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Pourquoi l’Empire romain reste un modèle pour l’oligarchie

Le « Projet pour un nouveau siècle Américain » (PNAC)

Le 11 septembre 2001, les observateurs de la vie politique américaine furent frappés de stupeur en entendant les déclarations fracassantes du vice-président, Dick Cheney. En effet, avant même l’ouverture d’une quelconque enquête sur les attentats, celui-ci déclara d’emblée qu’il fallait frapper l’Irak.

Dès le lendemain, à en croire les dires du célèbre journaliste du Washington Post, Bob Woodward, dans son livre « Bush at War », le ministre de la Défense, Donald Rumsfeld, déclarait lors d’une réunion à la Maison-Blanche que « l’Irak devait être l’une des premières cibles de la guerre contre le terrorisme ». Réaction impulsive de faucon ? Non, car en réalité, la clique de Cheney et Rumsfeld souhaitait achever cette guerre commencée en 1991. C’est un vieux projet qu’ils défendent depuis la chute du mur de Berlin et bien que, selon eux, Bush père ait fait quelques pas dans la bonne direction, la présidence Clinton faillit anéantir tout le chemin parcouru. Ainsi, le 18 février 1992, Paul Wolfowitz (actuel n°2 du Pentagone) et Lewis Libby (chef de cabinet de Cheney) sonnent l’alarme dans un document intitulé « Defense Policy Guidance » (DPG).

Avec Eric Edelman et Zalmay Khalilzad (actuel représentant spécial américain pour l’Irak), ils y développent d’abord la notion de guerre préventive visant à garantir la « prééminence américaine », imposée « par la force, si nécessaire ». Aujourd’hui, grâce à des fuites dans les médias, émanant de documents officiels, nous savons que ce milieu n’exclut nullement l’utilisation d’armes nucléaires, biologiques ou chimiques dans ce but.

Outrés par la « pause stratégique » dans les dépenses militaires imposée par Bill Clinton, qui espérait faire profiter l’économie américaine de ce « dividende de la paix », les faucons vont se regrouper au printemps 1997 dans l’association Project for a New American Century (PNAC), dont feront partie l’actuel vice-président Dick Cheney, son chef de cabinet Lewis Libby (avocat de Marc Rich, un gros bonnet de la pègre,), le ministre de la Défense Donald Rumsfeld, son adjoint Paul Wolfowitz, William Kristol, du Weekly Standard, Abram Shulsky, Robert Kagan et même Jeb Bush. Leur thèse sera présentée comme une proposition programmatique à la future administration de George W. Bush, en septembre 2000, sous le titre « Rebuilding America’s Defenses ».

Plus nuancé dans ses propos, graphiques et statistiques à l’appui, ce rapport souligne que les années 90 furent une « décade de négligence » par rapport à la réalité militaire et que cette négligence tend à gâcher ce que Charles Krauthammer nommait ce « moment unipolaire » qui s’instaura à la chute du mur de Berlin, faisant disparaître le dernier compétiteur mondial, l’URSS.

Sans scrupules, une doctrine impériale classique y est pleinement développée sous le label « Pax Americana », dernier nom de l’utopie d’un gouvernement mondial sous la coupe des élites malthusiennes anglo-américaines, « l’anglosphère ».

En vérité, la Pax Romana fut une longue période de guerres et de génocide permanent, qui mérite le label d’une des « barbaries les mieux organisées ».

Pour faire des Etats-Unis ce pouvoir militaire incontestable, puisque, selon les auteurs, seule la puissance militaire peut servir de fondement à cette Pax Americana, quatre nouvelles orientations sont esquissées, résumées ci-dessous.

Le texte affirme d’emblée qu’à l’opposé de l’époque de la Guerre froide, le but stratégique des Etats-Unis au XXIe siècle n’est plus simplement « d’endiguer » l’URSS, mais de « préserver la Pax Americana ». Les quatre nouvelles missions militaires proposées pour cette tâche sont :

  1. Sécuriser et étendre des zones de paix démocratique.
    Moyen : « homeland security » (sécurité domestique), ce qui implique, comme nous le voyons avec la politique du ministre de la Justice et sympathisant du Ku Klux Klan, John Ashcroft, la suppression « librement consentie » des droits civiques les plus élémentaires.
  2. Empêcher l’émergence d’une nouvelle grande puissance rivale.
    Moyen : présence militaire multiple, capable de mener plusieurs guerres à la fois (par exemple, simultanément en Iraq et en Corée du Nord). Cet engagement semble tellement monstrueux qu’on a peine à imaginer les moyens d’y parvenir.
  3. Défendre des régions clefs
    Moyen : « constabulary duties » (missions de maintien de la paix).
  4. Exploiter les transformations de la guerre
    Moyen : « Revolution in Military Affairs » (RMA, révolution dans les affaires militaires). Ces soi-disant armes intelligentes, souvent des armes anciennes « dopées » de gadgets informatiques, ressemblent plus aux armes « miracles » d’Hitler qu’à une réelle révolution technologique impliquant de nouveaux principes physiques. L’échec patent des missiles anti-missiles Patriot et Arrow représente un bon exemple de ce refus hystérique des nouveaux principes physiques qu’impliquait le projet initial d’Initiative de Défense Stratégique (IDS).
Reconstitution d’une villa romaine pour la fondation Paul Getty à Malibu. Certaines élites de « l’anglosphère » sont fascinées par la longévité de l’Empire romain.

Évidemment, en conclusion de l’argumentaire, on constate amèrement qu’en temps de paix, hélas, l’opinion publique aura certaines réticences à souscrire à de tels programmes et à accepter de supporter le fardeau budgétaire qu’ils impliquent. On y affirme (page 51) que tout cela prendra énormément de temps, « sauf s’il se produit un évènement catastrophique et catalyseur, du type nouveau Pearl Harbour ».

Rappelons ici qu’Henry Kissinger, entre autres, avait immédiatement employé le terme « Pearl Harbour » pour caractériser les attentats du 11 septembre. Il est donc clair que l’enjeu de la guerre en Irak dépasse largement la question du contrôle des hydrocarbures, mais implique la mise en place d’un gouvernement mondial, une « Pax Americana » à l’instar de la fictive « Pax Romana » de l’Empire romain. Or, à l’époque, le monde romain était le monde tout court.

Le fardeau

Michael Ignatieff.

Justement, le 5 janvier 2003, le New York Times a publié un article retentissant intitulé « The Burden » (le fardeau), écrit par un certain Michael Ignatieff, à l’instar de l’article de Rudyard Kipling, « le fardeau de l’homme blanc ».

Ignatieff est un anglo-canadien d’origine russe qui vit en Angleterre, petit-fils du fondateur de l’Okhrana (services secrets du Tsar) et professeur dans de multiples écoles de l’élite anglo-américaine, tel que le St-Anthony College de Londres, le King’s College de Cambridge, l’inévitable Harvard, aux Etats-Unis, et même l’Ecole des Hautes Etudes de Paris. Ignatieff s’exprime aussi régulièrement sur la BBC. Ce jeune professeur talentueux, véritable sommité de l’establishment anglo-américain, est un peu le porte-parole d’une faction des élites en place.

En France, on se rappellera certainement le premier supplément du Monde reprenant certains articles du New York Times, dont l’un relatait les prises de positions des intellectuels anglo-américains au sujet de « cet empire qui vient ». Ignatief n’est donc pas le premier à s’interroger sur les avantages et les risques posés à une république (les Etats-Unis) qui accepte ou décide de devenir un empire (anglo-américain).

Citant un historien anglais qui affirme que si l’Angleterre a acquis un empire, ce fut sûrement « in a fit of absence of mind » (sur un coup de tête), Ignatieff écrit :

Cessons donc de nous voiler la face, poursuit-il, car quel

Ignatieff prend le temps d’évaluer les avantages et désavantages de ce genre d’entreprise :

Pour Ignatieff, la chose est donc acquise, l’empire est bien là ! L’unique question qui reste en suspens, c’est de savoir comment faire pour que ça fonctionne correctement. Sa démarche semble presque une postface à l’analyse de l’historien Edward Gibbon (1737-1794), un proche de Lord Shelburne en Angleterre, qui écrivit en 1776 Déclin et chute de l’empire romain.

Avec La Richesse des Nations, ce manuel de la rente financière comme socle d’un ordre oligarchique, écrit par Adam Smith, le livre de Gibbon était une attaque stratégique contre la jeune république américaine, instaurée la même année par Benjamin Franklin et ses amis colbertistes. Après la perte de l’Amérique pour l’Empire britannique, le livre de Gibbon tente de tirer les leçons de l’histoire.

Ignatieff rappelle l’analyse faite par Gibbon pour expliquer la chute de l’empire romain :

Aujourd’hui, le Commonwealth anglais, successeur des Vénitiens qui se dénommaient les « nouveaux Romains », est supposé représenter le modèle de ce savoir-faire impérial de gouvernement indirect, mais réel.

L’empire romain

En tout cas, ce débat nous oblige à devenir « expert ès Empire romain » dans les plus brefs délais. Pour cela, une rapide visite dans une grande librairie nous met devant une terrible évidence : s’il y a pléthore de livres sur Rome et l’Empire, quasiment aucun ne traite réellement de son déclin.

Jadis, en France, les élèves pouvaient au moins profiter du vieux Malet et Isaac, qui nous en apprend bien plus que la plupart des experts d’aujourd’hui, époque où certains enseignent l’histoire de la sandale, de Jules César à Marilyne Monroe…

Mais forcément, la plupart des auteurs qui ont écrit sur le sujet sont fascinés par la grandeur, les institutions, l’organisation de ce système. Dans l’Encyclopaedia Universalis, un auteur, d’ailleurs conférencier sur le sujet, défend mordicus que le terme de « Bas-Empire », jugé trop péjoratif, mériterait d’être remplacé aujourd’hui par « Antiquité tardive ». Quant aux livres qui prétendent enquêter sur le déclin de l’Empire, ils affirment qu’il n’existe aucun élément matériel prouvant sa chute. « Au moment où Rome s’effondre et se dépeuple, d’autres régions se portent très bien », etc.

Après tout, cette vision est peut-être la bonne façon de voir les choses, car pour chuter, il faut d’abord monter !

En vérité, la « civilisation » romaine a été une longue période de guerres et de génocide permanent, qui mérite le label de « l’une des barbaries les mieux organisées ». La description que nous en livre la philosophe française Simone Weil (1909-1943) donne presque envie de faire interdire les bandes dessinées d’Astérix pour « banalisation d’actes génocidaires » :

Saint-Augustin, l’un des pères de l’Eglise, (354-430) ne dit pas autre chose quand il s’insurge contre ceux qui pensent que, du fait qu’elle a duré longtemps, la civilisation romaine était nécessairement grande. Il écrit dans La cité de Dieu :

Les origines

Pour bien saisir le « tournant impérial » fondamental de la civilisation romaine, qui se produit bien avant l’arrivée officielle de « l’Empire », rappelons d’abord quelques éléments de son histoire.

Fondée vers -750 par une coalition de Latins et de Sabins, Rome est, dès sa fondation, un centre colonial, sur le modèle perse, subjuguant et protégeant militairement des territoires et des satrapes, sans pour autant fonder de pays ni de nation. On pourrait dire qu’elle créa non pas un, mais de multiples protectorats, dirigés par un quarteron d’oligarques vivant dans un luna-parc, un vaste parc d’attraction du nom de Rome.

Plusieurs peuples organisés et tribus disputent les territoires de la péninsule italienne à la sphère d’influence de Rome, mais devront finalement s’y soumettre. D’abord dans le nord, entre l’Arno et le Tibre, les Etrusques.

Entre – 550 et -509, les Romains sont dirigés par des rois étrusques qui feront de la cité une grande ville, notamment en construisant un réseau d’égouts, la fameuse Cloaca Maxima. Mais les rois étrusques, accusés tantôt d’être tyranniques, tantôt trop favorables au peuple, sont chassés par des familles patriciennes qui fondent un simulacre de République, laissant en fait le véritable pouvoir aux grandes familles qui siègent au Sénat.

Dans le sud, Rome va mettre sous sa coupe les nombreuses populations grecques installées là depuis des siècles, dont la capitale était la cité-état de Syracuse en Sicile, comptoir de Corinthe qui contrôlait la Méditerranée orientale. Malgré l’accord conclu en -510 entre la République romaine et Carthage, lui laissant le contrôle de la Méditerranée occidentale, Rome entrera dans un long affrontement avec cette ville d’Afrique du Nord devenue, après Tyr, le centre du commerce phénicien.

Ce conflit est amplement décrit par les historiens romains Polybe (204 av. J.C. – 118 av. J.C.) et Tite-Live (59 av. J.C. – 17), sous le nom de guerres puniques.

Les guerres puniques

Dès le IIIe siècle av. J.C., Carthage domine presque toute l’Afrique du Nord et une bonne partie de la côte sud de l’Espagne.

L’enjeu de la première guerre punique (-264 à -241) sera le contrôle de la Sicile, pièce maîtresse pour prendre le contrôle de la Méditerranée. A l’opposé des Carthaginois et des Grecs, peuples de commerçants et de marins, jusque-là les Romains sont plutôt des terriens et des agriculteurs.

Pour conquérir la Sicile, ils devront s’adapter, notamment en se dotant d’une force navale efficace. Ainsi, au cours de l’hiver -261, Rome construit cent « quinquérèmes », dont le plan demeure incertain, sur le modèle de l’épave d’un navire carthaginois. Ce bateau compte cinq niveaux de rameurs, soit deux de plus que les « trirèmes » grecques.

Le consul Duilius introduira le « corbeau » (corvus), rampe d’abordage muni d’un grappin qui s’enfonçait si solidement dans le pont de l’adversaire que les deux navires étaient littéralement soudés. Les Romains, ayant ainsi rétabli un champ de bataille « terrestre » à leur avantage, envahissaient alors le pont de l’ennemi, et leur férocité au corps à corps leur permettait d’arracher la victoire, comme ce fut le cas à la bataille de Myles (-260) et à celle d’Ecnome (-256).

Carthage est vaincue et un traité de paix est signé, imposant une indemnité de guerre dont les conditions seront durcies suites aux demandes du « peuple » aux comices (assemblées).

Peu après, Rome se fait remettre la Sardaigne et la Corse, causant une injustice à l’origine d’un nouveau conflit. A Carthage, les populations furieuses délaissent alors le parti pacifiste des Hannons pour se tourner vers le parti des revanchards que sont les Barcides (Hamilkar Barca, Hannibal, etc.)

La deuxième guerre punique (-218 à -201) sera surtout un bras de fer entre un homme, Hannibal, et Rome. Ce carthaginois était un stratège génial, légendaire pour sa traversée des Alpes avec des éléphants et ses victoires sur les Romains sur le Tessin, sur les bords de la Trébie, au bord du lac Trasimène et surtout à la bataille mythique de Cannes (-216) où, sur 80 000 Romains, 45 000 furent tués.

Pourtant, en 202, le Romain Scipion (l’Africain) infligera à Hannibal une défaite décisive à Zama (Tunisie actuelle). De nouveau, un traité de paix est signé entre Rome et Carthage, qui perd ses possessions territoriales en Espagne et sera obligée de payer 50 000 talents répartis sur cinquante ans.

Carthago delenda est [Il faut détruire Carthage]

Ainsi, à la fin de la deuxième guerre punique, les Romains, pourvus d’une puissance militaire inégalée, se trouvent dans le même type de « moment unipolaire » que celui de « l’empire américain » aujourd’hui.

Voyant Carthage redevenir prospère cinquante ans après sa défaite, le « faucon » Caton le censeur, convaincu qu’il faut éliminer « la montée de tout compétiteur global », achève chacun de ses discours au Sénat par ces mots : Carthago delenda est (il faut détruire Carthage). Rome trouvera les arguties légales et juridiques pour parvenir à ses fins.

Simone Weil, dans ses Réflexions sur les origines de l’Hitlérisme, écrit et publié en 1939, donne le cas de Carthage en exemple de la perfidie qui se cache derrière le « respect du droit » professé par la « Pax Romana », qui inspira tant Hitler :

Pour les Carthaginois, peuple de marins, se retirer de 80 stades (14 km) de la mer, équivalait à un arrêt de mort ! Après trois ans de résistance et de combats de rue désespérés, Scipion l’Emilien réussit finalement à s’emparer de la ville. Carthage brûla pendant dix-sept jours. Elle fut rasée et on fit mêler du sel à la terre afin de la rendre infertile à jamais.

Augustin en défense de l’Etat-nation

Dans la Cité de Dieu, Augustin ne se lasse pas de critiquer l’esprit impérial. D’abord, il en montre le ridicule :

Ensuite, se moquant de l’esprit « justicier » des Romains, il attaque sur le fond :

Ou encore :

Les conquêtes coloniales

Une alliance de financiers et de généraux ambitieux pousse alors Rome à se lancer dans une immense expansion coloniale pour former seize provinces, qui n’ont pas seulement à souffrir les gouverneurs, mais surtout les banquiers, qui empruntent à taux très bas à Rome et prêtent aux provinciaux à des taux usuraires atteignant jusqu’à 50 % !

Comme le dit sans détour l’Isaac et Malet (p.33) : « Les conquêtes romaines furent en partie une vaste opération financière ».

Sous différents prétextes – économiques, militaires (guerres défensives) et psychologiques (besoins de sécurité) – Rome annexe un ensemble de riches territoires.

  • En -148, la Macédoine ;
  • en -146, la Grèce et l’Afrique ;
  • en -133, l’Espagne ;
  • en -120, la Narbonnaise ;
  • en -129, l’Asie ;
  • en – 101, la Cilicie ;
  • en -74 la Bithynie et le Cyrénaïque ;
  • en -67 l’Orient (Pont, Syrie) ;
  • en -58, la Gaule et
  • en -46, la Numidie.

Une société de consommation

Le pillage du monde méditerranéen, notamment en imposant d’énormes indemnités de guerre en biens et en esclaves, transformera une société relativement productive en pure société de consommation.

La mondialisation avant l’heure. Sous les Flaviens, les céréales venaient essentiellement d’Espage, de Gaule et d’Italie. Au IVe siècle, elle viendront essentiellement d’Afrique du Nord.

Le peuple de Rome, jusque-là assez austère, s’enrichit, adaptant son mode de vie et ses mœurs en conséquence. La corruption s’installe et les nobles accaparent le domaine public. Augustin identifie précisément l’intervalle entre la deuxième et la troisième guerre punique comme le moment d’un changement de paradigmes :

Salluste, parlant de l’époque précédant la deuxième guerre punique affirme :

A Rome, peu à peu, la corruption et la décadence s’installent en maîtres. Des seize derniers empereurs, la plupart sombrent dans une pédérastie criminelle. Suétone écrit dans les Vies des douze Césars :

On peut y ajouter l’apparition des premiers combats de gladiateurs et même un retour à l’adoration de dieux maléfiques.

Écroulement démographique

Effondrement radical de la population entre l’an 0 et 600 après JC.

Et pourtant, c’est précisément cette abondance de richesses qui va provoquer le glissement vers la chute. Dès le début de ces conquêtes coloniales, en -130, le Sénat de Rome est forcé de constater une stagnation démographique. Elle se transformera en dépopulation croissante qui se répandra dans les provinces au cours des cinq siècles suivants.

Comme l’a maintes fois démontré l’économiste américain Lyndon LaRouche, le potentiel de densité démographique relative indique « objectivement » la capacité d’accueil d’une économie organisée.

Déjà, les chiffres concernant la simple densité de population de l’Empire romain, comparés à ceux de la Grèce antique, ne laissent aucun doute : en Grèce, en -400, la densité de population atteignait 35 habitants par km2, c’est-à-dire presque un tiers de plus qu’en Italie romaine où elle est de 23,3 habitants par km2 à l’époque la plus peuplée, c’est-à-dire en l’an 1, pour chuter jusqu’à 11,6 en l’an 600 !

Il faudra attendre le début du XIIIe siècle en Italie et le début du XVe en Angleterre pour retrouver une densité de population du même ordre (Italie vers 1200 : 24 h/km2 ; Angleterre en 1377 : 19 h/km2).

A Rome, le gonflement de la force de travail par une main d’œuvre gratuite d’esclaves, grâce à la « mondialisation », précarise les populations autochtones, finissant par ruiner leur système de production. Une fois formalisées les limites de l’empire, le flux d’esclaves frais se tarit et c’est au tour des populations italiennes de subir le même sort.

C’est ce pillage, et la destruction de l’économie physique, qui provoquera l’effondrement spectaculaire de l’an 200. Alors que la population maximale du monde romain atteint 47 millions à son apogée, elle tombera jusqu’à 29 millions autour de l’an 600, soit une réduction proche de 40 % ! Aveuglée et corrompue par un hédonisme dépravé, Rome échoue, incapable de remettre en question les axiomes de la concupiscence sur lesquels est bâti son système. Pour tenter d’inverser la tendance, tout en faisant l’économie d’une réelle remise en cause, l’histoire romaine n’est qu’une longue fuite en avant dans « la régulation », dans l’incapacité où elle se trouve d’agir sur les causes.

On pense ici, non sans ironie, à certains gauchistes simplets de notre époque, qui, pour « lutter contre le capitalisme », proposent « d’interdire les licenciements » ! Rome sera ainsi la championne des régulations, des mesures et des lois. Bien évidemment, toutes les lois et ensemble de mesures qui sont prises, visant à enrayer la catastrophe démographique en limitant ses conséquences, y compris les codes Dioclétien (instaurant le servage, grande invention romaine pour le bonheur de l’humanité !) ou celui de Théodose (qui rend les métiers héréditaires), échouent lamentablement quand ils ne sont pas écartés d’emblée.

Par exemple, les fameuses réformes agraires proposées par les frères Gracques, visant dès -130 à redistribuer les terres cultivables de certains patriciens aux agriculteurs dépourvus de terre qui habitent Rome.

Dans les débats au Sénat, les Gracques expliquent que l’objectif de ces réformes n’est pas tellement de répondre à un désir de justice sociale, mais de satisfaire le besoin de l’empire à disposer d’une main d’œuvre capable de se reproduire. Ils précisent d’ailleurs que leurs réformes ne représentent aucune menace pour les riches. Néanmoins, révélateur d’un déni hystérique de tout principe de réalité, tous deux seront assassinés et leurs réformes abandonnées.

Ensuite, en – 107, faute d’hommes, le général Marius se voit obligé d’ouvrir le recrutement des légions aux classes inférieures, ce qui n’empêche pas de cruelles pénuries de troupes pour les armées de César en Gaule, forçant même Tibère à abandonner certaines conquêtes territoriales, faute de bras.

Sous l’empereur Auguste, le « Lex Juliana » inclue un dispositif populationniste privant les célibataires et les divorcés de leur droit d’héritage. A la campagne, les ressources sont si maigres que les fermiers et travailleurs essayent d’avoir le moins d’enfants possible.

Sous les empereurs Nerva et Trajan (vers l’an 100), les « alimenta » offrent des aides aux familles pour leur permettre de nourrir leurs enfants jusqu’à l’adolescence. Comme pendant la révolution culturelle en Chine, sous Mao, même les familles patriciennes laissent mourir leurs propres filles, pratique qui tend à se généraliser. Même les familles oligarchiques doivent faire face au déclin démographique. Sur les 400 familles siégeant au Sénat à l’époque de Néron, il n’en reste plus que 200 une génération plus tard.

Quelles contributions ?

Mais, dira-t-on, Rome fut un transmetteur de la connaissance grecque et de la culture antique. Qu’en est-il réellement ?

Du point de vue de la science, Simone Weil affirme :

En effet, on constate l’abandon de la tradition scientifique grecque au bénéfice d’un pragmatisme purement technique, parfois capable d’assimiler les techniques d’autres cultures (les arcs des Etrusques, le ciment et la brique des Assyriens, etc.). Bien que la roue à eau figure dans les « Dix livres sur l’Architecture » de Vitruve, il y porte peu d’attention. L’application de la technologie ne le passionne pas, si ce n’est la façon de placer hommes et femmes aux bains pour économiser l’eau. Pendant longtemps, les Romains ont gardé les amphores en grès, alors que les Gaulois avaient déjà mis au point le tonneau.

Architecture

Le grand architecte Auguste Choisy écrit en 1899 dans L’Histoire de l’Architecture :

Porta Nigra de Trèves, Allemagne.

Il est utile de comparer la Porta Nigra de Trèves, qui date de la fin du IIIème siècle, construite par simple empilement de pierres, avec la Domus Aurea » (Maison d’or) de Néron à Rome, coupole sphérique sur le modèle des tombes de la Grèce mycénienne, résultant d’une combinaison sophistiquée de maçonnerie et de béton.

Domus Aurea de Néron à Rome.

La technologie est au service des caprices de prestige des empereurs fous, mais pas de l’avancement de l’intérêt général !

Infrastructures

A part les immenses aqueducs, science des Etrusques et d’Asie centrale, capables par exemple d’approvisionner plus d’un million d’habitants de Rome grâce à des innovations comme l’emploi du plomb pour la tuyauterie, le bilan est pauvre.

Les routes romaines étant essentiellement construites pour les messagers et les armées, le reste du fret commercial s’opère essentiellement sur les voix secondaires. Ainsi, transporter une cargaison de céréales d’Alexandrie vers Rome revient moins cher que de la faire venir de l’intérieur de l’Italie.

Agriculture

L’agriculture romaine fut dévastée par le monétarisme et l’aristotélisme. Dans les propriétés immenses, 20, 30 à 50 fois la taille d’une ferme familiale (comme celle de Montmaurin, en Haute-Garonne, d’environ 10 000 hectares), les esclaves cultivent d’une façon extensive des produits de plus en plus orientés vers l’exportation (vin, huile d’olive) et de moins en moins de céréales.

Semblable aux physiocrates, et convaincu que c’est la terre et non les hommes qui produisent la richesse, Caton, le massacreur de Carthage, écrit dans son Economie Rurale (I,CXXXVI) :

Bien que l’on élève dans d’énormes ranchs des chevaux de course pour le cirque, les animaux de trait et par conséquent les engrais, ne sont guère de mise sous l’Empire romain. Il faut attendre le Xe en Europe du Nord (et même la fin du XVIIe en Angleterre…) pour voir apparaître le collier rigide (inventé en Chine au Ve siècle) qui prend appui sur les épaules du cheval, pour révolutionner l’agriculture. Possédant une force équivalant à celle d’un bœuf, le cheval de trait peut déplacer la moitié plus de poids par seconde et par distance.

Cette politique de croissance zéro dans les campagnes provoque un véritable exode rural, créant les conditions d’une famine et alourdissant encore les charges fiscales pesant sur ceux qui restent. Ceux qui fuient la campagne trouvent à Rome les « annona », une aide alimentaire instaurée dès -500, dont bénéficient 200.000 personnes en -130, pour passer à 320.000, soit un quart, sinon la moitié de la population.

Le Cirque et les jeux

A Rome, l’astuce des maîtres consiste à laisser leurs esclaves en semi-liberté pour les faire bénéficier de cette nourriture gratuite résultant du pillage des récoltes de Sicile, d’Égypte et d’Afrique du Nord.

A l’époque de Claude (+50), Rome ne compte pas moins de 159 jours fériés par an et en +354, ce chiffre atteint les 200 !

Pour occuper cette foule et la désinhiber de la violence du système et des guerres, une mise en scène permanente est organisée autour d’une culture de la mort. Déjà, la perspective d’un « no future » est si forte que beaucoup d’hommes libres de Rome, convaincus de l’inutilité de leur existence, s’enregistrent volontairement comme gladiateur afin de ne jamais avoir à subir la dépendance matérielle.

De 120 gladiateurs engagés à lutter, leur nombre passe à 350 couples qui s’affrontent en duels sous Trajan, et après la conquête de la Dacie, 117 jours de célébration voient s’opposer non moins de 4941 paires de gladiateurs ! Jeux et paris vont alors bon train.

Sous Trajan, le Circus Maximus, un hippodrome construit en -329 où se déroulent 24 courses par jour, mesurant 600 mètres sur 200 et pouvant accueillir jusqu’à 255 000 spectateurs, ne connaîtra rien de comparable, si ce n’est le stade de Berlin, construit par les nazis en 1936. Les représentations théâtrales sont d’une vulgarité extrême et le public connaît généralement les chansons et les textes par cœur.

« L’âne d’or » d’Apulée (v.125 – v.180), met en scène un coït avec un âne et, plus tard, une crucifixion « life » est incorporée dans une pièce.

Joute navale au Colisée.

Le « Colisée », un amphithéâtre construit sous Flavien, vers 70, peut recevoir jusqu’à 50 000 personnes. Grâce à des astuces techniques, le plateau se transforme en petit lac pour figurer des joutes navales. Mais c’est généralement moins romantique.

Le seul jour de l’inauguration, non moins de cinq mille animaux sont mis à mort au cours de combats divers. Des lions sont lâchés sur des buffles, des ours contre des panthères, des rhinocéros contre des éléphants, des gladiateurs contre des tigres, etc.

Le bilan mortel est impressionnant !  Pour ne donner que quelques exemples des plus sanglants :

  • Le retour victorieux de Trajan du royaume dace provoqua le sacrifice de 11 000 animaux.
  • Le venatio au Circus Maximus de 169 av. JC vit mourir 63 léopards, 40 ours et plusieurs éléphants.
  • En 55 av. JC, ce fut 500 lions, 410 panthères et léopards et 18 éléphants qui périrent en cinq jours.
  • La même année, Pompée célèbre l’inauguration de son théâtre avec 410 panthères et 600 lions.
  • En l’honneur de Jules César, 400 lions moururent en une journée.
  • A une autre 500 fantassins affrontèrent 20 éléphants et 20 autres montés d’hommes et de tourelles.
  • 500 ours furent exécutés sous l’ordre de Caligula pour sa sœur Drusilla.
  • 5 000 bêtes moururent pour l’inauguration du Colisée

Ken Kronberg dans son étude très complète, constate que,

D’ailleurs, chaque matin, avant l’arrivée des nobles dans les stades, les criminels en tous genres (terme qui s’applique également aux chrétiens) sont jetés en pâture aux fauves pour les mettre en appétit. Les crucifixions n’ont d’ailleurs pas été inventées pour les chrétiens.

A Lutetia (Paris), rappelez-vous que Montmartre vient de « Mont des Martyrs », c’est-à-dire l’endroit où l’on exécute les condamnés à mort.

A Lugdunum (Lyon), la « Croix Rousse » désigne un lieu similaire, car on brûlait les cadavres sur les croix pour prévenir les épidémies. L’omniprésence de la cruauté froide et calculée et de la mort arbitraire semble avoir eu le même effet que certains de nos jeux vidéos violents d’aujourd’hui : désinhiber les hommes en les familiarisant avec la barbarie.

D’ailleurs, à Carthage, après le massacre d’une grande partie de la population, on trouva dans les rues, non seulement des cadavres d’enfants, de femmes, de vieillards et d’hommes, mais aussi des chiens coupés en morceaux et des membres épars d’animaux…

Conclusion

Dans cette société romaine, il est clair que la vie d’un individu, surtout dépourvu de pouvoir, n’a aucune valeur. Mais ce pouvoir de vie et de mort, véritable culte du sang, dont Rome dispose, ce pouvoir de ne pas respecter la vie humaine sera en réalité la faiblesse mortelle d’une culture tragique, relativement apte à s’adapter mais incapable de se changer.

Shakespeare, dans Jules César, l’a parfaitement identifié :

L’un des comploteurs impliqué dans l’assassinat de César utilisera son orgueil pour l’amener sur le lieu du crime :

Ceux qui ne comprennent pas les erreurs axiomatiques de leur propre culture sont condamnés à répéter les erreurs de l’histoire. Tel est le sort qui guette aujourd’hui les oligarchies imbéciles. Après cinquante ans de pillage par le FMI et la Banque mondiale, aggravé par l’émergence de bulles financières incontrôlables, le système court rapidement à sa perte. L’écroulement de l’URSS, en 1989, a fait revivre la dangereuse illusion d’un « moment unilatéral », capable d’engendrer l’utopie d’un empire mondial.

Le dernier « moment unilatéral » de ce type intervint en 1946, lorsque Bertrand Russell demanda une « attaque préventive » nucléaire contre l’URSS avant qu’elle ne se dote d’armes de destruction massive équivalant à l’arsenal occidental.

Aujourd’hui, sous couvert d’éliminer la menace du terrorisme et des « Etats-voyous », et derrière les prophéties d’un « choc de civilisations », nous entendons de nouveau : « Carthago delenda est » !

Mais croyez-vous réellement que l’Irak soit la nouvelle Carthage ? Non, Carthage, c’est vous et moi, c’est l’Europe en passe de devenir le véritable compétiteur global par sa politique d’intégration eurasiatique, du Portugal à la mer de Chine.

Peut-être même Carthage est-elle davantage encore cette amitié franco-allemande qui, comme Numance à l’époque romaine, par l’exemplarité de son indépendance, représente une exception intolérable. Ne vous y trompez donc pas, les empires n’ont pas d’alliés, ils n’ont que vassaux et rebelles, chacun reconnaissant à sa façon la supériorité et le prestige de l’Empire.

La bataille n’est donc pas celle du petit jardin pacifique de Kant (l’Europe) contre Hobbes (le droit du plus fort), comme Robert Kagan le conjecture, mais celle d’Augustin contre l’Empire romain, car cet empire touche déjà à sa fin et ce n’est pas une nouvelle croisade qui le fera perdurer. A l’administration américaine, nous disons donc volontiers ce que le devin disait à Jules César : « Crains les ides de mars ».

Addendum : Une information vient cruellement conforter notre analyse. Début mars, Ed Koch, ancien maire de New York, inconditionnel de la guerre contre l’Irak et donc exaspéré par l’opposition française, aurait déclaré, « Omnia Gallia delenda est » (Il faut détruire toute la Gaulle).

Articles et livres consultés :

  • Choisy Auguste, Histoire de l’Architecture, Bibliothèque de l’Image, Paris 1996.
  • Goldsworthy Adrian, Les guerres romaines, Editions Autrement, Paris 2000.
  • Kronberg Kenneth, « How the Romans nearly destroyed civilization », dans New Solidarity, 1983.
  • Mac Mullen Ramsay, « Le déclin de Rome et la corruption du pouvoir », dans Les Belles Lettres, 1991.
  • Saint-Augustin, La Cité de Dieu », Desclée de Brouwer, 1960, Paris.
  • Shakespeare, Jules César, Folio, Gallimard.
  • Suétone, La Vie des douze Césars, Folio, Gallimard.
  • Tite Live, Histoire Romaine, Livres XXVI à XXX, Garnier-Flammarion, 1994, Paris.
  • Weil Simone, « Quelques réflexions sur les origines de l’Hitlérisme », 1939, Œuvres Complètes, Vol. II, Gallimard, 1989, Paris.
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The Maritime Silk Road, a history of 1001 Cooperations

Identical reconstruction of one of the ships featured on the bas-reliefs of the 8th-century Buddhist temple of Bonobudur in Indonesia.

Today, it’s fashionable to present maritime issues in the context of a moribund British geopolitical ideology that pits countries and peoples against each other. However, as this brief history of the Maritime Silk Road, drawn mainly from a document by the International Tourism Organization, demonstrates, the ocean has above all been a fantastic place for fertile encounters, cultural cross-fertilization and mutually beneficial cooperation.

The ancient Chinese invented many of the things we use today, including paper, matches, wheelbarrows, gunpowder, the noria (water elevator), sluice locks, the sundial, astronomy, porcelain, lacquer paint, the potter’s wheel, fireworks, paper money, the compass, the stern rudder, the tangram, the seismograph, dominoes, skipping rope, kites, the tea ceremony, the folding umbrella, ink, calligraphy, animal harnesses, card games, printing, the abacus, wallpaper, the crossbow, ice cream, and especially silk, which we’ll be talking about here.

Chinese silk.

The Origins of Silk

Before we talk about silk « routes », a few words about the origins of sericulture, i.e. the rearing of silkworms.

As recent archaeological discoveries confirm, silk production is an age-old skill. The presence of the mulberry tree for silkworm rearing was noted in China around the Yellow River by the Yangshao culture during the Middle Neolithic period in China, from 4500 to 3000 BC.

In general, we prefer to retain the legend that silk was discovered around 2500 BC, by the Chinese princess Si Ling-chi, when a cocoon accidentally fell into her tea bowl. When she tried to remove it, she discovered that the cocoon, softened by the hot water, had a delicate, soft and strong thread that could be unwound and assembled. Thus was born the idea of making cloth. The princess then decided to plant a number of white mulberry trees in her garden to raise silkworms.

The silkworm’s reproductive cycle.

The silkworms (or bombyx) and mulberry trees were divinely cared for by the princess (silkworms feed solely on the leaves of white mulberry trees).

Silk production is a time-consuming process that requires careful monitoring. Silk moths lay around 500 eggs during their lives, which last from 4 to 6 days. After the eggs hatch, the baby worms feed on mulberry leaves in a controlled environment. They have a ferocious appetite and their weight can increase considerably. Once they’ve stored up enough energy, the worms secrete a white jelly from their silk glands and use it to build a cocoon around themselves. After eight or nine days, the worms are killed and the cocoons are immersed in boiling water to soften the protective filaments, which are wound onto a spool. These filaments can be 600 to 900 meters long. Several filaments are assembled to form a thread. The silk threads are then woven into a fabric or used for fine embroidery or brocade, a rich silk fabric embellished with brocaded designs in gold and silver thread.

Chinese treatise on agiculture and silk production (1313).

The Early Silk Trade

Under threat of capital punishment, sericulture remained a well-kept secret, and China retained its monopoly on manufacturing for millennia.

It wasn’t until the Zhou dynasty (1112 BC) that a maritime Silk Road was established from China to Japan and Korea, as the government decided to send Chinese from the port in Bohai Bay (on the Shandong Peninsula) to train local inhabitants in sericulture and agriculture. The techniques of silkworm rearing, reeling and weaving were gradually introduced to Korea via the Yellow Sea.

When Emperor Qin Shi Huang unified China (221 BC), many people from the states of Qi, Yan and Zhao fled to Korea, taking with them silkworms and their rearing techniques. This accelerated the development of silk spinning in Korea.

Korea played a central role in China’s international relations, particularly as an intellectual bridge between China and Japan. Its trade with China also enabled the spread of Buddhism and porcelain-making methods. Although initially reserved for the imperial court, silk spread throughout Asian culture, both geographically and socially. Silk quickly became the luxury fabric par excellence that the whole world craved.

During the Han dynasties (206 BC to 220), a dense network of trade routes exploded cultural and commercial exchanges across Central Asia, profoundly impacting civilizational dynamics. The Han dynasty continued to build the Great Wall, notably creating the commandery of Dunhuang (Gansu), a key post on the Silk Road. Over two centuries B.C., its trade extended to Greece and Rome, where silk was reserved for the elite.

In the IIIrd century, India, Japan and Persia (Iran) unlocked the secret of silk manufacture and became major producers.

Silk Reaches Europe

The Nestorian monks sent by Justinian give the silkworms to the emperor.

According to a story by Procopius, it was not until 552 AD that the Byzantine emperor Justinian obtained the first silkworm eggs. He had sent two Nestorian monks to Central Asia, and they were able to smuggle silkworm eggs to him hidden in rods of bamboo. While under the monks’ care, the eggs hatched, though they did not cocoon before arrival.

A church manufacture in the Byzantine Empire was thus able to make fabrics for the emperor. Later emerged the intention of developing a large silk industry in the Eastern Roman Empire, using techniques copied from the Persian Sassanids.

Another version claims that it was the Han emperor Wu (IInd century) who sent ambassadors, bearing gifts such as silk, to the West.

In the VIIth century, sericulture spread to Africa and Sicily, from where, under the impetus of Roger I of Sicily (c. 1034-1101) and his son Roger II (1093-1154), the silkworm and mulberry were introduced to the ancient Peloponnese.

In the Xth century, Andalusia became the epicenter of silk manufacturing with Granada, Toledo and Seville. With the Arab conquest, sericulture spread to the rest of Spain, Italy (Venice, Florence and Milan) and France. The earliest French traces of sericulture date back to the 13th century, notably in the Gard (1234) and Paris (1290).

In the XVth century, faced with the ruinous import of Italian silk (raw or manufactured), Louis XI tried to set up silk factories, first in Tours on the Loire, then in Lyon, a city at the crossroads of north-south routes where Italian emigrants were already trading in silks.

In the XIXth century, silk production was industrialized in Japan, but in the XXth century, China regained its place as the world’s largest producer. Today, India, Japan, the Republic of Korea, Thailand, Vietnam, Uzbekistan and Brazil all have large production capacities.

Cultural Melting Pot

Kingdom of Funan

As much as silk itself, the transportation of silk by sea dates back to time immemorial.

For the Chinese, there are two main routes: the East China Silk Road (to Korea and Japan) and the South China Silk Road (via the Strait of Malacca to India, the Persian Gulf, Africa and Europe).

In Vietnam, the Hanoi Museum holds a coin dating back to the year 152, bearing the effigy of the Roman emperor Antoninus the Pious. The coin was discovered in the remains of Oc Eo, a Vietnamese town south of the Mekong Delta, thought to have been the main port of the Funan Kingdom (Ist to IXth centuries).

This kingdom, which covered the territory of present-day Cambodia and the Mekong Delta administrative region of Vietnam, flourished from the 1st to the 9th century. The first mention of the Fou-nan kingdom appears in the report of a Chinese mission that visited the area in the 3rd century.

The Founamians were at the height of their power when Hinduism and Buddhism were introduced to Southeast Asia.

Then, from Egypt, Greek merchants reached the Bay of Bengal. Considerable quantities of pepper then reached Ostia, Rome’s port of entry. All the historical evidence shows that East-West trade was flourishing as early as the first millennium.

Persians and Arabs in India, China and Asia

Island of Failaka (Persian Gulf in front of Kuweit), a meeting place where Greek, Roman and Chinese traders exchanged good.

On the western side, at the entrance to Kuwait Bay, 20 kilometers off the coast of Kuwait City, not far from the mouth of the shared estuary of the Tigris and Euphrates rivers in the Persian Gulf, the island of Failaka was one of the meeting places where Greece, Rome and China exchanged goods.

Sassanid Empire.

Under the Sassanid dynasty (226-651), the Persians developed their trade routes all the way to Southeast Asia, via India and Sri Lanka.

This trading infrastructure was later taken over by the Arabs when, in 762, they moved to Baghdad.

Chinese and Indian presidents, Xi Jinping and Narendra Modi, exploring the workings of the weaving wheel, the fruit of exchanges between Arabs, Indians and Chinese.
Arab dhow.

From the IXth century onwards, the city of Quilon (Kollam), the capital of Kerala in India, was home to colonies of Arab, Christian, Jewish and Chinese merchants.

On the western side, Persian and then Arab navigators played a central role in the birth of the maritime Silk Road. Following the Sassanid routes, the Arabs pushed their dhows, or traditional Arab sailing ships, from the Red Sea to the Chinese coast and as far as Malaysia and Indonesia.

These sailors brought with them a new religion, Islam, which spread throughout Southeast Asia. While the traditional pilgrimage (the hajj) to Mecca was initially only an aspiration for many Muslims, it became increasingly possible for them to make it.

During the monsoon season, when winds were favorable for sailing to India in the Indian Ocean, the twice-yearly trade missions were transformed into veritable international fairs, offering an opportunity to transport large quantities of goods by sea in conditions (apart from pirates and unpredictable weather) relatively less exposed to the dangers of overland transport.

The Maritime Silk Road under the Sui, Tang and Song Dynasties

Luoyang Bridge, a masterpiece of ancient architecture in Quanzhou.

It was under the Sui dynasty (581-618) that the Maritime Silk Road set out from Quanzhou, a coastal city in Fujian province in south-east China, on its first trade routes.

With its wealth of scenic spots and historic sites, Quanzhou has been proclaimed « the starting point of the Maritime Silk Road » by UNESCO.

It was at this time that the first printing methods appeared in China. Wooden blocks were used to print on textiles. In 593, the Sui emperor Wen-ti ordered the printing of Buddhist images and writings. One of the earliest printed texts is a Buddhist script dating from 868, found in a cave near Dunhuang, a stopover town on the Silk Road.

Under the Tang dynasty (618-907), the Kingdom’s military expansion brought security, trade and new ideas. The fact that the stability of Tang China coincided with that of Sassanid Persia enabled the land and sea Silk Roads to flourish. The great transformation of the maritime Silk Road began in the 7th century, when China opened up to international trade. The first Arab ambassador took up his post in 651.

Mural fresco executed in 706, of the Tang Emperor’s tomb, with diplomatic emissaries to the Imperial Court. The two figures on the right, carefully dressed, represent Korea, while the one in the middle (a monk?), without a headdress and with a « big nose », represents the West.

The Tang Dynasty chose Chang’an (now Xi’an) as its capital. It adopted an open attitude towards different beliefs. Buddhist, Taoist and Confucian temples coexisted peacefully with mosques, synagogues and Nestorian Christian churches. As the terminus of the Silk Road, Chang’an’s western market is becoming the center of world trade. According to the Tang Authority Six register, over 300 nations and regions had trade relations with Chang’an.

Almost 10,000 foreign families from the west lived in the city, especially in the area around the western market. There were many foreign inns staffed by foreign maids chosen for their beauty. The most famous poet in Chinese history, Li Bai, often strolled among them. Foreign food, costumes and music were the fashion of Chang’an.

After the fall of the Tang dynasty, the Five Dynasties and the Ten Kingdoms (907-960), the arrival of the Song dynasty (960-1279) ushered in a new period of prosperity, characterized by increased centralization and economic and cultural renewal. The maritime silk route regained its momentum. In 1168, a synagogue was built in Kaifeng, capital of the Southern Song dynasty, to serve merchants on the Silk Road.

During the same period, as Islam expanded, trading posts sprang up all around the Indian Ocean and the rest of Southeast Asia.

China encouraged its merchants to seize the opportunities offered by maritime traffic, in particular the sale of camphor, a highly sought-after medicinal plant. A veritable trade network developed in the East Indies under the auspices of the Kingdom of Sriwijaya, a city-state in southern Sumatra, Indonesia (see below), which for nearly six centuries served as a link between Chinese merchants on the one hand, and Indians and Malays on the other. A trade route truly emerged, deserving the name of the maritime « Silk Road ».

Increasing quantities of spices passed through India, the Red Sea and Alexandria in Egypt, before reaching the merchants of Genoa, Venice and other Western ports. From there, they moved on to the northern European markets of Lübeck (Germany), Riga (Lithuania) and Tallinn (Estonia), which from the 12th century onwards became important cities in the Hanseatic League.

After seven years of excavation, over 60,000 porcelain objects dating from the Song Dynasty (960-1279) were discovered on the Nanhai ship (South China Sea), which had been underwater for over 800 years.
A XVth-century junk from the Ming dynasty.

In China, during the reign of the Song emperor Renzong (1022-1063), a great deal of money and energy was spent on bringing together knowledge and know-how. The economy was the first to benefit.

Drawing on the know-how of Arab and Indian sailors, Chinese ships became the most advanced in the world.

The Chinese, who had invented the compass (at least by 1119), quickly surpassed their competitors in cartography and the art of navigation, as the Chinese junk became the bulk carrier par excellence.

In his geographical treatise, Zhou Qufei, in 1178, reports:

« The big ships that cruise the South Sea are like houses. When they unfold their sails, they look like huge clouds. Their rudders are dozens of feet long. A single ship can house several hundred men. On board, there’s enough food to last a year.« 


Archaeological digs confirm this reality, such as the wreck of a XIVth-century junk found off the coast of Korea, in which over 10,000 pieces of ceramic were discovered.

During this period, coastal trade gradually shifted from the hands of Arab traders to those of Chinese merchants. Trade expanded, notably with the inclusion of Korea and the integration of Japan, the Malabar coast of India, the Persian Gulf and the Red Sea into existing trade networks.

China exported tea, silk, cotton, porcelain, lacquers, copper, dyes, books and paper. In return, it imported luxury goods and raw materials, including rare woods, precious metals, precious and semi-precious stones, spices and ivory.

Copper coins from the Song period have been discovered in Sri Lanka, and porcelain from this period has been found in East Africa, Egypt, Turkey, some Gulf states and Iran, as well as in India and Southeast Asia.

The Importance of Korea and the Kingdom of Silla


During the first millennium, culture and philosophy flourished on the Korean peninsula. A well-organized and well-protected trading network with China and Japan operated there.

On the Japanese island of Okino-shima, numerous historical traces bear witness to the intense exchanges between the Japanese archipelago, Korea and the Asian continent.

Excavations carried out in ancient tombs in Gyeongju, today a South Korean city of 264,000 inhabitants and capital of the ancient Kingdom of Silla (from 57 BC to 935), which controlled most of the peninsula from the VIIth to the IXth century, demonstrate the intensity of this kingdom’s exchanges with the rest of the world, via the Silk Road.

Indonesia, a Major Maritime Power at the Heart of the Maritime Silk Road



In Indonesia, Malaysia and southern Thailand, the Kingdom of Sriwijaya (VIIth to XIIIth centuries) played a major role as a maritime trading post, storing high-value goods from the region and beyond for later sale by sea. In particular, Sriwijaya controlled the Strait of Malacca, the essential sea passage between India and China.

At the height of its power in the XIth century, Sriwijaya’s network of ports and trading posts traded a vast array of products and commodities: rice, cotton, indigo and silver from Java, aloe (a succulent plant of African origin), vegetable resins, camphor, ivory and rhinoceros horns, tin and gold from Sumatra, rattan, redwoods and other rare woods, gems from Borneo, rare birds and exotic animals, iron, sandalwood and spices from East Indonesia, India and Southeast Asia, and porcelain, lacquer, brocade, textiles and silk from China.

With its capital at Palembang (population 1.7 million) on the Musi River in what is now the southern province of Sumatra, this Hindu-Buddhist-inspired kingdom, which flourished from the VIIIth to the XIIIth century, was the first major Indonesian kingdom and the country’s first maritime power.

By the VIIth century, it ruled a large part of Sumatra, the western part of Java and a significant part of the Malay Peninsula. It extended as far north as Thailand, where archaeological remains of Sriwijaya cities still exist.

Buddhism on the Maritime Silk Road

The museum in Palembang (today Indonesia) – a town where Chinese, Indian, Arab and Yemeni communities, each with their own particular institutions, have co-prospered for generations – tells a wonderful story of how the Maritime Silk Road generated exemplary mutual cultural enrichment.

Buddhism was closely tied to international or cross-boundary trade. Early inscriptions indicate it was common for seafarers to pray to the Buddha for a safe voyage.

The maritime routes were very challenging as they were often beset with cyclones and typhoons, and piracy was an ever-present danger.

As a consequence, merchant support for Buddhism along these travel routes helped to establish monastic life far beyond India. Monks and nuns also took passage on these trading ships, and the merchants sought good karma by helping them travel to spread the teachings of the Buddha.

Madagascar, Sanskrit and the Cinnamon Road


Map of the expansion of Austronesian languages.


Today, Madagascar is inhabited by Blacks and Asians. DNA tests have confirmed what has long been known: many of the island’s inhabitants are descended from Malay and Indonesian sailors who set foot on the island around the year 830, when the Sriwijaya Empire extended its maritime influence towards Africa.

Further evidence of this presence is the fact that the language spoken on the island borrows Sanskrit and Indonesian words.

Bas-relief from the Buddhist temple of Borobudur (8th century, Indonesia)

To demonstrate the feasibility of such sea voyages, in 2003 a team of researchers sailed from Indonesia to Ghana via Madagascar aboard the Borobudur, a reconstruction of one of the sailing ships featured in many of the 1,300 bas-reliefs decorating the 8th-century Buddhist temple of Borobudur on the island of Java in Indonesia.

Many believe that this vessel is a representation of those once used by Indonesian merchants to cross the ocean to Africa. Indonesian navigators usually used relatively small boats. To ensure balance, they fitted them with outriggers, both double (ngalawa) and single.

Their boats, whose hulls were carved from a single tree trunk, were called sanggara. Merchants from the Indonesian archipelago could reach as far east as Hawaii and New Zealand, a distance of over 7,000 km.

On the Cinnamon Route, the ship made its way from Indonesia to Accra, Ghana, via Madagascar.

In any case, the researchers’ boat, equipped with an 18-meter-high mast, managed to cover the Jakarta – Maldives – Cape of Good Hope – Ghana route, a distance of 27,750 kilometers, or more than half the circumference of the Earth!

The expedition aimed to retrace a very specific route: the cinnamon route, which took Indonesian merchants all the way to Africa to sell spices, including cinnamon, a highly sought-after commodity at the time. Cinnamon was already highly prized in the Mediterranean basin long before the Christian era.

On the walls of the Egyptian temple at Deir el-Bahari (Luksor), a painting depicts a major naval expedition.

On the walls of the Egyptian temple at Deir el-Bahari (Luksor), a painting depicts a major naval expedition said to have been ordered by Queen Hatshepsut, who reigned from 1503 to 1482 BC. Around the painting, hieroglyphs explain that these ships carried various species of plants and fragrant essences destined for the cult. One of these was cinnamon. Rich in aroma, it was an important component of ritual ceremonies in the kingdoms of Egypt.

Cinnamon originally grew in Central Asia, the eastern Himalayas and northern Vietnam. The southern Chinese transplanted it from these regions to their own country and cultivated it under the name gui zhi.

Unsurprisingly, the map of Austronesian language expansion is almost identical to that of the « Cinnamon Road. »


From China, gui zhi spread throughout the Indonesian archipelago, finding a very fertile home there, particularly in the Moluccas. In fact, the international cinnamon trade was a monopoly held by Indonesian merchants. Indonesian cinnamon was prized for its excellent quality and highly competitive price.

The Indonesians sailed great distances, up to 8,000 km, across the Indian Ocean to Madagascar and northeast Africa. From Madagascar, products were transported to Rhapta, in a coastal region that later became known as Somalia. From there, Arab merchants shipped them north to the Red Sea.

The Strait of Malacca

For China, the Strait of Malacca has always represented a major strategic interest. When the great Chinese admiral Zheng He led the first of his expeditions to India, the Near East and East Africa between 1405 and 1433, a Chinese pirate by the name of Chen Zuyi took control of Palembang.

Zheng He defeated Chen’s fleet and captured the survivors. As a result, the strait once again became a safe shipping route.

According to tradition, a prince of Sriwijaya, Parameswara, took refuge on the island of Temasek (present-day Singapore), but eventually settled on the west coast of the Malay Peninsula around 1400 and founded the city of Malacca, which would become the largest port in Southeast Asia, both successor to Sriwijaya and precursor to Singapore.

Following the decline of Sriwijaya, the Kingdom of Majapahit (1292-1527), founded at the end of the XIIIth century on the island of Java, came to dominate most of present-day Indonesia.

This was the period when Arab sailors began to settle in the region.

The Majapahit kingdom established relations with the Kingdom of Champa (192-1145; 1147-1190; 1220-1832) (South Vietnam), Cambodia, Siam (Thailand) and southern Myanmar.

The Majapahit kingdom also sent missions to China. As its rulers extended their power to other islands and sacked neighboring kingdoms, they sought above all to increase their share and control of the trade in goods passing through the archipelago.

The island of Singapore and the southernmost part of the Malay Peninsula was a key crossroads on the ancient maritime Silk Road.

Archaeological excavations in the Kallang estuary and along the Singapore River have uncovered thousands of shards of glass, natural and gold beads, ceramics and Chinese coins from the Northern Song period (960-1127).

The rise of the Mongol Empire in the middle of the XIIIth century led to an increase in seaborne trade and contributed to the vitality of the Maritime Silk Road.

Marco Polo, after a 17-year overland journey to China, returned by ship. After witnessing a shipwreck, he sailed from China to Sumatra in Indonesia, before setting foot on land again at Hormuz in Persia (Iran).

Under the Yuan and Ming Dynasties

Under the Song dynasty, large quantities of silk goods were exported to Japan. Under the Yuan dynasty (1271-1368), the government set up the Shi Bo Si, a trade office, in a number of ports, including Ningbo, Canton, Shanghai, Ganpu, Wenzhou and Hangzhou, enabling silk exports to Japan.

During the Tang, Song and Yuan dynasties, and at the beginning of the Ming dynasty, each port set up an oceanic trading department to manage all foreign maritime trade.

Maritime travel was dependent on the seasonal winds: the summer monsoons blow from the south-west (May to September) and reverse direction in the winter (October to April). As a result, seafaring merchants developed sailing circuits that allowed them to use the monsoon winds to travel long distances, then return home when the wind patterns shifted.

Trade with southern India and the Persian Gulf flourished. Trade with East Africa also developed with the monsoon season, bringing ivory, gold and slaves. In India, guilds began to control Chinese trade on the Malabar coast and in Sri Lanka.

Trade relations became more formalized, while remaining highly competitive. Cochin and Kozhikode (Calicut), two major cities in the Indian state of Kerala, competed to dominate this trade.

Admiral Zheng He’s Maritime Explorations

Map of Admiral Zheng He’s maritime expeditions.

Chinese maritime exploration reached its apogee in the early XVth century under the Ming dynasty (1368-1644), which chose a Muslim court eunuch, Admiral Zheng He, to lead seven diplomatic naval expeditions.

Financed by Emperor Ming Yongle, these peaceful missions to Southeast Asia, East Africa, the Indian Ocean, the Persian Gulf and the Red Sea were intended above all to demonstrate the prestige and grandeur of China and its Emperor. The aim was also to recognize some thirty states and establish political and commercial relations with them.

In 1409, prior to one of these expeditions, the Chinese admiral Zheng He asked craftsmen to make a carved stone stele in Nanjing, the present-day capital of Jiangsu province (eastern China). The stele traveled with the flotilla and was left in Sri Lanka as a gift to a local Buddhist temple. Prayers to the deities in three languages – Chinese, Persian and Tamil – were engraved on the stele. It was found in 1911 in the town of Galle, in south-west Sri Lanka, and a replica is now in China.

Zheng’s armada was made up of armed bulk carriers, the most modest being larger than Columbus’ caravels. The largest were 100 meters long and 50 meters wide. According to Ming chronicles of the time, an expedition could comprise 62 ships, each carrying 500 people. Some carried military cavalry, others tanks of drinking water. Chinese shipbuilding was ahead of its time. The technique of hermetic bulkheads, imitating the internal structure of bamboo, offered incomparable safety. It became the standard for the Chinese fleet before being copied by the Europeans 250 years later. Compasses and celestial maps painted on silk were also used.

The synergy that may have existed between Arab, Indian and Chinese sailors, all men of the sea who fraternized in the face of ocean adversity, was impressive. For example, some historians believe that the name « Sindbad the Sailor », which appears in the Persian tale of a sailor’s adventures from the time of the Abbasid dynasty (VIIIth century) and was included in the Tales of the One Thousand and One Nights, derives from the word Sanbao, the honorary nickname given by the Chinese Emperor to Admiral Zheng He, literally meaning « The Three Jewels », i.e. the three indissociable capital virtues: essence, breath, and spirit.

Statue of Admiral Zheng Ho in front of a mosque built in his honor in Indonesia.

Maritime museums in China (Hong Kong, Macau, Fuzhou, Tianjin and Nanjing), Singapore, Malaysia and Indonesia showcase Admiral Zheng’s expeditions.

However, at least twelve other admirals carried out similar expeditions to Southeast Asia and the Indian Ocean.

In 1403, Admiral Ma Pi led an expedition to Indonesia and India. Wu Bin, Zhang Koqing and Hou Xian made others. After lightning caused a fire in the Forbidden City, a dispute broke out between the eunuch class, supporters of the expeditions, and the learned mandarins, who obtained the cessation of expeditions deemed too costly. The last voyage took place between 1430 and 1433, 64 years before the Portuguese explorer Vasco da Gama arrived in 1497.

Japan, for its part, similarly restricted its contacts with the outside world during the Tokugawa period (1600-1868), although its trade with China was never suspended. It was only after the Meiji Restoration in 1868 that a Japan open to the world re-emerged.

Withdrawing into themselves, trade with both China and Japan fell into the hands of maritime trading posts such as Malacca in Malaysia or Hi An in Vietnam, two cities now recognized by Unesco as world heritage sites. H?i An was a major stopover port on the sea route linking Europe and Japan via India and China. In the shipwrecks found at Hi An, researchers have discovered ceramics awaiting their departure for Sinai in Egypt.

History of Chinese Ports

Over the years, the main ports on the Maritime Silk Road have changed. From the 330s onwards, Canton and Hepu were the two most important ports. However, Quanzhou replaced Canton from the end of the Song to the end of the Yuan dynasty. At that time, Quanzhou in Fujian province and Alexandria in Egypt were considered the world’s largest ports. Due to the policy of closure to the outside world imposed from 1435 and the influence of war, Quanzhou was gradually replaced by the ports of Yuegang, Zhangzhou and Fujian.

From the beginning of the IVth century, Canton was an important port on the Silk Road. Gradually, under the Tang and Song dynasties, it became not only the largest, but also the most renowned port of the Orient worldwide. During this period, the sea route linking Canton to the Persian Gulf via the South China Sea and the Indian Ocean was the longest in the world.

Although later supplanted by Quanzhou under the Yuan dynasty, Canton remained China’s second-largest commercial port. Compared with the others, it is considered to have been a consistently prosperous port over the 2,000-year history of the Maritime Silk Road.

The Tributary System of 1368

China’s last imperial dynasty, the Qing, reigned from 1644 to 1912.

Since the arrival of the Ming dynasty, maritime trade with China proceded in two different ways:

  • The Chinese « tributary system » ;
  • The Canton system (1757-1842).

Born under the Ming in 1368, the « tributary system » reached its apogee under the Qing. It took the refined form of a mutually beneficial, inclusive hierarchy.

States adhering to it showed respect and gratitude by regularly presenting the Emperor with tribute made up of local products and performing certain ritual ceremonies, notably the « kowtow » (three genuflections and nine prostrations). They also demanded the Emperor’s investiture of their leaders and adopted the Chinese calendar. In addition to China, they included Japan, Korea, Vietnam, Thailand, Indonesia, the Ryükyü Islands, Laos, Myanmar and Malaysia.

Paradoxically, while occupying a central cultural status, the tributary system offered its vassals the status of sovereign entities, enabling them to exercise authority over a given geographical area.

The Emperor won their submission by showing virtuous concern for their welfare and promoting a doctrine of non-intervention and non-exploitation. Indeed, according to historians, in financial terms, China was never directly enriched by the tributary system. In general, all travel and subsistence expenses for tributary missions were covered by the Chinese government. In addition to the costs of running the system, the gifts offered by the Emperor were generally far more valuable than the tributes he received. Each tributary mission was entitled to be accompanied by a large number of merchants, and once the tribute had been presented to the Emperor, trade could begin.

It should be noted that when a country lost its status as a tributary state as a result of a disagreement, it would try at all costs, and sometimes violently, to be allowed to pay tribute again.

The Canton System of 1757

Port of Canton in 1850 with American, French and British trade missions.

The second system concerned foreign, mainly European, powers wishing to trade with China. This involved the port of Guangzhou (then called Canton), the only port accessible to Westerners.

This meant that merchants, notably those of the British East India Company, could dock not in the port but off the coast of Canton, from October to March, during the trading season. It was in Macao, then a Portuguese possession, that the Chinese provided them with permission to do so. The Emperor’s representatives would then authorize Chinese merchants (hongs) to go on board to trade with foreign ships, while instructing them to collect customs duties before they left.

This way of trading expanded at the end of the XVIIIth century, particularly with the strong English demand for tea.

In fact, it was Chinese tea from Fujian that American « insurgents » threw into the sea during the famous « Boston Tea Party » in December 1773, one of the first events against the British Empire that sparked off the American Revolution.

Products from India, particularly cotton and opium, were exchanged by the East India Company for tea, porcelain and silk.

The customs duties collected by the Canton system were a major source of revenue for the Qing dynasty, even though it banned the purchase of opium from India. This restriction imposed by the Chinese Emperor in 1796 led to the outbreak of the Opium Wars, the first as early as 1839.

At the same time, rebellions broke out in the 1850-60s against the weakened Qing reign, coupled with further wars against hostile European powers.

Sacking of the Summer Palace by the British and French in 1860.

In 1860, the former Summer Palace (Yuanming Park), with its collection of pavilions, temples, pagodas and libraries – the residence of the Qing dynasty emperors 15 kilometers northwest of Beijing’s Forbidden City – was ravaged by British and French troops during the Second Opium War.

This assault goes down in history as one of the worst acts of cultural vandalism of the XIXth century. The Palace was sacked a second time in 1900 by an eight-nation alliance against China.

Today, a statue of Victor Hugo and a text he wrote against Napoleon III and the destruction of French imperialism can be admired there, as a reminder that this was not the work of a nation, but of a government.

By the end of the First World War, China had 48 open ports where foreigners could trade according to their own jurisdictions.

The 20th century was an era of revolution and social change. The founding of the People’s Republic of China in 1949 led to inward-looking attitudes.

It wasn’t until 1978 that Deng Xiaoping announced a policy of opening up to the outside world in order to modernize the country.

China’s New Silk Roads initiative.

In the XXIst century, thanks to the One Belt (economic) One Road (maritime) Initiative launched by President Xi Jingping, China is re-emerging as a major world power offering mutually beneficial cooperation in the service of a better shared future for mankind.

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Raphael 1520-2020: What Humanity can learn from « The School of Athens »

On the occasion of the five-hundredth anniversary of the death of the Italian painter Raffaello Sanzio da Urbino (1483-1520), several exhibitions are honoring this artist, notably in Rome, Milan, Urbino, Belgrade, Washington, Pasadena, London, and Chantilly in France.

The master is honored, but what do we really know about the intention and meaning of his work?


Introduction

Raphael, portrait of a young boy.

There is no doubt that in the collective mind of the West, Raphael, along with Michelangelo and Leonardo da Vinci, appears as one of the most brilliant artists and even as the best embodiment of the « Italian Renaissance”.

Although he died at the age of 37, Raphael was able to reveal his immense talent to the world, in particular by giving birth, between 1509 and 1511, to several monumental frescoes in the Vatican, the most famous of which, 7.7 meters long and 5 meters high, is known as The School of Athens.

The viewer finds himself inside a building that brings together the thoughts of all mankind: united in a timeless space, fifty philosophers, mathematicians and astronomers of all ages meet to discuss their vision of man and nature.

French National Assembly.


The image of this fresco embodies so powerfully the « ideal » of a democratic republic, that in France, during the February 1848 revolution, the painting representing Louis Philippe (till then hanging behind the President of the National Assembly) was taken down and replaced by a representation of Raphael’s fresco, in the form of a tapestry from the Manufacture des Gobelins, produced between 1683 and 1688 at the request of Jean-Baptiste Colbert, the founder of the French Academy of Sciences.

Then, in France, arrived the idea that Raphael, being « the Prince of painters », embodied « the ultimate artist ». Superior to Rubens or Titian, Raphael was thought to have achieved the subtle « synthesis » between the « divine grace » of a Leonardo da Vinci and the « silent strength » of a Michelangelo. What more can be said ? A true observation as long as one looks only at the purity of the « forms » and thus of the « style ». Adored or hated, Raphael was erected in France as a model to be imitated by every young talent attending our Academies of Fine Arts.

Hence, for five centuries, artists, historians and connoisseurs have not ceased to comment and often to confront each other, not on the intention or the meaning of the artist’s works, but on his style! In a way akin to some of our contemporaries who adore Star Wars and its special effects without paying attention to the ideology that, underhandedly, this TV series conveys…

For this brand of historians, « iconography », that branch of art history which is interested in the subjects represented, in the possible interpretations of the compositions or particular details, is only really useful to appreciate the « more primitive » paintings, that is to say that of the « Northern Schools »…

One knows well, especially in France, that once the « form » takes the appearance of perfection, it does not matter what the content is! This or that writer tells abject horrors, but « it is so well written! »

The good news is that in the last twenty years or so, a handful of leading historians and especially female art historians, have undertaken and published in depth new research.

I am thanking in particular of Marcia Hall (Temple University), Ingrid D. Rowland (University of Chicago), Reverend Timothy Verdon (Florence and Stanford), Jesuit historian John William O’Malley, and especially Christiane L. Joost-Gaugier.

The latter’s book Raphael’s Stanza della Signatura, Meaning and Invention (Cambridge University Press, 2002), which I was able to read (thanks to the pandemic lockdown), allowed me to adjust some of the leads and intuitions I had summarized in 2000 in, let’s be honest, a rather messy note.

If my work had consisted in trying to give some coherence to what is in the public domain, through their assiduous archival work in the Vatican and elsewhere, these historians, for whom neither Latin nor Greek have any secrets, have largely contributed to shed new light on the political, philosophical, cultural and religious context that contributed to the genesis of Raphael’s work.

Enriched by these readings, I have tried here, in a methodical way, to « make readable » what is rightly considered Raphael’s major work, The School of Athens.

Instead of identifying and commenting from the outset on the figures we see in the Stanza della Segnatura (« Room of the Segnatura” of the Vatican in Rome), I have chosen first to sketch a few backgrounds that serve as “eye-openers” to penetrate this work. For, in order to detect the painter’s intentions, actions and feelings, it is essential to penetrate the spirit of the epoch that engendered the artist’s: those days political and economic challenges, the cultural heritage of Rome and the Church, a close-up on the pope who commissioned the work, the philosophical convictions of the advisors who dictated the theme of the work, etc.

However, if all this seems too tedious for you dear reader, or if you are just eager to familiarize yourself with the work, nothing prevents you from going back and forth between the deciphering of the frescoes at the end of this article (Guided visit) and the contextualization that precedes them.

Cleaning our eyeglasses

General view of two of Raphael’s four frescoes decorating the Chamber of the Signature.


To see the world as it is, let’s wipe our glasses and stop looking at the tint of our glasses. For as is often the case, what « prevents » the viewer from penetrating a work, from seeing its intention and meaning, is not what his eyes see as such, but the preconceived ideas that prevents him from looking at the outside world. Learning to see usually starts by challenging some of our preconceptions.

1. It’s not a easel painting! Since the 16th century, we Europeans have been thinking in terms of « easel paintings » (as opposed to mural). The artist paints on a support, a wooden panel or a canvas, which the client then hangs on the wall. However, The School of Athens, as such, is not a « painting » of this type, but simply, in the strict sense, a part or a « detail » of what we would call today, « an installation ». I explain myself. What constitutes the work here is the whole of the frescoes and decorations covering the ceiling, the floor and the four walls of the room! We will explain them to you. The viewer is, in a way, inside a cube that the artist has tried to make appear as a sphere. So, to « explain » the meaning of The School of Athens, in isolation from the rest and without demonstrating the thematic and symbolic interconnections with the iconography of the other walls, the ceiling and the floor, is not only an exercise in futility but utter incompetence.

2. Error of title! Neither at the time of its commission, nor at the time of its realization or in the words of Raphael, the fresco carried the name “School of Athens”! That name was given later. Everything indicates that the entire room covered with frescoes was to express a divine harmony uniting Philosophy (The School of Athens), Theology (on the opposite side), Poetry (on its right side) and Justice (on its left side). We will come back to that.

3. The theme is not the artist’s choice!
The only person who met both Raphael and Pope Julius II during his lifetime was the physician Paolo Giovio (1483-1552) who arrived in Rome in 1512, a year before the death of Julius II. According to Giovio, it was the pontiff himself who, as early as 1506, that is, two years before Raphael’s arrival, conceived the contents of the « Signing Chamber ». This is logical, since it was the place where he installed his personal library, a collection of some 270 books, arranged on shelves below the frescoes and classified according to the themes of each wall decoration (Philosophy, Theology, Poetry and Justice). However, given the complexity of the themes, and given Julius II’s poor literary culture, historians agree that the intellectual authorship of the frescoes was attributed to the pope’s advisors and especially to the one who would have been able to synthesize them, his chief librarian, Thomaso Inghirami (1470-1516).

Raphael, who seems to have constantly modified his preparatory drawings according to the feedback and comments he received from the commissioners, was able to translate this theme and program into images with his vast talent. In short, if you like the images, congratulate Raphael; if you like or don’t like the content, talk to the « boss ».

On the far right side of The School of Athens, Raphael and Il Sodoma seem to co-sign the fresco.

4. Painted by several people? What remains to be clarified is that, according to Vatican accounts, the entire decoration of the room was entrusted in mid-1508 to the talented fresco artist Giovanni Antonio Bazzi (1477-1549), six years older than Raphael and known as Il Sodoma. He appears to be the only person to have received any money for this work. Raphael does not appear in these accounts until 1513…

However, as the cycle of frescoes on the life of St. Benedict in the territorial abbey of Santa Maria in Monte Oliveto Maggiore testifies, Sodoma also had considerable talent, and above all, an incomparable know-how in fresco technique. Although he has never been honored, his style is so similar to Raphael’s that it is hard to mistake him.

Portrait of Pietro Aretino by the Venetian painter Titian.

It should also be noted that Sodoma, who came to Rome at the request of the pope’s banker Agostino Chigi (1466-1520), was asked to decorate the latter’s villa in 1508, which would have given Raphael free rein in the Vatican before joining him on the same site.

According to the french historian Bernard Levergeois, the sulphurous Pietro Aretino (1495-1556), a pornographic pamphleteer, before becoming the protégé and « cultural agent » of the banker Chigi in Rome, spent many years in Perugia.

There he took interest in the young pupils of Pietro Perugino (c. 1448-1523), Raphael’s master, and, says Levergeois, it was there that he

met the most prestigious painters of the day: Raphael, Sebastiano del Piombo, Julius Romano, Giovanni da Udine, Giovan Francesco Penni and Sodoma, all of whom took turns decorating the magnificent villa (the Farnesina) that Chigi had built in Rome. Some of them also worked on the no less famous Villa Madam (for pope Julius II), a grandiose project that was never completed.

Aretino as he appears in Michelangelo’s fresco in the Sistine Chapel.

As seen in the portrait painted by Titian, Aretino, nicknamed « the scourge of Princes », was a powerful, possessive and tyrannical character. A blackmailer, a flamboyant pansexual and well-informed about what was going on in the alcoves of the elites, he worked himself up, like FBI boss Edgar Hoover in the Kennedy era, as a king-maker, a power above power. Historians report that both Raphael and Michelangelo, before showing their works to the public, felt compelled to seek the advice of this pervert Aretino.

And in the Sistine Chapel, Michelangelo depicts St. Bartolomeo in the guise of the Aretino. The artist must have thought that the traditional attribute of the martyr flayed alive was a perfect fit for the one who was bullying him: he is wearing the remains of his own skin and holding in his hand the large knife that was used for the torture…

It is therefore tempting to think that it was Aretino, the favorite of the Pope’s banker, and not necessarily Renaissance architect Donato Bramante, as is commonly accepted, who may have played the role of intermediary in bringing both Sodoma and Raphael to Rome in order to revive the glory of his patron and the oligarchy that held the Eternal City in contempt.

To my knowledge, Raphael, neither in his own letters nor in the statements reported by his entourage, would have commented on the theme and intention of his work. Strange modesty. Did he consider himself a simple « decorative painter »?

Finally, if Sodoma‘s participation in the realization of the School of Athens remains to be clarified, his portrait does appear. He is in the foreground on the far right, standing side by side to a rather sad Raphael (both on the side of the Aristotelians). A double signature?

This makes the question arise: Can one continue to speak of the frescoes as painted « by Raphael »? Are they not rather the frescoes of the four men team composed of Julius II, Inghirami, Sodoma and Raphael?

An unusual patron, « the warrior pope » Julius II

Medal with the effigy of Julius II the « Ligurian » (Genoese). On the back, the project of reconstruction of the Basilica of St. Peter in Rome.

Before talking about these famous « impresarios of the Renaissance » and understanding their motivations, it is necessary to explore the character of future pope Julius II: Giuliano della Rovere (1443-1513). He was appointed bishop of Carpentras by Pope Sixtus IV, his uncle. He was also successively archbishop of Avignon and cardinal-bishop of Ostia.

On October 31, 1503, 37 of the 38 cardinals composing the Sacred College, make him the head of the Western Church, under the name of Julius II, until its death in 1513, a moment Giuliano had been waiting for 20 years.

Before him, others had made their way. In fact, in 1492, his personal enemy, the Spanish Rodrigo de Borgia (1431-1503), succeeded in getting himself elected as pope Alexander VI. True to the legendary corruption of the Borgia dynasty, he was one of the most corrupt popes in the history of the Church. Jealous and angry at his own failure, Giuliano accused the new pope of having bought a number of votes. Fearing for his life, he leaves for France to the court of King Charles VIII, whom he convinces to lead a military campaign in Italy, in order to depose Alexander VI and to recover the Kingdom of Naples… Accompanying the young French king in his Italian expedition, he enters Rome with him at the end of 1494 and prepares to launch a council to investigate the pope’s actions. But Alexander VI managed to circumvent the machinations of his enemy and preserved his pontificate until his death in 1503.

Medal with the effigy of the pope Alexander VI Borgia.

