nobly instruct listeners while amusing them », as the former Saint-Simonian Sainte-Beuve put it. The program of these readings must be varied to avoid fatigue. The great classics such as Corneille and Molière alternated with Michelet-style history, which had an obvious civic function, and comedies or songs such as those by Béranger.
The first Parisian screenings, attended by respectful workers and craftsmen, were a success « in an attentive silence where the slightest impressions were painted on faces ». The Minister noted amused reactions to the comedies, patriotic ones to the evocation of great battles such as Crécy, critical ones to the pompous style and bewildered ones to the Fables de la Fontaine. With this in mind, the Ministry envisaged the creation of a free Athénée based on the German and American models. The idea would be to bring together a handful of teachers in an amphitheater or former auditorium to offer free tuition, open to all and delivered by « pioneers in as yet unexplored fields » of science and technology.
J. Fine Arts, Hygiene and Gymnastics
In addition to « elements of national history and geography », he added French, public law and hygiene, not forgetting gymnastics to improve the health of the most disadvantaged. This was the adult version of what the new school and republican instruction would offer all French children. These courses should even bring art within everyone’s reach, through the promotion of heritage: « Is there a more powerful means of popular education? » he says, referring to art in general and the Beaux-Arts in particular.
In concrete terms, on March 29, the Minister and thirteen teachers founded the Association Philotechnique to provide workers with the professional and technical knowledge required for modern trades. The association agreed on courses in geometry, grammar, algebra, mechanics and drawing, to be given in the rooms of the Halle aux draps, and later at the École Turgot. Teachers from Parisian high schools are the first to be called on by the association to complete the training in history and law. The experiment began in early April, with 150 dyer-workers from the faubourg Saint-Marcel learning about science in the amphitheater of the pharmacy school. Vocational training soon spread to the provinces, including Orléans, before disappearing in the tumult of June.
Carnot wanted to go further, and envisaged « club-schools » based on the Scottish model of « Mechanic-institutions », i.e. lecture halls, libraries and permanent courses for workers in buildings adjoining factories. Keeping abreast of Braille’s work, he also took an interest in the deaf and blind, for whom he intended to multiply the number of specialized institutions under his ministry, rather than the Interior.
K. Citizen Concord
To crown this democratization, Carnot considered one of the Revolution’s most original methods: civic education through public festivals. At the end of February, he had already tested their civic virtues by taking part in the planting of a Tree of Liberty, a ritual practice in 1848, in the gardens of Saint-Nicolas in Paris. In this establishment specialized in the education of workers’ children, the ceremony was placed under the sign of the Three Colors. The clergyman blessed the tree, as is customary, in the presence of the mayor of the arrondissement. The Minister’s speech was edifying:
« The tree you are planting is as young as the Republic itself (…) It will spread its branches over you, just as the Republic will spread the benefits of popular education over France. (…) Good pupils become good citizens ».
The Minister of Education was also impressed by the « Fête de la Concorde » on March 21, between the Bastille and the Champ de Mars, with its parades, civic statuary, reviews of industrial works, hymns to the Republic and reformist enthusiasm. This civic pedagogy seemed effective to him, thanks to its symbolic representation of the regime and its « crowd of men obeying a common inspiration ».
18. Conclusion
By way of conclusion, here’s the end of that of Remi Dalisson, whose magnificent biography of Hippolyte Carnot we highly recommend:
« His practice is his legislative texts on instruction, including school curricula, as varied as they are innovative, like those of his School of Administration or the ‘nursery school’. They make Carnot the undisputed precursor of Jules Ferry and the educational and civic project of the Third Republic. His laws and decrees were designed (…) to emancipate children and turn them into active, critical citizens in a peaceful, moderate and socially fluid democracy, under the aegis of restored teachers, symbols of the new times.
« His practice was his fights and commitments, first and foremost in the opposition, to which he belonged for a long time. His early writings against the death penalty, his participation in the events of 1830, his role in the 1848 Assembly, his fight for teachers, for whom he spent lavishly, and his voluntary exile are all worthy of note. (…)
« In a century crushed by the memory of two world wars, by the erasure of the Republic under Vichy and then by decolonization and the fall of Communism, forgetting 1848 and its social and educational hopes speaks volumes about our mental structures and our memory. This kind of amnesia, which does not prevent the often anachronistic sacralization of the republican corpus, has consigned Hippolyte Carnot and the whole of the 19th century to a sad oblivion. The period no longer evokes much of anything, apart from the occasional spotlight. It has even been sacrificed in teaching, as if only the 20th century were worthy of study.
« At a time when the French educational model is being called into question, when the republican school is doubting its missions, when secularism is also being discussed and when teachers feel abandoned, it is more necessary than ever to understand the roots of an educational system intimately linked to the republican regime. To this end, at the dawn of the 21st century, a reappraisal of the life and work of Hippolyte Carnot, a staunch defender of freedom, schools, Clio and the Republic, can lay the foundations for renewed, civic-minded reflection on the school system.«
19. Appendix: list of works by Hippolyte Carnot
- Gunima, an 18th-century African short story (Paris, Barba, 1824).
- Le Gymnase, a collection of morals and literature (Paris, Balzac, 1828).
- Doctrine de Saint-Simon (Brussels, Hauman, 1831).
- Mémoires de Grégoire, Évêque constitutionnel de Blois (Paris, Dupont, 6 vols., 1837-1845).