From the moment of his accession, Giuliano della Rovere confessed that he had chosen his name as pope, Julius II, not after Pope Julius I, but in reference to the bloodthirsty Roman dictator Julius Caesar. He asserts from the start his firm will to restore the political power of the popes in Italy. For him, Rome must once again become the capital of an Empire much larger than the Roman Empire of the past.

When Julius II took office, decadence and corruption had brought the Church to the brink. The territories that would later become Italy were a vast battlefield where Italian condottieri, French kings, German emperors and Spanish nobles came to fight. The ancient city of Rome was nothing more than a vast heap of ruins systematically plundered by rapacious entrepreneurs in the service of princes, bishops and popes, each one seeking to monopolize the smallest column or architrave likely to come and decorate their palace or church. Reportedly, out of the 50,000 inhabitants of the city, there were 10,000 prostitutes and courtesans…

Obviously, Julius II was the pope chosen by the oligarchy to restore a minimum of order in the house. For, particularly since 1492, the extension of Catholicism in the New World and then in the East, required a « rebirth », not of « Christian humanism », as during the Renaissance of the early 15th century, but of the authority of the Church.

The spread of printing and humanism in Europe.

For us today, the word « Renaissance » evokes the heyday of Italian culture. However, for the powerful oligarchs of Raphael’s time, it was a matter of resurrecting the splendor of Greco-Roman antiquity, embodied in the glory of the Roman « Republic », mistakenly idealized as a great and well-administered state, thanks to efficient laws, capable civil servants possessing a great culture, based on the assiduous study of Greek and Latin texts.

And it is well to this rebirth of the Roman authority that Julius II is going to dedicate himself. In first place by the sword. In less than three years (1503-1506), the rebellious César Borgia is reduced to impotence. He was the illegitimate son of Pope Alexander VI who, at the head of an army of mercenaries, waged war in the country and terrorized the Papal States,

In 1506, Julius II, quickly nicknamed « the warrior pope » at the head of his troops, took back Perugia and Bologna.

As the humanist Erasmus of Rotterdam (1467-1537), who was present in Italy and was an eyewitness to the sacking of Bologna by the papal troops, reproached him, Julius II preferred the helmet to the tiara. Questioned by Michelangelo in charge of immortalizing him with a bronze statue, to know if he did not wish to be represented with a book in his hand to underline his high degree of culture, Julius II answers:

Why a book? Rather, show me a sword in hand.

Originally from the region of Genoa (Liguria), Julius II undertook to chase the Venetians, whom he abhorred, out of Romagna, which they occupied. « I will reduce your Venice to the state of hamlet of fishermen from which it left, » had said one day the Ligurian pope to the ambassador Pisani, to which the proud patrician did not fail to retort:

And we, Holy Father, we will make of you a small village priest,
if you are not reasonable…

This language gives the measure of the bitterness to which one had arrived on both sides. In the bull of excommunication launched shortly afterwards (April 27, 1509) against the Venetians, these were accused of « uniting the habit of the wolf with the ferocity of the lion, and of flaying the skin by pulling out the hairs… ».

The League of Cambrai

Italy at the time of the Ligue of Cambrai.

Against the rapacious practices of Venice, on December 10, 1508, in Cambrai, Julius II officially rallies to the « League of Cambrai », a group of powers (including the French King Louis XII, the regent of the Netherlands Margaret of Austria, King Ferdinand II of Aragon and the German Emperor Maximilian I).

For Julius II, the happiness is total because Louis XII comes in person to expel the Venetians of the States of the Church. Better still, on May 14, 1509, after its defeat by the League of Cambrai at the battle of Agnadel, the Republic of Venice agonizes and finds itself at the mercy of an invasion. However, at that juncture, Julius II, fearing that the French would establish their influence on the country, made a spectacular turnaround. He organized, from one day to the next, the survival of Venice!

His treasurer general, the Sienese banker Agostino Chigi (a Sienese billionaire close to the Borgias, to whom he had lent colossal sums of money and later Raphael’s patron), set the conditions:

  • In order to pay for the Swiss mercenaries capable of repelling the attackers of the Ligue of Cambrai, Chigi granted the Venetians a substantial loan.
  • In exchange, the Serenissima agreed to give up its monopoly on the trade of alum that it imported from Constantinople. At the time, alum, an irreplaceable mineral used to fix fabric dyes, represented a real « strategic » issue.
  • Once Venice stopped importing alum, the entire Mediterranean world was forced, from one day to the next, to obtain supplies, not from Venice, but from the Vatican, that is to say, from Chigi, who was in charge of exploiting the « alum of Rome » for the Papacy, located in the mines of the Tolfa mountains, northwest of Rome in the heart of the Papal States.
  • Aware that its very survival was at stake, and for lack of an alternative, Venice grudgingly accepted the golden deal.

In his biography on Jules II, french historian Ivan Cloulas specifies:

Above all stands out Agostino Chigi, the banker from Siena, farmer of the pontifical mines of alum of Tolfa since the reign of Alexander VI. The favor that this character enjoyed with Julius II is surprising, since he was a banker who had long served Caesar Borgia. The pontiff, according to the tradition, conferred at the time of his accession the load of ‘depositary’ to one of his Genoese compatriots, Paolo Sauli, charged to carry out all the financial transactions of the Holy See in connection with the cardinal camerlingue Raffaelo Sansoni-Riario. But Chigi did not suffer disgrace, because he advanced Julian della Rovere considerable sums of money to buy electors [cardinal members of the Sacred College], and he made the exploitation and export of alum extracted from the pontifical mines a success. The experience and value of the Sienese made him a partner of the various bankers of the papacy, notably the Sauli and the Fugger, who gained new wealth as the fruitful trade in indulgences developed in Germany.

Hence, now in alliance with Venice, Julius II, in what appears to the naive as a spectacular « reversal of alliance », set up the « Holy League » to « expel from Italy the Barbarians » (Fuori i Barbari!). A coalition in which he made enter the Swiss, Venice, the kings Ferdinand of Aragon and Henri VIII of England, and finally, the emperor Maximilian. This league will then drive out the French out of Italy. Julius II said with irony:

If Venice had not existed,
it would have been necessary to invent it.

In response, Louis XII, the King of France, attempted to transpose the struggle into the spiritual realm. Thus, a national council, meeting in Orleans in 1510, he declared France exempt from the obedience of Julius II. A second council was convened in Italy itself, in Pisa, then in Milan (1512) trying to depose the pope. Julius II opposed to the King of France the Vth ecumenical council of the Lateran (1512) where he will welcome warmly those who abandoned that of Milan…

Maritime Empires

Julius II was determined to re-establish his authority both on land and on the oceans. A bit like in ancient Greece, Italy experienced a rather particular phenomenon, that of the emergence of « maritime republics ». If the « Republic of Venice » is famous, the maritime republics of Pisa, Ragusa (Dubrovnik on the Dalmatian coast), Amalfi (near Naples) and Genoa are less known.

In each case, operating from a port, a local oligarchy built a maritime empire and above all poisoned its competitors. However, maritime activity, by its very nature, implies taking risks over time. Hence the need for skillful, robust and forward-looking finance, offering insurance and purchase options on future assets and profits. It is therefore no coincidence that most financial empires developed in symbiosis with maritime empires, notably the Dutch and British, and with the West and East India Companies.

At the end of the 15th century, it was essentially Genoa and Venice that were fighting for control of the seas. On the one hand, Venice, historically the bridgehead of the Byzantine Empire and its capital Constantinople (Istanbul), was by far the largest city in the Mediterranean world in 1500 with 200,000 inhabitants. Since its heyday in the 13th century, the Serenissima has defended tooth and nail its status as a key intermediary on the Silk Road to the West. On the other hand, Genoa, which, after having established itself in the Levant thanks to the crusades, by taking control of Portugal, financed all the Portuguese colonial expeditions to West Africa from where it brought back gold and slaves.

Two maritime achievements will exacerbate this rivalry a little more:

  • 1488. Although the works of the Persian scholar Al Biruni (11th century) and old maps, including that of the Venetion monk Fra Mauro, made it possible to foresee the bypassing of the African continent by the Atlantic Ocean to reach India, it was not until 1488 that Portuguese sailors passed the Cape of Good Hope. Thus, Genoa, without any intermediary, could directly load its ships in Asia and bring its goods back to Europe;
  • 1492. Seeking to open a direct trade route to Asia without having to deal with the Venetians or the Portuguese (Genoese), Spain sent the Genoese navigator Christopher Columbus west in 1492. More than a new route to Asia, Columbus discovered a new continent that would be the object of covetousness.
The imperial sharing of the entire world among the Spanish (Venice) and the Portuguese (Genoa),
as signed on by Pope Alexander VI Borgia with the treaty of Tordesillas in 1494

Two years later, on June 7, 1494, the Portuguese and Spanish signed the Treaty of Tordesillas to divide the entire world between them. Basically, all of the New World for Spain, all of the old one (from the Azores to Macao) for Portugal. To delimit their empires, they drew an imaginary line, which Pope Alexander VI Borgia set in 1493 at 100 leagues west of the Azores and the Cape Verde Islands.

Later, the line was extended, at the request of the Portuguese, to 370 leagues. Any land discovered to the east of this line was to belong to Portugal; to the west, to Spain. At the same time, any other Western maritime power was denied access to the new continent. However, in 1500, to the horror of the Spaniards, it was a Portuguese who discovered Brazil. And given its geographical position, to the west of the famous line, this country fell under the control of the Portuguese Empire!

Julius II, a child of Liguria (region of Genoa, therefore linked to Portugal) and vomiting Alexander VI Borgia (Spanish), in 1506, takes great pleasure in confirming, by the bull Inter Cætera, the treaty of Tordesillas of 1494 allowing to fix the dioceses of the New World, obviously to the advantage of the Portuguese and therefore to his own.

The ultimate weapon, culture

On the « spiritual » and « cultural » level, if Julius II spent most of his time at war, posterity retains essentially the image of « one of the great popes of the Renaissance » as a great protector and patron of the arts.

Indeed, to re-establish the prestige (the French word for soft power) and therefore the authority of Rome and its Empire, culture was considered a weapon as formidable as the sword. To begin with, Julius II opened new arteries in Rome, including the Via Giulia. He placed in the Belvedere courtyard the antiques he had acquired, in particular, the « Apollo of Belvedere » and the « Laocoon », discovered in 1506 in the ruins of Nero’s Imperial Palace.

Portrait of Julius II by Raphael, and his tomb by Michelangelo.

In the same year, that is to say six years before the end of the military operations, Julius II also launched great projects, some of which were only partially or entirely completed after his death:

  • The reconstruction of St. Peter’s Basilica, a task entrusted to the architect and painter Donato Bramante (1444-1514) ;
  • The tomb of Julius II, which the sculptor Michelangelo was entrusted with in the apse of the new basilica and of which his famous statue of Moses, one of the 48 bronze statues and bas-reliefs originally planned, should have been part;
  • The decoration of the vault of the Sistine Chapel built by Pope Sixtus IV, the uncle of Julius II, was also entrusted to Michelangelo. Julius II let himself be carried away by the creative spirit of the sculptor. Together, they worked on ever more grandiose projects for the decoration of the Chapel. The artist gave free rein to his imagination, in a different artistic genre that did not please the pope. Until October 31, 1512, Michelangelo painted more than 300 figures on the vault;
  • The frescoes decorating the personal library of the pope will be entrusted to the painter Raphael, called to Rome in 1508, probably at the suggestion of Chigi, Aretino or Bramante. The Stanza was the place where the pope signed his briefs and bulls. This room later became the private library of the pontiff Julius II, then the room of the Tribunal of Apostolic Signatures of Grace and Justice and later, that of the Supreme instance of appeal and cassation. Before the arrival of Julius II, this room and « the room of Heliodorus », were covered with frescoes by Piero della Francesca (1417-1492), a painter protected by the great Renaissance genius cardinal philosopher Nicolaus of Cusa (1401-1464), immortalizing the great ecumenical council of Florence (1438). Decorations by Lucas Signorelli and Sodoma were added later. Following his election, Julius II, anxious to mark his presence in history, and to re-establish the authority of the oligarchy and the Church, had the frescoes of the Council of Florence covered with new ones. Convinced by his advisors, the pope agreed to entrust the direction of the work to Raphael. Officially, it is said that Raphael spared some of the frescoes on the ceiling, notably those executed by Sodoma, so as not to antagonize him entirely. But, as we have said, the content, the very elaborate theme and part of the iconography of the frescoes were decided upon as early as 1506, even before Raphael’s arrival in 1508;
  • To modernize the city of Rome. Julius II, undoubtedly advised by the architect Bramante, singularly transformed the road system of Rome. In order for all the roads to converge towards St. Peter’s Basilica, he ordered the Via Giulia to be pierced on the left bank and the Lungara, the paths that meandered along the river on the right bank, to be transformed into a real street. His death interrupted the great works he had planned, in particular the construction of a monumental avenue leading to St. Peter’s and that of a new bridge to relieve the congestion of the bridge over St. Angelo, to which he had also facilitated access by widening the street leading to it. The extent of the work undertaken poses the problem of materials; although it was, in principle, forbidden to attack the ancient monuments, the reality was quite different. Ruinante, became the nickname of Bramante.
Drawing of the entrance door to the Vatican, circa 1530.

These major construction projects, patronage and military expenses drained the Holy See’s revenues. To remedy this, Julius II multiplied the sale of ecclesiastical benefits, dispensations and indulgences.

In the twelfth century, the Roman Catholic Church established the rules for the trade of « indulgences » (from the Latin indulgere, to grant) through papal decrees. They provided a framework for the total or partial remission before God of a sin, notably by promising, in exchange for a given amount of money, a reduction in the time spent in purgatory to the generous faithful after their death. In the course of time, this practice, essentially exploiting a form of religious superstition, turned into a business so lucrative that the Church could no longer do without it.

In northern Europe, particularly in Germany, the Fugger bankers of Augsburg were directly involved in organizing this trade. This practice was strongly denounced and fought against by the humanists, in particular by Erasmus, before Luther made it an essential part of the famous 95 theses that he posted, in 1517, on the doors of the church in Wittenberg.

In his book Erasmus and Italy, french historain Augustin Renaudet writes that Erasmus, after having met the highest authorities of the Vatican, was not fooled:

He was not long in understanding that apart from the Holy See, the services of the Curia and the Chancellery, apart from the cardinals, the innumerable prelates on mission and in charge, apart from a motley crowd of civil servants and scribes, who populated the administrative or financial offices and the courts, there was nothing in Rome. In all the cities he had known, in Brussels, in Paris, in London, in Milan, in Florence, and recently in Venice, an active economy, fed by industry, commerce, and finance, supported a strong urban bourgeoisie, or as in Venice, an aristocracy of shipowners. In Rome, all the economy, all the trade, all the finance, were in the hands of foreigners: Florentine or Genoese merchants, Florentine or Genoese bankers. These foreigners held in their dependence a people of small merchants, of small craftsmen who sold in the back room, of money changers and Jewish traffickers. Very little industry, the Roman population lived at the service of the Curia, the prelates and the convents. Erasmus marveled at the pride with which the descendants of the people-king pretended to maintain their ancient majesty.
The word of the Roman people was no longer an empty word; Erasmus was to write one day that, in the modern world, a Roman citizen counted less than a burgher of Basel.

Historians André Chastel and Robert Klein, in L’Humanisme, l’Europe de la Renaissance, share this observation:

Another trend, favorable to Caesar and Augustus, had emerged: Rome becoming again more and more the ‘imperial’ capital of all the powerful borrowed or sought to borrow a style from it.

This new style associates besides more and more arma and litterae, the sword and the book.

(…) Rich or poor, any sovereign of the Renaissance will occupy the artists and the scholars insofar as he needs prestige: the greatest patrons of the Renaissance were the ambitious and the warriors, Maximilian, Julius II, Henry VIII, François I, Charles V.

Raphael’s « impresarios »

If, from a contemporary point of view, it seems close to unthinkable for an artist to be « dictated » the theme of his work, this was not the case at the time of the Renaissance and even less so in the Middle Ages. For example, although he was a high-level diplomat of the Duke of Burgundy Philip the Good, the Flemish painter Jan Van Eyck (, one of the first painters to sign his works with his name, was advised on theology by the Duke’s confessor, the erudite Dionysus the Cartusian (1401-1471), a close friend of Cardinal Nicolaus of Cusa. And no one will dare say that Van Eyck « did not paint » his masterpiece The Mystic Lamb.

Raphael’s position was more delicate. In his time, painters still had the status of craftsmen. Including Leonardo da Vinci, who was known for his superior intelligence, declared himself to be a « man without letters », that is to say, unable to read Latin or Greek. Raphael could read and write Italian, but was in the same condition. And when, towards the end of his short life, he was asked to work on architecture (St. Peter’s Basilica) and urban planning (Roman antiquities), he asked a friend to translate the Ten Books of the Roman architect Vitruvius into Italian. Now, any visitor to the « Chambers of the Signature » is immediately struck by the great harmony uniting several dozen philosophers, jurists, poets and theologians whose existence was virtually unknown to Raphael before his arrival in Rome in 1508.

In The Marriage of the Virgin, Perugino (left) starts with a geometric harmony between a rectangle, an isosceles triangle and a circle whose center serves as the vanishing point of the perspective. His pupil Raphael took up the process, but starting from the square.

Moreover, with the exception of The Marriage of the Virgin, painted in 1504 at the age of 21, based on the way his master Pietro di Cristoforo Vannucci, known as Pietro Perugino (c. 1448-1523) had treated the same subject, Raphael had not yet had to meet the kind of challenge that the Stanza would pose to him.

As we have already said, the cartoons and other preparatory drawings, sometimes quite different from the final result, also suggest that, following the « commission, » discussions with one or more impresarios led the artist to modify, improve or change the iconography to arrive at the final result.

As for the theme, as we have already mentioned, the ideas and concepts seem to have emerged during a long period of maturation and were undoubtedly the result of multiple exchanges between Pope Julius II and several of his advisors, librarians, and « orators » of the papal court.

According to historian Ingrid D. Rowlands, the archival documents unquestionably indicate the decisive contribution of three very different personalities of the time:

  • Battista Casali ;
  • Giles of Viterbo;
  • Tommaso « Fedra » Inghirami.

The thorough investigation of the historian Christiane L. Joost-Gaugier has established the predominant role of Inghirami. He was the only one in a position, and in a position, as the pope’s chief librarian, to set the program of the rooms. Raphael, will be his enthusiastic collaborator and will undoubtedly end up being « recruited » to the orientations and vision of his commissionners. This is evidenced by the fact that he demanded to be buried in the Roman Pantheon, considered the most Pythagorean, and believed to be the most neo-Platonic, temple of the Roman era.

Battista Casali

As documented by the Jesuit historian John William O’Malley, it was on January 1, 1508, the year of his appointment to St. John Lateran, a few months before Raphael’s arrival in Rome, that Battista Casali (1473-1525), a professor at the University of Rome, evoked the image of The School of Athens in an oration delivered in the Sistine Chapel in the presence of Julius II:

One day (… ) the beauty of Athens inspired a contest between the gods, where humanity, learning, religion, primacies, jurisprudence and law came into being before being distributed in every country, where the Athenaeum and so many other gymnasiums were founded, where so many princes of knowledge trained their youth and taught them virtue, fortitude, temperance and justice – all of this destroyed in the whirlwind of the Mohaematan war machine… ) However, just as [your illustrious uncle Pope] Sixtus IV [who ordered the construction of the Sistine Chapel], in a way, laid the foundations of education, you laid the cornice. Here is the Vatican library which he erected as if it had come from Athens itself, gathering the books he was able to save from the wreckage, and created in the image of the Academy. You, now, Julius II, supreme pontiff, have founded a new Athens when you invoke the downtrodden world of letters as if it were rising from the dead, and order it, surrounded by threats of suspended work, that Athens, its stadiums, its theaters and its Athenaeums, be restored.

Giles of Viterbo

Giles of Viterbo.

Another major influence on the theme, Giles of Viterbo (1469-1532) of which we will say more below.

  • An outstanding orator, he was called to Rome in 1497 by Pope Alexander VI Borgia ;
  • In 1503, he became the Superior General of the Order of Hermits of Saint Augustine; with 8000 members, it was the most powerful order of its time;
  • He is known for the boldness and seriousness of the speech he gave at the opening of the Fifth Lateran Council in 1512;
  • He severely criticized the bellicose policy of Julius II and urged him to triumph by culture rather than by the sword;
  • After the death of the latter, he became the preacher and theologian of Pope Leo X who appointed him cardinal in 1517.

Tommaso Inghirami

Tommaso Inghirami, Pope Julius II‘s chief librarian and Raphael’s true impresario for the frescoes decorating the Signing Room. Here is his portrait, painted by Raphael in 1510..

Finally, the prelate Tommaso Inghirami (1470-1516), who spoke both Latin and Greek, was also a formidable orator. The man owed his fortune to Lorenzo the Magnificent (1449-1492).

Educated by the Neoplatonic philosopher Marsilio Ficino, Lorenzo the Magnificent was the patron of both Botticelli and Michelangelo who lived with him for three years.

Born in Volterra, Inghirami was also taken in by the Magnificent after the sacking of that city. He carefully supervised his studies and later sent him to Rome where Alexander VI Borgia welcomed him. Inghirami was a handsome and well-dressed man.

At 16, Inghirami earned the nickname « Phaedra » after brilliantly playing the role of the queen who commits suicide in a Seneca tragedy performed in a small circle at the residence of the influential Cardinal Raphael Riario, cousin of Julius II or nephew of Pope Sixtus IV and therefore cousin of Julius II. Thereafter, Phaedra, bon vivant and for whom the celestial and terrestrial pleasures were happily completed, gained in political and especially… physical weight.

  • In 1475, he accompanied the nuncio of Pope Alexander VI to the court of Emperor Maximilian I of the Holy Roman Empire, who named him Count Palatine and poet laureate;
  • On January 16, 1498, Inghirami delivered an oration in the Spanish Church of Rome in honor of the Infant Don Juan, the murdered son of the King of Spain. Inghirami, in the name of Alexander VI Borgia, fully endorsed the Spanish policy of the time: to extend Christianity as well as imperial looting into the New World, to drive the Moors out of Europe and to strengthen the colonial plunder of Africa. If Julius II hated Alexander VI, he will continue this policy;
  • In 1508, Julius II nominates Inghirami to head the Library of the Vatican to be installed in the Stanza;
  • In 1509, while he was heavily involved in the realization of the frescoes of the Stanza, Raphael made his portrait. Raphael shows us a man suffering from divergent strabismus who seems to turn his gaze towards the sky in order to signify where this « humanist » drew his inspiration from;
  • In 1510, the Pope appointed him Bishop of Ragusa;
  • Finally, in 1513, he became papal secretary and at the urgent request of the dying pope, Inghirami delivered his funeral oration: « Good God! What a mind this man had, what sense, what ability to manage and administer the Empire! What a supreme and unshakable strength! »

Inghirami soon served as secretary to the conclave electing Pope Leo X (John of Medici, second son of Lorenzo de Medici, also a great protector of neo-Platonists and « culture »), another pope whose portrait Raphael will paint.

In 1509, eager to reform the Catholic church on the basis of the study of the three languages (Latin-Greek-Hebrew) to settle the religious conflicts which were looming and announced the religious wars to come, Erasmus of Rotterdam meets Inghirami in Rome. The latter exposes to him the imposing cultural building sites which he directed. Erasmus does not say a word about it.

However, a long time after the death of Inghirami, Erasmus complained that the Vatican and the oligarchy recruited among the humanists. He notably fingerpointed the sect of “the Ciceronians”, omnipresent in the Roman Curia and of which Inghirami was one of the leaders.

Thus, in 1528, in a pamphlet titled The Ciceronians, Erasmus quoted Inghirami’s oration on Good Friday of 1509. He denounced the fact that the members of this sect, on the grounds of the elegance of the Latin language, only used Latin words that appeared as they were in the works of Cicero! As a result, all the new language of evangelical Christianity, enshrined in the Council of Florence, which Erasmus wished to promote, was either banned or « re-translated » into pagan terms and words of the Roman era! For example, in his sermon, Inghirami had presented Christ on the cross as a pagan god sacrificing himself heroically rather than as a redeemer.

Finally, shortly after Raphael’s death, Cardinal Jacopo Sadoleto (1477-1547) wrote a treatise on philosophy in which Inghirami (meanwhile tragically deceased) defended rhetoric and denied the value of philosophy, his main argument being that everything written was already contained in the mystical and mythological texts of Orpheus and his followers…

Plato and Aristotle, the impossible synthesis

The Triumph of Saint Thomas of Aquinas (detail), here reconciling Aristotle (left) and Plato (right). Painting by Benozzo Gozzoli, Louvre, Paris.

Now, in order to be able to « read » the theme deployed by Raphael in the « Chamber of the Signature, » let us examine this Florentine « neo-Platonism » that animated both Giles of Viterbo and Tommaso Inghirami.

The approach of these two orators consisted above all in putting their « neo-Platonism » and their imagination at the service of a cause: that of asserting with force that Julius II, the pontifex maximus at the head of a triumphant Church, embodied the ultimate outcome of a vast line of philosophers, theologians, poets and humanists. At the origin of a civilizational and theological « big bang » presumed to lead to the immeasurable lustre of the Catholic Church under Julius II, not only Plato and Aristotle themselves, but those who had preceded them including Apollo, Moses and especially Pythagoras.

From 1506 onwards, Giles de Viterbo, in an exercise that can be described as « beyond” impossible, wrote a text entitled Sententia ad mentem Platonis (« Sentences with the mind of Plato »). In it, he tried to combine into one ideology the Sentences of Peter Lombard (1096-1160), the scholastic text par excellence of the 13th century and the starting point for the commentaries of the Dominican Saint Thomas Aquinas (1225-1274) for his Summa Theologica, and the esoteric Florentine neo-Platonism of Marsilio Ficino (1433-1499) * of whom Giles de Viterbe was a follower.

All this could only please a pope who, in order to establish his authority on earthly and spiritual matters, warmly welcomed this agreement between Faith and Reason defended by Thomas Aquinas who says that “the Truth being one”, reason’s only role is to confirm faith’s superiority.

The very idea to present the wedding of Aristotelian scholasticism (logic presented as « reason ») with Florentine neo-Platonism (Plotinus’ emanationism dressed as « faith ») as a source of poetry and justice as « The Signing Room » does, comes from this.

Let us recall that in the middle of the 13th century, two mendicant Orders, the Franciscans and the Dominicans, were contesting the drift of a Church that had become, above all, the simple manager of its earthly possessions. The one who would later be called St. Thomas Aquinas, opposed on this point (his competitor) St. Bonaventure (1221-1274), founding figure of the Franciscan Order.

For his part, Aquinas relies on Aristotle, whom Albert the Great (1200-1280), whose disciple he was in Cologne, had made known to him, to establish the primacy of « reason ». For the man who was nicknamed « the dumb ox », faith and human reason, each managing their own domain, had to move forward together, hand in hand while of course, the Church had the last word.

The Triumph of Saint Thomas of Aquinas, ca. 1470, painting by Benozzo Gozzoli, Louvre, Paris.

Several paintings (the great fresco of 1366 in the Spanish chapel of Santa Maria Novella in Florence; the painting by Filippino Lippi of 1488 in the Carafa chapel in Rome; or the painting by Benozzo Gozzoli (1421-1497), painted around 1470, in the Louvre in Paris), have immortalized the “Triumph of Thomas Aquinas”.

Gozzoli’s painting in the Louvre is of particular importance because several elements prefigure the iconography of the Signing Chamber, notably the three levels found in Theology (Trinity, Evangelists and religious leaders) as well as the couple Plato and Aristotle found in Philosophy.

In Gozzoli’s painting, we see Aquinas, standing between Plato and Aristotle, throwing down before him the Arab philosopher Averroes (1126-1198) (Ibn-Rushd of Cordoba) expelled for having denied the immortality and the thought of the individual soul, in favor of a « Single Intellect » for all men that activates in us the intelligible ideas.

In the West, before the arrival of Greek delegations in Italy to attend the Council of Ferrara-Florence in 1438, if several works of Plato, including the Timaeus, were known to a handful of scholars, such as those of the School of Chartres or Italians as Leonardo Bruni in Florence, most of the West’s knowledge of Greek thought came down to the works of Aristotle.

For the Aristotelians, who became dominant in the Catholic Church with Aquinas, Plato had to be considered as incompatible with Christianity.

On the other hand, for the Platonists, including Augustine, Jerome and especially Nicholas of Cusa and Erasmus, who honored and adorned him that Erasmus called « Saint Socrates », Plato was to be venerated by Christians: he was monotheistic, believed in the immortality of the soul and venerated, in the form of the Pythagorean triad, the mystery of the Trinity.

John Bessarion, by Justius of Ghent, Louvre, Paris.

In the 15th century, for lack of epistemological clarity and some confusion on the authorship of certain manuscripts, some humanists, in particular Nicolaus of Cusa‘s friend and close collaborator Cardinal John Bessarion (1403-1472), one of the key organizers of the reunification of the Eastern and Western Churches, presented Plato as the « equal » of Aristotle, the latter’s disciple, with the sole purpose of making Plato « as acceptable as possible » to the Catholic Church.

Hence Bessarion‘s now famous phrase « Colo et veneror Aristotelem, amo Platonem » (I cultivate and venerate Aristotle, I love Plato) which appears in his In Calumniatorem Platonis (republished in 1503), a rejoinder to the virulent charge against Plato elaborated by the Greek Georges Trébizond.

Thus, in the School of Athens painted by Raphael, Plato and Aristotle appear side by side, not confronting each other but complementing the other with their respective wisdom : the first holding his book the Timaeus (on the creation of the universe) in one hand, and with the other, pointing to the sky (To the One, to God), the second holding his Ethics (the science of the good in personal life) in one hand, and raising the other arm horizontally to indicate the earthly realm (Physics).

If the commissioners had wanted to underscore the opposition of both philosophers, Plato would have rather been portrayed with his Parmenides (On Ideas) and Aristotle with his Physics (On natural sciences). That is clearly not the case.

Giles de Viterbo in his Sententia ad mentem Platonis will mobilize extreme sophism to erase the irreconcilable and very real oppositions (see box below) between the Platonic thought and that of Aristotle.


Why Plato and Aristotle are not complementary

By Christine Bierre

Logic (Aristotle) versus Dialectic (Plato). Bas-relief by Luca della Robbia.

The fundamental concepts that gave birth to our European civilization can be traced back to classical Greece, and through it, to Egypt and other even more ancient civilizations.

Among the Greek thinkers, Plato (-428/-347 B.C.) and Aristotle (-385/-323 B.C.) asked all the great questions that interest our humanity: who are we, what are our characteristics, how do we live, where are we situated in the universe, how can we know it?

The accounts that have come down to us from this distant period speak of the disagreements that led Aristotle to leave Plato’s Academy, of which he had been a disciple. History then bears witness to the violence of the oppositions between the disciples of the one and the other. During the Renaissance, the most reactionary Catholic currents, the Council of Trent in particular, were inspired by Aristotle, whereas Plato reigned supreme in the camp of humanism, in the hands of some of the greatest, such as Erasmus and Rabelais.

There were various attempts, however, to make them complementary, as discussed in this article by Karel Vereycken. If Plato represents the world of Ideas, Aristotle represents the world of matter. Impossible to build a world without both, we are told. It seems so obvious!

The Greek philosopher, Plato.

Bust of Plato.

All this starts, however, from a false idea opposing these two characters. For Plato, we are told, reality is found in the existence of ideas, universal concepts which represent, in an abstract way, all the things which participate of this concept. For example, the general concept of man contains the concept of particular men such as Peter, Paul and Mary; similarly for good, which includes all good things whatever they are. For Aristotle, on the contrary, reality is located in matter, as such.

What is false in this reasoning is the concept that the Platonic Ideas are abstractions. The Platonic Ideas are, on the contrary, dynamic entities that generate and transform reality. In the myth of the cave in The Republic, Socrates says that at the origin of things is the sovereign Good. In The Phaedo, he explains that it is through « Ideas » that this sovereign Good has generated the world.

In the myth of the cave, Socrates uses an offspring of the idea of the good, the Sun, to help us understand what the sovereign Good is. The Good, he says, has generated the Sun, which is, in the visible world, in relation to sight and objects of sight, what the Good is in the intelligible world in relation to intelligence and intelligible objects. The prisoners in the cave saw only the shadows of reality, and then, on coming out, they saw, thanks to the Sun, the real objects, the firmament and the Sun. After this, they will come to the conclusion about the Sun, that it is he who produces the seasons and the years, that he governs everything in the visible world and that he is in some way the cause of all those things that he and his companions saw in the cave.

The Sun not only gives objects the ability to be seen, but is also the cause of their genesis and development. In the same way for the knowable objects, they hold from the Good the faculty to be known but, in addition, they owe him their existence and their essence. The idea of the Good is thus for Plato the dynamic cause of the things: material and immaterial and not dead universals.

Aristotle’s splintered « One »

Bust of Aristotle.

For Aristotle, as for all the empiricist current which followed him, reality is situated at the level of the objects knowable by the senses. Nature sends us its signals that we decode with our mental faculties. Ideas are only abstractions of the sensible universe which constitutes reality. For him the universals have no real existence: man « in general », does not generate anything. It is only an abstraction of all the men in particular. The particular man is generated by the particular man; Peter is generated by Paul.

It is also said of Aristotle that he « exploded » Plato’s One. There are two ways of conceiving the One. One can think of it either as an absolute One (God or first cause), depending on whether one is a religious person or a philosopher, a purely intelligible principle but a dynamic cause that has generated all things; or one can think of it as the number « one » that determines each particular thing: the number one when we say: a man, a chair, an apple.

Aristotle‘s One simply becomes a particular unity, characteristic of all things that participate in unity. It is not the cause of what « is » but only the predicate of all the elements that are found in all the categories. The Being and the One, he will say, are the most universal of predicates. The One, he will say again, represents a definite nature in each kind but never the nature of the One will be the One in itself. And the Ideas are not the cause of change.

What is the point of all this?

Does this discussion make more sense than all the never-ending debates about the sexes of angels that gave scholasticism such a bad name in the Middle Ages? The One or the many, what does it matter in our daily lives?

This point is however essential. The fact of being able to go back to the intelligible causes of all that exists, puts the human species in a privileged situation in the universe. Unlike other species, it can not only understand the laws of the universe, but also be inspired by them, in order to improve human society. This is why, in history, it is the « Platonic » current that was at the origin of the great scientific, technological and cultural breakthroughs in astronomy, geometry, mechanics, architecture, but also the discovery of proportions that allow the expression of beauty in music, painting, poetry and dance.

As for Aristotle, it must be said that his conceptions of man and knowledge only led him to establish categories defining a dozen possible states of being. Aristotle was also the founder of formal logic, a system of thought that does not claim to know the truth, but only to define the rules of a correct reasoning. Logic is so little interested in the search for truth that one can consider that a judgment that is totally false in relation to reality can be said to be right if all the rules of « good reasoning » of logic have been used.

Woman riding Aristotle. Humanists have long since put their finger on a domain that totally escaped Aristotle‘s logical thinking: desire… A 13th century fable summarizes the story. Aristotle, whose pupil was Alexander the Great, reproached the latter for letting himself be distracted from his royal duties by the courtesan Phyllis, with whom he was madly in love. Obedient, the brave king of Macedonia thus ceases to frequent the damsel and returns to treat the business of the State. Learning the reasons of its abandonment, the lady decides to be avenged of the old philosopher and tries to seduce him by strutting under his windows in light dress. Aristotle falls under her charm ! Phyllis then announces to the wise man that if he wants to possess her, he will have to give himself up to a small caprice and, saddled and bridled, to let himself be ridden by the beautiful. The eminent bearded man accepts this game without suspecting the trick that is being played on him. In saddle and go ! here is Phyllis who rides Aristotle‘s back in the gardens of the king, whipping him to make him advanc

Suite

To begin with, Giles de Viterbo underlines that Aristotle is a « pupil » of Plato and that the « two princes of philosophy » could be reconciled. Very much imbued with the neo-Pythagorean spirit, and for whom Plato was only one of the greatest disciples of Pythagoras, the author argues that both philosophers agree that, contrary to the pagan pantheon, the « One » is the ultimate expression of the divine. Clearly, they were both monotheists and thus their convictions anticipated those of Christianity.

Giles of Viterbo:

Philosophy, which traces and examines all things, judges that all number and multiplicity are absent from God, as Plato and his pupil Aristotle say. Humanity has as its goal the understanding of divine things, as even Aristotle admits in his Ethics.
Thus, if it is necessary to pursue this goal, it is necessary to arrive at the understanding of God.

And he continues:

Now these princes of Philosophy [Plato and Aristotle] can be reconciled, and no matter how much they disagree about creation, the Ideas, or the goal of the Good, these points [of agreement] can be identified and demonstrated (…) [Then], they appear not to disagree with each other at all (…) These great princes can be reconciled if we postulate the double nature of things, one which is free from matter and the other which is within matter (…) Plato follows the first, Aristotle the second, and because of this, these two great leaders of philosophy hardly differ from each other. If you think that we are making this up, listen to them yourselves. For if we speak of humanity, after all the subject of our conversation, then Plato says the same thing, he says humanity is the soul, in the (First) Alcibiades; and in the Timaeus, he says that humanity has two natures, and we know one of these natures by means of the senses, and the other by means of reason. Also, in the same book, he teaches us that each part in us does not exist in isolation from the other, that each nature is concerned with the other nature. Aristotle, in the tenth book of his Ethics, calls humanity Understanding. So you can know that each philosopher (Plato and Aristotle) feels the same way, no matter how much it seems to you that they are not saying the same thing.

Pico della Mirandola the Neo-Platonist

Medal with the effigy of Pico della Mirandola. On the reverse, a deviation from the Platonic theme of the Three Graces (Beauty, Love, Pleasure), an image taken identically from a Roman fresco in Pompeii, which Raphael would in turn take up in his work on the same subject.

Giles of Viterbo, like Tommaso Ingharimi, seems to have taken up the gauntlet thrown to them by John Pico della Mirandola (1463-1494), the young disciple of Ficino.

A precocious scholar, a protégé of Lorenzo de’ Medici (like Inghirami), this man of omniscience was fearless. Thus, in 1485, at the age of 23, he announced his project to gather, at his own expense, in the eternal city and capital of Christianity, the greatest scholars of the world to debate the mysteries of theology, philosophy and foreign doctrines. The objective was to go back from scholasticism to Zoroaster, passing by the Arabs, the Kabbalah, Aristotle and Plato, to expose to the eyes of all, the concordance of wisdom. The affair failed. His initiative, which reserved an important place for magic, could only arouse distrust. For the Vatican, all this could only smell of sulfur, and the initiative was discarded at the time.

However, it will mark the minds of a generation. For his Oratio de hominis dignitate, his inaugural speech written in an elegant and almost Ciceronian style, intended for the presentation of his nine hundred theses, published together after his death, was a great success, especially among young scholars like… Inghirami.

Pico’s achievement, which was not well received by the authorities, was to give humanistic studies (studia humanitatis) a new purpose: to seek the concordance of doctrines and define the dignity of the human being. The aim was, by bringing out what unites them despite their differences, to discover their common ground and, by a coincidence of opposites, to have them meet in a unity that transcends them.

Pico della Mirandola:

That is why, not content with having added to the common doctrines a quantity of remarks on the primitive theology of Mercury Trismegistus, on the teachings of the Chaldeans and Pythagoras, on the most secret mysteries of the Jews, we have also proposed for discussion a certain number of discoveries and conceptions of our own in the physical and theological fields. First of all, we have argued that Plato and Aristotle agree: many have thought so before us, no one has proved it sufficiently. Among the Latins, Boethius had promised himself to do so, but there is no indication that he ever realized what was always his project. Among the Greeks, Simplicius had given himself the same program: heaven forbid that he should have lived up to his intentions! Augustine himself, in his work Against the Academicians, writes that many authors have conceived, with great finesse in argumentation, the project of establishing this same point, namely that the philosophies of Plato and Aristotle are one. Thus John the Grammarian [The Hellenist John Lascarus] affirms well that only those who do not hear the words of Plato believe him to be in disagreement with Aristotle, but it is to his successors that he left the care of the demonstration. We have also added various developments where the concordance between the opinions – reputedly discordant – of Scotus and Thomas on the one hand, of Averroes and Avicenna on the other hand, is affirmed. Secondly, our considerations on Aristotelian and Platonic philosophy have been enriched by seventy-two new physical and metaphysical propositions: by making them one’s own, if I am not mistaken (and I will soon be sure of this), one will be able to solve any problem of a natural or theological nature, according to a philosophical method which is quite different from the one taught orally in schools and which is in honor among the doctors of our time.

In a manuscript found unfinished at the time of his death in 1494 and entitled Concordia Platonis et Aristotelis, Pico della Mirandola explicitly mentions Plato’s Timaeus and Aristotle‘s Ethics, precisely the two books that appear as attributes of their authors in Raphael’s fresco.

Then, in his Heptaplus, a work he completed in 1489, Pico della Mirandola asserted that the writings of Moses and the Mosaic Law, according to him the foundation of all wisdom, were the basis of Greek civilization before becoming that of the Church of Rome. The Timaeus, the major work of Plato, says Pico, demonstrates that its author was an “attic Moses” (from Athens).

Cicero the Neo-platonist

For Inghirami, fascinated by the eloquence and the style of Cicero (-106/-43 BC) of whom he believed himself the reincarnation, the challenge launched by Pico della Mirandola to reconcile Apollo, Pythagoras, Plato and Aristotle, appeared almost as a divine test and the frescoes of Raphael decorating the Stanza will be above all his answer.

In addition, Cicero himself claimed to be a neo-Platonist. In the first volume of his work, the Academica, after condemning Socrates for continually asking questions without ever « laying the foundations of a system of thought », Cicero asserts, several centuries before Pico della Mirandola, that the ideas of Plato and Aristotle, in essence, « had the same principles »:

In the shadow of Plato’s genius, a fertile, varied, universal genius, a unique philosophy was established under the double banner of the academicians and the peripatetics, who, agreeing on things, differed only on the terms. For Plato, who had made Speusippus, son of his sister, the heir of his philosophy, also left two disciples of great talent and rare science, Xenocrates of Chalcedony and Aristotle of Stagire: those who followed Aristotle, were named peripatetics, because they discussed while walking in the Lyceum; whereas those who, according to the institution of Plato, held their assemblies and disserted in the Academy, the other gymnasium of Athens, received from this place the name of Academicians. But both of them, all penetrated by Plato’s fertile genius, formulated philosophy into a certain complete and finished system, and abandoned the universal doubt of Socrates, and his habit of discussing everything without affirming anything. There was then what Socrates entirely disapproved of, a philosophical science, with regular divisions and a whole methodical apparatus. This philosophy, as I have said, under a double name, was one; for between the doctrine of the peripatetic [Aristotle] and the ancient Academy [Plato] there was no difference. Aristotle prevailed, in my opinion, by the richness of his genius; but the one and the other had the same principles, and judged the goods and the evils in the same way.

Royal Portal of Chartres. In the center, Pythagoras with above him the Quadrivium (the sciences: arithmetic, geometry, astronomy and music). To his right, a disciple, with above him the Trivium (the humanities: grammar, rhetoric and logic).

Inghirami was also strengthened by the reading of countless Christian authors in this sense, such as the Frenchman, Bernard of Chartres (12th century), a Neoplatonist philosopher who played a fundamental role in the Chartres school, which he founded. He was appointed master (1112) and then became chancellor (1119) responsible for the teaching of the cathedral school.

You wonder the sculptures of Pythagoras and Aristotle appear side by side on the western portal of the cathedral?

Historian Etienne Gilson writes:

Bernard of Chartres was first of all influenced by Boethius, whose Platonism he adapts. He then set out to reconcile Plato’s thought with that of Aristotle, which made him the greatest Aristotelian and Platonic thinker of the 12th century. John of Salisbury affirmed, in the most formal terms, that Bernard of Chartres and his disciples did not believe that they were simply expounding Plato’s thought by explaining in this way the relation of ideas to things, but that they had the pretension of putting Aristotle in agreement with Plato. That the trouble they took was wasted, is what John of Salisbury clearly states. With a very British humor he notes that these philosophers arrived too late and that they worked uselessly to reconcile dead men who had been arguing all their lives.

Inghirami will have read St. Bonaventure (1217-1274), one of the founders of the Franciscan order, who pointed out that Plato and Aristotle each excelled in their own field:

And so it appears that among philosophers, Plato’s gift is to speak of wisdom, Aristotle‘s of science.

Or the Florentine Marsilio Ficino, this neo-Platonic philosopher of the XVth century whose « Platonic Academy » had put in saddle Pico della Mirandola. Ficino, had he not written in his Platonic Theology that

Plato treats natural things divinely while Aristotle treats even divine things naturally.

In the preface he wrote for The Fable of Orpheus, a play written by his disciple Poliziano (1454-1494), Ficino, referring to Saint Augustine, makes the mythical Hermes Trismegistus (Mercury) the first of the theologians: his teaching would have been transmitted successively to Orpheus, Aglaophemus, Pythagoras, Philolaos and finally Plato.

Thereafter, Ficino will place Zoroaster at the head of these prisci theologi, to finally attribute to Zoroaster and Mercury an identical role in the genesis of the ancient wisdom: Zoroaster teaches this one among the Persians at the same time as Trismegistus taught it among the Egyptians.

Preceding Plato, Pythagoras

The great pre-Socratic thinker, Pythagoras of Samo

In Raphael’s School of Athens, the figure of Pythagoras of Samos (580-495 B.C.), surrounded by a group of admirers, takes a major place. He is clearly identifiable by a tablet on which the musical chords and the famous Tetraktys appear, which we will discuss here.

While historians have so far mainly explored the influence of the Platonic and Neo-Platonic currents on the Italian Renaissance, historian Christiane L. Joost-Gaugier, in her book Pythagoras and Renaissance Europe, has highlighted the extent to which the ideas of the great pre-Socratic thinker Pythagoras influenced the thought and art of the Renaissance.

Geometry (Thales of Miletus?) and Arithmetic (Pythagoras?), bas-relief by Luca della Robbia, Campanile, Florence.

In art, Pythagoras inspired the Roman architect Vitruvius (90-15 BC), and later such theorists of the golden mean such as the Franciscan monk Luca Pacioli (1445-1517), whose treatise, De Divina Proportiona, illustrated by Leonardo da Vinci, appeared in Venice in 1509.

However, if a theorem, probably from India, bears his name (attributed to Pythagoras by Vitruvius), little is known of his life. Just like Confucius, Socrates and Christ, if we are sure that he really existed, no writing from his hand has come down to us.

By necessity, Pythagoras

became a living legend, and even very active during the Renaissance, so much so that most people saw Plato as a mere « disciple » of the « divine Pythagoras ».

Arabic and Chinese texts demonstrating the theorem attributed in the West to Pythagoras.

Born in the first half of the 6th century B.C. on the island of Samos in Asia Minor, Pythagoras was probably in contact with the school of geometer’s founded by Thales of Miletus (-625/-548 B.C.).

Around the age of 40, he left for Crotone in southern Italy to found a society of friends, both philosophical, political and religious, whose chapters were to multiply.

For Pythagoras, the issue is to build a bridge between man and the divine and on this basis to transform society and the city. When asked about his knowledge, Pythagoras, before Socrates and Cusa, asserted that he knew nothing, but that he sherished « the love of wisdom ». The word philo-sophy would have thus been born.

No Christian humanist, reading Saint Jerome (347-420), one of the Fathers of the Catholic Church, could escape the praise that the latter gives to Pythagoras.

In his polemic Apology against the Books of Rufinus, Jerome, in order to evoke an exemplary behavior, quotes what two disciples of Pythagoras would have said:

We must by all possible means avoid softness of the body, ignorance of the spirit, intemperance, civil dissensions, domestic dissensions and in general excess in all things.

And Jerome invokes the « Precepts of Pythagoras » :

Everything must be common among friends; a friend is another ourselves. We must consider two periods in life, the morning and the evening, that is, what we have done and what we must do. After God, we must seek the truth, which alone can bring men closer to the Creator.”

Secondly, Jerome believes that Pythagoras, in affirming the concept of the immortality of the soul, preceded Christianity:

Listen to what Pythagoras was the first to find in Greece, Jerome says: That souls are immortal, that they pass from one body into another, and, it is Virgil himself who tells us in the sixth book of the Aeneid: When they have made a revolution of a thousand years, God calls them in great numbers to the banks of the river Lethe, so that they may undoubtedly see again the heaven they no longer remember; it is then that they begin again to revive a new body, which first was Euphorbus, then Calide, then Hermoticus, then Perhius and finally Pythagoras ; and that after a certain time what has existed begins to be born again, that there is nothing new in the world, that philosophy is a collection of meditations on death, that every day it strives to free the soul from the chains that bind it to the body and to give it back its freedom. Plato communicates many other ideas in his writings, especially in the Phaedo and in the Timaeus.

The hidden geometry of numbers

For Pythagoras « the beginning is half of everything ». According to Theon of Smyrna (v. 70/v. 135), for the philosopher, « numbers are, so to speak, the principle, the source and the root of all things ».

Aristotle, in his Metaphysics reports:

The Pythagoreans first applied themselves to mathematics… Finding that things [including musical sounds] model their nature mainly on the set of numbers and that numbers are the first principles of the whole of nature, the Pythagoreans concluded that the elements of numbers are also the elements of everything that exists, and they made the world a harmony and a number.

And as Cleinias of Tarantum (4th century BC), a Pythagorean friend of Plato, said:

When these things, therefore, are at rest, they give birth to mathematics and geometry, when they are in motion to the harmonica and astronomy.

The idea of the « monad », a dynamic unity participating in the One, perfected several centuries later by the philosopher and scientist Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716) in his « Monadology« , comes to us from this period. Etymologically meaning « unity » (monas), it is the supreme unity (the One, God, the principle of numbers) which, while being at the same time the minimal unity, reflects in the microcosm the same dynamic activity that the One represents in the macrocosm.

Already, just the name of Apollo (a god considered as « the father » of Pythagoras) means, as Plato, Plutarch and other ancient authors point out: free of all multiplicity (Pollo = multiplicity; a-pollo = non-multiple).

Xenophanes of Colophones (born around 580 BC), asserts the existence of a unique God governing all things by the power of his intelligence. It is about a god not similar to the men, because eternal, incorporeal and spherical.

The triangular numbers: 1, 3, 6 and 10. Note the presence of a hexagon inside the number 10, the famous Tetraktys of Pythagoras.

As much as this conception of a dynamic One has sometimes provoked an explosion of esoteric interpretations, it has stimulated the most creative minds and terrorized the formalists of thought.

When speaking about simple things, arithmetic numbers, Pythagoras uses the terms of one, two, three, four, five, ten…, while to evoke ideal numbers and their power, he speaks about: monad, dyad, triad, tetrad, decad, etc. Thus, by conceiving numbers in a non-linear but figurative way, he offers an arithmetic applicable to astronomy, music and architecture. By arranging these numbers, like marbles, in a particular way, Pythagoras discovered the famous « geometry of numbers ». For example, in the case of triangular numbers, three points form a triangular surface. If we add three points below, we find the number 6, but it is still a triangle. And if we add four more points, we get the number 10, still a triangular number.

The Patriarch of Constantinople Photius (810-893) confirms that :

The Pythagoreans proclaimed that the complete number is ten.
The number ten, is a compound of the first four numbers that we count in their order. That is why they called Tetraktys the whole constituted by this number.

Besides the plane and triangular numbers (1, 3, 6, 10, etc.), Pythagoras explored the square numbers (1, 4, 9, 16, …), rectangular, cubic, pyramidal, star-shaped, etc. In doing so, Aristoxenus said, Pythagoras had « raised arithmetic above the needs of merchants ». This approach, that of seeing harmony above and within the multiple, has inspired many scientists throughout history. One thinks of Mendeleev for the elaboration of his table of elements or of Einstein.

The power of numbers was also well understood by the cardinal-philosopher Nicolaus of Cusa, who evokes Pythagoras in the first chapter of his treatise De Docta Ignorantia (1440), when he states that :

All those who search, judge the uncertain by comparing it to a certain presupposition by a system of proportions. All research is therefore comparative, and uses the means of proportion: if the object of research can be compared to the presupposition by a small proportional reduction, the judgment of apprehension is easy; but if we need many intermediaries, then difficulty and pain arise. This is well known in mathematics: the first propositions are easily brought back to the first principles which are very well known, whereas the following ones, because they need the intermediary of the first ones, have more difficulty. Therefore, all research consists of a comparative proportion, easy or difficult, and this is why the infinite, which escapes, as infinite, from all proportion, is unknown. Now, the proportion which expresses agreement in a thing on the one hand and otherness on the other hand, cannot be understood without the number. This is why the number encloses all that is susceptible of proportions. Therefore, it does not create a proportion in quantity only, but in everything that, in some way, by substance or by accident, can agree and differ. Therefore, Pythagoras strongly believed that everything was constituted and understood by the power of numbers. Now, the precision of combinations in material things and the exact adaptation of the known to the unknown are so far above human reason that Socrates considered that he knew nothing but his ignorance; at the same time as the very wise Solomon affirms that all things are difficult and that language cannot explain them.

The Geometry of numbers,
the secret of mental calculations

Here is a simple example.

One day, in Göttingen, the teacher of the young German mathematician Carl Gauss (1777-1855) asked his students to calculate the sum of all the numbers from one to one hundred. The students did so and began to add the numbers 1 + 2 + 3 + 4 + 5, etc.

The young Gauss raises his hand and, following a mental calculation, announces the result of the operation: « 5050, Sir! »

The teacher, surprised, asks him how he arrived at the result so quickly. The young Gauss explains: to see if there is a geometry in the number 100, I added the first digit (1) with the last (100). This gives 101. Now, if I add the second digit (2) with the second to last one (99), it also makes 101. I concluded that within the number 100 there are fifty pairs of even and odd numbers whose sum is 101 each time. Thus, by multiplying 101 by the number of couples (50), I immediately arrive at 5050.

From Pythagoras to Plato

For Pythagoras, the most perfect surface is the circle and the ideal volume is the sphere since regular polyhedra can be inscribed. According to one of his disciples, the Italian Philolaus of Croton (-470/-390 BC), Pythagoras would have been the first to define the five regular polyhedrons:

  • the cube,
  • the tetrahedron (a pyramid with 4 triangular faces),
  • the octahedron (composed of 8 triangles),
  • the icosahedron (64 triangles) and
  • the dodecahedron (composed of 12 pentagons).

Since Plato describes them in his work, the Timaeus, these regular polyhedra took the name of « Platonic solids ». Let’s recall that Plato went to Italy several times, notably to meet his close friend, the great Pythagorean scientist, astronomer, musical theorist and political leader, Archytas of Tarantum (-428/-387), considered today as « the father of robotics ».

A direct disciple of Philolaos, Archytas became the mathematics teacher of the brilliant Greek astronomer and physician Eudoxus of Cnidus (-408/-355).

A geometrical vision of numbers allows to see how their power increases. For example, by going from the number 3 to the number 4, one goes from the second dimension to the third.

Starting with Archytas, the Pythagoreans associate the 1 to the point, the 2 to the line, the 3 to the surface (the two-dimensional geometrical figure: circle, triangle, square…), the 4 to the solid (the three-dimensional geometrical figure: tetrahedron, cube, sphere, etc.).

Let’s add that in the Timaeus, one of Plato’s last dialogues, after a brief exchange with Socrates, Critias and Hermocrates, the Pythagorean philosopher Timaeus of Locri (5th century BC) exposes a reflection on the origin and the nature of the physical world and of the human soul seen as the works of a demiurge while addressing the questions of scientific knowledge and the place of mathematics in the explanation of the world.

Cicero (Republic, I, X, 16) specifies that Timaeus of Locri was an intimate of Plato:

No doubt you have learned, Tuberon, that after the death of Socrates, Plato went first to Egypt to learn, then to Italy and Sicily, in order to learn all about the discoveries of Pythagoras.
There he lived for a long time in the intimacy of Archytas of Taranto and Timaeus of Locri, and had the chance to obtain the Commentaries of Philolaos.

The music of the spheres

Luca della Robbia: Pythagoras discovering harmony.

A magnificent bas-relief on the campanile of the Florence cathedral reflects what the early Italian humanists knew about Pythagoras.

Luca della Robbia (1399-1482), the sculptor working on the instructions of the humanist chancellor of Florence Leonardo Bruni (1370-1444), shows Pythagoras, a large hammer in one hand, a small hammer in the other, striking an anvil and concentrating his mind on the difference in the sounds he produces.

Pythagoras among the blacksmiths.

According to the legend, Pythagoras was walking near a forge when his attention was caught by the sound of hammers striking the anvil. He discerned in his ear the same consonances as those he could produce with his lyre. His intuition led to a fundamental discovery: musical sounds are governed by numbers.

This is how Guido d’Arezzo (992-1050), the Benedictine monk who created the system of musical notation still in use, relates the event in the last chapter (XX) of his book Micrologus around 1026:

A certain Pythagoras, a great philosopher, was traveling adventurously; he came to a workshop where an anvil was being struck with five hammers. Amazed by the pleasant harmony [concordiam] they produced, our philosopher approached them and, believing at first that the quality of sound and harmony [modulationis] lay in the different hands, he interchanged the hammers. When this was done, each hammer retained its own sound. After having removed one that was dissonant, he weighed the others, and, admirably, by the grace of God, the first weighed twelve, the second nine, the third eight, the fourth six of I don’t know what unit of weight. He thus knew that the science [scientiam] of music resided in the proportion and ratio of numbers [in numerorum proportione et collatione] […] What can we say about the science of music? […] What more can be said? By arranging the notes according to the intervals mentioned above, the illustrious Pythagoras was the first to perfect the monochord. As it is not lasciviousness that one finds there, but a fast revelation of the knowledge of our art, it met a general assent among the scholars. And this art has gradually been affirmed and developed to this day, for the Master himself always illuminates the human darkness and his supreme Wisdom endures for all centuries. Amen.

Here, the diagram (found on a slate placed at the feet of Pythagoras in Raphael’s fresco), which visualizes the musical harmonies obtained by dividing a string. Dividing it in two gives the octave, in three the fifth and in four the fourth. Finally, epogdoon (from the prefix epi- meaning above and ogdoon meaning the eighth) translates the interval of 9/8, which here corresponds to the tone.

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The diagram (visible on the slate placed at the feet of Pythagoras in Raphael’s fresco), which visualizes the musical harmonies that are obtained by dividing a string. Dividing it in two gives the octave, in three the fifth and in four the fourth. Finally, epogdoon (from the prefix epi- meaning above and ogdoon meaning the eighth) translates the interval of 9/8, which corresponds here to the tone.

Let’s go back to the harmonic ratios that Pythagoras discovered from the weights of the hammers: 12, 9, 8 and 6.

  • The ratio between 12 and 6 is the half and corresponds to the octave (diapason). It is found on a musical instrument by vibrating half a string;
  • The ratio between 12 and 8 is a ratio of two thirds, which corresponds to the fifth (diapente);
  • The ratio between 8 and 6, is a ratio of three quarters, which corresponds to the fourth (diatessaron);
  • Finally, the ratio between 8 and 9 gives the interval of a tone (epogdoon, the prefix epi- meaning above and ogdoon meaning the eighth).
Illustration from the treatise Theorica musiche (1480, Naples), by the theorist and composer Franchini Gaffurio (1451-1522), a friend and colleague of Leonardo da Vinci at the Sforza court in Milan.

Later, the Pythagoreans transposed the same proportions to other objects, including volumes of water in glasses, the size of bells as well as bronze disks or the length of strings of musical instruments or flutes. For Pythagoras, this experience is fundamental because it corroborates the basic intuition of his philosophy: everything that exists is number, including phenomena as immaterial as musical intervals. In a famous passage of the Timaeus (35-36), Plato describes the fabrication of the proportions of the World Soul by the Demiurge. This passage is based on the numerical series 1, 2, 3, 4, 9, 8, 27, which corresponds to the fusion of the series of the first powers of 2 (2, 4, 8) and the series of the first powers of 3 (3, 9, 27). Now, from this series, we can derive the numerical relationships on which the musical intervals are based.

In his Metaphysics, Aristotle also notes :

The Pythagoreans noticed that the whole of the modes of musical harmony and the relations which compose it are resolved in proportional numbers.

With the French philosopher Pierre Magnard, we would rather say:

If to know is to measure, music is the art of pursuing measurement beyond the threshold of incommensurability. When numerical, metric and weight standards are no longer capable of establishing proportions between natural realities, harmony comes to the rescue of its own scales – diatonic, chromatic, enharmonic – and of its intervals – fifth, fourth, third, octave – to make up for the lack of calculation.

Finally, as the Roman musicologist Theon of Smyrna (70-135) stated:

The Pythagoreans assert that music is a harmonic combination of opposites, a unification of multiples and an agreement of opposites.

In addition, for the Pythagoreans, music also had an ethical and medical value:

He started education with music, using certain melodies and rhythms, thanks to which he healed the character traits and passions of men, and brought harmony between the faculties of the soul.

All this made Pythagoras the incarnation of a cosmic and universal harmony**. Moreover, he would have been the first to have used the word « cosmos » (perfection, order).

A page from The Harmony of the World by Johannes Kepler.

Pythagoras, praised by the first true astrophysicist Johannes Kepler (1571-1630), is said to have been the first to coin the concept of « the music of the spheres » or « the harmony of the spheres ».

For, as Sextus Empiricus (towards the end of the second century) states in his Pyrrhonian sketches, Pythagoras would have noted that the distances between the orbits of the Sun, the Moon and the fixed stars correspond to the proportions regulating the intervals of the octave, the fifth and the fourth. In the Republic, Plato states that astronomy and music are « sister sciences ».

A page of the Harmony of the World where the astronomer Johannes Kepler evokes the music of the spheres.

Copernicus admits that the work of the Pythagoreans inspired his own research:

Others think that the Earth moves. Thus, Philolaos the Pythagorean says that the Earth moves around the Fire in an oblique circle, as do the Sun and the Moon. Heraclitus of Pontus and Ecphantos the Pythagorean do not, it is true, give the Earth a translational motion [motion around the Sun, heliocentrism]… Starting from this, I too began to think of the mobility of the Earth

(Copernicus, letter to Pope Paul III, preface to De revolutionibus orbium caestium [On the Revolutions of the Celestial Orbs], 1543).

The name Pythagoras (etymologically, Pyth-agoras: « he who was announced by the Pythia », the goddess), derives from the announcement of his birth made by the oracle to his father during a trip to Delphi. However, legend has it that Pythagoras was the son of Apollo, the god of light, poetry and music.

According to the oldest pre-Socratic traditions, Apollo had conceived a plan to control the universe. This plan was revealed in « the music of the spheres » under the wise supervision of Apollo, the sun god and god of music; a Greek god who passed to the Romans without changing his name. Apollo is represented with a crown of laurels and a lyre, surrounded by the nine muses.


GUIDED TOUR

After reviewing the political situation of the time, the motivations of Pope Julius II and his advisors seeking to re-establish the authority of a « Triumphant Church, » the ultimate culmination for centuries to come of a culture that goes back to Apollo, Moses, Pythagoras, Plato, Cicero and their disciples, the viewer now has some solid « keys » (the « codes ») in hand that will allow him or her to « read » Raphael’s frescoes adorning the Stanza.

Without Raphael’s account of his work, this reading remains an obstacle course. For example, the identification of the figures remains uncertain, since, with a few rare exceptions, no tablet tells us this. The idea, in any case, is that the spectator, by analyzing the appearance and gestures of each one, discovers for himself who is represented.

As we said, when entering the room, the viewer is immediately asked to appreciate each fresco not in isolation, but as an expression of a coherent whole.

When entering the Stanza, as if inside a painted cube, one immediately realizes that one is facing a theatrical setting. For the great vaults that the spectator discovers are only painted images and do not respond to any structural reality of the building. Inghirami was a speaker, an actor and a director who knew who should appear where, with what attitude and dressed in what way. Thanks to this imagination, a room that was at first sight rectangular and boring, was transformed into a spherical cube because the corners of the room were « rounded » with stucco.


A. THE CEILING

The ceiling of the Signing Chamber: at the centre, the coat of arms of Julius II (A). Then four circles with Philosophy (B), Theology (C ), Poetry (D) and Justice (E).

From the thematic point of view, the visual path, as one might expect, begins on the ceiling and ends on the floor. In the center of the ceiling, a small circle with the coat of arms of Julius II. Around it, an octagon surrounded by four circles connected by four rectangles. Each of the four circles touches the top of one of the four vaults painted on the four walls and shows an allegorical figure and a text announcing the theme of the large frescoes below.

Each time, it is a question of emphasizing the harmony uniting all the opposing (circle, square) parts. While the real incompatibilities are left to the checkroom, the oppositions and the formal differences will even be strongly emphasized, but exclusively to show that one can accommodate them by submitting them to a higher design.

The four circular frescoes decorating the ceiling of the Signature Chamber. Starting at the top left and going clockwise: Theology, Philosophy, Justice and Poetry.

Thus two double themes (2 x 2) are articulated:

  • Philosophy (the true accessible by reason), nicknamed The School of Athens, and Theology (the Truth accessible by divine revelation), nicknamed since the Council of Trent, the « Dispute of the Holy Sacrament »; a theme common to Aquinas and the neo-Platonists.
  • Poetry and music (the Beautiful), and Justice (the Just), a theme of Ciceronian origin.
  • Above the theme Philosophy, in one of the four circles, is represented by a woman wearing a dress with each of the four colors symbolizing the four elements evoked by a motif: blue illustrates the stars, red the tongues of fire, green the fish and golden brown the plants. Philosophy holds two books entitled « Morality » and « Nature », while two small genius (geniuses) carry tablets on which one can read « CAUSARUM » and « COGNITO », read together meaning « To know the causes ». Clearly, the aim of moral and natural philosophy is to know the causes, that is to say to go back to God.
  • Above Theology, a woman dressed in red and green, colors of the theological virtues. In her left hand, she holds a book, her right hand points to the fresco below. Two geniuses carry tablets saying « DIVINAR.RER » and « NOTITIA », « The revelation of sacred things ».
  • Above Poetry, the winged figure of the Poetry carrying lyre and crown of laurels. Two putti (cherubs) present us with tablets on which are inscribed the words of Virgil: « Inspired by the spirit » (NVMINE AFFLATVR). Since we are dealing with puttis and not geniuses, there is a clear reference to the Christian spirit that inspires the arts.
  • Finally, above the last fresco, Justice, a woman holds the attributes of justice: the scales and the sword. Two putti carry tablets with the words of the Emperor Justinian: « IVS SVVM VNICUMQUE », that is, « to each his just punishment ».

Then, still on the ceiling, as we have indicated, there are four rectangular frescoes connecting the four circles whose theme we have just specified. Again, these are two pairs that complement each other.

In the four squares: A. Wisdom, the first mover; B. The Fall with Adam and Eve driven out of Paradise; C. The Judgment of Salomon; D. The triumph of Apollo over Marsyas in the fight for the lyre.

A. A first rectangular fresco, linking Philosophy with Poetry, shows us a woman (wisdom, the first mover) here as the first cause and setting a celestial globe in motion and thus the universe in action. It may be the mythical Sibyl mentioned by Heraclitus, a superhuman incarnation of the prophetic voice. Philosophically, it is an allegory of the creation of the universe (or Astronomy). The constellation that appears on the globe has been identified. It corresponds to the sky map of the night of October 31, 1503, the date of the election of Julius II… which of course the date he became the “prime mover” of the universe.

B. The second rectangle, diametrically opposed to the first one and linking Justice to Theology, represents « Adam and Eve driven out of Paradise ». Considered as the beginning of theology, « The Fall of Man », will be repaired by the « redemption » that the Church and Pope Julius II will bring, embodied by the creative wisdom putting the universe back into motion.

C. The third rectangle, linking Philosophy and Justice, represents « The Judgment of Solomon, » a scene showing King Solomon’s wise judgment when two mothers claimed the same child.

D. And finally, the fourth, at the other end of the diagonal, connecting Poetry and Theology, represents, not « The Flogging of Marsyas » as has been claimed, but another rather rare scene, « The Triumph of Apollo over Marsyas » in the struggle for the lyre. The latter receives a crown of laurels. The two judgments are based on different bases for their mutual appreciation. While King Solomon, representing the Old Testament, judges on the basis of the divine law, Apollo, who represents antiquity here, prevails thanks to the rules of the pagan pantheon, his will power.


B. THEOLOGY

(THE DISPUTE OF THE HOLY SACRAMENT)

Theology (Dispute of the Holy Sacrament)

*In the upper (celestial) register :
A. God the Father, B. Jesus Christ, C. Mary, D. St. John the Baptist, E. Apostle Peter, F. Adam, G. St. John the Evangelist, H. King David, I. St. Lawrence, J. Judas Maccabaeus, K. St. Stephen, L. St. Stephen, M. Moses, N. James the Greater, O. Abraham, P. St. Paul, SE. Holy Spirit.


*In the lower (earthly) register:
1. Fra Angelico, 2. ?, 3. Donato Bramente, 4. ?, 5. ?, 6. Pico della Mirandola, 7. ?, 8. ?, 9. ?, 10. Saint Gregory, 11. Saint Jerome, 12. ?, 13. ?, 14. ?, 15. ?, 16. Saint Ambrose, 17. Saint Augustine, 18. Saint Thomas of Aquinas, 19. pope Innocent III, 20. Saint Bonaventure, 21. pope Sixtus IV, 22. Dante Alighieri, 23. ?, 24. ?; 25. a mason, 26. ?, 27. ?

Historians tell us that it was the first fresco to be made. The core subject here is the Trinity and « transubstantiation », a supernatural phenomenon signifying the conversion of one substance into another, in the case of Christians, the conversion of bread and wine into the body and blood of Christ in the Eucharist under the action of the Holy Spirit. This meant a « real presence » of God at mass and thus a major attraction to attract the faithful and a precondition to obtain « indulgences » from him. For some humanists, such as the Swiss Protestant Ulrich Zwingli (1484-1531), any doctrine of the real presence is idolatry because it would be tantamount to worshiping bread and wine as if it were God.

Erasmus, for whom the performance of rituals should never be a substitute for true faith, explains that when Christ said to his disciples, in offering them bread, « this is my body » and « this is my blood, » in offering them wine, he was in reality talking metaphorically, not of bread and wine, but of his disciples (his body) and his teaching (his blood).

The idea of the composition is to show the triumph of the unity of the Church in Christ in all its complexities and diversities. The scene takes place on two levels, one celestial and the other terrestrial, lining up, as in a theater, a vast variety of actors presenting themselves to the public.

Above, in the celestial register, the heart of the subject, « the Trinity » with God the Father (A) blessing enthroned above a Christ (C) surrounded by Mary (B) (the New Testament) on his right and St. John the Baptist (D) (the Old Testament) on his left, themselves appearing above a dove symbolizing the Holy Spirit (SE).

Around them, to match the architecture of the School of Athens opposite, sit peacefully on a semi-circular cloud bench, the remarkable figures of the Church Triumphant, accompanied by their traditional attributes and dressed in colorful garments specific to each.

At the ends of the semicircle, two apostles: the Apostle Peter (E), representing the Jews, and the Apostle Paul (P), representing the Gentiles, face each other, as if they were the outer guards of the triumphant Church, the custodians of both the key and the letter of it. The Old Testament is represented by Adam (F) facing Abraham (O), and Moses (M) facing King David (H) with his harp in hand. The New Testament is also represented by St. John (G) facing St. Matthew (N) (two authors of the Gospel), by St. Lawrence (I) and St. Stephen (L) (both martyred saints).

At the bottom, in the terrestrial register, there is an enormous altar (Y) on which is written (in the middle) « IV LI VS » (Julius). A golden monstrance (X) with a host in its center proclaims the presence of Christ in the mystery of transubstantiation. Next to it, the Doctors of the Church of the early days of Christianity: on the left (under the features of Julius II) St. Gregory (No. 10), the great reformer of the ritual and the chant of the Mass, next to St. Jerome (No. 11), the most profound scholar of Christianity), accompanied by his lion. On his right Saint Augustine (N° 17) and Saint Ambrose (N° 16). These four doctors are, unlike the other figures, seated, which already brings them closer to the figures in the heavens; we can also distinguish two later doctors who are St. Thomas Aquinas (No. 18), a Dominican; and St. Bonaventure (No. 20), a Franciscan.

The historian Konrad Oberhuber, adds that these last two,

embody two tendencies of the Church: one that sees its essence of Christianity in ritual and devout adoration (the dimension of feeling), the other that defends the importance of theology (the dimension of thought).

Only two figures appear twince in Raphael’s frescoes: Dante Aleghieri and Pico della Mirandola. The latter, here on the left, dressed in white, in Philosophy, on the right, dressed in yellow in Theology.

Then, Popes Innocent III (1160-1216) (N° 19), the most powerful pope of the Middle Ages who established the political independence of Rome) and Sixtus IV (1414-1471) (N° 21, Francesco della Rovere by name) rub shoulders with religious figures such as the Dominican Savonarola (instigator in 1494 in Florence of a political revolution (return to the Republic) and moral revolution (rechristianization) or, the painter Fra Angelico (N° 1), contemporary of Savonarola, admired for his frescoes and his sublime paintings, accompanied by Dante Alighieri (N° 20), whose Divine Comedy (with hell, purgatory and paradise) had an influence on theology in the Middle Ages, Donato Bramante (N° 3), the famous architect of St. Peter’s Basilica, not forgetting Pico della Mirandola (N° 6), (mistaken for Francesco Maria della Rovere) who, with his hair blowing in the wind, is pointing towards the Trinity in a light and graceful wiggle. On the right, masons (N° 22), who build churches, bend forward. If on the right, behind the figures, the white marble foundations (Z), allude to the new St. Peter’s Basilica whose reconstruction Julius II has just launched, on the left, a village church (Q) reminds us that Christianity must penetrate the daily life of the humble.


C. PHILOSOPHY

(“SCHOOL OF ATHENS”)

A beautiful central view perspective shows a get together of 58 Greek and other thinkers in an ideal temple. No chiaroscuro effect disturbs the balance of the colors and the clarity of the composition.

The American thinker Lyndon LaRouche (1922-2019), during his visit to the Vatican, marveled at the graceful harmony that radiates from this work. It could not help but resonate with a concept LaRouche developed throughout his life: that of the « simultaneity of eternity »; the poetic idea that « immortal » ideas continue their dialogue in a place beyond material time and space.

According to historians, Raphael, faced with the Herculean task of creating this series of portraits, and lacking reliable visual data about the figures to be portrayed, sent one of his assistants to Greece to collect indications and provide him with documentation to meet the challenge.

Small detail: the event doesn’t take place in Athens or Greece, but in Rome. The architecture is clearly inspired by the church of Sant’Andrea of Mantua, renovated shortly before his death by Leon Battista Alberti (1404-1472) and by Bramante‘s plans for the reconstruction of St. Peter’s Basilica in Rome. It is Rome set to become the new Athens.

Nave of the church of Sant’Andrea in Mantua, built in 1473 by the architect Leon Battista Alberti.

Although the steps can be found in the preparatory drawings, the large arches with their coffered vaults, typical of the dome of the Roman Pantheon, do not appear. Another probable source of inspiration is the arches, also with coffered vaults, the Basilica of Maxentius and Constantine, built in Rome at the beginning of the 4th century to reaffirm the power of the beauty of the Eternal City.

It is not excluded that Bramante himself, who had made a tromp-l’oeil using this type of pattern in the apse of the church of Santa Maria presso San Satiro in Milan, designed them in person. With three arches (tetrad) and seven rows of caissons, Pythagorean numerology is never far away.

Visually, the ensemble is divided in two. The audience is on the same level as the foreground, a paved parterre behind which a very wide staircase leads to a raised forecourt. For the viewer, a slightly cavalier perspective reinforces the monumental dimension of the figures on the upper level. This setting is inevitably reminiscent of a theater stage.

The actors, arriving from the old world, can enter the stage on one side, under the statue of the Greek god Apollo (A), god of light, and leave on the other, towards the new world, under the statue of Pallas Athena (B), which became Minerva in Roman times, protector of the Arts, to exchange ideas with each other, address the audience or climb the stairs and leave through the back.

In the center of the square and in the center of a perspective with a central point of view, Plato (N° 9) and Aristotle (N° 10) don’t confront each other but move forward, side by side, towards the viewers (and the Triumphant Church on the opposing wall).

The first one, with the Timaeus in his hand, points a finger towards the sky, meaning that beyond the visible, a higher principle exists. The second one extends his arm and his hand horizontally underlining that all truth comes to us from the testimony of the senses, while carrying the Ethics with the other arm.

Strangely, these are the only two books in the stanza whose names appear in Italian (Timeo, Etica) and not in Latin. As the art critic Eugenio Battisti (1924-1989) observed:

If we (…) examine the titles of the works respectively held by Plato and Aristotle, we see the philosopher of the Academy holding the Timaeus, that is to say the most Aristotelian and the most systematic of his works and the Stagirite, the Nicomachean Ethics, that is to say the most Platonic of his works.

Even the choice of the colors of the clothes emphasizes complementarity: Plato is dressed in red (fire) and purple (ether); Aristotle in blue (water) and yellow (earth).

The colors of the clothes of the two philosophers symbolize the four elements: Plato is dressed in red (fire) and purple (ether); Aristotle in blue (water) and yellow (earth).

If the whole fresco cuts the world in two between Platonists and Aristotelians, both walk together towards what is in front of them and behind the spectator who looks: towards the fresco of Theology with the Trinity in the center without forgetting the monstrance and the imposing altar on which is marked « JV-LI-VS PON TI CUS ». How generous of the Church to welcome so many pagans into its midst!

Plato and Aristote walk toward this alter in front of them, on which one can read twice (in the center and on the top): « Julius »

Raphael however communicates a great sense of movement. In the same way that the Dutch painter Rembrandt, in his 17th century masterpiece The Company of Captain Frans Banning Cocq, known as The Night Watch, broke with the formal representations of the dignitaries of the city guilds, Raphael here drew a line under the frozen and static representations of the series of « great men » often decorating the palaces and libraries of the great princes and lords in the style of his master Perugino.

His fresco, like Leonardo’s Last Supper in Milan, is organized as a sequence of small groups of three or four people conversing with a great thinker or each other, never out of sync with what is happening around them. In this sense, Raphael translated into images, and thus made accessible to the eyes of the spectators, that harmonic unity transcending the multiple so sought after by the commissioners.

Raphael and Inghirami did not hesitate to use portraits of people living in their time to represent historical figures. In addition to themselves, there are their patrons, colleagues and other personalities whom they hoped to please or charm.

In the foreground, four groups are shown.

Raphael’s impresario, the Pope’s chief librarian, Tommaso Inghirami as Epicurus in Raphael’s fresco. He wears not a laurel wreath, but oak leaves, the coat of arms of Pope Julius II.

On the left, Epicurus (N° 25), here with the features of Inghirami writing the setting of the play. Born in Samos like Pythagoras, he wears here, not a crown of laurels, reward given to great orators, but a crown of oak leaves, symbols that we find in the coat of arms of pope Julius II.

Some historians believe that Inghirami was a Dionysian follower of Orphism, another pre-Socratic current. Dionysus is indeed the brother of Apollo and according to some, their teachings are one and the same.

As mentioned above, shortly after Raphael’s death (1520), Cardinal Jacopo Sadoleto published a treatise in which Inghirami defends rhetoric and denies any value of philosophy, his main argument being that everything written is already in the mystical and mythological texts of Orpheus and his followers.

In Rome, the scholars of the time knew Epicurus mainly through their readings of Cicero for whom Epicurus was not a debauchee but someone who sought the noblest pleasure. Cicero had a friendship with an Epicurean philosopher, a certain Phaedrus, as it happens the nickname of Inghirami…

Finally, on the extreme left, there is an old bearded man, the Greek thinker Metrodorus (N° 26), disciple of Anaxagoras and for whom it is « the acting spirit » that organized the World. In front of him, a newborn baby. Together they could symbolize the birth of truth (the child) and wisdom (the old man) and experience.

Pythagoras of Samos, in The Philosophy. On the slate, at the bottom, the famous Tetraktys, at the top, the harmonic ratios of the musical scale.

Next to him, a little more in the center, the imposing figure of Pythagoras (N° 22) (whom the Italian historian Georgio Vasari mistook for the evangelist Saint Matthew), seated with a book, an inkwell and a pencil, writing surrounded by visibly intrigued people. Behind him, seated on the left, an old man, representing Boethius (N° 23), Roman author, in the sixth century, of a treatise on music, the first part of which evokes « the harmony of the spheres », tries to look at what he is writing in his book. Without capturing a moment of potential transformation, as Leonardo knew how to do, the scene is obviously inspired by his unfinished painting, the Adoration of the Magi.

At his feet, a black slate with the famous Tetraktys and a diagram of musical intervals (see our section in this article on Pythagoras).

Since it is totally unthinkable that it is Averroes (banned from the Church, as said, by Aquinas), the turbaned man who seems to admire him could be Avicenna (Ibn Sina) (N° 24). This Persian physician, influenced by the thought of both Hippocrates and Galen, in his Qanûn (of Medecine), operates a vast medico-philosophical synthesis of Aristotle‘s logic (which he corrects) and neo-Platonism, compatible with monotheism.

It could also be Al Fârâbi (872-950), another Arab scientist and musician who sought to reconcile faith, reason and science with the philosophy of Plato and Aristotle, whose translations from Greek into Arabic he had made. Avicenna admired him and the title of one of Al Fârâbî’s works leaves no ambiguity: The Harmony of the Opinions of the Two Sages: Plato the Divine and Aristotle.

Moreover, given his position on the side of the Platonists, although he wears a white turban, it is totally excluded that he is Averroes (Ibn Rushd), an author struck down by Aquinas (see the paintings showing The Triumph of Saint Thomas) and then by the Neoplatonists of Florence for having denied the immortality of the individual soul.

More in the center of the fresco, two isolated figures immersed in their thoughts. The first, on the left, appears to have been added later by Raphael and is not in his drawing. The man is dozing on a cube, a Pythagorean volume par excellence. It is thought to be Heraclitus of Ephesus (No. 19) (an Ionian pre-Socratic for whom « there is nothing permanent but change ») with the features of Michelangelo. This sculptor fascinated Raphael, not only for his gifts in drawing, anatomy and architecture, but also for his spirit of independence from a pope he considered tyrannical.

It should be noted that the Moses that Michelangelo sculpted for the tomb of Julius II is said to be looking at him with anger because the artist captured the moment when Moses, coming down from Mount Sinai with the Tables of the Law, noticed that the Hebrew people had returned to worshiping idols, such as « the Golden Calf ». Irritated by this return to idolatry, Moses broke the Tables of the Law.

From Pythagoras to Plato.
One detail raises questions: Anaximander of Miletus places his right foot on a cubic block of marble whose volume seems to be eight times smaller than the one on which Heraclitus of Ephesus rests. However, to solve the problem of Delos (the duplication of the volume of the cube) it is necessary to wait for the Pythagorean and friend of Plato, Archytas of Taranto.

Anaximander of Miletus (N° 20) (and not Parmenides), also a representative of the Ionian school, stands behind Heraclitus and seems to contest the demonstration of Pythagoras (representative of the so-called « Italian » school). Behind him, a young man with long hair, looks at the spectator. Dressed in a white toga, an attribute of the Pythagoreans, he is once again Pico della Mirandola (N° 21), triumphant and surrounded by Pythagoras and two of his disciples. Legend has it that Raphael portrayed Hypatia of Alexandria (c. 370-415), a mathematician who headed the Neoplatonist school in Alexandria. When one of the cardinals examined the painting and knew that the woman depicted was Hypatia, he is said to have ordered that she be removed from it. Raphael is said to have obeyed, but replaced her with the effeminate figure of a nephew of Pope Julius II, Francesco Maria Della Rovere, future Duke of Urbino…

If this is really Pico della Mirandola, it would be a superb piece of praise, for appearing in both Philosophy and Theology, the two images of Pico, reminiscent of the kneeling angel looking at the viewer while pointing at St. John the Baptist in Leonardo’s Madonna of the Rocks, can contemplate each other!

The second isolated figure, nonchalantly spread out on the stairs, is the cynical and hedonistic philosopher Diogenes of Sinope (N° 18), here presented as an ascetic, but in the Aristotelian tradition.

The geometer (Hippocrates of Chios?).
Slate of the geometer.

Then, in the center right, an inspiring group of young people, amazed by their discoveries and exchanging their complicit glances with their comrades, around a surveyor who is examining or drawing with a compass parallel lines inside a hexagonal star on a slate laid on the ground.

This is an illustration of a theorem that neither Euclid (an Aristotelian) nor Archimedes mentioned, although the identity of one or the other is attributed to this figure in the guise of the architect Donato Bramante.

It could be, it is my conviction, the geometer Hippocrates of Chios (N° 17) of which Aristotle speaks in great good. He wrote the first mathematics textbook, entitled The Elements of Geometry. This work precedes Euclid’s Elements by a century. Unless we are talking about the architect Leon Battista Alberti, whose church in Mantua may have inspired Bramante and after all, author, in 1435, of De Pictura, a treatise (of Aristotelian spirit) on perspective.

However, in 1485, in his treatise on architecture De re Aedificatoria, Alberti, in a passage (IX, 5) that may have been of interest to the author of the fresco, stressed that:

“Beauty consists in a harmony and in an agreement of the parts with the whole, in accordance with determinations of number, proportionality and order such as the harmony requires it, that is to say the absolute and sovereign law of the nature.”

On the edge of the tunic: R.V.S.M. (Raphael Vrbinas Sua Manu, meaning: « By the Hand of Raphael of Urbino »).

Finally, to add to the mystery, on the collar of the tunic of this figure can be read: « R.V.S.M. » (Raphael Vrbinas Sua Manu), meaning « By the Hand of Raphael of Urbino »).

For what the surveyor is addressing on the slate is the role played by the diagonals of the hexagon. The answer is provided by the geometrical composition, in the form of a hexagon, which underlies the entire construction of the perspective of the fresco.

The diagonals show a beautiful complementarity between the arithmetic mean and the harmonic mean (see authors diagram below).

It is a masterly demonstration in the field of the visible, of the concept structuring the whole theme of the work: complementarity, the foundation of universal harmony.

By tracing the horizon line and the lines of escape of the perspective from the bottom of the cornices of each arch, the isosceles triangle OAB appears. By inscribing it in a circle whose center is the central vanishing point (O), we obtain a hexagon. By tracing the diagonals (XB) of this hexagon, we obtain both the arithmetic mean (Y) and the harmonic mean (Z). The trick is done! For their complementarity illustrates marvelously the guiding motif of the whole Signature Chamber: the universal harmony that orders the beauty of the proportions of the universe.
Credit: Karel Vereycken

On the right, the geographers Ptolemy (No. 16) and Strabo (No. 15) (in the guise of Baldassare Castiglione, the head of the Pope’s army and a friend of Raphael’s?), who is identified without real evidence with Zoroaster but to whom Pico della Mirandola indeed refers, stand face to face. The first shows the Earth as a sphere, the second a globe of the Heavens.

Finally, on the far right of the first register, with the features of Raphael, the legendary painter of the court of Alexander the Great, Apelles of Cos (N° 13). It should be remembered that, during his lifetime, Raphael was nicknamed « the Apelles of his time ». Next to him, his rival, the Greek painter Protogenes (N° 14) in the guise of Raphael’s colleague, the sulfurous but virtuoso fresco artist Sodoma. Coming from the world of the craftsmen, it is a question here of marking the entry of two painters-decorators into « the court of the big guys » and making their first steps in the world of philosophy.

Raphael, preparatory drawing for Plato and Aristotle. In the final version, their respective sizes have been equalized. Note the absence of the titles of the books.

On the steps, the central subject, as we have said, Plato and Aristotle. Plato‘s features in the fresco have nothing to do with any supposed portrait by Leonardo da Vinci. Leonardo was born in 1452 and was only 56 years old when the fresco was painted. Raphael is said to have used the image of a bust of Plato discovered in Athens in the ruins of the ancient academy. In reality, the famous drawing of an old man (Turin), supposed to be a self-portrait of Leonardo and resembling the image of Plato in the School of Athens, has been proven to date from the 19th Century.

In the crowd to the left of Plato is Socrates (no. 6), his teacher, whose face was known to everyone from Roman statues. The identification of the other figures remains largely hypothetical. One thinks of the speakers of Plato‘s dialogues. Close to Socrates, his old friend Crito (N° 4). Behind Socrates, the Athenian intellectual Isocrates (N° 7) who had withdrawn from political life and although close to Socrates, set himself up as Plato‘s rival. Close to the latter, the five interlocutors of Plato‘s dialogue, Parmenides. Among them, Parmenides (N° 8), considered at the origin of the concept of the One and the multiple, and the pre-Socratic thinker Zeno of Elaea, known for his philosophical paradoxes.

The Athenian general (here dressed as a Roman soldier) Alcibiades (N° 3) and the young man in blue could be Phaedo of Elis (N° 5) or Xenophon, both listening to Socrates counting on his fingers, a gesture suggesting his famous dialectic.

All around the Greek thinkers, other figures are stirring. Behind general Alcibiades, a figure (perhaps a librarian) holds back another running figure, begging him not to disturb the ongoing exchanges between philosophers and scientists.

At the far left, a man with a hat enters the stage. It could be Plotinus (N° 2), a founding figure of Neoplatonism admired by cardinal Bessarion, accompanied by Porphyry (N° 1), another Neoplatonist who brought his biography of Pythagoras as a messenger from the ancient world.

In the Renaissance, the realization of a fresco (painted on fresh plaster) was no longer linked to the position of the scaffolding (bridges) but to the decision of the workers and artists as to the surface to be realized in a day (giornata) of work. Generally it was a surface between 1 and 4 m2.
Here the giornata of the School of Athens.

D. JUSTICE

Justice
A. Fortitude, B. Prudence and C. Temperance.
1. Justinian, 2. Tribonian, 3. pope Paul III, 4. Antonio Del Monte,

5. pope Leo X, 6. pope Gregory IX (Julius II), 7. pope Clement VII.

On top, in the lunette (half moon), the three virtues represented would be Fortitude (A), Prudence (B) and Temperance (C). Together with Justice, they constitute the four cardinal (profane) virtues. The central female figure, holding a mirror, refers to Prudence. On the left, Fortitude holds an oak branch, an allusion to the della Rovere family from which Julius II, the pope who commissioned the frescoes, descended.

Below, once again, complementarity is at work. On the left, painted by Lorenzo Lotto, the Roman emperor Justinian I (N° 1) receives the Pandects (the civil law) from the Byzantine jurist Tribonian (N° 2).

On the right, in the guise of Julius II, Pope Gregory IX (N° 6) promulgates the Decretals; a masterly sum of canon law which he had ordered to be compiled and published in 1234.

On his right (thus on the left of the spectator), one sees a cardinal, in purple dress, having the features of the cardinal Jean de Médicis, future pope Leo X (N° 5). The two other cardinals behind him would be Alessandro Farnese, the future pope Paul III (N° 3), and Antonio Del Monte (N° 4). And to his left (right for the viewer) a cardinal representing Cardinal Julius de Medici, the future Pope Clement VII (N° 7). With your image immortalized on a fresco in the right place, your career to become pope would seem to be better engaged!

The fact that Julius II is represented wearing a beard allows to date the fresco beyond June 1511. Indeed, the pontiff, who left Rome beardless to wage war, then let his beard grow and vowed not to shave it off until he had liberated Italy. He returned to Rome in June. Historians point out that the prominence of the pope’s portrait indicates how the theme of the decoration of the Chambers was transformed, around 1511, into that of the glorification of the papacy. Hence, in this way “Justice” becomes the right of Julius II to impose « his » justice.


E. POETRY

(« PARNASSUS”)

Poetry (“Parnassus”).

The poets:
1. Alcaeus of Mytilene, 2. Corinna, 3. Petrarch, 4. Anacreon, 5. Sappho, 6. Ennius, 7. Dante, 8. Homer, 9. Virgil, 10. Statius (Poliziano), 11. Apollo, 12. Tebaldeo, 13. Boccaccio, 14. Tibullus, 15. Ariosto,

16. Propertius, 17. Ovid, 18. Sannazaro, 19. Pindar.

The nine muses:
A. Thalia, B. Clio, C. Euterpe, D. Calliope, E. Polyhymnia, F. Melpomene, G. Terpsichore, H. Urania.
I. Erato.

A window reduces the space available for the fresco to a large lunette where the characters are divided into small groups on a semi-circular line.

The underlying idea here, taken from St. Thomas, is that truth is made accessible to man, either by Revelation (Theology) or by Reason (Philosophy). For the Neoplatonic school, this truth manifests itself to our senses through Beauty (poetry and music).

The scene painted here takes place near Delphi, at the top of Parnassus, the sacred mountain of Apollo and home of the Muses of Greek mythology.

The large window around which the fresco is organized offers a view, beyond the cortile (small circular temple) of Bramante, on the hill of Belvedere (Mons Vaticanus), where shows were given and where, in ancient times, Apollo was honored, which earned him the name of Apolinis.

Apollo is the patron of musicians: « It is through the Muses and the archer Apollo that there are singers and citharists », says Hesiod. He even inspires nature: when he passes by, « the nightingales, swallows and cicadas sing ». His music soothes the wild animals and moves the stones. For the Greeks, music and dance are not only entertainments: they allow to heal men by tuning the discords that eat away at their souls and thus to bear the misery of their condition.

At the top of the hill, seven laurels. Near the Castalia spring, Apollo (N° 11), crowned with laurel leaves and in the center of the composition, is tuning around him the nine muses (A to I) playing on his lyre.

On the left side Calliope (D), the one « who has a beautiful voice » and represents the epic poetry, and on the right, Erato (I), « the lovable one » who represents the lyric and erotic poetry as well as the nuptial song. Each presides over the tuning of the other’s chorus: on the left, behind Calliope, Thalia (A) (« the flourishing, the abundant »), Clio (B) (« who is famous » and represents history) and Euterpe (C) (« the joyful » who represents music). Finally, just behind Erato, Polyhymnia (E) (« the one who says many hymns » and represents rhetoric, eloquence and pantomime), Melpomene (F) (« the singer » who represents tragedy and song); Terpsichore (G) (« the charming dancer ») and Urania (H) (« the celestial one » who represents astronomy).

And you don’t have to be Pythagoras to count 7 laurels on the mountain and remember that nine muses plus Apollo make… ten.

As one of the square frescoes on the ceiling reminds us, Apollo had triumphed over Marsyas in a fight to seize the lyre, considered as the divine instrument capable of leading souls to heaven, better than the flute which only excites the lower passions. By detaching the man from his immediate material concerns, the victorious lyre allowed to arouse the divine love in men. In addition, the Romans knew of a seven-stringed lyre, a Pythagorean legacy, the number seven referring to the seven heavenly bodies orbiting the central fire.

For the Pythagoreans and also Heraclitus, the imitation of the « harmony of the spheres », thanks to the harmonies produced by the seven strings, allows the purification of the souls.
Apollo at Mount Parnassus, woodcut by Hans von Kulmbach, published in 1502.

However, strangely enough, Apollo is not holding a traditional four-stringed lyre, but a lira da braccio. If Apollo plays here the lyre with arms, the muses Calliope, Erato and the sibyl Sappho hold lyres identical to those of the sarcophagus known as « of the Muses » of the Museo delle Terme in Rome.

In many representations of the 16th century, the lyre is played by a group of angels or mythological characters, such as Orpheus and Apollo, but also King David, Homer or the Muses. Among its interpreters, we can count Leonardo da Vinci. The instrument is essentially designed like a violin, but with a wider fingerboard and a flat bridge that allows for chordal playing. The lyre generally has seven strings: four like a violin, augmented by an additional low string (making five), and two strings beyond the fingerboard, which are not played but serve as a drone and resonate in the octave. Now, Raphael, in order to create a perfect harmony with the number of muses around Apollo, will increase the number of strings from seven to nine, that is to say seven adjustable plus two drones. This detail concerning the lyre seems to have been modified in time. Indeed, an engraved reproduction, from 1517, probably from drawings prior to the fresco, or from its preliminary project, by Marcantonio Raimondi, reveals a state quite different from what we see today.

Marcantonio Raimondi, engraving (ca. 1517) after Raphael’s Mount Parnassus in the Signing Chamber.

The composition is less dense and highlights, like the School of Athens, several groups of three figures each. What is striking at first is that the ancient lyre played by Apollo with his fingers rests on his thigh, while in the present version, Apollo vibrates the strings of his lira da braccio with a bow, while looking up to the sky, in accordance with the fresco on the ceiling where are inscribed the words of Virgil: « Inspired by the spirit » (NVMINE AFFLATVR).

All around, eighteen poets are divided into several groups. The identification of some is unequivocal, that of others more doubtful. They are all chained to each other by gestures and looks, forming a kind of continuous crescent.

At the top left, the father of Latin poetry Ennius (N° 6), seated, listens raptly to the song of Homer (N° 8), while Dante (N° 7), further back, looks at Virgil (N° 9) who turns towards him, the Roman poet Statius (N° 10), in the guise of Poliziano, at his side. The latter was a disciple of the florentine Neoplatonist Marsilio Ficino. To represent the historical figures, Raphael drew inspiration from Roman statuary. For the face of Homer, for example, he adopted the dramatic expression of the Laocoon, which he had found in Rome in 1506.

At the bottom left are the Greek poet Alcaeus of Mytilene (N°1), the Greek poetess Corinna (N° 2), Petrarch (N° 3) as well as the Greek poet Anacréon (N° 4). In the final version, two characters who leave the frame came to enrich the composition. On the left, the sibyl Sappho (N° 5) as indicated by a tablet. Considered the first poetess of ancient Greece, she lived in the seventh and sixth centuries BC. According to the Homeric Hymns, it is her who would have built the first lyre to accompany the poetic recitation. The only woman in entire fresco is painted with a monumentality that is reminiscent of Michelangelo in the Sistine Chapel.

Sappho is the counterpart of Pindar (N° 19), and not Horace as is claimed, considered one of the greatest lyric poets of Greece and for whom Apollo was the symbol of civilization. Pindar is here in conversation with the Italian poet Jacopo Sannazaro (N° 18), dressed in blue and standing, and above them Ovid (N° 17).

On the right, on the side of the mount, besides Pindar, Sannazaro and Ovid, five other poets and orators : Antonio Tebaldeo (N° 12), with his back turned towards Apollo and under the features of Baldassare Castiglione ? ), Boccaccio (N° 13), behind, Tibullus (N° 14), Ariosto (N° 15), Propertius (N° 16), under the features of the cardinal poet very « Petrarquist » Pietro Bembo, a friend of Inghirami and enemy of Erasmus, and at his sides two unknown poets said « poets of the future judging the past ».

The identification of these characters remains largely hypothetical and controversial. To arrive at satisfactory results, it would be necessary according to the historian Albert Chastel, to find precise correspondences between the nine muses, nine classic poets and nine modern, in addition to the grouping by poetic genre.

After the death of Julius II, Pope Leo X made the Stanza della signatura his music room, replacing the books of his predecessor (which were moved to the large library on the lower floor) with intarsiae. Leo X will also have the pavement completed.


F. THE MOSAIC ON THE FLOOR

Mosaic of the Chamber of the signature:
A. Coat of arms of the pope, B. Spiral arm, C. Star of David, reference to the Jewish heritage.
Detail of the mosaic of the Chamber of Signature. We can read IVLIUS II PONT MAX.

The mosaic decorating the floor is said to be « cosmatesque », after the name of Cosmati, an old family of craftsmen and specialized in mosaics with four colors. Some materials come from Roman ruins, the green marble of the Peloponnese in Greece, the porphyry of Aswan in Egypt, and the yellow marble of North Africa. The white marble comes from the famous marble quarries of Carrara where Michelangelo chose his materials.

As on the ceiling, in the center of the room the coat of arms of the pope (A), this time inside a square (his earthly reign) inscribed in a circle (his theological mission). This first circle is surrounded by four spiral arms, each of which creates a new circular motif (B). This pattern is believed to be of Jewish origin. The Star of David (C) appears several times in this creation vortex. The doctrine of the four worlds, described in cabalistic cosmology, underlines their dynamic unity.

After all, for Giles de Viterbe, the recent discovery of Jewish mystical writings was of the same importance as the discovery of America by Christopher Columbus. Let us recall that for Julius II, like Plato and Pythagoras, Moses, whom Michelangelo sculpted for his tomb, already announced the later triumph of the Church of Rome which would, under his direction, synthesize them.

Conclusion

Thus, the whole theme of the « Chamber of the Signature » finds its full coherence with the idea of harmony and concordance. But when we look more closely, we see that it is only a question of « complementarity » at the level of forms and in the service of a temporal power disguised as a divine mission. Raphael, a talented painter, submitted to this by providing the product for which he was paid. He would end up painting things increasingly decadent by submitting to the pagan whims of the papal banker Agostino Chigi for the decoration of his villa, the Farnesina.

With the « Chamber of the Signature », we are far from the famous « coincidence of opposites » dear to Pythagoras, Plato, Nicholas of Cues and today Schiller Institute’s President Helga Zepp-LaRouche, which allows, in an uncompromising search for truth and for the love of humanity, to overcome paradoxes and solve a great number of problems from a higher point of view.

By piling up allegories and symbols, if it impresses, this masterly work ends up suffocating us. By the rules of its composition, it can only sink into the theatrical and the didactic. In a universe purged of the slightest irony or surprise, no real metaphor will be able to awaken us. And although Raphael tried to bring some life into it, the spectator is fatally left with a vast sediment of fossilized ideas, as dead as the most glorious ruins of the Roman Empire.

Brief bibliography:

  • Julius II, Ivan Cloulas, Fayard, Paris 1990;
  • Léon X et son siècle, Gonzague Truc, Grasset, Paris, 1941;
  • Une histoire des empires maritimes, Cyrille P. Coutensais, CNRS, 2013;
  • L’Humanisme, l’Europe de la Renaissance, André Chastel and Robert Klein, Editions Skira, Geneva, 1995;
  • L’Arétin ou l’insolence du plaisir, Bertrand Levergeois, Fayard, Paris, 1999;
  • Giorgio Vasari, l’homme des Médicis, Grasset, Paris, 1995;
  • Marsile Ficin et l’Art, André Chastel, Droz, Geneva, 1996 ;
  • Raphael and the Pope’s librarian, Nathaniel Silver, Ingrid Rowland, Paul Holberton Publishing, 2019;
  • Raphael’s Stanza della Signatura, Meaning and Invention, Christiane L. Joost-Gaugier, Cambridge University Press, 2002;
  • Pythagoras and Renaissance Europe, Finding Heaven, Christiane L. Joost-Gaugier, Cambridge University Press, 2009;
  • Raphael, Stephanie Buck and Peter Hohenstatt, Könemann, 1998;
  • The Intellectual Background of the School of Athens: Tracking Divine Wisdom in the Rome of Julius II, Ingrid D. Rowland, 1996;
  • Pagans in the Church: The School of Athens in Religious Contex, Timothy Verdon, 1996;
  • Raphael’s School of Athens, Marcia Hall, Cambridge University Press, 1997;
  • Raphael, Konrad Oberhuber, Editions du Regard, Paris, 1999;
  • L’énigme de la Segnatura, Raphael and Sodoma, André-Charles Coppier, Paris, 1928;
  • Raphael, John Pope-Hennessy, Harper & Row, London, 1970;
  • Who was Raphael, Nello Ponente, Editions Skira, Geneva, 1967:
  • Lives and doctrines of the illustrious philosophers, Diogenes Laërtius, La pochothèque, Paris, 1999;
  • Erasmus and Italy, Augustin Renaudet, Editions Droz, Paris, 2000 ;
  • Erasmus among us, Léon Halkin, Fayard, 1987 ;
  • Comment la folie d’Erasme sauva notre civilisation, Karel Vereycken, 2005 ;
  • The egg without shadow of Piero della Francesca, Karel Vereycken, 2007;
  • Albrecht Dürer against neo-platonic melancholy, Karel Vereycken, 2007.

NOTES:

* For an in-depth treatment of the subject, see Karel Vereycken, Albrecht Dürer against Neo-Platonic Melancholy, 2007.

**We can see here where certain sects, notably Rudolf Steiner’s Anthroposophists, draw their inspiration. Some still insist on demonstrating that Pythagoras, who believed in the transmigration of souls and therefore their possible reincarnation in animals or plants, was a vegetarian. Diogenes Laertius tells us that one day, « passing by someone who was mistreating his dog, it is said that he [Pythagoras, in a joking tone] was moved by compassion and addressed the individual with these words: ‘Stop and do not strike again, for it is the soul of a man who was my friend, and I recognized him by hearing the sound of his voice’ « . A whole series of authors ended up falling into numerology and irrational esoteric mumbo-jubo, in particular Francesco Zorzi, Agrippa of Nettesheim and Paracelsus.

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Uccello, Donatello, Verrocchio and the art of military command

Uccello, Donatello, Verrocchio and the art of military command. An inquiry into the key events and artistic achievements that created the Renaissance. By Karel Vereycken, Paris.

Prologue

Catalogue of the 2019 Exhibition in Washington.

If there is still a lot to say, write and learn about the great geniuses of the European Renaissance, it is also time to take an interest in those whom the historian Georgio Vasari condescendingly called « transitional figures ».

How can one measure the contributions of Pieter Bruegel the Elder without knowing Pieter Coecke van Aelst? How can we value Rembrandt’s work without knowing Pieter Lastman? How did Raphaelo Sanzio innovate in relation to his master Perugino?

In 2019, an exceptional exhibition on Andrea Del Verrocchio (1435-1488), at the National Gallery in Washington, D.C., highlighted his great achievements, truly inspiring outbursts of great beauty that his pupil Leonardo da Vinci (1452-1519) would theorize and put to his greatest advantage.

The sfumato of Leonardo ? Verrochio is the pioneer, especially in the blurred features of portraits of women made with mixed techniques (pencil, chalk and gouache).

Andrea del Verrocchio, head of a woman, mixte technique (pencil, charcoal, gouache, etc.), 1475-1478.

The joy of discovery

Leafing through the catalog of this exhibition, my joy got immense when I discovered (and to my knowledgne nobody else seems to have made this observation before me) that the enigmatic angel the viewer’s eye meets in Leonardo’s painting titled The Virgin on the Rocks (1483-1486) (Louvre, Paris), besides the movement of the body, is grosso modo a visual “quote” of the image of a terra cotta high relief (Louvre, Paris) attributed to Verrochio and “one of his assistants”, possibly even Leonardo himself, since the latter was training with the master as early as age seventeen ! The finesse of its execution and drapery also reminds us of the only known statue of Da Vinci, The Virgin with the laughing Child.

Many others made their beginnings in Verrocchio’s workshop, notably Lorenzo de Credi, Sandro Botticelli, Piero Perugino (Raphael’s teacher) and Domenico Ghirlandaio (Michelangelo’s teacher).

Coming out of the tradition of the great building sites launched in Florence by the great patron of the Renaissance, Cosimo de Medici for the realization of the doors of the Baptistery and the completion of the dome of Florence by Philippo Brunelleschi (1377-1446), Verrocchio conceived his studio as a true “polytechnic” school.

In Florence, for the artists, the orders flowed in. In order to be able to respond to all requests, Verrocchio, initially trained as a goldsmith, trained his students as craftsman-engineer-artists: drawing, calculation, interior decoration, sculpture, geology, anatomy, metal and woodworking, perspective, architecture, poetry, music and painting. A level of freedom and a demand for creativity that has unfortunately long since disappeared.

The Ghiberti legacy

Self-portrait of Ghiberti, bronze Gates of the Baptistry of Florence.

In painting, Verrocchio is said to have begun with the painter Fra Filippo Lippi (1406-1469). As for the bronze casting trade, he would have been, like Donatello, Masolino, Michelozzo, Uccello and Pollaiuolo, one of the apprentices recruited by Lorenzo Ghiberti (1378-1455) whose workshop, starting from 1401, over forty years, will be in charge of casting the bronze bas-reliefs of two of the huge doors of the Baptistery of Florence.

Others suggest that Verrocchio was most likely trained by Michelozzo, the former companion of Ghiberti who said up shop with Donatello. As a teenager, Donatello had accompanied Brunelleschi on their joint expeditions to Rome to investigate the legacy of Greek and Roman art, and not only the architectural legacy.

In reality, Verrocchio only perpetuated and developed the model of Ghiberti’s « polytechnic » studio, where he learned the art. An excellent craftsman, Ghiberti was also goldsmith, art collector, musician and humanist scolar and historian.

His genius is to have understood the importance of multidisciplinarity for artists. According to him « sculpture and painting are sciences of several disciplines nourished by different teachings ».

The ten disciplines that he considered important to train artists are grammar, philosophy, history, followed by perspective, geometry, drawing, astronomy, arithmetic, medicine and anatomy.

You can discover, says Ghiberti, only when you managed to isolate the object of your research from interfering factors, and you can discover by detaching oneself from a dogmatic system;

as the nature of things want it, the sciences hidden under artifices are not constituted so that the men with narrow chests can judge them.

Anticipating the type of biomimicry that will characterize Leonardo thereafter, Ghiberti affirms that he sought:

to discover how nature functioned and how he could approach it to know how the objects come to the eye, how the sight functions and in which way one has to practice sculpture and painting.

Ghiberti, who was familiar with some of the leading members of the circle of humanists led by Salutati and Traversari, based his own reflexions on optics on the authority of ancient texts, especially Arabic. He wrote:

But in order not to repeat in a superficial and superfluous way the principles that found all opinions, I will treat the composition of the eye particularly according to the opinions of three authors, namely Avicenna [Ibn Sina], in his books, Alhazen [Ibn al Haytam], in the first book of his perspective, and Constantine [Qusta ibn Luqa] in the first book on the eye; for these authors are sufficient and treat with more certainty the things that interest us.

Deliberately ignored (but copied) by Vasari, Ghiberti’s Commentaries are a real manuel for artists, written by an artist. Most interestingly, it is by reading Ghiberti’s Commentaries that Leonardo da Vinci became familiar with important Arab contributions to science, in particular the outstanding work of Ibn al Haytam (Alhazen) whose treatise on optics had just been translated from Latin into Italian under the title De li Aspecti, and is quoted at length by Ghiberti in his Commentario Terzio. Author A. Mark Smith suggests that, through Ghiberti, Alhazen’s Book of Optics

may well have played a central role in the development of artificial perspective in early Renaissance Italian painting.

Ghiberti, Saint John the Baptist, bronze, Orsanmichele, Florence.

Ghiberti’s comments are not extensive. However, for the pupils of his pupil Verrocchio, such as Leonardo, who didn’t command any foreign language, Ghiberti’s book did make available in italian a series of original quotes from the roman architect Vitruvius, arab scientists such as Alhazen), Avicenna, Averroes and those european scientists having studied arab optics, notably the Oxford fransciscans Roger Bacon, John Pecham and the Polish monk working in Padua, Witelo.

Finally, in 1412, Ghiberti, while busy coordinating all the works on the Gates of the Baptistry, was also the first Renaissance sculptor to cast a life-size statue in bronze, his Saint John the Baptist, to decorate Orsanmichele, the house of the Corporations in Florence.

Lost wax casting

However, in order to cast bronzes of such a size, the artists, considering the price of metal, would use the technique known as “lost wax casting”.

This technique consists of first making a model in refractory clay (A), covered with a thickness of wax corresponding to the thickness of the bronze thought necessary.

The model is then covered with a thick layer of wet plaster (B) which, as it solidifies, forms an outer mold. Finally, the very hot molten bronze, pored into the mold it penetrates by rods (J) provided for this purpose, will replace the wax.

Verrocchio’s David, for which it is thought he used his young pupil Leonardo as a model.

Finally, once the metal has solidified, the coating is broken. The details of the bronze (K) are then adjusted and polished (L) according to the artist’s choice.

This technique would become crucial for the manufacture of bells and cannons. While it was commonly used in Ifé in Africa in the 12th century for statuary, in Europe it was only during the Renaissance, with the orders received by Ghiberti and Donatello, that it was entirely reinvented.

In 1466, after the death of Donatello, it was Verrocchio’s turn to become the Medici’s sculptor in title for whom he produced a whole series of works, notably, after Donatello, his own David in bronze (Bargello National Museum, Florence).

If with this promotion his social ascendancy is certain, Verrocchio found himself facing the greatest challenge that any artist of the Renaissance could have imagined: how to equal or even surpass Donatello, an artist whose genius has never been praised enough?

Equestrian art

This being said, let us now approach the subject of the art of military command by comparing four equestrian monuments:

  • Roman Emperor Marcus Aurelius on the Capitoline square in Rome (175 AD) ;
  • Paolo Uccello’s fresco of John Hawkwood in the church of Santa Maria del Fiore in Florence (1436);
  • Erasmo da Narni, known as “Gattamelata” (1446-1450), casted by Donatello in Padua.
  • Bartolomeo Colleoni by Andrea del Verrocchio in Venice (1480-1488).

Equestrian statues appeared in Greece in the middle of the 6th century B.C. to honor the victorious riders in a race. From the Hellenistic period onward, they were reserved for the highest state figures, sovereigns, victorious generals and magistrates. In Rome, on the forum, they constituted a supreme honor, subject to the approval of the Senate. Apart from being bronze equestrian statues, each one is placed in a place where their troops fought.

While each statue is a reminder of the importance of military and political command, the way in which this responsibility is exercised is quite different.

Marcus Aurelius in Rome

Copy of the Marcus Aurelius statue in Rome (175 AD).

Marcus Aurelius was born in Rome in 121 A.D., into a noble family of Spanish origin. He was the nephew of the emperor Hadrian. After the death of Marcus Aurelius’ father, Hadrian entrusted him to his successor Antonin. The latter adopts and gives him an excellent education. He was initiated early in philosophy by his master Diognetus.

Interested in the stoics, he adopted for a while their lifestyle, sleeping on the ground, wearing a rough tunic, before he was dissuaded by his mother.

He went to Athens in 175 A.D. and became a promotor of philosophy. He helps financially the philosophers and the rhetoricians by granting them a fixed salary. Concerned with pluralism, he supported the Platonic Academy, the Lyceum of Aristotle, the Garden of Epicurus and the Stoic Portico.

On the other hand, during his reign, persecutions against Christians were numerous. He saw them as troublemakers – since they refused to recognize the Roman gods, and as fanatics.

Marcus Aurelius, original in the Museum.

Erected in 175 A.D., the statue was entirely gilded. Its location in antiquity is unknown, but in the Middle Ages it stood in front of the Basilica of St. John Lateran, founded by Constantine, and the Lateran Palace, then the papal residence.

In 1538, Pope Paul III had the monument of Marcus Aurelius transferred to the Capitol, the seat of the city’s government. Michelangelo restored the statue and redesigned the square around it, one of the fanciest in Rome. It is undoubtedly the most famous equestrian statue, and above all the only one dating back to ancient Rome that has survived, the others having been melted down into coins or weapons…

If the statue survived, it is thanks to a misunderstanding: it was thought that it represented Constantine, the first Roman emperor to have converted to Christianity at the beginning of the 4th century, and it was out of the question to destroy the image of a Christian ruler.

Neither the date nor the circumstances of the commission are known.

But the presence of a defeated enemy under the right foreleg of the horse (attested by medieval testimonies and since lost), the emperor’s gesture and the shape of the saddle cloth, unusual in the Roman world, make us to belief that the statue commemorated Marcus Aurelius’ victories, perhaps on the occasion of his triumph in Rome in 176, or even after his death. Indeed, his reign (161-180) was marked by incessant wars to counter the incursions of Germanic or Eastern peoples on the borders of an Empire that was now threatened and on the defensive.

The horse, while not that large, but looking powerful, has been sculpted with great care and represented with realism. Its nostrils are strongly dilated, its lips pulled by the bit reveal its teeth and tongue.

One leg raised, he has just been stopped by his rider, who holds the reins with his left hand. Like him, the horse turns his head slightly to the right, a sign that the statue was made to be seen from that side. Part of his harness is preserved, but the reins have disappeared.

The size of the athletic rider nevertheless dominates that of a powerful horse that he rides without stirrups (accessories unknown to the Romans). He is dressed in a short tunic belted at the waist and a ceremonial cloak stapled on the right shoulder. It is a civil and not a military garment, adapted to a peaceful context. He is wearing leather shoes held together by intertwined straps.

The statue is striking for its size (424 cm high) and for the majesty it exudes. Without armor or weapons, eyes wide open and without emotion, the emperor raises his right arm. His authority derives above all from the function he embodies: he is the Emperor who protects his Empire and his people by punishing their enemies without mercy.

The fresco by Paolo Uccello

Paolo Uccello, fresque en honneur de John Hawkwood (1436), Dôme de Florence.

In 1436, at the request of Cosimo de’ Medici, the young Paolo Uccello was commissioned to paint a fresco depicting John Hawkwood (1323-1394), the son of an English tanner who had become a warlord during the Hundred Years’ War in France and whose name would be Italicized into Giovanno Acuto.

Serving the highest bidder, especially rival Italian cities, Hawkwood’s company of mercenaries was no slouch.

In Florence, although it may seem paradoxical, it was the humanist chancellor Coluccio Salutati (1331-1406) who put Hawkwood at the head of a regular army in the service of the Signoria.

This approach is not unlike that of Louis XI in France, who, in order to control the skinners and other cutthroats who were ravaging the nation, did not hesitate to discipline them by incorporating them into a standing army, the new royal army.

The humanists of the Renaissance, notably Leonardo Bruni (1370-1440) in his De Militia (1420), became aware of the curse of using mercenaries in conflicts and of the fact that only standing army, i.e. a permanent army formed of professionals and even better by citizens and maintained by a state or a city could guarantee a lasting peace.

Although Hawkwood faithfully protected the city for 18 years, his ugly “professionalism” as a mercenary was not unanimously accepted, to the point of inspiring the proverb “Inglese italianato è un diavolo Incarnato” (« An Italianized Englishman is a devil incarnate »).

Petrarch denounced him, Boccaccio tried in vain to mount a diplomatic offensive against him, St. Catherine of Sienna begged him to leave Italy, Chaucer met him and, no doubt, used him as a model for The Knight’s Tale (The Canterbury Tales).

All this will not prevent Cosimo, a member of the humanist conspiracy and a great patron of the arts, returning from exile, from wanting to honor him. But in the absence of the bronze equestrian statue (which had been promised to him…), Florence, will only offer him a fresco in the nave of Santa Maria del Fiore, that is to say under right under the cupola of the Duomo.

UV study of Uccello’s fresco showing condottiere with helm.

From the very beginning, Paolo Uccello’s fresco seems to have stirred quite a controversy. A preparatory drawing in the collections of Florence’s Uffizi Museum indicates the commander, more armed, taller, and, with his horse in a more military position. Uccello had originally depicted Hawkwood as « more threatening », with his baton raised and horse « at the ready ».

A recent ultraviolet study confirms the fact that the painter had originally depicted the condottiere armed from head to toe. In the final version, he wears a sleeveless jacket, the giornea, and a coat; only his legs and feet are protected by a piece of armor. The final version presents a less imposing rider, less warlike, more human and more individualized

In the dispute, it was not Uccello who was considered faulty, but his sponsors. Moreover, the painter was quickly given the task of redoing the fresco in a way deemed “more appropriate”.

John Hawkwood par Uccello, détail.

Unfortunately, there is no record of the debates that must have raged among the officials of the church fabric (Opera Del Domo). What is certain is the fact that in the final version, visible today, the condottiere has been transformed from a warlord running a gang of mercenaries, into the image of philosopher-king whose only weapon is his commanding staff. At the bottom of the fresco, we can read in Latin: “Giovanno Acuto, British knight, who was in his time held as a very prudent general and very expert in military affairs.”

The position of the horse and the perspective of the sarcophagus have been changed from a simple profile to a di sotto in su view.

If this perspective is somewhat surrealistic and the pose of the horse, raising both legs on the same side, simply impossible, it remains a fact that Uccello’s fresco will set “the standards” of the ideal and impassive image of virtue and command that must embody the hero of the Renaissance: his goal is no longer to “win” a war (the objective of the mercenary), but to preserve the peace by preventing it (the objective of a philosopher-king or simply a wise head of state).

Paradigm shift

As such, one might say that Uccello’s fresco announces the “paradigm shift” marking the end of the age of perpetual feudal wars, to that of the Renaissance, that is to say to that of a necessary concord between sovereign nation-states whose security is indivisible, the security of one being the guarantee of the security of the other, a paradigm even more rigorously defined in 1648 at the Peace of Westphalia, when it made the agapic notion of the “advantage of the other” the basis of its success.

One historian suggests that the recommissioning of Uccello’s fresco was part of the « refurbishing » of the cathedral associated with its rededication as Santa Maria del Fiore by the humanist Pope Eugene IV in March 1436, determined to convince the Eastern and Western Churches to peacefully overcome their divisions and réunite as was attempted at the Council of Florence of 1437-1438 and for which the Duomo was central.

Interesting is the fact that Uccello’s fresco appeared at around the same time that Yolande d’Aragon and Jacques Coeur, who had his Italian connections, persuaded the French king Charles VII to put an end to the Hundred Years’ War by setting up a permanent, standing army.

In 1445, an ordinance was passed to discipline and rationalize the army in the form of cavalry units grouped into Compagnies d’Ordonnances, the first permanent army at the disposal, not of warlords or aristocrats, but of the King of France.

Donatello’s “Gattamelata” (1447-1453)

Donatello, statue équestre d’Erasmo da Narni, dit Gattamelata, 1447-1453, Padua.

It was only some years later, in Padua, between 1447 and 1453, that Donatello would work on the statue of Erasmo da Narni (1370-1443), a Renaissance condottiere, i.e. the leader of a professional army in the service of the Republic of Venice, which at the time ruled the city of Padua. An important detail is that Erasmo was nicknamed “il Gattamelata”.

In French, « faire la chattemite » means to affect a false air of sweetness to deceive or seduce… Others explain that his nickname of “honeyed cat” comes from the fact that his mother was called Melania Gattelli or that he wore a crest (a helmet) in the shape of a honey-colored cat in battle…

The man was of humble origin, the son of a baker, born in Umbria around 1370. He learned to handle weapons from Ceccolo Broglio, lord of Assisi, and then, when he was in his thirties, from the captains of Braccio da Montone, who was known for recruiting the best fighters.

In 1427, Erasmo, who had the confidence of Cosimo de’ Medici, signed a seven-year contract with the humanist Pope Martin V, who wished to strengthen an army corps loyal to his cause with the aim of bringing to heel the lords of Emilia, Romagna and Umbria who were rebellious against papal authority.

Donatello: Gattemelata (detail).

He bought a huge suit of armor to reinforce his high stature. He was not an impetuous fighter, but a master of siege warfare, which forced him to take slow, thoughtful and progressive action. He spied on his prey for a long time before trapping it.

In 1432, he captured the fortress of Villafranca near Imola by cunning alone and without fighting. The following year he did the same to capture the fortified town of Castelfranco, thus sparing his soldiers and his treasure.

Those who were unable to grasp his tactics, accused him of being a coward for “running away” from the front-line, not realizing, that on a given moment, this was part of the tactics of his winning strategy.

He was a prudent captain, with a very well-mannered troop, and he was careful to maintain good relations with the magistrates of the towns that employed him. He obtained the rank of captain-general of the army of the Republic of Venice during the fourth war against the Duke of Milan in 1438 and died in Padua in 1443. Following his death, the Venetian Republic gave him full honors and Giacoma della Leonessa, his widow, commissioned a sculpture in honor of her late husband for 1650 ducats.

The statue, which represents the life-size condottiere, in antique-style armor and bareheaded, holding his commanding staff in his raised right hand, on his horse, was made by the lost-wax method. As early as 1447, Donatello made the models for the casting of the horse and the condottiere. The work progresses at full speed and the work is completed in 1453 and placed on its pedestal in the cemetery that adjoins the Basilica of Padua.

Donatello, Gattemelata, détail du visage.

Brilliant for his cunning and guile, Gattamelata was a thoughtful and effective fighter in action, the type of leader recommended by Machiavelli in The Prince, and which appears in the sixteenth century by François Rabelais in his account of the “Picrocholine wars”.

Not the brute power of weapons, but the cunning and the intelligence will be the major qualities that Donatello will make appear powerfully in his work.

Contrary to Marcus Aurelius, it is not his social status that gives the commander his authority, but his intelligence and his creativity in the government of the city and the art of war. Donatello had an eye for detail. Looking at the horse, we see that it is a massive animal but far from static. It has a slow and determined gait, without any hesitation.

But that’s not all. A rigorous analysis shows that the proportions of the horse are of a “higher order” than those of the condottiere. Did Donatello make a mistake and make Erasmo too small and the horse too large? No, the sculptor made this choice to emphasize the value of Gattamelata who, thanks to his skills, is able to tame even wild and gigantic animals. In addition, the horse’s eyes show him as wild and untameable. Looking at him, one could say that it is impossible to ride him, but Gattamelata manages it with ease and without effort.

Because if you look at the reins in the hands of the protagonist, you will notice that he holds them in complete tranquility. This is another detail that highlights Erasmus’ powerful cunning and ingenuity.

Next, did you notice that one of the horse’s legs rests on a sphere? If this sphere (which could also be a cannonball, since Erasmus was a warrior) serves to give stability to Donatello’s composition as a whole, it also indicates how this animal of gigantic strength (symbolizing here warlike violence), once tamed and well used, allows the globe (the earthly kingdom) to be kept in balance.

Having told you about the horse, it is time to know more about the condottiere.

He has a proud and determined expression. The baton of command, which he holds in his hand, delicately touches the horse’s mane. The baton is not just a symbolic object; he may have received it in 1438 from the Republic of Venice.

Unlike Uccello’s fresco, Gattamelata is not dressed as a contemporary prince of commander, but as a figure beyond time embodying both the past, the present and the future. To capture this, Donatello, who takes care of every detail, has taken an ancient model and modernized it with incredible results. The details of the protagonist’s armor include purely classical motifs such as the head of Medusa, taken from Marcus Aurelius, in Greek mythology one of the three gorgons whose eyes had the power to petrify any mortal who crossed her gaze.

Although the helmet of Gattamelata would have allowed to identify him at eyesight, Donatello has discarded this option. With a helmet on his head, he would have been the symbol of a bloodthirsty warrior, rather than a cunning man. Even better, the absence of a helmet allows the artist to show us a fearless commander whose fixed gaze shows his determination. With the figure slightly bowed and legs extended, the sword in its scabbard placed at an angle, Donatello gives the illusion of an “imbalance” that reinforces in the viewer’s mind the idea that the horse is advancing with full strength.

Art historian John Pope-Hennessy is emphatic:

The fundamental differences between the Gattamelata and Marcus Aurelius are obvious. The (roman) emperor sits passively on his horse, legs dangling. In the fifteenth century, on the other hand, the art of riding implies the use of spurs. The impression of authority that emanates from the monument designed by Donatello comes from the total domination of the condottiere over his horse. (…) The soles of the feet are exactly parallel to the surface of the pedestal, as are the large six-pointed spurs, stretched to the middle of the animal’s flank.

As a result, Gattamelata is not a remake of the “classical Greek or Roman sculpture” of a hero with a sculpted physique, but a kind of new man who succeeds through reason. The fact that the statue has such a high pedestal also has its reason. Placed at such a height, the Gattamelata does not “share” our own space. It is in another dimension, eternal and out of time.

Verrocchio’s Colleoni

Verrocchio’s Colleoni.

Some thirty years later, between 1480 and 1488, Andrea del Verrocchio, after a contest, was selected to make a large bronze equestrian statue of another Italian condottiere named Bartolomeo Colleoni (1400-1475).

A ruthless mercenary, working for a patron one day and his rival the next day, he served from 1454 the Republic of Venice with the title of general-in-chief (capitano generale). He died in 1475 leaving a will in which he bequeathed part of his fortune to Venice in exchange for the commitment to erect a bronze statue to his honor in St. Mark’s Square.

The Venetian Senate agreed to erect an equestrian monument to his memory, while charging the costs to the widow of the deceased…

In addition, the Senate refused to erect it in St. Mark’s Square, which was, along with St. Mark’s Basilica, at the heart of the city’s life. The Senate therefore decided to interpret the conditions set by Colleoni in his last will and testament without contradicting them, choosing to erect his statue in 1479, not in St. Mark’s Square, but in an area further from the city center in front of the Scuola San Marco, on the campo dei Santi Giovanni e Paolo.

Although Verrocchio had started working on the project since 1482, it remained unfinished at his death in 1488. And it is, not as Verrocchio wished, his heir Lorenzo di Credi who will cast the statue, but the Venetian Alessandro Leopardi (who lost the contest to Verrocchio), who will not hesitate to sign it!

The four horses of the Triumphal Quadriga overseeing the Basilica of Saint Marc in Venice.

If the horse is in conformity with the typology of the magnificent horses composing the quadriga overseeing the Basilica of Saint Mark of Venice (Greek statuary of the IVth century BC brought back by the crusaders from Constantinople to Venice in 1204) and of the horse of Marcus Aurelius, its musculature is more nervously underlined and traced. Objectively, this statue is ideally more proportionate. There is also more fine detail, a result of new pre-sculpture techniques, making the work captivating and realistic to look at.

Andrea del Verrocchio, statue of Bartolomeo Colleoni.

The sculpture overflows its pedestal. According to André Suarès quoted in The Majesty of Centaurs:

Colleone on horseback walks in the air, he will not fall. He cannot fall. He leads his earth with him. His base follows him […] He has all the strength and all the calm. Marcus Aurelius, in Rome, is too peaceful. He does not speak and does not command. Colleone is the order of the force, on horseback. The force is right, the man is accomplished. He goes a magnificent amble. His strong beast, with the fine head, is a battle horse; he does not run, but neither slow nor hasty, this nervous step ignores the fatigue. The condottiere is one with the glorious animal: he is the hero in arms.

Verrocchio’s Colleoni (détail).

His baton of command is even metamorphosed into a bludgeon! But since it is not Verrocchio who finished this work, let us not blame the latter for the warlike fury that emanates from this statue.

Venice, a vicious slave-trading financial and maritime Empire fronting as a “Republic”, clearly took its revenge here on the beautiful conception developed during the Renaissance of a philosopher-king defending the nation-state.

On the aesthetic level, this mercenary smells like an animal. As a good observer, Leonardo warned us: when an artist represents a man entirely imprisoned by a single emotion (joy, rage, sadness, etc.), he ends up painting something that takes us away from the truly human soul. This is what we see in this equestrian statue.

If, on the contrary, the artist shows several emotions running through the figure represented, the human aspect will be emphasized. This is the case, as we have seen, with Donatello’s Gattamelata, uniting cunning, determination and prudence to overcome fear the face of threat.

Leonardo’s own, gigantic project to erect a gigantic bronze horse, on which he worked for years and developed new bronze casting techniques, unfortunately was never build, seen the hectic circumstances.

Da Vinci’s gigantic project.

Finally, beyond all the interpretations, let us admire the admirable know-how of these artists. In terms of craft and skill, it generally took an entire life to become able to realize such great works, not even mentioning the patience and boundless passion required.

Up to us to bring it back to life !

Bibliography:

  • Verrocchio, Sculptor and Painter of Renaissance Florence, Andrew Butterfield, National Gallery, Princeton University Press, 2020;
  • Donatello, John Pope-Hennessy, Abbeville Press, 1993;
  • Uccello, Franco and Stefano Borsi, Hazan, 2004;
  • Les Commentaires de Lorenzo Ghiberti dans la culture florentine du Quattrocento, Pascal Dubourg-Glatigny, Histoire de l’Art, N° 23, 1993, Varia, pp. 15-26;
  • Monumento Equestre al Gattamelata di Donatello: la Statua del Guerriero Astuto, blog de Dario Mastromattei, mars 2020;
  • La sculpture florentine de la Renaissance, Charles Avery, Livre de poche, 1996 ;
  • La sculpture de la Renaissance au XXe siècle, Taschen, 1999;
  • Ateliers de la Renaissance, Zodiaque-Desclée de Brouwer, 1998;
  • Rabelais et l’art de la guerre, Christine Bierre, 2007.
  • The Greek language project, Plato and the Renaissance, Karel Vereycken, jan. 2021.
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Moderne Devotie en Broeders van het Gemene Leven, bakermat van het humanisme

Brouwerij van het Klooster van Windesheim, nu een kerk. Joan Cele, onderwijzer en vriend van Groote, ligt hier begraven bij zijn vrienden.

Ce même texte en français

Op 10 september 2011, gaf Karel Vereycken van het Schiller Institute, de volgende presentatie voor een kleine groep vrienden van de LaRouche Studiegroep Nederland.

Het huidige globale financiële systeem is failliet en zal in elkaar zakken over de komende dagen, weken en maanden, als er niets gedaan wordt om het rotte economische paradigma van vrijhandel, globalisatie en monetarisme te verdelgen.

De weg uit de crisis betekent onmiddellijk brugpensioen voor Obama et de splitsing van banken (Glass-Steagall Act) als hefboom om terug een echt krediet systeem op te bouwen, in tegenstelling tot een geldsysteem. Het gaat erom echte investeringen te bemiddelen in de schepping van fysieke en menselijke rijkdom via grootschalige infrastructuur projecten en de creatie van hooggekwalificeerde en welbetaalde banen.

Kan dat gedaan worden? Ja, dat kan, maar de grootste uitdaging is niet de politieke uitdaging. De echte uitdaging die ons toekomt, is het leggen van de grondvesten van een nieuwe renaissance, een fundamentele wending, weg van het groene en malthusiaanse pessimisme, naar een cultuur die er naar streeft de creatieve vermogens van elke persoon, hier, in Afrika en elders, volledig te doen opbloeien.

Was dat ooit gedaan in verleden? Ja, en vooral vanwaar ik hier spreek, beroerd door een grote emotie. Misschien omdat ik het privilege heb een zeker inzicht te bezitten over de rol van enkele leidende figuren die in de XIVde eeuw Zwolle tot “neuronenversneller” van de Europese cultuur hebben gemaakt.

Vergun me het plezier om hier in het kort de geschiedenis te schetsen van een beweging van lekenbroeders en onderwijzers, de Broeders en Zusters van het Gemene Leven, die in feite de peetvaders zijn van onze geliefde Erasmus van Rotterdam.

Zoals heel dikwijls, begint alles met een persoon die beslist een einde te maken aan zijn eigen tekortkomingen, en daarom oprijst als een natuurlijke leider. Je wilt een leidinggevende persoon worden? Begin met je eigen boel op te kuisen vooraleer je gaat preken bij anderen!

Geert Groote, de stichter

Geert Groote, de stichter.

De geestelijke vader van de Broeders is Geert Groote, geboren in 1340 als zoon van een rijke textielhandelaar van Deventer, in die tijd, zoals Zwolle, Kampen en Roermond, een rijke handelsstad van de Hanze liga.

In 1345, na de internationale financiële krach, woekert de pest over heel Europa en bereikt onze gewesten in 1449-50. Meer dan 50 % van de bevolking verliest het leven en Groote, volgens sommige bronnen, verliest beide ouders.

Groote walgde voor de schijnheiligheid van de hordes van flagellanten die door de straten trekken. In plaats van openlijke zelfkastijding meent hij dat innerlijke boetedoening belangrijker is.

Groote heeft aanleg voor studeren en wordt snel naar Parijs gestuurd. Als hij 18 is, geeft men hem de titel van Magister Artium normaal alleen maar toereikbaar aan studenten ouder dan 20. Hij blijft acht jaar in Parijs maar maakt waarschijnlijk enkele uitstapjes naar Keulen en Praag.

Gedurende die periode assimileert hij alles wat men weten moest en kon op het gebied van Wijsbegeerte, Theologie, Geneeskunst, Kerkelijk Recht en Astronomie. Volgens sommigen leert hij Grieks, Latijns en Hebreeuws en beschouwd als een van de meest erudiete personen van zijn tijd.

Vervolgens krijgt hij een prebende van de kapittels van Aken (1368) en Utrecht (1371-1374). Op zevenentwintigjarige leeftijd wordt hij als diplomaat naar Keulen en naar het hof in Avignon in Frankrijk gestuurd om met paus Urbanus V een verschil te regelen tussen Deventer en de bisschop van Utrecht.

Groote’s hoofd, vol met kennis en successen, wordt groter en groter. Zijn beste vrienden, bewust van zijn talenten, zeggen hem vriendelijk op te passen en zich los te werken van de obsessie van het aardse paradijs. De eerste is Guillaume de Salvarvilla, de koormeester van Notre Dame in Parijs. De andere is Heinrich Eger von Kalkar (1328-1408) met wie hij studeerde in Parijs en die nu de nieuwe prior was van het Kartuizerklooster van Monnikshuizen bij Arnhem.

In 1372 is Groote doodziek, maar de priester van Deventer weigert hem, zolang hij niet afstand doet van zijn boeken over zwarte kunst, de laatste sacramenten toe te dienen. Vrezend voor zijn leven, verbrandt Groote koortsig al deze boeken op de markplaats van Deventer. Nu voelt hij zich stukken beter en begint te genezen. Hij beslist ook afscheid te nemen van het luxe leventje met erebanen waar hij weinig voor hoefde te doen en die hem veel geld opleverde.

Na deze bekering neemt Groote keiharde resoluties. In zijn Besluiten en voornemens schrijft hij:

Mijn leven wil ik ordenen op de eer en verheerlijking en de dienst van God en op het heil van mijn ziel. Geen enkel tijdelijk goed: noch zingenot, noch eer, noch tijdelijke goederen, noch wetenschap zal ik stellen boven het heil van mijn ziel… Mijn eerste voornemen is niet langer mijn hoop te vestigen in, of in de toekomst naar het verlangen van aardse winst; want hoe meer ik zal bezitten des te hebzuchtiger ik zal worden; en in tweede instantie, volgens de regels van de primitieve kerk, kan men niet tegelijkertijd winst halen uit meerdere voordelen [zowel uit het wereldlijke als het geestelijke]… Onder de wetenschappen van de heidenen, dient hun morele filosofie het minst vermeden te worden – want ze is dikwijls van groot nut en voordelig voor eigen studie en om anderen te beleren. Dat is zo omdat de wijste onder hen, zoals Socrates en Plato, alle filosofie doortrokken tot morele beschouwingen, en wanneer zij diepe onderwerpen aanspraken deden zij dat op figuurlijke en lichte wijze, met een klemtoon op hun moreel aspect…

Hij trekt zich terug bij de Kartuizers in Monnikshuizen. Maar na drie jaar zegt zijn voormalige schoolkameraad en vriend, de prior Eger van Kalkar aan Groote: “U kunt veel meer goeds doen door in de wereld te gaan preken, waarvoor God U groot talent heeft gegeven, dan hier te blijven in het klooster”.

Vooraleer aan de slag te gaan, doet Groote in 1378 een laatste reis naar Parijs om daar de boeken te kopen die hij nodig heeft. Volgens Pomerius maakte Groote die reis met zijn vriend van Zwolle, de toen al vermaarde schoolmeester Joan Cele (circa 1350-1417).

Jan van Ruusbroec, bron van inspiratie

De Vlaamse mystieker Jan van Ruusbroec

Onderweg bezoeken ze Jan van Ruusbroec (1293-1381), de Vlaamse mystieker en prior van Groenendaal, een kluis aan de rand van het Zoniënwoud bij Brussel. Groote trachtte eerst diens originele geschriften “te verbeteren” maar schreef later in een brief: “Voor tijd en eeuwigheid zou ik ‘des priors voetschabel’ willen zijn, zo sterk is mijn ziel in liefde en eerbied met hem verenigd”. (Nota 1)

Terug in Deventer, spits Groote zich toe op studeren en preken. Eerst meld hij zich in 1379 bij zijn bisschop om tot diaken te worden gewijd. Als diaken krijgt hij het recht te prediken in heel het bisdom Utrecht (ruwweg het huidige Nederland boven de grote rivieren, met uitzondering van de Groningse Ommelanden).

Grote gaat al predikend rond door de Nederlanden en verzamelt vele volgelingen om zich heen. Zijn roem spreidt zich snel over de Lage landen en van overal komt men naar hem luisteren. Hij preekt eerst in Deventer, dan in Zwolle, Kampen, Zutphen en later in Amsterdam, Haarlem, Gouda, Delft en verder. Zijn succes was zo groot dat er binnen de kerk wel wat jaloersheid ontstond. Anderzijds is het ook begrijpelijk dat de wanorde binnen de westerse kerk, namelijk grote schisma tussen 1378 en 1417, Groote’s inspanningen bewerkstelligden.

Al vanaf 1374, schenkt hij het huis van zijn ouders aan een groep arme vrouwen die er samen willen gaan wonen en voorziet hen van een reglement: het eerste zusterhuis van de ???? is in Deventer geboren. Hij noemt hen de Zusters van het Gemene Leven, een concept ontwikkeld door Ruusbroec in verschillende van zijn werken zoals in de slotparagraaf van Vanden Blinckenden Steen:

Die mensche die ute deser hoocheit van Gode neder-ghesent wert inde werelt, hi es volder waerheit, ende rijcke van allen doechden. Ende hi en soeket sijns niet, maer Des-gheens eere diene ghesonden heeft. Ende daer-omme es hi gherecht ende warechtich in alle dinghen. Ende hi heeft eenen rijcken melden [milden] gront, die ghefondeert es inde rijcheit Gods. Ende daeromme moet hi altoes vloeyen in alle die-ghene die sijns behoeven; want die levende fonteyne des Heilich Gheests die es sine rijcheit diemen niet versceppen en mach. Ende hi es een levende willich instrument Gods daar Gode mede werct wt Hi wilt ende hoe Hi wilt; ende des en dreecht hi hem nit ane, maar hi gheeft Gode die eere. Ende daarom blijft hi willich ende ghereet alles te doene dat God ghebiedt; ende sterc ende ghenendich alt te dogene ende te verdraghene dat God op hem gestaedt. Ende hier-omme heeft hi een ghemeyn leven; want hem es scouwen [contemplatie] ende werken even ghereet, ende in beiden is hi volcomen.

Florens Radewijns, de doener

Latijnse School (Houtsnede van de XVIde eeuw)

Gedurende een van zijn eerste preken, rekruteert Groote Florens Radewijns (1350-1400). Geboren in Utrecht, studeerde deze in Praag waar ook hij Magister Artium werd op achttienjarige leeftijd. Groote stuurt hem eerst naar Worms om daar tot priester gewijd te worden.

In 1380 neemt Groote zelf met een groepje van tien leerlingen zijn intrek in het huis van Radewijns in Deventer. Dit huis zou later als ‘Heer Florenshuis’ of ‘Rijke Fratershuis’ bekend komen te staan: het eerste broederhuis. Het werd de uitvalsbasis van veel van Geert Groote’s activiteiten.

Wanneer Groote sterft in 1384 van de pest beslist Radewijns, de beweging die Groote uit te bouwen tot de Broeders en Zusters van het Gemene leven.

Al snel noemen ze zich de Devotio Moderna (Moderne Devotie).

Boeken en begijnhoven

Begijnhof van Kortrijk.
Kantklossen.

Een aantal sterke overeenkomsten bestaan er met de Begijnen die in het begin van de XIIIde eeuw ontstonden. (Nota 2)

De eerste begijnen waren onafhankelijke, alleenwonende, geestelijk diepbewogen vrouwen (zonder man noch regel) die in de wereld het geweldige avontuur aandurfden van een persoonlijke verhouding met God. (Nota 3)

Ze verlangden geen geloften, geen klooster en geen speciale band met de hiërarchie. Ze leefden niet van aalmoezen maar werkten zelf voor hun dagelijkse kost.

Nog meer dan voor de Begijnen staan boeken centraal in alle activiteiten van de Broeders en Zusters van het Gemene Leven.

Het overschrijven en maken van boeken is een voorname bron van inkomsten die tegelijkertijd het goede woord aan de grote massa kan brengen.

De Broeder- en Zusterhuizen spitsen zich toe op onderwijs en hun priesters of preken. Dankzij hun scriptorium en drukkerijen zal hun geestelijke literatuur en ook hun muziek zich ver verspreiden.

Congregatie van Windesheim

Om de beweging tegen ongerechte kritiek te beschermen, richt Radewijns een klooster op van reguliere kanunniken die de regel volgen van Augustinus. In Windesheim, tussen Zwolle en Deventer, op een stukje land van Berthold ten Hove, een van hun leden, wordt een klooster opgebouwd. Een tweede klooster, ditmaal voor vrouwen, komt er in Diepenveen bij Arnhem. De bouw van Windesheim nam meerdere jaren tijd in beslag en verschillende broeders leefden daar tijdelijk in hutten op de werf.

Toen in 1399 Johannes van Kempen, die ook bij Groote had gewoond in Deventer, de eerste prior werd van het klooster Agnietenberg bij Zwolle, kreeg de beweging een nieuw elan. Van Zwolle, Deventer en Windesheim, zwermde de nieuwe leden uit over de lage landen en de rest van noord-Europa om overal nieuwe godshuizen te vestigen.

Uitstraling van de Moderne Devotie via de Congregatie van Windesheim.

In 1412 kende de congregatie 16 kloosters en hun aantal rees tot 97 in 1500: 84 mannen- en 13 vrouwenpriorijen. Bovendien bestonden er talrijke kloosters van kanunnikessen, die niet formeel tot het kapittel van Windesheim behoorden, maar die een Windesheimer als rector hadden. Groenendaal en vele andere kloosters maakten vanaf 1394 deel uit van de Congregatie van Windesheim, slechts erkend door de bisschop van Utrecht in 1423.

A Kempis, Cusanus en Erasmus

Standbeeld van Thomas a Kempis in the English Convent van Brugge.
Sommigen geloven dat dit schilderij van Petrus Christus Cusanus’ vriend Dionysius de Kartuizer voorstelt. De vlieg op de rand van het kader is hier een symbool van de vergankelijkheid van het menselijk bestaan.

Johannes van Kempen was natuurlijk de broer van de wereldberoemde Thomas a Kempis (1379-1471) die, na lange jaren leiding van de Broeders van het Gemene Leven, op 92 jarige leeftijd stierf in het klooster Agnietenberg van Zwolle. Behalve een relaas over het leven van Groote en de opkomst van de beweging schreef hij de Imitatione Christi (In navolging Christus), na de Bijbel, het meest gelezen boek ter wereld.

Zowel Rudolf Agricola (1444-1485) als Alexander Hegius (1433-1498), twee markante professors van Erasmus van Rotterdam en onvergelijkbare meesters van het Latijn, het Grieks en het Hebreeuws, werden in Deventer door de Broeders opgeleid en in Zwolle door Thomas a Kempis.

Ook Nicolaus Cusanus (1401-1464), die Agricola beschermde en na zijn dood, via een Bursa Cusana geld gaf om wezen en arme studenten op te leiden, werd mogelijkerwijs door de Broeders opgeleid. Wanneer Cusanus in 1451 naar de Nederlanden reist om daar de scheefgegroeide situaties recht te trekken, bezoekt hij de streek met Dionysius de Karthuizer (van Rykel) (1402-1471), een volgeling van Ruusbroec aan wie hij de opdracht geeft deze taak af te ronden. Geboren in Limburg, volgde ook Dionysius de Karthuizer school in Zwolle. (Nota 4)

Wessel Ganzevoort

Wessel Ganzevoort.

Een andere uitzonderlijke figuur was Wessel Ganzevoort (1419-1489) die samenwerkte met de Griekse kardinaal Bessarion, zelf een intieme medewerker van Cusanus voor het Oecumenische concilie van Ferrare-Firenze.

Gansfoort werd opgeleid in de door de Broeders geleide Sint Maartensschool van Groningen alvorens verder te studeren aan de Latijnse School van Groote’s vriend Joan Cele in Zwolle. Ook de eerste Nederlandse paus, Adrianus VI, werd opgeleid aan de Zwolse Latijnse school alvorens te studeren onder Hegius in Deventer. Vooraleer hij naar Rome ging, stond deze paus open voor de ideeën van Erasmus.

In een brief verzonden van Deventer schrijft Hegius aan Ganzevoort, wie hij de Lux Mundi (het licht der wereld) noemt:

Ik stuur U, zeer eerwaarde heer, de Homiliën van Johannes Crysostomus. Ik hoop dat hun lectuur U mag behagen. Gezien gouden woorden U altijd meer plezier deden dan gouden geldstukken. Ik ben, zoals u weet, in Cusanus’s bibliotheek geweest. Daar vond ik veel boeken die me helemaal onbekend waren… (…) Vaarwel, en als U wilt dat ik voor U iets doe, geef me een teken en beschouw de zaak als gedaan.

Rembrandt van Ryn

Rembrandt van Ryn, een talentvolle student van de Latijnse School.

Een blik op de vorming van Rembrandt bewijst dat ook hij een later product was van al deze inspanningen. In 1609 gaat Rembrandt, amper drie jaar oud, naar de basisschool waar jongens en meisjes leren lezen, schrijven en rekenen.

In de zomer beginnen de lessen om zes uur ’s morgens en om zeven in de winter. De lessen worden beëindigd om zeven uur ’s avonds. De lessen beginnen met bidden, het bespreken van passages uit de Bijbel en het zingen van psalmen. Het is daar dat Rembrandt een elegant handschrift ontwikkelt en meer dan een basisbegrip krijgt over godsdienst.

Gedurende die jaren trachten de Nederlanden te overleven. Het twaalfjarige bestand wordt gebruikt om het algemene goed to ontwikkelen en Nederland wordt één van de eerste landen waar iedereen de kans krijgt om te leren lezen, schrijven en rekenen.

Deze universele educatie voor zowel rijk als arm, zij het met enige tekortkomingen, was het geheim van de “Gouden Eeuw” en de belezenheid van Nederlandse immigranten in Amerika zal een eeuw later ook een voorname rol spelen gedurende de Amerikaanse revolutie.

Hoewel de meeste kinderen het secundair onderwijs aanpakten op twaalfjarige leeftijd, begon Rembrandt zijn opleiding op de Latijnse School van Leiden op zevenjarige leeftijd!

Daar leerde men, buiten retorica, logica en kalligrafie, niet alleen Grieks en Latijns maar ook Engels, Frans, Spaans of Portugees. In 1620, wanneer Rembrandt veertien jaar oud is, schrijft hij in als student aan de universiteit gezien toen geen wet jonge talenten kon weerhouden.

Als vak kiest hij niet Theologie, Rechten, Wetenschap of Geneeskunst, maar… Literatuur. Wilde Rembrandt Griekse en Hebreeuwse filologie en misschien Koptisch of Arabisch aan zijn brede cultuur toevoegen?

Men beseft dus, dat de Nederlanden, België inbegrepen, met Ruusbroec en Groote en later met Erasmus en Rembrandt, in een niet zo ver verleden, een bakermat was voor het soort humanisme dat de mensheid tot de grootste mogelijkheden kan verheffen. Hier falen om onze beweging uit te breiden is dus onmogelijk.

Karel Vereycken bij een bezoek aan het graf van Thomas a Kempis op de Agnietenberg bij Zwolle.

VOETNOTEN:

1. Geert Groote vertaalde in het Latijn op zijn minst drie van Ruusbroec’s werken die hij waarschijnlijk in Monnikshuizen voor het eerst had ontdekt. Hij stuurde het boek over het Tabernakel naar de cisterciënzers van Altencamp en naar zijn vrienden in Amsterdam. Toen de Brulocht werd aangevallen, nam hij persoonlijk de verdediging op van Ruusbroec. Dankzij het gezag van Groote werden de werken van Ruusbroec overvloedig gekopieerd en zorgvuldig bewaard. Ruusbroec’s leer werd gevulgariseerd in de geschriften van de Moderne Devotie en vooral in de Navolging van Christus.

2. In het begin van de XIIIde eeuw werden de begijnen beschuldigd van ketterij en vervolgd, behalve in de Bourgondische Nederlanden. In Vlaanderen werden ze vrijgesproken en kregen ze een officieel statuut. In feite genoten zij de bescherming van twee belangrijke vrouwen: Johanna en Margareta van Constantinopel, gravinnen van Vlaanderen. Zij organiseerden de stichting van de begijnhoven van Leuven (1232), Gent (1234), Antwerpen (1234), Kortrijk (1238), Ieper (1240), Rijsel (1240), Zoutleeuw (1240), Brugge (1243), Douai (1245), Geraardsbergen (1245), Hasselt (1245), Bergen (1248), Anderlecht (1252), Breda (1252), Diest (1253), Lier (1258), Tongeren (1257), Mechelen (1258), Haarlem (1262) en in 1271 deponeerde Jan I, graaf van Vlaanderen, persoonlijk de statuten van het Groot Begijnhof van Brussel. In 1321 schatte de Paus het aantal begijnen op 200.000.

3. Het poëtisch Platonisme van de Antwerpse begijn Hadewijch heeft een onmiskenbare invloed gehad op Jan van Ruusbroec.

4. Het eerste boek gedrukt in Vlaanderen door Erasmus’ vriend Dirk Martens, was Dionysius’ werk Een spiegel van de bekering van de zondaars in 1473.

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The Greek language project, Plato and the Renaissance

By Karel Vereycken

Some friends asked me to elaborate on the following:

It is sometimes said that the introduction of Plato in the context of the Councils of Ferrara and Florence (1439) “triggered the explosion of the Italian Renaissance”.

And of the great humanist, the German Cardinal-philosopher Cusanus, it is said that he “brought to Florence Bessarion and Plethon, who were both Greek scholars of Plato and brought the entire works of Plato which had been lost in Europe for centuries”.

At the same time, goes the narrative, “the Medicis financed a crash program to translate the works of Plato. This excitement made the Italian Renaissance what it became”.

While Plato’s ideas and the renewal of greek studies did play a major role in triggering the European Renaissance, the preceding affirmations, as we shall document here, require some refinement.

Was the Italian Renaissance “triggered” by the Council of Florence?

The chancellor of Florence, Coluccio Salutati.