- Quelques réflexions sur la domesticité (Paris, Henry, 1838).
- Rapport sur la législation qui règle dans quelques états d’Allemagne les conditions de travail des jeunes ouvriers (Paris, Imp. Royale, 1840).
- Mémoires de Barère de Vieuzac (avec David d’Angers) (Paris, Labitte, 4 volumes, 1842-1844).
- L’Allemagne avant l’invasion française (Fragments*, Paris, Revue indépendante, 1842).
- L’Allemagne pendant la Révolution (Fragments*, Paris, Revue indépendante, 1843).
- Les Esclaves noirs (Paris, Magasin pittoresque, 1844).
- De l’esclavage colonial (Paris, Revue indépendante, 1845).
- Les Radicaux et la Charte, (Paris, Pagnerre, 1847).
- Le Ministère de l’Instruction Publique et des Cultes, 24 février-5 juillet 1848 (Paris, Pagnerre, 1848).
- Éducation républicaine, (Paris, Prost, 2 vols., 1849).
- L’insurrection littéraire en Allemagne (Fragments*, Paris, Liberté de penser, 1848).
- Le Mémorial de 1848, (Paris, Revue indépendante, n.p. 1849).
- Doctrine saint simonienne (Paris, Librairie nouvelle, 1854).
- Mémoires sur Lazare Carnot par son fils (Paris, Pagnerre, 1861-63, reed. in 1893 and 1907, Hachette).
- Œuvres de Saint-Simon by Enfantin, preceded by two historical notes by H. Carnot (Paris, Dentu, 1865).
- La Révolution française, résumé historique (2 vols., Paris, Dubuisson et Pagnerre, 1867).
- L’Instruction populaire en France (Paris, Degorce-Cadot, 1869).
- Trois discours sur l’instruction publique, (Paris, Degorce-Cadot, 1869).
- Cours de l’association philotechnique pour l’instruction gratuite des adultes (Paris, Parent, 1872).
- Ce que serait un nouvel Empire (Paris, Société du patriote, Bibliothèque utile, 1874).
- Lazare Hoche, général républicain (Paris, Société du patriote, Bibliothèque utile, 1874).
- D’une École d’Administration (Versailles, Aubert, 1878);
- Henri Grégoire, évêque républicain (Paris, Libraire des publications populaires, 1882).
- La Révolution française (Paris, Boulanger, 1888).
- Les premiers échos de la Révolution française au-delà du Rhin (Paris, Picard, 1888).
20. Short list of books and articles consulted
- Rémi Dalisson, Hippolyte Carnot, la liberté, l’école et la République, CNRS Editions, Paris 2011.
- Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le ministère de l’Instruction publique de la IIe République, PUF, Paris, 1948.
- Jacques Cheminade, Lazare Carnot, l’organisateur de la victoire.
- Jacques Cheminade, L’exemplarité de l’oeuvre d’Henri Grégoire et de Lazare Carnot, 2005.
- Jacques Cheminade, Dino di Paoli and Claude Albert, L’Ecole polytechnique et la science de l’éducation républicaine, Campaigner publications, 1980.
- Website: Le temps des instituteurs.
- Karel Vereycken, The statue of Gutenberg in Strasbourg, the republican fight of David d’Angers.
- José Manuel Menudo, Une apologie des physiocrates par Condorcet, Dixhuitième siècle N° 46, pp 657 to 672.
- Condorcet, De l’influence de la révolution d’Amérique sur l’Europe (excerpts).
- Manuel Albertone, Condorcet, Jefferson and America.
- Dorette Huggins, John Adams and his reflections on Condorcet.
- E. -T. Hamy, Correspondance d’Alexandre de Humboldt avec François Arago, 1907, Paris.
Londres
La légende des corbeaux de la Tour de Londres
La présence des corbeaux est liée à une croyance selon laquelle tant que les corbeaux restent près de la Tour, l’Angleterre sera protégée de toute invasion.
Charles II, alors roi d’Angleterre au XVIIe siècle, décréta qu’au moins 6 corbeaux devaient être gardés à la Tour à tout moment, afin d’éviter les catastrophes. Une mauvaise idée selon son astrologue John Flamsteed. Incommodé par les corbeaux dans ses travaux d’observation du ciel, il se plaint au roi, qui décida de les abattre. Mais, le roi s’avisa lorsqu’on lui déclara que sans ces oiseaux dans la Tour, la Tour de Londres s’effondrerait avec son royaume. C’est alors qu’il décréta que les corbeaux devaient être protégés. Tradition qui perdure encore de nos jours.
Afin d’éviter que les corbeaux ne s’échappent de la Tour de Londres, leurs ailes ont été taillées, ce qui rend impossible toute fuite. On peut les apercevoir, en plein air, près de la tour Wakefield, car leurs appartements se trouvent à proximité. Vous rencontrerez, probablement aussi, le Ravenmaster, c’est à dire le maître des corbeaux, chargé de prendre soin de ses petits protégés, en les soignant et nourrissant.
Un rôle très sérieux puisque, une autre croyance veut que si les deux corbeaux de la Tour de Londres venaient à disparaître, cela annoncerait la fin de l’actuelle famille royale et la ruine de la Grande-Bretagne. C’est pourquoi, lorsque l’un d’eux meurt, on le remplace aussitôt.