Not really. It was rather –40 years earlier–, the “Greek language revival project” project of Coluccio Salutati (1332-1406), who would become the chancellor of Florence and invite the Greek scholar Manuel Chrysoloras (1355-1415) to his city, that “triggered” a revival of Greek and Hebrew studies, which in return lead to the unification of the churches at the Council of Florence (1439).

The idea had regained interest from Petrarch and Boccaccio, which Salutati admired. Along with Dante Alighieri (1265-1321), it is undoubtedly the Italian poet Petrarch (1304-1374) who best embodies the ideals guiding the humanists of the Renaissance.

All his life, it is said, Petrarch tried to

« rediscover the very rich teaching of classical authors in all disciplines and, starting from this sum of knowledge, most often scattered and forgotten, to revive and pursue the research that these authors had begun. »

After following his parents to Avignon, Petrarch studied in Carpentras where he learned grammar, then in Montpellier, rhetoric, and finally in Bologna, where he spent seven years at the school of jurisconsults.

However, instead of studying law, which in those days paved the way to a brilliant career, Petrarch secretly read all the classics hitherto known, including Cicero and Virgil, despite the fact that his father occasionally burned his books.

Petrarch and Barlaam of Samara

Barlaam of Seminara crossing a river. XVth century manuscript.
Petrarch

Under the pontificate of Benedict XII, Petrarch tried to learn Greek language with the help of a learned monk of the Order of St. Basil, Barlaam of Seminara (1290-1348), known as Barlaam the Calabrian, who came to Avignon in 1339 as ambassador of Andronic III Paleologus in an unsuccessful attempt to put an end to the schism between the Orthodox and Catholic Churches.

A philosopher, theologian and mathematician, Barlaam, while having limited knowledge of Greek and Latin, was one of the first to wish that the study of the Greek language and philosophy be reborn in Europe.

In his Treatise On my own ignorance and that of many others (1367), Petrarch declared himself proud of his Greek manuscripts – and of his library in general – and expressed his deep admiration for Barlaam:

« I have at home sixteen works of Plato. I don’t know if my friends have ever heard the titles […]. And this is only a small part of Plato’s work, for I have seen, with my own eyes, a large number of them, especially in possession of the Calabrian Barlaam, a modern model of Greek wisdom who began to teach me Greek while I was still ignorant of Latin, and who might have done so successfully if death had not taken him away from me and hindered my honest plans, as usual.« 

In 1350, two years after Barlaam’s death, Petrarch met the son of a banker, Giovanni Boccaccio (1313-1375). The latter, like Petrarch, fell in love with the Greek culture and language. In his youth, in Naples, he too had met Barlaam and learned a few words of Greek, meticulously copying alphabets and verses, adding the Latin translation and pronunciation indications.

Boccaccio and Leontius Pilatus

Leontius Pilatus

To increase his mastery of Greek, Boccaccio then called from Thessaloniki a disciple of Barlaam, Leontius Pilatus (died in 1366), an austere, ugly and very bad-tempered character. But this Calabrian lectured him on Homer’s Iliad and Odyssey and translated sixteen of Plato’s dialogues. How could one get angry with him?

Boccaccio offered him shelter and food for three years in his home and had a chair of Greek created for him in Florence, the first time ever!

Unfortunately, Pilatus did not really master this language. Although posing as a native Greek, the man had poor knowledge of ancient Greek and his translations never got beyond the level of word-for-word. As for the lessons he gave Petrarch, they were so brutal that he disgusted him forever.

This did not prevent Pilatus, at the insistence of Boccaccio, from translating Homer’s Iliad and Odyssey into Latin from a Greek manuscript sent to Petrarch by Nicolaos Sigeros, the Byzantine ambassador to Avignon.

Hence, history being what it is, it was thanks to this highly imperfect translation that Europe rediscovered one of the great founding works of its culture!

Boccaccio’s book on famous women.

And on this fragile ground will rise a flame that will revolutionize the world.

« Was it not I, » writes Boccaccio in his Genealogy of the Gods, « who had the glory and honor of employing the first Greek verses among the Tuscans? Was it not I who, through my prayers, led Pilatus to settle in Florence and who housed him there? I brought at my own expense copies of Homer and other Greek authors when none existed in Tuscany. I was the first of the Italians to whom Homer, in particular, was explained, and then I had him explained in public.« 

The hunt for manuscripts

What is important is that during these encounters Petrarch created a cultural network covering the whole of Europe, a network reaching into the East.

He then asked his relations and friends, who shared his humanist ideals, to help him find in their respective country or province, the Latin texts of the ancients that the libraries of abbeys, individuals or cities might possess. In the course of his own travels, he found several major texts that had fallen into oblivion.

It is in Liege (Belgium) that he discovered the Pro Archia and in Verona, Ad Atticum, Ad Quintum and Ad Brutum, all by Cicero. During a stay in Paris, he got his hands on the elegiac poems of Propertius, then, in 1350, on a work by Quintilian. In a constant concern to restore the most authentic text, he subjected these manuscripts to meticulous philological work and made corrections by comparing them with other manuscripts. This is how he reconstructed the first and fourth decades of the Roman History of Titus Livius from fragments and restored some of Virgil’s texts.

These manuscripts, which he kept in his own library, later came out in the form of copies and thus became accessible to the greatest number of people. While acknowledging that the pagans lacked the « true faith, » Petrarch believed that when one speaks of virtue, the old and new worlds are not at war.


The « Circolo di Santo Spirito »

Florence: the Augustinian Convent Santo Spirito.

From the 1360s onwards, Boccaccio gathered a first group of humanists known as the « Circolo di Santo Spirito » (Circle of the Holy Spirit), whose name was borrowed from the 13th century Florentine Augustinian convent.

An embryonic form of a university, its Studium Generale (1284) was then at the heart of a vast intellectual center including schools, hospices and refectories for the needy.

Before his death in 1375, Boccaccio, who had recovered part of Petrarch’s library, bequeathed to the convent his entire collection of precious ancient books and manuscripts.

Then, in the 1380s and early 1390s, a second circle of humanists met daily in the cell of the Augustinian monk Luigi Marsili (1342-1394). The latter, who had studied philosophy and theology at the universities of Paris and Padua, where he already established contact with Petrarch in 1370, became friends with Boccaccio. Hence, by attending the Cercle Santo Spirito from 1375 onwards, Coluccio Salutati in turn fell in love with Greek studies.

By inviting the Greek scholar Manuel Chrysoloras (1355-1415) to Florence to teach Ancient Greek, it was Salutati who gave the decisive impulse leading to the end of the schism between East and West and thus to the unification of the Churches, consecrated at the Council of Florence in 1439.

Roger Bacon

A century before Salutati, the English philosopher and scientist Roger Bacon (1214-1294), a Franciscan monk residing in Oxford, author of one of the first Greek grammars, already called for such a « linguistic revolution ».

As wrote Dean P. Lockwood in Roger Bacon’s Vision of the Study of Greek (1919):

« Obviously, Greek was the master-key to the great storehouse of ancient knowledge, Hebrew and Arabic to lesser chambers. Furthermore, we must not forget that in Bacon’s day the superiority of the ancients was an indisputable fact. The modern world has outstripped the Greek and the Romans in countless ways; the medieval thinkers were still climbing toward the Hellenic standard.

« Three things were clear to Roger Bacon: the need of Greek, the contemporary ignorance of Greek, and the feasibility of acquiring Greek. The same may be said of Hebrew, but Bacon rightly put Greek first. Bacon’s program was simple:

« 1. Seek out the native Byzantine Greeks resident in Europe, preferably grammarians. The latter were very few, of course, but might be found in the Greek monasteries of Southern Italy.

« 2. From these and from any other available sources let Greek books be sought. If this program were to be carried out, Bacon confidently prophetized that results would not be long in forthcoming.« 


Leonardo Bruni

Leonardo Bruni.

Manuel Chrysoloras, arrived in winter 1397, an event remembered by one of his most famous pupils, the humanist scholar Leonardo Bruni (1369-1444) and later chancellor of Florence at the time of the Council of Florence, as a great new opportunity: there were many teachers of law, but no one had studied Greek in northern Italy for 700 years.

Thanks to Chrysoloras, Bruni and Pier Paolo Vergerio the Elder were able to read Aristotle and especially Plato in the original Greek version.

Aristotle (Logic) versus Plato (Dialectics).

Until then, in Europe, Christians knew the names of Pythagoras, Socrates and Plato by their reading of the church fathers Origen, St. Jerome and St. Augustine.

The latter, in his City of God, did not hesitate to affirm that the « Platonists », that is Plato and those who assimilated his teaching (Plato et qui eum bene intellexerunt), were superior to all other pagan philosophers.

As we have demonstrated elsewhere, in particular in our study on Raphael and the School of Athens, it is to a large extent Plato’s optimistic and Promethean philosophical approach, for whom knowledge comes above all from the capacity for hypothesis and not from the mere testimony of the senses as Aristotle claims, that clearly provided the sap that allowed the Renaissance tree to offer humanity so many wonderful fruits.

Traversari’s humanist circle

Bust of d’Ambrogio Traversari.

The most famous pupil of Chrysoloras was Ambrogio Traversari (1386-1439), who became general of the Camaldolese order. Today honored as a saint by his order, Traversari was one of the first to conceptualize the type of “Christian Humanism” that would be promoted by Nicolaus of Cusa (Cusanus) and later Erasmus of Rotterdam (who framed the concept of “Saint-Socrates”) and the latter’s admirer Rabelais, uniting Plato with the Holy Scriptures, and the fathers of the Church.

Traversari, a key organizer of the Council of Florence, was also the personal protector of the great Renaissance painter Piero della Francesca and of the architect of the Dome Filippo Brunelleschi.

Traversari’s circle of humanists, which included Cusanus and Toscanelli, regularly met at the Florentine Santa Maria degli Angeli convent.

According to Vespasiano de Bisticci, the court historian of the Court of Urbino, Traversari had weekly working sessions on Plato and Greek philosophy at the Santa Maria degli Angeli convent with the crème de la crème of European humanism in the fields of literature, theology, science, politics, architecture, infrastructure, urban planning, education and the fine arts. Among those :

  • The German cardinal-philosopher Nicholas of Cusa (Cusanus);
  • Paolo dal Pozzo Toscanelli, the great physician and cartographer, also friend and protector of Piero della Francesca and Leonardo da Vinci.
  • The erudite manuscript collector Niccolò Niccoli, adviser to Cosimo the Elder, heir to the Medici’s industrial and financial empire. Considered at the time to be the richest man in the West, Cosimo was one of the patrons of the sculptor Donatello;
  • Aeneas Sylvius Piccolomini, the future humanist pope Pius II;
  • Leonardo Bruni, the apostolic secretary of Pope Innocent VII and his three successors. He succeeded Coluccio Salutati at the chancellery of Florence (1410-1411 and 1427-1444).
  • The Italian statesman Carlo Marsuppini, passionate about Greek Antiquity, and successor of Bruni as Chancellor of the Republic of Florence after the latter’s death in 1444.
  • The philosopher, antiquarian and writer Poggio Bracciolini. After having advised no less than nine popes (!), he was appointed Chancellor of the Republic of Florence following the death of Marsuppini in 1453;
  • The politician and ambassador Gianozzi Manetti. In love with ancient Greek and Hebrew, his circle includes the éducator Francesco Filelfo, the banker Palla Strozzi and the founder of the Vatican library Lorenzo Valla ;

Chrysoloras in Florence

The Greek scholar Manuel Chrysoloras

Chrysoloras remained only a few years in Florence, from 1397 to 1400, teaching Greek, starting with the rudiments. He moved on to teach in Bologna and later in Venice and Rome. Though he taught widely, a handful of his chosen students remained a close-knit group, among the first humanists of the Renaissance. As said before, among his pupils one could count some of the foremost figures of the revival of Greek studies in Renaissance Italy.

Aside from Bruni and Ambrogio Traversari, they included Guarino da Verona and the Florentine banker Palla Strozzi (1372-1462), later the friend and protector of the sculptor and translator Lorenzo Ghiberti. It is worth noting that Strozzi paid part of Chrysoloras’ salary and had the books necessary for the new teaching brought from Constantinople and Greece.

Chrysoloras went to Rome on the invitation of Bruni, who was then secretary to Pope Gregory XII. In 1408, he was sent to Paris on an important mission from the emperor Manuel II Palaeologus (1350-1425). In 1413, he went to Germany on an embassy to the emperor Sigismund, the object of which was to decide on the site for the church council that assembled at Constance in 1415. Chrysoloras was on his way there, having been chosen to represent the Greek Church, when he died that year.

Chrysoloras translated the works of Homer and Plato’s Republic from Greek into Latin. His Erotemata (Questions-answers), which was the first basic Greek grammar in use in Western Europe, circulated initially as a manuscript before being published in 1484.

Widely reprinted, it enjoyed considerable success not only among his pupils in Florence, but also among later leading humanists, being immediately studied by Thomas Linacre at Oxford and by Erasmus when he resided at Cambridge. It’s text became the basic manual used by pupils of the Three Language College set up by Erasmus in Leuven (Belgium) in 1515.

Study during the Renaissance

Traversari meets Chrysoloras during his two stays in Florence in the summer of 1413 and in January-February 1414, and the old Byzantine scholar is impressed by the bilingual culture of the young monk; he sends him a long philosophical letter in Greek on the theme of friendship. Ambrogio himself expresses in his letters the highest consideration for Chrysoloras, and emotion for the benevolence he showed him.

It should also be noted that the rich humanist scholar Niccolò Niccoli, a great collector of books, opened his library to Traversari and put him in constant contact with the scholarly circles of Florence (notably Leonardo Bruni, and also Cosimo de Medici, of whom he was advisor), but also of Rome and Venice.

In 1423, Pope Martin V sent two letters, one to the prior of the Convent of Santa Maria degli Angeli, Father Matteo, and the other to Traversari himself, expressing his support for the great development of patristic studies in this establishment, and especially for the work of translation of the Greek Fathers carried out by Traversari.

The Pope had in mind the negotiations he was conducting at the time with the Greek Church: at the beginning of 1423, his legate Antonio de Massa returned from Constantinople and brought back with him several Greek manuscripts which were to be entrusted to Traversari for translation: notably the Adversus Græcos by Manuel Calécas, and for the classics the Lives and Doctrines of the Illustrious Philosophers by Diogenes Laërtius, a text which circulated for a long time only in Traversari’s Latin translation.

It was following these undertakings that Traversari expressed his great interest in seeing the schism between the Latin and Greek Churches resolved. At the end of 1423, Niccolò Niccoli provides Traversari with an old volume containing the entire corpus of the ancient ecclesiastical canons, and the learned monk expresses in his correspondence with the humanist his enthusiasm for being able to immerse himself in the life of the then united ancient Christian Church, and in the process, he translates into Greek a long letter from Pope Gregory the Great to the prelates of the East.

Arrival of Plato’s mind

Were Bessarion and Plethon the first to bring the entire works of Plato to Europe?

Not really. While John Bessarion did indeed bring his own collection of the “complete works of Plato” in 1437 to Florence, they had already been brought to Italy earlier, most notably in 1423 by the Sicilian Giovanni Aurispa (1376-1459), who was the teacher of Lorenzo Valla (another collaborator with whom Cusanus exposed the fraud of the “Donation of Constantine” and a major source of inspiration of Erasmus).

In 1421 Aurispa was sent by Pope Martin V to act as the translator for the Marquis Gianfrancesco Gonzaga on a diplomatic mission to the Byzantine emperor, Manuel II Palaiologos.

The Byzantine Emperor John VIII Paleologus, here portrayed as King Balthasar.

After their arrival, he gained the favor of the emperor’s son and successor, John VIII Paleologus (1392-1448), who took him on as his own secretary. Two years later, he accompanied his Byzantine employer on a mission to the courts of Europe.

Giovanni Aurispa, the first Italian, in coordination with Traversari, to bring the complete works of Plato to the West.

On 15 December 1423, 16 years prior to the Council of Florence of 1439, Aurispa arrived in Venice with the largest and finest collection of Greek texts to reach the west prior to those brought by Bessarion. In reply to a letter from Traversari, he says that he brought back 238 manuscripts.

These contained all of Plato’s works, most of them hitherto unknown in the West.

Plato’s works so far were only known very partially. In Sicily, Henry Aristippus of Calabria (1105-1162) had translated into Latin Plato’s Phaedo and Meno dialogues as early as 1160.

Evil neo-Platonist

Platonists (such as Petrarch, Traversari, Cusanus or Erasmus), have nothing to do and even violently opposed “Neo-platonist” (such as Plotinus, Proclus, Iamblicus, Marsilio Ficino and Pico della Mirandola) whose influence would create what could and should be called a “counter-Renaissance”.

Already Leibniz strongly warned against the “neo-Platonists” and demanded Plato be studied in his original writings rather than through his commentators, however brilliant they might be:

“non ex Plotino aut Marsilio Ficino, qui mira semper et mystica affectantes diceren tanti uiri doctrinam corrupere.”

[In English: Plato should be studied, but “Not from Plotinus nor Marsilio Ficino, who, by always striving to speak wonderfully and mystically, corrupt the doctrine of so great a man. »]

George Gemisthos « Plethon »

George Gemistos « Plethon » in the mural painting of Benozzo Gozzoli.

Now, let us enter Plethon, who thought Plato and Aristotle could each one play their own role. George Gemistos « Plethon » (1355-1452), was a follower of the radical “neo-Platonist” Michael Psellos (1018-1080). Around 1410 Gemistos created a “neo-Platonic” academy in Mistra (near the site of ancient Sparta) and added “Plethon” to his name to make it resemble to « Plato ». He was also an admirer of Pythagoras, Plato, and the “Chaldean Oracles”, which he ascribed to Zoroaster.

Gemistos came for the first time to Florence when he was fifteen years old and became an authority in Mistra. So at the time of the Council, the Emperor, John VIII Paleologus, knew they were going to face some of the finest minds in the Roman Church on their own soil; he therefore wanted the best minds available in support of the Byzantine cause to accompany him. Consequently, the Emperor appointed George Gemistos as part of the delegation. Despite the fact that he was a secular philosopher — a rare creature at this time in the West — Gemistos was renowned both for his wisdom and his moral rectitude. Among the clerical lights in the delegation were John Bessarion, Metropolitan of Nicaea, and Mark Eugenikos, Metropolitan of Ephesus. Both had been students of Gemistos in their youth. Another non-clerical member of the delegation was George Scholarios: both a future adversary of Gemistos and a future Patriarch of Constantinople as Gennadios II. Initially, Gemistos was opposed to the unity of the western and eastern churches.

Not assisting at every theological debate during the Council of Florence of 1439, he went in town to give lectures to intellectuals and nobles on the essence of Plato and Neo-platonic philosophy. Plethon also brought with him the text of the “Chaldean Oracles” attributed to Zoroaster.

While most of Plethon’s writing were burned, since he was suspected of heresy, a large number of Plethon’s autograph manuscripts ended up in the hands of his former student Cardinal Bessarion. On Bessarion’s death, he willed his personal library to the library of San Marco in Venice (where over 4000 Greeks resided). Among these books and manuscripts was Plethon’s Summary of the Doctrines of Zoroaster and Plato. This Summary was a summary of the Book of Laws, which Plethon wrote inspired by Plato’s laws. The Summary is a mixture of polytheistic beliefs with neo-Platonist elements.

While John Bessarion (1403-1472), a real humanist, took part in the Council in Ferrara (1437) and Florence (1439), and as the representative of the Greek, signed the decree of the Florentine Union, he held nevertheless to the principle: “I honor and respect Aristotle, I love Plato” (colo et veneror Aristotelem, amo Platonem). For him Platonic thought would have the right of citizenship equal to Aristotelian thought in the Latin world only when it appeared in an irenic interpretation to Aristotelianism and as not in contradiction with Christianity, since only such an interpretation of Platonism could succeed at that time.


Cosimo di Medici and Ficino

Giovanni di Bicci de Medici

Did the Medicis finance a crash program to translate the works of Plato?

In 1397, Giovannni « di Bicci » de’ Medici (1360-1429) set up the Medici Bank. Giovanni owned two wool factories in Florence and was a member of two guilds: the Arte della Lana and the Arte del Cambio.

In 1402, he was one of the judges on the jury that selected Lorenzo Ghiberti’s design for the bronzes for the doors of the Baptistery of Florence.

In 1418, Giovanni di Bicci, wishing to endow his family with their own church, entrusted Filippo Brunelleschi, future architect of the famous dome of the Cathedral of Santa Maria del Fioro, the Duomo, with the task of radically transforming the basilica church of San Lorenzo and ordered Donatello to execute the sculptures.

Politically, the Medici family did not come to power until 1434, three years before the Council of Florence and at a time when the Renaissance was already in full swing.

Cosimo di Medici, the elder

Admittedly, Giovanni’s son and inheritor of his financial empire, Cosimo di Medici (1389-1464), known as the richest man of his epoch, became so inspired by Plethon that he acquired a complete library of Greek manuscripts. He bought a copy of the Platonic Corpus (24 dialogues) from Plethon, and a copy of the Corpus Hermeticum of Hermes Trismegistus, acquired in Macedonia by an Italian monk, Lionardo of Pistoia. Cosimo also decided to initiate a project to translate from the Greek into Latin, the totality of Plato’s works.

However, as said before, Leonardo Bruni (1369-1444), who after having been papal secretary became chancellor of the Florentine republic from 1427 till 1444, had already translated close to all of Plato’s works from Greek into Latin.

It should be underlined that the translator chosen by Cosimo was Marsilio Ficino (1433-99), the son of his personal physician and only five years old at the time of the Council of Florence in 1439. Cosimo had some severe doubts concerning Ficino’s capacities as translator. When the latter offers in 1456 his first translation, The Platonic Institutions, Cosimo asks him kindly not to publish this work and to learn first the Greek language… which Ficino learns then from Byzantine scholar John Argyropoulos (1415-1487), an Aristotelian pupil of Bessarion who rejected the Council of Florence’s epistemological revolution.

But seeing his age advancing and despite his unfortunate descent into corruption, Cosimo finally gave him the post. He allocates him an annual stipend, the required manuscripts and a villa at Careggi, close to Florence, where Ficino would set up his “Platonic Academy” with a handful of followers, among which Angelo Poliziano (1454-94), Giovanni Pico della Mirandola (1463-1494) and Cristoforo Landino (1424-1498).

The evil « neo-Platonic » Marsilio Ficino (left) with some followers of his fake Platonic Academy: Cristoforo Landino, Angelo Poliziano and Demetrios Chalkondyles.

Ficino’s “Academy”, taking up the ancient neo-platonic tradition of Plotinus and Porphyry (as Ficino states himself) would organize each year a ceremonial banquet “neglected since one thousand two hundred years” on November 7, thought to be simultaneously the birthday of Plato and the day of his death.

After the dinner, the attendants would read Plato’s Symposium and then each of them would comment on one of the speeches. The comments are demonstrations, without any real dialogue and void of the essence of real platonic thinking: irony. On top of that it is remarkable that most gatherings of Ficino’s academy were attended by the ambassador of Venice in Florence, notably the powerful oligarch Bernardo Bembo (1433-1519), father of “poet” cardinal Pietro Bembo, later special advisor to the evil Genovese “Warrior Pope” Julius II.

It was this alliance of the increasingly more degenerated Medici family, the Venetian Empire’s maritime slave trade and the anti-Platonic neo-Platonists that gained dominant influence over the Curia of the Roman Catholic Church. The Medici’s clearly disliked Da Vinci (who never got an order from the Vatican and subsequently left Italy), and through their propaganda man Vasari made the world belief that the Renaissance was exclusively their baby.

But before translating Plato, and at the specific demand of Cosimo, Ficino translated first (in 1462) the Orphic Hymns, the Sayings of Zoroaster, and the Corpus Hermeticum of Hermes Trismegistus the Egyptian (between 100 and 300 after BC).

It will be only in 1469 that Ficino will finish his translations of Plato after a nervous breakdown in 1468, described by his contemporaries as a crisis of “profound melancholy”.

In 1470, and with a title plagiarized from Proclus, Ficino wrote his “Platonic Theology or on the immortality of the Soul.” While completely taken in by esoteric neo-Platonism, he became a priest in 1473 and wrote “The Christian Religion” without changing his neo-platonic pagan outlook, producing an entire new series of translations of the neo-Platonists of Alexandria: he translated the fifty-four books of Plotinus “Enneads”, Porphyry and Proclus.

Ficino, in his “Five Questions Concerning the Mind” explicitly attacks the Promethean conception of man:

« Nothing indeed can be imagined more unreasonable than that man, who through reason is the most perfect of all animals, nay, of all things underheaven, most perfect, I say, with regard to that formal perfection that is bestowed upon us from the beginning, that man, also through reason, should be the least perfect of all with regard to that final perfection for the sake of which the first perfection is given. This seems to be that of the most unfortunate Prometheus. Instructed by the divine wisdom of Pallas, he gained possession of the heavenly fire, that is, reason. Because of this very possession, on the highest peak of the mountain, that is, at the very height of contemplation, he is rightly judged most miserable of all, for he is made wretched by the continual gnawing of the most ravenous of vultures, that is, by the torment of inquiry…” (…) “What do the philosophers say to these things? Certainly, the Magi, followers of Zoroaster and Hostanes, assert something similar. They say that, because of a certain old disease of the human mind, everything that is very unhealthy and difficult befalls us…« 

The Florentine Neo-Platonic Academy, backed by the libido-driven Lorenzo de Medici (1449-1492) “The Magnificent”, will serve as a “Delphic” operation: defend Plato to better destroy him; praise him in such terms that he becomes discredited. And especially destroying Plato’s influence by opposing religion to science, at a point where Cusanus and his followers are succeeding to do exactly the opposite. Isn’t it bizarre that Cusa’s name doesn’t appear a single time in the works of Ficino or Pico della Mirandola, so overfed with all-encompassing knowledge?

Lorenzo did protect artists such as Sandro Botticelli, whose Birth of Venus exemplifies Lorenzo’s neo-platonic symbolism.

Infected with this evil neo-Platonism, Thomaso Inghirami (1470-1516), the chief librarian of pope Julius II, will accomplish nothing but this when dictating to the painter Raphaël the content of the Stanza in the Vatican some decades later.

Neo-platonic “melancholy”, which Albrecht Dürer went after in his famous engraving, will become the matrix for the romantics, the destructive virus affecting the symbolists and the so-called modern school. As for the revolution that Greek studies will bring about in the sciences, I refer you to our article on this website: 1512-2012: From Cosmography to Cosmonauts, Gerard Mercator and Gemma Frisius.

To conclude, here is a short list of translators, and I certainly forgot some of them, and their mastery of foreign languages. Even if some of them can’t be called « humanists », let’s thank them for everything they allowed us to discover. I’m profoundly convinced that without them, man would certainly not have set foot on the Moon!

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La Route de la soie maritime, une histoire de 1001 coopérations

Reconstruction à l’identique d’un des navires figurant sur les bas-reliefs du temple bouddhiste de Bonobudur datant du VIIIe siècle en Indonésie.

Il est de bon ton aujourd’hui de présenter les enjeux maritimes dans le cadre d’une l’idéologie géopolitique britannique moribonde dressant les pays et les peuples les uns contre les autres.

Cependant, comme le démontre cette brève histoire de la Route de la soie maritime, tirée pour l’essentiel d’un document de l’organisation internationale du tourisme, l’océan a été avant tout un lieu fantastique de rencontres fertiles, de brassages culturels et de coopérations mutuellement bénéfiques.

Les anciens Chinois ont inventé beaucoup de choses que nous utilisons de nos jours, notamment le papier, les allumettes, les brouettes, la poudre à canon, la noria (élévateur), les écluses à sas, le cadran solaire, l’astronomie, la porcelaine, la peinture laque, la roue de potier, les feux d’artifice, la monnaie de papier, la boussole, le gouvernail d’étambot, le tangram, le sismographe, les dominos, la corde à sauter, les cerfs-volants, la cérémonie du thé, le parapluie pliable, l’encre, la calligraphie, le harnais pour animaux, les jeux de cartes, l’impression, le boulier, le papier peint, l’arbalète, la crème glacée, et surtout la soie dont nous aller parler ici.

Soie chinoise.

Origine de la soie

Avant de parler des « routes » de la soie, deux mots sur les origines de la sériciculture, c’est-à-dire l’élevage de vers à soie.

Comme le confirment des découvertes archéologiques récentes, la production de la soie représente un savoir-faire ancestral. La présence du mûrier pour l’élevage du ver à soie a été constatée en Chine autour du fleuve jaune chez la culture de Yangshao lors du néolithique moyen chinois de 4500 à 3000 av. JC.

En général, on préfère retenir la légende qui affirme que la soie a été découverte vers 2500 ans avant J.C., par la princesse chinoise Si Ling-chi, lorsqu’un cocon tomba accidentellement dans son bol de thé. En essayant de le retirer, elle s’aperçut que le cocon ramolli par l’eau chaude déployait un fil délicat, doux et solide pouvant être dévidé et assemblé. Ainsi serait née l’idée de confectionner des étoffes. La princesse décida alors de planter de nombreux mûriers blancs dans son jardin pour élever des vers à soie.

Cycle de reproduction du ver à soie.

Les vers à soie (ou bombyx) et les mûriers furent divinement bien soignés par la princesse (les vers à soie se nourrissent uniquement de feuilles de mûriers blancs).

La production de soie est un processus long qui nécessite une grande surveillance. Les papillons de soie pondent environs 500 œufs au cours de leurs vies, qui est de 4 à 6 jours. Après éclosion des œufs, les bébés vers se nourrissent de feuilles de mûrier dans un environnement contrôlé. Ils ont un féroce appétit et leur poids peut considérablement augmenter. Après avoir emmagasiné suffisamment d’énergie, les vers sécrètent par leurs glandes de la soie une gelée blanche et s’en servent pour réaliser un cocon autour d’eux.

Après huit ou neuf jours, les vers sont tués et les cocons sont plongés dans de l’eau bouillante afin d’assouplir les filaments de protection qui sont enroulés sur une bobine. Ces filaments peuvent être de 600 à 900 mètres de long. Plusieurs filaments sont assemblés pour former un fil. Les fils de soie sont alors tissé pour former une toile ou utilisée pour de la broderie fine ou encore le brocart, riche tissu de soie rehaussé de dessins brochés en fils d’or et d’argent.

Le début du commerce de la soie

Sous la menace de la peine capitale, la sériciculture resta un secret bien gardé et la Chine conservera durant des millénaires son monopole sur la fabrication.

Ce n’est que sous la dynastie des Zhou (1112 av. JC.), qu’une Route de la soie maritime va desservir à partir de la Chine le Japon et la Corée car le gouvernement décide d’y envoyer, depuis le port situé dans la baie de Bohai (de la Péninsule de Shandong), des Chinois chargés de former les habitants à la sériciculture et l’agriculture. C’est ainsi que les techniques d’élevage du vers à soie, du bobinage et du tissage de la soie ont, peu à peu, été introduites en Corée via la mer Jaune.

Lorsque l’empereur Qin Shi Huang unifie la Chine (221 av. JC.), de nombreuses personnes des États de Qi, Yan et Zhao s’enfuient vers la Corée en emportant, avec eux, des vers à soie et leur technique d’élevage. Ceci va accélérer le développement de la filature de la soie dans ce pays.

Pour les relations internationales de la Chine, la Corée a joué un rôle central en particulier comme un pont intellectuel entre la Chine et le Japon. Son commerce avec la Chine a également permis la divulgation du bouddhisme et des méthodes de fabrication de la porcelaine.

Bien qu’initialement réservé à la Cour impériale, la soie s’est répandu à travers toute la culture asiatique, aussi bien géographiquement que socialement. La soie devient rapidement le tissu de luxe par excellence que la terre entière désire.

A l’époque des dynasties Han (206 av. JC à 220), un canevas dense de routes commerciales fait exploser les échanges culturels et commerciaux à travers l’Asie centrale et impacte profondément la dynamique civilisationnelle. La dynastie des Han continue la construction de la grande muraille et crée notamment la commanderie de Dunhuang (Gansu), poste clé de la Route de la soie. Son commerce s’étend, plus de deux siècles av. JC, jusqu’à la Grèce puis Rome où la soie est réservée aux élites.

Au IIIe siècle, l’Inde, le Japon et la Perse (Iran) réussissent à percer le secret de la fabrication de la soie et deviennent d’importants producteurs.

La soie arrive en Europe

L’élevage du ver à soie, dit-on, aurait débuté en Europe au VIe siècle grâce à deux moines du Mont Athos, envoyés par l’empereur byzantin Justinien. Ils ont rapporté de Chine ou d’Inde, des œufs de vers à soie cachés dans leur bâton de pèlerin en bambou creux. Une autre version prétend que ce serait l’empereur Han Wu (IIe siècle) qui envoya des ambassadeurs, munis de présents tel que la soie, vers l’occident. L’élevage se répandit d’abord dans l’empire byzantin qui en conserva le secret.

Au VIIe siècle, la sériciculture se répand en Afrique et en Sicile où, sous l’impulsion de Roger Ier de Sicile (v. 1034-1101) et de son fils Roger II (1093-1154), le ver à soie et le mûrier furent introduits dans l’ancien Péloponnèse.

Au Xe siècle, l’Andalousie devient l’épicentre de la fabrication de la soie avec Grenade, Tolède et Séville. Lors de la conquête arabe, la sériciculture passa en Espagne, en Italie (Venise, Florence et Milan) et en France.

Les plus anciennes traces françaises d’une activité séricicole remontent au XIIIe siècle, notamment dans le Gard (1234) et à Paris (1290).

Au XVe siècle, face à l’importation ruineuse de la soie (brute ou manufacturée) italiennes, Louis XI essaye de créer des manufactures de soieries, d’abord à Tours sur la Loire, en ensuite à Lyon, une ville au carrefour des routes nord-sud où les émigrants italiens pratiquaient déjà le commerce de soieries.

Au XIXe siècle, la production de la soie a été industrialisée au Japon mais au XXe siècle, la Chine reprend sa place comme le plus grand producteur mondial. Aujourd’hui, l’Inde, le Japon, la République de Corée, la Thaïlande, le Vietnam, l’Ouzbékistan et le Brésil ont des grosses capacités de production.

Brassage culturel

Autant que la soie elle-même, le transport de la soie par voie maritime remonte à des âges immémoriaux.

Pour les Chinois, il existe deux principales routes : la Route de la Soie de la Mer orientale de Chine (vers la Corée et le Japon) et la Route de la Soie de la Mer méridionale de Chine (via le détroit de Malacca vers l’Inde, le golfe Persique, l’Afrique et l’Europe). Royaume du Fou-Nan

Au Vietnam, le musée de Hanoï possède une pièce de monnaie datant de l’an 152 arborant l’effigie de l’empereur romain Antonin le Pieux. Cette pièce a été découverte dans les vestiges d’Oc Eo, une ville vietnamienne située au sud du delta du Mékong, qu’on pense avoir été le port principal du Royaume du Fou-nan (Ier au IXe siècle).

Ce royaume, qui couvrait le territoire du Cambodge actuel et de la région administrative vietnamienne du delta du Mékong, a prospéré du Ier au IXe siècle. Or, la première mention du royaume du Fou-nan, apparait dans le compte rendu d’une mission chinoise qui s’y est rendue au IIIe siècle.

Les Founamiens furent à la gloire de leur puissance lorsque l’hindouisme et le bouddhisme furent introduits en Asie du Sud-Est.

Ensuite, à partir de l’Egypte, des marchands grecs ont atteint la baie de Bengale. Des quantités considérables de poivre atteignent alors Ostia, le port d’entrée de Rome. Toutes les preuves historiques démontrent que le commerce est-ouest fleurissait dès notre premier millénaire.

Perses et Arabes en Asie

Empire des Sassanides.

Du coté occidental, à l’entrée de la baie de Koweït, à 20 kilomètres au large de la ville de Koweït City, non loin du débouché de l’estuaire commun du Tigre et de l’Euphrate dans le golfe Persique, l’île de Failaka a été l’un des lieux de rendez-vous où la Grèce, Rome et la Chine échangeaient leurs marchandises.

Sous la dynastie des Sassanides (226-651), les Perses ont développé leurs routes commerciales jusqu’en Asie du Sud-est en passant par l’Inde et le Sri Lanka. Cette infrastructure commerciale fut reprise ensuite par les Arabes lorsqu’en 762 ils déplacèrent la capitale Omeyyade de Damas à Bagdad.

Les présidents chinois et indien, Xi Jinping et Narendra Modi, explorant le fonctionnement de la roue à tisser, fruit des échanges entre Arabes, Indiens et Chinois.
Dhow arabe.

Ainsi, la ville de Quilon (Kollam), la capitale du Kerala en Inde, voit cohabiter dès le IXe siècle des colonies de marchands arabes, chrétiens, juifs et chinois.

Du coté occidental, les navigateurs perses et ensuite arabes ont joué un rôle central dans la naissance de la route de la soie maritime. A la suite des routes sassanides, les Arabes poussaient leurs dhows, c’est-à-dire les boutres ou voiliers arabes traditionnels, de la mer Rouge aux côtes chinoises et jusqu’aux confins de la Malaisie et de l’Indonésie.

Ces marins apportèrent avec eux une nouvelle religion, l’islam qui s’étendra en Asie du Sud-Est. Si initialement le pèlerinage traditionnel (le hajj) vers la Mecque ne fut qu’une aspiration pour de nombreux musulmans, il leur deviendra de plus en plus possible de l’effectuer.

Lors de la mousson, la saison où les vents sont favorables à la navigation vers l’Inde dans l’océan Indien, les missions commerciales semestrielles se transformaient en véritables foires internationales offrant du même coup une occasion pour transporter par la mer une grande quantité de marchandises dans des conditions (abstraction faite des pirates et de l’imprévisibilité du temps) relativement moins exposées aux dangers du transport par voie terrestre.

Chine : la Route de la soie maritime
sous les dynasties Sui, Tang et Song

Le pont de Luoyang, un chef-d’œuvre d’architecture ancienne à Quanzhou.

C’est sous la dynastie Sui (581-618), qu’en partance de Quanzhou, ville côtière dans la province du Fujian, dans le sud-est de la Chine, la Route de la soie maritime trace ses premiers itinéraires commerciaux.

Riche de sa panoplie d’endroits pittoresques et de sites historiques, Quanzhou a été proclamée « point de départ de la Route de la Soie maritime » par l’UNESCO.

C’est à cette époque que les premières méthodes d’imprimerie font leur apparition en Chine. Il s’agit de blocs de bois permettant d’imprimer sur du textile. En 593, l’Empereur Sui, Wen-ti, ordonna l’impression des images et des écrits bouddhiques. Un des plus anciens textes imprimés est un écrit bouddhiste datant de 868 retrouvé dans une grotte près de Dunhuang, une ville étape de la Route de la soie.

Sous la dynastie Tang (618-907), l’expansion militaire du Royaume apporta de la sécurité, du commerce et des idées nouvelles. Le fait que la stabilité de la Chine des Tang coïncide avec celle de la Perse des Sassanides, permet alors aux routes de la soie terrestres et maritimes de prospérer. La grande transformation de la route de la soie maritime aura lieu à partir du VIIe siècle lorsque la Chine s’ouvre de plus en plus aux échanges internationaux.
Le premier ambassadeur arabe y prend ses fonctions en 651.

Fresque murale exécuté en 706, du tombeau de l’Empereur Tang, avec des émissaires diplomatiques à la Cour impériale. Les deux figures à droite, soigneusement habillés, y représentent la Corée, celui au milieu, (un moine ?) sans couvre-chef et avec « un gros nez » l’Occident.

La Dynastie Tang choisit comme capitale la ville de Chang’an (appelé aujourd’hui Xi’an). Elle adopte une attitude ouverte vis-à-vis des différentes croyances. Des temples bouddhistes, taoïstes et confucéens y coexistent pacifiquement avec des mosquées, des synagogues et des églises nestoriennes chrétiennes.

Chang’an étant le terminus de la Route de la Soie, le marché ouest de Chang’an devient le centre du commerce mondial. Selon le registre de l’Autorité Six des Tang, plus de 300 nations et régions avaient des relations commerciales avec Chang’an.

Presque 10 000 familles de pays étrangers de l’ouest vivaient dans la ville, spécialement dans la zone autour du marché ouest. Il y avait beaucoup d’auberges étrangères dont le personnel était des servantes étrangères choisies pour leur beauté. Le poète le plus célèbre dans l’histoire Chinoise, Li Bai, flânait souvent parmi elles. La nourriture étrangère, les costumes, la musique étaient la mode de Chang’an.

Après la chute de la dynastie Tang, les Cinq dynasties et la période des dix royaumes (907-960), l’arrivée de la dynastie Song (960-1279) va inaugurer une nouvelle période faste caractérisée par une centralisation accrue et un renouveau économique et culturel. La route maritime de la soie retrouve alors de son allant. En 1168 une synagogue est érigée à Kaifeng, capitale de la dynastie Song du Sud, pour servir aux marchands de la route de la soie.

Durant la même période, de pair avec l’expansion de l’islam, des comptoirs commerciaux vont apparaître tout autour de l’océan Indien et dans le reste de l’Asie du Sud-est.

La Chine incite alors ses marchands à saisir les occasions qu’offre le trafic maritime, notamment la vente du camphre, une plante médicinale très recherchée. Un véritable réseau commercial se développe alors dans les Indes orientales sous les auspices du Royaume de Sriwijaya, une cité-Etat du sud de Sumatra en Indonésie (voir ci-dessous) qui fera pendant près de six siècles la jonction entre d’un coté les marchands chinois et de l’autre les Indiens et les Malais. Une route commerciale émerge alors réellement méritant le nom de « route de la soie » maritime.

Des quantités de plus en plus importantes d’épices passent alors par l’Inde, la mer Rouge et Alexandrie en Egypte avant d’atteindre les marchands de Gênes, Venise et les autres ports occidentaux. De là, ils repartiront vers les marchés du nord de l’Europe de Lübeck (Allemagne), Riga (Lituanie) ou encore Tallinn (Estonie), qui deviendront, à partir du XIIe siècle, des villes importantes de la Ligue hanséatique.

Après sept années de fouilles, plus de 60 000 objets en porcelaine datant de la Dynastie Song (960-1279) ont été découverts sur le navire Nanhai (mer de Chine méridionale) qui était resté sous l’eau depuis plus de 800 ans.
Jonque du XVe siècle de la dynastie Ming.

En Chine, sous le règne de l’empereur Song, Renzong (1022-1063), beaucoup d’argent et d’énergie furent dépensés pour réunir les savoirs et les savoir-faire. L’économie fut la première à en bénéficier.

En s’appuyant sur le savoir-faire des marins arabes et indiens, les navires chinois deviennent alors les plus avancés du monde.

Les Chinois, qui avaient inventé la boussole (au moins depuis l’an 1119), dépassèrent rapidement leurs concurrents au niveau de la cartographie et l’art de naviguer alors que la jonque chinoise devient le vraquier par excellence.

Dans son traité géographique, Zhou Qufei, en 1178, rapporte :

« Les gros navires qui croisent la Mer du sud sont comme des maisons. Lorsqu’ils déplient leurs voiles, on dirait d’énormes nuages. Leur gouvernail est long de plusieurs dizaines de pieds. Un seul navire peut abriter plusieurs centaines d’hommes. A bord, il y a de quoi manger pour un an ».

Des fouilles archéologiques confirment cette réalité comme par exemple l’épave d’une jonque datant du XIVe siècle, retrouvée aux larges de la Corée, dans laquelle on a découvert plus de 10 000 pièces de céramique.

Lors de cette période, le commerce côtier passe graduellement des mains des marchands arabes aux mains des marchands chinois. Le commerce s’étend, notamment grâce à l’inclusion de la Corée ainsi que l’intégration du Japon, de la côte indienne de Malabar, du golfe Persique et de la mer Rouge dans les réseaux commerciaux existants.

La Chine exporte du thé, de la soie, du coton, de la porcelaine, des laques, du cuivre, des colorants, des livres et du papier. En retour, elle importe des produits de luxe et des matières premières, notamment des bois rares, des métaux précieux, des pierres précieuses et semi-précieuses, des épices et de l’ivoire.

Des pièces de monnaie en cuivre de la période Song ont été découvertes au Sri Lanka, et la présence de la porcelaine de cette époque a été constatée en Afrique de l’Est, en Egypte, en Turquie, dans certains Etats du Golfe et en Iran, tout comme en Inde et en Asie du Sud-est.

L’importance de la Corée et du Royaume de Silla

Pendant le premier millénaire, la culture et la philosophie ont fleuri dans la péninsule Coréenne. Un réseau marchand bien organisé et bien protégé avec la Chine et le Japon y opérait.

Sur l’île japonaise d’Okino-shima on trouve de nombreuses traces historiques témoignant des échanges intenses entre l’archipel japonais, la Corée et le continent asiatique.

Des fouilles effectuées dans des tombeaux anciens à Gyeongju, aujourd’hui une ville sud-coréenne de 264 000 habitants et capitale de l’ancien Royaume de Silla (de 57 av. JC à 935) qui contrôlait la plus grande partie de la péninsule du VIIe au IXe siècle, démontrent l’intensité des échanges de ce royaume avec le reste du monde, via la route de la soie.

L’Indonésie, une grande puissance maritime au coeur de la Route de la soie maritime

En Indonésie, en Malaisie et dans le sud de la Thaïlande, le Royaume de Sriwijaya (VIIe au XIIIe) a joué le rôle majeur de comptoir maritime où furent entreposées des marchandises de forte valeur de la région et au-delà en vue de leur commercialisation ultérieure par voie maritime. Sriwijaya contrôlait notamment le détroit de Malacca, le passage maritime incontournable entre l’Inde et la Chine.

A l’apogée de sa puissance au XIe siècle, le réseau des ports et des comptoirs sous domination Sriwijaya échangèrent une vaste palette de produits et de productions : du riz, du coton, de l’indigo et de l’argent de Java, de l’aloès (une plante succulente d’origine africaine), des résines végétales, du camphre, de l’ivoire et des cornes de rhinocéros, de l’étain et de l’or de Sumatra, du rotin, des bois rouges et d’autres bois rares, des pierres précieuses de Bornéo, des oiseaux rares et des animaux exotiques, du fer, du santal et des épices d’Indonésie orientale, d’Inde et d’Asie du Sud-est, et enfin, de Chine, des porcelaines, des laques, du brocart, des tissues et de la soie.

Avec comme capitale la ville de Palembang (à ce jour 1,7 million d’habitants) sur la rivière Musi dans ce qui est aujourd’hui la province méridionale de Sumatra, ce royaume d’inspiration hindouiste et bouddhiste, qui a prospéré du VIIIe au XIIIe siècle, a été le premier royaume indonésien d’importance et la première puissance maritime indonésienne.

Dès le VIIe siècle, il règne sur une grande partie de Sumatra, la partie occidentale de l’île de Java et une partie importante de la péninsule malaise. Avec une étendue au Nord jusqu’en Thaïlande, où des vestiges archéologiques de cités Sriwijaya existent encore.

Le musée de Palembang — une ville où communautés chinoises, indiennes, arabes et yéménites, chacun avec ses institutions particulières, co-prospèrent depuis plusieurs générations — raconte à merveille comment la Route de la soie maritime a engendré un enrichissement culturel mutuel exemplaire.

Madagascar, le sanskrit et la Route de la cannelle

Carte de l’expansion des langues austronésiennes.

Aujourd’hui, Madagascar est habitée par des noirs et des asiatiques. Des tests ADN ont confirmé ce que l’on savait depuis longtemps : de nombreux habitants de l’île descendent de marins malais et indonésiens qui ont mis pied sur l’ile vers l’année 830 lorsque l’Empire Sriwijaya étend son influence maritime vers l’Afrique.

Autre élément de preuve de cette présence, le fait que la langue parlée sur l’île emprunte des mots sanskrits et indonésiens.

Sans surprise, la carte de l’expansion des langues austronésiennes est quasiment superposable à celle de la Route de la cannelle (ci-dessus).

Bas-relief du temple bouddhiste de Borobudur (VIIIe siècle, Indonésie).

Pour démontrer la faisabilité de ces voyages maritimes, une équipe de chercheurs a navigué en 2003 d’Indonésie jusqu’au Ghana en passant par Madagascar à bord du Borobudur, la reconstruction d’un des voiliers figurant dans plusieurs des 1300 bas-reliefs décorant le temple bouddhiste de Borobudur sur l’île de Java en Indonésie, datant du VIIIe siècle.

Beaucoup pensent que ce navire est une représentation de ceux que les marchands indonésiens utilisaient autrefois pour traverser l’océan jusqu’en Afrique. Les navigateurs indonésiens utilisaient habituellement des bateaux relativement petits. Pour en assurer l’équilibre, ils les équipaient de balanciers, aussi bien doubles (ngalawa) que simples.

Leurs bateaux, dont la coque était taillée dans un seul tronc d’arbre, étaient appelés sanggara. Dans leurs traversées vers l’est, les marchands de l’archipel indonésien pouvaient jadis se rendre jusqu’à Hawaii et la Nouvelle-Zélande, à une distance de plus de 7 000 km.

Sur la Route de la cannelle, le navire a fait le trajet d’Indonésie jusqu’à Accra au Ghana, en passant par Madagascar.

En tout cas, le bateau des chercheurs, équipé d’un mât de 18 mètres de haut, a réussi à parcourir la route Jakarta – Maldives – cap de Bonne-Espérance – Ghana, une distance de 27 750 kilomètres, soit plus de la moitié de la circonférence de la Terre !

L’expédition visait à refaire une route bien précise : celle de la cannelle, qui a conduit les marchands indonésiens jusqu’en Afrique pour vendre des épices, dont la cannelle, une denrée très recherchée à l’époque. Elle était déjà très prisée dans les régions du bassin méditerranéen bien avant l’ère chrétienne.

Sur les murs du temple égyptien de Deir el-Bahari (Louksor), une peinture représente une expédition navale importante dont il est dit qu’elle aurait été ordonnée par la reine Hatshepsout, qui régna de 1503 à 1482 avant JC.

Autour de cette peinture des hiéroglyphes expliquent que ces navires transportaient diverses espèces de plantes et d’essences odorantes destinées au culte. Une de ces denrées est la cannelle. Riche en arôme, elle était une composante importante des cérémonies rituelles dans les royaumes d’Egypte.

Or, la cannelle poussait à l’origine en Asie centrale, dans l’est de l’Himalaya et dans le nord du Vietnam. Les Chinois méridionaux l’ont transplantée de ces régions dans leur propre pays et l’ont cultivée sous le nom de gui zhi.

Carte de la route de la cannelle.

De la Chine, le gui zhi s’est répandu dans tout l’archipel indonésien, trouvant là une terre d’accueil très fertile, en particulier dans les îles Moluques. De fait, le commerce international de la cannelle était alors un monopole tenu par les marchands indonésiens. La cannelle d’Indonésie était appréciée pour son excellente qualité et son prix très compétitif.

Les Indonésiens parcouraient donc à la voile de grandes distances, jusqu’à plus de 8 000 km, traversant l’océan Indien jusqu’à Madagascar et le nord-est de l’Afrique. De Madagascar, les produits étaient transportés à Rhapta, dans une région côtière qui prit par la suite le nom de Somalie. Au-delà, les marchands arabes les expédiaient vers le nord jusqu’à la mer Rouge.

Le détroit de Malacca

Pour la Chine, le détroit de Malacca a toujours représenté un intérêt stratégique majeur. À l’époque où le grand amiral chinois Zheng He mène la première de ses expéditions vers l’Inde, le Proche-Orient et l’Afrique de l’Est entre 1405 et 1433, un pirate chinois du nom de Chen Zuyi a pris le contrôle de Palembang. Zheng He défait la flotte de Chen et capture les survivants. Du coup, le détroit est redevenu une route maritime sûre.

Selon la tradition, un prince de Sriwijaya, Parameswara, se réfugie sur l’île de Temasek (l’actuelle Singapour) mais s’établit finalement sur la côte ouest de la péninsule malaise vers 1400 et fonde la ville de Malacca, qui deviendra le plus grand port d’Asie du Sud-est, à la fois successeur de Sriwijaya et précurseur de Singapour.

Suite au déclin de Sriwijaya, c’est le Royaume de Majapahit (1292-1527), fondé à la fin du XIIIe siècle sur l’île de Java, qui dominera la plus grande partie de l’Indonésie actuelle.

C’est l’époque où les marins arabes commencent à s’installer dans la région.

Le royaume de Majapahit noua des relations avec celui le Royaume de Champa (192-1145 ; 1147-1190 ; 1220-1832) (Sud Vietnam), du Cambodge, du Siam (la Thaïlande) et du Myanmar méridional.

Le royaume de Majapahit envoyait également des missions en Chine. Alors que ses dirigeants étendirent leur pouvoir sur d’autres îles et mirent à sac les royaumes voisins, il chercha avant tout à augmenter sa part et son contrôle sur le commerce des marchandises transitant par l’archipel.

L’île de Singapour et la partie la plus au sud de la péninsule malaise fut un carrefour clé de l’ancienne Route de la soie maritime. Des fouilles archéologiques entrepris dans l’estuaire du Kallang et le long du fleuve Singapour, ont permis de découvrir des milliers d’éclats de verre, des perles naturelles ou en or, des céramiques et des pièces de monnaie chinoises de la période des Song du nord (960-1127).

La montée de l’Empire mongol au milieu du XIIIe siècle va provoquer l’accroissement du commerce par la mer et contribuer à la vitalité de la Route de la soie maritime. Marco Polo, après un voyage terrestre qui dura 17 ans, vers la Chine reviendra par bateau. Après avoir été témoin d’un naufrage, il passa de la Chine à Sumatra en Indonésie avant de remettre pied à terre à Ormuz en Perse (Iran).

Sous les dynasties Yuan et Ming

Sous la dynastie des Song, on exporte, vers le Japon, une quantité importante d’articles de soie. Sous celle des Yuan (1271-1368), le gouvernement instaure le Shi Bo Si, bureau en charge des échanges commerciaux, dans de nombreux ports comme, notamment, Ningbo, Canton, Shanghai, Ganpu, Wenzhou et Hangzhou, permettant, ainsi, l’exportation des soieries vers le Japon.

Durant les dynasties des Tang, Song et Yuan, et au début de celle des Ming, on assiste, dans chaque port, à la création d’un département océanique de négoce pour gérer l’ensemble des échanges commerciales extérieures maritimes.

Le commerce avec les sud de l’Inde et du golfe Persique fleurit. Le commerce avec l’Afrique de l’Est se développe également en fonction de la mousson et apporte de l’ivoire, de l’or et des esclaves. En Inde, des guildes commencent à contrôler le commerce chinois sur la côte du Malabar et au Sri Lanka. Les relations commerciales se formalisent tout en restant soumises à une forte concurrence. Cochin et Kozhikode (Calicut), deux grandes villes de l’Etat indien du Kerala, rivalisent alors pour dominer ce commerce.

Les explorations maritimes de l’amiral Zheng He

Carte des expéditions maritimes de l’amiral Zheng He.

Les explorations maritimes chinoises connaitront leur apogée au début du XVe siècle sous la dynastie Ming (1368-1644) qui, pour diriger sept expéditions diplomatiques navales, choisira un eunuque musulman de la cour, l’amiral Zheng He.

Financées par l’Empereur Ming Yongle, ces missions pacifiques en Asie du Sud-est, en Afrique de l’Est, dans l’Océan indien, dans le golfe Persique et en Mer Rouge, viseront avant tout à démontrer le prestige et la grandeur de la Chine et de son Empereur. Il s’agit également de reconnaître une trentaine d’Etats et de nouer des relations politiques et commerciales avec eux.

En 1409, avant une des expéditions, l’amiral chinois Zheng He demanda à des artisans de fabriquer une stèle en pierre taillée à Nanjing, actuelle capitale de la province du Jiangsu (est de la Chine). La stèle voyagea avec la flottille et fut laissée au Sri Lanka comme cadeau à un temple bouddhiste local. Des prières aux divinités en trois langues -chinois, persan et tamoul- furent gravés sur la stèle. Elle fut retrouvé en 1911 dans la ville de Galle, dans le sud-ouest du Sri Lanka et une réplique se trouve aujourd’hui en Chine.

L’armada de Zheng était composée de vraquiers armés, le plus modeste étant plus grand que les caravelles de Christophe Colomb. Les plus vastes atteignaient une longueur de 100 et une largeur de 50 mètres. D’après les chroniques Ming de l’époque, une expédition pouvait comprendre 62 navires avec 500 personnes à bord chacun. Certains d’entre eux transportaient la cavalerie militaire et d’autres des réservoirs d’eau potable. La construction navale chinoise était en avance. La technique de cloisons hermétiques, imitant la structure interne du bambou, offrait une sécurité incomparable. Elle fut la norme pour la flotte chinoise avant d’être copiée par les Européens 250 ans plus tard. A cela s’ajoutait l’emploi de la boussole et celui de cartes célestes peintes sur soie.

La synergie qui a pu exister entre marins arabes, indiens et chinois, tous des hommes de mer qui fraternisent face à l’adversité de l’océan, a de quoi nous impressionner. Par exemple, certains historiens estiment qu’il n’est pas exclu que le nom « Sindbad le marin », qui apparaît dans la fable d’origine perse qui conte les aventures d’un marin du temps de la dynastie des Abbassides (VIIIe siècle) et fut intégrée dans les Contes des Mille et Une Nuits, dérive du mot Sanbao, le surnom honorifique donné par l’Empereur chinois à l’amiral Zheng He, signifiant littéralement « Les trois joyaux », c’est-à-dire les trois vertus capitales indissociables communes aux principales philosophies que sont l’Eveil (qui permet d’apprendre), l’Altruisme (qui permet la compréhension de l’autre) et l’Equité (qui invite à partager avec lui).

Statue de l’amiral Zheng Ho devant une mosquée construite en son honneur en Indonésie.

Aussi bien en Chine (à Hong-Kong, à Macao, à Fuzhou, à Tianjin et à Nanjing) qu’à Singapour, en Malaisie et en Indonésie, des musées maritimes mettent les expéditions de l’amiral Zheng en valeur.

Soulignons cependant qu’au moins douze autres amiraux ont effectué des expéditions similaires en Asie du Sud-est et dans l’océan Indien. En 1403, l’amiral Ma Pi a conduit une expédition jusqu’en Indonésie et en Inde. Wu Bin, Zhang Koqing et Hou Xian en ont fait d’autres. Après que la foudre avait provoqué un incendie de la Cité interdite, une dispute éclata entre la classe des eunuques, partisans des expéditions, et des mandarins lettrés, qui obtiendront l’arrêt d’expéditions jugées trop onéreuses. Le dernier voyage a eu lieu entre 1430 et 1433, c’est-à-dire 64 ans avant que l’explorateur portugais Vasco da Gama ne se rende sur les mêmes lieux en 1497.

Le Japon, de son coté, de façon similaire, a restreint ses contacts avec le monde extérieure lors de la période Tokugawa (1600-1868) bien que son commerce avec la Chine ne fut jamais suspendu. Ce n’est qu’après la restauration Meiji en 1868 qu’un Japon ouvert au monde a ré-émergé.

Dans un repli sur eux-mêmes, le commerce aussi bien la Chine que du Japon tomba aux mains de comptoirs maritimes comme Malacca en Malaisie ou Hi An au Vietnam, deux villes aujourd’hui reconnues par l’Unesco comme patrimoine de l’humanité. H ?i An était un port étape majeur sur la route maritime reliant l’Europe et le Japon en passant par l’Inde et la Chine. Dans les épaves de navires retrouvées à Hi An, les chercheurs ont retrouvé des céramiques qui attendaient leur départ pour le Sinaï en Egypte.

Histoire des ports chinois

Au fil des années, on assiste à une évolution en ce qui concerne les principaux ports de la Route maritime de la Soie. A partir des années 330, Canton et Hepu étaient les deux ports les plus importants.

Cependant, Quanzhou se substitue à Canton, de la fin de la dynastie des Song à celle des Yuan.

A cette époque, Quanzhou, dans la province du Fujian et Alexandrie en Egypte étaient considérés comme les plus vastes ports du monde. A cause de la politique de fermeture sur le monde extérieur imposée à partir de 1435 et de l’influence des guerres, Quanzhou a été, progressivement, remplacé par les ports de Yuegang, Zhangzhou et Fujian.

Dès le début du IVe siècle, Canton est un important port de la Route maritime de la Soie. Peu à peu, il devient le plus vaste mais, également, le port d’Orient le plus renommé à travers le monde sous les dynasties des Tang et des Song. Durant cette période, la route maritime reliant Canton au golfe persique en passant par la Mer de Chine méridionale et l’océan Indien est la plus longue du monde.

Bien que plus tard supplanté par Quanzhou sous la dynastie des Yuan, le port de Canton demeurera le second plus grand port commercial de Chine. Par comparaison avec les autres, on le considère comme étant un port durablement prospère au cours des 2000 ans d’histoire de la Route maritime de la Soie.

Le système tributaire de 1368

La dernière dynastie impériale chinoise, celle des Qing, a régné de 1644 à 1912. Depuis l’arrivée de la dynastie Ming, les échanges commerciaux maritimes avec la Chine s’organisaient de deux façons :

Né sous les Ming en 1368, et le « système tributaire » atteindra son apogée sous les Qing. Il prend alors la forme raffinée d’une hiérarchie inclusive mutuellement bénéfique. Les Etats qui y adhèrent faisaient preuve de respect et de reconnaissance en présentant régulièrement à l’Empereur un tribut composé de produits locaux et en exécutant certaines cérémonies rituelles, notamment le « kowtow » (trois génuflexions et neuf prosternations). Ils demandaient également l’investiture de leurs dirigeants par l’Empereur et adoptaient le calendrier chinois. Outre la Chine, on y retrouvait le Japon, la Corée, le Vietnam, la Thaïlande, l’Indonésie, les îles Ryükyü, le Laos, le Myanmar et la Malaisie.

Paradoxalement tout en occupant un statut culturel central, le système tributaire offrait à ses vassaux un statut d’entité souveraine et leur permettait d’exercer leur autorité sur une aire géographique donnée. L’Empereur gagnait leur soumission en se préoccupant vertueusement de leur bien-être et en promouvant une doctrine de non-intervention et de non-exploitation. En effet, d’après les historiens, en termes financiers, la Chine ne s’est jamais enrichie d’une façon directe avec le système tributaire. En général, tous les frais de voyage et de séjour des missions tributaires étaient couverts par le gouvernement chinois. En plus des coûts de fonctionnement du système, les cadeaux offerts par l’Empereur avaient en général beaucoup plus de valeur que les tributs qu’il recevait. Chaque mission tributaire avait en effet le droit d’être accompagnée par un grand nombre de commerçants et une fois le tribut présenté à l’Empereur, le commerce pouvait commencer.

Il est à noter que, lorsqu’un pays perdait son statut d’Etat tributaire suite à un désaccord, ce dernier essayait à tout prix et parfois de façon violente d’être à nouveau autorisé à payer le tribut.

Le système de Canton de 1757

Port de Canton en 1850 avec les missions commerciales américaines, françaises et britanniques.

Le deuxième système concernait les puissances étrangères, principalement européennes, désireuses de faire du commerce avec la Chine. Il passait par le port de Guangzhou (à l’époque appelé Canton), le seul port accessibles aux Occidentaux.

Ainsi, les marchands, notamment ceux de la Compagnie britanniques des Indes orientales, pouvaient accoster, non pas dans le port mais devant la côte de Canton, d’octobre à mars, lors de la saison commerciale. C’est à Macao, à l’époque une possession Portugaise, que les Chinois leur fournissait le cas échéant une permission à cet effet. Les représentants de l’Empereur autorisaient alors des marchands chinois (les hongs) de commercer avec des navires étrangers tout en les chargeant de collecter les droits de douane avant qu’ils ne repartent.

Cette façon de commercer s’est amplifiée à la fin du XVIIIe siècle, notamment avec la forte demande anglaise de thé. C’est d’ailleurs du thé chinois de Fujian que les « insurgés » américains ont jeté à la mer lors de la fameuse « Boston Tea Party » de décembre 1773, un des premiers événements contre l’Empire britannique qui déclenchera la Révolution américaine. Des produits en provenance de l’Inde, en particulier le coton et l’opium furent échangés par la Compagnie des Indes orientales contre du thé, de la porcelaine et de la soie.

Les droits de douane collectés par le système de Canton étaient une source majeure de revenus pour la dynastie des Qing bien qu’elle bannira l’achat d’opium en provenance de l’Inde. Cette restriction imposée par l’Empereur chinois en 1796 conduira au déclenchement des guerres de l’Opium, la première dès 1839. En même temps, des rebellions éclatèrent dans les années 1850-60 contre le règne affaibli des Qing, doublées de guerres supplémentaires contre des puissances européennes hostiles.

Sac du Palais d’été par les Britanniques et les Français en 1860.

En 1860, l’ancien Palais d’été (parc Yuanming), avec un ensemble de pavillons, de temples, de pagodes et de librairies, c’est-à-dire la résidence des empereurs de la dynastie Qing à 15 kilomètres au nord-ouest de la Cité interdite de Pékin, fut ravagée par les troupes britanniques et françaises lors de la Seconde guerre de l’opium. Cette agression reste dans l’histoire comme l’un des pires actes de vandalisme culturel du XIXe siècle. Le Palais fut mis à sac une deuxième fois en 1900 par une alliance de huit pays contre la Chine.

Aujourd’hui, on peut y admirer une statue de Victor Hugo et un texte qu’il avait écrit pour s’élever contre Napoléon III et les destructions de l’impérialisme français, pour rappeler que cela était non pas le fait d’une nation, mais celui d’un gouvernement.

A la fin de la première guerre mondiale, la Chine disposait de 48 ports ouverts où les étrangers pouvaient commercer en suivant leurs propres juridictions. Le XXe siècle fut une ère de révolutions et de changements sociaux. La fondation de la République populaire de Chine en 1949 engendra un repli sur soi.

Ce n’est qu’en 1978 que Deng Xiaoping annonça une politique d’ouverture sur le monde extérieur en vue de la modernisation du pays.

Initiative chinoise des Nouvelles Routes de la soie terrestres et maritimes.

Au XXIe siècle, grâce à l’Initiative une ceinture (économique) une route (maritime) lancée par le Président Xi Jingping, la Chine ré-émerge comme une grande puissance mondiale offrant des coopérations mutuellement bénéfiques au service d’un meilleur avenir partagé pour l’humanité.

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Raphaël 1520-2020 : ce que nous apprend « L’Ecole d’Athènes »

A l’occasion du cinq-centième anniversaire de la mort du peintre italien Raffaello Sanzio da Urbino (1483-1520), plusieurs expositions mettent à l’honneur cet artiste, notamment à Rome, Milan, Urbino, Belgrade, Washington, Pasadena, Londres, ou encore à Chantilly en France. Mais que sait-on réellement de l’intention et du sens de son œuvre ?

Introduction

Raphaël : tête d’un jeune garçon.

Il est incontestable que, dans la conscience collective occidentale, Raphaël, aux côtés de Michel-Ange et Léonard de Vinci, s’érige comme un des artistes les plus géniaux incarnant sans doute le mieux la « Renaissance italienne ».

Bien que mort à l’âge de 37 ans, Raphaël a pu dévoiler au monde son immense talent, en particulier en réalisant, entre 1509 et 1511, plusieurs fresques monumentales au Vatican, la plus célèbre d’entre elles, longue de 7,7 mètres et haute de 5 mètres, est connue sous le nom de L’Ecole d’Athènes.

Le spectateur se trouve à l’intérieur d’un édifice réunissant la pensée de l’humanité toute entière : unis dans un espace hors du temps, une cinquantaine de philosophes, de mathématiciens et d’astronomes de tous les âges s’y rencontrent pour échanger sur leur vision de l’homme et de la nature.

L’image puissante que dégage cette fresque incarne tellement « l’idéal » d’une République démocratique, qu’en France, lors de la révolution de février 1848, le tableau représentant Louis Philippe – suspendu derrière le Président de l’Assemblée nationale – fut décroché et remplacé par une copie de la fresque de Raphaël, sous la forme d’une tapisserie de la Manufacture des Gobelins, réalisée entre 1683 et 1688 à la demande de Jean-Baptiste Colbert, fondateur de notre propre Académie des Sciences.

Ensuite, en France, est apparue l’idée que Raphaël, « le Prince des peintres », incarne « l’artiste ultime ». Bien mieux que Rubens ou le Titien, Raphaël aurait su réaliser la subtile « synthèse » entre « la grâce divine » d’un Léonard de Vinci et la « puissance sourde » d’un Michel-Ange. Qui dit mieux ? Une observation vraie tant qu’on se penche uniquement sur la pureté des « formes » et donc du « style ». Adoré ou détesté, Raphaël fut érigé en modèle à imiter par tout jeune talent fréquentant nos Académies des Beaux-Arts.

Tout ceci a contribué au fait que depuis cinq siècles, artistes, historiens et connaisseurs n’ont cessé de commenter et souvent s’affronter, non pas sur l’intention ou le sens des œuvres de l’artiste, mais sur son style ! A la manière de certains de nos contemporains qui adorent Star Wars sans prêter attention à l’idéologie que, sournoisement, cette série véhicule…

Pour ces historiens-là, « l’iconographie », cette branche de l’histoire de l’art qui s’intéresse aux sujets représentés, aux interprétations possibles des compositions à partir de détails particuliers, n’était vraiment utile que pour apprécier la peinture « plus primitive », c’est-à-dire celle des « Écoles du Nord »…

On sait bien, surtout en France, qu’une fois que la « forme » prend l’apparence de la perfection, peu importe le contenu ! Tel ou tel écrivain raconte des horreurs abjectes, mais « c’est tellement bien écrit ! »

La bonne nouvelle, c’est que depuis une vingtaine d’années, une poignée d’historiens et surtout d’historiennes d’art de premier plan, ont entrepris et publié de nouvelles recherches.

Je pense en particulier à Marcia Hall (Temple University), Ingrid D. Rowland (Université de Chicago), le révérend Timothy Verdon (Florence et Stanford), l’historien jésuite John William O’Malley et surtout à Christiane L. Joost-Gaugier. Son livre Raphael’s Stanza della Signatura, Meaning and Invention (Cambridge University Press, 2002), que j’ai pu lire grâce au confinement, m’a permis d’ajuster certaines pistes et intuitions que j’avais résumées en 2000 dans une note, avouons-le, assez brouillonne.

Si mon travail se résumait à tenter de donner un peu de cohérence à ce qui se trouve dans le domaine public, par un travail d’archives assidu au Vatican et ailleurs, ces historiennes, pour qui ni le latin ni le grec n’ont de secrets, ont largement contribué à éclaircir le contexte politique, philosophique, culturel et religieux ayant concouru à la genèse de cette œuvre.

Enrichi par ces lectures j’ai tenté ici, de façon méthodique, de « rendre lisible », ce qui est considéré, avec raison, comme l’œuvre majeure de Raphaël, L’Ecole d’Athènes.

Au lieu de commenter d’emblée les figures, j’ai choisi d’abord de brosser quelques arrières-plans servant d’autant de « clés » pour pénétrer cette œuvre. Car, pour déceler les intentions et les sentiments du peintre, il est indispensable de pénétrer l’esprit de l’époque qui a engendré celui de l’artiste : enjeux politiques et économiques, héritage culturel de Rome et de l’Église, gros plan sur le pape qui a commandité l’œuvre, convictions philosophiques des conseillers ayant dictés la thématique de l’œuvre, etc.

Toutefois, si tout ceci vous semble trop fastidieux, ou si vous mourez d’impatience de simplement vous familiariser avec l’œuvre, rien ne vous empêche de faire quelques aller-retours entre le décryptage des fresques en fin d’article et la contextualisation qui les précède.

Faire le ménage dans nos têtes

Vue générale de deux des quatre fresques de Raphaël décorant la Chambre de la signature.

Pour voir le monde tel qu’il est, essuyons nos lunettes et cessons de regarder la teinte de nos verres. Car comme souvent, ce qui « empêche » le spectateur de pénétrer une œuvre, d’en voir l’intention et le sens, ce n’est pas ce que voient ses yeux en tant que tel, mais les idées préconçues qu’il a. Apprendre à voir commence généralement par bousculer quelques-unes de nos idées préconçues.

1. Ce n’est pas un tableau ! Depuis le XVIe siècle, nous Européens, raisonnons en termes de « tableau de chevalet ». L’artiste peint sur un support, un panneau en bois ou une toile, que le commanditaire accroche ensuite au mur. Or, L’Ecole d’Athènes, en tant que telle, n’est pas « un tableau » de ce type, mais simplement, au sens strict, un « détail » de ce qu’on appellerait aujourd’hui, « une installation ». Je m’explique. Ce qui constitue l’œuvre ici, c’est l’ensemble des fresques et décorations couvrant aussi bien le plafond, le sol que les quatre parois de la pièce ! On va vous les expliquer. Le spectateur se trouve, en quelque sorte, à l’intérieur d’un cube que l’artiste a cherché à faire apparaître comme une sphère. De sorte que vouloir « expliquer » le sens de L’Ecole d’Athènes, de façon isolée du reste et sans démontrer les liens thématiques et symboliques qui relient ce « détail » à l’iconographie des autres parois, n’est pas seulement un exercice futile mais relève de l’incompétence.

2. Erreur de titre ! Ni lors de sa commande, ni lors de sa réalisation, la fresque n’a porté le nom Ecole d’Athènes. Son nom n’apparaît qu’ultérieurement. Tout indique que l’ensemble de la pièce devait exprimer une harmonie divine réunissant La Philosophie (L’Ecole d’Athènes), La Théologie (en face), La Poésie (à droite) et La Justice (à gauche). On y reviendra.

3. La thématique n’est pas le choix de l’artiste ! La seule personne ayant rencontré de son vivant aussi bien Raphaël que le pape Jules II, a été le médecin Paolo Giovio (1483-1552) qui arrive à Rome en 1512, un an avant la mort de Jules II. D’après Giovio, c’est le pontife en personne qui, dès 1506, c’est-à-dire deux ans avant l’arrivée de Raphaël, conçoit le contenu de la « Chambre de la signature ». C’est logique puisqu’il s’agissait de l’endroit où il installait sa bibliothèque personnelle, une collection de quelque 270 livres, disposés sur des étagères en bas des fresques et classés selon les thèmes de chaque décoration murale (Philosophie, Théologie, Poésie et Justice). Cependant, vue la complexité de la thématique, et vue la faible culture littéraire de Jules II, les historiens s’accordent à attribuer la paternité intellectuelle des fresques aux conseillers du pape et surtout à celui qui aurait été en mesure d’en faire la synthèse, son libraire-en-chef, Thomaso Inghirami (1470-1516).

Une thématique et un programme que Raphaël, qui semble avoir constamment modifié ses dessins préparatoires en fonction des retours et commentaires qu’il recueillait de la part des commanditaires, a su traduire en images, avec l’énorme talent qui était le sien. En clair, si vous aimez les images, félicitez Raphaël ; si le contenu vous déplaît, adressez-vous au « patron ».

Raphaël et Il Sodoma se présentent (à la droite de l’oeuvre) comme co-signataires de l’Ecole d’Athènes.

4. Peint à plusieurs ? Reste à éclaircir le fait que, à en croire les comptes du Vatican, la décoration entière de la pièce a été confiée, au milieu de l’année 1508, au fresquiste talentueux Giovanni Antonio Bazzi (1477-1549), de six ans plus âgé que Raphaël, connu sous le surnom Il Sodoma. C’est lui qui apparaît comme l’unique personne ayant perçu quelques sommes à ce sujet. Raphaël ne figure, en ces comptes, qu’à dater de 1513…

Or, comme en témoigne le cycle des fresques sur la vie de saint Benoît à l’abbaye territoriale Santa-Maria de Monte Oliveto Maggiore, Sodoma, avait également un talent considérable, et surtout une facilité d’exécution incomparable. S’il n’a jamais été mis à l’honneur, son style se confond tellement avec celui de Raphaël qu’on s’y méprendrait. Portrait de Pietro Aretino (Pierre l’Arétin), par le peintre vénitien le Titien.

Précisons également que Sodoma, venu à Rome à la demande du banquier du pape Agostino Chigi (1466-1520), fut sollicité en 1508 pour décorer sa villa, ce qui aurait laissé le champ libre à Raphaël au Vatican avant de le rejoindre sur le même chantier.

Portrait de Pietro Aretino (Pierre l’Arétin), par le peintre vénitien le Titien.

Selon l’historien Bernard Levergeois, le sulfureux Pietro Aretino, dit l’Arétin (1495-1556), pamphlétaire pornographique, avant de devenir le protégé et « l’agent culturel » du banquier Chigi à Rome, a passé de longues années à Pérouse.

Il s’intéresse à l’écurie du Pérugin, le maître de Raphaël, et y « fréquente les peintres les plus prestigieux de l’heure : Raphaël, Sebastiano del Piombo, Jules Romain, Giovanni da Udine, Giovan Francesco Penni et Sodoma, tous s’attelant à tour de rôle à la décoration de la magnifique villa (la Farnesine) que Chigi fait édifier aux portes de Rome (…). Certains d’entre eux travaillent également à celle de la non moins fameuse villa Madame (pour Jules II), projet grandiose qui ne sera jamais achevé ».

Pierre l’Arétin dans la fresque de Michel-Ange à la Chapelle Sixtine.

Comme on le voit dans le portrait peint par le Titien, l’Arétin, surnommé « le fléau des Princes », est un homme puissant, possessif et tyrannique. Maître-chanteur, pansexuel flamboyant et bien renseigné sur ce qui se passait dans les alcôves des élites, il s’érige, comme le patron du FBI Edgar Hoover à l’époque de Kennedy, tel un pouvoir au-dessus du pouvoir. Les historiens rapportent qu’aussi bien Raphaël que Michel-Ange, avant de montrer au public leurs œuvres, se pensaient contraints de solliciter l’avis de l’Arétin.

Et dans la chapelle Sixtine, Michel-Ange représente, sous les traits de l’Arétin, saint Bartolomé. L’artiste a dû estimer que l’attribut traditionnel du martyr écorché vif convenait à merveille à celui qui le rudoyait : il porte la dépouille de sa propre peau et tient en main le grand couteau qui servit à ce supplice…

Il n’est donc pas interdit de penser que ce soit l’Arétin, le favori du banquier du Pape, plutôt que le Bramante, comme c’est communément accepté, qui a pu jouer le rôle d’intermédiaire pour faire venir, aussi bien Sodoma que Raphaël à Rome en vu d’y faire renaître la gloire de son patron et de l’oligarchie tenant en grippe la Ville éternelle.

A ma connaissance, Raphaël, ni dans ses propres lettres, ni dans les propos rapportés par son entourage, n’aurait commenté la thématique et l’intention de son œuvre. Étrange modestie. Se considérait-il comme un simple « peintre décorateur » ?

Enfin, si la participation de Sodoma à la réalisation de l’Ecole d’Athènes reste à éclaircir, son portrait y figure bien. Il se trouve au premier plan à l’extrême droite, devant un Raphaël un peu triste (tout deux du côté des aristotéliciens). Une double signature ?

Peut-on alors continuer de parler des fresques « de Raphaël » ? Ne s’agit-il pas plutôt des fresques de Jules II-Inghirami-Sodoma-Raphaël ?

Un commanditaire hors du commun,
« le pape guerrier » Jules II

Médaille avec l’effigie de Jules II le « ligurien » (génois). Au verso, le projet de reconstruction de la Basilique Saint-Pierre à Rome.

Avant de parler de ces fameux « impresarios de la Renaissance » et comprendre leurs motivations, il est nécessaire de s’arrêter un moment sur le personnage de Giuliano della Rovere (1443-1513). Il sera nommé évêque de Carpentras par le pape Sixte IV, son oncle. Il fut aussi successivement archevêque d’Avignon et cardinal-évêque d’Ostie.

Ce n’est que le 31 octobre 1503 que 37 des 38 cardinaux composant le Sacré Collège, le portent à la tête de l’Église occidentale, sous le nom de Jules II, jusqu’à sa mort en 1513. Giuliano attendait ce moment depuis 20 ans.

En effet, en 1492, son ennemi personnel, l’espagnol Rodrigo de Borgia (1431-1503), réussit à se faire élire sous le nom d’Alexandre VI. Fidèle à la corruption légendaire de la dynastie des Borgia, il sera l’un des papes les plus corrompus de l’histoire de l’Église.

Jaloux et fâché de son échec, Giuliano accuse alors le nouveau pape d’avoir acheté un certain nombre de voix. Craignant pour sa vie, il part en France à la cour de Charles VIII qu’il convainc de mener une campagne militaire en Italie, afin de déposer Alexandre VI et de récupérer le Royaume de Naples… Accompagnant le jeune roi dans son expédition italienne, il entre dans Rome avec lui fin 1494 et se prépare à lancer un concile pour enquêter sur les agissements du pape. Mais Alexandre VI parvient à circonvenir les machinations de son ennemi et préserve son pontificat jusqu’à sa mort en 1503.

Médaille à l’effigie du pape Alexandre VI Borgia.

Dès son avènement, Giuliano della Rovere confesse avoir choisi son nom de pape, Jules II, non pas en fonction du pape Jules I, mais en référence au dictateur sanguinaire romain Jules César. Il affirme d’emblée sa ferme volonté de restaurer la puissance politique des papes en Italie. Pour lui, Rome doit redevenir la capitale d’un Empire bien plus vaste que l’Empire romain de jadis.

Lorsque Jules II prend ses fonctions, la décadence et la corruption ont conduit l’Église au bord du gouffre. Les territoires qui deviendront ultérieurement l’Italie, ne sont qu’un vaste champ de bataille où condottieri italiens, rois français, empereurs allemands et nobles espagnols viennent guerroyer. La ville antique de Rome n’est plus qu’un vaste amas de ruines systématiquement pillé par des entrepreneurs rapaces au service des princes, des évêques et des papes cherchant chacun à s’accaparer la moindre colonne ou architrave susceptible de venir orner leur palais ou église. Sur les 50000 habitants qu’accueille la ville, on compte 10000 prostituées et courtisanes…

De toute évidence, Jules II, est le pape choisi par l’oligarchie pour remettre un minimum d’ordre dans la maison. Car, particulièrement dès 1492, l’extension du catholicisme dans le Nouveau Monde puis en Orient, nécessite une « renaissance », non pas de « l’humanisme chrétien », comme lors de la Renaissance du début du XVe siècle, mais de l’autorité de l’Église.

Pour nous aujourd’hui, le mot « Renaissance » évoque l’apogée de la culture italienne. Cependant, pour les puissants de l’époque de Raphaël, il s’agissait, en s’appuyant sur l’étude assidue des textes grecs et latins, de ressusciter la splendeur de l’Antiquité gréco-romaine, incarnée par la gloire de la « République » romaine, idéalisée comme ayant été un grand Etat bien administré, grâce à des lois efficaces, des fonctionnaires capables et une grande culture.

Et c’est bien à cette renaissance de l’autorité romaine que Jules II va se consacrer. En premier lieu par le glaive. En moins de trois ans (1503-1506), César Borgia est réduit à l’impuissance. Il est le fils illégitime du pape Alexandre VI qui, à la tête d’une armée de mercenaires, guerroyait dans le pays et terrorisait les Etats pontificaux,

En 1506, Jules II, vite surnommé « le pape guerrier » à la tête de ses troupes, reprend Pérouse et Bologne. Comme le lui reproche alors l’humaniste Erasme de Rotterdam (1467-1537), présent en Italie et témoin oculaire du pillage de Bologne par les troupes pontificales, Jules II préfère de loin le casque à la tiare. Interrogé par Michel-Ange en charge de l’immortaliser avec une statue en bronze, pour savoir s’il ne désirait pas être représenté un livre à la main pour souligner son haut degré de culture, Jules II répond :

Pourquoi un livre ? Représentez-moi plutôt une épée en main.

Originaire de la région de Gênes (la Ligurie), Jules II entreprend alors de chasser de la Romagne qu’ils occupaient, les Vénitiens qu’il abhorre. « Je réduirai votre Venise à l’état de hameau de pêcheurs dont elle est sortie, » avait dit un jour le pape ligurien à l’ambassadeur Pisani, à quoi le fier patricien n’a pas manqué de répliquer :

Et nous, Saint-Père, nous ferons de vous un petit curé de village,
si vous n’êtes pas raisonnable… 

Ce langage donne la mesure de l’aigreur à laquelle on était arrivé de part et d’autre. Dans la bulle d’excommunication lancée peu après (27 avril 1509) contre les Vénitiens, ceux-ci étaient accusés « d’unir l’habitude du loup à la férocité du lion, et d’écorcher la peau en arrachant les poils… »

La Ligue de Cambrai

Contre les pratiques rapaces de Venise, le 10 décembre 1508 à Cambrai, Jules II se rallie officiellement à la « Ligue de Cambrai », un ensemble de puissances (dont le roi Louis XII, la régente des Pays-Bas Marguerite d’Autriche, le roi Ferdinand II d’Aragon et l’empereur Maximilien Ier).

Pour Jules II, le bonheur est total car Louis XII vient en personne expulser les Vénitiens des États de l’Église. Mieux encore, le 14 mai 1509, après à sa défaite contre la Ligue de Cambrai lors de la bataille d’Agnadel, la République de Venise agonise et se retrouve à la merci d’une invasion. Jules II, craignant alors que les Français n’établissent durablement leur influence sur le pays, opère un revirement spectaculaire. Il organise, du jour au lendemain, la survie de Venise !

Son trésorier général, le banquier siennois Agostino Chigi (milliardaire siennois proche des Borgia auxquels il avait prêté des sommes colossales et futur mécène de Raphaël), en fixe les conditions : pour se payer les mercenaires suisses capables de repousser les agresseurs, Chigi concède aux Vénitiens un prêt conséquent.

En échange, la Sérénissime accepte de renoncer à son monopole sur le commerce de l’alun qu’elle importe de Constantinople. Or, à l’époque, l’alun, un minerai irremplaçable permettant de fixer les teintures des étoffes, représente un véritable enjeu « stratégique ».

L’arrêt des importations d’alun par Venise, obligera l’ensemble du monde méditerranéen, du jour au lendemain, à se fournir non plus auprès de Venise, mais auprès du… Vatican, c’est-à-dire auprès de… Chigi, en charge pour la papauté de l’exploitation de « l’alun de Rome » situé dans les mines des monts de la Tolfa, au nord-ouest de Rome en plein cœur des Etats pontificaux. Consciente qu’il en va de sa survie, et faute d’alternative, Venise accepte.

Dans sa biographie sur Jules II, Ivan Cloulas précise :

Au-dessus de tous se détache Agostino Chigi, le banquier siennois, fermier des mines pontificales d’alun de la Tolfa depuis le règne d’Alexandre VI. La faveur dont jouit ce personnage auprès de Jules II a de quoi étonner, s’agissant d’un banquier qui a longtemps servi César Borgia. Le pontife a suivant la tradition, conféré lors de son avènement la charge de ‘dépositaire’ à l’un de ses compatriotes génois, Paolo Sauli, chargé d’effectuer toutes les transactions financières du Saint-Siège en liaison avec le cardinal camerlingue Raffaelo Sansoni-Riario. Mais Chigi ne subit pas de disgrâce, car il a avancé à Julien della Rovere des sommes considérables pour acheter des électeurs [des cardinaux membres du Sacré Collège], et il a fait fructifier à merveille l’exploitation et l’exportation de l’alun extrait des mines pontificales. L’expérience et la valeur du siennois en font un partenaire des différents banquiers de la papauté, notamment les Sauli et les Fugger, qui gagnent de nouvelles richesses au fur et à mesure que se développe en Allemagne le fructueux commerce des indulgences.

Ainsi, allié à Venise, Jules II, dans ce qui apparaît aux yeux des naïfs comme un « retournement d’alliance » spectaculaire, met sur pied la « Sainte Ligue » pour « expulser d’Italie les Barbares » (Fuori i Barbari !). Une ligue dans laquelle il fit entrer les Suisses, Venise, les rois Ferdinand d’Aragon et Henri VIII d’Angleterre, et enfin, l’empereur Maximilien. Cette ligue chassera alors les Français hors d’Italie ; Jules II ironisant :

Si Venise n’avait pas existé, il aurait fallu l’inventer.

En riposte, Louis XII, le Roi de France, tentera de transposer la lutte dans le domaine spirituel. Ainsi, un concile national, réuni à Orléans en 1510, déclare la France soustraite à l’obédience de Jules II. Un second concile fut réuni en Italie même, à Pise, puis à Milan (1512) essayant de destituer le pape. Jules II opposa au Roi de France le Ve concile œcuménique du Latran (1512) où il accueillera chaleureusement ceux qui abandonnaient celui de Milan…

Empires maritimes

Jules II s’acharnera à rétablir son autorité autant sur la terre ferme que sur les océans. Un peu comme dans la Grèce antique, l’Italie a connu un phénomène assez particulier, celui de l’émergence de « Républiques maritimes ». Si la « République de Venise » est célébrissime, on connaît moins les Républiques maritimes de Pise, de Raguse (Dubrovnik sur la côte dalmate), d’Amalfi (près de Naples) et de Gênes.

A chaque fois, opérant à partir d’un port, une oligarchie locale va se construire un empire maritime et surtout empoisonner ses concurrents. Or, l’activité maritime, par sa nature propre, implique une prise de risque s’inscrivant dans la durée. D’où la nécessité d’une finance habile, robuste et prévoyante, offrant des assurances et des options d’achats sur les biens et les profits futurs. Ce n’est donc pas un hasard si la plupart des empires financiers se développeront en symbiose avec des Empires maritimes, notamment, hollandais et britanniques et avec les Compagnies des Indes occidentales et orientales.

A la fin du XVe siècle, c’est essentiellement Gênes et Venise qui s’affrontent pour le contrôle des mers. D’un côté, Venise, historiquement la tête de pont de l’Empire byzantin et sa capitale Constantinople (Istanbul), qui est de loin la plus grande ville du monde méditerranéen en 1500 avec 200 000 habitants. Depuis son apogée au XIIIe siècle, la Sérénissime défend bec et ongles son statut d’intermédiaire incontournable sur la Route de la soie en Occident. De l’autre, Gênes, qui, après s’être implantée au Levant grâce aux croisades, en prenant le contrôle du Portugal, financera toutes les expéditions coloniales portugaises en Afrique de l’Ouest d’où elle ramènera or et esclaves.

Deux exploits maritimes viendront exacerber un peu plus cette rivalité :

  1. 1488. Bien que les travaux du savant persan Al Biruni (XIe siècle) et de vieilles cartes, dont celle de Fra Mauro, permettaient d’entrevoir le contournement du continent africain par l’océan Atlantique pour rejoindre les Indes, ce n’est qu’en 1488 que des marins portugais passent le cap de Bonne Espérance. Ainsi, Gênes, sans le moindre intermédiaire, peut directement charger ses navires en Asie et ramener ses marchandises en Europe ;
  2. 1492. Cherchant elle aussi à ouvrir une route commerciale directe vers l’Asie sans devoir traiter avec les Vénitiens ou les Portugais (génois), l’Espagne enverra en 1492 le navigateur génois Christophe Colomb en partant vers l’Ouest. Plus qu’une nouvelle route vers l’Asie, Colomb découvre un nouveau continent qui sera objet de convoitises.
Ligne de partage du monde entre Espagnols (Venise) et Portugais (Gênes), fixée par le traité de Tordesillas de 1494.

Deux ans plus tard, le 7 juin 1494, Portugais et Espagnols signeront le traité de Tordesillas pour se partager à deux, rien que ça, le monde. En gros, tout le Nouveau Monde pour l’Espagne, tout l’ancien (des Açores jusqu’à Macao) pour le Portugal. Pour délimiter leurs empires, ils fixent une ligne imaginaire, que le pape Alexandre VI Borgia fixe dès 1493 à 100 lieues à l’Ouest des Açores et des îles du Cap Vert.

Ensuite, la ligne fut reportée, à la demande des Portugais, à 370 lieues. Toute terre découverte à l’Est de cette ligne devait appartenir au Portugal ; à l’Ouest, à l’Espagne. Au même moment, toute autre puissance maritime occidentale se voit refuser l’accès au nouveau continent. Or, en 1500, horreur pour les Espagnols, c’est un Portugais qui découvre le Brésil. Et étant donné sa position géographique, à l’ouest de la fameuse ligne, ce pays tombe sous la coupe de l’Empire portugais !

Jules II, un enfant de la Ligurie (région de Gênes, donc liée au Portugal) et vomissant Alexandre VI Borgia (espagnol), en 1506, se fait un grand plaisir en confirmant, par la bulle Inter Cætera, le traité de Tordesillas de 1494 permettant de fixer les diocèses du Nouveau Monde, évidemment à l’avantage des portugais et donc au sien.

L’arme suprême, la culture

Sur le plan « spirituel » et « culturel », si Jules II passait la plus grande partie de son temps à guerroyer, la postérité retient essentiellement l’image « d’un des grands papes de la Renaissance » car grand protecteur et mécène des arts.

En effet, pour rétablir le prestige (le mot français pour soft power) et donc l’autorité de Rome et son Empire, la culture est une arme aussi redoutable que le glaive. Pour commencer, Jules II ouvre de nouvelles artères à Rome, dont la via Giulia. Il place dans la cour du Belvédère les antiques qu’il a acquis, en particulier, « l’Apollon du Belvédère » et le « Laocoon », fraîchement découvert en 1506 dans les ruines du Palais impérial de Néron. Jules II et son tombeau

Jules II et son tombeau.

La même année, c’est-à-dire six ans avant la fin des opérations militaires, Jules II lance également d’énormes chantiers dont certains ne seront réalisés que partiellement ou entièrement après sa mort :

  1. La reconstruction de la basilique Saint-Pierre, tâche confiée à l’architecte et peintre Donato Bramante (1444-1514) ;
  2. Le tombeau de Jules II, que le sculpteur Michel-Ange est chargé de réaliser dans l’abside de la nouvelle basilique et dont sa fameuse statue de Moïse, une des 48 statues et bas-reliefs en bronze prévus à l’origine, aurait dû faire partie ;
  3. La décoration de la voûte de la Chapelle Sixtine construite par le Pape Sixte IV l’oncle de Jules II, sera également confiée à Michel-Ange. Jules II se laisse entraîner par la fougue créatrice du sculpteur. Ils échafaudent ensemble des projets toujours plus grandioses pour la décoration de la Chapelle. L’artiste donnera libre cours à son imagination, dans un genre artistique différent qui plaira peu au pape. Jusqu’au 31 octobre 1512, Michel-Ange peindra plus de 300 personnages sur la voûte ;
  4. Les fresques ornant la bibliothèque personnelle du pape dont sera chargé le peintre Raphaël, appelé à Rome en 1508, probablement à la suggestion de Chigi, l’Arétin ou Bramante. La Stanza était l’endroit, où le pape signait ses brèves et ses bulles. Cette salle devint ensuite la bibliothèque privée du souverain pontife Jules II puis la salle du Tribunal des Signatures Apostoliques de Grâce et de Justice et plus tard, celle de l’instance suprême d’appel et de cassation. Avant l’arrivée de Jules II, cette salle et « la chambre d’Héliodore », étaient couvertes de fresques de Piero della Francesca, protégé par Nicolas de Cues, immortalisant le grand concile œcuménique de Florence (1438). Des décorations de Lucas Signorelli et du Sodoma y furent ajoutées ultérieurement. Suite à son élection, Jules II, soucieux de marquer sa présence dans l’histoire, et de rétablir l’autorité de l’oligarchie et de l’Eglise, fera recouvrir les fresques du concile de Florence par de nouvelles. Convaincu par ses conseillers, le pape consent à confier la direction du chantier à Raphaël. Officiellement, on dit que ce dernier aurait épargné quelques fresques du plafond, notamment celles exécutées par Sodoma, pour ne pas se le mettre entièrement à dos. Mais, comme nous l’avons dit, le contenu, la thématique très élaborée et une partie de l’iconographie des fresques furent arrêtés dès 1506 avant même l’arrivée de Raphaël en 1508 ;
  5. Moderniser la ville de Rome. Jules II, sans doute conseillé par l’architecte Bramante, transforme singulièrement la voirie de Rome. Afin que toutes les voies convergent vers la basilique Saint-Pierre, il ordonna de percer la Via Giulia sur la rive gauche et de transformer en une véritable rue la Lungara, les chemins qui serpentaient le long du fleuve sur la rive droite. Sa mort interrompt les grands travaux qu’il envisage, notamment la construction d’une avenue monumentale conduisant à Saint-Pierre et celle d’un nouveau pont pour décongestionner celui de Saint-Ange dont il a d’ailleurs facilité l’accès en élargissant la rue y conduisant. L’ampleur des travaux entrepris pose le problème des matériaux ; bien qu’il fût, en principe, interdit de s’en prendre aux monuments antiques, la réalité fut toute autre. Ruinante, devint le surnom de Bramante.
Dessin de la porte d’entrée du Vatican, vers 1530.

Grands chantiers, mécénat et dépenses militaires assèchent les revenus du Saint Siège. Pour y remédier, Jules II multiplie les ventes de bénéfices ecclésiastiques, de dispenses et d’indulgences.

Au XIIe siècle, par des décrets pontificaux, l’Église catholique romaine fixait les règles du commerce des « indulgences » (du latin indulgere, accorder). Ils encadraient ainsi la rémission totale ou partielle devant Dieu d’un péché, notamment en promettant une réduction du temps de passage au purgatoire aux généreux fidèles après leur mort. Au cours du temps, cette pratique, exploitant essentiellement une forme de superstition religieuse, s’est transformée en un commerce si lucratif que l’Église ne pouvait plus s’en passer.

Dans le nord de l’Europe, notamment en Allemagne, les banquiers Fugger d’Augsbourg participaient à l’organisation de ce commerce. Cette pratique fut vivement dénoncée et combattue par les humanistes, notamment par Erasme, avant que Luther n’en fasse une pièce essentielle des fameuses 95 thèses qu’il placarda, en 1517, sur les portes de l’église de Wittenberg.

Dans son ouvrage Erasme et l’Italie, Augustin Renaudet écrit qu’Erasme, après avoir rencontré les plus hautes instances du Vatican, ne fut pas dupe :

Il ne tarda guère à comprendre qu’en dehors du Saint-Siège, des services de la Curie et de la Chancellerie, en dehors des cardinaux, des innombrables prélats en mission et en charge, en dehors d’une foule bigarrée de fonctionnaires et de scribes, qui peuplaient les bureaux administratifs ou financiers et les tribunaux, il n’y avait rien à Rome. Dans toutes les villes qu’il avait connues, à Bruxelles, à Paris, à Londres, à Milan, à Florence, et récemment à Venise, une économie active, alimentée par l’industrie, le commerce, la finance, soutenait une forte bourgeoisie urbaine, ou comme à Venise, une aristocratie d’armateurs. A Rome, toute l’économie, tout le commerce, toute la finance, étaient aux mains d’étrangers : marchands florentins ou génois, banquiers florentins ou génois. Ces étrangers tenaient dans leur dépendance un peuple de petits marchands, de petits artisans qui vendaient dans l’arrière-boutique, de changeurs et de trafiquants juifs. Très peu d’industrie, la population romaine vivait au service de la Curie, des prélats, des couvents. Erasme s’émerveillait de l’orgueil avec lequel les descendants du peuple-roi prétendaient en maintenir l’antique majesté. Le mot du peuple romain n’était plus qu’un vain mot ; Erasme devait un jour écrire que, dans le monde moderne, un citoyen romain comptait moins qu’un bourgeois de Bâle.

Constat partagé par André Chastel et Robert Klein qui notent, dans L’Humanisme, l’Europe de la Renaissance :

Une autre tendance, favorable à César et à Auguste, s’était fait jour : Rome redevenant de plus en plus la capitale ‘impériale’ de tous les puissants lui empruntent ou cherchent à lui emprunter un style. Ce nouveau style associe d’ailleurs de plus en plus arma et litterae, le glaive et le livre (…) Riche ou pauvre, tout souverain de la Renaissance occupera les artistes et les lettrés dans la mesure où il a besoin de prestige : les plus grands mécènes de la Renaissance furent les ambitieux et les guerriers, Maximilien, Jules II, Henry VIII, François Ier, Charles Quint.

Les « impresarios » de Raphaël

Si, du point de vue contemporain, cela nous paraît assez impensable qu’un artiste se fasse « dicter » la thématique de son œuvre, ce ne fut pas le cas au moment de la Renaissance et encore moins au Moyen Âge. Par exemple, bien qu’il fût un diplomate de haut vol du duc de Bourgogne Philippe Le Bon, le peintre flamand Jan Van Eyck, un des premiers peintres à signer de son nom ses œuvres, se faisait conseiller en matière de théologie par le confesseur du duc, le très érudit Denis le Chartreux, ami proche du cardinal Nicolas de Cues. Et personne n’osera dire que Van Eyck « n’a pas peint » son chef d’œuvre L’Agneau mystique.

La position de Raphaël était plus délicate. A son époque, les peintres avaient encore le statut d’artisan. Y compris Léonard de Vinci, dont on connaît l’intelligence supérieure, et qui se déclarait « homme sans lettres », c’est-à-dire ne sachant lire ni le latin ni le grec. Raphaël savait lire et écrire l’italien, mais était dans la même situation. Et lorsque, vers la fin de sa courte vie, on le sollicite pour s’occuper d’architecture (la basilique Saint-Pierre) et d’urbanisme (les antiquités romaines), il demande à un de ses amis de lui traduire en italien les Dix livres de l’architecte romain Vitruve. Or, tout visiteur des « Chambres de la signature » est immédiatement frappé par la grande harmonie unissant plusieurs dizaines de philosophes, de légistes, de poètes et de théologiens dont l’existence était quasiment inconnue de Raphaël avant son arrivée à Rome en 1508.

Dans Le mariage de la Vierge, le Pérugin (à gauche) part d’une harmonie géométrique entre un rectangle, un triangle isocèle et un cercle dont le centre fait office de point de fuite de la perspective. Son élève Raphaël reprend le procédé, mais en partant du carré.

D’ailleurs, à l’exception du tableau Le mariage de la vierge, peint en 1504, à l’âge de 21 ans, à partir de la façon que son maître Pietro di Cristoforo Vannucci, dit le Pérugin (v. 1448-1523) avait traité ce même sujet, Raphaël n’avait pas encore eu à relever le type de défi que lui poseront les Stanza.

Comme nous l’avons déjà dit, les cartons et autres dessins préparatoires, parfois assez différents du résultat final, permettent également de croire que suite à « la commande », des discussions avec un ou plusieurs impresarios ont conduit l’artiste à modifier, améliorer ou changer l’iconographie pour aboutir au résultat final.

En ce qui concerne la thématique, comme nous l’avons déjà mentionné, les idées et les concepts semblent avoir émergé lors d’une longue période de maturation et furent sans doute le résultats d’échanges multiples entre le Pape Jules II et plusieurs de ses conseillers, libraires, et « orateurs » de la cour papale.

Selon l’historienne Ingrid D. Rowlands, les documents d’archives indiquent sans conteste l’apport décisif de trois personnalités très différentes de l’époque :

  1. Battista Casali ;
  2. Egidio Antonini da Viterbo (connu en France sous le nom de Gilles de Viterbe) et
  3. Tommaso « Fedra » Inghirami.

L’enquête approfondie de l’historienne Christiane L. Joost-Gaugier a établi le rôle prédominant d’Inghirami. Il est le seul en position, et en capacité, en tant que libraire du pape, de fixer le programme des chambres. Raphaël, sera son collaborateur enthousiaste et finira sans doute par se faire « recruter » aux orientations et à la vision de ses commanditeurs. En témoigne le fait qu’il exigera à être enterré au Panthéon romain, considéré comme le temple le plus pythagoricien, et donc le plus néo-platonicien, de l’époque romaine.

Comme l’a documenté l’historien jésuite John William O’Malley, c’est le 1er janvier 1508, l’année de sa nomination à Saint-Jean du Latran, quelques mois avant l’arrivée de Raphaël à Rome, que Battista Casali (1473-1525), un professeur de l’Université de Rome, évoque l’image de L’Ecole d’Athènes lors d’une oraison prononcée dans la Chapelle Sixtine en présence de Jules II :

Un jour (…) la beauté d’Athènes inspira un concours entre les dieux, là, où l’humanité, les études, la religion, les primeurs, la jurisprudence et le droit ont vu le jour avant d’être distribué dans chaque pays, la où l’Athénée et tant d’autres gymnasiums ont été fondé, où tant de princes de la connaissance ont formé leurs jeunes et leur a appris la vertu, la fortitude, la tempérance et la justice – tout cela détruit dans le tourbillon de la machine de guerre Mohémataine (…) Cependant, tout comme [votre illustre oncle le pape] Sixte IV [qui ordonna la construction de la Chapelle Sixtine], a, en quelque sorte, posé les fondations de l’enseignement, vous y avez posé la corniche. Ici la bibliothèque vaticane qu’il a érigée comme si elle était venue d’Athènes elle-même, réunissant les livres qu’il a pu sauver du naufrage, et créée à l’image de l’Académie. Vous, maintenant, Jules II, pontife suprême, vous avez fondé une nouvelle Athènes lorsque vous invoquez le monde abattu des lettres comme s’il se levait des morts, et lui ordonne, entouré de menaces de travaux suspendus, qu’Athènes, ses stades, ses théâtres et ses Athénées, soient rétablis.

Gilles de Viterbe

Autre influence majeure sur la thématique, Gilles de Viterbe (1469-1532) dont parlerons ci-dessous.

  • Orateur hors pair, il est appelé en 1497 à Rome par le pape Alexandre VI Borgia ;
  • En 1503, il devint le Supérieur général de l’ordre des Ermites de saint Augustin ; avec 8000 membres, c’est l’ordre le plus puissant de son époque ;
  • Il est connu pour l’audace et le sérieux du discours qu’il prononça à l’ouverture du Ve concile du Latran de 1512 ;
  • Il critique sévèrement la politique belliqueuse de Jules II et l’incite à triompher par la culture plutôt que par le glaive ;
  • Après la mort de ce dernier, il devient le prédicateur et le théologien du pape Léon X qui le nomme cardinal en 1517.

Enfin, le prélat Tommaso Inghirami (1470-1516), maniant aussi bien le latin que le grec, était également un orateur redoutable. L’homme devait sa fortune à Laurent le Magnifique (1449-1492).

Éduqué par le philosophe néoplatonicien Marsile Ficin, le Magnifique fut le mécène aussi bien de Botticelli que de Michel-Ange qui vécut trois ans chez lui.

Tommaso Inghirami, le libraire-en-chef du pape Jules II et véritable impresario de Raphaël pour les fresques décorant la Chambre de la signature. Ici son portrait, peint par Raphaël en 1510.

Né à Volterra, Inghirami fut lui aussi recueilli, après le saccage de cette ville, par le Magnifique. Il surveilla soigneusement ses études et l’envoya plus tard à Rome où Alexandre VI Borgia lui fit un accueil favorable. Inghirami était un bellâtre tiré à quatre épingles.

A 16 ans, Inghirami gagna le surnom de « Phèdre » après avoir brillamment incarné, le rôle de cette reine qui se suicide dans une tragédie de Sénèque jouée en cercle restreint à la résidence du très influent cardinal Raphael Riario, cousin de Jules II ou neveu du pape Sixte IV et donc cousin de Jules II. Par la suite, Phèdre, bon vivant et pour qui les plaisirs célestes et terrestres se complétaient allègrement, gagna en poids politique et surtout… physique.

  • En 1475, il accompagne le nonce du pape Alexandre VI à la cour de l’empereur Maximilien Ier du Saint-Empire qui le nomma comte palatin et poète lauréat ;
  • Le 16 janvier 1498, Inghirami prononça à l’Eglise espagnole de Rome une oraison en l’honneur de l’Infant Don Juan, le fils assassiné du Roi d’Espagne. Inghirami, au nom d’Alexandre VI Borgia, endosse pleinement la politique espagnole de l’époque : étendre la chrétienté dans le Nouveau Monde, chasser les Maures d’Europe et renforcer le pillage coloniale de l’Afrique. Si Jules II détestait Alexandre VI, il continuera cette politique ;
  • En 1508, Jules II nomma Inghirami bibliothécaire du Vatican ;
  • En 1509, alors qu’il est fortement investi dans la réalisation des fresques des Stanza, Raphaël fait son portrait. Raphaël nous montre un homme souffrant d’un strabisme divergent qui semble tourner son regard vers le ciel afin de signifier d’où cet « humaniste » tirait son inspiration ;
  • En 1510, le pape le nomme évêque de Raguse ;
  • Enfin, en 1513, il devient secrétaire pontifical et à la demande pressante du pape mourant, Inghirami prononça son oraison funèbre : « Bon Dieu ! Quel esprit avait cet homme, quel sens, quelle capacité à gérer et à administrer l’Empire ! Quelle force suprême et inébranlable ! »

Sans tarder, Inghirami officia comme secrétaire au conclave élisant le pape Léon X (Jean de Médicis, second fils de Laurent de Médicis, lui aussi grand protecteur des néo-platoniciens et de la « culture »), un autre pape dont Raphaël fera le portrait.

En 1509, toujours désireux de réformer l’église catholique sur la base de l’étude des trois langues (latin-grec-hébreu) pour déminer les conflits religieux qui se préparaient, Erasme de Rotterdam rencontre Inghirami à Rome. Ce dernier lui expose les chantiers culturels grandioses qu’il dirigeait. Erasme n’en pipe mot.

Cependant, longtemps après la mort d’Inghirami, Erasme constate que l’Eglise et l’oligarchie recrutent parmi les humanistes. Il « se paie » la secte des Cicéroniens, omniprésente à la Curie romaine et dont Inghirami était un des chefs de file.

Ainsi, en 1528, dans Le Cicéronien, Erasme cite l’oraison d’Inghirami lors du Vendredi saint de l’année 1509. Il y dénonce le fait que les membres de cette secte, au motif de l’élégance de la langue latine, n’utilisaient que des mots latins figurant tels quels dans les œuvres de Cicéron ! Du coup, tout le langage nouveau du christianisme évangélique, consacré au concile de Florence, qu’Erasme souhaitait promouvoir, se trouva soit banni, soit « retraduit » en des termes païens de l’époque romaine ! Par exemple, dans son sermon, Inghirami avait présenté le Christ en croix comme un dieu païen se sacrifiant héroïquement plutôt qu’en rédempteur.

Enfin, peu après la mort de Raphaël, le cardinal Jacopo Sadoleto (1477-1547) écrit un traité de philosophie dans lequel Inghirami (entretemps disparu tragiquement) défend la rhétorique et nie toute valeur à la philosophie, son argument majeur étant que tout qui s’écrit est déjà contenu dans les textes mystiques et mythologiques d’Orphée et de ses adeptes.

Platon et Aristote, l’impossible synthèse

Le Triomphe de saint Thomas (détail), ici conciliant Aristote (à gauche) et Platon (à droite). Tableau de Benozzo Gozzoli, Louvre, Paris.

Maintenant, afin d’être en mesure de « lire » la thématique déployée par Raphaël dans la « Chambre de la signature », examinons ce « néo-platonisme » florentin qui animait aussi bien Gilles de Viterbe que Tommaso Inghirami.

La démarche de ces deux orateurs consistait avant tout à mettre leur « néo-platonisme » et leur imagination au service d’une cause : celle d’affirmer avec force que Jules II, le pontifex maximus à la tête d’une Église triomphante, incarnait l’aboutissement ultime d’une vaste lignée de philosophes, de théologiens, de poètes et d’humanistes. A l’origine de ce « big bang » civilisationnel et théologique présumé conduire au lustre incommensurable de l’Église catholique sous Jules II, non pas Platon et Aristote eux-mêmes, mais ceux qui l’avaient précédé : Apollon, Moïse et surtout Pythagore.

A partir de 1506, Gilles de Viterbe, dans un exercice qu’on peut qualifier « d’au-delà d’une mission impossible », écrira un texte intitulé Sententia ad mentem Platonis (« Les Sentences avec l’esprit de Platon »). Il tentera d’y accommoder les Sentences de Pierre Lombard (1096-1160), le texte scolastique par excellence du XIIIe siècle et point de départ des commentaires du dominicain saint Thomas d’Aquin (1225-1274) pour sa Somme Théologique, avec le néo-platonisme ésotérique florentin de Marsile Ficin (1433-1499) * dont Gilles de Viterbe était un adepte.

Tout cela ne pouvait que plaire à un pape qui, pour asseoir son autorité sur les affaires terrestres et spirituelles, voyait d’un bon œil cet accord entre la Foi et la Raison dont parle Thomas d’Aquin qui dit que la Vérité étant une, la raison ne peut que confirmer une juste foi. Voire mieux, éclairer celle-ci, quitte à ce que cette dernière parachève la première…

Présenter le mariage de la scolastique aristotélicienne (la logique présentée comme « la raison » humaine) avec le néo-platonisme florentin (L’émanantisme plotinien présenté comme « la foi ») comme source de poésie et de justice, comme le fait « La Chambre de la signature » vient de là.

Rappelons qu’au milieu du XIIIe siècle, deux Ordres mendiants, les franciscains et les dominicains, contestaient la dérive d’une Eglise devenue avant tout le simple gérant de ses possessions terrestres. Celui qu’on nommera par la suite saint Thomas d’Aquin, s’oppose sur ce point à (son concurrent) saint Bonaventure (1221-1274), figure fondatrice de l’Ordre des franciscains.

Pour sa part, saint Thomas d’Aquin s’appuie sur Aristote que lui avait fait connaître Albert le Grand (1200-1280) dont il fut le disciple à Cologne, pour établir la primauté de « la raison ». Car, pour celui qui fut surnommé « le bœuf muet », la foi et la raison humaine, chacune gérant leur domaine, se devaient d’avancer ensemble, main dans main. Surtout si l’Église garde le dernier mot.

Le Triomphe de saint Thomas, vers 1470, tableau de Benozzo Gozzoli, Louvre, Paris.

Plusieurs peintures (La grande fresque de 1366 dans la chapelle espagnole de Santa-Maria-Novella de Florence ; le tableau de Filippino Lippi de 1488 dans la chapelle Carafa de Rome ou encore le tableau de Benozzo Gozzoli peint vers 1470, au Louvre à Paris), ont immortalisé le Triomphe de Thomas d’Aquin.

Le tableau de Gozzoli nous semble d’une importance particulière car plusieurs éléments préfigurent l’iconographie de la Chambre de la signature, notamment les trois niveaux qu’on retrouve dans la Théologie (Trinité, évangélistes et responsables religieux) ainsi que le couple Platon et Aristote qu’on retrouve dans la Philosophie.

Chez Gozzoli, on voit le théologien, entre Platon et Aristote, jetant par terre devant lui le philosophe arabe Averroès (1126-1198) (Ibn-Rushd de Cordoue) expulsé pour avoir nié l’immortalité et la pensée de l’âme individuelle, au profit d’un « Intellect unique » pour tous les hommes qui active en nous les idées intelligibles.

En Occident, avant l’arrivée des délégations grecques en Italie venues assister au concile de Ferrare-Florence en 1438, seules quelques œuvres de Platon, dont le Timée, étaient connues d’une poignée d’érudits, tels ceux de l’Ecole de Chartres. En réalité, notre connaissance de la pensée grecque se limitait au philosophe Aristote.

Pour les aristotéliciens qui deviennent dominant dans l’Église catholique avec saint Thomas d’Aquin, si les chrétiens doivent accepter Aristote, ils doivent considérer Platon comme incompatible.

A l’inverse, pour les platoniciens, dont Augustin, Jérôme et surtout Nicolas de Cues et Erasme, qui parlait de « saint Socrate », Platon devait être vénéré par les chrétiens : il était monothéiste, croyait en l’immortalité de l’âme et vénérait, sous la forme de la triade pythagoricienne, le mystère de la Trinité.

Au XVe siècle, faute de clarté épistémologique et l’absence de certitude sur la paternité de certains manuscrits d’inspiration platoniciennes (mais attribués à tort à Aristote), certains humanistes, en particulier l’ami de Nicolas de Cues, le cardinal Jean Bessarion (1403-1472), grand artisan de la réunification des Eglises d’Orient et d’Occident, présentent Platon comme l’« égal » d’Aristote, son disciple, dans le seul but de rendre Platon « aussi acceptable que possible » auprès de l’Église catholique.

D’où la phrase devenue célèbre de Bessarion « Colo et veneror Aristotelem, amo Platonem » (Je cultive et je vénère Aristote, j’aime Platon) qui apparaît dans son In Calumniatorem Platonis (republié en 1503), une réplique à la charge virulente contre Platon élaborée par le grec Georges Trébizond.

Ainsi, dans L’Ecole d’Athènes peint par Raphaël, Platon et Aristote apparaissent côte à côte se complétant chacun avec sa sagesse particulière : le premier tenant son livre le Timée (sur la création de l’univers) d’une la main, et de l’autre, pointant vers le ciel (le Un, Dieu), le second tenant son Ethique (la conduite morale personnelle) d’une main, et dressant l’autre bras à l’horizontale pour indiquer le règne terrestre (la Physique).

Si les concepteurs de cette fresque avaient voulu souligner l’opposition des deux penseurs, Platon aurait tenu en main son Parménide (sur les Idées) et Aristote son Physique (sur les sciences naturelles). Ce n’est clairement pas dans l’Ecole d’Athènes.

Gilles de Viterbe fera tout, dans son Sententia ad mentem Platonis pour gommer les oppositions inconciliables et bien réelles (voir encadré ci-dessous) entre la pensée platonicienne et celle d’Aristote.

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Pourquoi Platon et Aristote
ne sont pas complémentaires

Par Christine Bierre

La Logique (Aristote) contre la Dialectique (Platon). Bas-relief de Luca della Robia.

Les concepts fondamentaux qui ont donné naissance à notre civilisation européenne, remontent à la Grèce classique, et à travers elle, à l’Égypte et à d’autres civilisations plus anciennes encore.

Parmi les penseurs grecs, Platon (-428/-347 av. JC) et d’Aristote (-385/-323 av. JC) ont posé toutes les grandes questions qui intéressent notre humanité : qui sommes nous, quelles sont nos caractéristiques, comment vivons nous, où nous situons nous dans l’univers, comment pouvons nous le connaître ?

Les récits qui nous sont parvenus de cette période lointaine parlent des désaccords qui ont conduit Aristote à quitter l’Académie de Platon, dont il avait été le disciple. L’histoire témoigne ensuite de la violence des oppositions entre les disciples de l’un et de l’autre. A la renaissance, les courants catholiques les plus réactionnaires – le concile de Trente notamment – étaient inspirés par Aristote, alors que Platon régnait en maître dans le camp de l’humanisme, chez certains des plus grands tels qu’Érasme et Rabelais.

Il y eut différentes tentatives cependant de les rendre complémentaires, comme l’évoque cet article de Karel Vereycken. Si Platon représente le monde des Idées, Aristote, représente celui de la matière. Impossible de construire un monde sans les deux, nous dit-on. Cela paraît d’une telle évidence !

Le philosophe grec, Platon.

Tout ceci part, cependant, d’une idée fausse opposant ces deux personnages. Pour Platon nous dit-on, la réalité se trouve dans l’existence des idées, des concepts universaux qui représentent, de façon abstraite, toutes les choses qui participent de ce concept. Exemple, le concept général d’homme contient celui des hommes particuliers tels que Pierre, Paul et Marie ; idem pour le bien, qui comprend toutes les bonnes choses quelles qu’elles soient. Pour Aristote, au contraire, la réalité se situe dans la matière, en tant que telle.

Ce qui est faux dans ce raisonnement c’est le concept que les Idées platoniciennes sont des abstractions. Les Idées platoniciennes sont, au contraire, des entités dynamiques qui engendrent et transforment la réalité. Dans le mythe de la caverne de La République, Socrate dit qu’à l’origine des choses il y a le souverain Bien. Dans Le Phédon, il explique que c’est à travers des « Idées » que ce souverain Bien a engendré le monde.

Dans le mythe de la caverne, Socrate se sert d’un rejeton de l’idée du bien – le soleil – pour mieux faire comprendre ce qu’est le souverain Bien. Le Bien, dit-il, a engendré le soleil, qui est, dans le monde visible, par rapport à la vue et aux objets de la vue, ce que le Bien est dans le monde intelligible par rapport à l’intelligence et aux objets intelligibles. Les prisonniers dans la caverne ne voyaient que les ombres de la réalité, puis, en sortant, ils ont vu, grâce au soleil, les objets réels, le firmament et le soleil. « Après cela, ils en viendront à conclure au sujet du soleil, que c’est lui qui produit les saisons et les années, qu’il gouverne tout dans le monde visible et qu’il est en quelque manière la cause de toutes ces choses que lui et ses compagnons voyaient dans la caverne. ».

Le soleil donne aux objets la faculté d’être vus mais, en plus, il est à l’origine de leur genèse et de leur développement. De même pour les objets connaissables, ils tiennent du Bien la faculté d’être connus mais, en plus, ils lui doivent leur existence et leur essence. L’idée du Bien est donc pour Platon, cause dynamique des choses : matérielles et immatérielles et non des universaux morts.

L’« Un » éclaté d’Aristote

Aristote.

Pour Aristote, comme pour tout le courant empiriste qui l’a suivi, la réalité est située au niveau des objets connaissables par les sens. La nature nous envoie ses signaux que nous décodons grâce à nos facultés mentales. Les idées ne sont que des abstractions de l’univers sensible qui constitue, lui, la réalité. Pour lui les universaux n’ont pas d’existence réelle : l’homme « en général », n’engendre rien. Ce n’est qu’une abstraction de tous les hommes en particulier. L’homme particulier est engendré par l’homme particulier ; Pierre est engendré par Paul.

On dit aussi d’Aristote qu’il a « éclaté » l’Un de Platon. Il y a deux façons de concevoir l’Un. On peut le penser soit comme un Un absolu – Dieu ou cause première selon que l’on soit religieux ou philosophe – principe purement intelligible mais cause dynamique qui a engendré toutes les choses ; ou bien, on peut le concevoir comme le chiffre « un » qui détermine chaque chose particulière : le nombre un lorsqu’on dit : un homme, une chaise, une pomme.

L’Un d’Aristote devient simplement unité particulière, caractéristique de toutes les choses qui participent de l’unité. Il n’est pas cause de ce qui « est » mais uniquement prédicat de tous les éléments qui se retrouvent dans toutes les catégories. L’Être et l’Un, dira-t-il, sont les plus universels des prédicats. L’Un, dira-t-il encore, représente une nature définie dans chaque genre mais jamais la nature de l’Un sera l’Un en soi. Et les Idées ne sont pas cause de changement.

A quoi bon tout cela ?

Cette discussion a-t-elle plus de sens que toutes les élucubrations sur les sexes des anges qui ont donné une si mauvaise réputation à la scolastique au Moyen Âge ? L’Un ou le multiple, quelle importance dans nos vies quotidiennes ?

Ce point est pourtant essentiel. Le fait de pouvoir remonter aux causes intelligibles de tout ce qui existe, met l’espèce humaine dans une situation privilégiée dans la nature. A la différence d’autres espèces, elle peut non seulement comprendre les lois de l’univers, mais s’en inspirer, pour faire progresser la société humaine. C’est pourquoi, dans l’histoire, c’est le courant « platonicien » qui a été à l’origine des grandes percées scientifiques, technologiques et culturelles dans l’astronomie, la géométrie, la mécanique, l’architecture, mais aussi la découverte des proportions qui permettent d’exprimer la beauté dans la musique, la peinture, la poésie et la danse.

Du côté d’Aristote, force est de constater, que ses conceptions sur l’homme et la connaissance n’ont pu le conduire qu’à fixer des catégories définissant une dizaine d’états possibles de l’être. Aristote a été aussi le fondateur de la logique formelle, un système de pensée qui ne prétend pas connaître la vérité, mais seulement de définir les règles d’un raisonnement correct. La logique s’intéresse si peu à la recherche de la vérité qu’on peut considérer qu’un jugement qui est totalement faux par rapport à la réalité, est juste si toutes les règles du « bon raisonnement » de la logique y ont été employées.

Pour creuser : Platon contre Aristote, la République contre l’oligarchie

Les humanistes ont mis depuis longtemps le doigt sur un domaine échappant totalement à la pensée logique d’Aristote : le désir… Un lai ou fabliau du XIIIe siècle résume l’histoire. Aristote, qui avait pour élève Alexandre le Grand, reprochait à ce dernier de se laisser déconcentrer de ses royales fonctions par la courtisane Phyllis dont il était éperdument amoureux. Obéissant, le brave roi de Macédoine cesse donc de fréquenter la donzelle et s’en retourne traiter les affaires de l’État. Apprenant les raisons de son abandon, la gourgandine décide de se venger du vieux philosophe et tente de le séduire en se pavanant sous ses fenêtres en tenue légère. Aristote tombe sous le charme ?! Phyllis annonce alors au sage que s’il veut la posséder, il devra d’abord se livrer à un petit caprice et, sellé et bridé, se laisser chevaucher par la belle. L’éminent barbu accepte ce jeu sans se douter du tour qu’on est en train de lui jouer. En selle et hue ?! voilà Phyllis qui se promène à dos d’Aristote dans les jardins du roi, le fouettant pour le faire avancer.

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suite du texte:

Pour commencer, Gilles de Viterbe souligne qu’Aristote est un « élève » de Platon et qu’on pouvait réconcilier les « deux princes de la philosophie ». Très imprégné de l’esprit néo-pythagoricien, et pour qui Platon n’était qu’un des plus grands disciples de Pythagore, l’auteur avance que les deux philosophes s’accordent à dire, contrairement au panthéon païen, que l’« Un » est l’expression ultime du divin. En clair, qu’ils étaient tous les deux monothéistes et qu’ainsi leurs convictions anticipaient celles du christianisme.

Gilles de Viterbe :

La philosophie, qui trace et examine toutes les choses, juge que tout nombre et toute multiplicité sont absentes de Dieu, comme le dit Platon et son élève Aristote. L’Humanité a comme but la compréhension des choses divines, comme même Aristote l’admet dans son Éthique. Ainsi, s’il est nécessaire de poursuivre cet objectif, il est nécessaire à arriver à la compréhension de Dieu.

Et il poursuit :

Maintenant, ces princes de la Philosophie [Platon et Aristote] peuvent être réconciliés, et peu importe l’étendue de leurs désaccords en ce qui concerne la création, les Idées ou le but du Bien, ces points [d’accord] peuvent être identifié et démontré (…) [Alors], ils apparaissent comme ne pas être en désaccord entre eux du tout (…) Ces grands princes peuvent être réconciliés si nous postulons la double nature des choses, l’une qui est libre de la matière et l’autre qui est à l’intérieur de la matière (…) Platon suit la première, Aristote la deuxième, et à cause de ceci, ces deux grands dirigeants de la philosophie diffèrent à peine l’un de l’autre. Si vous pensez que c’est nous qui inventons tout ceci, écoutez-les vous même. Car si nous parlons de l’humanité, après tout le sujet de notre conversation, alors Platon dit la même chose, il dit l’humanité est l’âme, dans l’Alcibiade ; et dans le Timée, il dit que l’humanité a deux natures, et nous connaissons une de ces natures par le moyen des sens, et l’autre par le moyen de la raison. Aussi, dans le même livre, il nous apprend que chaque partie en nous n’existe pas isolée de l’autre, que chaque nature se préoccupe de l’autre nature. Aristote, dans le dixième livre de son Ethique, appelle l’humanité la Compréhension. Donc vous pouvez savoir que chaque philosophe (Platon et Aristote) sent de la même façon, peu importe qu’il vous semble qu’ils ne disent pas la même chose.

Le piquant Pic de la Mirandole

Médaille avec l’effigie de Pic de la Mirandole. Au verso, un dévoiement du thème platonicien des Trois grâces (Beauté, Amour, Plaisir), image reprise à l’identique d’une fresque romaine de Pompéi, que Raphaël reprendra à son tour dans son œuvre sur le même sujet.

Gilles de Viterbe, tout comme Tommaso Ingharimi, semble ici relever le défi que leur avait posé Jean Pic de la Mirandole (1463-1494), le jeune disciple du Ficin.

Erudit précoce, protégé de Laurent de Médicis (comme Inghirami), ce confit d’omniscience n’avait peur de rien. Ainsi, en 1485, âgé d’à peine 23 ans, il annonce son projet de réunir à ses frais, dans la ville éternelle et capitale de la chrétienté, les plus grands savants du monde pour débattre des mystères de la théologie, de la philosophie et des doctrines étrangères. L’objectif était de remonter de la scolastique à Zoroastre, en passant par les Arabes, les kabbalistes, Aristote et Platon, pour exposer aux yeux de tous, la concordance des sagesses. L’affaire échoua. Son initiative, qui réservait une place importante à la magie, ne pouvait que susciter la défiance. Pour le Vatican, tout cela ne pouvait que sentir le soufre, et l’initiative fut écartée à l’époque.

Cependant, elle va marquer les esprits. Car son Oratio de hominis dignitate, son discours inaugural écrit dans un style élégant et quasi-cicéronien, destiné à la présentation de ses neuf cents thèses, publié ensemble après sa mort, connut un grand succès, surtout parmi les jeunes érudits comme… Inghirami.

L’exploit de Pic, mal vu par les autorités, fut de donner aux études humanistes (studia humanitatis) une finalité nouvelle : chercher la concordance des doctrines et définir la dignité de l’être humain. Il s’agissait, en dégageant ce qui les unit au sein même de l’altérité, de la recherche d’une concorde universelle, afin d’en dépasser les contradictions, dans une unité qui les transcende.

Pic de la Mirandole :

Voilà pourquoi, non content d’avoir ajouté aux doctrines communes quantité de remarques sur la théologie primitive de Mercure Trismégiste, sur les enseignements des Chaldéens et de Pythagore, sur les plus secrets mystères des Juifs, nous avons aussi proposé à la discussion un certain nombre de découvertes et de conceptions qui nous sont propres dans les domaines physique et théologique. Nous avons d’abord fait valoir que Platon et Aristote s’accordent : beaucoup l’ont pensé avant nous, personne ne l’a prouvé suffisamment. Parmi les Latins, Boèce s’était promis de le faire, mais rien n’indique qu’il n’ait jamais réalisé ce qui fut toujours son projet. Chez les grecs, Simplicius s’était donné le même programme : plût au ciel qu’il se fût montré à la hauteur de ses intentions ! Augustin lui-même, dans son ouvrage Contre les Académiciens, écrit que nombre d’auteurs ont conçu, avec beaucoup de finesse dans l’argumentation, le projet d’établir ce même point, à savoir que les philosophies de Platon et d’Aristote n’en font qu’une. Ainsi Jean le Grammairien [L’helléniste Jean Lascarus] affirme bien que seuls ceux qui n’entendent pas les paroles de Platon le croient en désaccord avec Aristote, mais c’est à des successeurs qu’il a laissé le soin de la démonstration. Nous avons ajouté aussi divers développements où s’affirme la concordance entre les opinions – réputées discordantes – de Scot et Thomas d’une part, d’Averroès et d’Avicenne d’autre part. En second lieu, nos considérations sur la philosophie tant aristotélicienne que platonicienne ont été enrichies de soixante-douze nouvelles propositions physiques et métaphysiques : en les faisant sienne, si je ne m’abuse (et je serai bientôt fixé sur ce point), on pourra résoudre n’importe quel problème d’ordre naturel ou théologique, suivant une méthode philosophique bien différente de celle qui nous est enseignée oralement dans les écoles et qui est à l’ honneur parmi les docteurs de notre temps.

Dans un manuscrit retrouvé inachevé lors de sa mort en 1494 et intitulé Concordia Platonis et Aristotelis, Pic de la Mirandole mentionne explicitement le Timée de Platon et l’Ethique d’Aristote, les deux livres qui figurent comme les attributs de leurs auteurs dans la fresque de Raphaël.

Ensuite, dans son Heptaplus, une œuvre qu’il termine en 1489, Pic de la Mirandole affirme que les écrits de Moïse et la loi mosaïque, selon lui, le fondement de toute sagesse, ont été la base de la civilisation grecque avant de devenir celle de l’Église de Rome. Le Timée, l’œuvre majeure de Platon, précise Pic, démontre que son auteur faisait figure d’un « Moïse attique » (un Moïse d’origine athénienne).

Cicéron

Cicéron.

Pour Inghirami, fasciné par l’éloquence et le style de Cicéron (-106/-43 av. JC) dont il se croyait la réincarnation, le défi lancé par Pic de la Mirandole de réconcilier Apollon, Pythagore, Platon et Aristote, se présenta quasiment comme une mise à l’épreuve divine et les fresques de Raphaël ornant la « Chambre de la signature » sera avant tout sa réponse.

A ceci s’ajoute que Cicéron lui-même se réclamait du néo-platonisme. Dans le premier volume de son œuvre, les Secondes Académiques, après avoir condamné Socrate pour continuellement poser des questions sans jamais « poser les bases d’un système de pensée », Cicéron affirme, plusieurs siècles avant Pic de la Mirandole, que les idées de Platon et d’Aristote, en essence, « avaient les mêmes principes » :

A l’ombre du génie de Platon, génie fécond, varié, universel, s’établit une philosophie unique sous la double bannière des académiciens et des péripatéticiens, qui, d’accord sur les choses, ne différaient que sur les termes. Car Platon, qui avait fait en quelque sorte de Speusippe, fils de sa sœur, l’héritier de sa philosophie, laissait aussi deux disciples de grand talent et d’une rare science, Xénocrate de Chalcédoine et Aristote de Stagire : ceux qui suivaient Aristote, furent nommés péripatéticiens, parce qu’ils discouraient en se promenant dans le Lycée ; tandis que ceux qui, d’après l’institution de Platon, tenaient leurs assemblées et dissertaient dans l’Académie, l’autre gymnase d’Athènes, reçurent de ce lieu-même le nom d’Académiciens. Mais les uns et les autres, tous pénétrés du fécond génie de Platon, formulèrent la philosophie en un certain système complet et achevé, et abandonnèrent le doute universel de Socrate, et son habitude de discuter sur tout sans rien affirmer. Il y eut alors ce que Socrate désapprouvait entièrement, une science philosophique, avec des divisions régulières et tout un appareil méthodique. Cette philosophie, comme je l’ai dit, sous une double dénomination, était une ; car, entre la doctrine des péripatéticiens [Aristote] et l’ancienne Académie [Platon], il n’y avait aucune différence. Aristote l’emportait, à mon sens, par la richesse de son génie ; mais les uns et les autres avaient les mêmes principes, et jugeaient pareillement des biens et des maux.

Portail Royal de Chartres. Au centre, Pythagore avec au-dessus de lui le quadrivium (les sciences : arithmétique, géométrie, astronomie et musique). A sa droite, un disciple, avec au-dessus de lui le Trivium (les humanités : grammaire, rhétorique et logique).

Inghirami a également été conforté par la lecture d’innombrables auteurs chrétiens allant dans ce sens comme par exemple le Français, Bernard de Chartres (XIIe siècle) , un philosophe néoplatonicien ayant joué un rôle fondamental dans l’école de Chartres, qu’il fonda. Il fut nommé maître (1112) puis devient chancelier (1119) responsable de l’enseignement de l’école cathédrale.

Vous me demanderez alors, pourquoi figurent côte à côte, sur le portail occidental de la cathédrale, les sculptures de Pythagore et d’Aristote ?

Etienne Gilson écrit :

Bernard de Chartres était tout d’abord influencé par Boèce, dont il adapte le platonisme. Il s’attache ensuite à réconcilier la pensée de Platon avec celle d’Aristote, ce qui fera de lui le plus grand penseur aristotélicien et platonicien du XIIe siècle. Jean de Salisbury affirmait, dans les termes les plus formels que Bernard de Chartres et ses disciples ne croyaient pas exposer simplement la pensée de Platon en expliquant de la sorte le rapport des idées aux choses, mais qu’ils avaient la prétention de mettre en accord Aristote avec Platon. Que la peine qu’ils se sont donnée ait été perdue, c’est ce que Jean de Salisbury affirme nettement. Avec un humour bien britannique il constate que ces philosophes sont arrivés trop tard et qu’ils ont inutilement travaillé à réconcilier des morts qui s’étaient disputés pendant toute leur vie.

Inghirami aura forcément lu saint Bonaventure (1217-1274), un des fondateurs de l’ordre des franciscains qui soulignait que Platon et Aristote excellaient chacun dans son domaine :

Et ainsi il apparaît que parmi les philosophes, le don de Platon est de parler de la sagesse, celui d’Aristote de la science.

Ou encore le florentin Marsile Ficin, ce philosophe néo-platonicien du XVe siècle dont « l’Académie platonicienne » avait mis en selle Pic de la Mirandole. Le Ficin, n’avait-il pas écrit dans sa Théologie platonicienne que 

Platon traite des choses naturelles divinement tandis qu’Aristote traite naturellement même des choses divines.

Dans la préface qu’il écrira pour La fable d’Orphée, une pièce de théâtre écrite par son disciple Ange Politien (1454-1494), le Ficin, se référant à saint Augustin, fait du mythique Hermès Trismégiste (Mercure) le premier des théologiens : son enseignement aurait été transmis successivement à Orphée, Aglaophème, Pythagore, Philolaos et enfin Platon.

Par la suite, le Ficin placera Zoroastre en tête de ces prisci theologi, pour attribuer finalement à Zoroastre et Mercure un rôle identique dans la genèse de la sagesse antique : Zoroastre enseigne celle-ci chez les Perses en même temps que Trismégiste l’enseignait chez les Égyptiens.

Un Platon peut cacher un Pythagore

Le grand penseur présocratique, Pythagore de Samos.

On remarquera que dans L’Ecole d’Athènes de Raphaël, la figure de Pythagore de Samos (-580/-495 av. JC) , entouré d’un groupe d’admirateurs, prend une place majeure. Il est clairement identifiable par une tablette où figurent les accords musicaux et la fameuse « Tétraktys » dont nous parlerons ici.

Alors que jusqu’ici, les historiens ont surtout exploré l’influence du courant platonicien et néo-platonicien sur la Renaissance italienne, l’historienne Christiane L. Joost-Gaugier, dans son livre Pythagoras and Renaissance Europe, a mis en lumière à quel point les idées du grand penseur présocratique que fut Pythagore, ont influencé la pensée et façonné l’art de la Renaissance.

En art, Pythagore inspire l’architecte romain Vitruve (-90/-15 av. JC, puis les théoriciens de la proportion d’or comme le moine franciscain Luca Paciolo (1445-1517) , dont le traité, De Divina Proportiona, illustré par Léonard de Vinci, parut à Venise en 1509.

Cependant, si un théorème, venu probablement d’Inde, porte son nom (attribué à Pythagore par Vitruve), l’on sait assez peu de sa vie.

Tout comme Confucius, Socrate et le Christ, si l’on est sûr qu’il a réellement existé, aucun écrit de sa main ne nous est parvenu.

Par la force des choses, Pythagore est devenu une légende vivante, et même très active lors de la Renaissance, à tel point que la plupart des gens ne voyait qu’en Platon un simple « disciple » du « divin Pythagore ».

Textes arabes et chinois démontrant le théorème attribué à Pythagore.
La Géométrie (Thalès de Milet ?) et l’Arithmétique (Pythagore ?), bas-relief de Luca della Robbia, Campanile, Florence.

Né dans la première moitié du VIe siècle avant JC. sur l’île de Samos en Asie mineure, il fut sans doute en contact avec l’école des géomètres fondée par Thalès de Milet (-625/-548 av. JC) .

Vers l’âge de 40 ans, il part vers Crotone en Italie méridionale pour y fonder une société d’amis, à la fois philosophique, politique et religieuse dont les implantations vont se multiplier.

Pour Pythagore, il s’agit de réaliser un lien entre l’homme et le divin et sur cette base transformer la cité. Interrogé sur son savoir, Pythagore, avant Socrate et Cues, affirme qu’il ne sait rien mais qu’il cultive « l’amour de la sagesse ». Le mot philo-sophie serait né ainsi.

Aucun humaniste chrétien, lisant saint Jérôme (347-420) , un des Pères de l’Église catholique, ne pouvait échapper aux éloges que ce dernier fait à Pythagore.

Dans sa polémique Contre Ruffin, Jérôme, pour évoquer un comportement exemplaire, cite ce qu’aurait dit deux disciples de Pythagore : « Nous devons par tous les moyens possibles éviter la mollesse du corps, l’ignorance de l’esprit, l’intempérance, les dissensions civiles, les dissensions domestiques et en général l’excès en toutes choses ». Et Jérôme invoque les « préceptes de Pythagore » :

Tout doit être commun entre amis ; un ami est un autre nous-même. Il faut considérer deux époques dans la vie, le matin et le soir, c’est-à-dire ce que nous avons fait et ce que nous devons faire. Après Dieu, il faut chercher la vérité, qui seule peut rapprocher les hommes du Créateur.

Ensuite, Jérôme estime que Pythagore, en affirmant le concept d’immortalité de l’âme, a précédé le christianisme :

Ecoutez ce que Pythagore a trouvé le premier en Grèce s’élance Jérôme : Que les âmes sont immortelles, qu’elles passent d’un corps dans un autre, et, c’est Virgile qui lui-même nous dit dans le sixième livre de l’Enéïde : Lorsqu’elles ont fourni une révolution de mille ans, Dieu les appelle en grand nombre sur les bords du fleuve Léthé pour que sans doute elles puissent revoir le ciel dont elle ne se souviennent plus ; c’est alors qu’elles recommencent à ranimer un nouveau corps, qui d’abord a été Euphorbus, ensuite Calide, puis Hermoticus, puis Perhius et enfin Pythagore ; et qu’après un certain temps ce qui a existé recommence à naître, qu’il n’y a rien de neuf dans le monde, que la philosophie est un recueil de méditations sur la mort, que chaque jour elle s’efforce de délivrer l’âme des chaînes qui l’attachent au corps et de lui rendre sa liberté. Platon nous communique bien d’autres idées dans ses écrits, surtout dans le Phédon et dans le Timée.

La géométrie cachée des nombres

Pour Pythagore « le commencement est la moitié de tout ». D’après Théon de Smyrne (v. 70/v. 135) , pour le philosophe, « les nombres sont pour ainsi dire le principe, la source et la racine de toutes choses ».

Aristote, dans sa Métaphysique rapporte :

Les pythagoriciens s’appliquèrent dans un premier temps aux mathématiques… Trouvant que les choses [dont les sons musicaux] modèlent principalement leur nature sur l’ensemble des nombres et que les nombres sont les premiers principes de la nature entière, les Pythagoriciens conclurent que les éléments des nombres sont aussi les éléments de tout ce qui existe, et ils firent du monde une harmonie et un nombre…

Et comme le précisait Clinias de Tarente (IVe siècle av. JC.), un pythagoricien ami de Platon :

Quand ces choses, donc, sont au repos, elles donnent naissance aux mathématiques et à la géométrie, quand elles sont en mouvement à l’harmonica et à l’astronomie.

L’idée de la « monade », une unité dynamique participant de l’Un, perfectionnée plusieurs siècles après par le philosophe et scientifique Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716) dans sa « Monadologie », nous vient de cette époque.

Signifiant étymologiquement « unité » (monas), il s’agit de l’unité suprême (l’Un, Dieu, le principe des nombres) qui, tout en étant en même temps l’unité minimale, reflète dans le microcosme la même activité dynamique que représente l’Un dans le macrocosme.

Déjà, rien que le nom d’Apollon (Un dieu considéré comme « le père » de Pythagore) signifie, comme le soulignent Platon, Plutarque et d’autres auteurs de l’antiquité : libre de toute multiplicité (Pollo = multiplicité ; a-pollo = non-multiple).

Xénophane (né vers 580 av. JC), affirme l’existence d’un Dieu unique gouvernant toute chose par la puissance de son intelligence. Il s’agit d’un dieu point semblable aux hommes, car éternel, incorporel et sphérique.

Les nombres triangulaires : 1, 3, 6 et 10. Notez la présence d’un hexagone à l’intérieur du nombre 10, le fameux Tetraktys de Pythagore.

Autant cette conception d’un Un dynamique a pu provoquer parfois une explosion d’interprétations ésotériques, autant elle a stimulé les esprits les plus créatifs et terrorisé les formalistes de la pensée.

En parlant de simples choses, des nombres arithmétiques, Pythagore emploie les terme de un, deux, trois, quatre, cinq, dix…, tandis que pour évoquer des nombres idéaux et leur puissance, il parle de : monade, dyade, triade, tétrade, décade, etc.

Ainsi, en concevant les nombres de façon non-linéaire mais figurative, il offre une arithmétique applicable à l’astronomie, la musique et l’architecture. En disposant ces nombres, comme des billes, d’une façon particulière, Pythagore découvre la fameuse « géométrie des nombres ».

Par exemple, dans le cas des nombres triangulaires, trois points forment une surface triangulaire. Si l’on y rajoute trois points en dessous, on trouve le nombre 6, mais il s’agit toujours d’un triangle. Et si l’on y ajoute encore quatre points supplémentaires, on aboutit au nombre 10, toujours un nombre triangulaire.

Le Patriarche de Constantinople Photius (810-893) confirme que :

Les pythagoriciens proclamaient que le nombre complet est dix.
Le nombre dix, est un composé des quatre premiers nombres que nous comptons dans leur ordre. C’est pourquoi ils appelaient Tétraktys le tout constitué par ce nombre.

A part les nombres plans et triangulaires (1, 3, 6, 10, etc.), Pythagore explorera les nombres carrés (1, 4, 9, 16, …), rectangulaires, cubiques, pyramidaux, étoilés, etc.

Ce faisant, disait Aristoxène, Pythagore avait « élevé l’arithmétique au-dessus des besoins des marchands ».

Cette approche, celle de voir l’harmonie au-dessus et dans le multiple, a inspiré de nombreux scientifiques dans l’histoire. On pense à Mendeleïev pour l’élaboration de son tableau des éléments ou à Einstein.

La puissance des nombres était également bien comprise par le cardinal-philosophe Nicolas de Cues, qui évoque Pythagore dès le premier chapitre de son traité De la docte Ignorance (1440), lorsqu’il précise que :

Tous ceux qui recherchent jugent de l’incertain, en le comparant à un présupposé certain par un système de proportions. Toute recherche est donc comparative, et elle use du moyen de la proportion : si l’objet de la recherche se laisse comparer au présupposé par une réduction proportionnelle peu étendue, le jugement d’appréhension est aisé ; mais si nous avons besoin de beaucoup d’intermédiaires, alors naissent la difficulté et la peine. Cela est bien connu dans les mathématiques : les premières propositions s’y ramènent aisément aux premiers principes très bien connus, tandis que les suivantes, parce qu’il leur faut l’intermédiaire des premières, y ont plus de difficulté. Donc toute recherche consiste en une proportion comparative facile ou difficile, et c’est pourquoi l’infini qui échappe, comme infini, à toute proportion, est inconnu. Or, la proportion qui exprime accord en une chose d’une part et altérité d’autre part, ne peut se comprendre sans le nombre. C’est pourquoi le nombre enferme tout ce qui est susceptible de proportions. Donc, il ne crée pas une proportion en quantité seulement, mais en tout ce qui, d’une façon quelconque, par substance ou par accident, peut concorder et différer. Aussi Pythagore jugeait-il avec vigueur que tout était constitué et compris par la force des nombres. Or, la précision des combinaisons dans les choses matérielles et l’adaptation exacte du connu à l’inconnu sont tellement au-dessus de la raison humaine que Socrate estimait qu’il ne connaissait rien que son ignorance ; en même temps que le très sage Salomon affirme que toutes les choses sont difficiles et que le langage ne peut les expliquer.

Géométrie des nombres,
le secret du calcul mental

Voici un petit exemple très simple. Un jour, à Göttingen, le professeur du jeune mathématicien allemand Carl Gauss (1777-1855) demanda aux élèves de calculer la somme de tous les chiffres de un à cent.

Les élèves s’exécutent et commencent à additionner les chiffres 1 + 2 + 3 + 4 + 5, etc.

Le jeune Gauss lève la main et, suite à un calcul mental, annonce le résultat de l’opération : « 5050, Monsieur ! »

Le professeur lui demande comment il est arrivé aussi vite au résultat. Le jeune Gauss s’explique : pour voir s’il existe une géométrie dans le nombre cent, j’ai additionné le premier chiffre (1) avec le dernier (100). Cela donne 101. Maintenant, si j’additionne le deuxième chiffre (2) avec l’avant dernier (99), cela fait également 101. J’ai conclu qu’il existait, à l’intérieur du nombre 100, cinquante couples de nombres pairs et impairs dont la somme était chaque fois 101. Ainsi, en multipliant 101 par le nombre de couples (50), j’arrive immédiatement à 5050.

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De Pythagore à Platon

Pour Pythagore, la surface la plus parfaite est le cercle et le volume idéal la sphère puisqu’on peut y inscrire les polyèdres réguliers.

Selon un de ses disciples, l’italien Philolaus de Crotone (-470/-390 av. JC) , Pythagore aurait été le premier à définir les cinq polyèdres réguliers :

  • le cube,
  • le tétraèdre (une pyramide à 4 faces triangulaires),
  • l’octaèdre (composé de 8 triangles),
  • l’icosaèdre (64 triangles) et
  • le dodécaèdre (composé de 12 pentagones).

Puisque Platon les décrit dans son œuvre, le Timée, ces polyèdres réguliers prirent le nom de « solides platoniciens ».

Rappelons que Platon s’est rendu plusieurs fois en Italie, notamment pour y rencontrer son ami intime, le grand scientifique et dirigeant politique pythagoricien, Archytas de Tarente (-428/-387).

Disciple direct de Philolaos, Archytas deviendra le professeur de mathématiques de l’astronome et médecin grec Eudoxe de Cnide (-408/-355) .

Une vision géométrique des nombres permet de voir comment leur puissance augmente. Par exemple, en passant du chiffre 3 au chiffre 4, on passe de deuxième dimension à la troisième.

Dès Archytas peut-être ou après Platon, les pythagoriciens associent le 1 au point, le 2 à la ligne, le 3 à la surface (la figure géométrique à deux dimensions : cercle, triangle, carré… ), le 4 au solide (la figure géométrique à trois dimensions : tétraèdre, cube, sphère, etc.).

Ajoutons à cela que dans le Timée, un des derniers dialogues de Platon, après un bref échange avec Socrate, Critias et Hermocrate, le philosophe pythagoricien Timée de Locres (Ve siècle av. JC) expose une réflexion sur l’origine et la nature du monde physique et de l’âme humaine vues comme les œuvres d’un démiurge tout en abordant les questions de la connaissance scientifique et de la place des mathématiques dans l’explication du monde.

Cicéron (République, I, X, 16) précise que Timée de Locres était un intime de Platon :

Sans doute as-tu appris, Tubéron, qu’après la mort de Socrate, Platon se rendit d’abord en Égypte pour s’y instruire, puis en Italie et en Sicile, afin de tout apprendre des découvertes de Pythagore. C’est là qu’il vécut longtemps dans l’intimité d’Archytas de Tarente et de Timée de Locres, et eut la chance de se procurer les Commentaires de Philolaos.

La musique des sphères

Luca della Robia : Pythagore découvrant l’harmonie.

Un magnifique bas-relief, sur le campanile du dôme de Florence, reflète bien ce que savaient les premiers humanistes italiens au sujet de Pythagore.

Luca della Robia (1399-1482), le sculpteur travaillant sur les instructions du chancelier humaniste de Florence Leonardo Bruni (1370-1444) , nous montre Pythagore, un gros marteau dans une main, un petit marteau dans l’autre, frappant une enclume et concentrant son esprit sur la différence des sons qu’il produit.

Selon la légende, Pythagore se promenait aux abords d’une forge lorsque son attention fut captée par le son des marteaux frappant l’enclume.

Il y discerna à l’oreille les mêmes consonances que celles qu’il pouvait produire avec sa lyre. Son intuition mena alors à une découverte fondamentale : les sons musicaux sont gouvernés par les nombres.

Pythagore chez les forgerons.

Voilà comment Guido d’Arezzo (992-1050), le moine bénédictin à l’origine du système de notation musicale encore en vigueur, rapporte vers 1026 l’événement au dernier chapitre (XX) de son ouvrage Micrologus :

Un certain Pythagore, grand philosophe, voyageait d’aventure ; il arriva à un atelier où l’on frappait sur une enclume à l’aide de cinq marteaux. Étonné de l’agréable harmonie [concordiam] qu’ils produisaient, notre philosophe s’approcha et, croyant tout d’abord que la qualité du son et de l’harmonie [modulationis] résidait dans les différentes mains, il interchangea les marteaux. Cela fait, chaque marteau conservait le son qui lui était propre. Après en avoir retiré un qui était dissonant, il pesa les autres, et, chose admirable, par la grâce de Dieu, le premier pesait douze, le second neuf, le troisième huit, le quatrième six de je ne sais quelle unité de poids. Il connut ainsi que la science [scientiam] de la musique résidait dans la proportion et le rapport des nombres [in numerorum proportione et collatione]

[…] Que dire de plus ? En mettant en ordre les notes d’après les intervalles dont on a parlé, l’illustre Pythagore fut le premier à mettre au point le monocorde. Comme ce n’est pas lascivité qu’on y trouve, mais une révélation rapide de la connaissance de notre art, il a rencontré un assentiment général chez les savants. Et cet art s’est peu à peu affirmé en se développant jusqu’à ce jour, car le Maître lui-même illumine toujours les ténèbres humaines et sa suprême Sagesse dure dans tous les siècles. Amen.

Voici le schéma (qui se retrouve sur une ardoise posée aux pieds de Pythagore dans la fresque de Raphaël), et qui visualise les harmonies musicales que l’on obtient en divisant un corde. Si l’on la divise en deux, cela donne l’octave, en trois la quinte et en quatre, la quarte. Enfin, épogdoon (du préfixe epi– signifiant au-dessus et ogdoon signifiant le huitième) traduit l’intervalle de 9/8, qui correspond ici au ton.

Schéma (qui se retrouve sur une ardoise posée aux pieds de Pythagore dans la fresque de Raphaël), qui visualise les harmonies musicales que l’on obtient en divisant un corde. Si l’on la divise en deux, cela donne l’octave, en trois la quinte et en quatre, la quarte. Enfin, épogdoon (du préfixe epi– signifiant au-dessus et ogdoon signifiant le huitième) traduit l’intervalle de 9/8, qui correspond ici au ton.

Reprenons donc les rapports harmoniques que découvre Pythagore à partir des poids des marteaux : 12, 9, 8 et 6.

  • Le rapport entre 12 et 6, c’est la moitié et correspond à l’octave (diapason). On la retrouve sur un instrument de musique en faisant vibrer la moitié d’une corde.
  • Le rapport entre 12 et 8 est un rapport de deux tiers, ce qui correspond à la quinte (diapente) ;
  • Le rapport entre 8 et 6, est un rapport de trois quarts, ce qui correspond à la quarte (diatessaron) ;
  • Enfin, le rapport entre 8 et 9 donne l’intervalle d’un ton (épogdoon, le préfixe epi– signifiant au-dessus et ogdoon signifiant le huitième.)

Illustration du traité Theorica musiche (1480, Naples), du théoricien et compositeur Franchini Gaffurio (1451-1522), un ami et collègue de Léonard de Vinci à la Cour des Sforza à Milan.

Ensuite, les pythagoriciens transposèrent les mêmes proportions à d’autres objets, notamment à des volumes d’eau dans des verres, à la taille de cloches ainsi qu’à des disques en bronze ou encore à la longueur des cordes d’instruments de musique ou des flutes.

Pour Pythagore, cette expérience s’avère fondamentale car elle corrobore l’intuition de base de sa philosophie : tout ce qui existe est nombre, y compris des phénomènes aussi peu matériels que les intervalles musicaux.

Dans un fameux passage du Timée (35-36), Platon décrit la fabrication des proportions de l’Âme du Monde par le Démiurge. Ce passage est fondé sur la série numérique 1, 2, 3, 4, 9, 8, 27 — qui correspond à la fusion de la série des premières puissances de 2 (2, 4, 8) et de la série des premières puissances de 3 (3, 9, 27). Or, de cette série, on peut tirer les rapports numériques sur lesquels sont fondés les intervalles musicaux.

Déjà, dans sa Métaphysique, Aristote avait rapporté :

Les pythagoriciens remarquèrent que l’ensemble des modes de l’harmonie musicale et les rapports qui la composent se résolvent dans des nombres proportionnels.

Avec le philosophe français Pierre Magnard, il faut plutôt dire :

Si connaître c’est mesurer, la musique est l’art de poursuivre la mesure au-delà du seuil de l’incommensurabilité. Quand les étalons numériques, métriques et pondéraux ne sont plus capables d’établir de proportions entre les réalités naturelles, l’harmonie vient offrir le secours de ses propres échelles – diatonique, chromatique, enharmonique – et de ses intervalles – quinte, quarte, tierce, octave – pour subvenir au défaut du calcul.

Enfin, comme le précisa le musicologue romain Théon de Smyrne (70-135)  :

Les pythagoriciens affirment que la musique est une combinaison harmonique des contraires, une unification des multiples et un accord des opposés.

A cela s’ajoute que pour les pythagoriciens, la musique avait également une valeur éthique et médicale.

Il faisait commencer l’éducation par la musique, au moyen de certaines mélodies et rythmes, grâce auxquels il produisait des guérisons dans les traits de caractère et les passions des hommes, ramenait l’harmonie entre les facultés de l’âme.

Tout cela faisait donc de Pythagore l’incarnation d’une harmonie cosmique et universelle**.

D’ailleurs, il aurait été le premier à avoir utilisé le mot « cosmos » (perfection, ordre).

Une page de L’Harmonie du monde de Johannes Kepler.

Pythagore, dont le premier vrai astrophysicien Johannes Kepler (1571-1630) fait l’éloge, aurait été le premier à forger le concept de « la musique des sphères » ou de « l’harmonie des sphères ».

Car, comme le précise Sextus Empiricus (vers la fin du IIe siècle), dans ses Esquisses pyrrhoniennes, Pythagore aurait constaté que les distances entre les orbites du Soleil, de la Lune et des étoiles fixes correspondent aux proportions réglant les intervalles de l’octave, de la quinte et de la quarte. Dans la République, Platon affirme qu’astronomie et musique sont des « sciences sœurs ».

Une page de l’Harmonie du Monde où l’astronome Johannes Kepler évoque la musique des sphères.

Copernic admet que les travaux des pythagoriciens ont inspiré ses propres recherches :

« D’autres pensent que la Terre se meut. Ainsi, Philolaos le pythagoricien dit que la Terre se meut autour du Feu en un cercle oblique, de même que le Soleil et la Lune. Héraclite du Pont et Ecphantos le Pythagoricien ne donnent pas, il est vrai, à la Terre un mouvement de translation [mouvement autour du Soleil, héliocentrisme]… Partant de là, j’ai commencé, moi aussi, à penser à la mobilité de la Terre »

(Copernic, lettre au pape Paul III, préface à De revolutionibus orbium cælestium [Des révolutions des orbes célestes], 1543).

Le nom de Pythagore (étymologiquement, Pyth-agoras : « celui qui a été annoncé par la Pythie », la déesse), découle de l’annonce de sa naissance faite par l’oracle à son père lors d’un voyage à Delphes. Cependant, la légende veut que Pythagore soit le fils d’Apollon, le dieu de la lumière, de la poésie et de la musique.

Or, d’après les traditions présocratiques les plus anciennes, Apollon, avait conçu un plan lui permettant de contrôler l’univers. Ce plan se révélait dans « la musique des sphères » sous la sage supervision d’Apollon, le dieu soleil et dieu de la musique ; un dieu grec passé chez les Romains sans avoir changé de nom. On représente Apollon avec une couronne de lauriers et une lyre, entouré des neufs muses.


VISITE GUIDÉE

Après avoir passé en revue la situation politique de l’époque, les motivations du Pape Jules II et de ses conseillers cherchant à rétablir l’autorité d’une « Eglise triomphante », aboutissement ultime et pour les siècles à venir d’une culture qui remonte à Apollon, Moïse, Pythagore, Platon, Cicéron et leurs disciples, le spectateur a désormais quelques « clés » solides (les « codes ») en main lui permettant de « lire » les fresques de Raphaël ornant la « Chambre de la signature ».

Ne disposant d’aucun récit de Raphaël sur son œuvre, cette lecture reste un parcours d’obstacles. Par exemple, l’identification des personnages reste incertaine car, à part quelques rares exceptions, aucune tablette ne nous l’indique. L’idée, de toute façon, c’est que le spectateur, en analysant l’apparence et la gestuelle de chacun, découvre par lui-même, qui est représenté.

Comme nous l’avons dit, en entrant dans la salle, le spectateur est d’emblée sommé d’apprécier chaque fresque non pas de façon isolée, mais comme étant l’expression d’un tout cohérent.

En pénétrant dans la « Chambre de la signature », comme à l’intérieur d’un cube peint, on se rend immédiatement compte d’être face à une mise en scène théâtrale. Car les grandes voûtes que découvre le spectateur ne sont que des images peintes et ne répondent à aucune réalité structurelle de l’édifice. Inghirami était un orateur, un acteur et un metteur en scène sachant qui devait apparaître à quel endroit, avec quelle attitude et habillé de quelle façon. Grâce à cette imagination, une salle à priori rectangulaire et ennuyeuse, a été métamorphosée en un cube sphérique car les coins de la pièce ont été « arrondis » avec du stuc.


A. LE PLAFOND

Le plafond de la Chambre de la signature : A. Les armoiries de Jules II ; B. La Philosophie ; C. La théologie ; D. La Poésie ; E. La Justice. Dans les carrés : 1. Le moteur initial ; 2. Le triomphe d’Apollon sur Marsyas dans la lutte pour la lyre ; 3. La chute où Adam et Eve chassé du Paradis ; 4. Le jugement de Salomon.

Du point de vue thématique, le parcours visuel, comme on pouvait s’en douter, commence au plafond pour finir sur le parterre. Au centre du plafond, un petit cercle avec les armoiries de Jules II. Autour, un octogone entouré de quatre cercles reliés entre eux par quatre rectangles. Chacun des quatre cercles touche le haut d’une des quatre voûtes peintes sur les quatre murs et montre une figure allégorique et un texte annonçant le thème des grandes fresques en-dessous.

A chaque fois, il s’agit de mettre en valeur l’harmonie réunissant l’ensemble des parties. Alors que les vraies incompatibilités sont laissées au vestiaire, les oppositions et les différences formelles seront même fortement mises en valeur, mais exclusivement pour démontrer qu’on peut s’en accommoder en les soumettant à un dessein supérieur.

Les quatre fresques circulaires décorant le plafond de la Chambre de la Signature. En commençant en haut à gauche et dans le sens de la montre : la Théologie, la Philosophie, la Justice et la Poésie.

Ainsi deux doubles thèmes (2 x 2) s’articulent donc :

  • La Philosophie (le vrai accessible par la raison), surnommée L’Ecole d’Athènes, et la Théologie (le vrai accessible par la révélation divine), surnommée depuis le concile de Trente, la « Dispute du Saint Sacrément » ; un thème commun à saint Thomas et aux néo-platoniciens.
  • la Poésie et la musique (le beau), et la Justice (le droit) ; un thème d’origine cicéronienne.
  • Au-dessus le thème de la Philosophie, dans l’un des quatre cercles, est représentée par une femme portant une robe dont chacune des quatre couleurs symbolise les quatre éléments évoqués par un motif : le bleu illustre les étoiles, le rouge les langues de feu, le vert les poissons et le brun doré les végétaux. La philosophie tient deux livres intitulés « Morale » et « Nature », tandis que deux petits genius (génies) portent des tablettes sur lesquelles on peut lire « CAUSARUM » et « COGNITO », lues ensemble « Connaître les causes ». En clair, le but de la philosophie morale et naturelle, est de connaître les causes, c’est-à-dire de remonter vers Dieu.
  • Au-dessus de la Théologie, une femme habillée de rouge et de vert, couleurs des vertus théologiques. Dans sa main gauche, elle tient un livre, sa main droite pointe vers la fresque en bas. Deux génies portent des tablettes disant « DIVINAR.RER » et « NOTITIA », « La révélation des choses sacrées ».
  • Au-dessus de la Poésie, la silhouette ailée de la Poésie portant lyre et couronne de lauriers. Deux putti (angelots) nous présentent des tablettes où sont inscrites des paroles de Virgile : « Insufflé par l’esprit » (NVMINE AFFLATVR). Puisqu’il s’agit de puttis et non pas de génies, il est clairement fait référence à l’esprit chrétien qui inspire les arts.
  • Enfin, au-dessus de la dernière fresque, la Justice, une femme tient les attributs de la justice : la balance et le glaive. Deux putti portent des tablettes avec les paroles de l’empereur Justinien : « IVS SVVM VNICUMQUE », c’est-à-dire, « à chacun sa juste peine ».

Ensuite, toujours au plafond, comme nous l’avons indiqué, quatre fresques rectangulaires reliant les quatre cercles dont nous venons de spécifier la thématique. De nouveau, il s’agit de deux paires qui se complètent.

  • A. Une première fresque rectangulaire, reliant la Philosophie avec la Poésie, nous montre une femme (la sagesse, l’Un) ici cause première et mettant un globe céleste en mouvement et donc l’univers en action. Il peut s’agir de la Sibylle mythique que mentionne Héraclite, une incarnation surhumaine de la voix prophétique. Philosophiquement, il s’agit d’une allégorie de la création de l’Univers (ou Astronomie). La constellation qui figure sur le globe a été identifiée. Elle correspond à la carte du ciel de la nuit du 31 octobre 1503, la date de l’élection de Jules II…
  • B. Le deuxième rectangle, diamétralement opposé du premier et reliant la Justice à la Théologie, représente « Adam et Eve chassés du Paradis ». Considéré comme le début de la théologie, « La chute de l’homme », sera réparée par la « rédemption » qu’apporteront l’Église et le pape Jules II, incarnée par la sagesse créatrice remettant l’univers en marche.
  • C. Le troisième rectangle, reliant la Philosophie et la Justice, représente « Le jugement de Salomon », une scène montrant le jugement sage du Roi Salomon lorsque deux mères réclamèrent le même enfant.
  • D. Et enfin, le quatrième, de l’autre extrémité de la diagonale, reliant la Poésie à la Théologie, représente, non pas « La flagellation de Marsyas » comme on l’a prétendu, mais une autre scène assez rare, « Le Triomphe d’Apollon contre Marsyas » dans la lutte pour la lyre. Ce dernier y reçoit une couronne de lauriers.

Pour leur mise en valeur mutuelle, les deux jugements se fondent sur des bases différentes. Alors que le roi Salomon, représentant l’Ancien Testament, juge sur la base de la Loi divine, Apollon, qui représente ici l’Antiquité, l’emporte grâce aux règles du panthéon païen.


B. LA THÉOLOGIE


(LA DISPUTE DU SAINT SACREMENT)

La Théologie (Dispute du Saint-Sacrément)

Au registre céleste :
A. Dieu le Père, B. Jésus Christ, C. Marie, D. Saint-Jean Baptiste, E. Apôtre Pierre, F. Adam, G. Saint Jean l’Evangéliste, H. Roi David, I. Saint Laurent, J. Judas Macchabée, K. Saint Stéphane, L. Saint Étienne, M. Moïse, N. Jacques le Majeur, O. Abraham, P. Saint Paul, SE. Saint Esprit.


Au registre terrestre :
1. Fra Angelico, 2. ?, 3. Donato Bramante, 4. ?, 5. ?, 6. Pic de la Mirandole, 7. ?, 8. ?, 9. ?, 10. Saint Grégoire, 11. Saint Jérôme, 12. ?, 13. ?, 14. ?, 15. ?, 16. Saint Ambroise, 17. Saint Augustin, 18. Saint Thomas d’Aquin, 19. Le pape Innocent III, 20. Saint Bonaventure, 21. Le pape Sixte IV, 22. Dante Alighieri, 23. ?, 24. ? ; 25. un maçon, 26. ?, 27. ?

Les historiens nous disent qu’elle fut la première fresque à être réalisée. Le cœur du sujet est la Trinité et la « transsubstantiation », un phénomène surnaturel signifiant la conversion d’une substance en une autre, chez les chrétiens, la conversion du pain et du vin en corps et sang du Christ lors de l’Eucharistie sous l’action du Saint Esprit. Ce qui signifiait une « présence réelle » de Dieu lors de la messe et donc un attrait majeur pour attirer les fidèles et obtenir des « indulgences » de sa part. Pour certains humanistes, tels que le protestant suisse Zwingli, toute doctrine de la présence réelle relève de l’idolâtrie car elle reviendrait à vénérer du pain et du vin comme si c’était Dieu.

Erasme, pour qui l’accomplissement des rites ne devait jamais se substituer à la vraie foi, explique que lorsque le Christ disait à ses disciples, en leur offrant du pain, « ceci est mon corps » et « ceci est mon sang », en leur offrant du vin, parlait en réalité, non pas du pain et du vin, mais de ses disciples (son corps) et de son enseignement (son sang).

L’idée qui sous-tend la composition, celle de montrer le triomphe de l’unité de l’Église dans le Christ, maximalise là-aussi les complémentarités.

La scène se déroule sur deux niveaux, un registre céleste et l’autre terrestre.

En haut, au registre céleste, le cœur du sujet, « la Trinité » avec Dieu le Père (A) bénissant trônant au-dessus d’un Christ (C) entouré de Marie (B) (le Nouveau Testament) à sa droite et de Saint-Jean Baptiste (D) (l’Ancien Testament) à sa gauche, eux-mêmes apparaissant au-dessus d’une colombe symbolisant le Saint-Esprit (SE). Autour d’eux, pour faire le pendant de l’architecture de L’Ecole d’Athènes située en face, assises paisiblement sur une banquette de nuages en demi-cercle, les figures remarquables de l’Église triomphante, accompagnées de leurs attributs traditionnels et vêtues d’habits colorés spécifiques de chacune. Aux extrémités du demi-cercle, deux apôtres : l’apôtre Pierre (E) qui représente les Juifs et l’apôtre Paul (P) qui représente les Gentils, se font face, un peu comme s’ils étaient les gardes extérieurs de l’Église triomphante, dépositaires à la fois de la clé et de la lettre de celle-ci. L’Ancien Testament est représenté par Adam (F) qui fait face à Abraham (O), et Moïse (M) face au roi David (H) avec sa harpe à la main. Le Nouveau Testament est également représenté par saint Jean (G) qui fait face à saint Mathieu (N) (deux auteurs de l’Évangile), par saint Laurent (I) et saint Étienne (L) (tous deux saints martyrs).

En bas, au registre terrestre, trône un énorme autel (Y) sur lequel est écrit « IV LI VS » (Jules II). Posé dessus, un ostensoir en or (X) avec une hostie en son centre, proclame la présence du Christ dans le mystère de la transsubstantiation. A côté, les docteurs de l’Église des premiers temps du christianisme : à gauche (sous les traits de Jules II) saint Grégoire (N° 10), le grand réformateur du rituel et du chant de messe, à côté de saint Jérôme (N° 11), l’érudit le plus profond du christianisme), accompagné de son lion. A sa droite saint Augustin (N° 17) et saint Ambroise (N° 16). Ces quatre docteurs sont, au contraire des autres personnages, assis, sur ce qui les rapproche déjà des personnages situés dans les cieux ; on distingue par ailleurs deux docteurs postérieurs que sont saint Thomas d’Aquin (N° 18), dominicain, et saint Bonaventure (N° 20), franciscain.

L’historien Konrad Oberhuber, ajoute que ces deux derniers,

incarnent deux tendances de l’Église : l’une qui voit son essence du christianisme dans le rituel et l’adoration dévote (la dimension du sentiment), l’autre qui défend l’importance de la théologie (la dimension de la pensée).

Avec Dante Alighieri, une des rares figures apparaissant deux fois dans les fresques de Raphaël : Pic de la Mirandole. A gauche, habillé en blanc, dans La Philosophie, à droite dans La Théologie.

Ensuite, les papes Innocent III (1160-1216)(N° 19), pape le plus puissant du Moyen Âge qui établit l’indépendance politique de Rome) et Sixte IV (1414-1471) (N° 21), Francesco della Rovere de son nom) côtoient des religieux comme le dominicain Savonarole (instigateur en 1494 à Florence d’une révolution politique (retour à la République) et morale (rechristianisation) ou, le peintre Fra Angelico (N° 1), contemporain de Savonarole, admiré pour ses fresques et ses peintures sublimes, qu’accompagnent Dante Alighieri (N° 20), dont la Divine Comédie (avec l’enfer, le purgatoire et le paradis) eut une influence sur la théologie au Moyen Âge, Bramante, (N° 3) l’architecte fameux de la basilique Saint-Pierre, sans oublier Pic de la Mirandole (N° 6), (qu’on méprenait pour Francesco Maria della Rovere) qui, les cheveux dans le vent, pointe vers la Trinité dans un déhanchement léger et gracieux. A droite, des maçons (N° 22), qui construisent les églises, se penchent en avant. Si à droite, derrière les figures, les fondations de marbre blanc (Z), font allusion à la nouvelle basilique Saint-Pierre dont Jules II vient de lancer la reconstruction, à gauche une église villageoise (Q) rappelle que le christianisme doit pénétrer dans le quotidien des humbles.


C. LA PHILOSOPHIE


(L’ÉCOLE D’ATHENES)

La Philosophie (« Ecole d’Athènes »).
1. Porphyre, 2. Plotin, 3. Alcibiade, 4. Criton, 5. Phédon d’Elis, 6. Socrate, 7. Isocrate, 8. Parménide, 9. Platon, 10. Aristote, 11. ? ; 12. ?, 13. Appelles de Cos, 14. Protogène, 15. Strabon, 16. Ptolémée, 17 Hippocrate de Cos, 18. Diogène de Sinope, 19. Héraclite d’Éphèse, 20. Anaximandre de Milète, 21. Pic de la Mirandole, 22. Pythagore, 23. Boèce, 24. Avicenne, 25. Épicure, 26. Métrodore.

Une belle perspective centrale rassemble 58 penseurs grecs et d’autres personnages dans un temple idéal. Aucun effet de clair-obscur ne vient troubler l’équilibre des couleurs et la clarté de la composition.

Le penseur américain Lyndon LaRouche (1922-2019), lors de sa visite au Vatican, s’émerveilla de l’harmonie gracieuse qui rayonne de cette œuvre. Elle ne pouvait qu’entrer en résonance avec un concept que LaRouche développa tout au long de sa vie : celle de la « simultanéité de l’éternité » ; cette idée poétique que les idées « immortelles » continuent leur dialogue dans un lieu au-delà de l’espace-temps matériel.

Selon les historiens, Raphaël, face à la tâche herculéenne que représentait cette série de portraits à réaliser, et faute d’informations visuelles fiables sur les figures à représenter, aurait dépêché l’un de ses assistants en Grèce afin de lui fournir une documentation à la hauteur du défi.

Petit détail : il ne s’agit nullement d’Athènes ou de la Grèce, mais de Rome. L’architecture s’inspire clairement de l’église Sant-Andrea de Mantoue, rénovée peu avant sa mort par Léon Battista Alberti (1404-1472) et des projets du Bramante pour la reconstruction de la basilique Saint-Pierre à Rome.

Nef de l’église Sant-Andrea à Mantoue, réalisée en 1473 par l’architecte Leon Battista Alberti.

Si sur les dessins préparatoires on retrouve bien l’escalier, les grandes arches avec leurs voûtes à caissons, typiques de la coupole du Panthéon romain, n’y figurent pas. Autre source d’inspiration probable, les arches, elle aussi avec des voûtes à caissons, de la basilique de Maxence et Constantin, construite à Rome au début du IVe siècle pour réaffirmer la puissance de la beauté de la ville éternelle. Il n’est pas exclu que le Bramante lui-même, qui avait réalisé un trompe-l’œil faisant appel à ce type de motif dans l’abside de l’église Santa Maria presso San Satiro à Milan, les ait dessinées en personne. Avec trois arches (tetrade) et sept rangées de caissons, la numérologie pythagoricienne n’a pas été oubliée.

Visuellement, l’ensemble se divise en deux. Le public se trouve au même niveau que le premier plan, un parterre pavé derrière lequel un très large escalier conduit vers un parvis surélevé. Pour le spectateur, une perspective légèrement cavalière renforcera la dimension monumentale des figures du niveau supérieur. Ce cadre rappelle immanquablement celui d’un décor de théâtre. Les acteurs, arrivant de l’ancien monde, peuvent entrer en scène d’un côté, sous la statue du dieu grec Apollon (A), dieu de la lumière, et partir de l’autre, vers le nouveau monde, sous la statue de Pallas Athena (B) devenue Minerve chez les Romains, protectrice des Arts, échanger entre eux, s’adresser à l’auditoire ou monter les escaliers et sortir par le fond.

Au centre du parvis et au centre d’une perspective à point de vue central, Platon (N° 9) et Aristote (N° 10) y avancent côte à côte vers les spectateurs. Le premier, le Timée à la main, pointe un doigt vers le ciel signifiant qu’au-delà du visible, un principe supérieur existe. Le deuxième étend son bras et sa main à l’horizontale soulignant que toute vérité nous vient du témoignage des sens, tout en portant de l’autre bras l’Ethique. Bizarrement, il s’agit des deux seuls livres dans la stanza dont les noms apparaissent en italien (Timeo, Etica) et non pas en latin. Comme l’observe le critique d’art Eugenio Battisti (1924-1989) :

Si l’on (…) examine le titre des ouvrages respectivement tenus par Platon et Aristote, on y voit le philosophe de l’Académie tenir le Timée, c’est-à-dire le plus aristotélicien et le plus systématique de ses ouvrages et le stagirite, l’Éthique à Nicomaque, c’est-à- dire la plus platonicienne de ses œuvres.

Y compris le choix des couleurs des habits valorise la complémentarité de Platon et Aristote.

Les couleurs des vêtements des deux philosophes symbolisent les quatre éléments : Platon est vêtu en rouge (le feu) et pourpre (l’éther) ; Aristote en bleu (l’eau) et jaune (la terre).

Si l’ensemble de la fresque coupe le monde en deux entre platoniciens et aristotéliciens, les deux marchent ensemble vers ce qui est devant eux et qui se trouve derrière le spectateur qui regarde : vers la fresque de La Théologie avec la Trinité au centre sans oublier l’ostensoir et l’imposant autel sur lequel est marqué « JV-LI-VS ». Quelle libéralité de l’Eglise d’accueillir tant de païens en son sein !

Platon et Aristote, en échangeant, avancent vers le spectateur et la fresque en face où se trouve, au centre cet autel. On y lit deux fois: « Julius », etc

Raphaël communique ainsi un grand sens de mouvement. De la même façon qu’au XVIIe siècle, le peintre néerlandais Rembrandt, dans son chef-d’œuvre La Compagnie du capitaine Banninck Cocq, dite « La Ronde de nuit », rompra avec les représentations formelles des dignitaires des corporations de villes, Raphaël tire ici un trait sur les représentations figées et statiques des séries de « grandes hommes » décorant souvent les palais et bibliothèques des grands princes et seigneurs dans le style de son maître Le Pérugin.

Sa fresque, à l’instar de la Cène de Léonard à Milan, s’organise comme un enchaînement de petits groupes de trois ou quatre personnes dialoguant avec un grand penseur ou entre eux, sans jamais se désaccorder de ce qui se passe autour. Dans ce sens, Raphaël a traduit en images, et donc rendu accessible aux yeux des spectateurs, cette unité harmonique transcendant le multiple si recherchée par les commanditaires.

Raphaël et Inghirami n’ont pas hésité à se servir, pour représenter des figures historiques, des portraits de personnes vivant à leur époque. A part eux-mêmes, on y trouve leur commanditaire, leurs collègues ainsi que d’autres personnalités qu’ils espéraient satisfaire ou charmer.

Sur l’avant-plan, quatre groupes se présentent.

L’impresario de Raphaël, le libraire-en-chef du Pape, Tommaso Inghirami en Epicure dans la fresque de Raphaël. Il porte non pas une couronne de lauriers, mais de feuilles de chêne, armoiries du pape Jules II.

A gauche, Epicure (N° 25), ici avec les traits d’Inghirami en train d’écrire la mise en scène de la pièce. Né à Samos comme Pythagore, il porte ici, non pas une couronne de lauriers, récompense accordée aux grands orateurs, mais une couronne de feuilles de chêne, symboles que l’on retrouve dans l’armoirie du pape Jules II. Certains historiens pensent qu’Inghirami était un adepte dionysiaque de l’Orphisme, un autre courant présocratique. Dionysos est en effet le frère d’Apollon et selon certains, leurs enseignements ne font qu’un.

Comme nous l’avons mentionné plus haut, peu après la mort de Raphaël (1520), le cardinal Jacopo Sadoleto a publié un traité dans lequel Inghirami défend la rhétorique et nie toute valeur de la philosophie, son argument majeur étant que tout ce qui s’écrit figure déjà dans les textes mystiques et mythologiques d’Orphée et de ses adeptes.

A Rome, les érudits de l’époque connaissaient Epicure surtout par leurs lectures de Cicéron pour qui Epicure n’était pas un débauché mais quelqu’un qui cherchait le plaisir le plus noble. Cicéron entretenait une amitié avec un philosophe épicurien, un certain Phaedrus, comme par hasard le surnom d’Inghirami…

Enfin, à l’extrême gauche, se trouvent un vieillard barbu, le penseur grec Métrodore (N° 26), disciple d’Anaxagore et pour qui c’est « l’esprit agissant » qui organisa le Monde. Devant lui, un nouveau-né. Ensemble ils pourraient symboliser la naissance de la vérité (l’enfant) et la sagesse (le vieillard) et l’expérience.

Pythagore de Samos, dans La Philosophie. Sur l’ardoise, en bas, la fameuse Tétraktys, en haut, les rapports harmoniques de la gamme musicale.

A côté, un peu plus au centre, la figure imposante de Pythagore (N° 22) (que l’historien italien Georgio Vasari méprend pour l’évangéliste saint Matthieu), assis avec un livre, un encrier et un crayon, en train d’écrire entouré de personnes visiblement intriguées.

Derrière lui, assis sur la gauche, un vieillard, représentant Boèce (N° 23), auteur romain, au VIe siècle, d’un traité sur la musique dont la première partie évoque « l’harmonie des sphères », tente de regarder ce qu’il écrit dans son livre. Sans capter un moment de transformation potentielle, comme Léonard savait le faire, la scène s’inspire visiblement de son tableau inachevé, l’Adoration des mages.

A ses pieds, une ardoise noire où figurent aussi bien la fameuse Tetraktys qu’un diagramme des intervalles musicaux (voir chapitre sur Pythagore).

Puisqu’il est impossible qu’il s’agisse d’Averroès (bani de l’église par les Thomistes), l’homme enturbanné qui semble l’admirer pourrait être Avicenne (Ibn Sina) (N° 24). Ce médecin perse, influencé par la pensée aussi bien d’Hippocrate que de Galien, dans son Qanûn (Canon de la médecine), opère une vaste synthèse médico-philosophique de la logique d’Aristote qu’il corrige et un néo-platonisme compatible avec le monothéisme.

Il pourrait également s’agir d’Al Fârâbi (872-950), autre scientifique et musicien arabe qui a cherché réconcilier la foi, la raison et la science avec la philosophie de Platon et d’Aristote dont il avait fait des traductions du grec à l’arabe. Avicenne l’admirait et le titre d’une des oeuvres d’Al Fârâbî ne laisse aucune ambiguïté : « L’Harmonie des opinions des deux sages : Platon le divin et Aristote »

Par ailleurs, vu son positionnement du côté des platoniciens, bien qu’il porte un turban blanc, il est totalement exclu qu’il s’agisse ici d’Averroès ({Ibn Rushd}), auteur terrassé par Thomas d’Aquin (voir les tableaux figurant Le Triomphe de saint Thomas) puis par les néoplatoniciens de Florence pour avoir nié l’immortalité de l’âme individuelle.

Plus au centre de la fresque, deux figures isolées plongées dans leurs pensées. La première, à gauche, semble avoir été ajoutée ultérieurement par Raphaël et ne figure pas sur son dessin. L’homme s’assoupit sur un cube, volume pythagoricien par excellence. Il s’agirait d’Héraclite d’Ephèse (N° 19) (un présocratique ionien pour qui « il n’est de permanent que le changement ») avec les traits de Michel-ange. Ce sculpteur fascina Raphaël, non seulement pour ses dons en dessin, en anatomie et en architecture, mais aussi par son esprit d’indépendance vis-à-vis d’un pape qu’il estimait tyrannique.

Précisons qu’il est admis que si le Moïse, que Michel-Ange a sculpté pour le tombeau de Jules II, jette un regard furieux, c’est que l’artiste à capté le moment où Moïse, en descendant du Mont Sinai avec les Tables de la Loi, constate que le peuple hébreu a recommencé à adorer des idoles, tel « le Veau d’or ». Irrité contre ce retour à l’idolâtrie, Moïse brise alors les Tables de Loi.

De Pythagore à Platon. Un détail interroge : Anaximandre de Milet pose ici son pied droit sur un bloc cubique de marbre dont le volume semble huit fois moindre que celui sur lequel se repose Héraclite d’Ephèse. Or, pour résoudre le problème de Délos (la duplication du volume du cube) il faut attendre le pythagoricien et ami de Platon, Archytas de Tarente.

Anaximandre de Milet (N° 20) (et non pas Parménide), lui aussi un représentant de l’école ionienne, se dresse derrière Héraclite et semble contester la démonstration de Pythagore (représentant de l’école dite « italienne »). Dans son dos, un jeune homme aux longs cheveux, regarde le spectateur. Vêtu d’une toge blanche, attribut des pythagoriciens, il s’agirait, une fois de plus de Pic de la Mirandole (N° 21), triomphant et entouré de Pythagore et deux de ses disciples. Une légende veut que Raphaël aurait représentée Hypatie d’Alexandrie (v. 370-415), une mathématicienne ayant dirigé l’école néoplatonicienne d’Alexandrie. Lorsqu’un des cardinaux examina le tableau et sut que la femme représentée était Hypatie, il aurait ordonné qu’elle en soit effacée. Raphaël aurait obéi, mais l’aurait remplacée par la figure efféminée d’un neveu du pape Jules II, François Marie Della Rovere, futur duc d’Urbin.

S’il s’agit réellement de Pic de la Mirandole, il s’agirait d’un superbe éloge, car figurant aussi bien dans La Philosophie que dans La Théologie, les deux images de Pic, rappellant l’ange agenouillé qui regarde le spectateur tout en pointant du doigt saint Jean-Baptiste dans La Vierge aux Rochers de Léonard, peuvent se contempler l’une l’autre !

La deuxième figure isolée, étalée nonchalamment sur les escaliers, est le philosophe cynique et hédoniste Diogène de Sinope (N° 18), ici présenté comme un ascète, mais dans la tradition aristotélicienne.

Le géomètre (Hippocrate de Chios?).
Ardoise du géomètre.

Ensuite, au centre droit, un groupe magnifique de jeunes, ébahis par leurs découvertes et échangeant leurs regards complices avec leurs camarades, autour d’un géomètre qui examine ou trace au compas des lignes parallèles à l’intérieur d’une étoile hexagonale sur une ardoise posée par terre. Il s’agit de l’illustration d’un théorème dont ne parlent ni Euclide (un aristotélicien), ni Archimède, alors que l’on attribue l’identité de l’un ou de l’autre à cette figure sous les traits de l’architecte Donato Bramante.

Il pourrait s’agir, c’est ma conviction, du géomètre Hippocrate de Chios (N° 17) dont parle Aristote en grand bien. Il a écrit le premier manuel de mathématiques, intitulé Les éléments de la géométrie. Ce travail précède d’un siècle les Éléments d’Euclide. A moins qu’il ne s’agisse de l’architecte Leon Battista Alberti, dont l’église de Mantoue a pu inspirer le Bramante et après tout, auteur, en 1935, de De Pictura, un traité (d’esprit aristotélicien) sur la perspective.

Cependant, en 1485, dans son traité sur l’architecture De re Aedificatoria, Alberti, dans un passage (IX, 5) qui a pu intéresser l’auteur de la fresque, souligna que :

La beauté consiste dans une harmonie et dans un accord des parties avec le tout, conformément à des déterminations de nombre, de proportionnalité et d’ordre telles que l’exige l’harmonie, c’est à dire la loi absolue et souveraine de la nature.

Sur le bord de la tunique : R.V.S.M. (Raphael Vrbinas Sua Manu,
c’est-à-dire, en français : « De la main de Raphaël d’Urbino »).

Enfin, pour ajouter au mystère, on peut lire sur le col de la tunique de cette figure : « R.V.S.M. » (Raphael Vrbinas Sua Manu, c’est-à-dire, en français : « De la main de Raphaël d’Urbino »).

Car, ce qu’aborde le géomètre sur l’ardoise, c’est le rôle que jouent les diagonales de l’hexagone. La réponse est fournie par le tracé géométrique, sous forme d’un hexagone, qui sous-tend la construction de la perspective de la fresque. Les diagonales y font apparaître une belle complémentarité entre la moyenne arithmétique et la moyenne harmonique (voir infographie). C’est une démonstration magistrale dans le domaine du visible, du concept structurant toute la thématique de l’œuvre : la complémentarité, fondement de l’harmonie universelle.

En traçant la ligne d’horizon et les lignes de fuites de la perspective à partir du bas des corniches de chaque arche, le triangle isocèle OAB apparaît. En l’inscrivant dans un cercle dont le centre est le point de fuite central (O), l’on obtient un hexagone. En traçant les diagonales (XB) de cet hexagone, l’on obtient aussi bien la moyenne arithmétique (Y) que la moyenne harmonique (Z). Le tour est joué ! Car leur complémentarité illustre à merveille le motif directeur de l’ensemble de la Chambre de la Signature : l’harmonie universelle qui ordonne la beauté des proportions de l’univers. Crédit : Karel Vereycken

A droite, les géographes Ptolémée (N° 16) et Strabon (N° 15) (avec les traits de Baldassare Castiglione un ami de Raphaël ?) que l’on identifie sans réelles preuves à Zoroastre mais auquel en effet se réfère Pic de la Mirandole, se retrouvent face à face. Le premier montre la terre comme une sphère, le deuxième arbore un globe céleste.

Enfin, à l’extrême droite du premier registre, avec les traits de Raphaël, le peintre légendaire de la cour d’Alexandre le Grand, Appelles de Cos (N° 13). Rappelons que, de son vivant, Raphaël fut surnommé « l’Appelles de son temps ». A côté, son rival, le peintre grec Protogène (N° 14) sous les traits du collègue de Raphaël, le sulfureux mais virtuose fresquiste Sodoma. Venus du monde des artisans, il s’agit ici de marquer l’entrée de deux peintres-décorateurs dans « la cour des grands » et faisant leurs premiers pas dans le monde de la philosophie.

Raphaël, carton préparatoire pour Platon et Aristote. Dans la version finale, leurs tailles respectives ont été égalisées.

Sur le parvis, le sujet central, comme nous l’avons dit, Platon et Aristote. Les traits de Platon dans la fresque n’ont rien à voir avec un quelconque portrait supposé de Léonard de Vinci. Né en 1452, ce dernier n’avait que 56 ans lors de la réalisation de la fresque. Raphaël se serait servi de l’image d’un buste de Platon découvert à Athènes dans les ruines de l’ancienne académie.

Dans l’attroupement à gauche de Platon, se trouve Socrate (N° 6), son maître à penser dont tout le monde connaissait le visage, grâce à des statues romaines. L’identification des autres figures reste largement hypothétique. On pense aux orateurs des dialogues de Platon. Proche de Socrate, son vieil ami Criton (N° 4). Derrière Socrate, l’intellectuel athénien Isocrate (N° 7) qui s’était retiré de la vie politique et bien que proche de Socrate, s’érigeait en rival de Platon. Proche de ce dernier, les cinq interlocuteurs du dialogue de Platon, le Parménide. Parmi eux, Parménide (N° 8), considéré à l’origine du concept de l’Un et du multiple, et le penseur présocratique Zénon d’Elée, réputé pour ses paradoxes philosophiques.

On évoque également le général athénien (ici habillé en soldat romain) Alcibiade (N° 3) et le jeune vétus de bleu pourrait être Phédon d’Elis (N° 5) ou Xénophon, écoutant tout deux un Socrate comptant sur ses doigts, un geste suggérant sa fameuse dialectique.

Tout autoir des penseurs grecs, d’autres figures s’agitent. Derrière Alcibiade, un personnage (peut-être un bibliothécaire) retient un autre personnage en train de courir, le priant d’éviter de déranger les échanges en cours entre philosophes et scientifiques.

A l’extrême gauche, un homme avec un chapeau entre sur scène. Il pourrait s’agir de Plotin (N° 2), une figure fondatrice du néoplatonisme admirée par Bessarion, accompagné de Porphyre (N° 1), un autre néoplatonicien qui apporta sa biographie de Pythagore en messager de l’ancien monde.

A la Renaissance, la réalisation d’une fresque (peint sur du plâtre frais) n’est plus liée à la position des échafaudages (ponts) mais à la décision des ouvriers et des artistes quant à la surface à réaliser dans le cadre d’une journée (giornata) de travail. Généralement il s’agissait d’une surface entre 1 et 4 m2.
Ici les giornata de l’Ecole d’Athènes.

D. LA JUSTICE

La Justice.
A. La Fortitude, B. La Prudence et C. Tempérance.
1. Justinien, 2. Tribonien, 3. Le pape Paul III, 4. Antonio Del Monte, 5. Le pape Léon X, 6. Le pape Grégoire IX, 7. Le pape Clément VII.

En haut, dans la lunette, les trois vertus représentées seraient la Fortitude (A), la Prudence (B) et la Tempérance (C). Avec la Justice, elles constituent les quatre vertus cardinales (profanes). La figure féminine centrale, qui tient un miroir, désigne la Prudence. A gauche, la Fortitude tient dans ses mains une branche de chêne, allusion à la famille della Rovere de laquelle était issue Jules II, le pape commanditaire de ces fresques.

En dessous, une fois de plus la complémentarité est à l’œuvre. A gauche, peint par Lorenzo Lotto, l’empereur romain Justinien (N° 1) reçoit les Pandectes (la loi civile) du juriste byzantin Tribonien (N° 2).

A droite, en pendant, sous les traits de Jules II, le pape Grégoire IX (N° 6) promulgue les Décrétales  ; somme magistrale de droit canonique dont il avait ordonné la compilation raisonnée et dont il ordonna la publication en 1234.

A sa droite (donc à la gauche du spectateur), on voit un cardinal, en robe violette, ayant les traits du cardinal Jean de Médicis, futur pape Léon X (N° 5). Les deux autres cardinaux derrière lui seraient Alessandro Farnese, le futur pape Paul III (N° 3), et Antonio Del Monte (N° 4). Et à sa gauche (à droite pour le spectateur) un cardinal représentant du cardinal Jules de Médicis, le futur pape Clément VII (N° 7). Avec votre image immortalisée sur une fresque située au bon endroit, votre carrière pour finir pape semblerait mieux engagée !

Le fait que Jules II soit représenté portant la barbe permet de dater la fresque au-delà de juin 1511. En effet le pontife, parti de Rome imberbe pour faire la guerre, laissa ensuite pousser sa barbe et fit le vœu de ne pas la raser avant d’avoir libéré l’Italie.

Or il revint à Rome en juin. Les historiens soulignent que la mise en avant du portrait du pape indique comment le thème de la décoration des Chambres se transforma, vers 1511, en celui de la glorification de la papauté. La Justice devient ainsi le droit de Jules II d’imposer « sa » justice.


E. LA POESIE


(LE PARNASSE)

La Poésie (Le Parnasse).
Les poètes :
1. Alcée de Mytilène, 2. Corinna, 3. Pétrarque, 4. Anacréon, 5. Sappho, 6. Ennius, 7. Dante, 8. Homère, 9. Virigile, 10. Stace, 11. Apollon, 12. Tebaldeo, 13. Bocace, 14. Tibulle, 15. L’Arioste, 16. Properce, 17. Ovide, 18. Sannzaro, 19. Pindare.
Les neufs muses :
A. Thalie, B. Clio, C. Euterpe, D. Calliope, E. Polymnie, F. Melpomène, G. Terpsichore, H. Uranie, I. Erato.

Une fenêtre réduit l’espace disponible pour la fresque à une grande lunette ou les personnages sont répartis en petits groupes sur une ligne en demi-cercle.

L’idée sous-jacente ici, prise de saint Thomas, c’est que la vérité se rend accessible à l’homme, soit par la Révélation (Théologie), soit par la Raison (Philosophie). Pour l’école néoplatonicienne, cette vérité se manifeste à nos sens en passant par le Beau (poésie et musique).

La scène peinte ici se déroule près de Delphes, au sommet du Parnasse, la montagne sacrée d’Apollon et demeure des Muses de la mythologie grecque.

La grande fenêtre autour de laquelle s’organise la fresque offre une vue, au-delà du cortile (petit temple circulaire) du Bramante, sur la colline du Belvédère (le mons Vaticanus), où l’on donnait des spectacles et où, dans l’Antiquité, on honorait Apollon, ce qui lui valait le nom d’Apolinis.

Apollon est le patron des musiciens : « c’est par les Muses et l’archer Apollon qu’il est des chanteurs et des citharistes », dit Hésiode. Il inspire même la nature : à son passage « chantent les rossignols, les hirondelles et les cigales ». Sa musique apaise les animaux sauvages et meut les pierres. Pour les Grecs, musique et danse ne sont pas seulement des divertissements : elles permettent de guérir les hommes en accordant les discordances qui rongent leur âme et donc de supporter la misère de leur condition.

Au sommet de la colline, sept lauriers. Près de la source Castalia, Apollon (N° 11), couronné de feuilles lauriers et au centre de la composition, accorde autour de lui les neufs muses (A à I) en jouant sur sa lyre. Sur le côté gauche Calliope (D), celle « qui a une belle voix » et représente la poésie épique, et à droite, Erato (I), « L’aimable » qui représente la poésie lyrique et érotique ainsi que le chant nuptial. Chacune préside à accorder le chœur de l’autre : à gauche derrière Calliope, Thalie (A)(« la florissante, l’abondante »), Clio (B) (« qui est célèbre » et représente l’histoire) et Euterpe (C) (« la toute réjouissante » qui représente la musique). Enfin, juste derrière Erato, Polymnie (E) (« celle qui dit de nombreux hymnes » et représente la rhétorique, l’éloquence et la pantomime), Melpomène (F) (« la chanteuse » qui représente la tragédie et le chant) ; Terpsichore (G) (« la danseuse de charme » ) et Uranie (H) (« la céleste » qui représente l’astronomie).

Et point n’est besoin d’être Pythagore pour compter 7 lauriers sur la montagne et se rappeler que neuf muses plus Apollon font… dix.

Comme le rappelle une des fresques carrées du plafond, Apollon avait triomphé sur Marsyas dans un combat pour s’emparer de la lyre, considérée comme l’instrument divin capable de conduire les âmes au ciel, mieux que la flûte qui n’excite que les basses passions. En détachant l’homme de ses préoccupations matérielles immédiates, la lyre victorieuse permettait de susciter l’amour divin chez les hommes. A cela s’ajoute que chez les Romains, on connaissait une lyre à sept cordes, un héritage pythagoricien, le chiffre sept faisant référence aux sept corps célestes orbitant autour du feu central.

Pour les pythagoriciens et également Héraclite, l’imitation de « l’harmonie des sphères », grâce aux harmonies produites par les sept cordes, permet la purification des âmes.

Apollon au Mont Parnasse, gravure sur bois d’Hans von Kulmbach, publié en 1502.

Cependant, étrangement, Apollon ne tient pas en main une lyre traditionnelle à quatre cordes, mais une lira da braccio (lire à bras). Si Apollon joue ici de la lyre à bras, les muses Calliope, Erato et la sybille Sapho tiennent des lyres identiques à celles du sarcophage dit « des Muses » du Museo delle Terme à Rome.

Dans de nombreuses représentations du XVIe siècle, la lyre à bras est jouée par un ensemble d’anges ou par des personnages mythologiques, tels Orphée et Apollon, mais aussi le roi David, Homère ou des Muses. Parmi ses interprètes, l’on compte notamment Léonard de Vinci, considéré comme le doyen parmi les artistes interprètes de la lire à bras.

L’instrument se dessine essentiellement comme un violon, mais avec une touche plus large et un chevalet plat qui permet un jeu en accords. La lyre est dotée généralement de sept cordes : quatre comme un violon, augmentées d’une corde grave supplémentaire (ce qui fait cinq) et deux cordes passant au-delà de la touche, qui ne sont pas jouées mais servent de bourdon et résonnent à l’octave.

Or, Raphaël, pour créer une harmonie parfaite avec le nombre des muses autour d’Apollon, va faire passer le nombre de cordes de sept à neuf, c’est-à-dire sept ajustables plus deux bourdons.

Ce détail concernant la lyre nous semble avoir été modifiée dans le temps. En effet, une reproduction gravée, de 1517, sans doute à partir de dessins antérieurs à la fresque, ou de son avant projet, par Marcantonio Raimondi, révèle un état bien différent de ce que l’on voit aujourd’hui.

Marcantonio Raimondi, gravure (vers 1517) d’après le Mont Parnasse de Raphaël à la Chambre de la signature.

La composition est moins dense et met en valeur, comme l’Ecole d’Athènes, plusieurs groupes de trois personnages chacun. Ce qui frappe d’abord, c’est que la lyre ancienne dont joue Apollon repose sur sa cuisse, alors que dans la version actuelle, Apollon, un fait vibrer les cordes de sa lira da braccio avec un archet, tout en regardant vers le ciel, en accord avec la fresque du plafond où sont inscrits des paroles de Virgile : « Insufflé par l’esprit » (NVMINE AFFLATVR).

Tout autour, dix-huit poètes sont divisés en plusieurs groupes L’identification de certains est sans équivoque, celle d’autres plus douteuses. Ils sont tous enchaînés les uns aux autres par des gestes et des regards, en formant une sorte de croissant continu.

En haut à gauche, le père de la poésie latine Ennius (N° 6), assis, écoute ravi le chant d’Homère (N° 8), tandis que Dante (N° 7), plus en arrière regarde Virgile (N° 9) qui se retourne vers lui, le poète romain Stace (N° 10), sous les traits d’Ange Politien, à ses côtés. Ce dernier était un disciple du néoplatonicien Marsile Ficin. Pour représenter les figures historiques, Raphaël s’inspira de la statuaire romaine. Ainsi, pour le visage d’Homère, il a repris l’expression dramatique du Laocoon retrouvé quelques années auparavant, en 1506, à Rome.

En bas à gauche se trouvent le poète grec Alcée de Mytilène (N°1), la poétesse grecque Corinna (N° 2), Pétrarque (N° 3) ainsi que le poète grec Anacréon (N° 4). Dans la version finale, deux personnages qui sortent du cadre sont venus enrichir la composition. A gauche, la sibylle Sappho (N° 5) comme l’indique une tablette. Considérée comme la première poétesse de la Grèce antique, elle a vécu aux VIIe et VIe siècle av. JC. D’après les Hymnes homériques, c’est elle qui aurait construit la première lyre afin d’accompagner la récitation poétique. Unique femme dans l’ensemble de la « Chambre de la signature » elle est peinte avec une monumentalité qui n’est pas sans rappeler celle de Michel-Ange dans la chapelle Sixtine.

Sappho fait le pendant à Pindare (N° 19), et non pas Horace comme on le prétend, considéré comme l’un des plus grands poètes lyriques de la Grèce et pour qui Apollon était le symbole de la civilisation. Pindar est ici en conversation avec le poète italien Jacopo Sannazaro (N° 18), habillé en bleu et debout, et au-dessus d’eux Ovide (N° 17).

A droite, sur le flanc du mont, outre Pindare, Sannazaro et Ovide, cinq autres poètes et orateurs : Antonio Tebaldeo (N° 12), le dos tourné vers Apollon et sous les traits de Baldassare Castiglione ?), Bocace (N° 13), derrière, Tibulle (N° 14), Ludovico Ariosto (N° 15), Properce (N° 16), sous les traits du cardinal poète très « pétrarquiste » Pietro Bembo, un ami d’Inghirami et ennemi d’Erasme, et à ses côtés deux poètes inconnus dits « poètes du futur jugeant le passé ».

L’identification de ces personnages reste largement hypothétique et controversée. Pour arriver à des résultats satisfaisants, il faudrait selon l’historien Albert Chastel, trouver des correspondances précises entre les neuf muses, neuf poètes classiques et neuf modernes, outre le groupement par genre poétique.

Après la mort de Jules II, le pape Léon X fera de la « Chambre de la signature » son salon de musique, remplaçant les livres de son prédécesseur (qui seront déménagés vers la grande bibliothèque de l’étage inférieur) par des intarsiae. Léon X fera également achever le pavement.


F. LA MOSAIQUE AU SOL

Mosaïque de la Chambre de la signature
A. Armoiries du pape, B. Bras spiralé, C. Etoile de David, référence à l’héritage juif.
Détail de la mosaïque de la Chambre de la signature. On peut lire IVLIUS II PONT MAX.

La mosaïque de la « Chambre de la signature » se dit « cosmatesque », d’après le nom des Cosmati, une vieille famille d’artisans et spécialisée dans les mosaïques à quatre couleurs. Certains matériaux proviennent des ruines romaines, le marbre vert du Péloponnèse en Grèce, le porphyre d’Assouan en Egypte, et le marbre jaune d’Afrique du Nord. Le marbre blanc, est originaire des fameuses carrières de marbre de Carrare où Michel-Ange choisissait ses matériaux.

Comme au plafond, au centre de la pièce les armoiries du pape (A), cette fois-ci à l’intérieur d’un carré (son règne terrestre) inscrit dans un cercle (sa mission théologique). Ce premier cercle est entouré de quatre bras spirales qui engendrent chacun un nouveau motif circulaire (B). Ce motif serait d’origine juive. L’étoile de David (C) apparaît à plusieurs reprises dans ce tourbillon créationnel. La doctrine des quatre mondes, décrite dans la cosmologie cabalistique souligne leur unité dynamique.

Après tout, pour Gilles de Viterbe, la découverte récente à l’époque des écrits mystiques juifs relevait de la même importance que la découverte de l’Amérique par Christophe Collomb. Rappelons que pour Jules II, tout comme Platon et Pythagore, Moïse, que Michel-ange sculpte pour son tombeau, annonçait déjà le triomphe ultérieur de l’Église de Rome qui en fera, sous sa direction, la synthèse.

Conclusion

Ainsi, toute la thématique de la « Chambre de la signature » trouve sa pleine cohérence avec l’idée de l’harmonie et de la concordance

Mais lorsqu’on y regarde de plus près, l’on constate qu’il ne s’agit que d’une « complémentarité » au niveau des formes et au service d’un pouvoir temporel déguisé en mission divine. Raphaël, un peintre talentueux, s’y est soumis en fournissant le produit pour lequel on le payait. Il peindra des choses bien pire en se soumettant aux caprices païens du banquier de la papauté Agostino Chigi pour la décoration de sa villa, la Farnesine.

Avec la « Chambre de la signature », on est donc très loin de cette fameuse « coïncidence des opposés » chère à Pythagore, Platon et Nicolas de Cues, qui permet, dans une recherche sans concession de la vérité et par amour de l’humanité, de dépasser les paradoxes et de résoudre un grand nombre de problèmes à partir d’un point de vue supérieur.

En empilant les allégories et les symboles, si elle impressionne, cette œuvre magistrale finit par nous étouffer. Par les règles de sa composition, elle ne peut que sombrer dans le théâtrale et le didactique. Dans un univers purgé de la moindre ironie ou surprise, aucune vraie métaphore saura nous éveiller. Et bien que Raphaël a tenté d’y amener un peu de vie, le spectateur se retrouve fatalement avec un vaste sédiment d’idées fossilisées, aussi mortes que les plus glorieuses ruines de l’Empire romain.

Bibliographie sommaire :

  • Jules II, Ivan Cloulas, Fayard, Paris 1990 ;
  • Léon X et son siècle, Gonzague Truc, Grasset, Paris, 1941 ;
  • Une histoire des empires maritimes, Cyrille P. Coutensais, CNRS, 2013 ;
  • L’Humanisme, l’Europe de la Renaissance, André Chastel et Robert Klein, Editions Skira, Genève, 1995 ;
  • L’Arétin ou l’insolence du plaisir, Bertrand Levergeois, Fayard, Paris, 1999 ;
  • Giorgio Vasari, l’homme des Médicis, Grasset, Paris, 1995 ;
  • Marsile Ficin et l’Art, André Chastel, Droz, Genève, 1996 ;
  • Raphael and the Pope’s librarian, Nathaniel Silver, Ingrid Rowland, Paul Holberton Publishing, 2019 ;
  • Raphael’s Stanza della Signatura, Meaning and Invention, Christiane L. Joost-Gaugier, Cambridge University Press, 2002 ;
  • Pythagoras and Renaissance Europe, Finding Heaven, Christiane L. Joost-Gaugier, Cambridge University Press, 2009 ;
  • Raphaël, Stephanie Buck et Peter Hohenstatt, Könemann, 1998 ;
  • The Intellectual Background of the School of Athens : Tracking Divine Wisdom in the Rome of Julius II, Ingrid D. Rowland, 1996 ;
  • Pagans in the Church : The School of Athens in Religious Contex, Timothy Verdon, 1996 ;
  • Raphael’s School of Athens, Marcia Hall, Cambridge University Press, 1997 ;
  • Raphaël, Konrad Oberhuber, Editions du Regard, Paris, 1999 ;
  • L’énigme de la Segnatura, Raphaël et Sodoma, André-Charles Coppier, Paris, 1928 ;
  • Raphael, John Pope-Hennessy, Harper & Row, Londres, 1970 ;
  • Qui était Raphaël, Nello Ponente, Editions Skira, Genève, 1967 :
  • Vies et doctrines des philosophes illustres, Diogène Laërce, La pochothèque, Paris, 1999 ;
  • Erasme et l’Italie, Augustin Renaudet, Editions Droz, Paris, 2000 ;
  • Erasme parmi nous, Léon Halkin, Fayard, 1987 ;
  • Comment la folie d’Erasme sauva notre civilisation, Karel Vereycken, 2005 ;
  • L’oeuf sans ombre de Piero della Francesca, Karel Vereycken, 2007 ;
  • Albrecht Dürer contre la mélancolie néo-platonicienne, Karel Vereycken, 2007.

NOTES:

*Pour un traitement approfondi du sujet, voir Karel Vereycken, Albrecht Dürer contre la Melancolie néo-platonicienne, 2007.

**L’on voit bien ici d’où certaines sectes, notamment les Anthroposophes de Rudolf Steiner, tirent leur inspiration. Certains s’acharnent encore à vouloir démontrer que Pythagore, croyant en la transmigration des âmes et donc leur réincarnation éventuelle dans des animaux ou des plantes, était un végétarien. Diogène Laërce raconte qu’un jour, « passant près de quelqu’un qui maltraitait son chien, on raconte qu’il [Pythagore, sur le ton de la blague] fut pris de compassion et qu’il adressa à l’individu ces paroles :’Arrête et ne frappe plus, car c’est l’âme d’un homme qui était mon ami, et je l’ai reconnu en entendant le son de sa voix’ ». Toute une série d’auteurs finiront par tomber dans la numérologie et l’ésotérisme irrationnel, en particulier Francesco Zorzi, Agrippa de Nettesheim ou encore Paracelse.

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« l’Homme de Vitruve » de Léonard de Vinci

Alors que nous commémorons cette année, avec une belle exposition au Louvre, Léonard de Vinci (1452-1519), mort en France il y a cinq cents ans, bien des bêtises circulent à propos de ce personnage si inspirant.

Ayant eu la chance de pouvoir assimiler, dès mon adolescence, les rudiments de l’anatomie lors de ma formation à l’Institut Saint-Luc de Bruxelles comme peintre-graveur, je m’efforcerais ici de vous livrer quelques clés permettant au grand public de pleinement apprécier un dessin très connu de Léonard, présent à Paris, « l’Homme de Vitruve ».

Or, comme Léonard l’indique lui-même dans ses carnets en reprenant l’expression de Nicolas de Cues, ce n’est qu’avec « les yeux de l’esprit » que l’art nous devient « visible », car les « yeux de la chair » y sont aveugles.

Canons de proportions

A gauche : statue égyptienne ; à droite un Kouros de la Grèce archaïque.

La civilisation grecque, et avec elle celle de l’Europe, comme chacun le sait, n’a pu atteindre toute sa splendeur que grâce à l’assimilation patiente des apports d’autres grandes civilisations.

L’Asie, connue chez nous grâce au monde arabo-musulman, et l’Afrique, en particulier l’Égypte, jouèrent un rôle majeur. Les cultes funéraires de l’Égypte ancienne, dont la momification des défunts, permirent aux médecins locaux, grecs et levantins travaillant en Égypte, d’explorer les secrets du corps humain.

Comme le montrent les sculptures de l’Égypte ancienne, la taille exacte du corps humain avoisine l’équivalent de 7 ¼ à 7 ½ la taille de la tête d’un individu.

Fiche d’un cours de dessin de l’auteur.

La taille d’un nouveau-né dépasse à peine 4 têtes, celle d’un enfant de sept ans est de 6 têtes, et celle d’un adolescent de dix-sept ans atteint les 7 têtes.

En sous-divisant la partie supérieure du corps humain, du sommet du crâne jusqu’au bas du torse, l’on mesure 4 têtes : la première jusqu’au menton ; la deuxième jusqu’aux mamelons ; la troisième jusqu’au nombril et la quatrième jusqu’au pubis. En partant de l’autre bout du corps humain, en remontant à partir de la plante des pieds, l’on mesure également 4 têtes : 2 jusqu’au haut du genou et 2 têtes supplémentaires jusqu’au « grand trochanter », c’est-à-dire l’articulation entre le fémur et l’os iliaque du bassin.

Ces deux fois quatre têtes s’emboîtent au milieu de notre corps d’une demie tête, ce qui donne, non pas huit, mais 7 ½ têtes au total. Ces tailles varient proportionnellement avec la taille du corps et toute disproportion provoque assez vite un sentiment de monstruosité.

Polyclète contre Lysippe

Dès le Ve siècle, le sculpteur grec Polyclète capta, dans son fameux « doryphore » (porteur de lance) du Musée national d’archéologie de Naples, ce magnifique canon anatomique, connu depuis comme le « canon de Polyclète ».

Il faut souligner qu’à l’époque de la Renaissance, certains nostalgiques de l’Empire romain préféraient un autre canon grec, celui de Lysippe (IVe siècle av. J.C.), codifié par la suite par l’architecte, auteur et ingénieur civil romain Vitruve (Ier siècle av. J.C.).

Vitruve n’a fait qu’exprimer le goût dominant de son époque. Les sculpteurs grecs, afin de donner une apparence athlétique et héroïque aux Empereurs dont ils dressaient les portraits, en adoptant le « canon de Lysippe », réduisaient souvent la tête de leur modèle à seulement 1/8e de la longueur totale du corps.

Ainsi, avec la réduction de la taille de la tête, celle du corps se retrouva proportionnellement augmentée permettant à la figure de gagner en proéminence musculaire, chose que les empereurs, pas forcément doté dès la naissance d’un physique à la hauteur de leur ambition, ne pouvaient qu’apprécier et favorisaient grandement leur popularité.

L’engouement pour cette astuce a même conduit certains artistes à imaginer des figures 12 à 15 fois la taille de leur tête. En bref, les relations publiques trônaient au détriment de la science et de la vérité.

Aujourd’hui les illustrateurs de bandes dessinées choisissent les proportions selon le rôle qu’ils veulent donner à leur sujet :
— pour une personne ordinaire : 7,5 ou « canon normal »
— pour une star de cinéma : 8 têtes ou « canon idéalisé »
— pour un modèle de mode : 8,5 têtes
— pour un héro du type superman : 9 têtes ou « canon héroïque »

L’Homme de Vitruve

L’Homme de Vitruve, dessin de Léonard de Vinci.

Autour du dessin, le texte suivant, en image miroir, traduction de Léonard d’un extrait du Livre III sur l’Architecture de Vitruve :
« Vitruve dit, dans son ouvrage sur l’architecture : la Nature a distribué les mesures du corps humain comme ceci :
Quatre doigts font une paume, et quatre paumes font un pied, six paumes font un coude : quatre coudes font la hauteur d’un homme. Et quatre coudes font un double pas, et vingt-quatre paumes font un homme ; et il a utilisé ces mesures dans ses constructions.
Si vous ouvrez les jambes de façon à abaisser votre hauteur d’un quatorzième, et si vous étendez vos bras de façon que le bout de vos doigts soit au niveau du sommet de votre tête, vous devez savoir que le centre de vos membres étendus sera au nombril, et que l’espace entre vos jambes sera un triangle équilatéral.
La longueur des bras étendus d’un homme est égale à sa hauteur.
Depuis la racine des cheveux jusqu’au bas du menton, il y a un dixième de la hauteur d’un homme. Depuis le bas du menton jusqu’au sommet de la tête, un huitième. Depuis le haut de la poitrine jusqu’au sommet de la tête, un sixième ; depuis le haut de la poitrine jusqu’à la racine de cheveux, un septième.
Depuis les tétons jusqu’au sommet de la tête, un quart de la hauteur de l’homme. La plus grande largeur des épaules est contenue dans le quart d’un homme. Depuis le coude jusqu’au bout de la main, un quart. Depuis le coude jusqu’à l’aisselle, un huitième.
La main complète est un dixième de l’homme. La naissance du membre viril est au milieu. Le pied est un septième de l’homme. Depuis la plante du pied jusqu’en dessous du genou, un quart de l’homme. Depuis sous le genou jusqu’au début des parties génitales, un quart de l’homme.
La distance du bas du menton au nez, et des racines des cheveux aux sourcils est la même, ainsi que l’oreille : un tiers du visage. »

Évidemment, le fait que Léonard, en le dessinant, ait étudié « l’Homme de Vitruve », ne signifie nullement qu’il s’agisse là des « proportions idéales ». Sans doute, en disséquant plusieurs cadavres de façon clandestine comme il fut obligé de le faire à l’époque, le maître s’est-il forgé sa propre idée sur la question.

Musclé

Il faut savoir qu’en Italie, le pur goût romain est redevenu tendance suite à la découverte en 1506 de la statue du Laocoon sur l’emplacement de la villa de Néron à Rome. On y redoublera le volume des masses musculaires prétendant travailler « à l’Antique ».

Bien qu’il n’ait jamais critiqué ouvertement ce courant, on a du mal à ne pas penser aux fresques de Michelange dans la Chapelle Sixtine, lorsque Léonard, cherchant à élever l’esprit à des hauteurs philosophiques inégalées, conseille aux peintres : « ne donne pas à tous les muscles des figures un volume exagéré » et « si tu agis différemment c’est davantage à la représentation d’un sac de noix que tu seras parvenu qu’à celle d’une figure humaine » (Codex Madrid II, 128r).

Dessin de l’architecte Giacomo Andrea, un ami proche de Léonard de Vinci qui s’était penché sur l’œuvre de l’architecte et ingénieur romain Vitruve.

Sans doute inspiré par son ami, l’architecte Giacomo Andréa, dans « l’Homme de Vitruve », Léonard s’intéresse avant tout à d’autres harmonies : si une personne étend ses bras en direction parallèle au sol, l’on obtient la même longueur que toute sa taille.

Egalité que Léonard inscrit dans un carré (symbole du domaine terrestre). Si l’on étire ses bras et ses jambes en étoile, ils s’inscrivent dans un cercle dont le centre est le nombril. Or, l’emplacement de ce dernier divise le corps selon le nombre d’or (dans cet exemple 5 têtes sur un total de 8 têtes, 5+3 faisant partie de la série de Fibonnacci : 1+2 = 3 ; 3+2 = 5 ; 5+3 = 8 ; 8+5 = 13 ; 13+8 = 21, etc.).

Proportion d’or

Léonard avait compris ce que signifie réellement la proportion d’or : non pas un « nombre magique » en lui-même, ni une fantaisie numérologique, mais l’expression et le reflet, dans le visible, d’une dynamique de moindre action qui caractérise aussi bien le principe du vivant que celui du travail humain, c’est-à-dire le principe même qui unit l’homme (le carré) au Créateur et à l’univers (le cercle).

Alors, si vous y jetez un œil, faites attention ! Car, il y a ce que vous voyez, et ce que vous vous interdisez de voir !

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Comment la folie d’Erasme sauva notre civilisation


Article de 2005

Prologue

portrait d'Erasme

Hans Holbein le jeune, Erasme, 1523, Collection de Lord Radnor of Longfares, Salisbury

On caractérise souvent de « petit âge de ténèbres » la période qui va du début des guerres de religion (1511) jusqu’au traité de Westphalie (1648) qui en organise la fin. Mais pendant que le monde s’horrifie devant le retour des guerres, l’humanité découvre aussi L’Eloge de la Folie d’Erasme, qui date également de 1511. Ironie tragique de l’histoire, car Erasme y pose déjà le principe de « l’avantage d’autrui », concept révolutionnaire qui aurait pu éviter ces guerres et qui plus tard, défendu par Mazarin, fera la réussite de la paix de Westphalie.

Cette notion se trouve on ne peut plus clairement exprimée par l’admirateur d’Erasme, François Rabelais. Car Gargantua, sur sa médaille, fait représenter un corps humain ayant deux têtes, tournées l’une vers l’autre, quatre bras, quatre pieds et deux culs (Platon, Le Banquet) entouré de lettres ioniques (en grec dans l’original) qui disent : « L’agape ne cherche pas son propre avantage. »

Ces guerres de « sédition », comme Erasme les appelait – car il s’agissait de conflits entre chrétiens – n’étaient en réalité rien que l’expression d’une volonté manifeste et délibérée de grandes puissances féodales et romaines (banquiers Lombards, Fugger, Génois et autres Vénitiens) d’annihiler les acquis de la Renaissance du XVe siècle européen et de repousser d’un revers de la main la brûlante exigence de réforme politique qu’elle venait de poser au monde.

Si l’humanité a survécu à cette « contre Renaissance », caricaturalement représentée par les bûchers de l’Inquisition espagnole et les paroles des jésuites au Concile de Trente, c’est essentiellement grâce à l’action, l’amour et l’oeuvre d’un grand homme, Erasme de Rotterdam (1466-1536), véritable phare de sagesse qui éclaira son époque et les siècles à venir.

Lors du Concile de Trente, son œuvre entière, taxée d’hérésie, fut interdite de lecture pour les catholiques et mise à l’Index en 1559 où elle restera jusqu’en 1900 (!).

Erasme, en dehors de ses nombreux commentaires et livres, écrivait en moyenne 40 lettres par jour. D’une correspondance dépassant les 20000 pièces, les quelque 3000 lettres qui nous restent nous permettent de suivre jour par jour comment Erasme, au détriment de sa santé, sa vie, son honneur, sa réputation et sa faible fortune fut le véritable chef d’une résistance internationale hardie.

Loin du titre ronflant de « Prince des Humanistes » et très éloigné aussi du confort académique d’un membre d’une « République des Lettres », il parcourt sans cesse l’Europe entière avec ses caisses de livres pour unir les hommes de bonne volonté. Luther d’ailleurs, le premier, l’appelait avec mépris « Errans Mus » (rat errant).

Mais de Madrid à Stockholm, de Cambridge à Gdansk, à Louvain, à Leipzig, à Strasbourg, à Anvers, à Rome, à Londres, à Bâle, partout Erasme coalisait les hommes autour de l’espérance d’un monde meilleur. Ses lettres étaient publiées sans cesse, ses livres traduits dans plusieurs langues et ses amis et correspondants lettrés, omniprésents dans les rouages de presque tout les états, l’informaient en retour de la moindre chose d’importance.

Conscient de son rôle, il s’engage sans compromis (Nulli concedo, je ne recule devant personne, initialement une allusion au caractère inexorable de la mort, sera sa devise) pour faire éclater, avec une parole juste et compatissante, la vérité qui dérange et accroît l’amour pour l’intérêt général. Pour garder cette liberté de parole nécessaire à sa mission universelle, il décline toutes les fonctions que lui offraient rois, papes, églises, diètes et conciles.

Erasme n’essaye pas d’être bon catholique, ni bon protestant, ni même un bon érasmien. En tant que chrétien, il fuit les doctrines et le dogme, car il refuse d’être englouti dans des querelles partisanes. Cette conduite hors paire, ainsi que son mépris profond de toute vanité terrestre, sera l’exemple constant et la référence pour tous ceux qui s’opposaient à l’orgie de concupiscence qui ravagea le monde de cette époque.

De surcroît, son amour tout agapique pour le Christ, l’humanité et les belles lettres résistera comme un roc dans la tempête de haine et de laideur morale caractéristique de cette époque, tandis que son humour satirique, qui éclatera aux yeux du monde avec L’Eloge de la folie, permettra enfin aux hommes de rire de leur propres manquements et bêtises pour mieux les surmonter et s’en libérer.

Son mouvement de jeunes ? On peut le voir notamment dans les œuvres de trois géants de la littérature mondiale. Chacun – Rabelais dans sa lettre à Erasme, Cervantès formé par l’érasmien Lopez de Hoyos, et Shakespeare par sa filiation avec Thomas More – s’avère être un fruit de son inspiration intérieure.

En plus de son action politique lors de la ligue de Cambrai dans le conflit contre Venise, nous tenterons de circonscrire les concepts clefs qui ont été la base de sa démarche et de son enseignement.

D’abord, et dans la lignée de Cues et Bessarion, il souhaite une simplification de la liturgie catholique pour rendre accessible à tous la « philosophie du Christ » comme elle ressort de l’Evangile et des actes des apôtres.

A l’opposé des scolastiques, comme Pétrarque, il estime que cette vérité révélée, à laquelle on peut accéder par la foi religieuse, n’est pas incompatible avec la sagesse philosophique des auteurs antiques tels que Platon ou d’autres, sagesse qui est le fruit de la raison humaine.

Ensuite, et armé de ce christianisme évangélique, il s’inspire de la République de Platon qu’il réadapte pour son époque avec son ami Thomas More et nous livre L’utopie. Sa vision est libre du pragmatisme pessimiste de Machiavel et de l’idée banale et passive de tolérance, car fondée sur le concept actif de « l’avantage d’autrui », ce concept que l’on retrouve chez « les politiques » autour de Henry IV (Sully, Bodin, etc.) et surtout la clef de voûte qui permettra plus tard d’aboutir à la paix de Westphalie mettant fin aux guerres de religion.

Contre le pessimisme de la scolastique romaine et sorbonnagre, ainsi que contre ce que l’on pourrait appeler un « catharisme » luthérien, Erasme défend ce que l’on pourrait appeler un « épicurisme chrétien » ; qu’il reprend de l’humaniste italien Lorenzo Valla. C’est cette notion de « poursuite du bonheur » que l’on retrouvera plus tard dans la déclaration d’indépendance de la jeune république américaine.

Luther moine

Luther estimait qu’il fallait écraser Erasme comme une punaise.

En 1516, Erasme estime qu’il est sur le point d’aboutir et d’être entendu par les plus hautes instances. On est donc obligé de s’interroger sur la spontanéité de l’apparition de Martin Luther en 1517 dont la radicalité va être utilisée pour polariser le monde dans des débats théologiques dignes d’une nouvelle scolastique.

Pour combattre les excès de Luther, et allant plus loin que Valla et Augustin, Erasme défendra un « libre arbitre » coopérant avec la grâce, sans ménager par ailleurs la « tyrannie monacale » des ordres mendiants, oisifs et corrompus.

Voyant venir à grand pas les guerres de religion et l’Inquisition, Erasme redouble de pression sur ceux qu’il aime pour qu’une réforme progressive, raisonnable et humaniste de l’église et de la société s’organise. Pour y arriver, et exaspéré par la décadence des humanistes de cette Italie dans laquelle il avait placé tout son espoir, il publiera Le Cicéronien, attaque satirique contre le paganisme déguisé en maniérisme, omniprésent à Rome.

Persécuté par Jérôme Aléandre, scion d’une vieille famille oligarchique de Venise, Erasme finit par devenir indésirable à Londres, calomnié à Rome, traqué à Louvain, diffamé à Paris, insulté à Madrid, tandis qu’un de ses détracteurs crache chaque matin sur son effigie. Il est obligé de quitter Louvain, et plus tard Bâle où il retourne pour mourir, un an après la mort de son « frère jumeau » Thomas More, décapité le 22 juin 1535 à Londres par Henry VIII, roi d’Angleterre.

Pendant que Luther dit qu’il faut « écraser Erasme comme une punaise », et que Calvin le traite d’impie, bon nombre de réformateurs préfèreront l’humanisme évangélique d’Erasme au biblisme cruel des idéologues protestants ou aux théologiens catholiques du Concile de Trente.

En guise de conclusion, nous jetterons un bref coup d’œil sur l’un de ses élèves les plus prolixes, l’érasmien français, François Rabelais.

La « patrie sans nom d’Erasme », Anvers vers 1500

antwerpen dürer

Albrecht Dürer, Dessin du port d’Anvers, 1520, Albertina, Vienne.

C’est un de ces matins où la brume flamande jette son manteau épais sur les épaules des villes du plat pays. Une myriade de mouettes, en tailleur couleur gris de Payne, lancine des cris moqueurs tout en lorgnant vers le bas. Quel vaste foule dans cette immense grisaille !

Arrimée au quai du Schelde (Escaut), cette armada de bateaux de pêche décharge fiévreusement sa cargaison de paniers débordant de crabes, de crevettes, de maatjes et de kabeljauw. Même le petit phoque vert-de-gris qui s’est laissé glisser par la marée haute jusque là, partage le vain espoir des planeurs : que l’un de ses malheureux paniers puisse retomber pardessus bord et livrer son lot de délicatesses avant que la glace ne transforme cette rivière en patinoire !

Coincé entre l’église des marins Sint-Walburgis et le Steen (château féodal) qui borde l’Escaut, l’Oude vismarkt (vieux marché aux poissons) est le quartier le plus actif d’Anvers. En 1500, la vieille cité respire comme le poumon du monde et embrasse dans ses murs entre cinquante et quatre-vingt-dix mille âmes.

En passant par la Palingbrug (pont aux anguilles), où d’importantes parties des premiers remparts subsistent, on accède au Vleeshuis (maison des bouchers), abattoir moderne surmonté de salles de négoce. Non loin de là, dans la Nieuwstad (ville nouvelle) sur la Brouwersvliet (quai des brasseurs), des brasseurs dûment équipés transformeront bientôt des fleuves d’eau, ingénieusement canalisés vers la ville par les travaux entrepris sous Gilbert van Schoonbeke, en rivières de belles bières ambrées.

L’Anvers des Fugger a désormais supplanté la Bruges des Médicis comme le plus grand dépôt du monde. Entre l’Oosterlingenhuis, siège de la ligue Hanséatique pour un temps, et la Beurs, on y croise facilement des marchands portugais, espagnols, juifs, levantins, arméniens ou italiens. La soie et les épices, venus jusqu’en Italie par les caravanes venues d’Asie trouve ici preneur ou s’échange contre le bois de la Baltique ou le blé de la Pologne. Lin et drap flamands, laine anglaise, vins de Bordeaux ; tout s’y achète sans difficulté grâce aux métaux rares du Danube.

antwerpen grande place

Antwerpen, grote markt.

A Anvers, comme dans tant d’autres villes des Pays-Bas Bourguignons, la construction des façades des gildenhuizen (sièges des corporations) sur la Grote Markt (grande place), donne lieu à un véritable tournoi d’architecture.

Au bord du fleuve, on construit un nouveau type de bateau, les Kraken, tandis que dans les arrières boutiques, les ouvriers fabriquent des retables en bois polychromes prisés jusqu’en Scandinavie. Sur la base des cartons envoyés par les cours prestigieux d’Italie, des tapisseries sont patiemment mises sur l’ouvrage. L’Ars Nova, lancé par Jan van Eyck en peinture et Philippe de Vitry en musique cinquante ans plus tôt, y fleurit.

Le concert, maître flamand, début du XVIe siècle.

Pendant que des carillons imposent leurs mélodies, des chorales font entendre la nouvelle musique polyphonique et Orlando di Lasso compose pour clavecin. La peinture de chevalet fait rêver les marchands de montagnes et de simples citadins s’offrent des portraits.

Dans l’ombre de la cathédrale, dont le chantier s’achève avec Keldermans, et dans les Begijnhoven (béguinages), on récite les poèmes d’ Hadewijch, pendant que des doigts agiles fabriquent la belle dentelle dont les motifs fleuris s’harmonisent avec les cascades en pierre du gothique scaldique qui couronnent les pinacles des Hôtels de Ville, des résidences particulières ou les toits des clochers d’innombrables églises.

Dans des larges demeures patriciennes en pierre, des Rederijkers (chambres de rhétorique) préparent des pièces satiriques, mémorisent des poèmes pieux, ou décorent des chars allégoriques (comme le char de foin) pour l’Ommeganck (défilé) de la Saint-Jean.

Une rencontre peu ordinaire

Albrecht Dürer rencontrant Quinten Matsys.

Pour avoir une notion de la pépinière d’idées et de créativité que représente cette époque qui se cristallise à Anvers, il est facile de s’imaginer quelques rencontres peu ordinaires dans une de ces minuscules maisons du Vlaaikensgang (traboule aux tartelettes) situées au bord d’un des vlieten (canaux) qui irriguent le coeur de la cité.

Bien que d’habitude Thomas More (1478-1535) et Erasme de Rotterdam (1466-1536) se retrouvent chez Pieter Gilles (Aegidius) (1486-1533), le secrétaire d’Anvers qui dispose d’une grande maison Den Spieghel sur la Eiermarkt (marché aux œufs), aujourd’hui il se sont donné rendez-vous chez le peintre Quinten Matsys (1465-1530), qui pour l’occasion a convié son collègue Gérard David (1460-1523) au Sint Quinten dans la Schuttershofstraat (rue des Arbalétriers), sa belle demeure ornée de fresques à l’italienne. Metsys leur montre ses croquis de la Sainte-Anne et la Vierge d’après Léonard de Vinci (1452-1519) qu’il a exécutés en Italie.

Erasme, dessiné sur le vif par Dürer lors de son séjour à Anvers en 1520.

Mais attention, Albrecht Dürer (1471-1528) arrive aujourd’hui à Anvers ! Erasme insiste à se faire portraiturer par ce maître de Nuremberg dont il dit : « Dürer, (…) sait rendre en monochromie, c’est-à-dire en traits noirs – que ne sait il rendre ! Les ombres, la lumière, l’éclat, les reliefs, les creux, et… (la perspective). Mieux encore, il peint ce qu’il est impossible de peindre : le feu, le tonnerre, les éclairs, la foudre et même, comme on dit, les nuages sur le mur, tous les sentiments, enfin toute l’âme humaine reflétée dans la disposition du corps, et presque la parole elle-même. »

En attendant, Erasme et More s’amusent à imaginer le début de L’Utopie, dans lequel ce dernier raconte comment il croise par hasard Gilles dans la Onze Lieve Vrouwe cathédrale (Notre-Dame) d’Anvers en présence d’un voyageur, le fameux Raphaël Hythlodée qui livra son récit sur l’Isle d’Utopie, cette république humaniste qu’il avait observé dans cette Amérique que l’on venait de redécouvrir.

Sur ce nouveau monde, un autre ami d’Erasme, Erasmus Schetz (1480-1550), banquier d’Anvers, industriel et latiniste accompli, leur fournit des informations précieuses qui proviennent de son réseau de marchands portugais implantés au Brésil. Martin Behaim (1459-1509), l’élève brillant du cartographe nurembergeois Johan Müller (Regiomantanus) (1436-1476) dont Dürer achète la bibliothèque, fabrique à Anvers les premiers globes avant de s’installer à Porto où il fréquente Christophe Colomb.

Cour de Jérôme de Busleyden à Mechelen. Crédit : Karel Vereycken

Dürer réside à Anvers en 1520 où il assiste au mariage de Joachim Patinier (1480-1524). Il y rencontre Jan Provost (1465-1529), Jan Gossaert (1462-1533) et Bernard van Orley (1491-1542) et dessine un portrait de Lucas van Leyden (1489-1533). En 1523 il y dessine le vieillard de 93 ans qu’il utilise dans son Saint Jérôme.

A une jetée de là, à Malines, il rend visite à une autre admiratrice, Marguerite d’Autriche (1480-1530) tante de Charles Quint qui régente les Pays-Bas Bourguignons et prête parfois une oreille attentive à Erasme.

Hébergé chez elle, Dürer admire un incroyable tableau de sa collection, Les époux Arnolfini de Jan van Eyck. Marguerite vient d’accorder une pension à un peintre vénitien Jacopo Barbari (1440-1515), exilé politique à Malines et auteur du portrait de Luca Pacioli (1445-1514), ce franciscain qui initia Léonard à Euclide, et auteur de la Divine Proportion.

Dürer y visite certainement la belle résidence de Jérôme de Busleyden (1470-1517), bientôt mécène du « Collège Trilingue » qu’Erasme lance à Louvain en 1517 et ami de Cuthbert Tunstall (1475-1559), l’évêque de Londres qui avait présenté More à Busleyden.

De retour à Anvers, Dürer fait un croquis du Strasbourgeois Sébastien Brant (1457-1521) qui vient de publier en 1494 à Bâle la Nef des Fous. Le peintre Jérôme Bosch (1450-1516), qui a fait un tableau sur ce thème et qui s’est régalé avec L’Eloge de la Folie, illustré par le jeune Hans Holbein (1497-1543) et publié en 1511, fait le déplacement à Anvers pour s’y procurer une copie de L’Utopie, fraîchement imprimé à Louvain en 1516 chez l’ami de Gilles, l’imprimeur Dirk Martens (1486-1534).

Une des 56 imprimeries d’Anvers, celle de Christophe Plantin disposant de 22 presses employant 160 ouvriers.

Gemma Frisius (image) et son ami et élève Mercator, vulgarisent l’emploi de la trigonométrie.

Gemma Frisius

Peu après, quand le souffle de l’Inquisition espagnole commence à épaissir la brume avec la fumée des bûchers, l’imprimeur Christophe Plantin (1514-1589) réunit dans le plus grand secret les membres du groupe humaniste, Het Huys der Liefde (Scola Caritatis) de Hendrik Niclaes (1502-1580).

Le scientifique Gemma Frisius (1508-1555) y discute avec son élève le cartographe Gerhard Kremer (Mercator) (1512-1594) et Abraham Ortelius (1527-1598) raconte les dernières explorations du globe terrestre au jeune Pieter Bruegel (1525-1570) qui prépare pour l’imprimerie In de Vier Winden (Aux Quatre Vents) de Jérôme Cock (1510-1570), sa série de gravures sur le thème des Sept péchés et les Sept vertus.

Bruegel lui parle de ses lectures des oeuvres de François Rabelais (1494-1553) qu’il acheta à Lyon sur le retour d’Italie.

Aux Quatre Vents travaille aussi le graveur Dirk Coornhert (1522-1590), formé par le jeune secrétaire d’Erasme Quirin Talesius (1505-1575) et futur bras droit de l’organisateur de la révolte des Pays-Bas Guillaume le Taciturne (1533-1584).

Cette riche culture urbaine n’aurait jamais pu voir le jour aux Pays-Bas Bourguignons sans la vaste révolution agricole commencée dès la fin du Xe siècle.

Essor économique et émancipation politique

Mars, enluminure de Simon Bening (1483-1519) montrant le secret de l’agriculture flamande, c’est-à-dire le bon attelage, non pas des bœufs, mais des chevaux dont la productivité est le double des premiers. A cela s’ajoute une révolution technologique, car à la place du « collier de gorge » utilisé au Moyen-Age (qui tendait à égorger l’animal), l’emploi du « collier d’épaule » (importé de Chine et utilisé dès le XIIIe siècle) permet aux Flamands d’augmenter encore plus la productivité. C’est cette révolution agricole qui permettra une urbanisation où la créativité de chacun trouve la place qu’elle mérite.

La géographie que dessine le « Delta d’or » du Rhin, de la Meuse et de l’Escaut dans cette région offre aux habitants une infrastructure naturelle hors pair qu’ils enrichirent par un labyrinthe de canaux et une ceinture impressionnante de digues de mer, en place dès 1300, et bientôt surmontée de milliers de moulins à vent.

La poldérisation (aménagement de terres sur la mer) et une agriculture intensive leur permet d’accroître considérablement les rendements agricoles quand ils s’effondrent partout ailleurs.

Les économistes estiment que si en Europe il fallait quatre paysans pour nourrir un citadin, il n’en fallait que deux aux Pays-Bas.

Si l’on prend comme unité de référence une ville de 10000 habitants, on trouve en 1550 la région de la Belgique actuelle en haut de l’échelle de l’urbanisation (21%), suivi des Pays-Bas (15,8%) et de l’Italie du nord (15,1%).

Si on baisse le critère à 5000, les Flandres atteignent 36% vers 1500 et la région entre la Meuse et la Zuiderzee (Brabant et Hollande) 54%. Ainsi la patrie d’Erasme, avec l’Italie, figure parmi les régions les plus urbanisées d’Europe.

A partir de 1384, les ducs de Bourgogne avaient tenté d’unifier ce vaste territoire allant de la Frise jusqu’à la vieille route romaine qui reliait Boulogne sur Mer à Cologne.

Bien que le duc y gouverne avec les membres de l’ordre de la Toison d’Or, le pouvoir s’appuyait sur des formes d’auto-gouvernement déjà existantes.

Car historiquement, la conquête des terres fertiles gagnées sur la mer à la fin du treizième siècle s’était accompagnée d’un reflux inéluctable de la féodalité politique et l’essor économique de ces territoires allait de pair avec l’émancipation politique de leurs habitants. Des comités communaux, en charge du financement et de la gestion des polders et de l’aménagement de l’eau, avaient fièrement découvert leurs capacités collectives à gérer leurs propres intérêts.

Carte des Pays-Bas Bourguignons: –En orange, les acquisitions des Ducs de Bourgogne et de Charles Quint. 1384 : Artois (5), Flandre (9), Malines (15) 1427 : Namur (8) 1428 : Hainaut (6), Zélande (10), Hollande (7) 1430 : Brabant (1), Limbourg (3) 1443 : Luxembourg (4) Sous Charles Quint: Utrecht (17), Frise occidentale et orientale (13), Gueldre (2) provinces perdues et reprises : Groningue (14), Overijssel (16), Zutphen (11), la Picardie est perdue à la France en 1477. –En vert, La principauté de Liège indépendante. –En rouge, l’Angleterre. –En bleu, la France En noir, d’autres États du Saint Empire romain germanique

Afin de faciliter les processus décisionnels, les communes furent structurées en Staten (Etats), mais des assemblées ad hoc, par exemple des communes et des villes concernées par la pêche des harengs, pouvaient toujours avoir lieu.

Si en Angleterre ou en France les parlements ne se réunissaient que rarement et encore très souvent dans le seul but de régler des questions d’impôts et de finances, aux Pays-Bas Bourguignons, les registres locaux indiquent, par exemple, que les délégations flamandes se sont réunies 4055 fois entre 1386 et 1506, soit 34 fois par an, en vue de résoudre les problèmes économiques et sociaux et pour discuter de projets d’infrastructures.

En Angleterre, on ne relate que 73 rencontres entre 1384 et 1510, c’est-à-dire moins d’une session par an !

Ainsi, dans les collèges d’échevins des villes et des communes, ces intérêts économiques organisés, à l’origine des guildes de métiers, disposaient d’un pouvoir réel, capable de bloquer la collecte d’un impôt décrété par un gouvernement central.

A l’origine, les guildes avaient sorti les individus de leur étroit cocon familial pour les intégrer dans une nouvelle solidarité urbaine. Cette « famille étendue » citadine sera souvent un vaste laboratoire de découvertes et d’expérimentations, où s’échangeront les savoirs, les compétences et les adresses.

Avec Charles Quint, fils de Philippe le Beau de Bourgogne et de Jeanne de Castille (« la folle »), le pays tombe dans l’escarcelle des Habsbourg. Trop jeune et souvent absent, le pays sera souvent gouverné par les régentes flamandes, Marguerite d’Autriche et Marie de Hongrie. Elles renforceront l’unité du pouvoir central par l’institution d’un Conseil d’Etat, d’un Conseil Privé (justice) et d’un Conseil des Finances.

Palais de Marguerite d’Autriche à Malines.

En 1548, peu avant sa mort, Charles Quint crée le « Cercle de Bourgogne » regroupant les dix provinces méridionales avec les sept provinces du nord jusqu’alors détachées de l’empire. Il prend de plus toutes les dispositions nécessaires afin qu’un seul héritier puisse lui succéder à la direction de la « Généralité des XVII provinces », pays que les Habsbourg nommèrent avec dédain Pays-Bas.

Son fils, Philippe II, né en Espagne, avoua un jour qu’il aurait « préféré régner sur un désert plutôt que sur toutes ces villes ». Le Don Carlos de Friedrich Schiller nous raconte le reste du drame.

Tout ceci permet de mieux comprendre à quel pays pense Rabelais quand il dit à Erasme : « Vous qui êtes le père de votre patrie et sa gloire ». Ce n’était donc pas seulement la patrie des lettres ! Et les « guerres de religions » n’étaient qu’un prétexte rêvé, permettant de briser une communauté d’Etat-nations naissants formés par la France de Louis XI et de Jacques Cœur, l’Angleterre d’Henry VII et de Thomas More, et les Pays-Bas Bourguignons, patrie d’Erasme dont les oligarques ont volé jusqu’au nom.

Les Frères de la vie commune

Thomas à Kempis, auteur présumé de l’Imitation du Christ.

On souligne, à juste titre, l’influence sur Erasme de l’esprit révolutionnaire de la « Dévotion Moderne » qu’animaient les Frères et sœurs de la vie commune, ordre séculier d’enseignants portés sur l’éducation et la traduction de manuscrits, qui sera regroupé comme ordre des chanoines réguliers de saint Augustin de la Congrégation de Windesheim.

Le piétisme de ce courant, centré sur l’intériorité, s’articule le mieux dans le petit livre de Thomas van Kempen (a Kempis) (1380-1471), L’imitation de Jésus Christ. Celui-ci souligne l’exemple à suivre de la passion du Christ tel que nous l’enseigne l’Evangile, message qu’Erasme reprendra.

En 1475, le père d’Erasme, qui maîtrisait le grec et aurait pu écouter des humanistes réputés en Italie, envoie son fils de neuf ans au célèbre chapitre des frères de la Vie Commune de Saint Lébuin de Deventer, école fondée par un penseur exceptionnel et élève des Frères de la vie commune, le cardinal Nicolas de Cues (1401-1464).

L’expansion du réseau des Frères et Sœurs de la Vie Commune à partir de la ville de Deventer à la fin du XIVe siècle.

Rodolphe Agricola

Rudolphe Agricola, organiste et pédagogue humaniste.

Elle était alors dirigée par Alexandre Hegius (1433-1498), élève du célèbre Rudolphe Huisman (Agricola) (1442-1485), adepte de Cues, défenseur enthousiaste de la renaissance italienne et des belles lettres, qu’Erasme a pu écouter et qu’il appela un « intellect divin ».

Agricola, à l’age de 24 ans, fait une tournée d’Italie pour donner des concerts d’orgue, rencontre Hercules d’Este à la cour de Ferrare, et découvre à l’université de Pavie les horreurs de la scolastique confite d’Aristote.

Pour ouvrir ses cours à Deventer, Agricola disait :

Ayez méfiance à l’égard de tout ce que vous avez appris jusqu’à ce jour. Rejetez tout ! Partez du point de vue qu’il faut tout désapprendre, sauf ce que, sur la base de votre autorité propre, ou sur la base du décret d’auteurs supérieurs, vous avez été capable de vous réapproprier.

Malheureusement, la mère d’Erasme est emportée peu après par la peste et son père décède également. Confié à trois tuteurs, il est placé avec son frère à l’école de ’s Hertogenbosch. Là, selon Erasme, le Domus Pauperum, l’orphelinat pour les enfants des pauvres qu’animaient traditionnellement les frères, ne visait à rien d’autre qu’à briser ses dons et ses aptitudes, à grands renforts de coups, de réprimandes et de sévérité, les pères étant convaincu qu’il fallait éloigner les jeunes gens de tout désir d’étude universitaire pour les faire entrer d’office au couvent.

Geert Groote

Geert Groote, le fondateur des Soeurs et frères de la Vie commune.

Donc, loin de l’authenticité des fondateurs « mystiques » et humanistes des débuts que furent Jan van Ruysbroek (1293-1381) et Geert Groote (1340-1384) ou de Heymeric van Kempen (de Campo) (1395-1460) (qui eut une influence sur Cues), la reprise en main des frères par Rome commençait à faire des dégâts.

A tel point qu’Agricola et Wessel Gansfoort (1420-1489), pourtant dignitaires des Frères de la vie commune, finirent par créer leur propre cercle d’érudits à l’abbaye cistercienne d’Adwerth en Friesland car il n’y avait qu’elle qui leur autorisait l’accès à une bibliothèque riche en lectures humanistes.

Le frère d’Erasme succombe rapidement aux pressions des recruteurs de moines et Erasme finit lui-même par prononcer ses vœux pour entrer chez les Augustiniens de Steyn, près de Gouda, mais à condition d’y retrouver des livres. En se faisant prêtre en 1492, il exprime rapidement son désir de liberté et s’engage alors en politique comme secrétaire de l’évêque de Cambrai qui venait juste d’être nommé chancelier de l’Ordre de la Toison d’Or.

A Steyn il gardera d’excellents amis. Mais dorénavant personne ne pourrait le convaincre qu’une foi qui s’oppose à l’éducation des hommes et ne porte pas à agir pour le bien de ses semblables puisse d’une quelconque façon être en accord avec l’évangile.

Les Frères de la vie commune de Magdeburg formeront bientôt une autre célébrité : Martin Luther (1483-1546). Son père, tout comme celui de Calvin, le prédestine à une carrière juridique. Mais en 1505, un violent orage fait éclater un éclair auquel il échappe de justesse. Pour trouver son salut, il prend le chemin inverse d’Erasme et décide de se faire moine chez les ermites augustiniens.

Les idéaux d’Erasme

La découverte brutale du contraste cruel entre la beauté morale du message de l’Evangile et l’hypocrisie troublante des pratiques religieuses, ainsi que la découverte de la beauté des belles lettres, vont nourrir chez Erasme une double ambition.

D’abord, il estime que le moment est venu de procéder à une réforme complète des pratiques anti-chrétiennes scandaleuses et de l’esprit oligarchique qui s’est emparé de l’Eglise catholique romaine. Depuis Constance (1414), Bâle (1431) et Ferrare-Florence (1437), tous les grands conciles œcuméniques avaient soulevé trois problèmes fondamentaux :

  1. Union doctrinale entre Orient et Occident ;
  2. Unité pour défendre la chrétienté face aux Turcs ;
  3. Réforme du fonctionnement interne.

Il allait de soi que tant que les deux premiers points n’étaient pas réglés, le troisième point était de l’ordre du tabou, comme Jan Hus avait pu le constater à ses dépens, lorsqu’il fut arrêté en arrivant au Concile de Bâle et brûlé sur le bûcher pour hérésie le 6 juillet 1415.

Pour Erasme, le problème n’était pas l’Eglise catholique, mais les forces oligarchiques qui malheureusement la dominaient de plus en plus. Les banquiers de Sienne et de Venise qui géraient les fortunes des cardinaux et des évêques, le culte des reliques et la simonie, ou encore les ordres monastiques, véritables empires féodaux possédant terres, hommes, et gérant les âmes humaines, au mieux, comme du bétail.

Pour y remédier, Erasme lançait un vaste mouvement d’éducation souhaitant l’appui d’un pape fort, capable de résister aux ordres et à l’argent. C’est le programme explicite du Enchiridion militis christiani (Manuel du soldat chrétien) et la vraie revendication que l’on retrouve implicitement dans L’Eloge de la Folie.

Comme Lorenzo Valla (1403-1457) ou comme Jacques Lefèvre d’Etaples (1450-1537) le feront à leur façon, Erasme désire reprendre l’Evangile à sa source, c’est-à-dire comparer les textes d’origine en grec, en latin et en hébreux, souvent inconnus sinon entièrement pollués par plus de mille ans de copiages et de commentaires scolastiques.

Collège trilingue, reconstruction 3-D (Crédit: Thierry De Paepe, 2017)

Pour venir à bout de ce travail d’Hercule, Erasme conçoit la fondation d’un collège trilingue chargé de cette tâche, réunissant les hommes les plus sages et loin des polémiques passionnelles et des carrières égotiques. Grâce au mécène Jérôme de Busleyden, ce projet verra le jour à Louvain en 1517, mais sera rapidement saboté par des théologiens menacés dans leur fonds de commerce.

Ensuite, le message optimiste du christianisme évangélique appelait, par sa nature même, à la défense de l’intérêt général et à des réformes politiques nécessaires pour y aboutir. C’est le sujet développé par Erasme et Thomas More dans L’Utopie. Cette utopie n’est pas utopique si l’on réussit à garantir une éducation classique pour tous, objectif des quatre mille Adages, et préoccupation fondamentale partagée avec Thomas More et Juan Luis Vivès (1492-1540).

En même temps, en reprenant le flambeau de Pétrarque, Erasme désire concilier cette « Philosophie du Christ », transmise par Saint Jérôme (317-419) et Origène (185-251), avec ceux (et uniquement ceux-là) qui dans l’antiquité « ont vu par la lumière naturelle un peu de ce que nous enseigne la Sainte Ecriture », en particulier Platon.

Il dit : « Cette philosophie (du Christ) est véritablement plus dans notre sensibilité que dans les syllogismes, plus dans la vie que dans la discussion ; elle est plutôt une intuition qu’une érudition, une inspiration qu’une raison ; c’est le lot d’un petit nombre d’êtres érudits, mais il n’est permis à personne de n’être pas chrétien ; nul n’a le droit de n’être pas pieux, j’ajouterai avec audace qu’il n’est permis à personne de n’être pas théologien. Ce qui est le plus conforme à la nature, pénètre plus facilement dans les âmes. Or, qu’est-ce que la philosophie du Christ, cette philosophie qu’il (le Christ) qualifie de [re-naissance], que le retour à une nature bien établie ? Et si personne n’a transmis ces vérités plus pleinement que le Christ, toutefois dans les œuvres des gentils on peut sauver plus d’une chose en accord avec cette doctrine. Y eût-il jamais si basse théorie philosophique qui ose enseigner que l’argent rend l’homme heureux… »

Avec Valla, dont il a lu les Elegantia, et son ami Juan Luis Vivès, il pense qu’en passant, il devient plus qu’urgent de reforger une langue, en particulier un latin, et une pédagogie qui reflète, par sa beauté, sa musicalité, et sa compassion, toute la noblesse de ce contenu.

Lorenzo Valla

Lorenzo Valla.

Leibniz affirme sans hésitation que les deux plus grands esprits du Moyen-âge sont Nicolas de Cues et Lorenzo Valla. Le jeune Erasme reconnaît en ce dernier le représentant de cette Italie idéale qu’il admire.

Issu d’une famille romaine aisée, Valla profite de professeurs particuliers, de l’helléniste Giovanni Aurispa (1369-1459), secrétaire papale d’Eugène IV et de Martin V, et en particulier de Leonardo Bruni (1370-1444), élève de Coluccio Salutati (1331-1406).

Comme Pétrarque, ce courant voyait l’alliance entre philosophes sophistes (et particulièrement Aristote) et théologiens scolastiques comme la base d’un ordre féodal anti-chrétien et obscurantiste. A l’université de Pavie, Valla se révolte contre la pensée dominante qui est l’averroïsme.

Averroès (Ibn Rushd, 1126-1198) est souvent vu à tort, et surtout par ceux qui se réclament des Lumières, comme un annonciateur de l’esprit moderne (car il a écrit une fois sur le vin et le sexe…). La réalité est tout autre car, à partir des traductions arabes d’Aristote, Averroès avait concocté une philosophie idéale pour maintenir ce monde féodal.

Selon lui, il fallait accepter le caractère double de la vérité. D’un coté, grâce à des symboles et des signes, la religion permettait de communiquer une vérité à l’immense multitude des illettrés.

Averroès

Averroès, tel qu’il fut dépeint par Raphaël dans l’Académie d’Athènes, fresque au Vatican.

D’autre part, une petite élite pouvait accéder à la vérité, qui elle, était toute philosophique. Ce qui est vrai en théologie peut s’avérer faux en philosophie, mais en dernière analyse, c’est l’intellect qui tranche, et point besoin de transcendance. Averroès écrit même un traité sur l’harmonie entre la philosophie et les religions sur cette base biaisée.

Mais évidemment, enseigner la philosophie à tous serait néfaste car seule la religion permet à la multitude d’accéder à une connaissance (symbolique) de la vérité… Aujourd’hui, on l’accuserait à raison d’être un adepte du royaume des mensonges de Léo Strauss.

L’averroïsme était l’idéologie choisie par l’oligarchie vénitienne pour dominer le monde et c’est elle qui va massivement promouvoir cet aristotélisme des temps modernes.

Pétrarque

Pétrarque.

Bien avant Valla, Pétrarque (Francesco Petrarca, 1304-1374), lors de son séjour à Venise, avait dénoncé les assauts intellectuels de quatre oligarques averroïstes (dont les trois vénitiens Dandolo, Contarini et Talento) décidés à le recruter à leur chapelle et « qui selon la coutume des modernes philosophes, pensent à n’avoir rien fait, s’ils n’aboient contre le Christ et sa doctrine surnaturelle. »

Son livre Sur ma propre ignorance et celle des autres se construit autour de cette polémique :

« S’ils ne craignaient les supplices des hommes de bien plus que ceux de Dieu, ils oseraient, dit Pétrarque, non seulement attaquer la création du monde selon le Timée, mais la Genèse de Moïse, la foi catholique et le dogme sacré du Christ. Quand cette appréhension ne les retient plus, et qu’ils peuvent parler sans contrainte, ils combattent directement la vérité ; dans leurs conciliabules, ils se rient du Christ et adorent Aristote, qu’ils n’entendent pas. Quand ils disputent en public, ils protestent qu’ils parlent abstraction faite de la foi, c’est-à-dire qu’ils cherchent la vérité en rejetant la vérité, et la lumière en tournant le dos au soleil. Mais, en secret, il n’est blasphème, sophisme, plaisanterie, sarcasme qu’ils ne débitent, aux grands applaudissements de leurs auditeurs. Et comment ne nous traiteraient-ils pas de gens illettrés, quand ils appellent idiot le Christ notre maître ? Pour eux, ils vont gonflés de leurs sophismes, satisfaits d’eux-mêmes en se faisant fort de disputer sur toute chose sans avoir rien appris. »

La publication de ce livre obligera Pétrarque à quitter Venise.

Contre l’ascétisme étouffant qui stérilise tout espoir, et réduit la créativité humaine à néant, Valla va mobiliser Epicure dans son écrit De Vere Bono (sur le véritable bien). Il s’agit d’un dialogue où un stoïque (Bruni) affirme que la raison seule est source de vertu. Le deuxième orateur (Beccadelli) est un épicurien qui affirme que le vrai bonheur ne provient pas de la vertu, mais du plaisir.

Epicure

Epicure, moins épicurien que l’on croit?

Epicure (IVe Siècle av. J.C.) précise que « Quand donc nous disons que le plaisir est notre but ultime, nous n’entendons pas par là les plaisirs des débauchés ni ceux qui se rattachent à la jouissance matérielle, ainsi que le disent les gens qui ignorent notre doctrine, ou qui sont en désaccord avec elle, ou qui l’interprètent dans un mauvais sens. Le plaisir que nous avons en vue est caractérisé par l’absence de souffrances corporelles et de troubles de l’âme.

« Ce ne sont pas les beuveries et les orgies continuelles, les jouissance des jeunes garçons et des femmes, les poissons et les autres mets qu’offre une table luxurieuse, qui engendrent une vie heureuse, mais la raison vigilante, qui recherche minutieusement les motifs de ce qu’il faut choisir et de ce qu’il faut éviter et qui rejette les vaines opinions, grâce auxquelles le plus grand trouble s’empare des âmes.

« De tout cela la sagesse est le principe et le plus grand des biens. C’est pourquoi elle est même plus précieuse que la philosophie, car elle est la source de toutes les autres vertus, puisqu’elle nous enseigne qu’on ne peut pas être heureux sans être sage, honnête et juste, ni être sage, honnête et juste sans être heureux. Les vertus, en effet, ne font qu’un avec la vie heureuse, et celle-ci est inséparable d’elles. »

Pour l’épicurien, (dit Valla) les actes héroïques que citent les stoïciens (suicide de Lucrèce, etc.) n’ont pas leur origine dans le désir d’être vertueux, mais découlent de la recherche d’un plaisir qui dépasse totalement les plaisirs du corps. Ainsi, dans le dialogue de Valla, le dernier orateur (le collectionneur de manuscrits pour Côme de Médicis, Niccoli) défend la vision chrétienne qui transcende de loin les épicuriens et il accuse ses prédécesseurs d’avoir été incapable de reconnaître que le vrai bonheur réside dans la faculté d’être en accord avec Dieu, bien qu’il appuie la critique épicurienne des Stoïciens. De toute façon, pour un vrai chrétien, disent Valla et Erasme, l’idée qu’une philosophie quelconque puisse enseigner la vertu, sans amour de Dieu et des hommes, est une fraude. On ne fait pas le bien parce que c’est vertueux, mais parce que faire le bien plaît à Dieu, à l’humanité et à nous-mêmes. Erasme développe cette idée dans son colloque L’Epicurien.

La déclaration d’indépendance américaine, à travers l’influence de Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716), qui part de Valla et d’Erasme, intègre explicitement cette notion dans l’idée de la défense de « la vie, la liberté et la poursuite du bonheur » (le bien étant consubstantiel avec le bonheur, dans le meilleur des mondes possibles de Leibniz).

Erasme se retrouve donc évidemment avec Valla, quand celui-ci se fâche contre cette « philosophie » d’Averroès et ses rejetons scolastiques. Il faut savoir qu’à l’époque d’Erasme rageait encore la bataille entre les « Anciens » (thomistes et scotistes) et les « Modernes » (Ockham et Buridan) et que pour bien marquer son rejet de ces écoles scolastiques, Erasme reprendra à son compte le terme de « philosophie du Christ » employé par Agricola, une philosophie qu’il voit exprimé par « saint Socrate », comme il le nomme dans le colloque Le Banquet religieux.

Polémiste chrétien mais anti-aristotélicien virulent, Valla est forcé d’aller de ville en ville pour devenir en 1433 le secrétaire d’Alphonse d’Aragon (1396-1458) à Naples. Là, il élabore entre autres un traité Sur le libre arbitre et réfute en 1440, sur des bases philologiques rigoureuses, l’authenticité de la « Donation de Constantin » déjà révélée par Nicolas de Cues dans la Concordance catholique. Ce texte, un faux, accordait des privilèges extravagants quasi-impériaux au pape et garantissait la mainmise totale des grandes familles romaines sur le Sacré Collège en charge de l’élection du pontife.

Nicolas de Cues

Le cardinal Nicolas de Cues, théo-philosophe et militant humaniste.

Quand l’humaniste Nicolas V (Tommaso Parentucelli, 1397-1455) devient pape en 1447, Nicolas de Cues et le cardinal Jean Bessarion (1403-1472) appellent les peintres Fra Angelico (1400-1455) et Piero della Francesca (1415-1492) à la Curie romaine tandis que Lorenzo Valla est chargé de traduire les historiens grecs Hérodote et Thucydide.

Dans le Repastinatio Dialecticae et Philosophiae (Eradication de la dialectique et de la philosophie) Valla affirme qu’il veut réfuter « Aristote et les Aristotéliciens, afin de préserver les théologiens de notre époque de l’erreur, et de les ramener vers la vraie théologie. »

Fâché contre la logique d’Aristote, il ne situe pas l’âme dans l’intellect, ni dans la volonté, mais dans le cœur (et Rabelais dira le sang). La séparation entre l’intellect et la volonté est artificielle parce que « c’est une seule âme qui comprends et se souvient, enquête et juge, aime et hait. » Ainsi, « l’amour (en grec : agape et en latin : caritas) est la seule vertu, car c’est l’amour qui nous rend meilleur ». Valla identifie cette qualité du sublime dans le combat, avec la « fortitude », et donne l’exemple du cas des apôtres, « qui, de couards, se transformèrent en hommes les plus courageux, du moment où ils reçurent le Saint-Esprit, qui est l’Amour du Père et du Fils. »

Erasme et More publient ensemble des œuvres de Lucien de Samosate (125-192). Peu créateur en philosophie, Lucien est un incomparable satiriste qui disait : « Je suis un homme qui hait les fanfarons et les charlatans, qui déteste les mensonges et les hâbleries, qui a en horreur tous les coquins […]. Or, il y en a beaucoup, comme vous savez […]. Oui, j’aime ce qui est vrai, ce qui est beau, ce qui est simple, en un mot tout ce qui mérite d’être aimé. Seulement, je dois avouer qu’il y a peu de gens auxquels je puisse faire l’application de cet art. »

Ainsi L’Evangile, de pair avec les dialogues de Platon, la verve des satires de Lucien, et aussi l’« épicurisme chrétien » de Valla, sera le modèle constant de More et d’Erasme.

L’Eloge de la folie

Hans Holbein le jeune, page de L’Eloge de la Folie.

Et puisqu’il faut s’amuser, pourquoi ne pas commencer par L’Eloge de la Folie ? Ecrit en quelques jours à Bucklersbury dans la maison de Thomas More près de Londres, ce texte exprime le choc ressenti par Erasme en voyant l’état lamentable dans lequel se trouvaient son église, et son Italie lorsqu’il s’y rend en 1506.

On comprend mieux ce qui a pu guider la main de l’auteur si nous le lisons à la lumière de ce que nous venons de voir au sujet de Valla : pour éduquer l’émotion, même si elle est un peu folle, il faut d’abord qu’elle puisse se manifester ! Ainsi la Folie personnifiée comme Stultitia, (qui oscille ironiquement entre fausse folie=vraie sagesse et fausse sagesse=vraie folie) y prend ironiquement la parole et se targue de ce que sans elle, rien n’est possible :

« Nulle société, nulle vie en commun ne saurait être agréable ou durable sans folie, à telles enseignes que le peuple ne pourrait supporter une minute de plus le prince, ni le seigneur le valet, ni la servante la dame, ni l’ami l’ami, ni l’épouse l’époux, s’ils ne se consentaient mutuellement tantôt de se tromper, tantôt de se flatter, puis à regarder sagement entre les doigts, ensuite à s’enduire d’un peu de miel de folie. »

Car, pour Erasme, il y a dans le monde beaucoup plus d’émotion (folie) que de raison. Ce qui maintient le monde en état, la source de la vie, relève de la folie (sagesse). Car l’amour est-il autre chose ? Pourquoi se marie-t-on, sinon par suite d’une aberration qui ne voit pas les inconvénients ? Toute jouissance et tout plaisir ne sont que des condiments de la folie. Lorsque le sage désire devenir père, il faut qu’il passe d’abord par la folie. Car qu’y a-t-il de plus fou que la procréation ?

« Pourquoi donc bécotons-nous et dorlotons-nous les petits enfants, si ce n’est parce qu’ils sont encore si délicieusement fous ? Et n’est-ce pas ce qui donne tant de charme à la jeunesse ? »

Mais la folie a une sœur qui s’appelle amour propre, autre ingrédient indispensable pour le bonheur. Une fois obtenue notre adhésion à cette énorme vérité humaine que la scolastique niait, Erasme fait éclore le deuxième thème, qui, discrètement présent dès le début (le père de la folie s’appelle « argent » et c’est lui qui dirige le monde..), nous surprend. Ici s’opère une magnifique transition où l’on passe d’un état de compassion à l’égard des faibles à une dénonciation satirique des forts.

De la folie « douce » des faibles, des enfants, des femmes, des hommes qui se trompent ou se sont éloignés de la raison par le péché, Erasme passe, et mobilise toute sa verve et son humour pour dénoncer la folie « dure » et criminelle des puissants, des « folie-sophes », des marchands, des banquiers, des princes, des rois, des papes, des théologiens et des moines.

Sans esprit de vengeance, mais avec le triste souvenir de son mauvais traitement dans les couvents, et tout en affirmant ne pas vouloir remuer cette Camarine (merde), la folie dit des moines :

« Les plus heureux, (…) sont ceux qui s’appellent communément eux-mêmes « [religieux] et [moines] » (solitaires), deux désignations très fausses, car la plupart d’entre eux sont très éloignés de la religion et on ne rencontre personne davantage qu’eux en tous lieux. Je ne vois pas quelle misère surpasserait la leur si je (la folie) ne venait à leur secours de maintes façons. Tout le monde les exècre au point que l’on considère comme un mauvais présage d’être fortuitement sur leur chemin ; cela ne les empêche pas d’avoir d’eux-mêmes une opinion grandiose et flatteuse. D’abord à leurs yeux la perfection de la piété c’est de n’avoir rien appris, pas même à lire. Puis, quand à l’église ils braillent leurs psaumes, qu’ils savent numéroter mais ne comprennent pas, ils croient chatouiller l’oreille des saints d’une profonde volupté. Parmi eux certains se font payer cher leur crasse et leur mendicité, devant les portes ils meuglent avec force pour qu’on leur donne du pain, [il n’y a pas d’auberge, de voiture, de bateau où ils ne fassent pas de chahut] au grand détriment bien sur des autres mendiants. Et c’est de cette manière que ces personnages tout à fait exquis, avec leur crasse, leur ignorance, leur rustauderie, leur impudence font revivre pour nous, disent-ils, les apôtres.

« Quoi de plus plaisant que de les voir tout faire selon une réglementation, d’après des sortes de tables mathématiques qu’il serait sacrilège de ne pas respecter : tant de nœuds à la chaussure, telle couleur pour chaque pièce de vêtement, telle diversité entre elles, telle étoffe et tant de chaumes de largeur pour la ceinture, tel aspect et tant de boisseaux de contenance pour le capuchon, tant de doigts de largeur pour la chevelure, tant d’heures de sommeil. Qui ne voit l’inégalité d’une telle égalité entre corps et esprits si divers ?… »

Pieter Bruegel l’aîné, La parabole des aveugles, 1568, Musée de Naples.

Ici nous vient inévitablement à l’esprit le tableau de Bruegel Les aveugles guidant les aveugles. Les scientifiques pensent aujourd’hui avoir identifié avec précision les quatre types de cécité différents qui frappent ces représentants des quatre ordres mendiants qu’on voit sur le tableau ! Où va le monde avec eux ? Dans le fossé !

Après toute cette dénonciation, Erasme avertit contre le voyeurisme cynique et le confort de l’impuissance, en disant que ceux qui trouvent que ceci est plus que ridicule doivent considérer ce qui est le plus sage : se réconcilier avec la folie de la vie (avoir la force d’aimer et d’agir), ou chercher une poutre pour se pendre !

L’Eglise du futur

En opposition avec cette satire, regardons cette « Eglise du futur » dont rêvaient les humanistes. On la trouve évoquée par François Rabelais dans le chapitre 52 du Gargantua. Gargantua propose au moine qui s’est fait remarquer par son amour pour les hommes en les défendant courageusement contre les soldats de Pichrocole (Charles Quint), de lui construire un monastère avec de belles murailles. Celui-ci répond que « ou mur y a et davant et derrière, y a force murmur, envie et conspiration mutue. »

Finalement, il construit l’abbaye de Thélème, un magnifique bâtiment hexagonal à six étages, digne des plus beaux châteaux de la Loire où, « Depuis la tour Artice jusques à Cryere estoient les belles grandes librairies, en Grec, Latin, Hébrieu, François, Tuscan et Hespaignol, disparties par les divers estaiges selon langaiges », référence on ne peut plus clair au projet du collège trilingue d’Erasme. (Thélème=désir en grec, peut-être une référence à Désiré Erasme).

Au lieu d’être repère de toute la lie de la terre, comme ce fut hélas souvent le cas pour les monastères, l’abbaye ne reçoit que les beaux et les belles, « bien formez et bien naturez », tous bien habillés avec les plus beaux habits possibles.

Dans une attaque satirique contre les souffrances imposées par les vêpres et autres matines, Gargantua disait que la plus sûre perte de temps qu’il ne connaisse « estoit soy gouverner au son d’une cloche, et non au dicté de bon sens et entendement. »

Par ailleurs la vie de l’abbaye était « employée non par loix, statuz ou reigles, mais selon leur vouloir et franc arbitre », le thème d’Erasme par excellence sur lequel nous reviendrons.

Leur règle était donc « Fay ce que vouldras », (souvent mal traduit comme [fais ce que TU voudras], ce qui enlève l’ambiguïté très intéressante entre ce que tu voudras et ce que Dieu souhaite que tu fasses) « …parce que gens libères, bien nez, bien instruictz, conversans en compaignies honnestes, ont par nature un instinct et aiguillon, qui toujours les poulse à faictz vertueux et retire de vice, lequel ilz nommoient honneur. »

L’optimisme philosophique exprimé par cette confiance dans le penchant naturel de l’homme à désirer le bien et l’auto-perfectionnement est précisément ce qui séparera toujours Erasme et Rabelais aussi bien des théologiens catholiques, que de Luther et Calvin.

Le Gargantua finit par une prophétie qui laisse entendre que Rabelais a compris que ce genre d’enseignement provoquera un tel bouleversement dans le monde que même les plus puissants ne pourront empêcher, car « Le filz hardy ne craindra l’impropère de se bender contre son propre père ; Mesmes les grands, de noble lieu sailliz, de leurs subjectz se verront assailliz, … »

Car une fois revenu à un véritable amour de l’enseignement du Christ et de l’Humanité, tous les autres problèmes du monde devenaient beaucoup plus facilement solvable.

La République Utopique

Thomas More. En l’an 2000, le pape Jean-Paul II le fait saint patron des responsables de gouvernement et des hommes politiques. Utopie?

L’Utopie (Isle de nulle part) que More a commencée dès 1509 pour faire diptyque avec L’Eloge de la folie et qu’Erasme lui pressa de terminer, est avant tout une satire. Erasme l’a complétée et veillé à son impression en 1516 chez Martens à Louvain.

Derrière le récit d’un personnage fictif, le marin portugais Raphaël Hythlodée « qui connaît assez bien le latin et très bien le grec », More esquisse le projet d’une véritable république, et élabore un programme d’action sur tous les problèmes sociaux (sécurité, crime, droit, mariage, éducation, etc.) et économiques (monnaie, monopoles, réforme agraire, laine, etc.) de son époque.

Hythlodée décrit une civilisation très organisée : elle possède des vaisseaux à carène plate et « des voiles faites de papyrus cousu », composée de gens qui « aiment à être renseignés sur ce qui se passe dans le monde » et qu’il « croit Grecque d’origine », car ils ont Lascaris (l’helléniste) comme seul grammairien.

Jean Lascaris

Jean Lascaris, helléniste hors pair et ambassadeur de François Ier à Venise.

A un moment il est dit : « Ah ! Si je venais proposer ce que Platon a imaginé dans sa République ou ce que les Utopiens mettent en pratique dans la leur, ces principes, encore que bien supérieurs aux nôtres, et ils le sont à coup sûr, pourraient surprendre, puisque chez nous, chacun possède ses biens tandis que là, tout est mis en commun. »

Ce commentaire satirique a attiré toutes les foudres des anticommunistes qui voyaient en lui et en Erasme des prédécesseurs de Marx, surtout quand More critique la dérégulation des marchés :

« Vos moutons, dis-je. Normalement si doux, si faciles à nourrir de peu de chose, les voici devenus, me dit-on, si voraces, si féroces, qu’ils dévorent jusqu’aux hommes, qu’ils ravagent et dépeuplent les champs, les fermes, les villages. En effet, dans toutes les régions du royaume où l’on trouve la laine la plus fine, et par conséquent la plus chère, les nobles et les riches, sans parler de quelques abbés (…), ne laissent plus aucune place à la culture (vivrière), démolissent les fermes, détruisent les villages, clôturant toute la terre en pâturages fermés, ne laissent subsister que l’église, de laquelle ils feront une étable… »

Aujourd’hui on considérerait que More est un « altermondialiste » avant l’heure. Aussi peu marxiste que Platon, More demande néanmoins l’abolition des monopoles privés et exige une régulation pour la défense de l’intérêt général, anticipant le protectionnisme altruiste de Jean-Baptiste Colbert, de Friedrich List et d’Alexandre Hamilton.

Encore plus drôle est le passage où il se moque de l’usure et de la frénésie pour les métaux précieux, usure alors à la source des pires exactions dans le nouveau monde : « Et qui ne voit qu’elle (la valeur de l’or) est inférieure à celle du fer, sans lequel les mortels ne pourraient vivre (…), alors que tout au contraire la nature n’a attaché à l’or et à l’argent aucune propriété qui nous serait précieuse, si la sottise des hommes n’ajoutait du prix à ce qui est rare ? La nature, (…) a mis à notre portée immédiate ce qu’elle nous a donné de meilleur, comme l’air, l’eau, la terre elle-même ; tandis qu’elle écarte de nous les choses vaines et inutiles. »

En Utopie, « pour parer à ses inconvénients, ils ont imaginé un moyen (…) Alors qu’ils mangent et boivent dans de la vaisselle de terre cuite, de forme élégante mais sans valeur, ils font de l’or et de l’argent, pour les maisons privées comme pour les salles communes, des vases de nuit et des récipients destinés aux usages les plus malpropres. Ils en font aussi des chaînes et de lourdes entraves pour lier leurs esclaves. Ceux enfin qu’une faute grave a rendus infâmes portent aux oreilles des anneaux d’or, une chaîne d’or au cou, un bandeau d’or sur la tête. »

Dénonçant le « complexe militaro-industriel » de son époque il critique les guerres injustes et inutiles et le danger d’avoir en permanence des armées professionnelles. « De quelque manière que les choses se présentent, je pense donc qu’un état n’a jamais aucun intérêt à nourrir en vue d’une guerre, que vous n’aurez que si vous le voulez bien, une foule immense de gens de cette espèce, qui mettent la paix en danger ».

Bien que le vol restera puni par la peine de mort en Angleterre jusqu’au milieu du XIXe siècle, More, le philosophe qui conseilla son prince et finit décapité par son meilleur élève le roi Henry VIII, dénonce cette loi comme inutile, perverse et radicalement contraire à l’Evangile : « Alors que Dieu a retiré à l’homme tout droit sur la vie d’autrui et même sur la sienne propre, les hommes pourraient convenir entre eux des circonstances autorisant des mises à mort réciproques ? »

Trois cents ans avant Friedrich Schiller, More et Erasme comprennent qu’une révolution politique passe par l’éducation de l’homme à des plaisirs élevés. Après avoir développé les plaisirs du corps (la santé, et l’absence de souffrance) il développe les plaisirs de l’âme, « qu’ils (en Utopie) considèrent comme les premiers et les plus excellents de tous, et dont la majeure partie résulte pour eux de la pratique des vertus et de la conscience de mener une vie louable. » Mais qui ne voit donc pas, que celui qui passe une vie à la recherche du plaisir du corps mène une vie « non seulement laide, mais pitoyable ? »

« Mais partout ils s’en tiennent au principe qu’un plaisir plus petit ne doit pas faire obstacle à un plus grand (noble) ; qu’il ne doit jamais entraîner la douleur après lui, et ce qu’ils considèrent comme allant de soi, qu’il ne doit jamais être déshonnête.

« Mépriser d’autre part la beauté du corps, ruiner ses forces, endormir son agilité par la paresse, épuiser son corps à force de jeûnes, détruire sa santé, rejeter avec mépris les autres douceurs de la nature, sans en espérer un surcroît de biens pour autrui ou pour l’Etat ni une joie supérieure par laquelle Dieu récompenserait le sacrifice ; pour une vaine ombre de vertu se détruire sans profit pour personne, avec l’idée de pouvoir supporter plus aisément un revers de fortune qui peut-être n’arrivera jamais : voilà ce qu’ils estiment être le comble de la folie, l’acte d’une âme méchante envers elle-même et suprêmement ingrate envers la nature, puisqu’elle la congédie avec tous ces bienfaits, comme si elle rougissait d’avoir cette dette envers elle. »

Mazarin

Le cardinal Mazarin, grand artisan de la paix en Europe.

More esquisse également les fondements d’une concorde entre l’Eglise et l’Etat, ce concept fondamental d’une laïcité positive, autorisant la liberté des consciences unies dans un intérêt supérieur. C’est ce concept qui sera repris dans l’édit de Nantes sous Henry IV et la paix de Westphalie de Mazarin : « Les Utopiens ont des religions différentes mais, de même que plusieurs routes conduisent à un seul et même lieu, tous leurs aspects, en dépit de leur multiplicité et de leur variété, convergent tous vers le culte de l’essence divine. C’est pourquoi l’on ne voit, l’on entend rien dans leurs temples que ce qui s’accorde avec toutes les croyances. Les rites particuliers de chaque secte s’accomplissent dans la maison de chacun ; les cérémonies publiques s’accomplissent sous une forme qui ne les contredit en rien. »

Et même : « Les uns adorent le soleil, d’autres la lune ou quelque planète. Quelques-uns vénèrent comme dieu suprême un homme qui a brillé en son vivant par son courage et par sa gloire.

« Le plus grand nombre toutefois et de beaucoup les plus sages, rejettent ces croyances, mais reconnaissent un dieu unique, inconnu, éternel, incommensurable, impénétrable, inaccessible à la raison humaine, répandu dans notre univers à la manière, non d’un corps, mais d’une puissance. Ils le nomment Père et rapportent à lui seul les origines, l’accroissement, les progrès, les vicissitudes, le déclin de toutes choses. Ils n’accordent d’honneurs divins qu’à lui seul.

« Au reste, malgré la multiplicité de leurs croyances, les autres Utopiens tombent du moins d’accord sur l’existence d’un être suprême, créateur et protecteur du monde. »

La pire calomnie contre More et Erasme, exactement la même que nous retrouvons aujourd’hui lancée contre Lyndon LaRouche et son mouvement, c’est justement que tout ceci est très beau, très idéal, mais totalement utopique et donc sans prise sur la vie politique ! Les belles idées sont sans effet sur la politique, qui elle, est sale et laide. Ecoutons Johan Huizinga, pourtant grand spécialiste d’Erasme :

« Malgré une certaine modération innée, Erasme était un esprit complètement impolitique. Il vivait trop loin de la réalité pratique et il avait une idée trop naïve de la perfectibilité des hommes pour être à même de comprendre les difficultés et les nécessités de l’appareil d’Etat. Ses conceptions au sujet du bon gouvernement étaient très primitives et, comme c’est souvent le cas chez des savants fortement teintés de morale, dans le fond très révolutionnaires, bien qu’il ne lui fût jamais venu à l’idée d’en tirer de telles conséquences. (…) Il voit les questions économiques dans leur simplicité idyllique. Le souverain doit régner gratis et lever aussi peu d’impôts que possible. (…) Il se révèle plus réaliste lorsqu’il énumère, à l’intention du prince, les travaux de la paix : l’entretien des villes, la construction de ponts, de halles, de rues, l’assèchement de marais, la rectification du lit des rivières, l’endiguement, le défrichement. » Pour Huizinga, tout ceci n’est pas de la politique car « ici, c’est le hollandais qui parle en lui ».

Erasme en Italie et la ligue de Cambrai

Et puisque justement on parle de politique, allons-y. Examinons un des enjeux essentiels de l’époque d’Erasme qui échappe à tant d’historiens recroquevillés sur leurs matelas académiques, et qui pourtant est fondamental pour comprendre la vie d’Erasme.

Car derrière cette féodalité des esprits, caricaturalement représentée par les ordres religieux et les empires terrestres qu’ils exploitaient, se trouvait une vaste féodalité de l’argent dont l’un des centres névralgiques s’appelle la Sérénissime Venise. Lieu de refuge des familles romaines quand les Goths d’Alaric saccagent la ville en 410, Venise, avec Gênes et les Lombards dans le nord est le centre d’un empire financier international. Leur devise sera « diviser pour régner » et leur spécialité le commerce des esclaves, les indulgences, et la manipulation des guerres. Pendant que la Venise « catholique » loue des bateaux aux croisés d’une main, elle n’hésite pas à vendre des canons aux Turcs de l’autre. Erasme décrit bien la nature de la bête dans son colloque L’Ami du mensonge et l’ami de la Vérité et il n’est pas le seul. Car, dès 1501, à Blois, le roi de France, Louis XII, et l’Empereur Maximilien envisagent de mettre fin à la domination de Venise.

En 1506, Erasme part en Italie en charge des enfants du médecin personnel d’Henry VII, et assiste surpris à Bologne au spectacle inoubliable de l’entrée du pape Jules II, armée de pied en tête, dans la ville. La seule vue du « Vicaire du Christ » à la tête d’une armée dans un tel appareil, le convainc de la véritable nature du personnage.

Alde Manuce

Alde Manuce, un éditeur avant tout au service du système?

Erasme sera à Venise avant et pendant les événements décisifs. D’abord, fin 1507, il s’introduit pendant plusieurs mois dans l’imprimerie d’Alde Manuce (1449-1515), grand éditeur d’Aristote dont l’atelier est devenu le rendez-vous obligé pour les lettrés et les érudits. Il y rencontre des hellénistes, en particulier Janus Lascaris (1445-1534), bibliothécaire et ambassadeur de Louis XII. Manuce, dont l’imprimerie est financée à l’origine par un futur détracteur d’Erasme, le prince Alberto Pio de Carpi (1475-1531), le loge chez Asolani, son beau-père. Erasme y partage pendant plusieurs mois sa chambre avec le jeune Aléandre et la nourriture y est tellement douteuse (selon le Colloque Opulence sordide) qu’il y attrape la gravelle.

Jérôme Aléandre (1480-1542), autre descendant d’une importante famille de Venise, était un littéraire de la nouvelle académie de Manuce et deviendra plus tard le légat du pape en charge de la lutte contre « l’hérésie ». Il s’implique dans une véritable chasse aux sorcières contre Erasme, homme qu’il hait de tout ses intestins, car il n’a pas trahi son idéal comme lui l’a fait. Il n’est pas exclu que tant de violence fut la réaction directe de l’oligarchie vénitienne. C’est contre Aléandre que Rabelais propose d’aider Erasme, dans sa lettre à notre humaniste.

Ensuite, le 10 décembre 1508 à Cambrai, une coalition hétéroclite est formée contre Venise réunissant différentes parties, hélas plus intéressées par leurs possessions que par l’avenir de l’humanité. Louis XII, protecteur de Léonard de Vinci, rêve de reprendre Milan car il descendait des Visconti. Le pape Jules II, grand amateur d’un catholicisme triomphant, veut reprendre la Romagne et Ravenne, occupées par Venise. D’autres princes et seigneurs entreront dans cette coalition.

Sur le champ de bataille d’Agnadel devant la ville, le 14 mai 1509 la Ligue de Cambrai inflige une défaite écrasante aux 40000 troupes vénitiennes. Le roi de France, Louis XII, charge immédiatement Léonard de Vinci de préparer les célébrations officielles de la victoire.

A Rome, le cardinal Raphaël Riario (1460-1521) demande alors à Erasme, présent dans la ville éternelle, d’écrire un mémorandum sur la situation. Erasme en fait deux, dont les textes ont bizarrement disparu. Il semblerait que tandis qu’un des textes expliquait comment faire la paix, l’autre stipulait comment gagner la guerre. Selon Melanchthon, le pape Jules II aurait soupiré qu’Erasme « ne comprenait définitivement rien aux affaires du monde. »

Agostino Chigi

Agostino Chigi, un banquier siennois à la tête du Vatican…

Jules II, qui en réalité semble vouloir faire la part belle aux concurrents de Venise, les Génois, envoi alors d’urgence son banquier, Agostino Chigi (1466-1520), l’homme qui a payé son élection en 1504 en achetant les voix des cardinaux, pour négocier une sortie de crise.

Chigi propose aux Vénitiens de renoncer à leur monopole sur l’importation de l’alun provenant de Turquie, une ressource stratégique indispensable pour fixer les teintures dans le textile et pour la fabrication du verre. Si en échange ils achètent l’alun de la mine papale de la Tolfa, dont Chigi a la gestion au service du Vatican, sa banque leur avancera l’argent nécessaire pour louer les mercenaires suisses qui permettront Venise de repousser la ligue de Cambrai, sur le point d’entrer dans la ville, et en position de mettre fin à leur système. Devant tant de choix, Venise accepte l’accord.

Jules II effectue alors un retournement d’alliances spectaculaire et s’allie avec les Vénitiens pour chasser les Français hors d’Italie. Le 5 octobre 1511, une Sainte Ligue officialise cette alliance et accomplit le travail. « Si Venise n’existait pas », disait le pontife, « il faudrait en faire une autre. »

Dominico Grimani

Dominico Grimani, le cardinal vénitien qui tenta de convaincre Erasme d’abandonner un combat jugé perdu d’avance…

A Rome, le cardinal vénitien Dominico Grimani (1461-1521), intime du banquier Chigi, offre alors habilement sa maison et sa bibliothèque riche de 8000 volumes à Erasme tentant de le retenir à Rome, tout en lui rappelant la fragilité de sa santé…

Celui-ci refuse et part pour l’Angleterre. Il y écrit en quelques jours L’Eloge de la Folie qu’il fait publier en France. Les humanistes avaient perdu une bataille, mais il fallait gagner la guerre. Un autre flanc s’ouvrait outre-Manche. Henry VII venait de mourir et le protégé de Thomas More, ce jeune lettré Henry VIII, avec lequel Erasme a échangé des poèmes, accède au trône.

A Rome, au service de Jules II, Le Bramante est chargé de lancer la reconstruction de Saint-Pierre, Raphaël est chargé des fresques de la Chambre de la signature et de la décoration de la villa d’Agostino Chigi, et Michel-Ange part à Carrare pour choisir les blocs de marbre pour le mausolée du pontife. Jules II, que Rabelais met en enfer à vendre des petits pâtés, sera le sujet d’une pièce tellement satirique, Jules refusé au paradis qu’Erasme dira que « l’auteur fut un fol, et l’imprimeur plus fol encore ».

Encourager Luther pour détruire Erasme

Lucas Cranach, portraits de Luther et de Melanchthon, 1543, Galerie des Offices, Florence.

Si l’on a souvent accusé Erasme d’avoir « pondu l’œuf que Luther a fait éclore », il serait plus juste d’affirmer que Luther est entré comme un renard dans le poulailler et que Venise lui a donné les clefs ! La question est légitime car si l’on avait voulu créer le prétexte nécessaire pour pouvoir abattre Erasme et son influence, on n’aurait pu mieux faire !

L’histoire s’accélère quand en août 1514, Albrecht de Brandebourg est promu archevêque de Mayence. Pour couvrir les frais de son installation, il concède une indulgence plénière (la rémission totale des péchés) contre de l’argent, le tout organisé par la banque des Fugger à Augsbourg, une dynastie de banquiers formée à Venise.

La moitié des profits lui revient, l’autre moitié part à Rome pour financer la reconstruction de la basilique Saint Pierre et ceux qui s’y réunissent. Le prédicateur dominicain Tetzel affirme que l’on peut même absoudre les morts, et que ceci ne nécessite aucune confession préalable ! L’historien Michelet affirme qu’on pouvait même obtenir la rémission des péchés futurs !

L’exploitation scandaleuse d’une véritable superstition pseudo-religieuse est l’enjeu réel de la plupart des débats théologiques. On soulignait « l’immortalité de l’âme », non pas pour obliger chacun à être responsable devant l’éternel, mais pour pouvoir vendre des indulgences ! Ces indulgences, qu’on nommait des « œuvres » ; permettaient à chacun de racheter ses péchés grâce à son « libre arbitre » !

Erasme avait déjà dénoncé les indulgences dans L’Eloge de la Folie publié en 1511, et la proportion scandaleuse de ces pratiques a peut-être été montée en épingle pour forcer une crise dont le terrain de bataille serait favorable aux ennemis d’Erasme.

Le siège de la banque Fugger à Augsbourg.

N’est-il pas étonnant de constater qu’en 1516, au moment même où Erasme estime être proche d’une victoire, le très vénitien Aléandre indique que « beaucoup ici n’attendent que la venue d’un homme providentiel pour ouvrir la gueule contre Rome ».

Ainsi Luther affiche à la fin de 1517 ses 95 thèses dénonçant la pratique des indulgences sur les portes de la Schlosskirche de Wittenberg. Il est évident que tant d’hypocrisie avait ouvert un boulevard pour le prédicateur et qu’il pouvait gagner une grande popularité en affirmant que le salut ne pouvait que venir de la foi (l’individu en relation directe avec Dieu, sans les sacrements de l’Eglise.) Bizarrement et sans qu’il l’ait souhaité ou suggéré, les thèses furent tout de suite traduites et imprimées en allemand pour atteindre toute l’Allemagne en moins d’un mois, délais extraordinaire pour l’époque.

Ensuite, en 1518, en reprenant le thème de Savonarole, adepte du thomisme, Luther présente à Heidelberg sa doctrine. Tout en attaquant la prédominance d’Aristote sur la théologie il affirme la nature pécheresse de l’homme et l’inexistence de la volonté humaine.

Estimant que l’homme est mauvais par nature, Luther est convaincu de l’imminence de la fin des temps:

Il survient au ciel beaucoup de signes qui annoncent que la fin du monde n’est pas éloignée. (…) Sur Terre, on s’occupe avec ardeur comme si le monde voulait se rajeunir et recommencer. J’espère que Dieu mettra fin à tout ça. Cela peut durer quelques années, mais le monde ne durera pas longtemps.

Le pape Léon X le convoque à comparaître devant son envoyé spécial à Augsbourg, le cardinal Cajetan et l’audience a lieu dans la maison des banquiers de la papauté, les Fugger (!). Luther refuse de reconnaître ses erreurs et, jetant le discrédit sur les demandes d’Erasme, appelle à un Concile général chargé d’abréger les mauvaises pratiques.

Erasme comprend immédiatement le rôle d’agent provocateur du prédicateur, car il se trouve maintenant entre le marteau et l’enclume, entre « Scylla et Charibde ». La radicalité luthérienne servira de prétexte à la répression du courant humaniste et il écrit : « Beau défenseur de la liberté évangélique ! Par sa faute, le joug que nous portons va devenir deux fois plus pesant. Ce qui autrefois n’était dans les écoles qu’une opinion probable devint déjà vérité de foi. Il devient dangereux d’enseigner l’Evangile…Luther agit en désespéré ; ses adversaires l’excitent à plaisir. Mais si nous devons assister à leur victoire, il ne nous restera que d’écrire l’épitaphe du Christ, qui ne ressuscitera plus. »

Charles Quint

Charles V.

Pour tenter de déjouer la logique infernale qui s’est enclenché contre lui, il est désormais obligé d’avancer sur plusieurs fronts à la fois. D’abord il écrit à Luther pour l’inciter à la modération. En même temps, il demande à l’électeur Frédéric de Saxe de ne pas livrer Luther avant qu’il n’ait été jugé par une université. Entre-temps il réédite son Poignard du soldat chrétien, indiquant le vrai défi devant la chrétienté et écrit au pape et aux cardinaux qui veulent encore l’écouter. Il leur demande de ne pas s’engager dans une querelle avec Luther tout en les mettant au pied du mur. La crise provoquée par Luther prouve son analyse : Si l’Eglise de Rome n’adopte pas les mesures de réforme lente et pacifique que lui, Erasme, propose, ils seront coupables d’avoir provoqué un siècle de violence ! Il le répètera dans sa lettre à More en 1527 : « je crains que bientôt cet incendie qui couve n’éclate et ne bouleverse le monde, c’est à cela qu’appellent l’arrogance des moines et la violence des théologiens. » La Rome immortelle entend habilement utiliser Luther contre Erasme. Elle ouvre donc la fausse polémique.

En 1519, Luther, à la recherche de financements, lance son Manifeste à la noblesse d’Allemagne sur la réforme de l’Etat chrétien manipulant le nationalisme naissant et le mécontentement des paysans. Il refuse la distinction entre le clergé et les fidèles, réclamant le droit au libre examen donné à chacun, et dénie au pape le droit de convoquer des Conciles, considérant que c’est une prérogative des princes. En se mariant avec une nonne qui lui donne six enfants, Luther flatte les valeurs de la famille chères au monde paysan. Et pour diriger la famille, pas de hiérarchie, pas d’intermédiaire, juste une Bible. Un livre au lieu d’un homme, prenez ceci et lisez !

En 1520 seront imprimées à Augsbourg, ville des Fugger, en quelques mois, d’août à novembre, les trois oeuvres majeures de Luther, dont Sur la captivité Babylonienne. A la fin de l’année, Luther brûle la bulle papale qui le condamne et au début de 1521, il est excommunié par Léon X. A la demande d’Erasme, qui pourtant n’aime pas Luther, l’électeur de Saxe le fait enlever et le cache en sécurité au château de la Wartburg.

Le duc d’Albe

Le duc d’Albe.

Erasme sait que si Luther tombe, tout son projet de réforme s’effondrera, et le monde s’engouffrera immédiatement dans la guerre. Entre-temps, Erasme réussit à mettre son ami, le modéré Melanchthon, à la tête du camp protestant qui rédige un catéchisme de la réforme et restera toujours ouvert à une réconciliation avec Rome.

Le 8 mai 1521, Charles Quint émet un premier placard qui condamne pour hérésie tout sujet qui osait imprimer ou lire les bibles et livres de Luther. Tout ceux qui violaient l’édit étaient coupables de laesa majestas divina, trahison contre Dieu. (Ce terme est identique à celui que le pape Innocent III employa contre l’hérésie cathare du treizième siècle.) L’établissement, pour la première fois, d’une équivalence entre l’hérésie et la trahison de l’Etat, punissable par la peine de mort, formait une juridiction d’exception totalement étrangère aux Pays-Bas Bourguignons. Les hérétiques étaient donc remis au « bras séculier » car lui seul pouvait disposer de la vie d’un condamné.

N’est-il pas étonnant que la bulle qui interdit les livres de Luther et incite à les brûler trouve son application initiale réservée exclusivement aux Pays-Bas Bourguignons, Etat-nation naissant et patrie d’Erasme, et nullement à la Saxe de Luther ! Charles Quint voulait ménager les princes allemands dont il réclame le soutien dans sa guerre contre François Ier, diront les historiens.

L’application de cette juridiction d’exception trouvera énormément d’opposition de la part des magistrats locaux qui résisteront tellement que Philippe II sera obligé d’envoyer le sanguinaire Duc d’Albe pour appliquer les décisions d’un Bloedraad (« tribunal du sang » ou Conseil des Troubles), ce qui provoquera le soulèvement du pays.

« Je trouve la mort plus douce que la servitude » (lettre d’Erasme à More)

A Louvain, où Erasme réside, Niklaas Baechem van Egmond, un carme bientôt à la tête de l’inquisition affirme à Louvain qu’« aussi longtemps qu’Erasme refuse d’écrire contre Luther, nous le tenons pour un luthérien » et la rumeur est lancée qu’il aurait rédigé les œuvres de Luther.

Tout ceux qui ont hésité à l’attaquer quand ils le croyait protégé par les rois ou le pape, donnent libre cours à leur haine. Les pires seront les faux amis, les jaloux et les seconds couteaux et ceux qu’Erasme appelle, reprenant Platon, « les frelons » (théologiens de tout poil). Il affirme néanmoins que « ni la mort ni la vie ne me détacheront de la communauté de l’Eglise catholique. »

Ses amis ont peur pour sa vie, et lui demandent d’écrire contre Luther… ou de le rejoindre. Rien de plus inquiétant d’être dans la raison et la modération.

Travailler à Louvain dans ce climat lui devient insoutenable et il part pour Bâle en 1522 où il retrouve le groupe d’amis autour de l’imprimerie de Johan Froben (1460-1527). Là, il retravaille les Colloques, certains rédigés initialement avant 1500 à Paris pour enseigner le latin à des enfants de familles aisées. Ayant compris que ses adversaires étaient de toute façon plus préoccupés par leur statut, leur honneur et leur mode de vie, que par une quelconque vérité relative à l’avenir de l’humanité, il les intègre personnellement dans ces petites pièces satiriques.

Que d’humour pour les ennemis de l’humour ! Erasme se fait un malin plaisir de ridiculiser le théologien anglais Edward Lee (1482-1544) et surtout le syndic de la Sorbonne, Béda, et tant d’autres qui ont empoisonné le monde en sabotant le climat de respect et de confiance mutuels qu’il aurait fallu pour accompagner une réforme incontournable. Vincent Dirks, dominicain louvaniste originaire de Haarlem et détracteur farouche d’Erasme se retrouve dans L’Enterrement sous la personne d’un cupide moine mendiant qui extorque d’un mourant des dispositions en faveur de son ordre.

Noël Béda (Bédier, 1470-1537) était le successeur de Jean Standonck de Malines, un pur produit du courant ascétiste des frères de la Vie Commune, au collège de Montaigu à Paris. Ce collège, d’une austérité insupportable, avait accueilli Erasme et Vivès, avant de voir passer Ignace de Loyola (1491-1556) et Jean Calvin (1509-1564) sur ses bancs. Béda fera tout pour impliquer Erasme dans le procès intenté contre le traducteur d’Erasme Louis Berquin (1485-1529), brûlé vif à Paris pour faits de religion. Bien avant l’index du Vatican, la Sorbonne commença à dresser les listes des écrits hérétiques et fera le premier index de cette époque en 1544. Mais déjà en 1526, la faculté condamna comme hérétique plusieurs propositions d’Erasme et plus tard les écrits de Rabelais. Déjà mis à mal par L’Eloge de la Folie, ses adversaires étaient encore plus outrés par les Colloques et ne lui ont jamais pardonné depuis. En 1530, François Ier, d’humeur humaniste, ordonna l’instauration du Collège des lecteurs royaux, présidé par Guillaume Budé en contact avec Erasme, pour court-circuiter ces centres de médisance.

La persécutions des juifs et des moresques d’Espagne en 1492 par Thomas de Torquemada (1420-1498) sous Isabelle la Catholique avait remis le goût du sang à la bouche de l’Inquisition. Cette Inquisition allait bientôt continuer sa sinistre besogne dans le plat pays. Déjà des témoignages ont dû venir aux oreilles d’Erasme, qui s’était attiré toutes les foudres pour sa défense de Johannes Reuchlin (1455-1522), célèbre hébraïsant qui avait protesté contre la destruction des livres hébraïques par les dominicains de Cologne.

Juan Luis Vivès

Buste de Vivès à Bruges.

Son ami Juan Luis Vivès (1492-1540), un juif converti et éducateur passionné qui collaborera avec Thomas More et Erasme à Louvain aurait pu lui raconter ce que nous savons aujourd’hui. En 1524, le père de Vivès est brûlé sur le bûcher en Espagne, accusé par l’Inquisition de pratique judaïque secrète et, quelques années plus tard, les dépouilles de sa mère, pourtant morte depuis 1509, seront déterrées et brûlées pour les mêmes raisons (!).

Paradoxalement, c’est en Espagne que les œuvres d’Erasme ont été le plus traduites et imprimées. Le cardinal de Tolède, Ximénèz de Cisnéros (1436-1517), y fait publier une bible polyglotte par le centre biblique trilingue de l’université d’Alcalá. Jusqu’à la mort d’Erasme, l’Inquisition y fut tellement divisée qu’elle se trouvait dans l’incapacité de le condamner. Mais après la mort de Ximénès, son collaborateur jaloux, Diego Lopez de Zuniga, rejoindra en 1522 le camp des ennemis d’Erasme.

En 1527, le sac de Rome par des lansquenets luthériens et les hidalgo espagnols, ne fait que confirmer ce qu’Erasme avait prévu et il souligne plus que jamais l’urgence de son projet : L’Eglise doit accepter de se réformer et tant que le pape se mêle d’affaires terrestres et de successions impériales, la guerre est au rendez-vous. Il dénonce le messianisme hispano impérial sous lequel est tombé Charles Quint en suivant les conseils des théologiens, et il défend l’idéal du régime constitutionnel des XVII Provinces des Pays-Bas Bourguignons qu’il a vu fonctionner lui-même.

Erasme, fatigué par la barbarie et ce qu’il appelle « la matélogie » (le parler en vain) répète dans l’Hyperaspistes (super bouclier) : « Je n’ai jamais renié l’Eglise catholique. Je sais que dans cette Eglise, que vous appelez papiste, il y a beaucoup qui me déplaisent, mais de pareils j’en vois aussi dans votre Eglise. On supporte plus aisément les défauts auxquels on est habitué. Par conséquent, je supporte cette Eglise jusqu’à ce que j’en aperçoive une qui soit meilleure, et elle est bien obligée de me supporter jusqu’à ce que je devienne meilleur moi-même. Et il ne navigue pas mal celui qui passe à égale distance de deux maux différents. »

En 1530, Erasme écrit à l’un de ses derniers interlocuteurs à Rome, le cardinal de Carpentras Jacques Sadolet (1477-1547), « Quand vous verrez se produire, ce qu’à Dieu ne plaise, des bouleversements terribles dans le monde, funestes non tant pour l’Allemagne que pour l’Eglise, rappelez-vous alors qu’Erasme l’avait prédit. »

Libre interprétation contre libre arbitre

Sous la pression de ses amis qui se polarisent dans les deux camps, Erasme se résout finalement à attaquer le fond de la pensée de Luther (et des frelons), tout en maintenant ses exigences de réforme. Il propose à chaque nouveau pape de former une commission indépendante regroupant des représentants respectés par l’ensemble des parties concernées et les états. Mais Rome continuera son double jeu.

Sollicité par les princes, et en particulier Henry VIII, Erasme écrira, dans les traces d’Augustin et de Valla, une Diatribe sur le libre arbitre, que Leibniz va pousser plus loin dans son Théodicée, et qui sera publiée à Anvers en 1524.

Cette question d’apparence théologique (« par libre arbitre j’entends ici l’action efficace de la volonté humaine qui permet de s’attacher à ce qui le mène au salut éternel ou de s’en détourner »), touche en réalité au fond de la thèse humaniste : sommes-nous capables de faire le choix du bien ou sommes-nous simplement « comme les haches dans les mains du bûcheron ? »

Erasme démontre d’abord à l’aide d’exemples le danger de pousser à l’absurde tout débat théologique, si l’on oublie la charité. « Certains thèses sont nuisibles précisément parce qu’elles sont inadaptées, comme du vin à un fiévreux. (…) Jouer ce genre de pièces devant un public nombreux et disparate, me semble non seulement inutile, mais encore pernicieux. »

Ensuite, il pèse les textes favorables et défavorables au concept du libre arbitre et constate que sans celui-ci la notion de péché perd toute substance. Si l’homme n’est plus responsable de ses actes quand il fait le bien, comment pourrait-on le tenir responsable de ses actes mauvais ?

Une fois clairement énoncé qu’il existe une harmonie entre une grâce coopérante et un libre arbitre coopérant avec Dieu, il est important de définir la proportion de chacun.

Différent de Saint Augustin qu’il juge trop dur, et pour qui le libre arbitre n’existe que grâce à la part divine que Dieu a créé en l’homme, Erasme accorde un rôle réel au libre arbitre des hommes, sans pour autant tomber dans l’hérésie Pélagienne, selon laquelle l’homme est tout et Dieu très peu.

Pour rendre sa pensée lisible, il évoque une métaphore simple, mais tendre, et belle :

« Un père a un enfant encore incapable de marcher, il tombe, le père le relève tandis qu’il fait des effortsn’importe comment pour se remettre debout ; il lui montre un fruit placé en face ; l’enfant se démène pour accourir, mais à cause de la faiblesse de ses membres il aurait vite fait de s’écrouler à nouveau si le père ne lui tendait la main pour le soutenir et ne dirigeait sa marche. Ainsi guidé par son père il parvient au fruit que le père lui met dans la main très volontiers comme récompense de son parcours. L’enfant ne pouvait se relever si son père ne l’avait ramassé ; il n’aurait pas vu le fruit si son père ne le lui avait montré ; il ne pouvait avancer si son père n’avait constamment aidé ses faibles pas ; il ne pouvait atteindre le fruit si son père ne lui avait mis dans la main. Qu’est-ce que l’enfant va revendiquer pour lui dans ce cas ? Et pourtant on ne peut dire qu’il n’ait rien fait. Mais il n’y a pas de quoi se glorifier de ses forces, puisqu’il doit à son père tout ce qu’il est. »

Erasme réussit ici un incroyable tour de force en mettant le doigt sur l’orgueil, un péché capital de surcroît, partagé par Rome et Luther. L’orgueil de celui qui réclame le droit au « libre examen » rejoint l’orgueil des liturgies excessives. Sa défense de la modestie de l’homme face à Dieu, dont Luther prétendait avoir le monopole, déjouait le fanatisme de ce dernier et ramenait beaucoup d’hommes à la sagesse. Au biblisme cruel d’un Luther partisan d’une grâce avare et réservée aux purs (cathares), Erasme oppose la générosité et la miséricorde infinie de Dieu toujours prêt à aimer ceux qui font authentiquement le libre choix de revenir à lui.

Gérard David, Repos pendant la fuite en Egypte (détail).

Faut-il s’étonner de voir apparaître soudainement chez un peintre comme Gérard David, ami de Quinten Metsys à Anvers, des vierges ayant sur leurs genoux des enfants qui tentent d’attraper des fruits ?

Luther livra toute sa science juridico-théologique dans son Du serf arbitre qu’il publie un an après Erasme, en décembre 1525. D’une politesse hypocrite, Luther conteste Erasme et mobilise toute sa science pour fournir les arguments à l’Inquisition pour réprimer notre humaniste. Piqué au vif par ce dernier quand il soulignait le danger consistant à faire d’une question théologique une si grande affaire, Luther proteste qu’Erasme « range l’affaire du libre arbitre au nombre de celles qui sont inutiles et non nécessaires. A sa place, tu énumères à notre intention les choses que tu juges suffisantes pour la piété chrétienne : cela donne une forme telle que pourrait la dessiner n’importe quel juif ou païen qui ignorerait tout à fait le Christ. Car du Christ, tu n’en fais même pas mention d’un iota, comme si tu pensais que la piété chrétienne pouvait exister sans le Christ, pourvu seulement qu’on adore de toute sa force [le Dieu très clément] par nature. Que dirais-je ici, Erasme ? Tout entier, tu dégages l’odeur d’un Lucien, et tu me souffles les vapeurs de la grande ivresse d’Epicure. »

Dans sa conclusion, Luther réaffirme et prouve sa thèse avec des axiomes qu’il annonce d’emblée : « Si en effet nous croyons qu’il est vrai que Dieu connaît et organise à l’avance toutes les choses, il ne peut alors être trompé ni empêché en la prescience et la prédestination qui sont les siennes. Ensuite, rien ne peut se produire, s’il ne le veut lui-même : c’est ce que la raison elle-même est forgée de concéder ; et du même coup, au témoignage de la raison précisément, il ne peut y avoir aucun libre arbitre dans l’homme. (…) Il est tout aussi manifeste, comme il résulte précisément de l’œuvre accomplie et de l’expérience, que l’homme sans grâce ne peut rien vouloir, si ce n’est le mal. Mais en somme : si nous croyons que le Christ à racheté les hommes par son sang, nous sommes forcés de reconnaître que c’est l’homme tout entier qui était perdu ; autrement nous concevrons un Christ, soit superflu, soit rédempteur de la partie la moins valable : ce qui est un blasphème et un sacrilège. »

Le calvinisme et le jansénisme ne seront que des interprétations de plus en plus radicales et « à la lettre » de quelques phrases d’Augustin ou de l’épître aux éphésiens de Paul, quand il déclarait (II, 8) : « C’est par la grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. Ce n’est pas par les œuvres, afin que personne ne se glorifie. »

Le Cicéronien

Voyant venir à grand pas les guerres de religion et l’Inquisition, Erasme double la pression sur ceux qu’il aime pour qu’une réforme progressive, raisonnable et humaniste de l’Eglise et de la société puisse s’organiser. Exaspéré par la décadence des humanistes de cette Italie dans laquelle il avait placé tout son espoir, il publiera en 1528 Le Cicéronien ou du meilleur genre d’éloquence, attaque satirique contre la secte créée par le vénitien Pietro Bembo (1474-1547) et dont faisait partie Jérôme Aléandre.

Cicéron

Cicéron se servait d’un latin magnifique.

Les Cicéroniens étaient le nom générique pour le Bembisme : pour eux, on ne pouvait que s’exprimer en imitant de façon pédante le langage de Cicéron et exclusivement en employant des mots, des bouts de phrases et des phrases de Cicéron ! Le Livre du Courtisan de Baldassare Castiglione (1478-1529), entièrement construit avec des emprunts de Cicéron et de Bembo, où il se moque de Léonard de Vinci, et qui sort des presses de Venise la même année, en est un bel exemple.

Erasme les supporte de moins en moins, car au lieu de se battre pour un projet de réforme et empêcher la guerre, ils passent, dans le meilleur des cas, leur temps à se faire plaisir avec des « belles lettres ». Erasme démasque le but non avoué de cette manœuvre pseudo intellectuelle : ramener le paganisme romain de ceux qui jadis avaient jeté les chrétiens aux lions :

Bouléphore (le donneur de conseil) : Mais alors, l’état présent de notre siècle est-il, à ton avis, en harmonie avec les traits essentiels de l’époque où Cicéron a vécu et a parlé, alors que s’est produit un changement du tout au tout dans la religion, l’empire, les magistratures, la chose publique, les lois, les moeurs, les études, l’apparence physique même des hommes, et tout le reste ?

Nosopon (le malade) : Rien n’est semblable.

Bouléphore : Quelle serait donc l’impudence de celui qui exigerait que nous parlions de toutes choses à la manière de Cicéron ? Qu’il nous rende d’abord la Rome qui existait autrefois, qu’il nous rende le sénat et la curie, les Pères Conscrits, l’ordre équestre, le peuple réparti en tribus et en centuries, qu’il nous rende les collèges des augures et des aruspices, les Grands Pontifes, les flamines et les vestales, les édiles, les préteurs, les tribuns de la plèbe, les consuls, les dictateurs, les Césars, les comices, les lois, les sénatus consultes, les plébiscites, les statues, les triomphes, les ovations, les supplications, les temples et les sanctuaires, les coussins sacrés, les rites religieux, les dieux et les déesses, le Capitole et le feu sacré : qu’il nous rende les provinces, les colonies, les municipes et les alliés de la ville maîtresse du monde. Puisque à tous points de vue la scène des affaires humaines a été totalement bouleversée, qui aujourd’hui pourrait parler de la façon adaptée sans être profondément différent de Cicéron ?

(…) Je dois faire un sermon devant une foule mêlée dans laquelle se trouvent des vierges, des femmes mariées et des veuves ; il faut parler des bienfaits du jeûne, de la pénitence, du fruit de la prière, de l’utilité des aumônes, de la sainteté du mariage, du mépris des choses passagères, du zèle pour les lettres divines ; de quel secours sera ici pour moi l’éloquence de Cicéron qui ne connaissait pas les réalités dont je dois parler et donc ne pouvait employer des mots qui sont nés après lui, nouveaux pour des choses nouvelles. Est-ce qu’il ne sera pas de glace l’orateur qui coudrait à de tels sujets des lambeaux arrachés à Cicéron…

(…) Que fera alors le candidat au style cicéronien ? Se taira-t-il ou bien changera-t-il ainsi les termes reçus chez les chrétiens ?

Nosopon : Pourquoi pas ?

Bouléphore : Eh bien imaginons un exemple. La phrase suivante « Jésus-Christ, Verbe et Fils du Père éternel, selon les prophéties est venu dans le monde et s’étant fait homme, il s’est lui-même livré à la mort, il a racheté son Eglise, a détourné de nous la colère de son Père offensé, nous a réconciliés de Lui, afin que justifié par la grâce de la foi et délivré de la tyrannie, nous sommes introduits dans l’Eglise et, persévérant dans la communion de l’Eglise, nous parvenions après cette vie dans le royaume des cieux », le Cicéronien le formulera ainsi : « Interprète et Fils de Jupiter Très bon et Très grand, Sauveur, Roi, selon les réponses des vaticinateurs, il est descendu de l’Olympe sur terre, et ayant assumé la forme humaine, il se dévoua spontanément aux dieux mânes pour le salut de la république et libéra ainsi son assemblée ou cité ou république et éteignit la foudre de Jupiter Très bon Très grand brandie sur nos têtes, il nous rétablit dans les bonnes grâces de celui-ci, afin que restaurés dans l’innocence par la munificence de la persuasion, et affranchis de la domination du sycophante, nous soyons cooptés dans la cité et persévérant dans la société de la république, quand les destins nous appelleront hors de cette vie, nous détenions le pouvoir souverain dans la compagnie des saints. »

(…) C’est du paganisme, crois-moi, Nosophon, c’est le paganisme qui persuade ces choses à nos oreilles et à nos cœurs : nous ne sommes chrétiens que de titre. Le corps a été immergé dans l’eau sacrée, mais l’âme n’est pas lavée ; le front a reçu le signe de la croix, mais l’âme maudit la croix ; nous professons Jésus avec la bouche, mais nous portons dans le coeur Jupiter Très bon Très grand et Romulus.

En 1530, après que le pape Clément VII eut accepté finalement de couronner Charles Quint empereur, Venise compensera Bembo pour ses loyaux services et le vrai gouvernement de Venise, le Conseil des Dix, en fera l’historiographe officiel de la pseudo République Vénitienne.

Erasme, qui refusa le cardinalat que lui proposa Paul III en 1535, se fera violemment attaquer par un Cicéronien en 1531, Jules César Scaliger (1484-1558). Etienne Dolet (1509-1546), un cicéronien (ex-humaniste) français qui se déchaînera également contre l’humaniste, finira quand même sur le bûcher.

Erasme étant accusé d’attaquer Rome et l’Italie, l’anti-érasmisme y devient une question nationale.

A partir de 1543, les oeuvres d’Erasme seront brûlées par le bourreau à Milan avant de subir l’interdiction totale par l’Index Vaticanus en 1559 où elles resteront jusqu’en 1900.

Cent ans après, la canonisation de saint Thomas More, le 4 novembre 2000, par Jean-Paul II indique heureusement que les choses peuvent changer.

François Rabelais (1494-1553)

François Rabelais. Portrait présumé.

En guise de conclusion voici maintenant un coup d’oeil rapide sur un vrai Erasmien français. Né en 1483 ou 1494, François Rabelais appartient en 1521 au couvent franciscain du Puy-Saint-Martin, près de Fontenay en Vendée. Là, il se lie d’amitié avec Pierre Amy (Lamy), dont Erasme dira qu’il n’avait « jamais vu de mœurs plus pures que les siennes ». Lamy le fait correspondre avec Guillaume Budé (1467-1540), promoteur des lettres grecques en France comme Jacques Lefèvre d’Etaples et le cercle de Meaux qu’anime son élève l’abbé Guillaume Briçonnet (1472-1534).

Toujours avec Lamy, Rabelais fréquente le cénacle humaniste du légiste André Tiraqueau à Fontenay. Rabelais y rencontre le seigneur Geoffroy d’Estissac, prieur et évêque de l’abbaye bénédictine de Maillezais, dont il sera le secrétaire pendant de longues années.

Vers la fin 1523, la Sorbonne (franciscaine), alarmée par la publication d’Erasme sur le texte grec de L’Evangile de Saint Luc, décide d’interdire en France l’étude du grec. Les moines du couvent de Rabelais confisquèrent sans vergogne les livres grecs de Rabelais et de Lamy. Là, Rabelais vit en quelque sorte la même expérience qu’Erasme avec les frères de ’s Hertogenbosch.

Lamy part pour Orléans, passe un moment à Lyon et finit en Suisse. Rabelais quitte le couvent en 1527 et part étudier la médecine à Paris, sous l’habit laïc. Bachelier à Montpellier, il commente les écrits sur la médecine d’Hippocrate et de Galien qu’il traduit du grec au latin en 1531.

Entre 1532 et 1533, on le retrouve médecin à Lyon tout en étant correcteur comme Etienne Dolet chez Sébastien Gryphe (1491-1556), imprimeur d’Erasme. Sous le nom d’Alcofrybas Nasier (anagramme de François Rabelais) il publie en 1532 son premier livre Pantagruel, censuré par la Sorbonne pour obscénité.

Guillaume du Bellay

Guillaume Du Bellay.

Il accompagne Geoffroy d’Estignac à Rome entre 1533 et 1536 et y retourne comme médecin de Guillaume du Bellay (1491-1543), frère du cardinal de Paris, Jean du Bellay. Les du Bellay étaient le pont entre les « politiques » ; français et les réformés modérés d’Allemagne dirigés par l’ami d’Erasme, Philipp Swarzerd (Melanchthon) (1497-1560). Ils seront aussi chargés par le roi de France d’une mission diplomatique délicate : servir d’intermédiaires entre Rome et Henry VIII dans l’affaire de son divorce, c’est à dire la mission même qui coûtera la tête à Thomas More en 1535. Lors de la mort de du Bellay, Charles Quint aurait affirmé que sa plume lui avait causé plus de dégâts que toutes les armées françaises.

Rabelais compte parmi les protégés de Marguerite de Navarre (1492-1549), sœur du roi François Ier, et obtient après la mort de ce dernier une protection du roi Henri II.

Il serait fastidieux d’analyser ici en détail de quelle façon Rabelais incorpore la « science » érasmienne. Le passage sur le torche-cul, satire contre le scolastique « docteur subtil » Duns Scot (1266-1308), ou le dialogue muet entre l’anglais Thaumaste et Panurge, où Rabelais se moque sans scrupules du nominalisme de Guillaume d’Ockham (1290-1349), figurent parmi les exemples emblématiques de cette « philosophie du Christ » qu’il partageait avec les humanistes. Les rebonds de L’Utopie de Thomas More et les Adages et Colloques d’Erasme ont été largement documentés. En tout cas, dans une lettre, Rabelais confesse humblement sa dette envers Erasme : « Ce que je suis, ce que je vaux, c’est à vous seul que je le dois. »

C’est évidemment dans le cadre opérationnel d’un réseau de résistance qu’il faut situer cette lettre de Rabelais à Erasme. Le 30 novembre 1532, Rabelais, prudent, écrit de Lyon en Latin à un certain Bernard Salignac, prête-nom pour Erasme, installé à Bâle. Au nom de l’évêque de Rodez, Georges d’Armagnac, un des diplomates de François Ier, Rabelais lui adresse L’Histoire juive de Flavius Josèphe.

« C’est pourquoi j’ai saisi cette occasion (…) de vous faire connaître (…) quel sentiment de respectueuse affection je vous porte, cher Père savant et bon. Je vous ai nommé « père », je dirais même « mère » (…). En effet les femmes enceintes (…) nourrissent un fœtus qu’elles n’ont jamais vu et le protègent de la nocivité de l’air ambiant ; vous vous êtes donné ce mal, précisément : vous n’aviez jamais vu mon visage, mon nom même n’était pas connu, et vous avez fait mon éducation, vous n’avez pas cessé de me nourrir du lait irréprochable de votre divine science ; ce que je suis, ce que je vaux, c’est à vous seul que je le dois : si je ne le faisais pas savoir, je serais le plus ingrat des hommes du temps présent et à venir. C’est pourquoi je vous salue, et vous salue encore, Père tout plein d’amour, vous qui êtes le père de votre patrie et sa gloire, défenseur des lettres, vous qui écartez le mal, et qui êtes le champion invincible de la vérité. »

Rabelais raconte alors qu’il entretient des « relations très familières » avec Hilaire Bertolphe, un des anciens secrétaires d’Erasme en contact avec Vivès. Bertolphe, un gantois réfugié à Lyon, l’aurait informé de la campagne de dénigrement systématique qu’organisait le prélat du pape Jérôme Aléandre à l’égard de l’humaniste. Les historiens modernes n’ont pas hésité à accuser Erasme d’avoir souffert d’un « syndrome de persécution ».

Erasme voyait à juste titre la « géométrie mentale » d’Aléandre et de Béda dans les écrits de ses détracteurs. Il pensait même que Jules César Scaliger, un averroïste, élève de l’université de Padoue et « Cicéronien » ; piqué au vif par la satire d’Erasme, n’était qu’un simple prête-nom d’Aléandre. L’hypothèse paraît séduisante étant donné que Cicéron lui-même souligne le prétendu bon caractère de l’empereur romain Jules César. Au-delà d’un témoignage d’affection, Rabelais livre à Erasme de précieux renseignements sur Scaliger, lui signalant qu’il s’agit d’un exilé de la famille des Scaliger de Vérone, pratiquant la médecine à Agen, près de Bordeaux. Pour sécuriser le contenu de la lettre, Rabelais emploie le grec, langue que seuls les humanistes maîtrisaient, pour le passage le plus sensible de la lettre. Il renseigne Erasme sur Scaliger : « et par Zeus, il n’a pas bonne réputation ; c’est le diable à coup sûr ; en bref, s’il a quelque science médicale, il est totalement athée, totalement, comme personne ne le fut jamais. » Rabelais, pour soulager la souffrance d’Erasme, rajoute que « ceux qui, à Paris, vous veulent du bien » ont court-circuité la diffusion du livre diffamatoire.

Pendant que les uns affirment qu’Erasme n’a jamais reçu la lettre, les autres disent que le manuscrit transmis fut effectivement publié. Mais ce qu’Erasme écrit à la fin de sa vie résonne comme un écho à la lettre de Rabelais :

« Journellement me parviennent de toutes les régions de l’univers les remerciements de ceux qui m’assurent que mes œuvres, quels que puissent être leurs mérites, les ont animés d’un beau zèle pour la bonne volonté et pour l’étude des lettres sacrées ; et ceux-la qui n’ont jamais vu Erasme, le connaissent et l’aiment pourtant, grâce à ses livres. »


Bibliographie sommaire


Bierre, Christine, Rabelais et l’art de la Guerre, Nouvelle Solidarité, 2003.
Cassirer, Ernst (sous la direction de) The Renaissance philosophy of man ; selected writings of Petrarca, Valla, Ficino, Pico, Pomponazzi, Vivès University of Chicago Press, 1948.
Chomarat, Jacques, Erasme, œuvres choisies, Livre de Poche, 1991.
Erasme, Robert Laffont, Collection Bouquins, 1992.
Erasme de Rotterdam et Thomas More, correspondance, Centre d’études de la Renaissance, Université de Sherbrooke, Canada, 1985.
Erasme, Colloques, Imprimerie Nationale Editions, Paris, 1992.
Diwald, Hellmut, Luther, Seuil, 1985.
Eichler, Anja-Franziska, Albrecht Dürer, Könemann, Cologne, 1999.
Epicure et les épicuriens, textes choisis, Presses Universitaire de France, Paris, 1997.
Halkin, Léon E., Erasme, Fayard, 1987.
Huizinga, Johan, Erasme, Gallimard, 1955.
Lépine, François, François Rabelais, papier de recherche non publié, 2003.
Luther, Martin, Du serf arbitre, Gallimard, 2001.
Margolin, Jean-Claude, Erasme, précepteur de l’Europe, Julliard, 1995.
Mirak-Weisbach, Muriel, Thomas Morus, Vorbild der Staatskunst, Ibykus, n°77, 2001.
More, Thomas, L’Utopie, GF-Flammarion, 1966.
Rabelais, Oeuvres complètes, Seuil, 1973.
Renan, Ernest, Averroès et l’averroïsme, Maisonneuve Larose, 2002.
Renaudet, Augustin, Erasme et l’Italie, Droz, 1998.
Sanders, Richard, Erasmus of Rotterdam and the 500 years was against usury, papier de recherche, non publié.
Tracy, James D., Erasmus of the Low Countries, Berkeley University of California Press, 1996.
Tracy, James D., Holland under Habsburg Rule, 1506-1566, Berkely, University of California Press, 1990.
Vereycken, Karel, Entre Erasme et Venise, qui était Raphaël, papier de recherche non publié, juin 2000.

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Les secrets du dôme de Florence

Après une enquête approfondie sur les techniques de construction des voûtes et des coupoles depuis l’antiquité jusqu’à nos jours, Karel Vereycken explore et valide la place centrale de la courbe chaînette, une courbe physique, dans la conception du dôme de Florence par Brunelleschi.

Cet article a été initialement publié dans le N°96 de la revue scientifique Fusion de juin 2003 (fichier pdf: Les secrets du dôme de Florence, Fusion). En 2013, Karel Vereycken contribua au numéro hors série « Florence, l’invention de la Renaissance« du magazine Beaux-Arts.

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Pour le sage, au contraire, il n’est rien d’invisible, sinon ce qui n’est pas, sinon la pure absence. (Filippo Brunelleschi, en réponse à un de ses détracteurs)

Le dôme est devenu le symbole même de la Renaissance.


Introduction

Tout le monde pense connaître l’énorme dôme à pans coupés sur plan octogonal de l’église Santa Maria del Fiore dominant la belle ville de Florence de ses quelques cent douze mètres, car chacun l’a vu, au moins en photo.

Le 25 mars 1436, un motet en quatre voix, le  Nuper Rosarum Flores  composé pour sa consécration par le flamand Guillaume Dufay, annonça : « Naguère des guirlandes de roses, par la grâce pontificale et en dépit d’un hiver sauvage, te furent offertes, Vierge céleste, comme ornement perpétuel, avec un temple de grande ingénuité, à toi dédié avec pitié et sainteté. » (*)

Les deux escaliers de 463 marches qui serpentent entre les deux calottes conduisent à la base d’un lanternon qui se trouve à la hauteur équivalente d’un immeuble de quarante étages. Achevé en 1436 après seize ans et deux semaines de travail acharné, nécessitant près de quatre millions de briques et pesant environ 37.000 tonnes, le dôme est devenu non seulement l’emblème de Florence mais le symbole même de la Renaissance.

Avec ses 42,2 m de diamètre, sa largeur est quasiment l’équivalent de celui de la coupole sphérique du Panthéon de Rome (43,4m) et son diamètre ne sera que légèrement dépassé en 1765 par la Halle aux Blés de Paris (44m). Ni la basilique Saint-Pierre de Rome (42m), ni le dôme des Invalides (27,5m) ni la cathédrale Saint-Paul de Londres (30,7m), ni même la coupole (en métal) du Capitole de Washington D.C. ne le dépassent.

Sa réalisation, tenu pour impossible à son époque, est associée au nom d’un seul homme -Filippo Brunelleschi (1377-1446) – à qui l’on attribue également l’invention de la perspective linéaire. L’architecte, Léon Battista Alberti (1404-1472), dans le prologue de son traité sur la perspective  De Pictura  (1435) disait de lui : « Quel homme, si dur ou si jaloux, ne louerait l’architecte Filippo en voyant cette énorme construction se dressant jusqu’au ciel, assez vaste pour couvrir de son ombre toute la population de Toscane, et exécutée sans l’aide de poutrages ni de renfort de supports de bois. »

Comme nous allons le voir ici, ce grand chantier, mettant au défi toutes les connaissances humaines de l’époque, fut la véritable locomotive d’une révolution dans les sciences et les techniques qui entraînera, pendant des siècles, une vague d’optimisme au grand bénéfice de l’ensemble de l’humanité.

Avec le duomo, Brunelleschi tracera de nouveaux horizons, bien au-delà de la simple construction d’un édifice.

Qui était Brunelleschi ?

Figure 1 . Filippo Brunelleschi (1377-1446)

Brunelleschi (Fig. 1) fut le fils d’un notaire de Florence. Doué dès son enfance pour le dessin, son père lui assura une carrière d’orfèvre (orafo). Passionné d’horlogerie et de machines, Brunelleschi eut la chance d’être initié à la géométrie par Paolo Toscanelli del Pozzo (1397-1482) (**), avec lequel il entretint une amitié pendant toute sa vie adulte.

Avec Nicolas de Cuse, Toscanelli, Niccoli, Cesarini et possiblement Brunelleschi, faisaient parti du groupe d’action politique et de réflexion qu’animait le général de l’ordre des Camaldules, Ambrogio Traversari (***) avec l’appui bienveillant de Côme de Medici, grand patron de l’industrie lainière et mécène de la Renaissance.

Cependant, cet engagement n’est pas sans risque. Exploitant politiquement la défaite militaire de Florence contre Lucca de 1433, la famille oligarchique des Albizzi jette tout le blâme sur Côme et le fit jeter en prison, le forçant même en exil à Venise. Ayant perdu son protecteur, Filippo Brunelleschi fut arrêté à son tour sous prétexte de ne pas être à jour avec sa cotisation de membre de la guilde du bâtiment, chose plutôt habituelle à l’époque. Quinze jours plus tard, les Albizzi furent écartés, Filippo relâché et Côme de retour à Florence. Martin V et Eugène IV, qui ouvrit la cathédrale après cent quarante ans de construction, intervinrent personnellement à plusieurs reprises pour protéger et promouvoir l’architecte génial Brunelleschi. Celui-ci, mort en 1446, ne verra ni le lanternon qu’il avait conçu – terminé en 1471- ni la sphère en bronze de 2,5m, fabriquée et posée par l’atelier d’où sortait Léonard de Vinci, celui d’Andrea del Verrocchio.

Genèse du projet

Il fallait enfin achever cet immense chantier sur l’emplacement de l’ancienne église Santa Reparata, commencé en 1296 par Arnolfo di Cambio et agrandi en 1351 par Francesco Talenti. A Florence, tout le monde connaissait bien la forme finale du « dôme à pans coupés sur plan octogonal » à réaliser. Depuis 1367, une maquette du projet était exposée au public dans une des ailes de la Basilique en voie d’agrandissement. Déjà à cette époque, un concours avait opposé deux groupes d’architectes. Le premier, dirigé par Lapo Ghini plaida en faveur d’un concept architectural proche du style gothique traditionnel, combinant des murs assez minces avec un ensemble d’énormes contreforts et arcs-boutants semblables à ceux des cathédrales, destinés à soutenir la coupole.

L’autre groupe, dirigé par l’architecte Neri di Fioravanti, celui qui réalisa la voûte (large de 18m) de la maison d’arrêt Bargello et le Ponto Vecchio. Il exigea, quant à lui, une solution « à l’antique ». Neri, comme beaucoup d’autres en Italie à l’époque, considérait que les arcs-boutants non seulement n’étaient pas très esthétiques mais appartenaient au patrimoine culturel des ennemies traditionnelles des Florentins : les Allemands, les Français, les Milanais et autres « barbares » (Goths).

Selon Neri, on pouvait très bien faire l’économie de ces contreforts et arcs-boutants en incorporant des tirants, en pierre et en bois, autour de la circonférence, semblable à la façon dont les cerceaux cerclent les douves d’un tonneau. Ce concept est intéressant mais, comme nous allons le voir, insuffisant. L’emploi du métal en architecture était encore à un stade assez expérimental. Toutefois, lors de la reconstruction du cœur demi-circulaire de la cathédrale de Beauvais, après son effondrement en 1284, on relia déjà les arcs-boutants entre eux par des tirants en fer afin de renforcer la cohésion de la structure.

Pour la coupole, Neri prévoyait l’utilisation, très rare mais pas exceptionnelle à l’époque, d’une double calotte. Cette technique d’origine Perse est devenue caractéristique des mosquées et des mausolées islamiques, comme le Mausolée à base octogonale de Oljeitü (26m de diamètre) construit en 1309 à Sultanyia (Azerbaïdjan). Une calotte interne porte l’édifice avec sa force structurelle, tandis qu’une calotte externe, en plus d’une protection contre les éléments, permet d’ajouter du volume supplémentaire.

Figure 2. La quinte pointée
Il s’agit de diviser le diamètre de l’octogone en cinq parties égales, les 4/5ième constituant le rayon de la courbe du dôme.

En s’éloignant fortement de la conception du Panthéon de Rome où le dôme sphérique est coincé dans une masse de béton, Neri avait également l’intention d’élever les courbes des pans à élever sous forme d’arcs brisés gothiques, connu en Italie sous le nom de  quinto acuto  (quinte pointée). Il s’agissait en fait de diviser le diamètre de l’octogone en cinq parties égales, les 4/5ième constituant le rayon de la courbe du dôme (Fig. 2). Après moult débats, le projet de Neri l’emporta et fut dans la foulée approuvé par référendum populaire à Florence. Toutefois , Neri mourut sans laisser aucune instruction précise.

A partir de 1415, tout fut enfin prêt. Avec le tambour nouvellement construit, l’édifice atteignait déjà une hauteur impressionnante de 52 mètres, mais exhibant un trou béant large de plus de 42m. L’heure de la vérité avait sonné.

Antonio di Tuccio Manetti (1423-1497), auteur de  La vie de Filippo Brunelleschi,  qui a connu Brunelleschi de son vivant, raconte : « D’autant plus que les maîtres d’œuvres s’inquiétaient déjà de la difficulté d’avoir à construire une voûte si large et si haute : étant donné la hauteur et la largeur, donc le poids, les étaiements et soutiens, arcs ou autres armatures, devaient partir de terre, de sorte que, non seulement la dépense leur paraissait effrayante, mais la réalisation à vrai dire absolument impossible. »

A ceux qui évoquèrent cette impossibilité, Brunelleschi répondait que le dôme était un édifice sacré, et que « Dieu, à qui rien n’est impossible, ne nous abandonnerait pas. »

Pour lancer le projet il suggérait aux maîtres d’œuvres, les Fabriciens, d’organiser un colloque international et de réunir tous les architectes, maîtres maçons et ingénieurs « autant qu’on en trouverait dans la chrétienté. »

Cette réunion eut lieu et voici comment Antonio di Tuccio Manetti la relate : « Des paroles de Filippo, les Fabriciens tiraient avec accord le verdict qu’un édifice aussi grand et d’une telle nature ne pouvait être achevé et que ç’avait été une naïveté, de la part des architectes du passé et de ceux qui l’avaient projeté, de le croire. Quand Filippo disait, à l’encontre de cette opinion fausse, qu’on pouvait le faire, ils répondaient tous ensemble : ‘Comment fera-t-on les cintres ?’, mais lui revenait toujours à l’idée qu’on voûterait sans cintre [échafaudage]. Comme ils discutaient la-dessus depuis plusieurs jours, à deux reprises les Fabriciens le firent jeter dehors par des gens à eux et de l’Art de la Laine, comme s’il raisonnait stupidement et ne disait que des paroles ridicules ; au point qu’il lui arriva souvent de raconter que dans ce laps de temps, il n’osait pas se promener dans Florence, ayant l’impression qu’on disait derrière lui : ‘Regarde ce fou qui a de telles prétentions’ »

Fig. 3: « l’Âne qui vielle » vous lance d’une façon provocante le défi suivant : le monument que tu contemples est comme une lyre, prête à vibrer sous tes doigts. Sauras-tu en extraire la secrète harmonie, ou bien seras-tu comme moi, l’âne avec ses gros sabots, qui ayant trouvé une lyre, fut incapable d’en jouer…

Dans une autre réunion de travail, et avant d’être nommé  capomaestro  [architecte en chef] du chantier, on lui demanda d’indiquer sa méthode et les moyens d’exécution qu’il envisageait pour relever ce défi. Craignant qu’on lui vole le projet, Brunelleschi se contenta de leur présenter un oeuf en disant : « Celui qui le fera tenir debout sera digne de faire la coupole. » Après que chacun avait essayé sans succès, Brunelleschi écrasa la pointe de l’œuf sur une table en marbre. Chacun s’écria qu’il en aurait fait autant « s’il avait su », et Brunelleschi répondait en riant qu’ils sauraient également faire la coupole s’il leur montrait son modèle.

Mais en examinant aujourd’hui toutes les solutions créatrices que l’infatigable Brunelleschi aligna pour résoudre les problèmes scientifiques, dans les domaines de la physique, de la géométrie, des machines et des matériaux, sans parler des problèmes politiques, financiers ou de la formation permanente d’une main d’œuvre impliqué dans l’élaboration de technologies révolutionnaires, on doit mesurer la part de courage et de détermination sans laquelle les meilleures idées ne restent que rêveries.

Passionné par le sujet depuis sa tendre enfance, Brunelleschi va imposer des solutions longuement réfléchies. Etant donné qu’excepté un poème, aucun écrit de Brunelleschi ne nous est parvenu, le procédé exact et surtout sa mise en oeuvre resteront un sujet éternel de spéculation. Bien que notre inventeur se battait pour breveter les nouvelles inventions, nous savons que, craignant de se voir dérober sa méthode, il ne communiquait que par des chiffres, et de façon codée.

Ce qui reste à lire est le dôme lui-même, et le spectateur se retrouve un peu comme celui du visiteur de la Cathédrale de Chartres devant  l’Ane qui vielle  (Fig. 3), cette statue qui vous lance d’une façon provocante le défi suivant : le monument que tu contemples est comme une lyre, prête à vibrer sous tes doigts. Sauras-tu en extraire la secrète harmonie, ou bien seras-tu comme moi, l’âne avec ses gros sabots, qui ayant trouvé une lyre, fut incapable d’en jouer…

Cintrage, ou construire sans bois

Pendant la construction d’un édifice ou d’une coupole, il faut affronter deux forces majeures : d’une part la compression qui provoque un écrasement et, d’autre part, la poussée latérale qui crée une rupture à l’écartement (Fig. 4).

Figure 4. L’architecte doit affronter deux forces majeures : la compression qui provoque un écrasement et la poussée latérale qui crée une rupture à l’écartement.

La compression étant un problème relativement mineur, puisqu’il faut une hauteur importante avant que les pierres du bas ne s’écrasent sous la pression de celles d’en haut, c’est surtout la maîtrise de la pression latérale résultant des poussées verticales qui seront la première préoccupation de l’architecte.

En général, la construction d’arcs s’opérait à partir d’une fausse charpente [supports temporaires] – le cintrage (Fig. 5) – permettant d’élever les voussoirs d’un arc de plein-cintre (roman) ou en arc brisé (gothique).

Figure 5. La construction d’arcs s’opérait à partir d’une fausse charpente [supports temporaires] – le cintrage

Ce support n’était retiré qu’après le séchage du mortier, et surtout après la pose de la clef de voûte, laquelle répartissait la poussée sur l’ensemble des voussoirs et la conduisait sur les colonnes qui soutiennent la voûte. Il est indiscutable que, pour des voûtes en berceau ou les nefs gothiques, un cintrage lourd s’avérait indispensable.

Cette technique n’est apparue que très tardivement dans des sociétés capables de produire du bois assez solide, soit au moins d’en disposer. Là, où le bois faisait défaut ou était de mauvaise qualité, on tentait de construire sans cintrage.

Figure 6. Le dôme d’Abydos en Egypte.

Auguste Choisi, dans son  Histoire de l’architecture , signale déjà l’existence d’un dôme à Abydos en Egypte où, grâce au limon du Nil, l’emploi de briques crues (argile séchée) auraient permis l’élévation de dômes depuis les premières dynasties pharaoniques (3000 avant J.-C.) (Fig. 6) : « De tous les types de voûtes, celui qui se réalise le plus aisément sans cintres, est la voûte sphérique : le dôme est une des formes usuelles de la voûte égyptienne. Le profil est en ogive ; et la maçonnerie se compose d’assises planes et horizontales, véritables anneaux de briques dont le rayon va sans cesse décroissant. Chaque assise surplombe assez peu sur la précédente pour qu’un support auxiliaire soit superflu. Dès qu’une assise est achevée, elle constitue une couronne indéformable, prête à recevoir en encorbellement une assise nouvelle. »

Nous savons que cette science permettant de bâtir des dômes sans cintrage n’était pas exclusive à l’Egypte, car en remplaçant les briques d’Abydos par des pierres, et en suivant une surface continue, la Grèce mycénienne a pu construire des dômes en « ruches d’abeilles », également exécutés sans cintres, comme celui de la promenade dite « Trésor d’Atrée » dont le diamètre dépasse les 14m (Fig. 7).

trésor d'Atrée

Figure 7. La Grèce mycénienne a pu construire des dômes en « ruches d’abeilles », également exécutés sans cintres, comme celui de la promenade dite « Trésor d’Atrée » .

A l’intérieur de la coupole du « Trésor d’Atrée » en Grèce.

Alberti, dans son traité sur l’architecture De re aedificatoria (écrit vers 1440, publié en 1452) affirme que « la voûte sphérique [coupole], unique parmi les voûtes, ne requiert pas de cintrage parce qu’elle n’est pas composé d’arches, mais d’anneaux superposés ».

La plupart des historiens s’accordent aujourd’hui à dire que Brunelleschi, en compagnie de son ami le sculpteur Donatello, a étudié sur place la plupart des monuments que compte Rome.

Pendant plusieurs années, bien avant le concours, les deux amis effectuèrent des relevés de tous les bâtiments et fouillèrent les sous-sols, à tel point qu’on les confondait avec des chasseurs de trésors. Là, ils purent analyser certaines prouesses et faiblesses de l’architecture romaine du IIe siècle en étudiant le Panthéon, (mis en chantier sous Hadrien en 121 après J.C.), le temple de Minerve, ou d’autres bâtiments semblables.

En ce qui concerne le dôme du Panthéon, la calotte intérieure est en réalité soutenue par un énorme contrefort en béton de puzzole (utilisant les cendres du Vésuve) de 5000 tonnes. (Fig. 8). D’environ 44m de diamètre, cette calotte sphérique part de piliers en briques et fait appel à la fameuse « maçonnerie en blocage » (opus caementicium) qui sert de coffrage.

Figure 8. Rome : le dôme du Panthéon

Cette structure est ensuite couronnée par des couches circulaires horizontales de béton. Pour alléger le poids des matériaux, sans porter atteint à leur rigidité, il fut superposé en alternance du béton à la brique, de la brique au tuf et à la toute légère pierre de ponce. Les architectes, dont l’ingéniosité n’avait pas de limite, coulèrent dans le béton des amphores en argile vides pour éviter la surcharge de la voûte.

Figure 9. Rome : le Domus Aurea (dôme doré) de Néron

Par contre, il n’est pas sûr que nos deux artistes aient pu pénétrer dans le Domus Aurea (dôme doré) de Néron, l’emplacement où l’on trouva en 1506 le fameux Laocoon. Néron, après avoir laissé le feu dévaster Rome, fera construire en 64 après J.C. dans sa villa, ce salon à coupole sphérique sur base octogonale d’un diamètre impressionnant de 14m (Fig. 9).

cintrage sans bois

Figure 10. La construction sans cintrage à l’époque des cathédrales

La construction sans bois dans un temps moins reculé est aussi documentée dans le livre de John Fitchen  The construction of Gothic Cathedrals , qui consacre tout un chapitre aux procédés de construction sans cintrage à l’époque des cathédrales (Fig. 10).

Cependant, les constructeurs firent chaque fois appel à des artifices compliqués intervenant sur le mur « de l’extérieur », sans faire appel à la « géométrie intérieure » de la structure des murs, comme le fera Brunelleschi.

Arcs, voûtes et coupoles

Avec ce survol des techniques de construction sans cintrage il apparaît que la géométrie d’une surface sphérique semble posséder une des qualités fondamentales recherchées par Brunelleschi : l’autosoutènement.

Cette qualité de la courbe est facilement démontrable par une simple expérience. Tout le monde sait qu’une simple feuille de papier A4 de 60 g/m2 ne possède pas la rigidité nécessaire pour soutenir, par exemple, un petit trousseau de clefs. Cependant, si je donne avec ma main une légère courbure à ma feuille, je peux soudainement doter la feuille de cette capacité portante inespérée. Cette force n’appartient pas à la nature de sa matière, mais « émane » du pouvoir de sa structure géométrique.

Avant d’aller plus loin, il est essentiel de s’attarder quelque peu sur les arcs, car certains observateurs prétendent que le dôme de Florence est un mélange de cette science de la construction sphérique « à l’antique » avec le savoir-faire du gothique. Rappelons-le, Neri avait spécifié que les pans devaient s’élever en « quinte pointée », comme les arcs brisés du gothique.

Mais, comme le note Fitchen, p.80 : « Au fur et mesure que le Gothique devenait tardif, un grand nombre de voûtes devenaient de plus en plus pointues, entraînant des problèmes structurels. Dans un système d’arc libre, comme une voûte qui ne porte pas de surcharge et ne fait que se soutenir elle-même, la poussée prend la forme d’une courbe chaînette inversée. Si l’on envisage une chaîne ou un câble librement suspendu entre deux points qui se trouvent à la même hauteur mais séparé par une distance plus petite que la longueur de la chaîne, chaque chaînon possède une unité de poids identique le long du tracée de la chaîne et est en tension avec ses voisins. Ensemble, ses chaînons tracent une ligne courbe dont l’axe est la ligne de la poussée. » (Fig. 11)

enfants caténaire

Figure 11. La construction sans cintrage : grâce à la chaînette, un jeu d’enfant !

Voyons concrètement comment appliquer le principe de la chaînette à l’arc brisé. Si notre arc ne suit (aux extrados ou intrados) le tracé « invisible » de la chaînette, à moins d’être compensé par une rigidité supplémentaire du matériau, nous observons que la poussée provoquera une rupture de l’arc, et les voussoirs du bas, dépourvu de la flexibilité des chaînons, basculeront vers l’extérieur si l’arche est trop pointue, ou s’écrouleront vers l’intérieur si l’arche est faiblement pointue.

En étant plus solide avec moins de matériau, on comprend mieux pourquoi l’arc brisé représente un tel progrès par rapport à l’arc de plein cintre. Bien que beaucoup moins stable, « l’arc chaînette » bénéficie d’une meilleure stabilité statique car harmonique avec le principe physique définissant la gravité. (Fig. 12)

Figure 12. a) Chaque chaînon possède une unité de poids identique le long de la chaînette. b) La poussée sera répartie uniformément
sur un arc qui suit le tracé d’une chaînette inversée.

rupture

Figure 12 c. c) Si l’arc ne suit pas le tracé « invisible » de la chaînette, à
moins d’être compensé par une rigidité supplémentaire du matériau,
la poussée provoquera une rupture de l’arc.

A partir de l’arc, on peut imaginer la voûte. Des voûtes en berceau ayant la forme d’une chaînette existent, comme l’arc de Ctésiphon (du palais de Taq-i Kisra, près de Baghdad) en Iraq (Fig. 13) (531 après J.-C.), malheureusement endommagé par la crue du Tigre en 1985.

Figure 13. L’arc de Ctésiphon du palais de Taq-i Kisra, près de Baghdad en Iraq.

Les lits de briques sont montés à la verticale, voire légèrement inclinés et reposant contre un mur qui absorbe la poussée.

Il est construit sur le même principe que les voutes en berceau, érigées sans cintrage, comme celles du grenier du temple du Ramasséum (Fig. 14), près de Thèbes en Egypte (XIIIième siècle av. J.-C.).

Figure 14. Le grenier du temple du Ramasséum, près de Thèbes en Egypte (XIIIième siècle av. J.-C.).

Comprenons bien qu’avec la géométrie de la chaînette utilisée de cette manière, en soumettant l’arc ou la voûte à une poussée qui dépasse son poids propre, il est indispensable d’avoir des renforts. C’est pour cette raison que, dans l’architecture gothique, on utilise des contreforts et des arcs-boutants permettant d’évacuer la poussée s’exerçants sur les murs, contreforts eux-mêmes inscrits de préférence dans les lignes de force d’une… chaînette. (Fig. 15).

Figure 15. En architecture gothique on utilise des contreforts et des arcs-boutants permettant d’évacuer la poussée s’exerçant sur les murs — contreforts eux-mêmes inscrits de préférence dans les lignes de force d’une… chaînette.

Or, soulignons-le, la voûte construite en forme de chaînette inversée « ne fait que se soutenir elle-même ».

En ce qui concerne le dôme de Brunelleschi, nous avons tenté de connaître les tracés décrits par les huit  sproni  (éperons en marbre blanc) qui suivent les courbes définies à l’extérieur par l’intersection des pans du dôme. En vain. En effet, les « experts » se disputent sur leur nature exacte – ellipse, tractrice, arc de cercle, chaînette, etc.- et il serait opportun de reprendre les mesures exactes de la construction afin d’avoir une bonne base d’étude.

Par contre, ce que nous savons, c’est l’accusation porté à l’époque contre Brunelleschi par l’un de ses détracteurs, Giovanni Gherardo da Prato, selon laquelle il mettait en danger la construction par son ignorance et pour ne pas avoir respecté la « quinte pointée » comme stipulée dans le contrat.

Da Prato exprima toute sa jalousie dans un poème adressé à Brunelleschi : « O puits profond et noir de totale ignorance, misérable animal, et tellement risible qui veut que l’incertain par chacun soit visible, ton absurde alchimie est sans grande puissance, etc. »

Brunelleschi, qui ne se laissa pas démonter, répondit également par un poème : « Quand le ciel a donné de hautes espérances, ô toi dont l’animale apparence est visible, tout homme peut enfin laisser le corruptible, et disposer en tout d’une grande puissance. Qui mal en juge perd toute son assurance, car il n’affronte rien qui ne lui soit terrible ; pour le sage, au contraire, il n’est rien d’invisible, sinon ce qui n’est pas, sinon la pure absence. L’artiste ne voit pas ces fadaises d’un sot, mais il voit, s’il n’a pas de faux jugements, ce que scelle Nature en dessous son manteau. […] »

Au-delà de l’anecdote, ce poème met bien en évidence la passion de Brunelleschi pour la découverte d’un principe universel invisible qu’il est en train d’arracher aux secrets de la Nature. Comme nous allons le démontrer par la suite, Brunelleschi et ses amis maîtrisaient le principe de la chaînette, et dans le visible et dans l’invisible.

A ce stade, Brunelleschi, chargé de couronner la coupole avec un lanternon pesant plusieurs tonnes, devait écarter les solutions suivantes :

  1. Les arcs-boutants, il est vrai écartés d’emblée par le contrat, posaient problème car la hauteur de 53m à partir de laquelle il fallait amorcer le dôme rendait inenvisageable l’installation des lourds contreforts qui devaient partir du sol et pour lesquels, de toute façon, il n’y avait plus de place.
  2. La sphère parfaite constructible sans cintrage par encorbellement de lits de briques était également une fausse voie, car incapable de soutenir le poids du lanternon.
  3. Un dôme formé par une chaînette en révolution – une caténoïde (Fig. 16) – aurait été lui aussi trop faible pour soutenir la surcharge par sa faible capacité de portance.

caténoïde

Figure 16. Un volume formé par une chaînette en révolution – une caténoïde.

Brunelleschi était donc obligé d’inventer la structure et la géométrie physique d’une « surface autoportante », assez légère pour ne pas s’écrouler sous son propre poids, tout en étant assez solide pour porter le lanternon et assez stable pour éviter tout besoin de cintrage.

Les propriétés de la chaînette

Ce fut l’économiste américain Lyndon H. LaRouche qui, en 1988, fut le premier à identifier le principe physique de la chaînette comme étant l’élément fondamental dans la conception du dôme. Toutefois, pour comprendre comment Brunelleschi trouva cette solution, nous devons, probablement comme lui, retourner aux propriétés de la chaînette. C’est en jouant avec celle-ci que l’on peut, éventuellement, en découvrir les propriétés fondamentales :

 Équilibre

corde clous

Figure 17. Une corde à deux clous le long d’un mur.

Si on l’accroche une corde à deux clous le long d’un mur (Fig. 17), tout en veillant qu’elle puisse glisser sur les clous pour trouver son propre équilibre, on découvre que la forme de la chaînette dépend presque exclusivement de sa longueur.

Allant à l’encontre de notre bon sens habituel, pour obtenir une chaînette avec un « ventre » plus grand, il faut une corde plus longue, et inversement, pour une courbe de chaînette plus proche de la ligne droite, il faut une plus courte.

Pourquoi ? Parce que la chaînette va chercher son propre équilibre, c’est-à-dire que la somme du poids des parties extérieures va s’égaliser avec le poids de la partie de la chaînette entre les deux clous.

Harmonie préétablie

Depuis le début le temps, pour construire des ponts suspendus, l’homme a su utiliser les propriétés de la chaînette, notamment celle de repartir de façon égale sur chaque chainon l’effort à fournir.

Ce principe de répartition égale des tensions, et donc du poids sur l’ensemble des chaînons, fait que si nous déplaçons un petit bout de la chaînette avec notre doigt, la courbe de l’ensemble de la chaînette sera affectée et transformée. Il s’agit de l’expression du principe de moindre action développé par Nicolas de Cuse et Leibniz (****). Il dévoile une « harmonie préétablie » qui fait que n’importe quel évènement à un endroit donné affecte l’ensemble de l’univers, une réalité que la physique Newtonienne est incapable d’expliquer correctement.

Microcosme et macrocosme

deux chaînettes

Figure 18. Si sur une chaînette ACDB, nous relâchons A et B, alors CD reste la même chaînette qu’auparavant.

Le principe précédant fait que chaque bout de chaînette est lui-même une chaînette (Fig. 18), que le macrocosme se reflète dans le microcosme. Si sur une chaînette ACDB, nous relâchons A et B, alors CD reste la même chaînette qu’auparavant. Inversement, selon le même principe, la chaînette (entre ses points de suspension) est définie par n’importe quelles de ses parties, peu importe la taille. De la même façon que le grand se reflète dans le petit, le petit à son tour définit le grand (le microcosme définissant le macrocosme). Dans un sens, si l’on regarde différentes parties d’une chaînette, on regarde différentes expressions locales, d’une réalité globale, harmonieuse et équilibrée.

La  sphericam angularem  [sphère angulaire]

Avant de poursuivre sur la chaînette, il nous faut approfondir notre concept de surface autoportante. Impressionnée par sa visite du Panthéon, comme le commentaire d’Alberti le reflète, la première approche de Brunelleschi semble avoir été le concept d’une  sphericam angularem  – une sphère angulaire. Son idée consistait à transférer ou « projeter » les propriétés de solidité inhérente à la géométrie de la sphère sur les huit pans des calottes octogonales.

Ainsi, on pourrait presque dire que la coupole est composé non pas de deux calottes, mais de trois, la troisième étant ce qu’on pourrait appeler une « calotte sphérique imaginaire » (invisible) reliant les deux parois, par un anneau inscrit et circonscrit entre les deux calottes octogonales (Fig. 19).

Figure 19. La coupole semble composé non pas de deux calottes, mais de trois. La troisième étant ce qu’on pourrait appeler une « calotte sphérique imaginaire » (invisible) reliant les deux parois par un anneau inscrit et circonscrit entre les deux calottes octogonales.

Quelques années après l’achèvement du dôme, l’architecte Alberti, affirme que l’ « On peut lever des dômes angulaires sans cintrage si vous construisez une [coupole] parfaite (sphérique) à l’intérieur de l’épaisseur de votre ouvrage. Mais là, vous aurez une occasion particulière pour fixer des ligatures afin d’attacher les parties faibles extérieures aux parties fortes de l’intérieur. » (L’art d’édifier, Livre III, Chap. XIV)

Rowland Mainstone, un ingénieur des structures, explique que la calotte intérieure a été construite « comme s’il s’agissait d’une calotte sphérique… mais avec des parties coupées de l’intérieur et de l’extérieur pour respecter la forme octogonale. »

Brunelleschi tenait à l’élévation de cette sphère en hauteur « afin qu’elle sorte encore plus magnifique et dilatée (gonflante) ». Sa forme ne sera pas comme une calotte appuyée sur le corps d’une l’église, mais comme une structure de « crêtes et de voiles » qui se développe en extension et en hauteur.

L’architecte semble aussi vouloir reprendre ici tout un symbolisme traditionnel qui voyait l’action circulaire – expression de la perfection divine – allant à la rencontre de l’action rectiligne – expression de l’imperfection humaine. Nicolas de Cuse, reprenant les défis géométriques et mathématiques lancés par Archimède, creusera ce sujet dans son oeuvre La Quadrature du cercle .

Après tout, une église – maison de Dieu [domus deus] – , ne devait-elle pas être l’espace médiateur entre Dieu et l’homme ? La « sphère » divine, n’allait pas « nous abandonner ». Il devient ainsi clair que Brunelleschi et ses amis ont pu faire la synthèse et « monter sur les épaules » des meilleurs architectes de l’histoire de l’humanité.

Une membrane auto-portante en briques

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Figure 20. Escalier qui monte entre les deux coupoles du dôme. Les motifs de la maçonnerie ont été volontairement laissés visibles tandis qu’ailleurs ils sont couverts de crépi. Brunelleschi voulait nous laisser cette piste pour sonder son secret.

Quand on monte les escaliers à l’intérieur du dôme, on constate que, sur plusieurs endroits, les motifs de la maçonnerie ont été volontairement laissés visibles (Fig. 20), tandis qu’ailleurs ils sont couverts de crépi. Puisque c’est Brunelleschi qui nous les montre, on a pu en conclure qu’il voulait nous laisser cette piste pour sonder son secret. Néanmoins, ne sous-estimons pas le caractère farceur et illusionniste du personnage, après tout inventeur de la perspective, cette science de l’illusion dont Platon se méfiait tant. Si vous ne voyez pas de l’extérieur les astuces de la construction, ce n’est pas par hasard. Tout Florence fut émerveillée par le dôme et les habitants se demandaient : « Comment est-ce que cela peut-il tenir debout ? Où sont les appuis et soutiens extérieurs ? »

Une analyse de la disposition des quelques 4 millions de briques, dont certains possèdent des formes spéciales (triangulaires, en angle, etc.) et qui sont cachées derrière les lignes droites des tuiles, nous révèle quatre nouveaux concepts importants.

1. Des contreforts invisibles

S’interdisant des contreforts à l’extérieur, Brunelleschi va élaborer tout un dispositif à l’intérieur des parois pour compenser cette absence. Comme spécifié dans son projet déposé aux Œuvres du Dôme (l’original a disparu mais a été copié à l’identique par Manetti) :
« On fera 24 contreforts [sproni], dont 8 dans les angles et 16 sur les pans ; […] ils devront assembler les deux voûtes et se rétrécir en proportion égale jusqu’en haut de l’ouverture fermée par la lanterne. Lesdits contreforts ainsi que lesdites coupoles seront ceints de 6 cercles [cerchi] de pierre solides, longues et renforcées de fer étamé [reliés avec des crampons] ; au-dessus de ces pierres, des chaînes de fer [catene di ferro, entourées de plomb pour empêcher l’oxydation] entoureront ladite voûte et ses contreforts. » (Fig. 21)

Fig. 21: les liens intérieurs en métal et en bois.

Après avoir spécifié les tailles de tout ces éléments et leurs emplacements exacts, il ajoute : « Mais le premier cercle sera renforcé par des pierres longues en travers, de façon que les deux voûtes de la coupole reposent sur ces pierres. Sur lesdites voûtes, toutes les 12 brasses environ, en hauteur, il y aura des petites voûtes en berceau [volticciuole a botti], d’un contrefort à l’autre, »

Ces « petites voûtes » permettent de renvoyer la pression des huit grands contreforts de façon égale vers les 16 autres et surtout de la repartir sur l’ensemble de la surface qui devient ainsi portante. Et il conclut : « sous ces petites voûtes, d’un contrefort à l’autre, il y aura de grosses chaînes de chêne [catena di quercia] pour assembler les dits contreforts et ceindre la coupole à l’intérieur, et sur ces bois une chaîne de fer [catena di ferro]. Les contreforts seront tous construits en pierre de taille et pierre résistante ; les pans de la coupole seront tous en pierre résistante et assemblés avec les contreforts jusqu’à hauteur de 24 brasses ; au-dessus on construira en brique ou en pierre ponce… »

Bien qu’utilisant les mêmes matériaux que le Panthéon, la réalisation de Brunelleschi se situe néanmoins dans la ligne de Neri di Fioravanti qui nous parlait de « cercler les douves d’un tonneau ». Faute de bois, croît-on, il n’existe dans le dôme qu’une seule  chaîne  [tirant] en châtaignier, assemblée avec des éléments de fixation en chêne. En réalité cette poutre entourant le dôme, se trouve exactement au point le plus instable de la courbe si elle est mise sous pression. Suite au tremblement de terre de 557 après JC, des tirants en bois furent incorporés dans les bases du dôme Sainte Sophie à Istanbul. Bien que plusieurs tremblements de terre (1510, 1675 et 1895) aient secoué Florence, le dôme a survécu sans problèmes majeurs, grâce à ce dispositif antisismique constitué par ces tirants en pierre solide, en bois et en métal.

Toutefois, pour Brunelleschi, son dôme n’était pas comparable à un tonneau, mais plutôt à un corps humain, fait « d’os et de chair ». Manetti rapportait qu’en étudiant les bâtiments romains, Brunelleschi avait « remarqué la façon de construire des anciens et leur emploi de la symétrie : il identifiait un ordre semblable aux os et à la chair, comme un homme illuminé par Dieu pour les grandes choses. »

Alberti pour sa part affirme que « En ce qui concernent les coupoles, peu importe de quel genre, nous devons imiter la nature, qui, quand elle attache les os, attache la chair avec des nerfs et mêle l’ensemble avec des ligatures et des tendons en longueur, en largeur et en cercles. C’est cette savante disposition qu’il faut imiter dans la construction des arches et coupoles » (L’art d’édifier, Livre III, Chap. XIV)

Les os sont ici les 24 contreforts (comme les côtes du thorax), tandis que les tendons sont en quelque sorte les chaînes. Un squelette équipé de tendons peut-il marcher ? Non, car il reste à définir le muscle qui tient le tout : les briques.

2. Les spirales en  Spina Pesce [arêtes de poisson]

Le deuxième concept mobilisé par Brunelleschi sera la disposition des briques dite en  spina pesce  [arête de poisson], une technique héritée des Etrusques et développée au Trecento toscan. (Fig. 22)

spina pesca

Figure 22. La disposition des briques dite en spina pesca [arête de poisson], une technique héritée des Etrusques et développée au Trecento toscan.

L’arête de poisson se forme en alternant à intervalles réguliers la pose horizontale de brique avec une pose verticale. Ces intervalles réguliers sont grands en bas mais décroissent en montant pour disparaître au sommet. Ainsi se forment d’immenses spirales de briques traversant les pans et les contreforts du sommet vers le bas qui répartissant le poids sur la surface portante en expansion.

Ce procédé consiste à dévier le plus possible la poussée du sommet, qui se concentre en principe sur les angles du dôme, vers les « voiles » de la membrane. Une fois de plus, cette technique permet d’induire les propriétés d’une sphère, et notamment la solidité de sa membrane portante, sur les pans fragiles de la coupole octogonale. Avez vous déjà essayé d’écraser un oeuf avec vos deux doigts ? Difficile, sauf si on en casse la pointe sur une table. Peut-être Brunelleschi n’était-il pas si farceur que ça…

3. Le calibrage des briques

Les briques, en réalité d’immenses tuiles, sont orientées d’une façon radiale vers des « points glissants » sur un axe vertical situé au centre du dôme (Fig. 23).

tuiles

Figure 23. Les briques, en réalité d’immenses tuiles, sont orientées d’une façon radiale vers des « points glissants » sur un axe vertical situé au centre du dôme

On pense également que les arêtes saillantes des briques verticales ont pu servir à une équipe chargée de guider les travaux grâce à des fils directeurs ou simbleaux. En vue de l’organisation des échafaudages nécessaires pour permettre aux maçons de se hisser eux-mêmes et les matériaux sur les hauteurs du chantier, on retient l’hypothèse que la coupole a été construite en « anneaux successifs » (Fig. 24).

anneaux dome

Figure 24. L’on retient l’hypothèse que la coupole a été construite en « anneaux successifs »

Le tracé de la quinte pointée correspond avec l’inclination des briques au sommet qui est de 60 degrés. Si cette inclinaison vers l’intérieur des briques était exclusivement définie à partir d’un point unique au sol, les briques se seraient retrouvées dans une inclinaison proche de 90 degrés, situation fort inconfortable, aussi bien du point de vue structurel que celui du cintrage.

Comme on peut le démontrer sur une maquette, la rotation d’une ficelle d’une longueur donnée, accroché à un point immobile sur le sol du dôme, ne fait que tracer un ensemble de courbes géométriques évolutives – une hyperbole en bas, une parabole au centre et une ellipse en haut – sur les pans de la calotte, à l’instar de la coupe (parabolique) générée par un taille crayon (conique) aiguisant un crayon (hexagonal). On ne peut en aucune manière obtenir la courbe physique – non-algébrique – de la chaînette de cette façon, bien que Brunelleschi utilisa « une perche fixée à la base et tournant sur elle-même vers le haut avec réduction progressive de son inclinaison » pour construire la chapelle de Schiatta Ridolfi, elle, parfaitement sphérique.

4. La  Corda da murare  [cordeau du maçon]

Finalement, et c’est là que Brunelleschi nous démontre toute sa compréhension de la chaînette, nous devons étudier l’inclinaison en courbe de chaînette des lits de briques entre éperons. Cette inclinaison est parfois stupidement attribuée à l’inattention des ouvriers qui laissent fléchir leur cordeau de maçon, employé pour dresser les parements !

Figure 25. Depuis l’Egypte ancienne, comme dans les murs de l’enceinte d’El Kab, on sait que les lits de briques posées en chaînette font preuve d’une solidité incomparable.

Une fois de plus, depuis l’Egypte ancienne, comme dans les murs de l’enceinte d’El Kab (Fig. 25), on sait que les lits de briques posées en chaînette font preuve d’une solidité incomparable.

La question immédiate qui se pose ici est la suivante : pourquoi utiliser une chaînette orientée vers le bas, et non pas une chaînette inversée, orientée vers le haut, comme toutes les voûtes que nous venons de découvrir ? Eh bien, il semblerait que la chaînette est efficiente dans les deux directions : vers le haut et vers le bas ! Ainsi, les lits de briques en chaînettes créent une contrepoussée permettant de retenir les angles de la coupole, un peu comme le voilage en courbes négatives d’un parapluie qui retient les gaines. Une fois de plus, l’illusionniste Brunelleschi s’amuse à ébranler nos certitudes.
C’est uniquement cette utilisation complexe et scientifique des propriétés de la chaînette qui permirent Brunelleschi de réussir la construction du dôme. « L’harmonie du monde » qui existe entre chaque partie et l’ensemble donna cette qualité d’autosoutènement à l’édifice, tout en assurant sa solidité structurale. Chaque brique (microcosme) construit comme faisant partie d’une chaînette (expression de la moindre action), acquiert les propriétés de la chaînette, c’est-à-dire soutient un poids égal du dôme (macrocosme). A quatre millions de briques, on est plus fort que tous les contreforts de la place. Avec un minimum de matériaux, nous obtenons une surface maximale.

Figure 26. La maquette de la taille d’une maison, construit récemment dans un parc de Florence par l’architecte italien Massimo Ricci.

Une maquette (à l’échelle de 1 :5) de la taille d’une maison, construit récemment dans un parc de Florence (Fig. 26) par un architecte passionné, Massimo Ricci, permet de bien voir la maçonnerie en arêtes de poisson. (Fig. 27) Le professeur Ricci, pour sa part, ne croit guère à la chaînette sur laquelle il a peu réfléchi pour l’instant. Il pense qu’il suffit de construire quelques éléments de guidage déduits des courbes d’ellipses d’une forme de fleur, symbole de Santa Maria del Fiore.

Figure 27. La maçonnerie en arêtes de poisson suit la courbe de la chaînette.

Rappelons que même Brunelleschi sera rappelé brutalement à l’ordre par… la chaînette car, pendant l’été 1429, des fissures apparaissent sur les murs latéraux de la partie orientale de la nef. Au lieu de construire des contreforts, Brunelleschi en profite pour imposer le plan d’origine de Neri. Les absides autour de la nef formeront ce qu’il appelait une  catena totius ecclesie  (une chaîne autour de l’église), capable d’absorber la poussée.

La découverte de l’Amérique

colomb

Figure 28. La Pinta, une des trois caravelles de Christophe Colomb.

Brunelleschi : perspective linéaire et  sphericum angularem , science des coupoles ; Nicolas de Cuse :La Quadrature du Cercle  ; le peintre flamand Van Eyck : peinture et un « mappemonde » ; son maître Roger Campin peint des « sorcières », miroirs sphériques ; le miniaturiste Jean Fouquet : la perspective sphérique ; Toscanelli, l’astronomie, la perspective et la cartographie. Si on regarde les domaines divers sur lesquelles ces scientifiques travaillaient, on constate que finalement ils se préoccupaient tous d’un même sujet : la topologie « non linéaire ».

En effet, perspective, optique, cartographie, et les problèmes d’architecture à laquelle était confronté Brunelleschi s’unissent dans une même question : comment les propriétés d’une sphère peuvent-elles se projeter sur un plan ? Et il y avait cette liberté d’esprit, que l’on appelle aujourd’hui pompeusement « la recherche pluridisciplinaire décloisonnée » qui faisait que tout progrès dans un de ces domaines amenait un progrès dans l’autre.

Toscanelli ne souffrait point de ce genre de frustrations. Ross King écrit dans son livre récent « Brunelleschi’s Dome », qu’en 1475, âgé de 78 ans et avec l’accord de l’Oeuvre du Dôme, Toscanelli aurait monté les 463 marches pour installer au sommet du dôme une plaque en bronze, pourvue de petits trous. Grâce àune jauge spéciale sur le sol, un gnomon, Toscanelli fit du dôme le plus grand cadran solaire du monde de cette époque ! Ces observations, destinées officiellement à connaître la date exacte de Pâques, lui permettront de corriger toutes les observations précédentes concernant les équinoxes et les solstices. (Fig. 29)

Figure 29. Grâce à une jauge spéciale sur le sol, un gnomon, Toscanelli fit du dôme le plus grand cadran solaire du monde de cette époque !

Or, pour voyager en haute mer avant l’apparition du quadrant et du sextant, on utilisait essentiellement la boussole et l’astrolabe pour mesurer l’angle entre l’horizon et l’étoile polaire. Néanmoins, ces observations ne trouvaient une utilité pratique que grâce à la correction obtenue au moyen des tables d’éphémérides nautiques, en particulier les tables Alphonsines établies en Andalousie sous Alphonse X (le sage) par des astronomes arabes dirigés par le juif Isaac Ben Sid en 1252. Toscanelli correspondait avec Regiomontanus (Johann Müller) de Nuremberg (1436-1476), qui, avec son précepteur, le mathématicien autrichien et ami de Cuse, Georg Peurbach (1423-1461), établiront des nouvelles tables d’éphémérides pour la période de 1475 à 1506. Un élève de Regiomontanus, Martin Behaim (1459-1507) sera le conseiller du roi Jean II du Portugal à Lisbonne, où il a pu croiser Christophe Colomb. Behaim travaillera beaucoup sur les latitudes en mer et fabriquera des astrolabes en cuivre, plus précis que ceux en bois. Le plus ancien globe terrestre que nous connaissons, qui date de 1492, est de sa fabrication.

Ainsi, on peut dire que les observations que Toscanelli effectua sur le toit du dôme de Florence, ont permis l’éclosion d’une nouvelle science. Au-delà de la navigation côtière, renaissait la navigation astronomique. (Fig. 30)

Figure 30. Au-delà de la navigation côtière, renaissait la navigation astronomique.

Déjà, dès 1419, année de la découverte de Madère, Henri le Navigateur avait fondé un centre de recherche maritime à Sagres au service des explorateurs portugais. Après la chute de Constantinople en mai 1453, la route de la soie et des épices était fermée en Orient, et l’on chercha des routes passant par le sud en contournant l’Afrique. Mais surtout, Toscanelli avait recueilli les récits de nombreux voyageurs d’extrême orient. En particulier, il a eu un long entretien avec l’ambassadeur du « Cathay » (la Chine). Comme le rapporte Toscanelli lui-même : « A l’époque du Pape Eugène IV [l’époque du Concile de Florence, 1438], un ambassadeur est venu vers lui pour lui exprimer les grands sentiments d’amitié pour les Chrétiens, et j’ai eu une longue conversation avec l’ambassadeur sur beaucoup de questions. »

Le 25 juin 1474, Toscanelli envoie sa fameuse lettre avec une carte, à un ami à Lisbonne, le chanoine Fernan Martinez de Roriz qu’il avait rencontré lors du concile à Florence. Martinez figure d’ailleurs avec Toscanelli dans le dialogue scientifique de Nicolas de Cuse  La quadrature du Cercle. 

Dans cette lettre, Toscanelli lui assurait que le chemin le plus court pour voyager vers le Cathay, à l’est, passait par l’ouest. Martinez, confesseur du roi du Portugal ne réussit pas à convaincre son souverain, mais quelqu’un de sa famille, un jeune capitaine de bateau génois, Christophe Colomb, lequel avait vu passer la lettre et allait écrire à Toscanelli vers 1480. Bien que le vaillant Colomb prétendit ne jamais avoir eu recours à des mathématiques ou une carte, dans ses bagages se trouvait une carte de Toscanelli et très probablement les tables d’éphémérides obtenues grâce au cadran solaire du dôme.(Fig. 31)

Figure 31. Reconstitution de la carte de Toscanelli. Remarquez à gauche le Cathay (la Chine).

Au-delà de la découverte de l’Amérique, la navigation astronomique deviendra une science capable d’en découvrir des milliers. Ainsi le chantier du dôme ne se limitait pas à 37 000 tonnes de briques ou à un simple objet de contemplation esthétique, mais son « âme immortelle » provoqua une vague de révolutions scientifiques de par la planète dont chacun pourra encore bénéficier demain.


A partir des courbes de moindre action, on peut aussi identifier des surfaces et des volumes de moindre action (« surfaces optimales »), très répandu dans la nature. L’expérience la plus simple permettant de les découvrir sont les bulles de savon. On y découvre la courbe chaînette quand on trempe deux anneaux parallèles en fil de fer dans de l’eau savonnée. (Fig. 32)

Figure 32. Bulle de savon formant un « volume optimal » de type caténoïde (une chaînette en révolution).

Elles forment un « volume optimal » de type caténoïde (une chaînette en révolution). Voir aussi Figure 16.

Fig. 33: Parapluie.

Quand on y trempe une armature reprenant la géométrie du dôme, des surfaces optimales apparaissent sur les pans, c’est-à-dire des surfaces de courbure « négative » (concaves), une géométrie semblable à celle du parapluie, et identique au léger évasement des pans de la coupole, caché derrière les tuiles.
(Fig. 33)

On peut même faire apparaître la « double calotte » du dôme qui se forme à l’instar du petit cube en eau savonneux qui se forme à l’intérieur d’une structure cubique. Tout ceci tend à nous convaincre que Brunelleschi a conçu l’ensemble de la coupole à partir d’un concept unique de volume optimal fondé sur le principe de moindre action, intensément débattus à l’époque dans son entourage immédiat (Cuse, Toscanelli, etc.).

Lyndon LaRouche, remarque qu’ : « Il est assez troublant de découvrir que le principe de la chaînette fut employé aussi tôt (début du quinzième siècle), pas seulement comme une forme, mais comme un principe physique de courbure capable de résoudre le problème autrement insolvable de la construction. » (« On The Issue of Mind Set », EIR, 3 Mars, 2000)


Notes:

dufay

Guillaume Dufay (à gauche) et Gilles Binchois.

*Guillaume Dufay est probablement né le 5 août 1397 à Beersel près de Bruxelles, sinon à Cambrai où il mourra en 1474. De 1428 à 1437 il est attaché à la chapelle pontificale, à Rome, Florence et Bologne.
Il donna un nouveau souffle à une technique ancienne, le motet isorythmique. Selon David Fallows, le  Nuper rosarum flores  est construit « sur deux voix inférieures exposées quatre fois à des vitesses différentes et selon des longueurs proportionnelles : 6 :4 :2 :3 – ce qui correspond aux proportions de la nef, de la croisée, de l’abside et de la hauteur de la coupole de la cathédrale. Le fait que ces deux voix utilisent la même mélodie -l’Introït pour la dédicace d’une église- à deux niveaux de tonalité et avec des rythmes s’interpénétrant, symbolise l’exploit architectural de Brunelleschi : une calotte intérieure encastrée sur une calotte supérieure. Ainsi, de la même façon que nous sommes séduit par la beauté des formes extérieures du dôme, l’effet musical du motet parvient à son effet musical maximum dans les lignes des voies supérieures. »

toscanelli

Paolo Toscanelli.

** Paolo Toscanelli fut sans doute le plus grand scientifique polyvalent de son temps conduisant des recherches dans tous les domaines importants : mathématiques, géométrie, perspective, cosmologie, médecine, astronomie et surtout la géographie appliquée à la cartographie.

Il écrit un traité sur la perspective en 1420  Della Prospectiva , malheureusement perdu, probablement avec l’aide de Brunelleschi qui selon Manetti faisait ses fameuses expériences à la même époque.Il suivit avec Nicolas de Cuse les cours du mathématicien Prosdocimo del Beldomandi à Padoue.

Avant publication, Cues lui envoie le manuscrit de sa première oeuvre mathématique, les  Transmutations géométriques de 1445, puis ses  Compléments arithmétiques en 1450. Toscanelli fut souvent appelé « Paolo le médecin », parce qu’il couronna ses études avec un doctorat de médecine tandis que Cuse obtenait le titre de  doctor decretorum .

Il devient ensuite conservateur de la bibliothèque de Niccolo Niccoli à Florence. Celui-ci fut un des plus ardents collectionneurs de manuscrits de la Renaissance italienne, dont la collection sera le fonds de départ de la fameuse bibliothèque Laurentienne pour devenir le cœur de la bibliothèque Vaticane. Toscanelli sera aussi un ami direct et l’inspirateur du jeune Léonard de Vinci, et c’est à Toscanelli que son ami Nicolas de Cuse dicte ses dernières volontés sur son lit de mort

Ambrogio Traversari (1386-1439)

*** C’est Ambrogio Traversari, grand protecteur du peintre Piero della Francesca, que recruta Nicolas de Cuse pour organiser avec lui le grand concile oecuménique qui aura finalement lieu à Florence en 1438 pour tenter de sceller la réunification des églises d’Orient et d’Occident.
Ils imposeront les plus grands papes humanistes de la Renaissance, Martin V, Eugène IV, Nicolas V et Pie II. Réunir Orient et Occident sous un dôme unique, grand et beau, capable d’englober toutes les coupoles de la chrétienté était un puissant symbole et on mesure derrière ce projet tout l’engagement actif d’une myriade d’humanistes.
On y réfléchit sur la quadrature du cercle, on apprend le grec et l’hébreu pour percer les secrets des écritures, on traduit Archimède, Végèce et Vitruve pour inventer des machines plus performantes, on démarre l’industrie, on produit du papier pour lancer l’imprimerie, on fonde des hôpitaux et des écoles, bref on ne fait pas que parler de Renaissance, on la fait.

Pierre de Fermat (1601-1665).

****Pierre de Fermat. La courbe de la chaînette, en opposition avec les courbes algébriques, appartient au domaine des courbes physiques, et exprime le principe de moindre action.

Ce principe baptisé « principe d’économie naturelle » par Pierre Fermat (1601-1665), le chemin emprunté par la lumière pour se rendre d’un point donné à un autre est celui pour lequel le temps de parcours est minimum (« principe de Fermat »).

Leibniz (1646-1716), reprenant le principe du minimum/maximum, que Nicolas de Cuse avait déjà identifié en travaillant sur l’isopérimetrie, le formule ainsi : « Il y a toujours dans les choses, un principe de détermination, qu’il faut tirer de la considération d’un maximum et d’un minimum, à savoir que le maximum d’effet soit fourni avec un minimum de dépense. Dans le cas actuel, le temps et le lieu ou, en un mot, la réceptivité ou capacité du monde peut être considérée comme la dépense, c’est-à-dire le terrain sur lequel il s’agit de construire le plus avantageusement, et les variétés des formes dans le monde correspondent à la commodité de l’édifice, à la multitude et à la beauté des chambres…(…)…Ainsi un liquide placé dans un autre, hétérogène, prend la forme qui a le maximum de capacité, à savoir la forme sphérique. Ainsi encore en mécanique ordinaire, de l’action de plusieurs graves concourant entre eux [une chaîne] résulte le mouvement par lequel en fin de compte se réalise la plus grande descente. Et de même que tout les possibles tendent d’un droit égal à exister, en proportion de leur réalité, ainsi tout les poids tendent aussi d’un droit égal à descendre, en proportion de leur gravité ; de même qu’ici se produit le mouvement dans lequel se remarque le maximum de descente de graves, de même le monde qui se réalise est celui qui réalise le maximum de possibles. » ( De la production originelle des choses prise à sa racine ).

En 1691, Leibniz note que Galilée confondait la chaînette avec la parabole, une différence fondamentale démontrée par Joachim Jungius (1585-1657).


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